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La colere d'Antoine juste la fin du monde, Study notes of French

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Typology: Study notes

2020/2021

Uploaded on 03/30/2023

dminhminh
dminhminh 🇫🇷

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Download La colere d'Antoine juste la fin du monde and more Study notes French in PDF only on Docsity! Introduction Dans son mémoire de philosophie, Jean-Luc Lagarce décrit ce qui est pour lui, une dimension importante du rôle du dramaturge : Le dramaturge joue les « francs-tireurs », refusant d’entrer dans l’institution que les siècles passés ont construite autour du théâtre : il est désormais de son devoir de démonter et de démontrer les mécanismes de la supercherie. Jean-Luc Lagarce, Théâtre et pouvoir en occident, 1980-2011. Hé bien, il semblerait que c'est exactement ce qu'il fait dans Juste la fin du Monde : il met en scène un héros tragique, Louis, qui représente bien les mécanismes traditionnels : à la fois innocent et coupable, écrasé par son destin, il suscite la terreur et la pitié. En cela il ressemble bien à un certain Oedipe, Phèdre ou Iphigénie… Mais dans notre passage, Antoine nous oblige à poser un nouveau regard sur son frère, l'accusant de jouer un rôle. On est alors obligés de se demander : et si le personnage tragique n'était qu'un acteur, jouant les Héros pour mieux nous séduire ? Et si quelqu'un osait monter sur scène pour dénoncer la supercherie ? Voilà pourquoi ce passage est le point culminant de la pièce : Antoine révèle et dénonce ce que cachent les attitudes et les silences de Louis. La crise familiale (le départ de Louis) c'est un précédent, comme si la pièce avait déjà été jouée une fois. Les rôles sont bouleversés, ce qui va, non pas détruire le sentiment tragique, mais en quelque sorte, le déplacer… Comment Jean-Luc Lagarce utilise-t-il ce drame familial pour rendre visible les stratagèmes du personnage tragique ? Je vais annoncer les mouvements et citer le texte très clairement au fur et à mesure, pour que vous puissiez bien suivre. Pour retrouver tous mes documents et toutes mes vidéos sur cette œuvre, rendez-vous sur mon site www.mediaclasse.fr Premier mouvement : Des accusations en miroir Ce premier mouvement, on pourrait l'appeler « Accusations en miroir » parce que Antoine se donne la difficile tâche de dénoncer ce qu'il appelle : les accusations sans mots de Louis. Tu es là devant moi, je savais que tu serais ainsi, à m’accuser sans mot, à te mettre debout devant moi à m’accuser sans mot, « Accuser sans mot » on touche à l'oxymore (l'association de deux idées incompatibles). Comment peut-on accuser sans mot ? Antoine dit que son frère l'accuse, juste en étant là, avec le verbe d'état. Être coïncide avec une posture, remplace des paroles qui le rendent coupable aux yeux des autres. Ensuite Antoine développe cette même idée avec une périphrase (en plusieurs mots) « te mettre debout devant moi » comme pour mieux transformer le verbe d'état en verbe d'action. En latin, se tenir debout, c'est le verbe stare qui participe justement à l'étymologie du verbe être, et qui donne aussi le mot « statue ». Les accusations de Louis, ne passent pas tant par les mots que par les attitudes… Cette accusation d'Antoine nous invite à relire la pièce pour trouver ces moment où en effet Louis réussit à rendre Antoine coupable, sans mots. Dès la première scène de la pièce, par exemple : « je ne t'en veux pas, mais tu m'as mis mal à l'aise ». C'est bien un reproche, mais il est dissimulé par la première négation, et remplacé par une sensation physique de gêne. Autre exemple, juste avant notre passage : LOUIS. — Il n'a pas été brutal, je ne vois pas ce que vous voulez dire. ANTOINE. — Oh, toi, ça va, « la Bonté même » ! Bien sûr, Louis fait preuve de fausse naïveté : il est trop habile pour ne pas voir ce que les autres veulent dire. Ici, le tour de force vient donc du fait que Louis semble véritablement étonné. Alors, tout l'enjeu va consister à faire tomber son masque d'acteur. Or justement, on trouve bien cette idée que Louis est un acteur, et même surtout, un acteur de tragédie : et je te plains, et j’ai de la pitié pour toi, c’est un vieux mot, mais j’ai de la pitié pour toi, et de la peur aussi, et de l’inquiétude, L'allitération (le retour de sons consonnes) en P est intéressante, parce qu'elle met en valeur trois mots : la plainte, la pitié, et la peur. Ils ne sont pas là par hasard, comme le dit Antoine : « c'est un vieux mot ». On reconnaît les sentiments qu'Aristote attribue à la tragédie : la terreur et la pitié. En disant cela, Antoine se compare au spectateur d'une tragédie dont Louis serait le Héros. Mais ce n'est pas si simple, et en accusant l'accusateur, Antoine brouille tous les rôles de la tragédie, écoutez : et malgré toute cette colère, j’espère qu’il ne t’arrivera rien de mal, personnage de Louis est cette fois-ci entouré de personnages du passé, comme par exemple l'ami de Longue date. LONGUE DATE. — Revenir après tant d'années, revenir sur ses propres traces et avoir commis quelques crimes, et pourquoi non ? [...] Crimes ou abandons, [...] ce n'est pas loin d'être la même chose. C'est donc tout le poids du passé qui se cache dans ces quelques mots « tu nous accables » et qui ressort soudainement avec le CC de temps : « lorsque j'étais enfant ». Ainsi, le plus cruel, ce n'est pas tant la mort inéluctable que la répétition d'un schéma passé, qui garde la douleur et la trace des fois précédentes, et qui explique ici le comparatif de supériorité « encore plus peur ». Chez Lagarce, l'épanorthose est plus qu'une figure de style, c'est un principe organisateur de l'intrigue. Alors que jusqu'ici il s'adressait à Louis directement, Antoine entre maintenant dans un véritable monologue : et je me dis que je ne peux rien reprocher à ma propre existence, qu'elle est paisible et douce et que je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir failli se lamenter, alors que toi, silencieux, ô tellement silencieux, bon, plein de bonté, tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure dont je ne saurais pas même imaginer le début du début. Ce n'est pas un hasard si on frôle le lyrisme ici : « je suis un mauvais imbécile qui se reproche déjà d'avoir failli se lamenter ». Le lyrisme, en littérature, c'est-ce que c'est ? L'expression musicale d'une douleur personnelle. C'est certainement le registre privilégié des Héros tragiques : Phèdre, par exemple, accablée par son destin, confie à sa nourrice qu'elle songe au suicide. Or Antoine justement, refuse ce lyrisme « je ne peux rien reprocher à ma propre existence ». Cette existence ne sera pas personnifiée… Il se dit Imbécile, c'est à dire, étymologiquement, celui qui n'utilise pas de béquille, et donc d'une certaine manière, celui qui refuse d'utiliser des artifices. « Alors que toi » le lien logique d'opposition vient créer une sorte de dyptique où les deux frères sont mis face à face. Louis est justement celui qui utilise tous les artifices du Héros tragique… Même son mutisme a quelque chose de lyrique, avec l'apostrophe : « Ô tellement silencieux ». Antoine est ensuite de plus en plus ironique en multipliant les hyperboles (les figures d'exagération) « Bon, plein de bonté, tu attends, replié sur ton infinie douleur intérieure ». Cette bonté excessive n'est pas sans rappeler celle de Tartuffe, le faux dévot, personnage d'autant plus inquiétant qu'il n'est pas caricatural comme pouvait l'être Harpagon par exemple. Et pourtant, l'ironie tragique fonctionne toujours à plein régime, parce que, celui qui jouait le personnage tragique, sur le point d'être dénoncé, est frappé par la tragédie... Le Malade imaginaire, qui tirait profit de ses douleurs intérieures, est tombé réellement malade… La tragédie prend le pas sur la comédie… Dans son journal, Jean-Luc Lagarce raconte comment Le Malade Imaginaire lui fit monter les larmes aux yeux : Au milieu de la scène entre les deux frères, Béralde et Argan, qui est, je le dis toujours, « la scène qui me fit monter la pièce » [...] l'attention était telle qu'à l'instant essentiel : « que faire quand on est malade… ? — Rien, mon frère. [...] Les larmes me vinrent aux yeux. Quand Antoine dit qu'il ne peut qu' « imaginer le début du début » de la douleur intérieure de Louis, il est certainement ironique, avec l'exagération. Mais si on considère que la maladie de Louis est réelle, toute cette ironie tombe à l'eau, et se met au contraire à souligner le tragique de la situation. Troisième mouvement : Des reproches prémonitoires Ce troisième mouvement, on pourrait l'appeler « des reproches prémonitoires » parce que Antoine semble avoir une véritable prescience de ce qui est sur le point de se passer. La crise familiale a déjà eu lieu dans le passé, et en quelque sorte, elle prépare et aggrave la crise à venir. Je ne suis rien, je n'ai pas le droit, et lorsque tu nous quitteras encore, que tu me laisseras, je serai moins encore, Dans tout ce dernier mouvement, le discours d'Antoine va plus loin qu'il ne l'imagine lui-même, un peu comme la Pythie antique, qui annonce le dénouement des tragédies, mais dont les prophéties prennent un sens différent quand on en connaît la fin... Par exemple, ce verbe « quitter » « lorsque tu nous quitteras encore » semble prophétique, surtout si on l'entend comme un euphémisme pour désigner la mort. Mais il est tout de suite remplacé par le verbe « laisser » : pour Antoine, le départ de Louis est volontaire, calqué sur les abandons du passé. La répétition du passé est d'ailleurs mise en scène par la répétition de l'adverbe « encore » qui revient trois fois comme un refrain. Ici, deux figures de style se mêlent et s'opposent : la prolepse, qui annonce la suite, devient une analepse, un retour dans le passé. Antoine mêle la crise familiale et la crise personnelle, en passant de la P1 du pluriel « lorsque tu nous quitteras encore » à la P1 du singulier « tu me laisseras ». Cette correction est émouvante, parce qu'elle prouve que la colère d'Antoine provient bien d'un amour qui existait entre les deux frères, malmené par le premier départ de Louis. Encore ici, les deux frères sont diamétralement opposés : « je ne suis rien, je n'ai pas le droit » sous-entend que Louis au contraire est tout : en se donnant le droit de partir, il est devenu paradoxalement le centre de l'attention. Dans ce schéma, on retrouve la parabole du fils prodigue : le frère qui est parti sera toujours bien accueilli, malgré les protestations de celui qui est resté. On peut aussi penser au récit biblique de Caïn et Abel, les deux frères devenus ennemis, parce que Dieu aurait refusé le sacrifice de Caïn... Mais dans notre cas de figure, quel est le frère qui a tué l'autre ? Et on doit se poser la question, dans la modernité, n'est-ce pas l'absence même de Dieu qui est coupable ? Et en effet le discours d'Antoine bouleverse tous les rôles : « Quand tu me laisseras, je serai moins encore » paradoxalement, c'est bien le frère encore présent qui entre dans le néant, dans une pénitence impossible : juste là à me reprocher les phrases que j'ai dites, à chercher à les retrouver avec exactitude, moins encore, avec juste le ressentiment, le ressentiment contre moi-même. Le mot « juste » laisse penser que peut-être le titre de la pièce s'applique aussi à Antoine. Car pour lui, la tragédie, c'est celle qui va suivre la mort de Louis, celle du « ressentiment », de la culpabilité impossible à effacer. Une chose pire que la fin du monde, n'est-ce pas le sort de ceux qui restent après
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