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bac de français pour l’examine anticiper de français, Dissertation de Français

le document est un élément de corrigé de bac anticipée de francais

Typologie: Dissertation

2022/2023

Téléchargé le 18/03/2023

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Télécharge bac de français pour l’examine anticiper de français et plus Dissertation au format PDF de Français sur Docsity uniquement! 21-FRGEME1BISC Page 1 / 32 BACCALAURÉAT GÉNÉRAL SESSION 2021 FRANÇAIS ÉPREUVE ANTICIPÉE CORRIGE 21-FRGEME1BISC Page 2 / 32 Éléments de réponse Commentaire PRÉAMBULE Ce document présente une lecture littéraire du texte proposé. Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs. Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire. A sa manière et à son niveau, un candidat de 1ère abordera sans doute et développera quelques- uns de ces éléments. S’il proposait d’autres pistes d’interprétation, s’il adoptait un angle de lecture que ce document ne présente pas, il conviendrait bien entendu de les examiner dans un esprit d’ouverture et en toute bienveillance. La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant : -d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (un devoir organisé autour d’un projet de lecture cohérent, rédigé dans une langue correcte ; une démarche interprétative étayée par des analyses précises) -d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du candidat (la finesse et la pertinence des analyses et des interprétations ; un devoir qui mènerait progressivement à une démonstration aboutie ; la mobilisation de connaissances personnelles au service d’une lecture sensible du texte). ***** Plusieurs pistes de lecture sont envisageables : le candidat peut mettre en évidence l’insistance du poète à opposer le passé et le présent ; il peut aussi s’attacher à la célébration originale de cette gare alors même qu’elle semble inutile. Un parcours qui envisagerait le caractère pictural, sensible, du poème, serait évidemment bienvenu. Nous proposons ici de développer l’idée que ce poème met en place une véritable transfiguration du monde ; il nous offre en effet tout à la fois le tableau d’une « ancienne gare » désormais hors du temps des hommes, et celui d’un monde dicté par une autre nécessité, celle de la nature qui reprend ses droits.  Une gare à la retraite  Une gare à l’abandon : - Le titre d’abord nous invite à considérer un lieu privé de sa fonction initiale : c’est le sens qu’on peut déceler dans la polysémie de l’adjectif « ancienne » qui signifie tout à la fois « vieux » et « qui n’exerce plus sa fonction ». En outre, les deux premiers vers du poème exposent brièvement, en une introduction succincte – dans une phrase non verbale – l’histoire professionnelle du lieu, depuis son activité « cosmopolite » à sa retraite ; la dernière expression du ternaire (vers 2) rend pleinement compte du nouvel état de la gare : « retirée des affaires », elle goûte un repos bien mérité. 21-FRGEME1BISC Page 5 / 32 seulement à l’âge et aux matériaux de construction de la gare, mais suggère une femme âgée, quoiqu’encore éclatante ; la marquise est un élément architectural, mais il évoque une image féminine que les vers suivants concourent à confirmer : la gare « étend » son quai, comme on étend son linge « au soleil des collines », elle « repose » et « goûte », elle est chatouillée par le vent et conserve la mémoire de la « caresse » des trains et de ses nombreux « visiteur[s] ». Les express participent aussi de cette humanisation, avec leur « robe d’air tourbillonnant ». - Le ton lyrique et élégiaque domine tout le poème, d’abord grâce aux apostrophes nobles qui le ponctuent, aux vers 1, 12, 14 et 25. Plus encore, les apostrophes des vers 12 et 14 entrent en résonance musicale en jouant sur un chiasme sonore : « ô gare / gare ô ». Le poème exprime une douce mélancolie qui n’est pas sans évoquer la tranquillité de la mort : la gare est étendue (v.6) et « repose » en « paix » au soleil. Quelques échos rimbaldiens se font entendre, empruntés au Dormeur du Val, dans la tournure négative « ne te caresse plus » ( « ne font plus frissonner sa poitrine »), dans la mise en relief de l’adjectif « tranquille » ou dans le paysage « bucolique » : la gare aussi, avec son « soleil des collines » baignant l’herbe de la pelouse est peut-être « Pâle dans son lit vert où la lumière pleut ». Le poème touche enfin à la sérénité dans les deux derniers vers, avec l’expression d’une harmonie « enfin » atteinte : plus rien ne vient troubler la gare, plus aucun « air tourbillonnant » ni aucun « ébranlement » ; à la place un état « tranquille » – l’adjectif pouvant là encore s’appliquer à un inanimé ou à un animé – et une paix savourée (« tu goûtes les saisons »). La gare devient l’image et l’âme, le « cœur », de cette France rurale et paisible, dont le nom sonne deux fois grâce à l’allitération « frais / France ». Cette harmonie ultime à laquelle accède la gare est celle que lui confère la nature.  Le poème dépeint en un double mouvement de resserrement et d’élargissement une gare désaffectée qui, en se coupant du temps des hommes, s’ouvre au temps universel de la nature. - La nature imprime à la gare le rythme de la Terre : elle n’est plus régie par les « retours » des voyageurs, mais par les « saisons/qui reviennent » et la baignent de « brise » ou du « soleil » ; elle s’éveille aux « miracles du matin ». - L’atmosphère « bucolique » est perceptible tout au long du poème, dans la tendreté ou la clarté des couleurs par exemple, « rose » et « rouges », ou dans l’évocation d’une lumière encore douce : le « soleil des collines » est un soleil encore matutinal, avant la chaleur intense de l’été. Par le travail sur la lumière, et les touches colorées dispersées au fil du poème, cette évocation fait penser à la peinture impressionniste dans la mesure où elle s’intéresse à la fois aux objets de la modernité et aux effets de la lumière sur le paysage. (« Nos artistes doivent trouver la poésie des gares, comme leurs pères ont trouvé celle des forêts et des fleuves. » Zola, Commentaire de la troisième exposition impressionniste, 1877.) - La nature envahit paisiblement la gare, l’absorbe et la transfigure. Ce mouvement se repère par exemple quand on observe le jeu des vers 6 à 9 : le poète évoque le « soleil des collines », puis le quai vide, le quai silencieux ; enfin, il revient au « bord d’une prairie » : la nature envahit cet espace que la désaffection lui rend. Les pierres ne connaissent plus que les « lézards » et les rails se perdent dans « l’herbe » que vient chatouiller le vent. 21-FRGEME1BISC Page 6 / 32 Plutôt qu’une image de mort, il serait plus judicieux de voir dans cette évocation de la gare de Cahors la glorification d’un temps cosmique. La découverte du monde est appréhendée comme une révélation quasi mystique, chaque matin constituant un « miracle » par sa beauté. Le poème est donc une double célébration, de la gare et du monde. 21-FRGEME1BISC Page 7 / 32 Éléments de réponse Dissertation PRÉAMBULE En réponse au sujet proposé, ce document présente un ensemble d’éléments et d’analyses, dans un développement organisé. Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs, qui auront pu choisir d’étudier avec leurs élèves une autre œuvre du programme. Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire. A sa manière et à son niveau, un candidat de 1ère abordera sans doute et développera quelques- uns de ces éléments. La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant : -d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (une réflexion organisée et rédigée dans une langue correcte, en réponse à la question posée, fondée sur la connaissance de l’œuvre éclairée par le parcours associé). -d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du candidat (une finesse d’analyse ; une réflexion particulièrement nuancée ; la mobilisation pertinente d’une culture littéraire solide). [Entre crochets figurent quelques références et analyses témoignant d’un travail qui aurait pu être conduit en classe dans le cadre du parcours associé. Par définition, ces exemples précis ne peuvent évidemment être considérés comme attendus ; ils cherchent seulement à illustrer l’un des ressorts de l’exercice : la réponse au sujet de dissertation s’enrichit bien du travail connexe qui aura été mené autour de l’œuvre inscrite au programme, notamment dans le cadre du parcours associé.] Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle Sujet A Œuvre : Molière, Le Malade imaginaire Parcours : spectacle et comédie. La comédie Le Malade imaginaire est-elle un spectacle de pure fantaisie ? Vous répondrez à cette question dans un développement organisé en vous appuyant sur la pièce de Molière, sur les textes que vous avez étudiés dans le cadre du parcours associé et sur votre culture personnelle. 21-FRGEME1BISC Page 10 / 32 Dans Le Malade imaginaire, les « coutures » sont souvent visibles : seul l’opéra impromptu entre Cléante et Angélique et le ballet final sont véritablement intégrés à l’action principale ; le premier intermède y est faiblement rattaché parce que Polichinelle est présenté comme l’amoureux de Toinette, le second est une rencontre de hasard de Béralde. Même dans l’action de la comédie, trois fils se mêlent : l’acte I est celui où se résout presque tout de suite la question du mariage entre Angélique et Cléante, avec la déroute des Diafoirus ; Béralde tente en vain dans l’acte II de ramener Argan à la raison, l’acte III revient sur la comédie de Béline. Certaines scènes se succèdent à la manière de numéros comiques prévus par Molière en fonction des points forts des comédiens de sa troupe, telle la scène répétitive du poumon jouée par Madeleine Béjart. L’écriture de la pièce suit une dramaturgie du lazzo inspirée par les Italiens auprès desquels jouait Molière au théâtre du Marais : il travaille aussi en improvisation avec sa troupe et écrit tout en répétant, comme le montre L’Impromptu de Versailles. [La fusion entre la comédie et la musique est beaucoup plus nette dans Le Bourgeois gentilhomme ou George Dandin. La composition est en revanche plus lâche et fantaisiste dans Les Fâcheux ou Monsieur de Pourceaugnac, qui fonctionnent sur l’arrivée successive des fâcheux.]  La fantaisie se mêle pourtant à la vérité.  La maladie imaginaire ou la peur bien réelle de la mort. Le rire et la fantaisie comique permettent d’aborder un sujet extrêmement angoissant : la misère de l’homme devant la maladie et la mort. Le titre de la pièce révèle une mutation profonde des modèles des comédies espagnoles et italiennes dont s’inspire Molière : il renverse la hiérarchie entre le couple des deux jeunes amants et le personnage obstacle, lequel occupe désormais le premier plan : s’il ne joue aucun rôle moteur dans une action qu’il chercherait à empêcher, il incarne en revanche un vice moral. Cette misère d’Argan est visible dès la scène d’exposition, qui prend la forme d’un monologue, ce qui est exceptionnel dans les pièces de Molière. Argan raisonne et calcule avec justesse, négocie ses paiements, mais il est aveuglé par sa marotte, la hantise de la maladie. Or un malade est toujours seul. Même entouré, il aura toujours le sentiment que personne ne comprend son mal. Argan manifeste ainsi un égoïsme absolu, voire un narcissisme complaisant : il s’aime malade et à travers la maladie (qui lui permet d’exercer un chantage à la mort : « mamour, cette coquine-là me fera mourir […] elle est cause de toute la bile que je fais […] et il y a je ne sais combien de temps que je vous dis de me la chasser » acte I scène 6), et il exprime un désir pathologique de bien-être, jusque dans une régression infantile que satisfait Béline en le nommant « mon fils », « mon petit fils », « mon pauvre petit mari ». Le jeu de Michel Bouquet fait particulièrement ressortir ce besoin, dans la mise en scène de Georges Werler. Celle de Philippe Adrien (2003), qui fait jouer les rôles d’Argan et de Béline par des comédiens aveugles et Toinette par une comédienne sourde, explore le monde intérieur du protagoniste, son imaginaire, et projette sur scène la manière dont Argan voit le monde à travers sa maladie. Le ridicule d’Argan, exagéré et caricatural, permet de tendre un miroir au spectateur et de lui révéler une vérité, qui apparaît alors avec une lumineuse évidence : l’extravagance et 21-FRGEME1BISC Page 11 / 32 l’outrance sont paradoxalement la forme spécifiquement comique de la vraisemblance, il y a bien une part de vérité dans la grimace difforme. [La peur de la mort, omniprésente au XVIIe siècle, s’exprime au travers des vanités ou des poèmes baroques qui développent le thème du memento mori, chez Jean-Baptiste Chassignet par exemple. La poétique du ridicule, qui marie la comédie-miroir héritée de Térence et la comédie bouffonne de Plaute, et qui propose un « speculum vitae » vrai parce que déformé, un rire de vraisemblance, se lit dans les titres et sous-titres des comédies moliéresques qui mettent en exergue un défaut : L’Avare, Le Cocu imaginaire, Le Misanthrope ou l’atrabilaire amoureux.]  La puissance de l’imagination aux dépens de la raison. Les médicaments et potions qu’Argan additionne sont la seule trace tangible de sa maladie, ils signalent objectivement sa véritable hallucination. Il est malade parce qu’il se croit tel, tant sont grands les pouvoirs de l’imagination sur le corps. La pièce exhibe sur scène les rapports trompeurs de l’esprit et du corps. Victime de sa marotte, Argan souffre d’une mélancolie qui à la fois monte de son entre (d’où les innombrables remèdes laxatifs de M.Purgon) et descend de son esprit. Face à son frère, Béralde, exemple de ces personnages raisonneurs que Molière introduit dans ses pièces, tente en vain d’argumenter. Dans la scène 3 de l’acte III, Argan ne comprend ni l’ironie (« Il savent la plupart de fort belles humanités, savent parler en beau latin, savent nommer en grec toutes les maladies, les définir et les diviser ; mais pour ce qui est de les guérir, c’est ce qu’ils ne savent point du tout »), ni la démonstration, héritée de Montaigne, que les médecins vivent surtout de la faiblesse humaine (« c’est une marque de la faiblesse humaine, et non pas de la vérité de leur art »). Cette puissance de l’imagination est souvent révélée dans les mises en scène par des accessoires démesurés qu’utilisent les médecins pour impressionner l’imagination, comme par exemple l’espèce d’énorme tuyau- stéthoscope de Toinette dans la mise en scène de Claude Stratz. [Les illusions qui abusent la raison humaine font l’objet d’une traque chez les moralistes et les philosophes du XVIIe siècle : l’amour propre pour La Rochefoucauld, les puissances trompeuses de Pascal, l’illusion des sens chez Descartes… Racine lui aussi analyse, sur le mode tragique, les effets de l’esprit sur le corps, à travers le personnage de Phèdre par exemple : « Je le vis, je rougis, je pâlis à sa vue ». À côté des personnages à marotte victimes d’une angoisse qui envahit tout leur être – Arnolphe, Harpagon –, on trouve dans le théâtre de Molière les personnages à chimère comme M.Jourdain, c’est-à-dire des personnages qui fabulent sur la possession d’un bien et vivent dans une agréable euphorie.]  L’exploitation des crédules par les habiles. Tandis que Béralde et Toinette luttent pour détromper Argan, Béline et les médecins préfèrent pour leur part exploiter habilement sa faiblesse. S’il n’est pas certain de pouvoir guérir Argan et tous les malades imaginaires de leur prison, Molière s’attache néanmoins à dénoncer les charlatans qui prospèrent sur « l’erreur populaire dont ils profitent » (acte III scène 3). Il poursuit dans Le Malade imaginaire le combat qu’il mène depuis Tartuffe contre les imposteurs. Les médecins présentent de nombreux points communs avec les faux dévots : ils parlent le latin et s’expriment dans un jargon spécialisé qui n’est pas compréhensible par l’honnête homme (« toute l’excellence de leur art consiste en un 21-FRGEME1BISC Page 12 / 32 pompeux galimatias, en un spécieux babil, qui vous donne des mots pour des raisons, et des promesses pour des effets » acte III scène 3) ; vêtus ostensiblement de noir, ils passent leur temps dans des conversations métaphysiques sans se soucier réellement des faits ni de démonstration rationnelle (« un homme qui croit à ses règles plus qu’à toutes les démonstrations des mathématiques ») ; et enfin, les médecins comme les religieux fanatiques sont prêts à sacrifier les autres à leur croyance (« c’est de la meilleure foi du monde qu’il vous expédiera, et il ne fera, en vous tuant, que ce qu’il a fait à sa femme et à ses enfants, et ce qu’en un besoin il ferait à lui-même » acte III scène 3). Sous le voile prudent de la satire médicale, Molière reprend en réalité les idées développées par les libertins contre la religion. Argan croit d’ailleurs en la médecine comme un fidèle (« vous ne croyez donc point à la médecine ? » demande-t-il à Béralde, acte III scène 3), il suit les prescriptions comme des rites conjuratoires. Les médecins de leur côté se comportent comme des prêtres intransigeants : le soupçon d’apostasie entraîne une sorte d’excommunication médicale insensible aux appels à la pitié d’Argan dans la scène 5 de l’acte III (« que vous tombiez dans la bradypepsie » etc). [Argan peut être comparé à Orgon dans Tartuffe, prêt comme lui à sacrifier sa fille et sa fortune pour assurer son salut. Les arguments de Béralde le rapprochent de Don Juan, « impie en médecine » quand Sganarelle déguisé en médecin entreprend de défendre les « miracles » et « l’effet merveilleux » de l’émétique ou du séné, acte III scène 1. Ils sont aussi très semblables aux idées développées par Cyrano de Bergerac dans la lettre XVII des Lettres satiriques, « Contre les médecins », 1654. Enfin, il est possible de faire un parallèle entre les médecins d’Argan et Knock.]  L’éloge de la fantaisie : les pouvoirs du théâtre  Argan sur la voie de la guérison par la fantaisie du jeu. La pièce propose une réflexion sur le pouvoir de l’illusion : le motif théâtral est omniprésent, sous la forme des spectacles ou des déguisements (Cléante acte II, Toinette acte III scène 8). Or la feinte permet de faire triompher le vrai et le juste : Toinette déguisée en médecin réussit à provoquer pour la première fois la rébellion d’Argan contre une prescription médicale. La comédie de la mort que Toinette invite Argan à jouer dans l’acte III, et qui fait suite à celle de Louison dans la scène 8 de l’acte II, marque d’autres évolutions : Argan laisse enfin cours à sa bonté naturelle face à sa fille ; le fait de jouer la comédie de sa propre mort lui permet d’apprivoiser ses angoisses, perce à jour les imposteurs et rétablit l’unité familiale. La feinte fait advenir la vérité des cœurs, comme cela avait déjà été le cas dans l’opéra impromptu entre Cléante et Angélique. Alors que Toinette et Béralde échouent à raisonner Argan, ils parviennent à leurs fins en se muant en génie du foyer et en enchanteur, en délaissant la démonstration logique pour la démonstration esthétique. La comédie de la mort est une métaphore du jeu théâtral, qui demande de prendre la place d’un autre et de mourir à soi-même. [Cette dramaturgie du vrai-faux s’inscrit dans la continuité du Tartuffe, avec la feinte imaginée par Elmire. Les comédies de Marivaux jouent également du masque, des ruses et stratagèmes pour révéler les sentiments. On peut enfin évoquer le thème du théâtre dans le théâtre qui permet une réflexion sur l’illusion comique.] 21-FRGEME1BISC Page 15 / 32 L’intrigue traditionnelle de la comédie française, héritée de l’antiquité, repose sur le stratagème du valet : afin de lutter contre un barbon, le serviteur rusé déploie un plan malicieux qui permet aux jeunes amoureux de se marier. Tout cela se déroule sous les yeux d’un public complice qui se rit du tour joué au ridicule vieillard. Dans Les Fausses Confidences, l’obstacle au bonheur de Dorante et Araminte n’est autre qu’eux-mêmes. Le beau jeune homme est ruiné, et ne peut donc se permettre de faire la cour à Araminte, jeune veuve d’une richesse confortable. Cette jeune femme, raisonnable et fière, ne se permettrait pas d’envisager une relation avec celui qu’elle vient d’engager comme intendant. C'est l'ancien valet de Dorante, l'habile Dubois, qui va le faire employer chez sa nouvelle maîtresse et lui dicter le plan à suivre pour faire leur bonheur, et ainsi permettre à cet amour de pouvoir éclater au grand jour. Cette ruse centrale se déploie en plusieurs étapes et se mêle aux manœuvres d’autres personnages qui poursuivent leur propre intérêt. Le sujet interroge le rôle de ces stratagèmes dans la pièce de Marivaux. La restriction de la question invite, naturellement, à développer puis dépasser la thèse d’une fonction purement comique. Le terme « ressort » ouvre à l’interprétation de la ruse comme moteur de l’intrigue : les coups de théâtre provoqués par les mensonges, les tableaux et les lettres poussent Araminte à faire des choix décisifs, à l’encontre des conventions. Marivaux met enfin en scène le jeu et le mensonge pour affirmer leur pouvoir de révélation si bien que l’on peut voir dans le stratagème la mise en abyme du théâtre comme accès à la vérité.  Le stratagème, ancré dans la tradition théâtrale, est un moyen de faire rire les spectateurs. Il les rend complices du malicieux Dubois, provoque des quiproquos et amplifie le ridicule de certains personnages.  Grâce au phénomène de double énonciation, Marivaux place le spectateur dans une complicité avec les personnages qui mentent et exposent leurs manœuvres sur scène. Le plan révélé dès les premières scènes donne au public un regard surplombant qui lui permet de se moquer de la manière dont les personnages sont joués, pris au piège. Depuis l’exposition (I, 2), on sait que Dubois et Dorante vont dissimuler leur connivence. L’amoureux est officiellement introduit comme intendant par son oncle, Monsieur Rémy, le procureur d’Araminte. Il vient assister la jeune femme dans un procès qui l’oppose au comte Dorimont à propos d’une terre et se montre immédiatement honnête et utile. Lors de la scène 14 du premier acte, Dubois va créer les conditions d’une fausse confidence à sa maîtresse en ridiculisant cette présentation du personnage. Dans un double portrait qui tient à la fois de l’éloge hyperbolique et du blâme excessif, il présente son ancien maître Dorante comme un être rusé parvenu à sa place par un « tour d’adresse », comme un être fou emporté par une passion amoureuse déraisonnable. Il recommande vivement à sa maîtresse de congédier son intendant profondément épris d’elle et appuie son discours sur le récit des preuves de l’adoration du jeune homme qui a poursuivi Araminte pendant plusieurs mois. La condamnation outrée de Dubois et son faux emportement font le plaisir du spectateur ; on savoure la confusion de la jeune femme qui cherche de faux prétextes pour retarder le renvoi de Dorante. Le stratagème de Dubois est aussi subtil 21-FRGEME1BISC Page 16 / 32 que ses propos sont emphatiques : ces amplifications et leur effet provoquent assurément le rire du spectateur complice. On pourrait aussi songer, plus légèrement, à la scène 8 du premier acte dans laquelle Arlequin feint d’être peiné de ne plus être au service d’Araminte pour gagner son estime et être choyé. [Les candidats feront peut-être le lien avec d’autres scènes de ruses déployées sous les yeux complices des spectateurs, par exemple la scène 7 du deuxième acte des Fourberies de Scapin de Molière dans laquelle le valet prétend que le fils de Géronte a été capturé et qu’il est retenu contre rançon dans une galère. L’excès du comportement et du discours de Scapin fait écho au récit de Dubois.]  Le stratagème crée des situations comiques, des quiproquos, lorsque les mensonges et tromperies se croisent. Comme la passion de Dorante est secrète au début de la pièce, cela laisse la place à une intrigue parallèle menée par M. Rémy. L’oncle du jeune homme, soucieux de faire son bonheur, souhaiterait le marier à la jolie Marton, suivante d’Araminte. Ainsi, il précipite par un petit mensonge, les sentiments de la jeune femme, qui, abusée et flattée, n’aura de cesse de croire qu’elle est l’objet de la passion de Dorante. Cette situation permet le quiproquo du début du deuxième acte lorsque Dorante refuse un mariage financièrement avantageux (moins que celui qu’il projette avec Araminte cependant). Monsieur Rémy et Marton pensent qu’il agit ainsi par amour pour la jeune suivante. L’agacement de l’oncle et l’orgueil de la jeune femme invitent à la raillerie. De même, on ne peut s’empêcher de s’amuser de la surprise de Marton, persuadée que le portrait contenu dans la boîte la représente, lorsqu’elle découvre qu’il s’agit de celui sa maîtresse. « MARTON. Eh bien, madame, voilà bien du bruit ! c’est mon portrait. LE COMTE . Votre portrait ? MARTON. Oui, le mien. Eh ! pourquoi non, s’il vous plaît ? il ne faut pas tant se récrier. MADAME ARGANTE. Je suis assez comme monsieur le comte ; la chose me paraît singulière. MARTON. Ma foi, madame, sans vanité, on en peint tous les jours, et de plus huppées, qui ne me valent pas. […] MARTON. Je n’ai pas encore ouvert la boîte, mais c’est moi que vous y allez voir. (Araminte l’ouvre, tous regardent.) LE COMTE. Eh ! je m’en doutais bien, c’est madame. » (II, 9) L’assurance et la fierté de la jeune fille s’effondrent en un instant lorsque la boîte s’ouvre sur le portrait d’Araminte et la brutalité de cette découverte incite à la fois à la pitié et au rire. Le stratagème de Rémy qui a fait croire en cet amour, et celui de Dubois qui a provoqué le mystère autour du portrait, provoquent ensemble un coup de théâtre comique, stratagème du dramaturge qui entrecroise habilement ces péripéties pour créer cette situation. [On pense à d’autres scènes de quiproquo chez Molière comme celle de L’Avare (V, 3) qui provoque l’aveu de Valère et la colère d’Harpagon, ou celle de L’école des femmes (II, 5) qui provoque la déception d’Agnès, réjouie à l’idée d’épouser Horace et non Arnolphe. On constate dans ces deux scènes le même mouvement : d’abord, le ridicule du personnage qui se trompe, puis la réaction violente et risible lorsque la méprise est levée.] 21-FRGEME1BISC Page 17 / 32  Le stratagème fait entrer les personnages dans un état de crise qui révèle leur personnalité et les ridicules de leur caractère. Les accessoires, tout particulièrement, ménagent des scènes qui révèlent progressivement les sentiments de Dorante au grand dam d’Araminte qui ne peut plus retarder la décision de le congédier ou de l’épouser. Dubois fait en sorte qu’une lettre, qu’il a demandée à Dorante d’écrire, soit interceptée par Marton. La lecture de ce courrier en présence de tous les personnages (hormis Arlequin) provoque des réactions vives, notamment chez Madame Argante qui commente chaque expression avec arrogance. Loin d’imaginer que sa fille pourrait préférer un pauvre roturier au comte Dorimont, elle ironise sur les propos de Dorante, et révèle ainsi son orgueil et son mépris pour les qualités humaines de l’honnête intendant qui exprime le regret de ne pouvoir rester auprès de celle qu’il aime. « LE COMTE lit. « Non pas à cause de la médiocrité de ma fortune, sorte de mépris dont je n’oserais la croire capable… » MADAME ARGANTE. Eh ! pourquoi non ? LE COMTE lit. « Mais seulement du peu que je vaux auprès d’elle, tout honoré que je suis de l’estime de tant d’honnêtes gens. » MADAME ARGANTE. Et en vertu de quoi l’estiment-ils tant ? » (III, 8) Le public, tout acquis à la cause de Dorante, ne peut que se réjouir du comportement caricatural d’une vaniteuse aigrie qui expose sa prétention avec une grossièreté éhontée. Cette réaction excessive, permise par la prise de distance à la lecture de la lettre, semble d’autant plus déplacée qu’elle se fait en présence de Dorante ; cela poussera Araminte à oser contrarier cette mère si peu soucieuse de probité et si peu sensible à l’élégance de la lettre du jeune homme. La dernière réplique de Madame Argante ravira également le spectateur qui ne peut que s’amuser de son désarroi : « Ah ! la belle chute ! ah ! ce maudit intendant ! Qu’il soit votre mari tant qu’il vous plaira ; mais il ne sera jamais mon gendre. » (III, 13) [Il serait possible de dresser un parallèle entre ce personnage et Monsieur Perrichon qui choisit, lui aussi, pour sa fille, un gendre qui flatte son égo aux dépens du brave Armand qui lui a sauvé la vie. Dans Le Voyage de Monsieur Perrichon de Labiche, Daniel excite la vanité du père ridicule en échafaudant un accident lors duquel Monsieur Perrichon le sauvera à son tour. Le récit héroïque qu’il fera de cet événement n’aura que peu d’effet sur les sentiments d’Henriette, plus touchée par l’honnêteté d’Armand.]  Le stratagème a aussi une fonction dramatique ; il permet la progression de la comédie vers son dénouement. Il fait avancer l’intrigue, permet le portrait des mœurs françaises et la correction morale.  Le titre pluriel Les Fausses Confidences pose d’emblée le stratagème au cœur de l’intrigue. La succession des mensonges et des manigances va ménager différentes péripéties dans un climat d’attente ou de tension. M. Rémy prétend que Dorante aime Marton ; Mme Argante s’appuie sur la menace du procès et promet une belle somme à Marton pour favoriser le mariage de sa fille avec le comte Dorimont ; Dubois manipule à la fois Arlequin et Marton pour provoquer des révélations qui bouleversent la pauvre Araminte malgré ses demandes répétées de tenir secrète la passion de Dorante. Araminte, à son tour, finit par tromper 21-FRGEME1BISC Page 20 / 32 C’est tout le jeu de la séduction française, si bien transcrit par Marivaux, qui est approuvé, et plus encore, c’est le théâtre qui se voit ici couronné. Le subterfuge permet à la fois l’éclat de la vérité et le plaisir de ceux qui en ont été l’objet : le stratagème théâtral de la représentation est un moyen d’accéder au réel, de percevoir le monde et de comprendre les hommes. [De même, dans Le Barbier de Séville de Beaumarchais, Rosine pardonne et se remet de la surprise provoquée par la révélation de la véritable identité du comte Almaviva qu’elle prenait pour un pauvre bachelier du nom de Lindor. La jeune femme a perdu connaissance mais Figaro le rassure : « Point d'inquiétude, Monseigneur : la douce émotion de la joie n'a jamais de suites fâcheuses ». Il semble ici exprimer la loi du dénouement comique.]  Chez Marivaux, le stratagème est le moyen de rénover le genre en annonçant la comédie de sentiments. L’obstacle à l’amour n’est en effet constitué que par la pudeur et la fierté de la jeune Araminte. Le spectacle donné par Marivaux est celui des sentiments qui naissent et se révèlent à elle, avant de s’imposer à tous. La pièce ne tombe cependant pas dans les faiblesses du drame, car l’intrigue y est énergique et concentrée grâce aux stratagèmes ; l’auteur ne renonce pas à la comédie pour apporter de l’émotion. L’intérêt de la jeune veuve pour Dorante est durement mis à l’épreuve pour évoluer en passion : la contrariété, la jalousie, la vanité sont aiguillonnées par les diverses ruses. L’entrecroisement de tous ces stratagèmes permet dans le dénouement l’expression d’un aveu touchant par sa candeur : « ARAMINTE. Vous donner mon portrait ! songez-vous que ce serait avouer que je vous aime ? DORANTE. Que vous m’aimez, madame ! Quelle idée ! qui pourrait se l’imaginer ? ARAMINTE, d’un ton vif et naïf. Et voilà pourtant ce qui m’arrive. » (III, 12) Le marivaudage s’entend aussi dans l’amour contrarié de Dorante, mis à l’épreuve par Araminte lors de la rédaction d’une lettre qui annonce au comte Dorimont l’assurance de leur mariage (II, 13). On y voit Dorante inquiet, ému, rêveur, distrait, éprouvé. Sans le soutien de Dubois qui lui dicte son rôle, il souffre et manifeste enfin son profond amour pour Araminte, ravie de la réussite de son plan. [Cet obstacle est bien fréquent dans les pièces de Marivaux et l’on pourrait faire le lien avec plusieurs de ses comédies. Dans La seconde surprise de l’amour par exemple, la marquise qui s’emploie à rendre le chevalier amoureux ne peut plus nier sa propre inclination alors qu’elle apparaissait comme une veuve inconsolable dans la première scène.]  La comédie de Marivaux est donc un stratagème du dramaturge pour nous révéler les subtilités du cœur humain. Fin lecteur des psychologies féminine et masculine, le dramaturge nous expose les émotions et les comportements qui sont les nôtres. Les pièges tendus et le jeu théâtral poussent les personnages dans des attitudes caricaturales qui permettent au spectateur de prendre de la distance avec la représentation. Ce recul est même renforcé par l’ambiguïté du projet initial. Lorsque Dubois cherche à faire la « fortune » de son ancien maître, ne s’agit-il que de son bonheur ? Ne faut-il pas aussi considérer la dimension financière ? Les fausses confidences du valet reposent essentiellement sur la vérité des sentiments de Dorante, mais ses propos sont si excessifs que l’on ne peut retenir une méfiance bien naturelle. Il s’emporte tant, à la fin de la pièce, qu’il effraie Dorante : « point de quartier. Il faut l’achever pendant qu’elle est étourdie. […] il faut qu’elle nous épouse. ». 21-FRGEME1BISC Page 21 / 32 Grâce à l’attitude de celui qui tire les ficelles, Marivaux nous incite à chercher les preuves de la sincérité de Dorante et à discuter la décision d’Araminte. Lorsque le rideau se ferme, le débat se poursuit en nous et, dans une lente digestion, nous permet de questionner avec subtilité le cœur humain. La pauvre Marton était-elle si indigne de l’amour qu’elle portait à Dorante ? Elle semble pourtant être son double, pauvre, belle, naturellement attirée par lui, elle n’ose espérer lui plaire qu’à cause de M. Rémy. Elle n’aura cependant pas le même succès, et sa désillusion peut provoquer notre compassion. Il y a chez Marivaux une forme de sagacité : son talent est de provoquer en nous une réflexion sans nous donner de solution. Le dénouement semble en effet nous offrir une résolution complète, mais les personnalités sont si subtiles que l’on ne peut s’empêcher d’en débattre. [Il est possible ici de faire le lien avec On ne badine pas avec l’amour de Musset. Les deux jeunes gens n’entrent pas dans le projet de mariage du baron. Perdican, romantique, ne nie pas qu’il apprécie les femmes et refuse de promettre un amour unique à la jeune Camille, élevée au couvent dans la peur de l’infidélité. Ils ne s’avouent donc pas leur sentiment et utilisent la pauvre Rosette pour éveiller la jalousie ou les aveux de l’autre. La déclaration d’amour du dénouement, qui sonne la fin du jeu, n’aura malheureusement pas le même succès que chez Marivaux, puisque la mort de la jeune paysanne dont l’honneur a été mis en pièce sépare définitivement les deux amants. On ne peut s’empêcher de comparer cette jeune femme manipulée à Marton dont la triste situation a été soulignée dans la mise en scène de Didier Bezace qui la laisse seule et silencieuse sur scène avant de faire tomber le rideau, ce qui renvoie à certaines lectures soulignant la cruauté du théâtre de Marivaux.] 21-FRGEME1BISC Page 22 / 32 Éléments de réponse Dissertation PRÉAMBULE En réponse au sujet proposé, ce document présente un ensemble d’éléments et d’analyses, dans un développement organisé. Son objectif est d’accompagner la réflexion des professeurs, qui auront pu choisir d’étudier avec leurs élèves une autre œuvre du programme. Il ne saurait donc, en aucun cas, représenter ce qu’une copie d’élève pourrait produire. A sa manière et à son niveau, un candidat de 1ère abordera sans doute et développera quelques-uns de ces éléments. La commission d’harmonisation académique appréciera la qualité des copies en examinant : -d’une part, ce qui relève des attentes liées à l’exercice (une réflexion organisée et rédigée dans une langue correcte, en réponse à la question posée, fondée sur la connaissance de l’œuvre éclairée par le parcours associé). -d’autre part, tous les éléments qui pourraient valoriser, jusqu’à l’excellence, le travail du candidat (une finesse d’analyse ; une réflexion particulièrement nuancée ; la mobilisation pertinente d’une culture littéraire solide). [Entre crochets figurent quelques références et analyses témoignant d’un travail qui aurait pu être conduit en classe dans le cadre du parcours associé. Par définition, ces exemples précis ne peuvent évidemment être considérés comme attendus ; ils cherchent seulement à illustrer l’un des ressorts de l’exercice : la réponse au sujet de dissertation s’enrichit bien du travail connexe qui aura été mené autour de l’œuvre inscrite au programme, notamment dans le cadre du parcours associé.] Objet d'étude : Le théâtre du XVIIe siècle au XXIe siècle Sujet C Œuvre : Jean-Luc Lagarce, Juste la fin du monde Parcours : crise personnelle, crise familiale. Diriez-vous que la pièce de Jean-Luc Lagarce Juste la fin du monde est un drame intime ? 21-FRGEME1BISC Page 25 / 32 monologue de la scène 5 de la première partie que s’il est revenu dans la maison familiale, c’est d’abord pour tenter d’exorciser la peur de l’oubli, la peur de ne plus être aimé qu’il ressent depuis l’enfance. Le jeune homme semble en effet souffrir d’un déficit affectif qui l’amène à toujours se sentir comme un étranger auprès de sa propre famille et de ceux qui l’entourent : « […] mes parents et tous ceux que j’approche ou qui s’approchèrent de moi, / mon père aussi par le passé, admettons que je m’en souvienne, / ma mère, mon frère là aujourd’hui / et ma sœur encore, / que tout le monde après s’être fait une certaine idée de moi, / un jour ou l’autre ne m’aime plus, ne m’aima plus / et qu’on ne m’aime plus / (ce que je veux dire) / « au bout du compte », / comme par découragement, comme par lassitude de moi, / qu’on m’abandonna toujours car je demande l’abandon. » Le retour dans la maison natale fait donc resurgir un drame intime plus ancien, celui qui, dans le passé, a amené Louis à « fausser compagnie » une première fois à sa famille, celui de son « abandon » initial – comme le dit Suzanne, c’est « là que ça commence ». Les raisons de ce départ demeurent mystérieuses : pourquoi Louis est-il parti pour ne conserver avec les siens qu’une relation épistolaire, fondée seulement sur des « lettres elliptiques » ? Les deux premières scènes de la première partie semblent éviter soigneusement le sujet de la cause du départ. C’est Suzanne qui l’aborde dans la troisième scène, sous le mode du reproche : « Ce n’est pas bien que tu sois parti, parti si longtemps ». Toutefois, la jeune femme avoue tout ignorer des raisons de la fuite de son frère : elle « imagine, mais ne sait rien de la réalité ». Dispute avec le père, mort depuis, à cause de l’homosexualité du fils, laquelle n’est que très vaguement suggérée ? Rejet de son milieu social par Louis devenu écrivain ? Le drame de Louis restera d’autant plus intime que ses raisons ne seront jamais clairement précisées. Dans la scène 3 de la deuxième partie, Antoine évoque pourtant le sentiment de désamour dont a souffert son frère, sentiment auquel les siens n’ont pas su répondre: « les parents en parlaient devant moi comme on ose évoquer un secret dont on devait me rendre également responsable ». De fait, Louis semble s’être longtemps pensé en paria, en mal-aimé. Pour assumer sa différence, il s’est composé un personnage, celui de « l’Homme malheureux », soucieux de « paraître » fort, quitte à devenir un « tricheur », un égoïste ne prenant aucune responsabilité extérieure à sa vie. Le drame intime de Louis est celui d’une solitude qu’il a lui-même édifiée autour de lui comme une cage de verre, d’une forme d’abandon. Ce qu’il réalise en revenant auprès des siens, c’est le caractère radical de sa solitude. La seule compagne qu’il lui reste, c’est la Mort qui le suit comme son ombre : « nous nous plaisons beaucoup. Nous sommes élégants et désinvoltes ». Le personnage prend conscience que sa propre fin ne va pas entraîner « la fin du monde » ; aux yeux des autres, il ne sera plus qu’un « mort », qu’on continuera d’aimer comme avant, ni plus, ni moins. « Désarrimé de sa famille », Louis reste pour l’éternité une figure de la solitude et de l’errance, tel qu’il apparaît dans l’épilogue : « en mouvement, un marcheur, 21-FRGEME1BISC Page 26 / 32 un mort debout, un mort qui marche »4. C’est cet aspect du personnage que la mise en scène de Joël Jouanneau (1999-2000), a choisi de mettre en avant, le montrant « déjà ailleurs, entre ciel et terre, à se débattre avec la mort, l’aimer, la fuir, s’en moquer. »5 [Bien avant l’invention du théâtre intime par Strindberg, de nombreuses pièces de théâtre se sont présentées comme l’expression du drame intime vécu par le personnage principal : on pense par exemple à Phèdre de Racine, où l’héroïne, autre figure de la solitude, affronte sa passion monstrueuse ; dans le Britannicus du même auteur, c’est le drame individuel de Néron qui est mis en scène : ce dernier se trouve à un tournant de son existence : il est, comme l’écrit Racine dans la Préface, un « monstre naissant », et traverse une crise identitaire, tiraillé entre sa mère, Burrhus et Narcisse. On peut encore penser au théâtre de Tchekhov (auteur qui a fortement influencé Lagarce) et plus particulièrement à sa première pièce, Platonov, dans laquelle il dresse le portrait d’un personnage qui, sous des dehors agréables, cache un mal-être, un besoin d’être reconnu par les autres qui vont le conduire à se donner la mort. Plus récemment, dans la pièce de Wajdi Mouawad Incendies, c’est le drame intime de Nawal, également enfoui dans le silence, qui structure l’action dramatique.]  Juste la fin du monde : « micro-drames » intimes. Si Louis garde son secret, reste silencieux, sa présence déclenche la parole. Comme l’a dit Jean-Charles Mouveaux-Mayeur, « Louis est un détonateur »6. Il fait advenir les crises personnelles vécues par les autres membres de sa famille. Durant les scènes de dialogue qui le confrontent à l’un des siens, le jeune homme demeure en retrait, presque mutique, alors que l’autre saisit l’opportunité qui lui est offerte de parler pour laisser s’exprimer sa crise personnelle. Ainsi, plusieurs intimités s’entrechoquent dans la pièce avec celle de Louis, en particulier celles de Suzanne et d’Antoine.  « Micro-drame » de Suzanne. Le premier drame individuel que met au jour la présence de Louis est celui de Suzanne, la « petite sœur ». Celle-ci apparaît dès le début de la pièce comme une jeune femme en colère, tout aussi bouleversée par le départ de son frère que par son mystérieux retour, tiraillée entre sa volonté de le fêter et celle de lui adresser des reproches. On peut revenir ici sur la scène 3 de la première partie, véritable soliloque de Suzanne. La jeune femme y évoque d’abord le sentiment d’abandon qu’elle a ressenti, petite, face à la fuite de son frère aîné. Elle revient ensuite sur les « lettres elliptiques » envoyées par ce dernier au fil de trop longues années d’absence, autant de signes selon elle d’une volonté de ne rien 4 Jean-Pierre Sarrazac, Préface à l’édition de Juste la fin du monde des Solitaires intempestifs. 5 Brigitte Salino, Le Monde, 17 octobre 1999, à propos de la mise en scène de Joël Jouanneau au théâtre de la Colline à Paris. 6 In Les petites tragédies de Jean-Luc Lagarce, sous la direction de Béatrice Jongy. 21-FRGEME1BISC Page 27 / 32 partager avec les siens. Le départ de Louis, et l’infrangible distance qu’il a ensuite instaurée et maintenue avec sa famille, semblent avoir décidé du mode de vie de Suzanne. Devenue adulte, celle-ci, malgré son désir affiché d’émancipation, continue à vivre « dans la maison de La Mère » : « Je ne pars pas, je reste, / je vis où j’ai toujours vécu mais je ne suis pas mal ». À Louis, le nomade, s’oppose ainsi Suzanne, la sédentaire par choix, ou par résignation. Tout se passe comme si la fuite de Louis interdisait à la jeune femme de partir à son tour, comme si, par sa présence auprès de La Mère, elle cherchait à compenser, à panser l’absence de son frère.  « Micro-drame » d’Antoine. Le drame intime de Suzanne fait écho à celui vécu par Antoine, dont la personnalité semble également s’être construite en miroir de celle de son aîné. Lui aussi est « un homme en colère », assigné à résidence par la fuite de son frère. Tout l’oppose à Louis, l’écrivain, l’intellectuel qui a largué les amarres pour aller vivre sa vie, loin de « ce coin-ci ». Antoine, lui, est ouvrier, il s’est marié, a fondé un foyer et n’a jamais quitté le pays natal. De plus, face à la longue absence de l’aîné, il a cru, à la mort du père, devoir assumer les responsabilités de la famille. C’est ce qui explique l’autorité souvent agressive dont il fait preuve à l’égard de La Mère, et surtout de Suzanne. Le retour de Louis met donc à vif les plaies mal cicatrisées d’Antoine. Il réveille d’abord le complexe d’infériorité qu’il ressent devant la réussite de son frère, sa peur de ne pas être à la hauteur face à lui : « Tout n’est pas exceptionnel dans ta vie, / dans ta petite vie, / c’est une petite vie aussi, je ne dois pas avoir peur de ça ». De là l’attitude hostile et ironique qu’il adopte dès le début de la pièce envers Louis, véritable posture de combat, laquelle ne va aller qu’en s’amplifiant jusqu’à ce qu’explose la haine : « Tu me touches, je te tue ». Le drame intime d’Antoine trouve également ses racines dans l’enfance : il s’est toujours senti « responsable » du manque d’amour éprouvé par son frère, et ce sentiment de culpabilité continue à le miner alors qu’il est devenu adulte et père de famille : « je ne voulais rien de mal, / je ne voulais rien faire de mal, / il faut toujours que je fasse mal ». Ce drame intime explique la « brutalité » du personnage, constamment à fleur de peau. Antoine apparaît finalement comme un « homme fatigué », tiraillé entre sa crainte d’être dépossédé de son autorité et son désir de « ne plus rien devoir ».  « Micro-drame » de La Mère. Plus nuancé, le drame intime de la Mère se décline sur un mode nostalgique. Une réplique qu’elle prononce dans la scène 4 de la première partie le résume avec force : « est-ce qu’on peut savoir comment tout disparaît ? ». Son discours se trouve comme figé dans l’évocation d’un passé révolu, dans le ressassement des mêmes anecdotes, à propos des dimanches d’autrefois. L’ombre du père disparu plane sur ses paroles qui tentent, en vain, de faire resurgir les jours heureux. Dans la scène 8 de la première partie, confrontée à Louis, La Mère, 21-FRGEME1BISC Page 30 / 32 Cette multiplication des références mythiques confère à la pièce une portée universelle, portée voulue par Lagarce comme en témoigne son Journal, dans lequel il écrit, avec humour, à propos de Juste la fin du monde : « C’est une pièce sur la famille, le corps et sur l’enfance. GLUPS ! » C’est ainsi le « drame » - ici entendu dans le sens de « spectacle » - de toutes les familles que Lagarce donne à voir, « drame » qui peut se jouer de façon tragique, mais aussi comique. En effet, même si Juste la fin du monde s’inscrit dès le prologue dans une tonalité tragique, la pièce n’en comporte pas moins plusieurs passages qui peuvent donner lieu à des effets comiques, lesquels contribuent justement à « dédramatiser » le drame des familles présenté sur scène. De cette façon, il est aussi possible de lire la pièce de Lagarce comme une comédie des retrouvailles, comédie douce-amère, dans laquelle l’ironie et l’humour noir sont présents. Certains metteurs en scène, comme François Berreur en 2008, ont choisi ce parti. [On peut faire référence aux nombreuses « tragédies du sang » du théâtre antique, comme à l’Agamemnon d’Eschyle ou à l’Électre d’Euripide ou de Sophocle. Le théâtre apparaît depuis l’Antiquité comme le lieu privilégié de l’expression de la violence des familles, que ce soit de manière tragique ou comique : on pense aux multiples conflits familiaux qui rythment les pièces de Molière, aux drames bourgeois inventés par Diderot, ou, bien plus récemment, à la pièce au titre évocateur de la dramaturge contemporaine Biljana Srbljanovic, Histoires de famille.]  Drame de la parole. Si le texte lagarcien trouve une résonance universelle, c’est aussi parce qu’il se présente comme un drame de la parole. Le drame intime que vit chaque personnage révèle le conflit qu’il entretient avec le langage et la difficulté qu’il a à communiquer avec les autres. C’est le drame de la parole « trouée », engluée, et finalement rendue impossible de Louis : déjà le prologue, dans une phrase unique qui multiplie les répétitions, souligne l’incapacité du protagoniste à trouver les mots justes et préfigure l’échec à venir. C’est encore le drame de la parole logorrhéique et hésitante de Suzanne, de la parole nostalgique de La Mère, de la parole explosive d’Antoine, des bafouillements, du silence de Catherine : tous les personnages essaient de « parler juste » sans jamais y parvenir véritablement. La pièce est aussi l’espace d’une crise du langage. Ainsi, Juste la fin du monde s’apparente davantage à un récit qu’à un drame : la pièce comporte beaucoup de discours, très peu d’actions. Dans le prologue, ce n’est pas une suite d’événements qu’annonce Louis, mais une parole à venir. D’emblée, la pièce se trouve envahie par le récit. Ce recours à la narration sera mis en exergue par le retour de l’incise « - je raconte - », placée successivement dans la bouche de Catherine évoquant le choix du prénom « Louis » pour son fils, dans celle de la mère relatant sur le mode itératif les dimanches en famille (« Le dimanche – ce que je raconte – le dimanche nous 21-FRGEME1BISC Page 31 / 32 allions nous promener »), et enfin dans celle de Louis lorsque, dans l’épilogue, il met un terme à « l’histoire » : « une chose dont je me souviens et que je raconte encore (après j’en aurai fini) ». De multiples récits se substituent ainsi à l’action : les enjeux apparaissent au niveau microscopique de l’échange, bien plus que dans la situation dramatique. Cependant, paradoxalement, ces récits n’expriment la plupart du temps que la difficulté à dire et à comprendre l’autre, difficulté dont le style lagarcien, fondé sur un entrelacs de répétitions, de variations, se fait le miroir, à l’image du début de la remarquable scène 4 de l’intermède : « SUZANNE. – Ce que je ne comprends pas. ANTOINE. – Moi non plus. SUZANNE. – Tu ris ? Je ne te vois jamais rire. ANTOINE – Ce que nous ne comprenons pas. VOIX DE CATHERINE. – Antoine ! SUZANNE, criant. – Oui ? Ce que je ne comprends et n’ai jamais compris ANTOINE. – Et peu probable que je comprenne jamais SUZANNE. – Que je ne comprenne jamais. » Cédric Revollon, qui a mis en scène Juste la fin du monde en 2005, a été particulièrement sensible à cette dimension poétique de la pièce : « Cette œuvre est une partition exceptionnelle et l’écriture formelle de Jean-Luc Lagarce est une passerelle qui permet aux acteurs de déployer toute leur sensibilité et leur générosité par le biais d’un langage qui se doit de s’éloigner de tout naturalisme, favorisant avant tout l’expression poétique et celle des gammes de l’âme humaine8 ». [En faisant de sa pièce l’espace d’une crise du langage, Lagarce s’inscrit dans une tradition théâtrale initiée entre autres par Ionesco et Beckett, dramaturges qui l’ont influencé et qui ont également mis en scène la difficulté qu’ont les hommes à communiquer entre eux.]  Juste la fin du monde, « drame de toutes les solitudes au milieu des autres »9. Tragédie de l’incommunicabilité, Juste la fin du monde peut s’entendre comme l’impossibilité de mettre en mots l’essentiel, la venue de la mort, mais peut-être aussi l’amour ou simplement la tendresse. Silence d’une famille, silence de toutes les familles : choisissant de donner une majuscule à la place d’un prénom au personnage de « La Mère », Lagarce indiquait subtilement la portée universelle de son œuvre. Les personnages de la pièce sont « comme tout le monde », fragiles, désarmés face à la pelote des sentiments humains si difficile 8 Cédric Revollon, note d’intention pour la mise en scène de Juste la fin du monde au théâtre de la Semeuse à Nice en 2005. 9 L’expression est de Jean-Charles Mouveaux, dans sa Note d’intention pour sa mise en scène de Juste la fin du monde au Théâtre du Marais en 2005. 21-FRGEME1BISC Page 32 / 32 à démêler parfois et à l’annonce de la mort. La solitude de Louis est à la fois intime et universelle, à l’image du « grand et beau cri » dont il rêve dans l’épilogue, cri suspendu entre ciel et terre, dans le calme des montagnes. Ce cri demeure enfoui, profondément intime, mais pourtant, il s’élève et résonne dans le cœur de tous.
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