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Analyse linéaire texte de Ahmadou Allah n'est pas obligé, Lectures de Français

Analyse début du livre Allah n'est pas obligé

Typologie: Lectures

2023/2024

Téléchargé le 10/03/2024

cherine-aouragh
cherine-aouragh 🇫🇷

3 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Analyse linéaire texte de Ahmadou Allah n'est pas obligé et plus Lectures au format PDF de Français sur Docsity uniquement! 1 Séquence 2 – LL8 Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé, 2000 Le narrateur du roman, Birahima, est un jeune garçon ivoirien. Il dit écrire son histoire en s’appuyant sur quatre dictionnaires, le Larousse, le Petit Robert, l’Inventaire des particularités lexicales du français d'Afrique et le Harrap's. Au début du récit, Birahima a une dizaine d’années et sa mère vient de mourir. Sa tante, qui vit désormais au Libéria, doit devenir sa tutrice. Mais un soir, l’ex-mari violent de cette femme arrive au village et elle s’enfuit, sans se préoccuper de Birahima. Les vieux du village cherchent un voyageur qui pourrait accompagner le garçon au Liberia. Arrive alors Yacouba, alias Tiécoura1. Birahima le décrit comme « un grand quelqu’un ». Ancien habitant du village, il s’est enrichi à Abidjan en menant des activités malhonnêtes. Il est également marabout. Il est venu un matin me voir. Il m’a pris à part et, en secret, il m’a fait des confidences. Le Liberia était un pays fantastique. Son métier à lui, multiplicateur de billets de banque, était un boulot en or là-bas. On l’appelait là-bas grigriman. Un grigriman est un grand quelqu’un de là- bas. Pour m’encourager à partir, il m’a appris des tas d’autres choses sur le Liberia. Faforo (sexe de mon papa)2 ! 5 Des choses merveilleuses. Là-bas, il y avait la guerre tribale. Là-bas, les enfants de la rue comme moi devenaient des enfants-soldats qu’on appelle en pidgin3 américain d’après mon Harrap’s small-soldiers. Les small-soldiers avaient tout et tout. Ils avaient des kalachnikov. Les kalachnikov, c’est des fusils inventés par un Russe qui tirent sans s’arrêter. Avec les kalachnikov, les enfants-soldats avaient tout et tout. 10 Ils avaient de l’argent, même des dollars américains. Ils avaient des chaussures, des galons, des radios, des casquettes, et même des voitures qu’on appelle aussi des 4 × 4. J’ai crié́ Walahé ! Walahé ! Je voulais partir au Liberia. Vite et vite. Je voulais devenir un enfant-soldat, un small-soldier. Un enfant-soldat ou un soldat-enfant, c’est kif-kif pareil. Je n’avais que le mot small-soldier à la bouche. Dans mon lit, quand je 15 faisais caca ou pipi, je criais seul small-soldier, enfant-soldat, soldat-enfant ! 1 Yacouba est revenu au village mais il se cache. Il demande que personne ne dise qu’il y est. Il a aussi changé de nom et se fait désormais appeler Tiécoura. 2 Au début du roman, le narrateur explique certains des termes qu’il emploie souvent . Il écrit : « Je dis pas comme les nègres noirs africains bien cravatés : merde ! putain ! salaud ! J’emploie les mots malinkés comme faforo ! (Faforo ! signifie sexe de mon père ou du père ou de ton père). Comme gnamokodé ! (Gnamokodé ! signifie bâtard ou bâtardise). Comme walahé ! (Walahé ! signifie Au nom d’Allah). » 3 Un rédacteur de la revue Jeune Afrique écrit, en 2010, que « le pidgin English, sorte d’anglais dialectal empruntant quelques mots aux langues nationales, s’est imposé depuis longtemps comme langue des échanges et du commerce, y compris en zone considérée comme francophone. » 2 Séquence 2 – LL8 Ahmadou Kourouma, Allah n’est pas obligé Travail préparatoire 1. Pistes d’interprétation : Récit d’un enrôlement à travers le regard naïf de l’enfant Une sorte de pacte faustien : l’efficacité rhétorique de Yacouba en fait un nouveau Méphistophélès. En effet, il persuade le jeune garçon que devenir un enfant-soldat est un sort enviable, alors qu’il s’agit de tuer, souffrir et mourir. Un récit souvent comique, à cause du décalage entre l’inconscience de l’enfant et la réalité qu’il décrit Un jeu sur l’écriture, où se mêlent les langues 2. Situation du texte Dans un entretien accordé à Héric Libong en 2000 pour le site Africultures, Ahmadou Kourouma a décrit son roman en ces termes : « C’est l’histoire d’un jeune homme qui n’a pas eu de chance. Il a perdu ses parents très tôt, il est obligé de voyager très jeune et se retrouve embarqué dans la guerre tribale où il devient enfant soldat. Mais il se dit que puisqu’Allah n’a pas été juste à son égard, « Il » n’est pas obligé de l’être à l’égard de tout ce qu’il réalise sur terre. Et donc lui aussi, Ibrahima, n’est pas obligé… Cela illustre le fatalisme musulman. Et le fait que l’homme est responsable de son destin. Il fait ce qu’il veut. […] Ce n’est pas un voyage initiatique mais une randonnée moderne. Il part à la recherche de sa tante et rencontre Yacouba, un aventurier et un multiplicateur de billets qui désire aller en Sierra Leone, car la mort y est présente et que c’est dans ce genre de lieu que l’on peut avoir beaucoup d’argent quand on est « Gri-gri man ». C’est paradoxal, mais il sait que lorsque la mort est omniprésente, les gens sont prêts à tout donner pour rester en vie. Ils s’accrochent à quelque chose et c’est dans ces moments-là que le Gri-gri a le plus de valeur, de réalité et de force. » Ahmadou Kourouma, dans ce même entretien, a donné des précisions sur les sources de son roman : « Quand je suis parti en Éthiopie, j’ai participé à une conférence sur les enfants soldats de la Corne de l’Afrique. J’en ai rencontré qui étaient originaires de Somalie. Certains avaient perdu leurs parents et ils m’ont demandé d’écrire quelque chose sur ce qu’ils avaient vécu, sur la guerre tribale. Ils en ont fait tout un problème ! Comme je ne pouvais pas écrire sur les guerres tribales d’Afrique de l’Est que je connais mal, et que j’en avais juste à côté de chez moi, j’ai travaillé sur le Liberia et la Sierra Leone. […] Je considère que les guerres tribales comme celles de Sierra Leone et du Liberia sont à mettre parmi les événements les plus atroces de cette fin de siècle. D’ailleurs, c’est pour ça que j’ai choisi de les faire raconter par un enfant. Présentées dans toute leur nudité, ces réalités sont terribles. Faire parler un enfant, c’est faire paraître la violence moins crue. Même si ce n’est pas facile. Car les enfants soldats sont des enfants tueurs, capables d’une méchanceté et d’une violence terrible. Ils n’ont rien à perdre. Ils n’ont plus leur père, leur mère – certains m’ont dit que parfois, pour se faire recruter on exigeait qu’ils tuent leurs parents. D’un autre côté, ils conservent l’innocence des enfants. Ils ne connaissent rien et on les exploite. Ils commettent des actes terribles sans en percevoir les conséquences. Je crois que c’est cette innocence qui est le sentiment le plus difficile à traduire. » 5 « Il m’a pris à part et, en secret, il m’a fait des confidences. » Le pléonasme insiste sur le caractère important que ce discours revêt aux yeux de l’enfant. Ces confidences de Yacouba le font se sentir important. Il se sent privilégié, choisi. Cela manifeste l’efficacité rhétorique du discours du tentateur, qui manie la persuasion. L’apposition « en secret » est au cœur de la phrase. La construction de la phrase illustre ce caractère caché, qui sert la persuasion du manipulateur. Dans les deux propositions, la troisième personne, qui désigne Yacouba, est en position de sujet. La première personne est objet (COD, puis COI). Le jeu des pronoms met en évidence la manipulation qu’opère le discours de Yacouba. « Le Liberia était un pays fantastique. » L’imparfait, temps du récit et de la description, et utilisé. C’est aussi le temps des contes. L’imparfait rompt avec l’oralité du passé-composé et présente le Libéria comme un pays merveilleux. Le discours indirect libre souligne l’efficacité du discours séducteur : Birahima prend à son compte les propos de Yacouba. L’adjectif mélioratif s’oppose à ce que sait le lecteur : le Libéria, dans les années 1990, est ravagé par la guerre civile et n’a rien d’un pays merveilleux. L’adjectif souligne cette séduction du discours, en montrant que l’enfant a été persuadé par le tableau peint par Yacouba. Or, étymologie, l’adjectif « fantastique » vient du latin fantasticus signifiant « imaginaire », « irréel ». Il apparait ainsi évident que cette vision de rêve n’est qu’un fantasme, une illusion. « Son métier à lui, multiplicateur de billets de banque, était un boulot en or là-bas. » L’apposition « multiplicateur de billets de banque » est ironique. Tout d’abord l’expression laisse présager quelque chose de malhonnête mais cette malhonnêteté est gommée par le regard de l’enfant, qui en garde le caractère magique. Le décalage entre le regard de l’enfant et celui du lecteur est sensible. Il nourrit le comique. 6 L’attribut « un boulot en or » redouble l’ironie de l’expression. Le « boulot en or » est à comprendre au sens propre (on peut supposer que Yacouba se livre à du trafic, à du blanchiment d’argent). Le décalage comique est souligné. En outre, l’expression fait référence à Jésus4. L’ironie en est accentuée puisque le tentateur prend la figure du Christ. On voit qu’il s’agit là d’une réécriture comique du pacte faustien. « On l’appelait là-bas grigriman. » Le pronom personnel « on », à valeur indéfinie, semble attester de la célébrité de Yacouba, dont Birahima est manifestement persuadé. Le pronom contribue à l’éloge du tentateur. La répétition de « là- bas » montre combien le discours de Yacouba a été efficace, puisqu’il a fait du Libéria l’objet d’une obsession désirable pour Birahima. « Un grigriman est un grand quelqu’un de là- bas. » Le verbe « être » au présent de vérité générale fait de cette phrase une définition. (Les définitions sont récurrentes dans ce roman, où le narrateur s’appuie sur quatre dictionnaires et s’efforce de présenter sa vie de façon intelligible à un public occidental.) Le jeu sur les langues est ici manifeste. La parole de l’enfant est mise en relief. 4 La multiplication des pains est le nom donné à deux miracles réalisés par Jésus de Nazareth selon les textes des évangiles. Évangile de Jésus-Christ selon saint Matthieu, chapitre 14, versets 14 à 21 : « Quand il sortit de la barque, il vit une grande foule, et fut ému de compassion pour elle, et il guérit les malades. Le soir étant venu, les disciples s’approchèrent de lui, et dirent : Ce lieu est désert, et l’heure est déjà avancée; renvoie la foule, afin qu’elle aille dans les villages, pour s’acheter des vivres. Jésus leur répondit : Ils n’ont pas besoin de s’en aller ; donnez-leur vous- mêmes à manger. Mais ils lui dirent : Nous n’avons ici que cinq pains et deux poissons. Et il dit : Apportez-les-moi. Il fit asseoir la foule sur l’herbe, prit les cinq pains et les deux poissons, et, levant les yeux vers le ciel, il rendit grâces. Puis, il rompit les pains et les donna aux disciples, qui les distribuèrent à la foule. Tous mangèrent et furent rassasiés, et l’on emporta douze paniers pleins des morceaux qui restaient. Ceux qui avaient mangé étaient environ cinq mille hommes, sans les femmes et les enfants. » 7 La périphrase méliorative « un grand quelqu’un » est vague et renvoie au langage de l’enfance par sa construction inhabituelle. Elle souligne le regard de l’enfant et son admiration pour Yacouba. « Pour m’encourager à partir, il m’a appris des tas d’autres choses sur le Liberia. » Le complément circonstanciel de but apparaît comme un euphémisme : il ne s’agit pas d’encourager l’enfant à partir mais de le manipuler pour l’enrôler. L’euphémisme révèle la naïveté de l’enfant, conquis par le discours. La manipulation est patente. L’expression « des tas d’autres choses » est familière et se caractérise par son approximation. Le récit rapporté par Birahima ne conserve que l’envie de partir. On devine également que l’argumentaire de Yacouba est imprécis au sujet de ce qui attend Birahima. L’enfant apparaît comme la victime d’un tentateur malhonnête. « Des choses merveilleuses. » Cette phrase nominale reprend l’expression floue précédente et la complète avec un adjectif mélioratif. La fascination de l’enfant pour le discours de Yacouba est ainsi soulignée. L’adjectif « merveilleux », comme « fantastique » à la ligne 2, renvoie au surnaturel. Cela accentue le fait que Yacouba ment à Birahima : il lui présente un conte de fées, bien loin de la réalité. « Faforo (sexe de mon papa) ! » L’exclamation témoigne de l’enthousiasme de Birahima. La parenthèse de traduction a un effet comique car elle mêle la vulgarité et l’expression enfantine et naïve. Ainsi, le discours manipulateur de Yacouba est relaté à travers les propos naïfs et enthousiastes de Birahima. Ce récit ne s’embarrasse pas de détails et seule en ressort l’admiration de Birahima pour Yacouba. 10 « Ils avaient des chaussures, des galons, des radios, des casquettes, et même des voitures qu’on appelle aussi des 4 × 4. » Mais le fait que l’accumulation débute par la mention des chaussures Marque le dénuement de Birahima. On entend là la voix de l’auteur derrière celle de l’enfant, pour que l’on soit touché par la situation terrible des enfants soldats. « inventés par un Russe », « dollars américains » Les deux grands puissances de la guerre froide (qui se termine au moment de la guerre civile libérienne) sont mentionnées. On peut se demander s’il ne s’agit pas de laisser entendre que « la guerre tribale » s’inscrit dans un système géopolitique plus large, et que les États occidentaux sont presque complices des horreurs qui ont été perpétrées au Liberia. Dans la bouche de Birahima, embrigadé par Yacouba, l’enfant soldat incarne la richesse et puissance et le Liberia apparaît comme un pays de Cocagne. Ainsi, le discours réalise une alchimie, transformant la boue du réel en un rêve de bonheur. Troisième mouvement : de « J’ai crié Walahé ! » à la fin (l.13 à 16) : l’énergie de l’impatience : l’euphorie de l’enfant « J’ai crié́ Walahé ! Walahé ! » La répétition de l’exclamation indique l’enthousiasme de l’enfant, et donc la force de persuasion du discours tentateur de Yacouba. Cette exclamation est une prière, qui peut évoquer le vœu qu’un pacte exaucerait. Dans ce mouvement, la brièveté des phrases, parfois nominales, illustre l’impatience de Birahima. « Vite et vite. » La phrase est uniquement constituée de la répétition de l’adverbe. Elle accentue donc la fébrilité de l’enfant, pressé de partir vers le rêve de fortune et de grandeur que représente pour lui le Liberia. « Je voulais devenir un enfant-soldat, un small- soldier. Un enfant-soldat ou un soldat-enfant, c’est kif-kif pareil. Je n’avais que le mot small-soldier à la bouche. Dans mon lit, quand je faisais caca ou pipi, je criais seul small- soldier, enfant-soldat, soldat-enfant ! » Le texte est saturé des occurrences de l’expression small soldier ou de ses traductions. Ainsi, l’impatience de l’enfant se transforme en obsession. Or l’expression répétée devrait être un oxymore, puisqu’elle mêle l’innocence de l’enfance et l’horreur de la guerre. L’obsession de l’enfant révèle son aveuglement, le présente comme la victime d’un pacte odieux. 11 « Un enfant-soldat ou un soldat-enfant » « enfant-soldat, soldat- enfant » Le chiasme accentue le choc que peut créer le rapprochement des deux mots, du monde de l’enfance et celui de la violence. « c’est kif-kif pareil » Le pléonasme, qui suggère un manque de maîtrise de la langue, souligne la jeunesse de Birahima. Le décalage entre la naïveté de l’enfant et la réalité de ce qui l’attend est prégnant. « Dans mon lit, quand je faisais caca ou pipi » Le complément de lieu et le complément de temps rappellent le caractère obsessionnel du désir de Birahima. (La manipulation de Yacouba le conduit à penser au départ du matin au soir.) Les mots small soldier sont à la fois une incantation et une berceuse. Par ailleurs, l’emploi des expressions familières enfantines (en rupture avec son désir de puissance et de virilité prcédent) insiste sur la jeunesse du narrateur. Il paraît d’autant plus vulnérable. Éléments pour la conclusion : Plusieurs voix s’entremêlent : celle du manipulateur, celle de l’enfant et celle de l’auteur qui argumente à travers eux. Derrière l’enthousiasme de l’enfant, le lecteur n’a pas de mal à découvrir la manipulation opérée par Yacouba. Ce dernier devient une figure diabolique, qui propose un pacte terrible à sa victime. Or Birahima raconte les horreurs de la guerre civile avec un regard détaché et naïf. Aussi le comique et le tragique se mêlent-ils : l’innocence de l’enfant relatant une violence inouïe renforce l’horreur de sa situation. Yacouba a créé un rêve de richesse et de puissance et l’énergie de l’enfant, dissipée dans une euphorie inconsciente, le pousse vers une violence destructrice7. 7 Il s’agit d’une destruction morale (plus que psychologique). Birahima sortira sauf de la guerre civile. Cependant, il aura participé, sans s’en émouvoir outre mesure, à des actes d’une inquiétante immoralité et d’une rare violence.
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