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Analyse linéaire de français, Lectures de Français

Analyse linéaire de français de 1 à 12

Typologie: Lectures

2022/2023

Téléchargé le 27/06/2023

Guets-Madix
Guets-Madix 🇫🇷

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Télécharge Analyse linéaire de français et plus Lectures au format PDF de Français sur Docsity uniquement! Fiche de révision pour l’oral I. L’EXPLICATION LINEAIRE : 10 MN 1. L’introduction : amorce et présentation - Informations contextuelles Auteur, titre, dates ou siècle Mouvement littéraire, appartenance de l’œuvre à une série / un topos / un mythe Spécificité de l’œuvre, impact particulier Contexte historique - Les informations techniques Genre littéraire Sous-genre Ton Type de texte Versification 2. La lecture 3. L’introduction : le projet de lecture et les mouvements du texte Thème, thèse du texte Spécificité, originalité du texte Découpage du texte en mouvement, étapes 4. L'analyse du texte Eléments majeurs d'analyse avec les procédés et effets produits = CPE par mouvements. 5. Eléments de conclusion Œuvre littéraire abordant le même sujet Inscription du texte dans un débat d'idées Lien avec un parcours culturelle où artistique Vie de l’œuvre : réécriture, parodie, adaptation cinématographique II. La question de grammaire : 2 MN III. La présentation de son livre : 8 MN 1. Présentation des arguments (2mn) 2. Entretien avec l’examinateur (5mn) EL 1 – Déclaration, Une prise à parti des hommes SITUER Les hommes sont beaucoup moins opprimés que les femmes lorsqu’Olympe de Gouges rédige sa Déclaration, même si les femmes ont commencé à faire entendre leur voix dès le début de la Révolution. Mais les droits de chacun des deux sexes ne sont toujours pas les mêmes, loin s’en faut (voir le dossier). EXPLIQUER - Une accusation efficace La formulation de la première question est particulièrement efficace car Olympe de Gouges s’adresse directement à un homme, nommé au singulier et en le tutoyant, ce qui instaure une sorte de proximité. Olympe de Gouges, comme Cicéron dans ses Catilinaires, propose un exorde ex abrupto en prenant à parti l’Assemblée par une interpellation directe (« Homme ») ; mais le singulier prend ici une valeur collective : ce sont bien tous les hommes, ces représentants du peuple de la toute nouvelle Assemblée Nationale, qui sont pris à parti. - Un ton injonctif L’autrice utilise majoritairement des verbes à l’impératif (« « Observe », « parcours », « donne- moi» dans le paragraphe qui précède, puis « Remonte », « consulte », « étudie » etc.). Elle donne ainsi des ordres à cet homme auquel elle s’adresse, l’obligeant à se confronter, de manière scientifique comme le prouve le champ lexical employé (observer - consulter – étudier puis conclure [se rendre à l’évidence] sont les étapes de la démarche scientifique) à la réalité des faits: la femme n’est pas inférieure à l’homme. Ce préambule démontre qu’Olympe ne peut proclamer les droits de la femme sans avoir d’abord convaincu les hommes du bien-fondé de cette demande. Ainsi le Préambule se présente comme une série d’interrogations et d’injonctions destinées à ébranler leurs certitudes. Elle fait appel à la notion de « nature » ; c’est un argument d’autorité en même temps que faisant appel aux valeurs. Olympe de Gouges enjoint l’homme à exercer ses facultés d’observation et de jugement sur la nature pour changer la place qu’il accorde à la femme et lui offrir une place juste et dans l’ordre naturel des choses. La démarche scientifique que propose Olympe de Gouges consiste donc à revenir à l’observation du règne du vivant, ce « chef d’œuvre immortel » : « animaux », « éléments », «végétaux », « les modifications de la matière organisée ». Les conclusions de cette observation mènent à la preuve de l’absence de séparation des sexes : « partout tu les trouveras confondus ». L’idée est soutenue par la répartition de l’adverbe « partout » et le champ lexical de la concorde : « confondus », « coopèrent », « ensemble harmonieux ». - Une description péjorative On relève différentes expansions à forte valeur péjorative pour désigner les hommes : « Bizarre, aveugle, boursouflé de sciences et dégénéré », « dans l’ignorance la plus crasse », « despote ». La vision qu’en propose l’autrice est donc particulièrement humiliante. La périphrase qui permet de désigner les femmes est « un sexe qui a reçu toutes les facultés intellectuelles ». Elle met en valeur l’intelligence des femmes et leur capacité à jouer un rôle véritable dans leur société. CONCLURE Le pronom renvoie aux femmes ; il est masculin car il reprend la périphrase qui précède (« un sexe… »). EL 3 – Déclaration, Le postambule Un postambule est un texte situé à la fin d’un texte principal. Le terme est formé sur la racine ambulare qui signifie « aller, cheminer » et le préfixe « post- », signifiant « après ». Le début du préambule essayait de convaincre les hommes du bien-fondé de la démarche d’Olympe de Gouges. Ce postambule, qui utilise les mêmes procédés oratoires que le préambule, s’adresse au contraire aux femmes, qui ont elles aussi besoin d’être convaincues. Introduction - [Présenter le contexte] La Révolution française a donné l’occasion aux femmes de s’illustrer dans le combat pour l’égalité. Votée en 1789, la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen inclut bien la femme dans l’affirmation des nouveaux principes républicains. Mais, dans les faits, ces droits ne s’appliquent pas au sexe féminin, tenu pour inférieur. - [Situer le texte] Prenant acte de cette usurpation, Olympe de Gouges rédige, en 1791, une Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne afin de revendiquer pour les femmes les mêmes droits civils et politiques que ceux accordés aux hommes. Aux dix-sept articles de la Déclaration, est ajouté un « Postambule » dont ce texte est extrait. - [En dégager l’enjeu] Marquée par la subjectivité de l’auteure, cette postface n’a-t-elle pour fonction que celle de conclure l’argumentation ? Suivant le mouvement du texte, nous nous intéresserons d’abord à l’appel à la prise de conscience des femmes, puis nous étudierons le constat amer dressé de leur condition. Enfin, nous analyserons l’exhortation faite aux femmes à passer à l’action. Explication au fil du texte - L’appel à la prise de conscience des femmes Si le « Préambule » de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne s’ouvrait sur une adresse à l’« Homme », le « Postambule », par un effet de symétrie inversée, en appelle à la « femme » à travers une apostrophe. L’impératif associé au pronom personnel de la deuxième personne crée un effet de familiarité entre l’auteure et sa destinataire. Le terme de « tocsin » désigne une sonnerie de cloche répétée et prolongée, chargée de donner l’alarme, et connote l’imminence d’un combat à mener. L’injonction faite à la femme de prendre conscience de ses droits redouble le motif de l’urgence. L’énumération de termes péjoratifs (« préjugés », « fanatisme », « superstition », « mensonges ») rappellent les fléaux dont la Révolution a libéré « le puissant empire de la nature », lesquels se trouvent également repris sous la formule « les nuages de la sottise et de l’usurpation ». L’allégorie du « flambeau de la vérité » rend manifeste le pouvoir libérateur de la Révolution et convoque l’image des « Lumières », philosophie de la raison et du progrès. Pourtant, Olympe de Gouges établit un bilan critique de la période révolutionnaire en ce qui concerne la condition des femmes et souligne l’inconséquence masculine à travers la métaphore filée de l’esclavage. Selon l’auteure, il y a contradiction entre l’action historique des femmes en faveur de l’égalité des droits et le fruit qu’elles en ont reçu, entre les principes proclamés par la Révolution et l’application qui en a été faite par les hommes. Sous la Révolution, des figures féminines jouent un rôle actif comme Pauline Léon, qui participe à la prise de la Bastille, ou Manon Roland qui tient un salon à Paris. - Un constat amer sur la condition féminine L’interjection « Ô » et le passage au pluriel « femmes » manifestent une volonté de persuasion ; l’accumulation des questions rhétoriques oblige la gent féminine à faire son autocritique. Les réponses aux questions oratoires sont négatives et sans appel, comme en témoignent la forme nominale et l’usage de l’hyperbole : « Un mépris plus marqué, un dédain plus signalé ». Le champ lexical du pouvoir se déploie paradoxalement avec « régné », « faiblesse », « empire » : l’état de soumission des femmes sous l’Ancien Régime ne les empêchait pas d’avoir une emprise sur les hommes. L’auteure démythifie pourtant ce pouvoir en l’attribuant à la « faiblesse des hommes ». La modalité interrogative associée à l’emploi de la deuxième personne confère au discours une énergie significative. La prosopopée par laquelle Olympe de Gouges imagine le dialogue entre les « législateurs français » et les femmes contribue encore à la vivacité du texte et en renforce la dimension persuasive. La parole masculine apparaît sûre de son fait et prétend se fonder sur la religion, évoquée dans la périphrase ironique « le bon mot du législateur des noces de Cana ». Le droit des femmes s’appuie, quant à lui, sur « les sages décrets de la nature ». Le « législateur des noces de Cana » désigne Jésus dans le récit des Noces de Cana décrit dans le Nouveau Testament (Évangile de Jean, chap. 2, 1-11). Par un tour de force rhétorique, l’auteure prend le contre-pied de la réponse attendue des hommes à la dernière phrase interrogative : « femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? ». À l’adverbe de négation « Rien » se substitue le pronom indéfini « Tout », mis en valeur par son antéposition. - L’exhortation à passer à l’action Le dernier mouvement du texte s’ouvre sur une proposition subordonnée d’hypothèse introduite par la conjonction « si » qui envisage la résistance masculine. Il donne aux femmes les « armes » dont elles auront besoin dans leur combat pour l’égalité. Le lexique associé aux hommes est nettement péjoratif : « faiblesse », « inconséquence », « vaines prétentions », « orgueilleux », « serviles », « rampants ». À l’opposé, les femmes, auxquelles l’auteure s’associe à travers les déterminants de la deuxième personne du pluriel, sont appelées à se battre pour leur émancipation. De là vient la métaphore de la lutte, filée par les termes « opposez », « force », « réunissez », « étendards », « déployez », « barrières ». Conformément à la « philosophie » des Lumières, l’arme du combat à venir est « la force de la raison » qui, seule, peut triompher de l’obscurantisme et faire accéder femmes et hommes à une égalité de conditions, dont « l’Être suprême », assimilé à la Nature par les philosophes, sera le garant. Les injonctions prennent alors une valeur prophétique. Conclusion - [Faire le bilan de l’explication] Ce « Postambule » peut se lire comme un appel aux femmes à se saisir des principes déjà proclamés par la Révolution française. La liberté de ton, l’égalité réclamée avec énergie, la fraternité affirmée avec ses lectrices font d’Olympe de Gouges une auteure engagée et ¬rattachent son texte à la littérature d’idées. - [Mettre l’extrait en perspective] Si la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne est restée sans valeur légale et n’a rencontré que peu d’écho à son époque, elle a inspiré la féministe Benoîte Groult (1920-2016), qui s’est réclamée d’Olympe de Gouges et de son œuvre dans le combat qu’elle a mené deux siècles plus tard. EL 4 – « J’accuse » Retour sur le premier procès de Dreyfus Introduction ➤ Émile Zola est un écrivain à succès, très populaire pour ses romans. Il est républicain et vient de publier une grande fresque sociale : Les Rougon‑Macquart. ➤ Zola publie son texte dans L’Aurore, un journal républicain imprimé à plusieurs dizaines de milliers d’exemplaires : il veut donc toucher le plus large public possible. ➤ Zola prend ici parti dans l’une des plus importantes polémiques de l’époque : l’affaire Dreyfus, du nom d’un capitaine français accusé d’être un espion allemand. Il est clairement dreyfusard. ➤En 1894, le capitaine Dreyfus est accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne après une enquête et un procès expéditifs. Il est dégradé, déshonneur suprême pour un militaire, puis condamné au bagne à vie. Il ne cesse de clamer son innocence, et en 1896 le nouveau chef du renseignement en apporte la preuve, mais n’est pas écouté. Un faux document est même fabriqué, ce qui est révélé après le « J’Accuse ». Les partisans de Dreyfus deviennent nombreux, et un dossier solide est monté. Il faut lui donner de la visibilité. En 1898, Zola publie, dans le journal L’Aurore, « J’Accuse ». Sa portée est immense. Émile Zola est un écrivain très célèbre au moment de cette affaire. Sans être proche du régime, il est républicain. Il vient de terminer le cycle des Rougon‑Macquart. Après l’article, il est traduit en diffamation et condamné. Il s’exile jusqu’à la révision du procès en 1899. Le 5 octobre 1902, il meurt asphyxié dans son appartement. Dreyfus est réhabilité en 1906. Quelle est la stratégie argumentative de Zola ? A. D'une part, il se base sur les faits, opposant deux versions de la première affaire, l'une, celle de l'armée, montée de toutes pièces et l'autre, la sienne et celle des dreyfusards, simple et évidente. a. La version de l'armée est présentée comme une histoire inventée et incroyable - version présentée comme une pièce de théâtre : dramatisation de la visite à Mme Dreyfus, du huis-clos : présent de narration, enchaînement rapide des verbes ou des phrases, scènes séparées (« chez madame Dreyfus », « Pendant ce temps », « Mais voici » - version présentée comme une fiction compliquée, née d'un cerveau malade (Paty de Clam) : « une chronique du XVe siècle », « mystère », « roman-feuilleton », « complication d’expédients farouches », « machinations du commandant du Paty de Clam », « imaginations romanesques et démentes du commandant du Paty de Clam ». - Zola dénonce l'exagération des faits en ironisant par des descriptions hyperboliques : « des faits terribles, de ces trahisons monstrueuses qui indignent l’Histoire », « rocher d’infamie », « les choses indicibles, les choses dangereuses, capables de mettre l’Europe en flammes » b. La version de Zola est présentée comme une vérité simple et évidente - pour reconnaître l'innocence de Dreyfus, il suffit de connaître les faits : « pour qui la connaît dans ses détails vrais », « Et il suffit, pour s’en assurer, d’étudier attentivement l’acte d’accusation, lu devant le conseil de guerre. » - Zola dédramatise les accusations (montre qu’elles sont infondées) : il minimise les documents chargeant Dreyfus « les fameux secrets livrés sans valeur », « Ah ! le néant de Le coup de foudre est exprimé par une subordonnée consécutive, associée à la métaphore traditionnelle du feu qui consume : « si charmante que […] je me trouvai enflammé tout d’un coup […]. » Le terme « transport » confirme l’intensité des sentiments en jeu. Le passé simple « je me trouvai », employé avec la locution adverbiale « tout d’un coup », indique aussi la soudaineté de la passion. Passant sous silence le physique de Manon, Des Grieux résume l’impression que produit sur lui la jeune femme : « Elle me parut si charmante ». Dans un réseau d’antithèses, il oppose nettement ce qu’il devient – « enflammé » par la passion – à ce qu’il était jusqu’alors – « moi, qui n’avais jamais pensé à la différence des sexes […] dont tout le monde admirait la sagesse et la retenue ». Dans la tradition de l’amour courtois, Des Grieux se présente comme soumis à sa dame, promue « maîtresse de [s]on cœur ». MOT CLÉ L’amour courtois désigne une manière d’aimer raffinée, typique de la société de cour du Moyen Âge : le chevalier se dévoue corps et âme à une dame qui l’éprouve. Une rencontre fatale ? Premier échange avec Manon L’emploi du discours indirect pour rapporter les paroles de Manon contribue à la rendre plus mystérieuse encore. À NOTER Le discours indirect est une technique narrative très fréquente dans l’ensemble du roman : la voix de Manon est ainsi soumise au point de vue subjectif de Des Grieux. Des Grieux délivre alors, par touches, des informations complémentaires sur Manon, insistant sur sa jeunesse et sa situation. Elle devait entrer au couvent, destin tracé par sa famille : « elle y était envoyée », « c’était malgré elle qu’on l’envoyait au couvent ». Un portrait ambigu Transfiguré par l’amour, Des Grieux use de tournures syntaxiques qui montrent combien ce sentiment le domine : « l’amour me rendait déjà si éclairé ». Le champ lexical de l’amour (« l’amour », « désirs », « sentiments ») indique que c’est désormais son cœur qui dicte sa ligne de conduite. L’hyperbole du « coup mortel » suggère combien l’idée d’être contrarié dans ses espoirs amoureux lui est insupportable. S’ensuit donc une déclaration d’amour à Manon, jugée d’emblée peu farouche. Le portrait moral de Manon se complète. Le narrateur, éprouvé, superpose son regard à celui du jeune homme innocent qu’il était, pour décrire une jeune fille ambivalente, « bien plus expérimentée que [lui] », animée d’un « penchant au plaisir ». Elle apparaît alors comme la responsable de leur destinée tragique, Des Grieux cherchant à s’innocenter. Termes péjoratifs « la cruelle intention » = hyperbolique Elle n'affecta ni rigueur ni dédain. Elle me dit, après un moment de silence, qu'elle ne prévoyait que trop qu'elle allait être malheureuse, mais que c'était apparemment la volonté du Ciel, puisqu'il ne lui laissait nul moyen de l'éviter = analyse de la structure de la phrase et de la négation. Portrait mélioratif qui contraste avec la tonalité tragique = « La douceur de ses regards, un air charmant de tristesse en prononçant ces paroles, ou plutôt, l'ascendant de ma destinée qui m'entraînait à ma perte, ne me permirent pas de balancer un moment sur ma réponse. » À NOTER Le récit de Des Grieux oscille entre l’apologie de la défunte Manon et le portrait à charge : il ne se juge pas coupable des désordres amoureux des quatre années passées. Conclusion [Faire le bilan de l’explication] Ainsi, narrée par un Des Grieux mûri, capable de porter un jugement sur son aveuglement passé, la rencontre apparaît comme un événement décisif mais ambigu, placé sous le double signe de l’émerveillement et de la fatalité. [Mettre le texte en perspective] Intrigué, le lecteur assiste dans la suite du récit à la chute de Des Grieux dans « le précipice des passions ». EL 6 - Manon Lescaut, Livre I, chapitre 15 Dans cette scène de rupture entre Des Grieux et son père, la problématique qui se pose est celle de la stratégie argumentative du héros basée sur la persuasion. Il se fonde sur les sentiments, sur la vaste gamme des émotions dans un découpage en 3 parties : le chantage du fils, l’invocation de la mère avant l’échec par la rupture définitive. Plan La transgression familiale : la mésalliance et à la rupture entre le père et le fils. Mésalliance On a compris que les deux amants ne sont pas amenés à se marier dans le contexte de l’époque. Manon le conçoit très bien en le rappelant à Des Grieux : elle a parfaitement intégré les codes sociaux et donc le fait que cette union ne sera jamais autorisée. Elle leur est même impossible. Ne s’offre qu'à eux le concubinage qui charrie son lot de scandales pour un fils de bonne famille. Cette vie commune non bénie par l’Église apparaît comme un désordre inacceptable aux yeux du père de Des Grieux. Ce dernier fait enlever son fils et le garde sous surveillance avec lui : il cherche à la lui faire oublier. Il s’emploie à dénigrer Manon qui continue sa vie de femme entretenue au frais d’un libertin. Mais lors de la seconde arrestation, le père ne voit pas d’autre solution que d’éloigner Manon qui est la tentatrice de son fils : il espère la fin de l’épisode et le retour de son fils dans son giron. Mais ce n’est pas ainsi que les choses vont finir. Cette mésalliance aurait pu disparaître en Amérique, dans ce lieu où l’on découvre une nouvelle sociabilité ; il n’existe plus d’empêchement social au mariage des amants. Mais le gouverneur entend disposer de Manon pour le bénéfice de son neveu. Le bonheur sur terre n’est donc pas possible. Voyons aussi la terrible rupture entre Des Grieux et son père. Rupture Dans ce passage, la problématique qui se pose est celle de la stratégie argumentative de Des Grieux pour persuader son père. Il se fonde sur les sentiments, sur la vaste gamme des émotions. On peut noter 3 parties : le chantage à la mort du fils, l’invocation de la mère, l’échec : la rupture définitive. Analyse 1. Le chantage du fils Des Grieux exerce sur son père un chantage à la mort pour sauver Manon. Dans la narration, il passe du discours indirect au discours direct, ce qui a pour effet de libérer la parole encore contrainte par le poids de la tradition. Il s’agit d’un moment où le fils adopte une nouvelle stratégie argumentative : persuader en demandant clairement la grâce de Manon. C’est aussi le moment où le père envisage sa propre responsabilité dans la faute de son fils. Le style indirect Ce style rapporté rend compte d’une conversation voilée entre le père et le fils. Mais on mesure la tension entre eux. C’est pourtant l’instant de vérité pour les deux protagonistes. Pour le père, il faut que la raison aboutisse rapidement. On note le point de vue interne choisi par le narrateur: “voyant queje parlais avec une ardeur qui ne m’aurait pas permis de finir sitôt.” Le fils lit donc dans les pensées de son père aussi clairement que dans les siennes. La notion du temps est exprimée “interrompit” “sitôt” “d’en venir” “si longtemps”. agissements de son père de fautifs avec le groupe nominal “la dureté avec laquelle vous me traitez “ qui fait écho à “reprendre pour moi des sentiments de père”. Il considère que c’est le père qui pousse son fils à rompre avec l’ordre établi ; il inverse donc la charge de la responsabilité dans la rupture qui s’annonce. Un adieu définitif Deux phrases déclaratives illustrent alors ses intentions : “Il est impossible que je vous suive. Il ne l’est pas moins que je vive”, la tournure impersonnelle, signe un détachement filial, allant de pair avec le rythme binaire désobéissance/mort. La conclusion aboutit avec “ Ainsi je vous dis un éternel adieu : l’adverbe “ainsi” exprimant la conséquence. C’est l’annonce d’une rupture définitive “éternel adieu”. Des Grieux va plus loin en culpabilisant son père : “Ma mort, que vous apprendrez bientôt, (…) vous fera peut-être reprendre pour moi des sentiments de père”. Il utilise le futur qui suggère la quasi-certitude “peut-être “ : il joue sur la conscience du père dans un registre pathétique “tristement”. À la différence des deux autres parties, le mouvement suivant précipite la rupture. Et c’est encore Des Grieux qui est à la manœuvre. La forme grammaticale “Comme je me tournais pour le quitter “ omet la proposition principale. Pourquoi ? Parce que le narrateur bascule au style direct pour mieux montrer de la violence des propos “ : Tu refuses donc de me suivre ?” Suit l’anathème à l’impératif “va, cours à ta perte” qui a une valeur de malédiction. Les deux protagonistes sont sous le coup de la même émotion “une vive colère “ “dans mon transport “. La violence donne enfin libre cours : deux phrases non verbales témoignent de leur déchaînement : ““Adieu, fils ingrat et rebelle”/” adieu, père barbare et dénaturé “. On note qu’elles se répondent de manière symétrique. C’est la transgression absolue. EL 7 - Manon Lescaut, Livre II, chapitre 41 Des Grieux fait figure de préromantique, un héros endeuillé par la mort de son aimée, un récit qui se déroule dans le désert de Louisiane, motif préromantique de la mort dans la nature. Le tableau de la mort de Manon fait preuve de beaucoup de pudeur et de manière imagée, la mort est associée au sommeil ainsi que le suggère « je croyais ma chère maîtresse endormie ». Le sommeil est aussi connoté et suggéré par la présence des allitérations en « M » avec « tranquillement », « ma », « maîtresse », « endormie », « sommeil ». Cela entraîne la retenue de l’amant, « je n’osais », (négation syntaxique) et « dans la crainte de », (négation lexicale). Des Grieux désigne Manon par une périphrase qui l’idéalise encore une fois « ma chère maîtresse». La tendresse entre les deux amants se traduit par le contact physique des mains, « en touchant ses mains », « saisir les miennes » et le sein, « je les approchai de mon sein, pour les réchauffer». On retrouve de nouveau le lexique du corps et de l’amour lié l’un à l’autre , le corps est évoqué par les mains qui deviennent le symbole de leur fusion charnelle, synecdoque de leur union jusqu’à la fin par la proximité de leur corps. On peut également relever les verbes qui connotent le toucher « touchant », « approchai », « sentit », « échauffer », « saisir ». Les paroles de Manon sont rendues au discours indirect « elle me dit », sa voix se fait murmures annonçant « sa dernière heure », périphrase pour dire la mort. Du « je » à « elle », progressivement le « nous » s’efface du discours narrativisé, la mort approche pour séparer les amants. Ce que Des Grieux prenait pour « le langage ordinaire de l’infortune » devient prise de conscience car « les soupirs, les « serrements », les « silences » introduits par la conjonction de coordination « mais » sont annonciateurs de la mort de Manon désignée par la périphrase « la fin de ses malheurs ». L'extrait se situe à la fin de l'oeuvre, dans la deuxième partie. Manon et Des Grieux se trouvent Louisiane après de nombreuses péripéties en France. Manon a été déportée avec des prostituées et son chevalier l’a suivie après avoir commis pour elle un meurtre et des vols. Les deux amants se sont sauvés dans le désert pour échapper au neveu du gouverneur, amoureux de Manon. La scène se passe dans le désert, la nuit. Manon, épuisée par la longue marche, va mourir, assistée par Des Grieux . C'est lui qui raconte la scène à l'homme de qualité, le chevalier de Renoncour. L’anéantissement de Des Grieux 1°) un récit réaliste Le réalisme ici est en rapport étroit avec l'idéal classique fait de sobriété et de précision. Les indices sont les suivants : des précisions chiffrées sont données sur les distances et le temps : « de lieux », « Plus de 24 heures », « au commencement du second jour ». La peinture du décor est marquée par l'absence de pittoresque : « vaste plaine », « campagne couverte de sable ». Ces expressions font référence à des réalités européennes, aucun exotisme n'est exploité alors que la scène se passe en Amérique. Le dépouillement l'emporte. Un vocabulaire concret est utilisé pour décrire les soins réciproques et pour l'enterrement : « changer le linge de ma blessure », « pansée elle-même », « creuser », « ouvrir une large fosse ». L'évocation sordide des charognards qui pourraient s'attaquer au corps de Manon prouvent que des grilles perçoit Manon comme un cadavre : « je fis réflexion […] que son corps serait exposé […] à devenir la pâture des bêtes sauvages ». Le récit de la mort de Manon est marqué par l'absence de tout propos moralisateur et par un compte rendu fidèle des gestes et attitudes des deux personnages. 2°) l'expression de la tendresse Des Grieux rend compte, dans la première partie du texte, de son extrême tendresse pour Manon. Elle forme enfin avec Des Grieux un véritable couple dans la réciprocité des attentions, des gestes et des sentiments. C'est ce qu'a retenu Des Grieux narrateur qui vit si intensément ces moments qu’il rejette l'idée de la mort : « je ne pris d'abord ce discours que pour un langage ordinaire dans l'infortune ». Il échauffe les mains de sa bien aimée, réitérant ce geste qu'il a déjà fait précédemment. On va retrouver l'évocation de ce serment des mains entre les deux amants plusieurs fois dans le paragraphe : « faisant un effort pour saisir les miennes », « le serrement des mains », «elle continuait de tenir les miennes ». Ce geste va marquer, rythmer l'affaiblissement physique de Manon qui ne parle presque plus et que Des Grieux accompagne très tendrement dans la mort. Des Grieux s'enfonce dans la prostration puisque pendant 24 heures il est incapable de réagir. Il est envahi par le désir de mourir. Ce n'est que la pensée qu'il faut enterrer Manon pour protéger son corps qui le fait réagir. Le récit des différentes actions qui s'enchaînent alors est marquée par la reprise anaphorique du « je » en tête de phrase et comme acteur des actions. La parataxe (enchaînement des propositions sans connecteur logique) met en relief l'aspect mécanique des gestes que Des Grieux doit accomplir etui sont marqué par le réalisme.. Des Grieux n'extériorise pas ses sentiments : après avoir enterré Manon il attend la mort et perd progressivement conscience, allongé face contre terre à l’endroit où Manon est ensevelie. Une scène marquée par le pathétique 1°) Une scène très romanesque La situation est tout à fait caractéristique du romanesque : deux jeunes amants, poursuivis par un furieux qui peut les désunir, s'arrêtent, épuisés, en plein désert, la nuit. Ils sont seuls au monde et en grand danger de mort. Le fait que l'un des deux jeunes gens témoigne, ajoute à l'effet sensible et la sincérité de sa douleur ne peut qu'émouvoir le lecteur. Les marques de la sensibilité destinée à émouvoir le destinataire sont très nombreuses. Les désignations affectueuses et élogieuses de Manon sont hyperboliques et grandissent la bien- aimée en la présentant comme unique et admirable : « cette amante incomparable, ma chère maîtresse, ma chère Manon, l'idole de mon coeur, ». L'aveu fait à Renoncour de l'impossibilité de raconter la mort de Manon, d'évoquer ses réactions, rend compte de l'immense souffrance de Des Grieux, une souffrance qui atteint un tel degré EL 8- Les Fleurs du mal, « Une Charogne » v.1 « Rappelez-vous » Impératif Invitation au souvenir. « vous » / « nous » Pronoms personnels Présence d’un objet aimé, chéri. « vîmes » Passé simple Nostalgie. « mon âme » Apposition Idée romantique : discussion personnelle, intérieure. v.2 « beau matin d’été » Groupe Nominal Cadre propice, parfait pour une balade amoureuse. « ce » « si » Allitération en [s] Douceur, intimité du cadre. v.3 « au détour d’un sentier » C.C. Lieu. Idée du détour, idée détournée, inhabituelle. « au détour d’un sentier une charogne infâme » Césure à l’hémistiche Le sentier guide le lecteur, tourne le regard. « une charogne infâme » Adjectif / Amplification Vision terrible, difficile à tolérer. V.4 « lit semé de cailloux » Antithèse Idée d’inconfort, charogne qui gâche la balade. Le lecteur est dans une posture inconfortable. V.5-6 « Jambes en l’air », « femme lubrique », « brûlante », « suant les poisons » CL de la Luxure Charogne = femme aux allures érotiques. « lubrique » / « brûlante » Adjectifs Idée de désir pressant dérangeant. V.7 « nonchalante » / « cynique » Adjectifs Représentation d’une femme sans gêne qui se transforme en prostituée. V.8 « ventre » Nom commun Ouverture du sexe féminin. « plein d’exhalaisons » Groupe adjectival Renforce l’idée de puanteur des parties intimes de la femme. Idée d’une charogne écœurante, repoussante. Où est la transcendance ? Str 3 « Soleil » / « Nature » Allégorie Idée de toute-puissance divine. « rayonnait » / « pourriture » Antithèse : Imparfait / N.C Toute-puissance éternelle. La création perdure alors que la créature se désagrège, se décompose. V.10 « cuire à point » CL culinaire La charogne devient un vulgaire morceau de viande. « au centuple » Hyperbole Retour au cycle de la vie et à la mort religieuse. V.13 « Carcasse superbe » Oxymore Transformation à connotation positive du corps. Sens négatif vers l’orgueil de la transformation. V.14 « Comme une fleur s’épanouir » Comparaison Rappel des fleurs du mal. Idée d’extraire la beauté du Mal Du cadavre pourrissant la fleur se révèle. Transformation. La fleur qui fane symbolise en effet de façon élégante ce que la charogne montre de façon provocante : la mort physique. Baudelaire montre la vérité nue ; c’est ce qui rend ce poème scandaleux. Le motif floral est largement utilisé dans le poème ; la charogne est bien à ce titre une fleur du mal. Cette quatrième strophe montre que cette image de corruption et de mort est un épanouissement. V.15- « La puanteur » N.C Retour à la réalité. 16 « La puanteur était si forte, que sur l'herbe Vous crûtes vous évanouir. » Passé Simple Assonance en [u] Décalage ironique avec la froideur du texte : appel à des jeux de langage « crûtes » « croute » « cru ». « vous » Pronom Personnel Réinscription de la femme aimée dans le paysage. L’âme devient la femme : la balade devient une balade amoureuse avec une femme aimée. 37 « - Et pourtant vous serez » Tiret Pronom Personnel Adresse directe au destinataire : marque de dialogue. « Vous serez » Futur simple Le poète passe de la remémoration à la prédiction : il passe du souvenir du cadavre à la décomposition future de la femme. V.37 V.38 « Et pourtant vous serez semblable à cette ordure, A cette horrible infection, » Comparaison La femme aimée est comparée au cadavre. V.39 V.40 « Etoile de mes yeux, soleil de ma nature, Vous, mon ange et ma passion ! » Métaphores (clichées) Adresse amoureuse et galante. Le poète développe la comparaison entre le devenir de la femme aimée et le cadavre aperçu. V.41 « telle vous serez » Futur Simple Insistance sur l’inéluctable destin de la femme aimée. V.42 « derniers sacrements » Euphémisme Adoucie l’idée de l’enterrement. Moment totalement saisissant, force dans l’écriture du poète. V.43 « sous l’herbe et les floraisons grasses » C.C.L V.44 « moisir parmi les ossements » Action de décomposition V.45 « Alors, ô ma beauté ! dites à la vermine » Césure à l’hémistiche Parallèle très puissant entre les deux termes. V.46 « mangera de baisers » Métaphore destructrice Ce n’est pas le poète amoureux qui va manger de baisers mais bien les insectes. V.47- 48 « amours décomposés » Transformation ultime de la femme. « forme » / « essence divine » Transformation ultime du corps. Le poème peut heurter par la description complaisamment détaillée, jusqu’au répugnant et à l’horrible, d’un corps en décomposition. Il s’agit à l’évidence d’un poème provocateur, qui cherche à mettre mal à l’aise le lecteur en s’étendant sur un thème a priori antipoétique, antiesthétique. Le Carpe diem (formule latine signifiant « cueille le jour ») vient du poète latin Horace dans l’une de ses Odes (I, 11). Inspirée par la pensée épicurienne, elle invite à profiter du jour ou du moment présent sans anticiper sur l’avenir, incertain. Il s’agit d’apprécier le temps qui nous est donné, sachant que tout disparaîtra un jour ou l’autre. Mais la formule a souvent été (mal) comprise comme une incitation à chercher le plaisir avant tout, à profiter de la vie dans un certain hédonisme sans retenue. Chez le poète Ronsard, dans une ode écrite en 1545, la formule est associée à l’image de la fleur, trop tôt fanée. Baudelaire reprend à ce poème le thème de la promenade avec la femme aimée, ainsi que l’avertissement, à elle adressé, sur le caractère éphémère de la beauté et la fugacité de la vie. Le premier quatrain paraît relever du poème d’amour traditionnel. En effet, il s’agit d’une invitation à se souvenir d’une promenade au sein de la nature (« sentier »), par une belle journée estivale, moment privilégié de l’intimité amoureuse. La femme aimée, considérée comme si chère qu’elle est ce qui donne vie au poète, est appelée « mon âme », terme affectueux particulièrement fort. Mais cette impression est brisée par le vers 3, avec le groupe nominal « une charogne infâme ». Les strophes 2 à 5 progressent dans l’horreur et dans le réalisme macabre : à la posture « lubrique » du corps, évoquant une prostitution livrée au regard (et suggérant ainsi un obscur plaisir à contempler l’horrible), succède dans la strophe 3 la disjonction des chairs sous la chaleur du soleil, terrible vision tragique de la décomposition en acte. Puis la strophe 4, logiquement, décrit la « puanteur » qui en découle, avant que la strophe 5, parvenant à un sommet du répugnant, ne décrive le grouillement des insectes dans les chairs, manifestation visible de la putréfaction. Le pullulement des insectes dans la carcasse devient une métamorphose spectaculaire : l’accumulation des verbes de mouvement et d’action grâce à la juxtaposition, à la coordination et à l’emploi du gérondif (« descendait, montait », « s’élançait en pétillant », « vivait en se multipliant », « agite et tourne », « s’effaçaient ») anime sous nos yeux les chairs mortes. Les comparaisons introduisent des images dynamiques : « comme une vague », « Comme l’eau courante et le vent, / Ou le grain qu’un vanneur d’un mouvement rythmique / Agite et tourne dans son van. » La métaphore onirique (« n’étaient plus qu’un rêve », v. 29), déréalise le corps, lui ôte sa dimension concrète. Cette métamorphose fait émerger une réflexion esthétique, à partir de l’objet laid et repoussant qu’est le corps mort. Les vers 25 à 28 assimilent le bourdonnement des mouches à « une étrange musique », ce qui lance le thème de l’art. Les vers 29 à 32, témoignent plus nettement de la transfiguration qui s’opère dans l’esprit du poète : la rêverie qui naît en lui de cette hideuse vision est comparée à une ébauche de peintre que le souvenir « achève » (v. 31). Ainsi le poème cherche-t-il à retracer le parcours mental qui, de la laideur, fait surgir progressivement une idée de la beauté. Les vers 33 à 36, qui développent une anecdote propre à susciter le dégoût, rappellent le poète (et ses destinataires, la femme et le lecteur) à la réalité. Le cycle de la vie dans la nature n’est pas un songe d’artiste : l’animal se nourrit de la chair décomposée de l’animal mort… Le vers 37 souligne sa dimension de charnière dans le poème : le tiret initial et la conjonction « et » indiquent à la fois une rupture (thématique et énonciative) et une relance dans le poème. Du récit (au sens de Benveniste), on passe au discours : l’adresse à la femme est de nouveau manifeste par la présence du pronom « vous ». L’adverbe « pourtant » indique un tournant logique implicite : alors que la vision de la charogne paraît propre à repousser la femme, le poète oblige cette dernière à se considérer comme « semblable » à l’animal crevé. On passe ainsi de l’anecdote à la leçon, un peu à la manière d’une fable qui fait passer du récit à la moralité. Les périphrases qui désignent l’interlocutrice relèvent de la parodie dans la mesure où elles constituent des formules stéréotypées du langage amoureux, avec des métaphores usées et des hyperboles outrées : « Étoile de mes yeux, soleil de ma nature », « mon ange et ma passion ! », = Le rythme s’allonge, semblant épouser la progression de la passante vers le narrateur. Il fait monter le suspens que l’auteur a recherché en faisant précéder l’arrivée du mot « femme » par une énumération de quatre adjectifs et noms apposés. Les vers 3 et 4 prolongent cet effet d’allongement par l’enjambement du vers 3 sur le vers 4 (Baudelaire affectionne l’effet d’amplitude obtenu en faisant déboucher un enjambement sur un vers à syntaxe énumérative régulièrement rythmé. Voir La Chevelure). En outre ils produisent un effet de balancement 3/3//3/3 qui imite la démarche élégante et étudiée de la passante : Une fem / me passa // d’une main / fastueuse Soulevant, / balançant // le feston / et l’ourlet = On remarquera la symétrie des deux participes présents, séparés par une virgule, puis celle des deux groupes nominaux coordonnés par « et ». Cette organisation syntaxique accentue le rythme 3/3 et lui donne son sens : celui d’un va et vient régulier, accordé au pas de la passante et au mouvement de son bras guidant les ondulations de sa robe. La valeur imitative du rythme des vers est donc particulièrement remarquable dans cet exemple. = Le mouvement semble s’immobiliser au vers 5 avec la comparaison « sa jambe de statue ». Cet arrêt sur image représente peut-être comme une image mentale idéalisée, la dernière que conservera le narrateur après la disparition de la passante. - Vers 6-8 : La fascination du narrateur. Le récit nous fait passer de la femme à l’homme qui la regarde. Le vers 6 note la paralysie du narrateur (« crispé comme un extravagant ») sous l’effet de la fascination. La fascination est évoquée par les verbes « boire », synonyme de sentir avec avidité, ou encore le verbe « fascine » : l’homme dévisage la femme dont il admire la beauté, s’absorbe avidement dans sa contemplation. - Vers 9 : C’est un vers de transition entre la partie rencontre et la partie méditation. Le vers résume d’un mot, « un éclair », l’expérience fulgurante que vient de faire le narrateur, l’illumination, la révélation qui a accompagné un simple échange de regards. Opposé au précédent, le mot « nuit » exprime la déception de la perte, la disparition de la passante, le retour brutal au réel après le rêve. La ponctuation particulière du vers renforce le sens de ces deux mots. Après « un éclair », les points de suspension marquent une sorte d’ellipse : quelque chose s’est produit, qu’on ne raconte pas, mais qu’on laisse au lecteur le temps de deviner : le trajet intérieur de la sensation, la répercussion intérieure du regard échangé. Après « puis la nuit », le point d’exclamation dramatise la brutalité du retour au monde réel. Enfin, le tiret sépare le récit du début de la méditation, et marque peut-être aussi le début d’un passage « dialogué », d’un discours rapporté en style direct. - Vers 9-12 : Les regrets. Expression de la déception du poète, après une perte qu’il devine définitive (« Jamais peut-être ») - Vers 13-14 : L’expression d’une affinité particulière entre Elle et Lui. Les deux derniers vers donnent à la rencontre le sens d’une véritable rencontre amoureuse. Ils étaient faits l’un pour l’autre. Tous deux en ont eu la révélation simultanée (v.14). Le jeu des pronoms personnels renforce cette affirmation d’une réciprocité, d’un destin commun : le chiasme « j’-tu/tu-je » du vers 13 ; l’anaphore « Ô toi que j’ … : Ô toi qui … » du vers 14. - Le portrait physique : élégance aristocratique et beauté sculpturale. La description de la passante insiste sur son élégance : son allure générale est « majestueuse » ; le geste de sa main évoque le faste, c’est à dire le luxe (« fastueuse ») ; au vers 5, elle est encore qualifiée par l’adjectif « noble ». L’habillement est celui d’une bourgeoise : elle porte une robe longue, qu’il faut soulever pour éviter que l’ « ourlet », c’est à dire le bas de la robe, traîne par terre ; un « feston », c’est à dire une pièce de broderie, orne cet ourlet ; elle est « en grand deuil », c’est à dire tout habillée de noir, mais l’expression connote aussi l’idée d’un vêtement somptueux. La description suggère aussi la perfection physique : sa silhouette est élancée (« longue, mince »), son corps est à la fois sculptural (« jambe de statue ») et « agile » : deux qualités presque opposées, qui évoquent une beauté parfaite. L’expression « fugitive beauté » confirme cette image d’une femme incarnant pour l’auteur l’Idéal féminin. Le portrait moral (vers 5 et 6) confirme ce que le portrait physique faisait déjà pressentir : sa grande beauté semble rendre cette femme intimidante, presque effrayante, pour l’auteur. Les termes moraux utilisés par l’auteur pour décrire la passante reposent sur des antithèses : « son œil » (le regard est traditionnellement considéré comme le miroir de l’âme plutôt que comme un trait du physique extérieur) est comparé à un « ciel », qualification positive, mais un « ciel livide où germe l’ouragan », c’est à dire à un ciel d’orage. Le désir qu’elle provoque chez le poète (« douceur » , « plaisir ») est associé à une idée de mort : « le plaisir qui tue ». La symétrie (2 fois : nom + proposition relative) du vers 6 : « La douceur / qui fascine // et le plaisir / qui tue » traduit bien cette ambivalence. Elle est à la fois Eros et Thanatos, cf. la rime riche des vers 2 et 3. - Le poète voit dans la passante l’incarnation de l’Idéal. Portrait peu flatteur que le narrateur donne de lui-même dans ce poème : un être hypersensible, qui ressent la rue, la foule comme une agression (vers1), qui réagit de façon un peu ridicule à la vue de la passante : par opposition avec l’élégance qui se dégage de celle-ci, il se compare lui- même à un « extravagant » (c’est à dire à un fou), « crispé », « buvant » avidement dans ses yeux, c’est à dire la dévisageant avec un regard d’halluciné. Il se décrit comme un personnage assez grotesque. Dans le climat affectif un peu morbide qui semble être le sien, l’apparition de la jeune femme en deuil lui semble une révélation quasi surnaturelle : l’intensité de l’impression reçue apparaît notamment au vers 9 (la comparaison avec un « éclair ») et au vers 10 : « Dont le regard m’a fait soudainement renaître ». Il faut comprendre qu’il était dégoûté de la vie, ne voyant autour de lui que médiocrité et laideur, comme mort. C’est pourquoi la vision de la belle veuve prend pour lui le sens d’une révélation : la Beauté existe vraiment dans ce monde, le bonheur, l’élégance, l’Idéal y ont aussi leur place. - Mais la passante incarne surtout pour le narrateur le caractère inaccessible de cet Idéal. C’est dans les deux tercets que se précise la conception tragique de l’Amour qui anime le poète. Notons d’abord le caractère paradoxal du discours tenu par le narrateur dans les deux tercets. C’est précisément au moment où la jeune femme disparaît de son champ de vision, où il la sait perdue pour lui, que le narrateur s’adresse à elle à la deuxième personne, se plaît à imaginer entre eux une complicité amoureuse (« ô toi qui le savais »). L’utilisation de la deuxième personne tend à compenser l’absence définitive de l’ « être aimé », à créer de toutes pièces entre le poète et cette femme une intimité qui n’a jamais existé dans la réalité. Le poète, en effet, construit dans l’imaginaire, sur la base d’un seul bref regard échangé, le mythe d’un amour partagé : cf. la réciprocité mise en scène dans les deux derniers vers par le jeu des symétries syntaxiques. Il semble se complaire dans la supposition (cf. le rôle du conditionnel dans « Ô, toi que j’eusse aimée ») d’une relation amoureuse dont l’issue, il le sait bien, ne peut être que tragique. En effet, il n’a aucune chance de retrouver cette femme, sinon comme il le dit au vers 11, «dans l’éternité », c’est à dire dans une hypothétique communion des âmes après la mort, telle que certaines traditions religieuses proposent d’imaginer la vie éternelle. Hypothèse invraisemblable elle-même, cf. le vers 13 « jamais peut-être ». Le poète exprime de manière allégorique, par cet amour impossible avant même d’avoir été, l’idée d’un bonheur irrémédiablement manqué au moment même où il paraissait possible. Cela illustre pour le narrateur l’image préconçue qu’il se fait de l’Idéal dans la philosophie pessimiste qui est la sienne : un absolu impossible à atteindre, fugitif par essence (« fugitive beauté »).  L’histoire de la passante nous apparaît donc moins comme une anecdote réaliste que comme une allégorie de l’inaccessible Idéal, thème cher à Baudelaire. EL 11 – Juste la fin du monde, Le prologue Introduction [Présenter le contexte] Le théâtre de Jean-Luc Lagarce interroge la difficulté à dire la vérité sur soi, mais aussi la complexité des relations familiales. [Situer le texte] Dans Juste la fin du monde, Louis revient dans sa famille après des années d’absence. Au début de l’œuvre, dans un prologue rappelant le théâtre antique, le personnage présente les raisons de ce retour : l’annonce de sa mort prochaine. [En dégager l’enjeu] En quoi ce prologue montre-t-il les tourments intérieurs du personnage ? Explication au fil du texte Un personnage face à sa propre mort Au seuil de la pièce, dans un monologue singulier, Louis se fait narrateur de sa propre vie : il annonce le thème de la pièce (un homme revient vers les siens pour leur annoncer sa mort prochaine) et crée d’emblée un sentiment d’urgence temporelle (il nous apprend que ses jours sont comptés). La parole s’inscrit dans un futur prophétique à travers l’entêtant leitmotiv : « Plus tard, l’année d’après ». Le jeu troublant des temps verbaux donne le sentiment que Louis, conscient de sa propre disparition, est suspendu entre la vie et la mort : « j’allais mourir », « j’ai près de trente- quatre ans maintenant », « je mourrai ». La parole est lancinante, répétitive ; le personnage ressasse cette attente solitaire. Le parallélisme insiste sur ses tourments existentiels : « j’attendais à ne rien faire, à tricher, à ne plus savoir, […] j’attendais d’en avoir fini » ; l’anaphore « de nombreux mois » inscrit cette souffrance dans une longue durée indéterminée. Le personnage éprouve cependant le besoin physique de réagir à la mort qui vient, par une sorte de réflexe instinctif qu’exprime la subordonnée de comparaison : « comme on ose bouger parfois, / à peine / devant un danger extrême ». La décision du retour Revenir vers les siens n’est pas chose aisée. La répétition de la formule concessive « malgré tout » rythme l’expression de la détresse (« la peur, / prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre »). Le personnage annonce son choix à travers le passé simple « je décidai », qui semble constituer le verbe principal de l’unique longue phrase, aux nombreux détours, qui compose ce monologue. Il opère un retour vers sa famille, vers ses origines dans un moment de crise : « retourner les voir, revenir sur mes pas, aller sur mes traces et faire le voyage ». Le personnage insiste lourdement sur la manière dont il doit annoncer sa mort : « lentement, avec soin, avec soin et précision […] lentement, calmement, d’une manière posée ». L’interrogation rhétorique qui suit interroge le rapport entre qui l’on est et l’apparence que l’on donne : pour sa famille, Louis est toujours apparu comme « un homme posé ». Une annonce tragique et dérisoire Comme dans les tragédies antiques où une divinité pouvait prononcer le prologue, Louis ressemble à Hermès, dieu messager chargé de guider les âmes des morts vers l’autre monde. L’objet de l’annonce est enfin prononcé comme une condamnation tragique : « ma mort prochaine et irrémédiable ». La parole revient avec insistance sur elle-même, comme s’il s’agissait pour Louis de se conforter dans une résolution difficile mais essentielle : « annoncer, / dire, / seulement dire ». Confronté à sa finitude, Louis trouve dans la maîtrise du discours un semblant de prise sur son existence : il s’agit d’être « l’unique messager » de sa mort. Ce besoin de s’affirmer une dernière fois, par fidélité à soi, perce à travers l’usage des pronoms de première personne : « l’annoncer moi-même ». Conclusion [Synthèse] Dans ce prologue, le personnage principal de la pièce expose au spectateur les raisons de sa décision de revenir près des siens. Ce faisant, il dévoile sa volonté de rester maître de sa propre destinée, ce qui est une manière de rester vivant jusqu’au bout alors que la vie lui échappe. [Ouverture] L’épilogue de la pièce constitue un écho tragique au prologue : Louis y fera l’amer constat de son incapacité à révéler la vérité à sa famille, avec une voix d’outre-tombe : « Je meurs quelques mois plus tard ». EL 12 - Juste la fin du monde, La tirade de La Mère, Première partie, scène 8, de « Cela ne me regarde pas » à « dans ce coin-ci. » Présentation du passage Il n’y a pas de didascalies qui apportent de précisions sur la situation de la scène, mais l’on peut imaginer que La Mère et Louis sont isolés des autres personnages, car La Mère lui fait des confidences sur son frère et sa soeur. Elle prend la parole dès le début, entamant son soliloque par l’affirmation qu’elle se « mêle souvent de ce qui ne [la] regarde pas », soulignant d’emblée son indiscrétion en même temps que sa capacité selon elle toute naturelle, pour ne pas dire maternelle, à comprendre et savoir ce qu’attendent et éprouvent ses enfants. Elle formule ainsi, peut-être sans en être consciente, la tragédie qui s’annonce. Comment les portraits qu’elle fait de ses enfants permettent-ils à La Mère d’annoncer la tragédie à venir ? Premier mouvement : portrait d’une mère omnisciente Du début à « et la possibilité enfin. » Au début de cette scène, La Mère commence par dresser un portrait d’elle-même qui suit la prétérition de la première ligne. Elle annonce en effet que « Cela ne [la] regarde pas », mais elle va pourtant parler de longues minutes des attentes de Suzanne et Antoine. Le portrait qu’elle fait d’elle-même la décrit sans complaisance. Dans la suite du passage, l’importance accordée aux verbes « connaître », « savoir » et « deviner » donnent d’elle l’image d’une mère toute-puissante, pour ne pas dire omnisciente, qui sait tout de ses enfants. L’affirmation « je sais », mise en valeur par sa position isolée, insiste sur la supériorité de La Mère sur ses enfants. Les deux conditionnels des verbes « je pourrais […] deviner » et « je devinerais », encadré par le complément circonstanciel de manière « plus simplement encore » et par l’expression « cela reviendrait au même », prouvent que La Mère sait même ce que ses enfants n’ont pas dit, ou ce qu’elle n’aurait pas entendu. Elle le saurait même mieux qu’en les entendant, car il ne s’agirait plus de passer par la contrainte du langage pour comprendre les attentes de ses enfants. Ce que La Mère sait, ce qu’elle aurait pu deviner seule, c’est que Suzanne et Antoine espèrent parler à Louis, qu’ils ont des choses à lui dire. On relève d’ailleurs la répétition des verbes de parole « te parler » (deux fois) et « te dire ». L’affirmation « Ils veulent te parler » entre en résonance immédiate avec le « je sais » qui précède, et tout le début de ce soliloque pourrait presque en réalité être résumé à ces deux seules affirmations : « je sais qu’ils veulent te parler. » Mais La Mère sait aussi d’avance que cette parole n’ira pas de soi, malgré la volonté manifeste d’Antoine et Suzanne d’y parvenir ; les formules « Ils veulent », « ils ont pensé qu’ils pourraient », « la possibilité enfin » signent cette volonté. L’adverbe « enfin » traduit bien cette attente de longue date. La Mère veut ainsi préparer Louis à ces conversations à venir, lui demandant de manière implicite de rester indulgent face à la maladresse (elle dira plus loin la brutalité) de la parole d’Antoine et Suzanne. Deuxième mouvement : portrait d’Antoine et de Suzanne De « Ils voudront t’expliquer mais ils t’expliqueront mal » à « en démordre » L’usage du futur de l’indicatif dans la tirade de La Mère la fait apparaître en position de toute-puissance : elle sait, avec certitude, ce que Suzanne et Antoine attendent de leurs retrouvailles avec Louis, en même temps qu’elle sait déjà que ces retrouvailles n’auront pas lieu de la manière dont chacun les imagine, car les frères et soeurs « ne [se] connaissent pas, ou mal ». Chacun a construit de Louis absent une image qui n’est plus la bonne.
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