Download commentaire linéaire and more Study notes French in PDF only on Docsity! Fiche 12: Moesta et errabunda, Les Fleurs du Mal Charles Baudelaire est l’un des plus grands poètes français, dont l’œuvre est au croisement du second romantisme, aussi appelé romantisme retardé et du symbolisme (mouvement poétique qui a recours aux symboles et aux images pour déchiffrer les mystères du monde). Baudelaire est un carrefour poétique du XIXème siècle: il résume ce qui précède et annonce ce qui suit. Il marque en effet le tournant vers la modernité de par son ancrage urbain et sa noirceur audacieuse. Le recueil Les Fleurs du Mal est publié pour la première fois en 1857. C’est le fruit d’un travail d’une quinzaine d’années, et plusieurs poèmes ont déjà été publiés dès 1845. L’accueil est mitigé mais la presse condamne violemment l’immoralité du recueil, ce qui mènera Charles Baudelaire au procès en août 1857. Suite à cela six poèmes seront retirés de l'œuvre. Bien que Baudelaire soit considéré comme un poète moderne, il écrit dans une prose très classique. Situé dans la section II « Spleen et Idéal », Moesta errabunda qui signifie « affligée et errante » est un des derniers poèmes de Spleen et Idéal où sont évoquées des images heureuses. Cependant, le bonheur en question appartient au passé, et est l'objet d'une remémoration. Ce poème est composé de 6 quintiles d’alexandrins aux rimes croisées où le 5ème vers répète le 1er. Comment le spleen s’affirme-t-il ici face à l’évocation d’un paradis perdu? Pour répondre à cette question nous avons séparé ce texte en trois mouvements : - d’abord dans M1 (s1-3) nous étudierons l’appel du poète au départ pour fuir l’horreur du présent, - ensuite M2 (s 4-5) nous traiterons de son éloge d’un paradis perdu - et enfin M3 (s 6) nous analyserons comment il interroge la capacité de la poésie à restaurer ce paradis perdu. I – Un appel au départ pour fuir l’horreur du présent (£1-3) Moesta errabunda s’ouvre sur une adresse lyrique à une femme prénommée “Agathe”, (V1) rappelant agathos qui veut dire bon. L’impératif à la deuxième personne du singulier (« Dis-moi ») inscrit la voix du poète dans une solitude à laquelle il espère se soustraire en « s’envolant ». Le terme « ton coeur », avec l’adjectif possessif, donne l’impression d’une confession intimiste et amoureuse où le poète implore la présence de l’être aimé, et souligne la quête du poète pour l’âme sœur. La métaphore “parfois s’envole” inscrit la voie du poète dans une solitude à laquelle il souhaite se soustraire, s’élever hors du réel. Mais très vite, le poète oppose la réalité haïe à un ailleurs idéalisé. Ainsi, les vers 2 et 3 sont structurés autour d’une antithèse entre spleen et idéal. En effet, la ville (la « cité ») est associée à un adjectif péjoratif qui exprime le dégoût (« immonde »), comme le « noir océan » qui peignent Paris comme un océan grouillant de monde tandis que l' « autre océan » est un monde pur et virginal (« virginité ») décrit par l’harmonieuse énumération ternaire d’adjectifs mélioratifs : « bleu, clair, profond » (V.4). La reprise du vers 1 au vers 5 renforce l’appel au départ de Baudelaire et crée une musique envoûtante que l’on retrouve dans l’ensemble du poème. Dans la deuxième strophe, Baudelaire poursuit une métaphore filée entre la mer et l’ailleurs : « La mer, la vaste mer, console nos labeurs ! ». Cette mer, synonyme de voyage, devient par l’homonymie de “mère” et “mer” Cette mer est personnifiée en figure maternelle : elle « console » le poète et chante une « sublime berceuse » comme le ferait une mère. Cet ailleurs évoqué par Baudelaire est donc tourné vers l’enfance. Mais cette nature est ambivalente. Elle est à la fois source d’apaisement (« console », « berceuse ») mais elle est également effrayante et inquiétante de par son étendue (« vaste ») et son chant disharmonique (« rauque ») qu’elle tient d’un « démon » surnaturel (v.7). La nature est donc ambigüe, à la fois effrayante et sublime. Elle n’offre pas de consolation absolue au poète. Baudelaire rompt ainsi avec la tradition romantique en représentant la nature comme une force menaçante avec laquelle le poète ne peut plus fusionner. Son ambiguïté n’offrant aucune consolation au poète, vient accentuer l’urgence de son besoin de partir d'où l'hémistiche “emporte moi wagon! enlève moi frégate!” (V11). La troisième strophe renoue avec l’adresse du vers 1. Cependant, l’adresse amoureuse du premier vers laisse place à une adresse au « wagon » et à la « frégate ». La distance se creuse donc entre le poète et Agathe L’être aimé est remplacé par l’objet comme si l’amour n’avait pas su libérer le poète qui se tourne vers des objets muets. Le parallélisme de construction et la double exclamation du vers 11 donne une impression d’urgence poignante : « Emporte-moi, wagon ! Enlève-moi, frégate ! » . Ce sentiment d’urgence est renforcé par la répétition exclamative « Loin ! Loin ! » au vers 12. La phrase nominale suggère un besoin d’ailleurs de plus en plus pressant.