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Analyse linéaire du Prologue de Juste la Fin du Monde, Lectures de Français

Analyse linéaire prologue de Lagarce

Typologie: Lectures

2023/2024

Téléchargé le 10/03/2024

cherine-aouragh
cherine-aouragh 🇫🇷

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Télécharge Analyse linéaire du Prologue de Juste la Fin du Monde et plus Lectures au format PDF de Français sur Docsity uniquement! 1 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde Lecture linéaire 1- Prologue LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après – j’allais mourir à mon tour – j’ai près de trente-quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚ l’année d’après‚ de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚ 5 de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚ l’année d’après‚ comme on ose bouger parfois‚ à peine‚ devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou 10 commettre un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚ l’année d’après‚ malgré tout‚ la peur‚ prenant ce risque et sans espoir jamais de survivre‚ 15 malgré tout‚ l’année d’après‚ je décidai de retourner les voir‚ revenir sur mes pas‚ aller sur mes traces et faire le voyage‚ pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision – ce que je crois – 20 lentement‚ calmement‚ d’une manière posée – et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ?‚ pour annoncer‚ dire‚ 25 seulement dire‚ ma mort prochaine et irrémédiable‚ l’annoncer moi-même‚ en être l’unique messager‚ et paraître – peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et 30 depuis le plus loin que j’ose me souvenir – et paraître pouvoir là encore décider‚ me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne connais pas (trop tard et tant pis)‚ me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion d’être responsable de 35 moi-même et d’être‚ jusqu’à cette extrémité‚ mon propre maître. 2 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde LL- Prologue Travail préparatoire 1. Pistes d’interprétation : Indices : Quel est l’intérêt d’écrire un prologue, d’après vous ? Si vous ne deviez conserver que l’essentiel du message de la phrase, que resterait- il ? Pourquoi, selon vous, la phrase est-elle si longue ? Comment qualifieriez-vous l’écriture de ce prologue ? Quelles informations ce prologue donne-t-il sur le personnage ? Quelles informations donne-t-il sur le propos de la pièce ? Selon vous, le prologue éclaire-t-il le titre de la pièce ? Pistes : - Une exposition surprenante - Influence du théâtre classique, jeu avec les codes théâtraux, mise en abyme (avec le thème de l’illusion à la fin) - Vers libres : lien avec la tragédie ou musicalité de la parole ? - Annonce une crise personnelle (réflexion sur la vie et la mort) et familiale (je/ils) - Le texte met l’accent sur les enjeux de la parole et ses difficultés. On peut donc penser qu’il soumet ainsi une réflexion sur la parole théâtrale, sur les fonctions de l’art. 2. Situation du texte Dans l’histoire culturelle : Les années 90 ont été désignées comme les « années SIDA ». Pour en lire un rappel, vous pouvez vous reporter à l’article de Mélanie Hennebique paru dans Vanity Fair le 3 novembre 2020 ou à l’article, plus documenté, de Mathieu Stricot, publié le 3 juin 2021 sur le site du CNRS. Certes, rien dans la pièce ne permet de déterminer avec certitude que le SIDA est la cause de la « mort prochaine » de Louis, mais le contexte culturel et la biographie de Jean-Luc Lagarce font de cette maladie un sous-texte de l’œuvre. Dans l’histoire théâtrale : Le théâtre de la deuxième moitié du vingtième siècle est héritier de la pensée brechtienne de la distanciation. Selon le dramaturge allemand, les spectateurs doivent être conscients qu’ils assistent à un spectacle de théâtre, ils ne doivent pas se laisser porter par l’histoire mais être conduits à porter un regard critique sur ce qui se déroule sous leurs yeux. C’est à cette condition que la lecture politique de la pièce sera 5 Lecture linéaire Problématique : Comment ce prologue réécrit-il la tragédie antique pour proposer une interrogation sur les enjeux de la parole ? Premier mouvement : de « Plus tard » à « l’année d’après » (l.17) : l’annonce d’une annonce : une parole qui ne dit rien ? « LOUIS. – Plus tard‚ l’année d’après – j’allais mourir à mon tour – j’ai près de trente- quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai‚ l’année d’après‚ de nombreux mois déjà que j’attendais à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir‚ de nombreux mois que j’attendais d’en avoir fini‚ l’année d’après‚ » Cette scène est intitulée « prologue ». Dans le théâtre antique, le prologue est prononcé par le chef du chœur, le coryphée et non par le protagoniste. Ici, Louis est à la fois coryphée et protagoniste. On remarque la volonté de s’inscrire dans une tradition théâtrale tout en la modifiant : la pièce, inscrite entre tradition et modernité, échappe en quelque sorte au temps. Le public est conduit à s’interroger sur les enjeux de cette réécriture, qui peut apparaître comme une tragédie moderne. Le prénom du personnage principal, Louis, peut également faire l’objet d’une interrogation du lecteur (et non du spectateur, qui ne le connaît pas encore). Étymologiquement, Louis est formé des termes signifiant « gloire » et « combat ». C’est aussi le nom de la majorité des rois de France1. Louis est donc un nom de héros (noble et vaillant), digne de la tragédie. (On verra ensuite qu’il s’agit d’une fausse piste, puisque le héros n’accomplira pas véritablement sa quête.) D’ailleurs, l’usage des vers libres… crée une musicalité qui renvoie au chœur du théâtre antique. La répétition, à cinq reprises, de l’indication de temps « l’année d’après » crée une forme de refrain… qui renforce la musicalité. En outre, elle retarde l’arrivée de l’information : le prologue met en scène une parole qui se dérobe. (Or ce sera tout l’enjeu de la pièce, qui peut apparaître comme une tragédie de l’incommunicabilité.) 1 D’ailleurs, plus loin dans la pièce, ce prénom est bien présenté comme celui d’une dynastie, puisque c’était le prénom du père, transmis au neveu du protagoniste, qui n’aura pas d’enfant. 6 Par ailleurs, la répétition suggère que ce repère temporel est essentiel, d’autant plus que les premiers mots sont également une indication de temps. L’indication de temps « de nombreux mois » est aussi répétée. Mais le repère temporel reste très imprécis. En effet, on ne sait pas « après » quoi cette année se situe. S’agit-il de la mort du père ou de l’annonce de la maladie ? Le public l’ignore. Cette indication de temps est donc énigmatique : elle suscite l’intérêt du public, conduit à être actif pour comprendre de quoi il s’agit. Elle souligne aussi l’importance de la fuite du temps, l’urgence de parler : le personnage apparaît dans une crise. « – j’allais mourir à mon tour – » L’emploi du futur proche… renforce l’imminence de la mort et installe le registre tragique dès le début. La parenthèse découpe le propos, comme si la précision, pourtant essentielle, n’était qu’incidente. Elle annonce le paradoxe de cette pièce : l’objectif de Louis est de délivrer une information fondamentale, qui restera pourtant tue. L’expression « à mon tour » est étonnante car on ne sait pas qui est mort précédemment. L’expression renvoie-t-elle au décès du père, qui sera mentionné par la suite, donc à une lecture tragique, annonçant une crise familiale presque œdipienne ? Ou faut-il suivre la piste biographique, s’appuyant sur la vie de Lagarce, et penser que Louis se réfère à des amis morts du SIDA ? Comme la première ligne, cette expression suscite les interrogations du public et crée une forme de distanciation. Il apparaît que le prologue requiert la participation des spectateurs. « j’ai près de trente- quatre ans maintenant et c’est à cet âge que je mourrai » La reprise du futur et du verbe « mourir »… accentue le tragique. L’âge du personnage, trente- trois ans (il n’en a pas encore trente-quatre) suggère également sa fin tragique : on considère que c’est l’âge du Christ lors de son martyre. 7 Le verbe « j’attendais » est répété. Or, il est à l’imparfait (donc opposé au futur), il a une valeur durative et évoque une action liée au temps. Cette répétition renforce donc l’importance du thème du temps dans la pièce. Elle montre l’importance de l’annonce qui doit être faite, car elle fait suite à une longue période d’inaction, de fuite. Pourtant, le fait que tant de formules soient répétées renforce le sentiment d’attente : le public attend la suite de la phrase, sans cesse rejetée plus loin. Se manifeste ainsi la crainte du personnage de dire la vérité. « à ne rien faire‚ à tricher‚ à ne plus savoir » Le verbe « tricher » peut être perçu comme une référence au métier de l’acteur. Cette discrète mise en abyme contribue à l’exposition de la théâtralité, qui rompt le quatrième mur pour établir une distanciation. Les négations et le terme péjoratif, dans l’énumération… révèlent le désir de fuite de Louis. Elles évoquent l’angoisse face à la mort (présentée ensuite explicitement par l’euphémisme « j’attendais d’en avoir fini »). On peut avoir l’impression que si la phrase se termine, si l’annonce est faite, la mort adviendra aussitôt. L’apparente logorrhée du personnage apparaît ainsi comme l’expression du tragique de la condition humaine. « comme on ose bouger parfois‚ à peine‚ devant un danger extrême‚ imperceptiblement‚ sans vouloir faire de bruit ou commettre un geste trop violent qui réveillerait l’ennemi et vous détruirait aussitôt‚ » Les pronoms « on » et « vous » remplacent la première personne du singulier. Le propos prend un tour général, qui confirme l’idée que la situation de Louis peut être envisagée comme une métaphore de la condition humaine. 10 « pour annoncer‚ lentement‚ avec soin‚ avec soin et précision – ce que je crois – lentement‚ calmement‚ d’une manière posée – et n’ai-je pas toujours été pour les autres et eux‚ tout précisément‚ n’ai-je pas toujours été un homme posé ? » Énumération de termes évoquant la précaution, avec pléonasme et répétitions. La précaution de la parole est illustrée par cette énumération, qui ralentit le propos. Il y a là une forme de redondance qui fait attendre le complément d’objet du verbe « annoncer ». Cela suggère que ce qui doit être dit est terrible et effrayant. La première parenthèse… freine encore l’avancée du propos et manifeste la prudence du personnage. La seconde parenthèse présente une question. Elle peut être interprétée comme une véritable question, marquant le doute du personnage quant à sa place dans la famille et dans le monde. On peut aussi la lire comme une question rhétorique, qui signalerait une forme de lassitude, le personnage étant conscient de l’image figée que les autres ont de lui. Quoi qu’il en soit, il s’agit de mettre en évidence une opposition entre les apparences (comme le suggérait, plus haut, le verbe « tricher ») et le bouillonnement intérieur de Louis. Il semble vouloir correspondre à cette image que l’on attend, comme un acteur qui jouerait son rôle. Ces parenthèses présentent une introspection qui rappelle la cure psychanalytique (dont l’un des motifs traditionnels est aussi la crise familiale, à travers la figure d’Œdipe). Ainsi, ce prologue relie la crise personnelle de l’homme mourant et la crise familiale. « pour annoncer‚ dire‚ seulement dire‚ ma mort prochaine et irrémédiable‚ » Épanorthose : la rectification conduit à renoncer à la solennité du verbe « annoncer », au profit de la banalité du verbe « dire ». Cette banalité est soulignée par l’emploi de l’adverbe « seulement ». Elle semble vouloir donner une forme de simplicité à l’annonce tragique qui suit. Elle correspond au souci de précaution manifesté précédemment. Ce souci du détail renforce l’idée que la parole est le véritable enjeu de la pièce. Par ailleurs, l’apparente simplicité contraste avec l’horreur de ce qui est annoncé et la rend plus prégnante. 11 Les deux adjectifs « prochaine et irrémédiable », dans un rythme binaire… marquent le tragique et confèrent un caractère d’urgence à l’annonce. L’allitération en [R]… donne du relief à cette annonce de l’issue tragique. Ce prologue tragique remplit sa fonction d’exposition de façon paradoxale, puisque le personnage semble livrer les informations avec réticence. Le deuxième mouvement présente enfin, après bien des manœuvres dilatoires, le motif du voyage de Louis : annoncer sa mort imminente à sa famille. La suite de son monologue le conduit à exposer les raisons qui le poussent à briser le silence. Troisième mouvement : de « l’annoncer moi-même » à « mon propre maître » (l.28 à 36) : les causes de l’annonce « – peut-être ce que j’ai toujours voulu‚ voulu et décidé‚ en toutes circonstances et depuis le plus loin que j’ose me souvenir – » Comme dans le deuxième mouvement, la parenthèse signale un passage d’introspection, qui rappelle la cure psychanalytique. L’épanorthose3 manifeste un souci de précision renvoyant également à l’introspection. La plongée dans le passé, marquée par le superlatif « le plus loin », renvoie également à la volonté d’explorer son passé. La référence à la psychanalyse rappelle la puissance de la parole4. En donnant une telle importance à la parole, le prologue laisse penser qu’elle est le sujet véritable de la pièce. La question de l’aveu y est en effet centrale. D’ailleurs, le champ lexical de la parole est très présent dans l’ensemble du monologue. « moi-même »x2, « mon propre maître » Forte affirmation de la première personne (L’allitération en [m] renforce la présence du moi.) Tout cela manifeste une assurance qui renvoie à la figure du héros. Louis veut être son « propre maître ». Il rejoint ainsi la figure tragique du héros qui veut être maître de son destin. « voulu, voulu et décidé » « là encore décider » Répétition des verbes de volonté « en toute circonstance » Hyperbole Cependant, comme dans le cas d’Œdipe ou des autres héros tragiques, il apparaît bien vite que le vœu de Louis est illusoire. 3 L’épanorthose est une figure de style qui consiste à revenir sur ce que l’on vient d’affirmer, soit pour le nuancer, soit pour le corriger, soit pour l’exprimer avec encore plus d’énergie. 4 Dans la psychanalyse, la parole est un outil de guérison. 12 « messager », « paraître », « illusion » Le lexique de ce troisième mouvement renvoie à l’univers du théâtre. Le prologue joue de la mise en abyme pour dévoiler l’illusion du personnage et annoncer, conformément au registre tragique, l’échec de son entreprise. Par ailleurs, cette mise en abyme, associée au thème très présent de la mort, peut évoquer la formule shakespearienne selon laquelle « le monde entier est un théâtre ». De cette manière, le prologue rappelle la brièveté de la vie humaine et accentue l’angoisse de la fuite du temps. « me donner et donner aux autres‚ et à eux‚ tout précisément‚ toi‚ vous‚ elle‚ ceux-là encore que je ne connais pas (trop tard et tant pis)‚ me donner et donner aux autres une dernière fois l’illusion » La périphrase « donner l’illusion » renvoie également au théâtre. La mise en abyme est accentuée par la rupture du quatrième mur : le personnage s’adresse directement au public à l’aide des pronoms. (On peut supposer que le comédien désigne des spectateurs, un à un, lorsqu’il dit « toi, vous, elle ».) « trop tard et tant pis » « une dernière fois » « jusqu’à cette extrémité » Nombreuses allusions à la mort, à la fatalité Le prologue a l’allure d’un testament. Le personnage s’adresse au public avec la volonté de jouer son rôle jusqu’au bout. « me donner et donner aux autres » Le rythme binaire souligne le parallèle des deux COI. Il s’agit de jouer un rôle pour soi autant que pour les autres. Ainsi, Louis est présenté dans une posture d’aveuglement. Comme Œdipe, il est celui qui ne veut pas voir la réalité, qui se berce d’illusion. Toutefois, l’introspection en fait un personnage parfaitement lucide : conscient de cet aveuglement, il n’est pas vraiment aveugle. À la fois protagoniste et coryphée, auteur et acteur, aveugle et lucide, Louis est un personnage complexe. Il se situe en quelque sorte à distance de lui-même. (D’ailleurs, il semble parler après sa mort, comme un spectre qui jugerait sa vie passée.) Il semble à la fois la proie de la fatalité et la voix du destin.
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