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Analyse linéaire Lagarce, Lectures de Français

Scène 3 partie 1 de Juste la Fin du Monde

Typologie: Lectures

2023/2024

Téléchargé le 10/03/2024

cherine-aouragh
cherine-aouragh 🇫🇷

3 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Analyse linéaire Lagarce et plus Lectures au format PDF de Français sur Docsity uniquement! 1 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde Lecture linéaire 10 - Partie I, scène 3 SUZANNE. – Parfois‚ tu nous envoyais des lettres‚ parfois tu nous envoies des lettres‚ ce ne sont pas des lettres‚ qu’est-ce que c’est ? de petits mots‚ juste des petits mots‚ une ou deux phrases‚ rien‚ comment est-ce qu’on dit ? 5 elliptiques. « Parfois‚ tu nous envoyais des lettres elliptiques. » Je pensais‚ lorsque tu es parti (ce que j’ai pensé lorsque tu es parti)‚ lorsque j’étais enfant et lorsque tu nous as faussé compagnie 10 (là que ça commence)‚ je pensais que ton métier‚ ce que tu faisais ou allais faire dans la vie‚ ce que tu souhaitais faire dans la vie‚ je pensais que ton métier était d’écrire (serait d’écrire) ou que‚ de toute façon 15 – et nous éprouvons les uns et les autres‚ ici‚ tu le sais‚ tu ne peux pas ne pas le savoir‚ une certaine forme d’admiration‚ c’est le terme exact‚ une certaine forme d’admiration pour toi à cause de ça –‚ ou que‚ de toute façon‚ si tu en avais la nécessité‚ 20 si tu en éprouvais la nécessité‚ si tu en avais‚ soudain‚ l’obligation ou le désir‚ tu saurais écrire‚ te servir de ça pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore. Mais jamais, nous concernant, jamais tu ne te sers de cette possibilité, de ce don (on dit comme ça, c’est une sorte de don, je crois, tu ris) jamais, nous concernant, tu 25 ne te sers de cette qualité - c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi – jamais tu ne te sers de cette qualité que tu possèdes, avec nous, pour nous. Tu ne nous en donnes pas la preuve, tu ne nous en juges pas dignes. C’est pour les autres. 30 Ces petits mots - les phrases elliptiques - ces petits mots, ils sont toujours écrits au dos de cartes postales (nous en avons aujourd’hui une collection enviable) comme si tu voulais, de cette manière, toujours paraître 35 être en vacances, je ne sais pas, je croyais cela, ou encore, comme si, par avance, tu voulais réduire la place que tu nous consacrerais et laisser à tous les regards les messages sans importance que tu nous adresses. 40 « Je vais bien et j’espère qu’il en est de même pour vous. » 2 Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde LL- Partie I, scène 3 Travail préparatoire (fait en classe) 1. Pistes d’interprétation : Reproches de Suzanne face à Louis muet : crise familiale, révélation qui ne peut se faire Fascination pour l’écriture, pour le talent (fils prodigue) Crise du langage : Suzanne cherche le mot juste, Louis ne peut écrire à ses proches 2. Situation du texte Le texte que nous étudions se situe vers le début de la pièce. Louis vient d’arriver. Il a rencontré sa belle-sœur pour la première fois : on a alors mesuré l’écart qui existe entre Louis et sa famille. Son retour constitue un choc pour chacun. La crise familiale a été suggérée par le conflit latent avec Antoine, son frère. Dans la troisième scène, il se retrouve seul avec sa sœur, qu’il connaît mal. La scène est fondée sur une tension entre intimité et ignorance. Suzanne est la première à se retrouver en tête à tête avec son frère, à la scène 3 de la première partie. Ce n’est pourtant pas un vrai dialogue qui se noue entre eux : la jeune sœur tente de combler l’absence par une longue tirade. 3. Nature du texte Genre : théâtre, tirade : Louis est présent mais ne dit rien Type : narratif et argumentatif Registre : lyrique 4. Mouvement du texte : 1er mouvement : « Parfois‚ tu nous envoyais des lettres » à « elliptiques » : le regret d’une communication manquée 2ème mouvement : de « Je pensais » à « plus encore » : l’expression de la fascination pour l’écrivain 3ème mouvement : « Mais jamais nous concernant » à « C’est pour les autres » : le sentiment d’être rejetée par l’écrivain 4ème mouvement : « Ces petits mots » à « pour vous » : l’écriture comme prise de distance Problématique : Comment cette scène articule-t-elle réflexion sur le langage et crise familiale ? 5 « Parfois‚ tu nous envoyais des lettres‚ parfois tu nous envoies des lettres » L’anaphore de « parfois » et l’épanorthose (où l’imparfait est corrigé en présent) témoignent d’un souci d’exactitude, montrant une réflexion en marche. « ce ne sont pas des lettres‚ qu’est-ce que c’est ? » La négation, suivie d’une interrogation marque ce même souci de précision. Suzanne se préoccupe autant de ses mots que des écrits de Louis : le langage apparaît comme un enjeu central de cette scène. « lettres »‚ « mots »‚ « phrases » Le lexique de l’écriture est abondant dans les sept premiers vers. Il insiste, lui aussi, sur les enjeux de la parole. « ce ne sont pas des lettres‚ qu’est-ce que c’est ? » « comment est-ce qu’on dit ? » Questions (dans une langue orale), plutôt adressées à elle-même qu’à Louis1 Pensée en marche : la parole reproduit le flux de la pensée « Parfois‚ tu nous envoyais des lettres elliptiques. » Suzanne aboutit à une synthèse de sa pensée, comme en témoigne le fait que la phrase soit placée entre guillemets. On a l’impression qu’elle a choisi les mots les plus appropriés parmi ceux qu’elle a essayés. Cette synthèse marque l’aboutissement de la pensée de Suzanne et témoigne de son souci de trouver le langage juste. Or cette phrase de synthèse est presque un alexandrin2. Apparaît ainsi de façon prégnante le caractère musical de cette langue, située entre oralité et poésie, accentuant le fait que les enjeux du langage sont centraux dans cette scène. Deuxième mouvement : vers 8 à 23 : « je pensais » à « plus encore » : fascination pour l’écrivain Dans ce mouvement, le pronom « je » prend le pas sur le pronom « nous ». Il dénote la volonté d’exprimer ses sentiments, de se confier. Alors que Louis était venu pour parler, il est auditeur du récit de sa sœur. 1 Attention : ce ne sont pas des questions rhétoriques ! 2 Elle le serait si on ne faisait pas la liaison entre « lettres » et « elliptiques » 6 « pensais », « faisais », « souhaitais » Emploi de l’imparfait L’imparfait signale un retour dans les souvenirs, qui s’accommode à la forme de la confession. Le passé suggère peut- être aussi une rupture entre les personnages, comme si Suzanne était réduite à parler à l’imparfait puisqu’elle ne connaît pas le Louis du présent « lorsque j’étais enfant » Le complément circonstanciel de temps et les quatre occurrences de la conjonction « lorsque », aux vers 8 à 10, mettent l’accent sur ce retour dans le passé, qui donne des indices sur la crise familiale. Le départ de Louis apparaît en effet, dans le propos de Suzanne, comme l’origine de la crise. « lorsque tu es parti » « lorsque tu nous as faussé compagnie » L’épanorthose modifie une formule neutre en formule péjorative. Le départ de Louis est ainsi présenté comme une faute : les mots de Suzanne se font reproches. « (là que ça commence) » La parenthèse isole un commentaire au présent, en rupture avec le récit au passé. Ce commentaire fait du départ de Louis la faute originelle (comme il y en a dans les familles tragiques). De plus, le pronom « ça » crée une indécision. Le problème de la famille n’étant pas précisément évoqué, il prend une importance considérable, montrant l’ampleur de la crise familiale. « et nous éprouvons les uns et les autres‚ ici‚ tu le sais » Le pronom « nous », opposé au « tu », est renforcé par l’expression « les uns et les autres », qui peut paraître hyperbolique (ils ne sont après tout que quatre). Cet effet de nombre accentue la rupture entre Louis et le reste de sa famille, comme s’il était seul, opposé à l’ensemble de la cité (comme dans la tragédie). Le déictique « ici » renvoie à l’opposition entre ceux qui sont restés et celui qui est parti. 7 Des vers 20 à 22, l’anaphore de « si tu » manifeste les reproches de Suzanne à l’égard du détachement de Louis. Le conditionnel, dans la structure hypothétique accentue ce reproche, puisqu’il évoque les actions qui n’ont pas été faites, ou plus exactement les mots qui n’ont pas été écrits. « si tu en éprouvais la nécessité‚ si tu en avais‚ soudain‚ l’obligation ou le désir‚ » Dans les raisons d’écrire que Suzanne envisage, le désir (c’est-à-dire un sentiment guidé par l’amour familial) n’arrive qu’en troisième position, après deux termes évoquant la contrainte. On voit ainsi nettement combien les relations entre le frère et la sœur sont distendues. On remarque en outre que la répétition de cette contrainte est accompagnée de l’adverbe « soudain ». Il semble que l’on puisse lire ici la présence du tragique : inconsciemment, Suzanne suggère le motif impérieux qui ramène Louis chez lui, c’est-à-dire sa « mort prochaine et irrémédiable ». Malgré les reproches qu’elle formule, Suzanne ne se départit pas d’une certaine admiration pour ce frère qu’elle connaît peu. En effet, le mot « admiration » est répété. Suzanne semble ainsi éprouver une sorte de fascination pour ce frère étranger. « pour te sortir d’un mauvais pas ou avancer plus encore » Dans ce rythme binaire, les deux expressions utilisent la métaphore de la marche pour désigner Louis comme un personnage en action, que rien ne semble pouvoir arrêter (aux yeux de sa sœur). Vers 16 à 18 Cependant, à chaque fois, le nom « admiration » est précédé de la nuance « une certaine forme ». La deuxième fois, la nuance est accentuée par le rejet. Apparaît ainsi la complexité des sentiments de Suzanne à l’égard de Louis. 10 « possibilité » « don », « qualité » Des périphrases mélioratives sont utilisées pour désigner l’écriture. (Le mot « possibilité » est assez neutre, « don », mélioratif et presque mystique, lui est préféré, pour être finalement remplacé par « qualité », qui conserve une dimension d’éloge mais s’écarte du topos de l’artiste inspiré pour désigner Louis.) Bien que Suzanne manifeste une certaine rancœur, l’admiration pour Louis reste exprimée, avec un souci de précision notable. l.25 La parenthèse témoigne de cette volonté de précision. Suzanne s’appuie d’abord sur la langue commune, comme l’indique l’emploi du pronom indéfini « on ». Puis, en disant « je crois », elle manifeste un certain recul par rapport au cliché, afin de trouver un mot plus juste. Cette recherche du terme montre que le langage est l’enjeu majeur de cette tirade. « tu ris » La didascalie interne est la seule intervention de Louis que le texte signale5. Ce rire est vraisemblablement une réaction de Louis au terme de « don » qu’il juge excessif. Sans doute ce rire est-il aussi la raison qui pousse Suzanne à se corriger. C’est donc le choix d’un mot qui le fait réagir. Comme sa sœur, il semble accorder une importance considérable au langage. Ce rire peut établir une complicité. 5 Bien sûr, sur scène, le comédien est sous les yeux du public. En jouant les réactions de Louis, il construit une interprétation du personnage. Mais Jean-Luc Lagarce laisse une grande liberté au metteur en scène et au comédien, puisqu’il ne propose pas de didascalies. 11 Cependant, ce rire du personnage peut également être perçu par Suzanne comme un signe de mépris, renforçant la distance entre le frère et la sœur, donc la crise familiale.6 Toute l’ambiguïté des sentiments familiaux est donc contenue dans cette didascalie interne. « - c’est le mot et un drôle de mot puisqu’il s’agit de toi – » La remarque, entre tirets, constitue un commentaire sur le choix du mot « don », comme le souligne la répétition du terme « mot ». Cette répétition souligne l’importance du langage aux yeux du personnage de Suzanne. Comme le rire de Louis, ce commentaire peut avoir deux interprétations très différentes. Si c’est un « drôle de mot » aux yeux de Suzanne, peut- être est-ce parce qu’il lui paraît inapproprié d’accorder une « qualité » à ce frère absent, coupable de lui avoir « faussé compagnie ». Dans cette hypothèse, l’éloge se teinterait de blâme. Mais c’est peut-être aussi, tout simplement, un mot « drôle ». Dans ce cas, Suzanne se joindrait au rire de Louis, dans un moment de complicité fraternelle. On comprend ainsi l’importance que les personnages accordent aux mots, puisque ceux-ci sont si riches de sens qu’ils peuvent conduire à des interprétations différentes, donc à des malentendus. La crise familiale semble indissociable de la réflexion sur le langage. Ainsi, dans cette partie de la tirade, l’admiration est atténuée par le reproche. La crise familiale paraît associée à la crise du langage : l’impossibilité de trouver le mot juste accompagne l’impossibilité de se rencontrer véritablement. Les mots se dérobent comme ce frère absent. 6 En effet, dans la scène 8, la mère préviendra Louis que son sourire énigmatique peut apparaître comme du mépris aux yeux d’Antoine et Suzanne. 12 Quatrième mouvement : vers 31 à 41 : « Ces petits mots » à « pour vous » : l’écriture comme prise de distance Deux vers courts, suivis d’un vers très long. Un enjambement surprenant entre « paraître » et « être », qui crée un bref silence Les variations de rythme sont nombreuses. Elles aboutissent à un rythme heurté. Cela montre que Suzanne tente de chercher le mot juste. Ce rythme souligne aussi la crise du langage : on a l’impression que les mots s’entrechoquent, que les pensées peinent à se structurer « ces petits mots » La répétition met l’accent sur la formule marquant la déception de Suzanne, affectée par cette brièveté, qu’elle prend comme un manque de considération. « nous en avons aujourd’hui une collection enviable » Le registre satirique contribue à révéler la crise familiale, puisqu’il manifeste la frustration de Suzanne. Aux vers 35 et 367, s’opposent les verbes « paraître » et « être » (bien que le second soit le complément du premier). Cet écart entre les deux verbes renvoie au thème de l’illusion, mentionné dès le prologue. Louis apparaît à nouveau comme un personnage qui joue un rôle. La répétition de « comme si », qui renvoie au fait de faire semblant, contribue à cette mise en abyme faisant de Louis un comédien. « je ne sais pas », « je croyais cela » Les deux verbes de pensée témoignent d’une difficulté à s’exprimer. Ils insistent aussi sur la difficulté de cerner les motivations de Louis, puisqu’il écrit peu de mots. Crise du langage et crise familiale sont liées. « laisser à tous les regards les messages sans importance que tu nous adresses » Comme au vers 30, on observe une opposition entre l’hyperbole « tous les regards », qui désigne « les autres » et le pronom « nous » qui renvoie à la famille. La dissolution des liens familiaux est donc marquée non seulement par le mutisme, mais aussi par le refus de l’intime : Louis paraît doublement coupable. 7 En toute rigueur, ce ne sont pas vraiment les vers 35 et 36, mais un peu moins, mais mon logiciel de traitement de texte ne m’a pas permis de numéroter autre chose que les lignes. Si vous tombez sur un puriste qui vous pose la question, vous le saurez…
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