Download Explication Linéaire L'Albatros and more Assignments French in PDF only on Docsity! PÉRIODE 3 OBJET D’ÉTUDE ŒUVRE INTÉGRALE La littérature d’idées du XVIe siècle au XVIIIe siècle Michel de Montaigne Les Essais, « Des Cannibales » et « Des Coches » 1580-1595 PARCOURS Notre monde vient d’en trouver un autre Étude de texte n°3 : l’œuvre intégrale (extrait 3/3) III, 6 « Des Coches » : de « Notre monde vient d’en découvrir un autre » à « vendus et trahis eux- mêmes. » trad. du moyen français par Guy de Pernon, 2008-2019 · · · · 5 · · · · 1 0 · · · · 1 5 · · · · 2 0 · · · Notre monde vient d’en découvrir un autre. Et qui peut nous garantir que c’est le dernier de ses frères, puisque les Démons, les Sybilles et nous-mêmes avons ignoré celui-là jusqu’à maintenant ? Il n’est pas moins grand, ni moins plein, ni moins bien doté de membres ; mais il est si jeune et si enfant qu’on lui apprend encore son a, b, c. Il n’y a pas cinquante ans, il ne connaissait encore ni les lettres, ni les poids, ni les mesures, ni les vêtements, ni le blé, ni la vigne ; il était encore tout nu dans le giron de sa mère et ne vivait que grâce à elle. Si nous jugeons bien de notre fin prochaine, comme Lucrèce le faisait pour la jeunesse de son temps, cet autre monde ne fera que venir au jour quand le nôtre en sortira. L’univers tombera en paralysie : l’un de ses membres sera perclus et l’autre en pleine vigueur. J’ai bien peur que nous n’ayons grandement hâté son déclin et sa ruine par notre contagion, et que nous lui ayons fait payer bien cher nos idées et nos techniques. C’était un monde encore dans l’enfance, et pourtant nous ne l’avons pas dressé ni plié à nos règles par la seule vertu de notre valeur et de nos forces naturelles. Nous ne l’avons pas conquis par notre justice et notre bonté, ni subjugué par notre magnanimité. La plupart des réponses que les gens de ce monde-là nous ont faites et les négociations que nous avons menées avec eux ont montré qu’ils ne nous devaient rien en matière de clarté d’esprit naturelle et de pertinence. L’extraordinaire magnificence des villes de Cuzco et de Mexico, et parmi bien d’autres merveilles, les jardins de ce roi où tous les arbres, les fruits et les herbes, dans le même ordre et avec la même taille que dans un jardin ordinaire, étaient en or, de même que dans son cabinet de curiosités, toutes les sortes d’animaux qui naissent en son pays et dans ses mers, la beauté de leurs ouvrages en joaillerie, en plumes, en coton, ou dans la peinture – tout cela montre bien qu’ils n’étaient pas non plus moins habiles que nous. Mais quant à la dévotion, à l’observance des lois, la bonté, la libéralité, la franchise, il nous a été bien utile d’en avoir moins qu’eux : cet avantage les a perdus, ils se sont vendus et trahis eux-mêmes. ·