Docsity
Docsity

Prepara tus exámenes
Prepara tus exámenes

Prepara tus exámenes y mejora tus resultados gracias a la gran cantidad de recursos disponibles en Docsity


Consigue puntos base para descargar
Consigue puntos base para descargar

Gana puntos ayudando a otros estudiantes o consíguelos activando un Plan Premium


Orientación Universidad
Orientación Universidad

ANTIGONE de ANTIGONE de JEAN ANOUILH a été présentée pour la première fois , Apuntes de Idioma Francés

Asignatura: Frances III, Profesor: Lina Avendaño Anguita, Carrera: Estudios Franceses, Universidad: UGR

Tipo: Apuntes

2016/2017

Subido el 23/10/2017

alba_bueno_heredia
alba_bueno_heredia 🇪🇸

4.7

(3)

5 documentos

1 / 16

Toggle sidebar

Documentos relacionados


Vista previa parcial del texto

¡Descarga ANTIGONE de ANTIGONE de JEAN ANOUILH a été présentée pour la première fois y más Apuntes en PDF de Idioma Francés solo en Docsity! ANTIGONE de Jean Anouilh adaptée par Eva Weidermann 2 Préface ANTIGONE de JEAN ANOUILH a été présentée pour la première fois le 4 février 1944, au Théâtre de l’Atelier à Paris, dans la mise en scène d’André Barsacq avec Monelle Valentin dans le rôle du personnage principal. Les acteurs étaient en costume de soirée: «Le roi et tous les membres de la famille royale portaient le frac, et les gardes le smoking, sur lequel ils avaient passé un ciré de couleur noire» (A. Barsacq). Le décor était, comme proposé par l’auteur, purement fonctionnel, sans fixation à une époque déterminée. Outre un caractère provocateur, la présence de ces «anachronismes» serviraient - et servirent - à créer une certaine complicité avec le spectateur d’aujourd’hui et à montrer par cette modernisation du mythe que les héros mythiques sont de tous les temps. L’inspiration mythologique est une donnée fondamentale du théâtre français de la première moitié du XXe siècle (1927 Cocteau, «Orphée», 1932 Gide, «Oedipe», 1934 Cocteau, «La Machine infernale», 1935 Giraudoux, «La Guerre de Troie n’aura pas lieu», 1937 Giraudoux, «Électre», Cocteau, «Oedipe roi», 1943 Sartre, «Les Mouches», 1944 Anouilh, «Antigone», 1946 Gide, «Thésée», Anouilh, «Médée»). Dans l’atmosphère d’inquiétude des années trente, où le monde apparaît de plus en plus plongé dans l’absurdité et dans la détresse, le mythe, désacralisé et réactualisé, véhiculait des questions brûlantes. Le héros antique, prisonnier de son destin, faisait tristement écho à l’individu du XXe siècle, menacé par la guerre et la montée des périls. Depuis sa première présentation aux Athéniens en 441 av. J.-C. sur les flancs de l’Acropole, le sujet d’Antigone a joui d’une popularité extraordinaire. C’est cette «Antigone» de Sophocle, «lue et relue et que je connaissais depuis toujours», qu’Anouilh a décidé de réécrire, à sa façon, sous la forme d’une tragédie moderne qui, si elle reste parfois fidèle au modèle, est avant tout une création originale de l’auteur. Dans les deux pièces, l’histoire est la même: Antigone, en dépit de l’interdiction de Créon, a rendu les honneurs funèbres à son frère Polynice. Cette désobéissance lui vaudra la mort. Le déroulement de l’action et son dénouement sont également semblables, et les principaux personnages - même si leur signification dans la tragédie d’Anouilh est totalement différente - ont été conservés. Il a supprimé, par contre, le personnage de Tirésias, vieux devin aveugle qui, dans la tragédie grecque, représentait la voix des dieux et qui n’aurait guère eu de sens dans une pièce où la religion est niée et le mythe désacralisé. Mais c’est dans la signification du face-à-face symbolique entre Antigone et Créon que se situe la différence majeure entre les deux œuvres. L’opposition entre la loi des hommes et la loi des dieux est devenue opposition entre la Raison d’État et la Rébellion. Ce qui était, chez Sophocle, un conflit entre le plan humain - l’orgueil des hommes, leur démesure - et le plan divin n’est ici que l’affrontement de deux êtres désabusés. L’Antigone grecque se sacrifiait pour la justice, celle d’Anouilh «ne sait plus pourquoi elle meurt». Après le succès de l’«Antigone» d’Anouilh, à leur tour de rôle, l’«Antigone» de Garnier, celle de Cocteau et puis la tragédie de Brecht, sortirent de l’ombre. En 1968, on fit monter Antigone sur scène en blue jean et contester l’autorité de l’État et les structures universitaires répressives. Pour elle, les professeurs étaient «une bande de Créons». En 1972, une « Antigone» de Mikis Theodorakis fut présentée au festival d’Avignon, et vers la fin des années quatre-vingt, deux théâtres parisiens ont ajouté de nouvelles variantes à la gamme des représentations de la pièce d’Anouilh. Comment s’explique la popularité durable du thème sophocléen? D’abord par la multitude des approches possibles: Antigone revendiquant les libertés et les droits de l’individu contre les nécessités de la Raison d’État; l’opposition entre une jeunesse intransigeante et l’âge mûr tendant vers le compromis réaliste; la quête de l’absolu et le contentement d’un bonheur modeste; le conflit de générations etc. Puis, le succès résulte certainement de la personnalité chatoyante de la protagoniste elle-même: Antigone est passée pour l’image accomplie de la vertu féminine, on l’a faite le porte-parole des faibles et persécutés, pour d’autres, elle n’était qu’une fille excessive et capricieuse; elle était républicaine, révolutionnaire et anarchiste; le personnage d’Antigone n’a jamais perdu son attrait et sa fascination. Sa tragédie est toujours actuelle. 5 ANTIGONE: Tu as bien réfléchi, tu dis? Tu penses que toute la ville hurlante33 contre toi, tu penses que la douleur et la peur de mourir c’est assez? ISMÈNE: Oui. ANTIGONE: Sers-toi de ces prétextes34. ISMÈNE: Antigone! Je t’en supplie35! Ton bonheur est là devant toi et tu n’as qu’à le prendre. Tu es jeune, tu es fiancée ... ANTIGONE: Je parlerai tout à l’heure à Hémon. Hémon sera tout à l’heure une affaire réglée. ISMÈNE: Tu es folle. Je te convaincrai36, n’est-ce pas? Je te convaincrai? Tu me laisseras te parler encore? ANTIGONE: Je te laisserai me parler, oui. Je vous laisserai tous me parler. Pauvre Ismène. Hémon paraît37. ANTIGONE: Pardon, Hémon, pour notre dispute d’hier soir et pour tout. C’est moi qui avais tort38. Je te prie de me pardonner. HÉMON: Tu sais bien que je t’avais pardonné, à peine39 avais-tu claqué40 la porte. Ton parfum était encore là et je t’avais déjà pardonné. A qui l’avais-tu volé, ce parfum? ANTIGONE: A Ismène. HÉMON: Et le rouge à lèvres, la poudre, la belle robe? ANTIGONE: Aussi. HÉMON: En quel honneur41 t’étais-tu faite si belle? ANTIGONE: Je te le dirai. Oh! mon chéri, comme j’ai été bête! Tout un soir gaspillé42. Un beau soir. HÉMON: Nous aurons d’autres soirs, Antigone. ANTIGONE: Peut-être pas. Serre43-moi! Plus fort que tu ne m’as jamais serrée. Que toute ta force s’imprime44 dans moi. HÉMON: Là. De toute ma force. ANTIGONE: C’est bon. Écoute, Hémon. HÉMON: Oui. ANTIGONE: Tu es bien sûr qu’à ce bal où tu es venu me chercher dans mon coin, tu ne t’es pas trompé de jeune fille? Tu es sûr que tu n’as jamais regretté depuis, jamais pensé, même tout au fond de toi, même une fois, que tu aurais plutôt dû demander Ismène? HÉMON: Idiote! ANTIGONE: Tu m’aimes, n’est-ce pas? Tu m’aimes comme une femme? Tes bras qui me serrent ne mentent45 pas? HEMON: Oui, Antigone, je t’aime comme une femme. ANTIGONE: Et quand tu penses que je serai à toi, est-ce que tu sens au milieu de toi comme un grand trou46 qui se creuse47, comme quelque chose qui meurt? HÉMON: Oui, Antigone. 32 le supplice die Hinrichtung 33 hurler heulen, johlen 34 le prétexte der Vorwand, die Ausrede 35 supplier qn. de jn. inständig um etwas bitten, anflehen 36 convaincre qn. jn. überzeugen 37 paraître erscheinen 38 avoir tort im Unrecht sein 39 à peine kaum 40 claquer zuschlagen 41 en quel honneur wem zu Ehren 42 gaspiller verschwenden 43 serrer drücken, fest umarmen 44 s’imprimer sich aufdrücken 45 mentir lügen 46 le trou das Loch 47 creuser graben 6 ANTIGONE: Moi, je sens comme cela. Et je voulais te dire que j’aurais été très fière d’être ta femme. Voilà. Maintenant je vais te dire deux choses. Et quand je les aurai dites il faudra que tu sortes sans me questionner. Jures48-le moi. Si tu m’aimes jure-le moi, Hémon... C’est la dernière folie que tu auras à me passer49. HEMON: Je te le jure. ANTIGONE: Merci. Hier d’abord. J’étais venue chez toi avec une robe d’Ismène, ce parfum et ce rouge à lèvres parce que je n’étais pas très sûre que tu me désires vraiment et j’avais fait tout cela pour être un peu plus comme les autres filles, pour te donner envie de moi. HÉMON: C’était pour cela? ANTIGONE: Oui. Et tu as ri et nous nous sommes disputés. Mais j’étais venue chez toi pour que tu me prennes hier soir, pour que je sois ta femme avant. Tu m’as juré de ne pas me demander pourquoi. Tu m’as juré, Hémon! D’ailleurs, je vais te dire. Je voulais être ta femme quand même parce que je t’aime comme cela, moi, très fort, et que - je vais te faire de la peine50 - que jamais, jamais je ne pourrai t’épouser. Sors. S’il te plaît, pars, Hémon. Tu sauras demain. Tu sauras tout à l’heure. Hémon sort.Entre Ismène. ISMÈNE: Antigone! ... Ah, tu es là! ANTIGONE: Oui, je suis là. ISMÈNE: J’avais peur que tu sortes, et que tu tentes51 de l’enterrer malgré52 le jour. Ne tente pas ce qui est au-dessus de tes forces53. Tu braves54 tout toujours, mais tu es toute petite. Reste avec nous, nous sommes vivants, nous, nous avons besoin de toi. Ne va pas là-bas cette nuit, je t’en supplie. ANTIGONE: C’est trop tard. Ce matin, quand tu m’as rencontrée, j’en venais. ISMÈNE: Antigone! Dès qu’Ismène est sortie, Créon entre avec le Chœur. CRÉON: Un garde55, dis-tu? Un de ceux qui gardent le cadavre? Il peut entrer. LE GARDE: Garde Jonas, de la Deuxième Compagnie. CRÉON: Qu’as-tu à me dire? LE GARDE: On est les trois du piquet56 de garde, chef, autour du cadavre. Je ne suis pas tout seul. On a tiré au sort57 pour savoir celui qui viendrait. Et le sort est tombé sur moi. Faut-il que j’aille chercher le garde de première classe, chef? CRÉON: Non. Parle, toi, puisque tu es là. LE GARDE: J’ai dix-sept ans de service58. Je suis engagé volontaire59, la médaille, deux citations. Je suis bien noté, chef. Moi je suis «service»60. Je ne connais que ce qui est commandé. Mes supérieurs ils disent toujours: «Avec Jonas on est tranquille.» CRÉON: Vas-tu parler enfin? LE GARDE: Hé bien, voilà, chef: le cadavre... On a veillé61 pourtant. On avait la relève62 de deux heures, la plus dure. Mais on ne dormait pas, on était là, on parlait, on battait la semelle63 ... Tout 48 jurer schwören 49 passer qch. à qn. jm. etwas durchgehen lassen 50 faire de la peine à qn. jm. Kummer machen 51 tenter de versuchen zu 52 malgré trotz 53 la force die Kraft 54 braver trotzen, entgegentreten 55 le garde der Wächter 56 le piquet hier: die diensthabende Abteilung 57 tirer au sort auslosen 58 le service der Dienst 59 engagé volontaire freiwillig (verpflichtet) 60 je suis „service“ ich bin pflichtbewusst und diensteifrig 61 veiller wachen 62 la relève die Wachablöse 63 battre la semelle hier: hin und her gehen 7 d’un coup, moi je regarde le cadavre... C’est moi qui l’ai vu le premier, c’est moi qui ai donné le premier l’alarme. CRÉON: L’alarme? Pourquoi? LE GARDE: Le cadavre, chef. Quelqu’un l’avait recouvert64. Oh! pas grand-chose. Ils n’avaient pas eu le temps avec nous autres à côté. Seulement un peu de terre... Mais assez tout de même pour le cacher aux vautours65. CRÉON: Qui a osé? Qui a été assez fou pour braver ma loi? As-tu trouvé des traces? LE GARDE: Rien, chef. Rien qu’un pas plus léger qu’un passage d’oiseau. En cherchant mieux, nous avons trouvé plus loin une petite pelle66 d’enfant toute vieille... CRÉON: Une petite pelle d’enfant? A qui avez-vous déjà parlé de cette affaire? LE GARDE: A personne, chef. CRÉON: Écoute bien. Votre garde est doublée67. Renvoyez68 la relève69. Voilà l’ordre. Je ne veux que vous près du cadavre. Et pas un mot. Vous êtes coupables70 d’une négligence71, vous serez punis de toute façon, mais si tu parles, si le bruit72 court dans la ville qu’on a recouvert le cadavre de Polynice, vous mourrez tous les trois. LE CHŒUR: Et voilà. Maintenant le ressort est bandé73. Cela n’a plus qu’à se dérouler74 tout seul. C’est cela qui est commode75 dans la tragédie. On donne le petit coup de pouce76 pour que cela démarre77, rien, un regard pendant une seconde à une fille qui passe et lève les bras dans la rue, une envie d’honneur78 un beau matin, au réveil, une question de trop qu’on se pose le soir... C’est tout. Après, on n’a plus qu’à laisser faire. La mort, la trahison79, le désespoir sont là, tout prêts, et les éclats80, et les orages, et les silences, tous les silences... C’est propre81, la tragédie. C’est reposant82, c’est sûr. Dans le drame, avec ces méchants acharnés83, cette innocence persécutée84, ces lueurs85 d’espoir, cela devient épouvantable86 de mourir, comme un accident. On aurait peut-être pu se sauver... Dans la tragédie on est tranquille. D’abord, on est entre soi. On est tous innocents en somme! Ce n’est pas parce qu’il y en a un qui tue et l’autre qui est tué. C’est une question de distribution. Et puis, surtout, c’est reposant, la tragédie, parce qu’on sait qu’il n’y a plus d’espoir, le sale espoir. Dans le drame, on se débat parce qu’on espère en sortir. C’est ignoble87, c’est utilitaire88. Là, c’est gratuit89. C’est pour les rois. Et il n’y a plus rien à tenter, enfin! 64 recouvrir abdecken 65 le vautour der (Aas)Geier 66 la pelle die Schaufel 67 votre garde est doublée eure Wache (hier : Schicht) wird auf zwei Wachzeiten verlängert 68 renvoyer wegschicken 69 la relève die (Wach)Ablöse 70 coupable (m./f.) schuldig 71 la négligence die Nachlässigkeit, das Versäumnis 72 le bruit der Lärm, hier: die Nachricht, das Gerücht 73 le ressort est bandé die Feder ist gespannt (bereit zum Abschuss) 74 se dérouler sich abspielen, sich entwickeln 75 commode bequem, angenehm 76 le coup de pouce der ‘Schubs’ 77 démarrer starten 78 une envie d’honneur Lust auf Ehre 79 la trahison der Verrat 80 l’éclat (m.) der Knall, der Skandal, der Eklat 81 propre (m./f.) eigen, sauber (hier im doppelten Sinn gemeint) 82 reposant, -e erholsam 83 acharné, -e erbittert, hartnäckig 84 persécuter verfolgen 85 la lueur der Schimmer, das ferne Leuchten 86 épouvantable (m./f.) schrecklich, entsetzlich 87 ignoble (m./f.) schändlich, unehrenhaft 10 prêtre? ANTIGONE: Non, je n’y crois pas. CRÉON: Pourquoi fais-tu ce geste, alors? Pour les autres, pour ceux qui y croient? Pour les dresser123 contre moi? ANTIGONE: Non. CRÉON: Ni pour les autres, ni pour ton frère? Pour qui alors? ANTIGONE: Pour personne. Pour moi. CRÉON: Tu as donc bien envie de mourir? Tu as déjà l’air d’un petit gibier124 pris. ANTIGONE: Ne vous attendrissez125 pas sur moi. Faites comme moi. Faites ce que vous avez à faire. Mais si vous êtes un être humain126, faites-le vite. Voilà tout ce que je vous demande. Je n’aurai pas du courage éternellement127, c’est vrai. CREON: Je veux te sauver128, Antigone. ANTIGONE: Vous êtes le roi, vous pouvez tout, mais cela, vous ne le pouvez pas. CRÉON: Je ne veux pas te laisser mourir dans une histoire de politique. Tu vaux mieux que cela129. Parce que ton Polynice, cette ombre éplorée130 et ce corps qui se décompose131 entre ses gardes et tout ce pathétique132 qui t’enflamme133 ce n’est qu’une histoire de politique. Tu crois que cela ne me dégoûte134 pas autant que toi, cette viande qui pourrit135 au soleil? Tu penses bien que je l’aurais fait enterrer, ton frère, ne fût-ce que136 pour l’hygiène! Mais pour que les brutes137 que je gouverne comprennent, il faut que cela pue138 le cadavre de Polynice dans toute la ville, pendant un mois. ANTIGONE: Vous êtes odieux139. CRÉON: C’est le métier qui le veut. Ce qu’on peut discuter, c’est s’il faut le faire ou ne pas le faire. Mais si on le fait, il faut le faire comme cela. ANTIGONE: Pourquoi le faites-vous? CRÉON: Un matin, je me suis réveillé roi de Thèbes. Et Dieu sait si j’aimais autre chose dans la vie que d’être puissant... ANTIGONE: Il fallait dire non alors! CRÉON: Je le pouvais. Seulement, je me suis senti tout d’un coup comme un ouvrier qui refusait un ouvrage. Cela ne m’a pas paru140 honnête141. J’ai dit oui. ANTIGONE: Eh bien, tant pis pour vous. Moi, je n’ai pas dit «oui»! Moi, je peux dire «non» encore à tout ce que je n’aime pas et je suis seul juge. Et vous, avec votre couronne, vous pouvez seulement me faire mourir parce que vous avez dit «oui». CRÉON: C’est facile de dire non! ANTIGONE: Pas toujours. 122 la formule die Formel, der Spruch 123 dresser aufrichten; hier: aufwiegeln 124 le gibier das Wild 125 s’attendrir gerührt werden, Mitleid empfinden 126 un être humain ein menschliches Wesen 127 éternellement ewig 128 sauver qn. jn. retten 129 tu vaux mieux que cela du bist mehr wert (im Sinne von : dafür bist du zu schade) 130 éploré, -é verweint; hier: betrauert, beweint 131 se décomposer sich zersetzen 132 le pathétique das Pathos 133 enflammer entflammen, zum Glühen bringen 134 dégoûter anekeln 135 pourrir verfaulen 136 ne fût-ce que pour und wäre es nur wegen/für 137 la brute der brutale Mensch, der Rohling 138 puer stinken 139 odieux, -se hassenswert 140 paraître scheinen, erscheinen 141 honnête (m./f.) ehrenhaft, ehrenwert, anständig 11 CRÉON: C’est facile de dire non, même si on doit mourir. Il n’y a qu’à ne pas bouger et attendre. Attendre pour vivre, attendre même pour qu’on vous tue. Pour dire oui, il faut suer142 et retrousser ses manches143 empoigner144 la vie à pleines mains et s’en mettre jusqu’aux coudes145. Est-ce que tu le comprends, cela? ANTIGONE: Je ne veux pas comprendre. C’est bon pour vous. Moi je suis là pour autre chose que pour comprendre. Je suis là pour vous dire non et pour mourir. CRÉON: Tu me méprises146, n’est-ce pas? Mon rôle n’est pas bon, mais c’est mon rôle et je vais te faire tuer. Seulement, avant, je veux que toi aussi tu sois bien sûre du tien. Tu sais pourquoi tu vas mourir, Antigone? Tu sais au bas de147 quelle histoire sordide tu vas signer pour toujours ton petit nom sanglant? ANTIGONE: Quelle histoire? CRÉON: Celle d’Etéocle et de Polynice, celle de tes frères. Personne ne le sait dans Thèbes, que moi. Mais il me semble que toi, ce matin, tu as aussi le droit de l’apprendre. Sais-tu qui était ton frère Polynice? Il était un petit fêtard148 imbécile149, dur et sans âme. ANTIGONE: Ce n’est pas vrai! CRÉON: Une fois, j’étais là, ton père venait de lui refuser une grosse somme qu’il avait perdue au jeu; il est devenu tout pâle150 et il a levé le poing151. Son poing de brute à toute volée152 dans le visage de ton père! ANTIGONE: Ce n’est pas vrai! CRÉON: Ton père n’a pas voulu le faire juger. Il s’est engagé dans l’armée argyenne153. Et, dès qu’il a été chez les Argyens, la chasse à l’homme a commencé contre ton père. Les attentats se succédaient154 et les tueurs que nous prenions finissaient155 toujours par avouer156 qu’ils avaient reçu de l’argent de lui. Pas seulement de lui, d’ailleurs. J’ai fait faire hier des funérailles grandioses à Etéocle. Etéocle est un héros et un saint pour Thèbes maintenant. Il fallait bien. Tu penses que je ne pouvais tout de même pas m’offrir le luxe d’une crapule157 dans les deux camps. Mais je vais te dire quelque chose, à toi: Etéocle ne valait pas plus cher que Polynice. Le bon fils avait essayé, lui aussi, de faire assassiner158 son père, le prince loyal avait décidé, lui aussi, de vendre Thèbes au plus offrant159. Ils se sont égorgés160 comme deux petits voyous161 qu’ils étaient... Ils étaient méconnaissables162. J’ai fait ramasser163 un corps pour mes funérailles nationales, je ne sais même pas lequel. Et je t’assure que cela m’est égal. ANTIGONE: Pourquoi m’avez-vous raconté cela? 142 suer schwitzen 143 retrousser ses manches die Ärmel aufkrempeln 144 empoigner anpacken 145 le coude der Ellbogen 146 mépriser qn. jn. verachten 147 au bas de aufgrund von 148 le fêtard der Lebemann 149 imbécile (m./f.) dumm, schwachsinnig 150 pâle (m./f.) bleich, blass 151 lever le poing die Faust (drohend) erheben 152 à toute volée mit vollem Schwung 153 argyen, -ne die (Armee) des Argus 154 se succéder aufeinanderfolgen 155 finir par schließlich und endlich 156 avouer gestehen 157 la crapule der Schurke, die Kanaille 158 assassiner ermorden, umbringen 159 au plus offrant den Höchstbietenden 160 égorger niedermetzeln, erwürgen 161 le voyou der Gauner, der Strolch 162 méconnaissable zur Unkenntlichkeit entstellt 163 ramasser aufsammeln, auflesen 12 CRÉON: Valait-il mieux te laisser mourir dans cette pauvre histoire? ANTIGONE: Peut-être. Moi, je croyais. CRÉON: Que vas-tu faire maintenant? ANTIGONE: Je vais remonter dans ma chambre. CRÉON: Ne reste pas trop seule. Va voir Hémon, ce matin. Marie-toi vite. ANTIGONE: Oui. CRÉON: Tu as toute ta vie devant toi. Marie-toi vite, Antigone, sois heureuse. La vie n’est pas ce que tu crois. C’est une eau que les jeunes gens laissent couler164 sans le savoir, entre leurs doigts ouverts. Ferme tes mains, retiens-la. Tu verras, cela deviendra une petite chose dure et simple qu’on grignote165 assis au soleil. La vie, c’est un livre qu’on aime, c’est un enfant qui joue à vos pieds... Tu vas me mépriser encore, mais de découvrir cela, tu verras, c’est la consolation166 dérisoire167 de vieillir, la vie, ce n’est peut-être tout de même que le bonheur. ANTIGONE: Le bonheur ... CRÉON: Un pauvre mot, hein? ANTIGONE: Quel sera-t-il, mon bonheur? Quelle femme heureuse deviendra-t-elle, la petite Antigone? Quelles pauvretés faudra-t-il qu’elle fasse pour arracher168 avec ses dents son petit lambeaux169 de bonheur? Dites, à qui devra-telle mentir, à qui sourire, à qui se vendre? Qui devra-t-elle laisser mourir en détournant170 la tête? CRÉON: Tu es folle, tais-toi. ANTIGONE: Non, je ne me tairai pas! Je veux savoir comment je m’y prendrai, moi aussi, pour être heureuse. Tout de suite, puisque c’est tout de suite qu’il faut choisir. CRÉON: Tu aimes Hémon? ANTIGONE: Oui, j’aime Hémon. J’aime un Hémon dur et jeune; un Hémon exigeant171 et fidèle, comme moi. Mais si votre vie, votre bonheur doivent passer sur lui avec leur usure172, s’il doit apprendre à dire «oui», lui aussi, alors je n’aime plus Hémon! CREON: Tu ne sais plus ce que tu dis. Tais-toi. ANTIGONE: Vous me dégoûtez tous avec votre bonheur! Avec votre vie qu’il faut aimer coûte que coûte173. Et cette petite chance pour tous les jours, si on n’est pas trop exigeant. Je ne veux pas être modeste174, moi, et me contenter d’un petit morceau si j’ai été bien sage. Je veux être sûre de tout aujourd’hui et que cela soit aussi beau que quand j’étais petite - ou mourir. CREON: Allez, commence, commence, comme ton père! ANTIGONE: Comme mon père, oui! Nous sommes de ceux qui posent les questions jusqu’au bout. Jusqu’à ce qu’il ne reste vraiment plus la petite chance d’espoir vivante, la plus petite chance d’espoir à étrangler175. Nous sommes de ceux qui lui sautent dessus176 quand ils le rencontrent, votre espoir, votre sale espoir! CREON: Je t’ordonne de te taire maintenant, tu m’entends? ANTIGONE: Tu m’ordonnes? Tu crois que tu peux m’ordonner quelque chose? CRÉON: L’antichambre est pleine de monde. Tu veux donc te perdre177? On va t’entendre. 164 couler fließen, rinnen; hier: verrinnen 165 grignoter knabbern 166 la consolation der Trost 167 dérisoire (m./f.) lächerlich 168 arracher herausreißen, entreißen 169 le lambeau der Fetzen 170 détourner wegdrehen, abwenden 171 exigeant, -e anspruchsvoll, fordernd 172 l’usure (f.) die Abnützung 173 coûte que coûte koste es, was es wolle 174 modeste (m./f.) bescheiden 175 étrangler erwürgen 176 sauter dessus hinaufspringen, anspringen 15 ANTIGONE: Comment vont-ils me faire mourir? LE GARDE: Je ne sais pas. Je crois que j’ai entendu dire que pour ne pas souiller197 la ville de votre sang, ils allaient vous murer198 dans un trou. ANTIGONE: Vivante? LE GARDE: Oui, d’abord. ANTIGONE: Toute seule... Je voudrais bien que tu remettes une lettre à quelqu’un quand je serai morte. LE GARDE: Comment ça, une lettre? ANTIGONE: Une lettre que j’écrirai. LE GARDE: Ah! ça non! Pas d’histoires! Une lettre! ANTIGONE: Je te donnerai cet anneau199 si tu acceptes. LE GARDE: Vous comprenez, si on me fouille200, c’est le conseil de guerre201. Ce que je peux, si vous voulez, c’est écrire sur mon carnet ce que vous auriez voulu dire. Après, j’arracherai la page. De mon écriture, ce n’est pas pareil. ANTIGONE: Ton écriture... C’est trop laid, tout cela, tout est trop laid. LE GARDE: Vous savez, si vous ne voulez pas, moi... ANTIGONE: Si. Garde l’anneau et écris. Écris: «Mon chéri ...» LE GARDE: C’est pour votre bon ami? ANTIGONE: Mon chéri, j’ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m’aimer ... LE GARDE: «Mon chéri, j’ai voulu mourir et tu ne vas peut-être plus m’aimer ...» ANTIGONE: Et Créon avait raison, c’est terrible, maintenant, à côté de cet homme, je ne sais plus pourquoi je meurs. J’ai peur. Je le comprends seulement maintenant combien c’était simple de vivre ... LE GARDE: Eh! dites, vous allez trop vite. Comment voulez-vous que j’écrive? ANTIGONE: Où en étais-tu? LE GARDE: «Je ne sais plus pourquoi je meurs ...» On ne sait jamais pourquoi on meurt. ANTIGONE: J’ai peur. Raye202 tout cela. Il vaut mieux que personne ne sache. Mets seulement: «Pardon.» LE GARDE: Alors, je raye la fin et je mets pardon à la place? ANTIGONE: Oui. Pardon, mon chéri. Sans la petite Antigone, vous auriez tous été bien tranquilles. Je t’aime. LE GARDE: C’est tout? ANTIGONE: Oui, c’est tout. LE GARDE: C’est une drôle de lettre. ANTIGONE: Oui, c’est une drôle de lettre. LE GARDE: Et c’est à qui qu’elle est adressée? A ce moment, la porte s’ouvre. L’autre garde entre. LE GARDE: Allez! pas d’histoires! Antigone baisse203 la tête. Elle s’en va sans un mot vers la porte. Ils sortent tous. Le Chœur entre. LE CHŒUR: Là! C’est fini pour Antigone. Maintenant, le tour de Créon approche. Il va falloir qu’ils y passent tous. Le messager fait irruption204. LE CHŒUR: Que veux-tu? Qu’est-ce que tu as à dire? 195 nuir schaden 196 l’avancement (m.) die Beförderung 197 souiller beschmutzen 198 murer einmauern 199 l’anneau (m.) der Ring 200 fouiller qn. jn. durchsuchen 201 le conseil de guerre das Kriegsgericht 202 rayer durchstreichen, ausstreichen 203 baisser senken 204 faire irruption hereinstürzen 16 LE MESSAGER: Une terrible nouvelle. On venait de jeter Antigone dans son trou. On n’avait pas encore fini de rouler les derniers blocs de pierre lorsque Créon et tous ceux qui l’entourent entendent des plaintes205 qui sortent soudain du tombeau206. Ce n’était pas la voix d’Antigone et Créon qui sait déjà avant tous les autres, hurle comme un fou: «Enlevez les pierres! Enlevez les pierres!» Quand les pierres bougent enfin on voit Antigone au fond de la tombe pendue207 aux fils208 de sa ceinture et Hémon à genoux qui la tient dans ses bras et gémit209, le visage enfoui210 dans sa robe. Créon essaie de relever Hémon, il le supplie. Hémon ne l’entend pas. Puis soudain il se dresse211, il regarde son père avec ses yeux d’enfant, lourds de mépris212 et, sans rien dire, il se plonge son épée213 dans le ventre. Créon entre. CRÉON: Je les ai fait coucher l’un près de l’autre, enfin! Ils sont lavés, maintenant, reposés. Ils sont seulement un peu pâles, mais si calmes. Deux amants au lendemain de la première nuit. Ils ont fini, eux. LE CHŒUR: Pas toi, Créon, et tu es tout seul maintenant. CRÉON: Tout seul, oui. Ils dorment tous. C’est bien. La journée a été rude214. Cela doit être bon de dormir. Ils ne savent pas, les autres; on est là, devant l’ouvrage215, on ne peut pourtant pas se croiser les bras216. Ils disent que c’est une sale besogne217, mais si on ne la fait pas, qui la fera? Créon sort. LE CHŒUR: Et voilà. Sans la petite Antigone, c’est vrai, ils auraient tous été bien tranquilles. Mais maintenant, c’est fini. Ils sont tout de même tranquilles. Tous ceux qui avaient à mourir sont morts. Et ceux qui vivent encore vont commencer tout doucement218 à oublier et à confondre219 leurs noms. 205 la plainte die Klage 206 le tombeau das Grab 207 pendu, -e aufgehängt, erhängt 208 le fil der Faden 209 gémir stöhnen, seufzen 210 enfouir vergraben, versteckt 211 se dresser sich aufrichten 212 le mépris die Verachtung 213 l’épée (f.) das Schwert 214 rude (m./f.) mühsam, rauh 215 l’ouvrage (m.) das Werk 216 se croiser les bras die Arme verschränkem 217 une sale besogne eine schmutzige Aufgabe 218 tout doucement ganz langsam, sachte 219 confondre verwechseln, durcheinanderbringen
Docsity logo



Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved