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Boule de suif - en Français et Anglais, Lectures de Littérature

Typologie: Lectures

2021/2022

Téléchargé le 25/02/2022

Andre007
Andre007 🇫🇷

4.4

(44)

100 documents

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Télécharge Boule de suif - en Français et Anglais et plus Lectures au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! BOULE DE SUIF PENDANT PLUSIEURS JOURS de suite des lambeaux d'armée en déroute avaient traversé la ville. Ce n'était point de la troupe, mais des hordes débandées. Les hommes avaient la barbe longue et sale, des uniformes en guenilles, et ils avançaient d’une allure molle, sans drapeau, sans régiment. Fous semblaient accablés, éreintés, incapables d’une pensée ou d’une résolution, marchant seulement par habitude, et tombant de fatigue sitôt qu'ils s’arrétaient. On voyait surtout des mobilisés, gens pacifiques, rentiers tranquilles, pliant sous le poids du fusil; des petirs moblots alertes, faciles à l'épouvante et prompts à l'enthousiasme, prêts à l’actaque comme à la fuite; puis, au milieu d'eux, quelques culottes rouges, débris d’une division moulue dans une grande bataille; des ar- tilleurs sombres alignés avec ces fantassins divers; et, parfois, le casque béillanc d’un dragon au pied pesant qui suivait avec peine la marche plus légère des lignards. Des légions de francs-tireurs aux appellations héroïques: «les Vengeurs de la Défaire—les Citoyens de la Tombe—les Partageurs de la Mort»—passaient à leur tour, avec des airs de bandits. Leurs chefs, anciens commerçants en draps où en graines, ex- marchands de suif ou de savon, guerriers de circonstance, nommés of- ficiers pour leurs écus ou la longueur de leurs moustaches, couverts d'armes, de flanelle et de galons, parlaient d’une voix retentissante, dis- cutaient plans de campagne, et prétendaient soutenir seuls la France agonisante sur leurs épaules de fanfarons: mais ils redoutaient parfois leurs propres soldats, gens de sac et de corde, souvent braves à ou- trance, pillards et débauchés. Les Prussiens allaient entrer dans Rouen, disait-on. La Garde nationale qui, depuis deux mois, faisait des reconnais- sances très prudentes dans les bois voisins, fusillant parfois ses propres sentinelles, et se préparant au combat quand un petit lapin remuait sous des broussailles, était rentrée dans ses foyers. Ses armes, ses uni- formes, tout son attirail meurtrier dont elle épouvantait naguère les 2 BOULE DE SUIF FOR SEVERAL DAYS in a row, remains of the roured army had been cross- ing through che town. They weren’t in troops, but in disbanded hordes. "The men had long and dirty beards, ragged uniforms, and they moved ahead wich a lifeless look about them, with no flag, with no regiment, ‘They all scemed spent, wom out, incapable of a thought or a resolution, marching only out of habit, and collapsing from exhaustion as soon a5 they stopped. More than anything, ane saw reservists, peaceful folk who’d been living quietly on their private income, bent double under the weight of their rifles; alert little militiamen, easily frightened and open to enthusiasm, as ready to attack as to run away; then, in their midst, some regulars in red breeches, leftovers from a division pulverized in a great battle; grim artillerymen were mixed in with these diverse footsol- diers; and, sometimes, the shiny helmet of a lumbering dragoon who could barely keep up with the easier progress of the rank and file. Legions of volunteers with heroic titles—“Avengers of Defeat,” “Citizens of the Tomb,” “Partners in Death”—also passed by in turn, looking tike bandits. Their leaders, former tradesmen in cloth or in grain, erstwhile mer- chants of tallow or of soap, improvised warriors, who had been ap- pointed officers by dint of their money or the length of their mustaches, laden with weapons, flannel and gold braid, would speak in a re- sounding voice, discuss battle plans and claim that they alone supported their suffering France on their braggarts’ shoulders; but they sometimes feared their own soldiers, gallows birds who were often brave to the death, who pillaged and debauched. The Prussians were going to enter Rouen, people said. The National Guard, who for rwo months now had been doing very cautious reconnaissance work in the neighboring woods, sometimes shooting their own sentinels, and preparing themselves for combat whenever a little rabbit stirred in the underbrush, had returned home. Their weapons, their uniforms, all their murderous trappings, which 3 4 BOULE DE SUIF bornes des routes nationales à trois lieues à la ronde avaient subitement disparu. Les derniers soldats français venaient enfin de traverser la Seine pour gagner Pont-Audemer par Saint-Sever et Bourg-Achard, et, marchant après tous, le général, désespéré, ne pouvant rien tenter avec ces loques disparates, éperdu lui-même dans la grande débâcle d'un peuple habitué à vaincre et désastreusement battu malgré sa bravoure légendaire, s’en allait à pied, entre deux officiers d'ordon- nance. Puis un calme profond, une attente épouvantée et silencieuse avaient plané sur Ja cité. Beaucoup de bourgeois bedonnants, émasculés par le commerce, attendaient anxieusement les vainqueurs, tremblant qu’on ne considérât comme une arme leurs broches à rôtir ou leurs grands couteaux de cuisine. La vie semblait arrêtée; les boutiques étaient closes, la re muette. Quelquefois un habitant, intimidé par ce silence, filait rapidement le long des murs. L’angoisse de Pattente faisait désirer la venue de Pennemi. Dans l'après-midi du jour qui suivit le départ des croupes françaises, quelques uhlans, sortis on ne sait d'où, traversèrént la ville avec célérité. Puis, un peu plus tard, une masse noire descendit de la côte Sainte- Catherine, tandis que deux autres flots envahisseurs apparaissaient par les routes de Darnétal et de Bois-Guillaume. Les avant-gardes des trois corps, juste au même moment, se joignirent sur la place de l'Hôtel-de- Ville; et, par couces les rues voisines, l’armée allemande arrivait, déroulant ses bataillons qui faisaient sonner les pavés sous Fleur pas dur et rythmé. Des commandements criés d'une voix inconnue et gutturale mon- taient le long des maisons qui semblaient mortes et désertes, tandis que, derrière les volets fermés, des yeux guettaient ces hommes victo- rieux, maîtres de la cité, des fortunes et des vies de par le «droit de guerre». Les habitants, dans leurs chambres assombries, avaient l’af- folement que donnent les cataclysmes, les grands bouleversements meurtriers de la terre, contre lesquels toute sagesse et toute force sont inutiles. Car la même sensation reparaît chaque fois que l'ordre établi des choses est renversé, que la sécurité n'existe plus, que tout ce que protégeaient les lois des hommes ou celles de la nature, se trouve à la merci d’une brutalité inconsciente et féroce. Le tremblement de terre écrasant sous les maisons croulantes un peuple entier; le fleuve débordé qui roule les paysans noyés avec les cadavres des bœufs et les poutres arrachées aux toits, ou l’armée glorieuse massacrant ceux qui se défen- BOULE DE SUIF s had recently been terrorizing the milestones of che national highways for three leagues in every direction, had suddenly disappeared. The last French soldiers had finally just crossed the Seine to reach Pont-Audemer by way of Saint-Sever and Bourg-Achard; and, march- ing behind everyone, the general--desperate, unable to attempt any- thing with that motley rag-tag bunch, himself bewildered by this great debacle that had befallen a people accustomed to winning and, despite their legendary bravery, disastrously beaten—was going along on foot, between two aides-de-camp. Then a profound caim, a fearful and silent period of waiting had set- tled on the city. Many well-fed members of the bourgeoisie, emascu- lated by che commercial life, awaited the conquérors anxiously, trem- bling with the fear that their roasting spits or their big kitchen knives might be perceived as weapons. Life seemed to come to a halt: the shops were closed, the streets soundiess. Sometimes an inhabitant, intimidated by chis silence, scam- pered quickly along the walls. The anguish of waiting created a longing for the arrivaf of the enemy. In the afternoon of the day following the departure of the French troops, a few Uhlans, coming from who knows where, crossed the city quickly. Then, a little later, a black mass descended from Saint Catherine’s Hill, while two other waves of invaders appeared via the roads from Datnétal and Bois-Guillaume. The front lines of the three corps, at exactly the same moment, came together in the Place de l'Hôtel-de-Ville; and, from all the neighboring streets, the German army was arriving, unleashing its battalions that made the pavement ring un- der their hard and rhythmic steps. Commands shouted in an unfamiliar, guttural tongue rose up along che houses, which seemed dead and deserted, while, behind the closed shutters, eyes were watching these victorious men who were masters of the city, of fortunes and of lives by the “right of war.” The inhabi- tants, in their darkened rooms, suffered that panic brought on by cat- aclysms, by the great murderous tremblings of the earth, against which all wisdom and all strength are useless. For the same sensation occurs each time the established order of things is overturned, when security no longer exists, when all that was protected by the laws of man or of nature finds itself at the mercy of a mindless and violent brurality. The earthquake that crushes an entire populace beneath their crumbling houses: the overflowing river that carries away the drowned country- folk with the carcasses of steer and beams ripped from roofs, or she vic- torious army massacring those wha defend themselves, leading away 10 BOULE DE SUIF disparaître immédiatement dans une autre. Des pieds de chevaux frappaient la terre, amortis par le fumier des litières, et une voix d'homme parlant aux bêtes et jurant s'entendait au fond du bâtiment. Un léger murmure de grelots annança qu'on maniait les harnais; ce mur- mure devint bientôt un frémissement clair et continu, rythmé par te mouvement de l'animal, s’arrêtant parfois, puis reprenant dans une brusque secousse qu’accompagnait le bruit mat d’un sabot ferré bat- cant le sol. La porte subitement se ferma. Tout bruit cessa. Les bourgeois gelés s'étaient tus; ils demeuraient immobiles et roidis. Un rideau de flocons blancs ininterrompu miroitait sans cesse en de- scendant vers la terre; il effaçait les formes, poudrait les choses d’une mousse de glace; et l’on n'entendait plus, dans le grand silence de la ville calme et ensevelie sous l'hiver que ce froissement vague innommable et flottant, de la neige qui tombe, plutôt sensation que bruit, entremête- ment d’atomes légers qui semblaient emplir l'espace, couvrir le monde. L'homme reparut, avec sa lanterne, tirant au bout d'une corde un cheval triste qui ne venait pas volontiers. I le plaça contre le timon, attacha les traits, tourna longtemps autour pour assurer les harnais, car il ne pouvait se servir que d’une main, l'autre portant sa lumière. Comme il allait chercher [a seconde bête, il remarqua tous ces voyageurs immobiles, déjà blancs de neige, et leur dit-— «Pourquoi ne montez-vous pas dans la voiture, vous serez à l'abri, au moins.» Ils n’y avaient pas songé, sans doute, et ils se précipitèrent, Les trois hommes installèrenc leurs femmes dans le fond, montèrent ensuite; puis les autres formes indécises et voilées prirent à feur tour les dernières places sans échanger une parole. Le plancher était couvert de paille où les pieds s’enfoncèrent. Les dames du fond, ayant apporté des petites chaufferettes en cuivre avec un charbon chimique, allumèrent ces appareils, et, pendant quelque cemps, à voix basse, elles en énumérèrent les avantages, se répétant des choses qu’elles savaient déjà depuis longtemps. Enfin, la diligence étant attelée avec six chevaux au lieu de quatre à cause du tirage plus pénible, une voix du dehars demanda:—«Tout le monde est-il monté?» —Une voix du dedans répondit:—-«Oui,»—On partit. La voiture avançait lentement, lentement, à tout petits pas. Les roues s’enfonçaient dans la neige; ie coffre entier geignait avec des craque- ments sourds; les bêtes glissaient, soufflaient, fumaient: et le fouet g- gantesque du cocher claquait sans repos, voltigeait de tous les côtés, se BOULE DE SUIF 11 only to disappear immediately into another. Horses” feec clomped on the ground, deadened by the manure of the litter, and a man's voice was heard speaking to the beasts and swearing from deep inside the building. A light tinkle of bells announced that the hamess was being handted; this tinkle soon became a loud, steady jingling, made rhyth- mic by the movement of the animal, stopping at times, then resuming with a sough shake accompanieä by the dull sound of an iron horse- shoe hitting the ground. The door suddenly closed. Ali noise ceased, The frozen citizens had fallen silent; they remained motionless and stiff. An endless curtain of white flakes sparkled without pause as it fell toward the earch: it blotted out all shapes, powdered everything with an icy foam; and one coulé any hear, in the deep silence of the calm, winter-enshrouded town, that vague, indefinable and floating rustle of falling snow, more a sensation than a sound, a mingling of weightless atoms that seemed to fill space, to cover the world. The man reappeared, with his lantern, leading at the end of a rope a sorry-looking horse that came along unwillingly. He placed it against the coach’s shaft, fastened the traces, spending much time going around and around so as to secure the harness, since he had use of only one hand, the other carrying his light. As he was going to fetch the second animal, he noticed all-those immobile voyagers, already white with snow, and said to them: “Why don’t you get in the coach? You’ll have some shelter, at least.” They hadn°t thought of that, no doubt, and they feil upon the coach. The three men settled their wives in che back, got in afterwards; then in turn the other indefinite and veiled forms took the Jast seats with- out exchanging a word. The floor was covered with straw in which their feet became buried. The ladies in the back, having brought along little copper warmers with a chemical coal, lighted the gadgets, and, for a while, in low voices, they enumerated the advantages of the machines, repeating things they'd already known for a long time. Finally, the stagecoach being harnessed with six horses in place of four because of the more difficult conditions, à voice from outside asked: “Is everyone on board?” A voice from within answered: “Yes.” They were off. The coach proceeded slowly, slowly, a little bic at a time. The wheels sank into the snow: the whole body groaned with duil creaks; the animals slipped, panted, gave off steam; and the gigantic whip of the driver snapped without pause, fliting about on all sides, knotting 12 BOULE DE SUIF novant et se déroulant comme un serpent mince, et cinglant brusque- ment quelque croupe rebondie qui se tendait alors sous un effort plus violent. Mais le jour imperceptiblément grandissait. Ces flocons légers qu'un voyageur, Rouennais pur sang, avait comparés à une pluie de coton, ne tombaient plus. Une lueur sale filtrait à travers de gros nuages obscurs et lourds qui rendaient plus éclatante la blancheur de la campagne où apparaissaient tantôt une ligne de grands arbres vêrus de givre, tantôt une chaumière avec un capuchon de ncige. Dans la voiture on se regardait curieusement, à la triste clarté de cette aurore. Tout au fond, aux meilleures places, sommeiltaient, en face l’un de l'auere, M. et MM Loiseau, des marchands de vin en gros de la rue Grand-Pont. Ancien commis d'un patron ruiné dans les affaires, Loiseau avait acheté le fonds et fait fortune. Il vendait à très bon marché de très mau- vais vin aux petits débitants des campagnes et passait parmi ses con- naissances et ses amis pour un fripon madré, un vrai Normand plein de ruses et de jovialité. Sa réputation de filou était si bien établie, qu’un soir, à la préfecture, M. Tournel, auteur de fables et de chansons, esprit mordant et fin, une gloire locale, ayant proposé aux dames qu'il voyait un peu somnolentes de faire une partie de «Loiseau vole», le mot lui-même vola à travers les salons du préfet, puis, gagnant ceux de la ville, avait fait rire pen- dant un mois toutes les mâchoires de la provinec, Loiseau était en outre célèbre par ses farces de toute nature, ses plaisanteries bonnes où mauvaises: et personne ne pouvait parler de lui sans ajouter immédiatement:—«ll est impayable, ce Loiseau.» De taille exigué, il présentait un ventre en ballon surmonté d'une face rougeaude entre deux favoris grisonnants. Sa femme, grande, forte, résolue, avec la voix haute et la décision rapide, était l'ordre et l’arithmétique de la maison de commerce qu'il animait par son activité joyeuse. À côté d'eux se tenait, plus digne, appartenant à une caste supérieure, M. Carré-Lamadon, homme considérable, posé dans les cotons, pro- BOULE DE SUIF 13 and unrolling itself like a thin snake, and lashing brusquely ar some chubby rump that wouid then tense up under a more violent ef- fort. Buc the day was getting imperceptibly lighter. Those lighc flakes which a craveler, Rouennais to the core, had likened to a rainfall of cot- ton, were no longer falling. À dirty glow filtercd chrough fac, dark and heavy clouds that made even brighter the whireness ef the countryside where there appeared now a line of tall trees clad in frost, now a cot- tage with a hood of snow. Tn the coach, they all looked at each other curiously, in the sad bright- ness of this dawn. In the back, in the best seats, were sieeping, facing each other, Monsieur and Madame Loiseau, wholesale dealers in wine on Grand- Pont Street. Formerly the cierk of an owner ruined in business, Loiseau had bought the concern and made a fortune. He sold very bad wine at very low prices to little shopkeepers in the countryside and was thought by his acquaintances and friends to be a crafty scoundrel, à true Norman fult of tricks and good humor. His reputation as a swindler was so well established, that one evening, at che Prefecture,* Monsieur Tournel, author of fables and songs, an in- cisive and clever mind, a local glory, having proposed to the ladies who seemed to him a little sleepyheaded to play a round of “Loiseau steals,”? the joke itself flew throughout the salons of the Prefect, then, reaching those of the city, set all the jaws of the province laughing for a month. Loiseau was in addition famous for his pranks of alt sorts, his jokes good or bad; and no one could speak of him without adding immedi- ately: “He’s priceless, that Loiseau.” Of squat stature, he presented a balloon belly topped by a ruddy face between two graving muttonchops. His wife, tail, stout, determined, with a loud voice and a quick opin- ion, was che order and che arithmetic of the business concern, which he animated with his mirchful acriviry. Next to them was scatcd, mate refined, belonging to a higher class, Monsieur Carré-Lamadon, an impressive man, dealing in coctons, *A prefecr is the chief administrative officer of a département (in this case, Seine- Maritime, the capital of which is Rouen): the Prefecrure is his office. Untranslatable pun. “oiseau vole” = “the bird flies” (name of a game}. “Loiseau vole” = “Loiseau steals,” The pun is continued when it is said chat the joke itself fler 14 BOULE DE SUIF priétaire de trois filatures, officier de la Légion d'honneur et membre du Conseil général. Li érait resté, tout le temps de l’Empire. chef de l’opposition bienveillante, uniquement pour se faire payer plus cher son ralliement à li cause qu'il combattait avec des armes courroises, selon sa propre expression. M€ Carré-Eamadon, beaucoup plus jeune que son mari, demeurait la cansolation des officiers de bonne famille envoyés à Rouen en garnison. Elle faisait vis-à-vis à son époux, toute petite, toute mignonne, toute jolie, pelotonnée dans ses fourrures, et regardait d'un œil navré Pin- térieur lamentable de la voiture. Ses voisins, le comte ct la comtesse Hubert de Bréville, portaient un des noms les plus anciens et les plus nobles de Normandie. Le comie, vieux gentilhomme de grande tournure, s'efforçait d’accentuer, par les artifices de sa toilette, sa ressemblance naturelle avec le roy Henri IV qui, suivant une légende glorieuse pour la famille, avait rendu grosse une dame de Brévilie dont le mari, pour ce fait, était devenu comte et gouverneur de province. Collègue de M. Carré-Lamadon au Conseil général, le comte Hubert représentait le parti orléaniste dans le département. L'histoire de son mariage avec la fille d’un petit armateur de Nantes était toujours de- meurée mystérieuse. Mais comme la comtesse avait grand air, recevait mieux que personne, passait même pour avoir été aimée par un des fils de Louis-Philippe, toute [a noblesse lui faisait fête, et son salon de- meurait le premier du pays, le seul où se conservât la vicillé gafanterie, et dont l'entrée fût difficile. La fortune des Bréville, toute en biens-fonds, atteignait, disait-on, cinq cent mille livres de revenu. Ces six personnes formaient le fond de la voiture, le côté de la so- ciété rentée, sereine er forte, des honnêtes gens autarisés qui ont de ja Religion ct des Principes. Par un hasard étrange, toutes les femmes se trouvaient sur le même banc; ct la comtesse avait encore pour voisines deux bonnes sœurs qui égrenaient de longs chapelets en marmottant des Parer et des Ave. L'une était vieille avec une face défoncée par la petite vérole camme si elle cût reçu à bout portant une bordée de mitraille en pleine figure. L'autre, très chétive, avait une tête jolie et maladive sur une poitrine dephrisique rongée par cette foi dévorante qui fait Les martyrs er les illuminés. En face des deux religicuses, un homme et une femme artiraienc les regards de tous. L'homme, bien connu, était Cornudet le démac, fa terreur des gens respectables. Depuis vingt ans, il trempait sa grande barbe rousse dans BOULE DE SUIF 15 owner of three textile milis, officer of the Legion of Honor and mem- ber of che Gencral Council. He had remained, throughout the time of the Empire, head of the benevolent opposition, merely in order to win a higher price for switching to the cause which he fought with “gen- tiemanly weapons,” as he himself said, Madame Carré-Lamadon, much vounger than her husband, was a consolation to chose ufficers from good families stationed at Rouen. She was opposite her spouse, very delicate, very pretty, cuddled up in her furs, and inspected che sorry interior of the coach with an air of distress. Her neighbors, che Count and Countess Hubert de Bréville, bore one of the oïdest and noblest names in Normandyÿ. The Count, an old gen- derman of great bearing, took pains to play up, by way of his dress and grooming, his natural resemblance ro King Henri IV, who, according to à legend honorable to the family, had got with child a lady of Bréville whose husbané, because of this, had become count and governor of che province, À colleague of Monsieur Carré-Tamadon in the General Council, Count Hubert represented the Orleanist Party in the département. The story of his marriage with the daughter of a minor ship owner from Nantes had always remained mysterious, But as the Countess had great airs, hosted better chan anyone else, and was even thought to have been loved by one of che sons af Louis-Philippe, ali the nobility celebrated her, and her salon remained the foremost in the land. the only one to preserve the old gallancry, and to which entry was difficult. ‘The wealth of the Brévilles, alt in real estate, was said to amount to an income of five hundred thousand francs. ‘lhese six people occupied the back of the coach, the side of afflu- ent society, serene and strong, of upstanding, advantaged folk who had religion and principles. By a strange coincidence, all the women found themselves on the same seat; and the Countess also had as neighbors two nuns who were fingering long rosaries as they mumbled paternosters and Haït Marys. One of them was old with a visage rutted hy smalipox as if she’d re- ceived a shower of shrapnel in the face point-blank. The other, very puny, had a pretty and sickly face on a consumptive chest eroded by that ravenous faich that makes martyrs and visionaries. Opposite the two holy women, a man and a woman drew the stares of everyone. ‘Fhe man, well known, was Cornudet the demecrat, the terror of re- spectable people. For twenty years, he’d dipped his big red beard in 20 BOULE DE SUIF quelque chose sous ses jupons. Elle hésitait une seconde, regardait ses voisins, puis se redressait tranquillement. Les figures étaient pâles ce crispées. Loiseau affirma qu’il payerait mille francs un jambonneau. Sa femme fit un geste comme pour protester; puis elle se calma. Elle souf- frait toujours en entendant parler d'argent gaspillé, et ne comprenait même pas Les plaisanteries sur ce sujer.—«Le fait est que je ne me sens pas bien, dit le comte, comment n'ai-je pas songé à apporter des pro- visions?»— Chacun se faisait le même reproche. Cependant Cornudet avait une gourde pleine de rhum; il en offrit; on refusa froidement, Loiseau seul en accepta deux gouttes, et, lorsqu'il rendit la gourde, il remercia:—«C’est bon tout de même, ça réchauffe, et ça trompe l’appétir.»—L'alcoo! le mit en belle humeur et il proposa de faire comme sur le petit navire de la chanson: de manger le plus gras des voyageurs. Cette allusion indirecte à Baule de suif choqua les gens bien élevés. On ne répondit pas; Cornudet seul eut un sourire. Les deux bonnes sœurs avaient cessé de marmortter leur rosaire, et, les mains enfoncées dans leurs grandes manches, elles se tenaient immobiles, baissant obstinément les yeux, offrant sans doute au ciel la souffrance qu'il leur envoyait. Enfin, à trois heures, comme on se trouvait au milieu d’une plaine interminable, sans un seul village en vue, Boule de suif se baissant viv ment, retira de sous la banquette un large panier couvert d'une ser- viette blanche. Elle en sortit d’abord une petite assiette de faïence, une fine tim- bale en argent, puis une vaste terrine dans laquelle deux poulets en- tiers, tout découpés, avaient confi sous leur gelée; et l'on apercevait en- core dans je panier d’autres bonnes choses enveloppées, des pâtés, des fruits, des friandises, les provisions préparées pour un voyage de trois jours, afin de ne point toucher à la cuisine des auberges. Quatre goulots de bouteilles passaient eatre les paquets de nourriture. Elle prit une aile de poulet et, délicatement, se mit à la manger avec un de ces pe- tits pains qu’on appelie «Régence» en Normandie. Tous les regards étaient tendus vers elle. Puis l’odeur se répandit, élargissant les narines, faisant venir aux bouches une salive abondante avec une contraction doulaureuse de la mâchoire sous les oreilles. Le mépris des dames pour cette fille devenait féroce, comme une envie de la tuer, ou de la jeter en bas de la voiture, dans la neige, elle, sa tim- bale, son panier et ses provisions. Mais Loiseau dévorait des yeux la terrine de poulet. Il die—«A la bonne heure, madame a eu plus de précaution que nous. Il y a des per- sonnes qui savent toujours penser à tout.»—ÆElle leve la tête vers lui:— BOULE DE SUIF 2i something in her skirts. She hesitated a second, looked at her neigh- bors, then calmiy sat erect. Their faces were pale and tense, Loiseau stated that he would pay a thousand francs for a knuckle of ham. His wife made a gesture as if to protest; then she calmed herself. She always suffered when hearing people talk about wasted money, and didn't even understand jokes on the matter. “The fact of the matter is that I don't feel well,” said the Count; “how could I not have thought to bring food?” They were all blaming themselves for the same oversight. However, Cornudet had a flask filled with rum; he offered some; everyone refused eoldly, Loiseau alone accepted two drops of it, and, wben he returned the flask, he expressed his thanks: “{t’s good, ali the same, it warms one up, and it tricks the appetite.” The alcohot put him in a good mood and he proposed that they do as they did in the little boat in the song: to eat the fattest of che passengers. This indirect al- Jusion to Boule de Suif shocked the well-bred people. No one re- sponded; only Cornudec smiled. The cwo nuns had stopped mumbling their rosary, and, their hands deep inside their big sleeves, they re- mained still, eyes stubbornly lowered, no doubt offering to Heaven the suffering thac it was imposing on them. Finally, at three o’clock, as they found themseives in che middle of an endless plain, without à single village in sight, Boule de Suif, bend- ing down briskly, withdrew from under the seat a large basket covered with a white napkin. First she took out a little china plate, a delicate silver goblet, then a huge terrine in which two whole chickens, all carved up, were en- rombed in their aspic; and one could still see in the basket other good things wrapped up, pâtés, fruits, delicacies, provisions prepared for a three-day trip, so as not to touch the food at any inn, Four bottlenecks protruded from the packages of food. She took a chicken wing and, daintily, began to ear it with one of those little rolis they call régence in Normandy. Alt eyes were crained upon her. Then che aroma spread, making their nostrils flare, bringing to their mouths abundant saliva with a painful contraction of the jaw under che ears. The contempt of the ladies for that prostitute was becoming fierce, like a longing to kill her or to chrow her out of the coach, into che snow, her, her goblet, her basket and her provisions. But Loiseau was devouring che terrine of chicken with his eyes. He said: “Very good, Madame had more foresight than we did. ‘l'here are people who always manage to think of everything.” She raised her head 22 BOULE DE SUIF «$i vous on désirez, monsieur? C’est dur de jeûner depuis le matin.»— IE salua:—«Ma foi, franchement, je ne refuse pas, je n’en peux plus. À la guerre comme à la guerre, n'est-ce pas, madame?»—{t, jetant un re- gard circulaire, il ajouta:—«ans des moments comme celui-ci, on est bien aise de trouver des gens qui vous obligenc.»—f avait un journal qu'il étendit pour nc point tacher san pantalon, et sur la pointe d'un couteau toujours logé dans sa poche, il enleva une cuisse toute vernie de gelée, la dépeça des dents, puis la mâcha avec une satisfaction si évidente qu'il y eut dans la voiture un grand soupir de détresse, Mais Boule de suif, d’une voix humble et douce, proposa aux bonnes sœurs de partager sa collation. Elles acceptèrent toutes les deux ins- tantanément, et, sans lever les veux, se mirent à manger très vite après avoir batbutié des remerciements. Cormudet ne refusa pas non plus Les offres de sa voisine, et l’on forma avec les religieuses une sorte de table en développant des journaux sur les genoux. Les bouches s’ouvraient et se fermaient sans cesse, avalaient, m: quaient, engloutissaient férocement. Loiseau, dans son coin, travaillait dur, et, à voix basse, il engageait sa femme à l'imiter. Elle rési longtemps, puis, après une crispation qui lui parcourut les entrailles, elle céda. Alors son mari, arrondissant sa phrase, demanda à leur «char- mante compagne» si elle lui permettait d'offrir un petit morceau à MS Loiseau. Elle di «Mais oui, certainement, monsieur», avec un sourire aimable, et tendit la terrine. Un embarras se produisit lorsqu'on eut débouché Ja première bouteille de bordeaux: il n’y avait qu’une timbale. On se la passa après l'avoir essuyée. Cornudet seul, par galanterie sans doute, posa ses lèvres à la place humide encore des lèvres de sa voisine. Alors, entourés de gens qui mangeaient, suffoqués par les émana- tions des nourritures, Le comte et la comtesse de Bréville, ainsi que M. et M" Carré-Lamadon souffrirent ce supplice odieux qui a gardé le nom de Tantale. Tout d’un coup la jeune femme du manufacturier poussa un $oupir qui fit retourner les têtes; elle était aussi blanche que la neige du dehors; ses yeux se fermèrent, son front tomba: elle avait perdu connaissance. Son mari, affolé, implorait le secours de tout le monde, Chacun perdait l'esprit, quand la plus âgée des bonnes sœurs, soutenant la tête de la malade, glissa entre ses lèvres la timbaie de Boule de suif et lui fit avaler quelques gouttes de vin. La jolie dame remua, ouvrit les yeux, sourit et déclara d'une voix mourante qu’elle se sentait forc bien maintenant. Mais, afin que cela ne se renouvelât plus, la religieuse la contraignit à boire un plein verre de bordeaux, ét elle ajouta:—«Cest la faim, pas autre chose.» BOULE DE SUIF 23 toward him: “Would you like some, sir? It's hard to fast all day long.” He dectared: “My word, frankly, Ï can’t refuse, T can°t stand any more of this. Drastic times call for drastic measures, don’t they, ma’am?” And, çasting a look around, he added: “At times like this, ic's a great rclicf to find people who’ll help you out” He had à newspaper which he spread out so as not to stain his pants, and on the tip of a Knife always stashed in his pocket, he lifted a drumstick all glazed with aspic, picked ic apart with his teeth, then chewed itwithas: tion so evident that there was a great sigh of distress in the coach. But Boule de Suif, with a humble and soft voice, asked the nuns to share her meal, Both of them accepted right away, and, without raising their eyes, began to cat very quickly after having stammered thanks. Cornudet didn't refuse the offers of his neighbor either, and with che auns they formed a sort of table by draping newspapers over their knees. ‘Their mouths opened and closed without pause, swallowcd, chewed, gobbled ferociously. Loiseau, in his corner, was working hard, and, in a low voice, he urged his wife to do likewise. She resisted for a long while, but, after a pang ran throughout her gut, she gave in. Then her husband, polishing up his speech, asked their “charming companion” if she would allow him to offer a morsel to Madame Loiseau. She said: “Of course, certainly, sir,” with a kindly smile, and held out the ter- rine. An awkwardness came about when they opened the first bortie of Bordeaux: there was only one goblec. They passed it around after hav- ing wiped it off. Only Cornuder, out of gallantry no doubt. placed his tips on the spot still wet from his neighbor’s Lips. ‘Then, surrounded by people who were eating, choked by the ema- nations of the food, the Count and Countess de Bréville, as well as Monsieur and Madame Carré-Lamadon, suffered that hateful torture still associated with the name of Tantalus. Suddenly the young wife of the manufacturer let out a sigh that made heads turn; she was as white as the snow outside; her eyes closed, her farehesd fell: she had lost con- sciousness. Her husband, panic-stricken, begged the help of everyone else. Each ovne's mind was a blank, when the elder of the nuns, hold- ing up the head of the afflicted woman, slipped Boule de Suif’s goblec between her lips and made her swallow a few drops of wine. The lovely lady stirred, opened her eyes, smiled and declared in a weak voice thac she was feeling very good now. But, so it wouldn’t happen again, the nun made her drink à full glass of Bordeaux, and she added: “It's hunger, nothing else.” 24 BOULE DE SUIF Alors Boule de suif, rougissante et embarrassée, balbutia en regar- dant les quatre voyageurs restes à jeun: —«Mon Dieu, si j'osais offrir à ces messieurs et à ces dames ...» Elle se tut, craignant un outrage. Loiseau prit la parolc:—<«Eh, parbleu, dans des cas pareils tout le monde est frère et doit s’aider. Allons, mesdames, pas de cérémonie, acceptez, que diable! Savons-nous si nous trouverons seulement une maison où passer la nuit? Du train dont nous allons, nous ne serons pas à Tôres avant demain midi.»—On hésitait, personne n’osant assumer la re- sponsabilité du «oui». Mais le comte trancha la question, {1 se tourna vers fa grosse fille in- timidée, et, prenant son grand air de gentilhomme, il lui dit: —«Nous acceptons avec reconnaissance, madame.» Le premier pas seul coûtait. Une fois le Rubicon passé on s’en donna carrément. Le panier fut vidé. I! contenait encore un pâté de foie gras, un pêté de mauviettes, un morceau de langue fumée, des poires de Crassane, un pavé de Pont-t'Évéque, des petits fours et une tasse pleine de cornichons et d'oignons au vinaigre: Boule de suif, comme toutes les femmes, adorant les crudités. On ne pouvait manger les provisions de cette fille sans lui parler. Donc on causa, avec réserve d’abord, puis, comme elle se tenait fort bien, on s’abandonna davantage. M°% de Brévilte et Carré-Lamadon, qui avaient un grand savoir-vivre, se firent yracieuses avec délicatesse. La comtesse surtout montra cette condescendance aimable des très no- bles dames qu'aucun contact ne peut salir, et fur charmante. Mais ta forte M" Loiseau, qui avait une âme de gendarme, resta revêche, par- lant peu et mangeant beaucoup. On s'entretint de la guerre naturellement. On raconta des faits hor- ribles des Prussiens, des traits de bravoure des Français; et tous ces gens qui fuyaient rendirent hommage au courage des autres. Les his- toires personnelles commencèrent bientôt ec Boule de suif raconta, avec une émotion vraie, avec cette chaleur de parole qu'ont parfois les filles pour exprimer leurs emportements naturels, comment elle avaic quitté Rouen:—«J'ai cru d’abord que je pourrais rester, disait-elle. J'avais ma maison pleine de provisions, et j'aimais mieux nourrir quelques soldats que m'expatrier je ne sais où. Mais quand je les ai vus, ces Prussiens, ce fut plus fort que moil Ils m'ont tourné le sang de colère; er j'ai pleuré de honte toute la journée. Oh! si j'étais un homme, aîlez! Je les regar- dais de ma fenêtre, ces gros porcs avec leur casque à pointe, et ma bonne me tenait les mains pour m'empêcher de leur jeter mon mobilier sur le dos. Puis it en est venu pour loger chez moi; alors j'ai sauté à la gorge du premier. [ls ne sont pas plus difficiles à étrangler que d’autres! BOÛLE DE SUIF 25 Then Boule de Suif, blushing and embarrassed, stuttered while watching the four rravelers who were still fasting: “My goodness, if 1 dared offer these gentlemen and ladies ...” She feli silent, afraid of giving offense. Loiseau spoke up: “Eh, by all means, in such cases were all brothers and must help one another, Come on, ladies, no airs, ac- cept something, damn it! Who knows if we’ll find an inn to spend the night? At the rate we're going we won't be in Tôtes before noon to- * They hesicaced, no one daring to take the responsibility of MOTTOW. saying “yes.” But the Count brought the matter to a close. He turned toward the cowed, fat prostitute, and, assuming his great air of a gentleman, he said to her: “We gratefuliy accept, madame.” Only the first step was taxing. Once across the Rubicon, they all cut loose completely. The basket was emptied, It still held a pâté de foie gras, a pâté of lark, a bit of smoked tongue, some Crassane pears, a hunk of Pont-l'Evêque cheese, some petit fours and a cup filled wich pickled cucumbers and onions, Boule de Suif, like all women, adoring raw vegetables. One couldn’t eat that prostitute’s food without talking to her. So they chatted, first with reserve, then, as she behaved very well, they relaxed to a greater extent. Madame de Bréville and Madame Carré-Lamadon, who had great refinement, were gracious with tact. The Countess above all demonstrated that kindly condescension of very noble ladies whom no contact can sully, and was charming, But the stout Madame Loiseau, who had the soul of à policeman, remained surly, speaking little and eating much. They talked about the war, naturaily. They narrated horrible actions of the Prussians, valiant deeds of the French: and all these people who were running away paid homage to the courage of the others. Personal histories soon began, and Boule de Suif, with a real excicement, with that heared speech which prostitutes sometimes use to express their nacural fits of anger, told how she’d left Rouen: “1 thought at first that I could stay,” she said. “T had a house full of food, and I preferred to feed a few soldiers rather chan expatriate to who knows where. But when I saw them, those Prussians, it was more than 1 could take! They made my blood boit; and I cried from shame all day long. Ok! if only I were a man! Ï would watch them from my window, those far swine with their pointy helmets, and my maid held my hands to keep me from chrowing my furniture onto them. Then some of them came to stay in my house; so I leapt at che throat af the first one. They aren°t harder to choke than anyone else! And I would’ve finished him off, 30 BOULE DE SUIF les derniers, graves et hautains devant l'ennemi. La grosse fille tâchair de se dominer ec d’être calme: le démoc tourmentait d’une main tra- gique et un peu tremblante sa longue barbe roussâtre, Ils voulaient garder de la dignité, comprenant qu'en ces rencontres-là chacun représente un peu son pays; et pareillement révoltés par la souplesse de leurs compagnons, elle tâchait de se montrer plus fière que ses voisines, les femmes honnêtes, tandis que lui, sentant bien qu’il devait l'exemple, continuait en toute son attirude sa mission de résistance commencée au défoncement des routes, On entra dans la vaste cuisine de l'auberge, et l'Allemand, s'étant fait présenter Pautorisation de départ signée par je général en chef et où étaient mentionnés les noms, le signalement et la profession de chaque voyageur, examina longuement tout ce monde, comparant les personnes aux renseignements écrits. Puis il dit brusquement:—«C’est pien», et il disparut. Alors on respira. On avait faim encore; le souper fut commandé. Une demi-heure était nécessaire paur l’apprêter, et, pendant que deux ser- vantes avaient l'air de s'en occuper, on alla visiter les chambres. Elles se trouvaient toutes dans un long couloir que terminait une porte vi- trée marquée d’un numéro parlant. Enfin on allait se mettre à table, quand le patron de l'auberge parut lui-même. C’était un ancien marchand de chevaux, un gros homme asthmatique, qui avait toujours des sifflements, des enrouements, des chants de glaires dans le larynx. Son père lui avait transmis le nom de Follenvie. Il demanda: —«Mademoiselle Élisabeth Rousset?» Boule de suif tressaillit, se retourna: —«C'est moi. —Mademoiseile, l'officier prussien veut vous parler immédiatement. —A moii —Qui, si vous êtes bien mademoiselle Élisabeth Rousset.» Elle se troubla, réfléchit une seconde, puis déclara carrément: —«Cest possible, mais je n’irai pas.» Un mouvement se fit autour d’elle; chacun discutait, cherchait la cause de cet ordre. Le comte s’approcha: —<Vous avez tort, madame, car votre refus peut amener des diffi- cultés considérables, non seulement pour vous, mais même pour tous BOULE DE SUIF 31 the last to get out, serious and hauphty in the face of the enemy. The plump tart tried to controi herself and to be caim: the democrat was vanking at his long reddish beard with a tragic and slighely Shaky hand. They wanted to maintain their dignity, understanding that in con- frontations like these everyone is in a way a representative of his coun- : and equaliy disgusted by the spinelessness of their companions, she tried co prove hersclf prouder than the other ladies, the upstand- ing women, while he, feeling strongly chat he ought to set an example, continued in his whole bearing his mission of resistance begun at the digging up of thé roads. À They entered the inn’s huge kitchen, and the German, having de- manded to see the authorization of leave signed by the general in com- mand and in which were listed the names, the description and the pro- fession of each traveler, inspected everyone at length, comparing the people with the written information. Then he said curtiy, “Ît iss fine,” and he disappeared. Everyone could breathe again. They were still hungry; supper was ordered. À half-hour was needed to prépare it and, while two servants seemed to be caking care of it, everyone went to have a look at the rooms. They were all located off a long hallway that ended in a glass door marked with a number that suggested its function.* Everyone was finally taking a sçat at the table when the innkeeper himself showed up. He was a former horse trader, a fat, asthmatic man, who was always wheezing and hoarse, wich phlegm rating in his tar- ynx. His father had bequeathed him the name of Follenvie. He asked: “Miss Élisabeth Rousset?” Boule de Suif jumped and turned around: “Thar’s me.” “Miss, the Prussian officer wants 10 talk to you right away.” “To me?” “Yes, if you're indeed Miss Élisaheth Rousset.” She grew fluscered, thoughe for a moment, then said firml “Perbaps thar’s so, but I won’t go.” There was movement around her; everyone was talking, trying to fig- ure out the reason for this order. The Count approached her: “You’re wrong, madame, for your refusal could bring about seri- ous difficulties, not only for you, but even for ail your companions. #The number 106 was often placed on toilec doors. 32 BOULE DE SUIF vos compagnons. Îl ne faut jamais résister aux gens qui sont fes plus forts. Cctte démarche assurément ne peut présenter aucun danger; c'est sans doute pour quelque formalité oubli ‘Four le monde se joignit à lui, on la pria, on la pressa, on la ser- monna, €t l’on finit par la convaincre; car tous redoutaient les compli- cations qui pourraient résulter d’un coup de tête. Elle dit enfin: —C’est pour vous que je Le fais, bien sûr!» La comresse Jui prit la main: <Ët nous vous en remercions,» Efle sortit. On l’attendit pour se mettre à table. Chacun se désolait de n’avoir pas été demandé à la place de cette fille violente et irascible, et préparait mentalement des platitudes pour le cas où on l’appellerait à son tour. Mais, au bout de dix minutes, elle reparut, soufflant, rouge à suffo- quer, exaspérée. Elle balburiait:—«Oh la canaille! la canaillel» Tous s’empressaient pour savoir, mais elle ne dit rien; et comme le comte insistait, elle répondit avec une grande dignité:—«Non, ceta ne vous regarde pas, je ne peux pas parler.» Alors on s'assit autour d'une haute soupière d’où sortait un parfum de choux. Malgré certe alerte, le souper fut gai. Le cidre était bon, le ménage Loiseau et les bonnes sœurs en prirent, par économie. Les autres demandèrent du vin; Cornudet réclama de la bière. H avait une façon particulière de déboucher la bouteille, de faire mousser le liquide, de le considérer en penchant le verre, qu’il élevait ensuite entre la lampe et son œil pour bien apprécier la couleur. Quand il buvait, sa grande barbe, qui avait gardé la nuance de son breuvage aimé, semblait tressaillir de tendresse; ses yeux louchaient pour ne point perdre de vue sa chope, et il avait l'air de remplir l'unique fonction pour laquelle il était né. On eût dit qu'il établissait en son esprit un rapprochement et comme une affinité entre les deux grandes passions qui occupaient toute sa vie: ic Pale Ale et la Révolution; et assurément il ne pouvait déguster l’un sans songer à l’autre, M. et M Follenvie dînaient tout au bout de la table. L'homme, râlant comme une locomotive crevée, avait trop de tirage dans la poicrine pour pouvoir parler en mangeant; mais la femme ne se taisait jamais. Elle raconta toutes ses impressions à l’arrivée des Prussiens, ce qu'ils faisaient, ce qu'ils disaient, les exécrant, d'abord, parce qu'ils lui coûtaient de l'argent, et, ensuite, parce qu’elle avait deux fils à l’armée. Elle s’adressait surtout à la comtesse, flattée de causer avec une dame de qualité. Puis elle bai ait la voix pour dire les choses délicates, et son mari, BOULE DE SUIF 33 One must never fighe people who are stronger. ‘This request surelÿ means no danger 06 doubt its for some overlooked for- mality." Everyonc took his side, they begged her, they pressured her, they lectured her, and they finally won her over; for they all feared the com- plications that could result from an impuisive notion. She said at last: “Fm doing this for you, rest assured!” ‘Fhe Countess t00k her hand: “And we chank you for it” She went out." Fhey waited for her before they sat down at the table, Each one regretted not having been asked for instead of that violent and quick-tempered girl, and prepared platitudes in his own head in case he in turn was called. But, after ten minutes, she reappeared, panting, as red as if she’d been smothered, enraged. She stammered: “Oh, the bastard! the hastard!” Everyone was cager to know, but she said nothing; and since the Count kept insisting, she replied with great dignity: “No, it has noth- ing to de with vou, I can’t talk abour it.” Then they all sat around a tall tureen from which escaped the scent of cabbage. Despite chat trouble, the supper was chcerful. The cider was good, the Loiscaus and the nuns had some, for economy"s sake. The others ordered wine; Cornuder called for beer. He had a strange way of apening the battle, making the liquid foam and watching it as he cilred the glass, which he chen held up between the lamp and his eye the better to appraise the color. When he drank, his long beard, which was the color of his beloved beverage, seemed to quiver with tender feelings: his cyes squinted so as not to lose sight of his tankard, and he looked as if he was fulfilling the sole function for which he’d been born. You might have said that he was establishing in bis mind a link, and perhaps an affinity, between the rwo great passions that consumed his entire life: pale ale and revolution; and he certainly couldn’t partake of one wichout thinking of the other. Monsieur and Madame Follenvie were eating at the head of the table. ‘The man, grunting like a hroken locomotive, had too much blockage in his chest to be able to speak while eating: but the woman never kept quiet. She told of all her impressions of the Prussians’ arrival, what the: did, what they said, badmouthing them, firse because they were cost- ing her money, and then because she had two sons in the army. $he directed her comments to the Countess most of all, honored to chat with a lady of quality. Then she lowered her voice so as to say some delicate things, and her 34 BOULE DE SUIF de temps en temps, l'interrompait:—«Tu ferais mieux de te taire, madame Follenvie.»—Mais elle n’en tenait aucun compte, er continu- ait: —Oui, madame, ces gens-là, ça ne fait que manger des pommes de terre et du cochon, et puis du cochon et des pommes de terre. Et if ne faut pas croire qu'ils sont propres.—Oh non!—-Ils ordurent partout, sauf le respect que je vous dois. Et si vous les voyiez faire l'exercice pendant des heures et des jours; ils sont là tous dans un champ:—et marche en avant, ét marche en arrière, et tourne par-ci, et tourne par-Hà.—S'ils cul- tivaient la terre au moins, ou s'ils travaillaient aux routes dans leur paysi— Mais non, madame, ces militaires, ça n’est profitable à personne! Faur- il que le pauvre peuple les nourrisse pour n'apprendre rien qu’à massacrerl—Je ne suis qu'une vieille femme sans éducation, c’est vrai, mais en les voyant qui s'esquintenc le tempérament à piétiner du matin au soir, je me dis:—Quand il y a des gens qui font tant de découvertes pour être utiles, faut-il que d’autres se donnent tant de mal pour être nuisibles! Vraiment, n'est-ce pas une abomination de tuer des gens, qu'ils soient Prussiens, ou bien Anglais, ou bien Polonais, ou bien Fran: Si l’on se revenge sur quelqu'un qui vous a fait tort, c'est mal, puisqu'on vous condamne; mais quand on extermine nos garçons comme du gibier, avec des fusils, c'est donc bien, puisqu'on donne des décorations à celui qui en détruit le plus? —Non, voyez-vous, je ne comprendrai jamais ça!» Cornudet éleva la voix: —«<La guerre est une barbarie quand on attaque un voisin paisible; c’est un devoir sacré quand on défend la patrie.» La vieille femme baissa la tête: —<QOui, quand on se défend, c’est autre chose; mais si l’on ne de- vrait pas plutôt cuer tous les rois qui font ça pour leur plaisir?» L’œil de Cornudet s’enflamma: —«Bravo citoyenne!» dit-il M. Carré-Eamadon réfléchissait profondément. Bien qu'il fût fana- tique des illustres capitaines, le bon sens de cette paysanne le faisait songer à l'opulence qu'apporteraient dans un pays tant de bras inoc- cupés et par conséquent ruineux, tant de forces qu'on entretient im- productives, si on les employait aux grands travaux industriels qu'il fau- dra des siècles pour achever. Mais Loiseau, quittant sa place, alla causer tout bas avec l’aubergiste. Le gros homme riait, toussait, crachait; son énorme ventre sautillait de joie aux plaisanteries de son voisin, et il lui acheta six feuillettes de bordeaux pour le printemps, quand les Prussiens seraient partis. BOULE DE S$ Husband, from time to time, would interrupe her: “You'd be better off kecping quict, Madame Follenvie.” But she utterly ignored him, and continued: . “Yes, madame, those people, they do nothing but eat poratoes and pork, and then pork and potaroes. And you mustn’t chink they’re clean.—Oh nol—They relieve themselves everywhere, if you’ pardon my saying 50. And if you ever saw them doing their drills for hours and days on endk they're all there in a field:—and forward march, and t6 the rear march, and turn this way, and curn that way.—Kf they farmed the land at least, or if they worked on the roads in their own couneryt— But no, madame, these military types don’t benefit anyone! And the poor people have to feed them so they can learn nothing more than co slaughterl—Tl'm only an oïd, uneducated woman, it's true, but ce- ing them exhaust themselves trudging about from moming till night, L say to myself-—When some people find so many new ways to be useful, why must some others go out of cheir way to cause harm! Really, isn't it an abomination to kill people, be they Prussian, or English, or Polish, or French?—Tf you take revenge on someone who has done you harm, it's wrong, since you’l get punished; but is it all right when peo- ple kill our boys with rifles as if they were wild game because they give medals to those who kill the most?—No, you sce, l’Il never understand thac!” Cornudet raised his voice: “War is a barbarism when you attack a peaceful neighbor: it's a sa- cred duty when you defend the fatherland.” The old woman lowered her hea “Yes, when you defend yourself, it's another story; but shouldn’t you instead kill alt the kings who do chis for their own pleasure?” Jomudet’s eyes blazed: “Good for you, citizen!” he said. Monsieur Carré-Lamadon was thinking deeply. Although he was an ardent admirer of great military men, the good sense of chis counery- woman made him chink of the riches chat all the idle and thus ruinous hands, all the strength kept unproductive, could bring to a country if one were to put them co work on grand industrial projects that would take centuries to complete. But Loiseau, leaving his seat, went to talk quiecly with the inrkeeper. The fat man laughed, coughed, spat; his envormous belly jiggled with mirch at the jokes of his neighbor, and he bought from him six easks of Bordeaux for the spring, when the Prussians would be gone. 40 BOULE DE SUIF —Quand ça? —Hier soir, comme j'aflais me coucher.» Les trois hommes rentrèrent fort inquiets. On demanda M. Follenvie, mais la servante répondir que monsieur, à cause de son asthme, ne se levait jamais avant dix heures, Il avait même formellement défendu de le réveiller plus tôt, excepté en cas d'incendie. On voulut voir l'officier, mais cela était impossible absolument, bien qu’il logeât dans l'auberge. M. Follenvie seul était autorisé à lui parler pour les affaires civiles. Alors on attendie. Les femmes remontèrent dans feurs chambres, et des futilités les occupèrent. Cornudet s'installa sous fa haute cheminée de La cuisine où flambait un grand feu. Il se fit apporter là une des petites tables du café, une canette, et il tira sa pipe qui jouissait parmi les démocrates d’une con- sidération presque égale à la sienne, comme si elle avait servi la patrie en servant à Cornudet. C'était une superbe pipe en écume admirabte- ment culottée, aussi noire que les dents de son maître, mais parfumée. recourbée, luisante, familière à sa main, et complétant sa physionomic. Ec il demeura immobile, les yeux tantôt fixés sur la flamme du foyer, tantôt sur la mousse qui couronnait sa chope; et chaque fois qu'il avait bu, il passait d’un air satisfait ses longs doigts maigres dans ses longs cheveux gras pendant qu’il humait sa moustache frangée d’écume. Loiseau, sous prétexte de se dégourdir les jambes, alla placer du vin aux débitants du pays. Le comte et le manufacturier se mirent à causer politique. Ils prévoyaient l'avenir de la France. L’un croyait aux d'Orléans, l’autre à un sauveur inconnu, un héros qui se révélerait quand tout serait désespéré: un du Guesclin, une Jeanne d’Arc peut- être? ou un autre Napoléon [°'? Ah! si le prince impétial n’était pas si jeune? Cornudet, les écoutant, souriait en homme qui sait le mot des destinées, Sa pipe embaumait la cuisine. Comme dix heures sonnaient, M. Follenvie parut. On l’inter- rogea bien vite; mais il ne put que répéter deux ou trois fois, sans une variante, ces paroles:—L'officier m'a dit comme ça: «Monsieur Follenvie, vous défendrez qu’on attelle demain la voiture de ces voyageurs. Je ne veux pas qu'ils partent sans mon ordre. Vaus enten- dez. Ça suffit.» Alors on voulut voir l'officier. Le comte lui envoya sa carte où M. Carré-Lamadon ajouta son nom et taus ses titres. Le Prussien fit répon- dre qu'il admettrait ces deux hommes à lui parler quand il aurait dé- jeuné, c'est-à-dire vers une heure, BOULE DE SUIF 41 “When was this?” “Last night, as I was going to bed.” ‘Fhe three men went back to the inn very perturbed. ‘They asked for Monsieur Fellenvie, but the servant girl replied that, because of his asthma, her master never got up before ten o’elock. He had even formally forbidden that he be awakened any earlier, except in case of fire. They tried ro see the officer, but it was absolutelÿ impossible, for even though he was staying in the inn, only Monsieur Follenvie was authorized to speak with him about civilian matters. They waiced. The women went back up to their rooms and occupied themsclves with meaningless busywork. Cornudet setrled himself under the high kitchen mantel, where a great fire was blazing. He had one of che little café cables brought over, as well as a bottle of beer, and he drew on his pipe, which enjoyed among che democrats a respect almost equal to his own, as if ic had served the country itself by serving Cormudet, It was à superb meer- schaum pipe admirably worn in, as black as the teeth of its owner, but fragrant, curved, glowing, comfortable in his hand, and completing his physiognomy. And he remained immobile, his eyes fixeé now on the flame in the hearth, now on the foam that crowned his tankard:; and each time he drank, he contentediy ran his iong, thin fingers through his long, greasy hair while he sucked ac his mustache fringed with foam. Loiseau, under the pretext of bringing his numb legs back to life, went to sell some wine to the rural shopkecpers. The Count and the manu- facturer began to talk pelitics. They speculated on the future of France. One believed in the Orleanists, che other in an unknown savier, a hero who would reveal himself when all seemed last: a Du Guesclin, perhaps a Joan of Arc? or another Napoleon f? Ah! if only the imperial prince weren't so young! Cornudet. listening to them, smiled like a man who knows the decrec of fate. His pipe filled the Kitchen with its scent. Just as the cen o’elock bells were ringing, Monsieur Follenvie ap- peared. Everyone rushed to question him; but he could only repeat, two ar three times, without variation, thèse words: “The officer told me chis: ‘Monsieur Follenvie, you will prevent anyone from harness- ing up the coach of those travelers tomorrew. I don’t want them to leave without my order. You understand. Enough said.” ? Then they wanted to see che officer. The Count sent him his card onto which Monsieur Carré-Lamadon added his name and all his titles. The Prussian sent a repiy that he would receive these two men 10 speak with him when he’d had his breakfast, that is to say, at around one o’elock. 42 BOULE DE SUIF Les dames reparurent et l’on mangea quelque peu, malgré l’inquié- tude. Boute de suif semblait malade er prodigicusement croublée. On achevait le café quand Fordonnance vint chercher ces mes- sieurs. Loiseau se joignit aux deux premiers; camme on essayait d'entraîner Cornudet pour donner plus de solennité à leur démarche, il déclara fière- ment qu'il entendait n'avoir jamais aucun rapport avec les Allemands; ec if se remit dans sa cheminée, demandant une autre canette. Les crois hommes montèrent et furent introduits dans ta plus belle chambre de l’auberge où l'officier les reçut, étendu dans un fauteuil, les pieds sur la cheminée, fumant une longue pipe de porcelaine, et cnveloppé par une robe de chambre flamboyante, dérobée sans doute dans la demeure abandonnée de queique bourgeois de mauvais goût. Il ne se leva pas, ne les salua pas, ne les regarda pas. IE présentait un magnifique échantillon de la goujaterie naturelle au militaire victorieux. Au bout de quelques instants il dit enfin: —«Qu'est-ce que fous foulez?» Le comte prit la parole:—«Nous désirons partir, monsieur. —Non. —Oserai-je vous demander la cause de ce refus? —Parce que che ne feux pas. —Je vous ferai respectueusement observer, monsieur, que votre général en chef nous a délivré une permission de départ pour gagner Dieppe; et je ne pense pas que nous ayons rien fait pour mériter vos rigueurs. —Che ne feux pas... foilà tout... Fous poufez tescentre.» S'étant inclinés tous les crois ils se retirèrent. L’après-midi fut lamentable. On ne comprenait rien à ce caprice d'Allemand; et les idées les plus singulières troublaient les têtes. Tout le monde se tenait dans la cuisine et l’on discutait sans fin, imaginant des choses invraisemblables. On voulait peut-être les garder comme otages—mais dans quel but?—ou les emmener prisonniers? ou, plutôt, leur demander une rançon considérable? A cette pensée une panique les affola. Les plus riches étaient les plus épouvantés, se voyant déjà contraints, pour racheter leur vie, de verser des sacs pleins d'or entre les mains de ce soldat insolent. Îls sc creusaient la cervelle pour dé- couvrir des mensonges acceptables, dissimuler leurs richesses, se faire passer pour pauvres, très pauvres. Loiseau enleva sa chaîne de montre et la cacha dans sa poche. La nuit qui tombait augmenta les ap- préhensions. La lampe fut allumée, et comme on avait encore deux heures avant le dîner, M"< Loiseau proposa une partie de trente et un. Ce serait une distraction. On accepta. Cornudet lui-même, ayant éteint sa pipe par politesse, y prit part. BOULE DE SUIF 43 The ladies reappeared and everyone had a little to eat, despite the anxiety. Boule de Suif seemed ill and terribly trouble. They were finishing their coffee when the officer's orderly came ta 100k for the two gentlemen. Loiseau joined the first wo; but when they tried to drag along Cornudet to give more weight to their undertaking, he declared proudiy that he intended never to have anything to do with che Germans: and he went back to the fireplace, ordering another beer. ‘The three men went up and were brought into the most beaurifut room in the inn, where the officer reccived them, sprawled out in an armchair, his feet on the fireplace, smoking a long porcelain pipe, and wrapped in a showy dressing gown, stolen no doubt from the aban- doned house of some weli-off citizen with bad taste. He didn’c rise, didn’t greet them, didn’t look at them. He presented a magnificent ex- ample of the loutishness inherent in the victorious military man. After a few moments he said at last: “Vac do you vant?” The Count spoke up: “We'd like to leave, sir.” “No.” “Dare I ask you the reason for this refusal?” “Because I dont vant you to.” “T respectfully point out to you, sir, that your general in command has given us a departure permit to go to Dieppe; and I don’r chink we have done anything to warrant your harshness.” “T don’t vant you to... dat iss all... You may go back down.” AIT three having bowed, they left. The afterncon was lamentable. They understood nothing of the German’s whim; and the oddest notions troubled their minds. Every- one stayed in the kitchen and they talked endlessly, imagining farfetched things. Perhaps they wanted to keep them as hostages— bur to what end?—or take them prisoner? or, rather, ask them for à hefty ransom? At the thought of which, a panic struck them. The wealthiest were the most frighéened, seeing chemselves already obli- gated, in order to buy their lives, to pour sacks fult of gold into the hands of that insolent sotdier. They racked their brains to come up with acceptable lies, to misrepresent their wealth, to pass themselves off as Poor, very poor. Loiseau removed his watch chain and hid it in his pocker. The encroaching night increased their worries. The lamp was lit, and as they still had two hours before dinner, Madame Loiseau pro- posed a game of one-and-thirty. It would be a distraction, Everyone agreed. Cornudet himself, having snuffed his pipe out of politeness, took part. 44 BOULE DE SUIF Le comte battit les carres—donna—Boule de suif avait trente et un d'emblée; et bientôt l’inrérêt de la partic apaisa la crainte qui hantait les esprits. Mais Cornudet s'aperçut que le ménage Loiscau s’entendait pour tricher. Comme on allait se mettre à table, M. Follenvie reparut; et, de sa voix graillonnante, il prononça: «L’officier prussien fait demander à Mie Élisabeth Rousset si elle n'a pas encore changé d'avis.» Boule de suif resta debout, toute pâle; puis, devenant subitement cramoisie, elle eut un tel étouffement de colère qu'elle ne pouvait plus parler. Enfin elle éclata: «Vous lui direz à cette crapule, à ce saligaud, à cette charogne de Prussien, que jamais je ne voudrai, vous entendez bien, jamais, jamais, jamais.» Le gros aubergiste sortit. Alors Boule de suif fut entourée, interrogée, sollicitée par tout le monde de dévoiler le mystère de sa visite. Êlle ré- sista d’abord: mais l’exaspération F’emporta bientôt:—«Ce qu'il veut? .… ce qu'il veut? It veut coucher avec moil» cria-t-elle, Personne ne se choqua du mot, tant l'indignation fut vive. Cornudet brisa sa chope en la reposant violemment sur la table. C'était une clameur de répraba- tion contre ce soudard ignoble, un souffle de colère, une union de tous pour la résistance, comme si l’on eñit demandé à chacun une partie du sacrifice exigé d’eile. Le comte déclara avec dégoût que ces gens-là se conduisaient à la façon des anciens barbares. Les femmes surtout té- moignèrent à Boule de suif une commisération énergique et caressante. Les bonnes sœurs, qui ne se montraient qu'aux repas, avaient baissé la tête et ne disaient rien. On dîna néanmoins lorsque la première fureur fut apaisée; mais on parla peu, on songeait. Les dames se retirèrent de bonne heure; et les hommes, tout en fu- mant, organisèrent un écarté auquel fut convié M. Follenvie qu'on avait l'intention d’interrager habilement sur les moyens à employer pour vaincre la résistance de l'officier. Mais il ne songeair qu'à ses cartes, sans rien écouter, sans rien répondre; et il répétait sans cesse: —«Au jeu, messieurs, au jeu.» Son attention était si tendue qu’il en oubliait de cracher, ce qui lui mettait parfois des points d’orgue dans la poitrine. Ses poumons sifflants donnaient toute la gamme de l'asthme, depuis les notes graves et profondes jusqu'aux enrouements aigus des jeunes coqs essayant de chanter. Il refusa même de monter, quand sa femme, qui tombait de som- meil, vint le chercher. Alors elle partit toute seule, car elle était «du matins, toujours levée avec le soleil, tandis que son homme était «du soir», toujours prêt à passer la nuit avec des amis. Il lui cria:—«Tu pla- BOULE DE SUIF 45 The Count shuffed the cards—dealt—Boule de Suif had 31 straighe off; and soon the interest of the game soothed the fear that was haunt- ing their minds. But Cornudet noticed that the Loiseaus were trying to cheat. As they were going to sit down at the table, Monsieur Follenvie reap- peared; and, in his phlegm-clogged voice, he said: “The Prussian officer asks Miss Élisabeth Rousset whether she hasn’t yet changed her mind.” Boule de Suif remained standing, all pale; then suddenly becoming red in the face, she had such à fit of anger that she could no longer speak. Finally she burst out: “You tell that bugger, that bastard, that swine of a Prussian, that l’H never do it: you understand, never, never, never.” The chubby innkeeper left. Then Boule de Suif was surrounded, in- rerrogated, besought by everyone ro reveal che mystecy of her visit. She resisted at first, but exasperation soon got the best of her: “What does he want? . .. what does he want? He wants to sleep with me!” she cried out. No one was shocked by the words, so strong was cheir indignation. sornudet shattered his tankard while putting it back violently on the table. There was an outery of disapproval against chat shameless mer- cenary, a swelling of anger, a combination of all for resistance, as if each of them had been asked for a part of the sacrifice demanded of her. The Count declared with disgust chat those people behaved in the man- ner of the old barbarians. The women especially felt for Boule de Suif a vigorous and tender empathy. The nuns, who showed up only for meals, had lowered their heads and said nothing, / Nevertheless they had dinner when the first furor dicd down; buc they spoke litrle, they were deep in thought. "Fhe ladies went up earty; and the men, smoking all the while, orga- nizod a round of écarté to which they invited Monsieur Follenvie, whom they intended to interrogate stealthily about che means to use in order to overcome the officer's resistance. But he thought only about his cards, without hearing anything, without answering anything; and he repeated endlessly: “The game, gentlemen, the game.” His attention was so fixed that he would forget to spit, which would sometimes create or- gen points of rumbling in his chest, His wheezing lungs ran the entire asthmatic gamut, from deep bass notes all the way up to the hoarse tre- ble notes of young cocks trying to crow. He even refused to go upstairs when his wife, who was heavy with sleep, came to get him. So she left all aione, since she was an “early bird,” always getting up with che sun, while her husband was a “night owl” always ready to spend the night with friends. He calied out to 50 BOULE DE SUIF pas le droit de refuser l'un plutôt que l’autre. Je vous demande un peu, ça a pris tout ce qu'elle a trouvé dans Rouen, même des cochers! oui, madame, le cocher de fa préfecture! Je le sais bien, moi, il achète son vin à la maison. Et aujourd’hui qu’il s’agit de nous tirer d’embarras, elle fait la mijaurée, cette morveusel! . . . Moi, je trouve qu’il se conduit très bien, cet officier, [1 est peut-être privé depuis longtemps; et nous étions là trois qu’il aurait sans doute préférées. Mais non, il se contente de celle à tout le monde. I respecte les femmes mariées, Songez donc, il est le maître. Il n'avait qu'à dire: «je veux», er if pouvait nous prendre de force avec ses soldats.» Les deux femmes eurent un petit frisson. Les veux de la jolie M" Carré-Lamadon brillaient, et elle était un peu pâle, comme si elle se sentait déjà prise de force par l'officier. Les hommes, qui discutaient à l’écart, se rapprochèrent. Loiseau, fu- ribond, voulait livrer «cette misérable» pieds et poings liés à l'ennemi. Mais le comte, issu de trois générations d’ambassadeurs, et doué d’un physique de diplomate, était partisan de l’habileté: «Ïl faudrait la dé- cider»,—-dit-il. Alors on conspira. Les femmes se serrèrent, je ton de la voix fut baissé, et la discussion devint générale, chacun donnant son avis. C'était fort convenable du reste. Ces dames surtout trouvaient des délicatesses de tournures, des subtilités d'expression charmantes, pour dire les choses les plus scabreuses, Un étranger n'aurait rien compris tant les précautions du langage étaient observées. Mais la légère tranche de pudeur dont est bardée toute femme du monde ne recouvrant que la surface, elles s’épanouissaient dans cette aventure polissonne, s’amusaient follement au fond, se sentant dans leur élément, tripotant de l’amour avec la sen- sualité d’un cuisinier gourmand qui prépare le souper d'un autre. La gaieté revenait d'elle-même, tant l’histoire leur semblait drôle à la fin. Le comte trouva des plaisanteries un peu risquées, mais si bien dites qu’elles faisaient sourire. À son tour Loiseau lâcha quelques grivoiseries plus raides dont on ne se blessa point; et la pensée bru- talement exprimée par sa femme dominait tous les esprits: «Puisque c'est son métier à cetre fille, pourquoi refuserait-elle celui-là plus qu'un autre?» La gentille M°% Carré-Lamadon semblait même penser qu’à sa place elle refuserait celui-là moins qu’un autre. On prépara longuement le blocus, comme pour une forteresse in- vestie. Chacun convint du rôle qu'il jouerait, des arguments dont il s’ap- puierait, des manœuvres qu’il devrait exécuter. On régla le plan des at- BOULE DE SUIF 51 man over another. You’ recall chat she took whatever she could find in Rouen, even coachmen! Yes, madame, even the Prefecture’s driver! Fm in the know because he buys his wine from our outfit. And now when it's a matter of getting us ouc of a jam, chat tramp gives herseif airs! À for one think that the officer is behaving quite reasonably. Perhaps he’s gone without for a long time now; and there were three of us he would no doubt have preferred. Bur no, he is satisfied with thac srrectwalker. He respects married women. Think about it. He's in charge. He had only to say: ‘So be it,” and he could have had his sol- diers take us by force.” The two women gave à little shudder. ’Fhe eyes of the pretty Madame Carré-Lamadon were glassy and she was a little wan, as if she already fele herself being forcibly taken by the officer. The men, who were talking separately, came over. Loiseau, enraged, wanted to deliver “that wretch” to the enemy bound hand and foot. But che Count, as a scion of three generations of ambassadors and a man endowed with a diplomat’s bearing, was pattial to slyness: “We must persuade her,” he said, So they plotted. The women huddled togecher, their voices lowered, and the discus- sion became general, each one giving an opinion. Nevertheless it was quite proper. The ladies were especially adept at finding delicate turns of phrase, charming subtleties of expression, to express the nastiest things. Someone unfamiliar with them wouid have caught onto noth- ing, so stringently were precautions of language observed. But since che thin layer of madesry with which each woman in the world is ar- mored covers only the surface, they threw themselves wholeheartediy inco this ribald caper, were thrilled to the core, fecting themselves quite in cheir element, pawing over love with the sensual joy of a gourmer chef preparing someone else’s supper. Thcir good cheer returned on its own, so funny did the matrer seem to them after all. The Count made a few jokes that were a litrle racy, but so well told that they made everyone smile. In turn Loiseau rold a few rougher dirty stories at which no one took offense; and the notion brutally expressed by his wife occupied everyone’s mind: “Since it's that whore’s trade, should she turn away one man over another?” The lovely Madame Carré-Lamadon even seemed to think that, in her place, she would turn this one away less quickly chan another. They prepared the blockade at length, as for a besieged fortress, Each one agreed to the part he was to play, the arguments he would use in support, the maneuvers he’d have to execute, They settled on the plan 52 BOULE DE SUIF taques, les ruses à employer, et les surprises de l'assaut, pour forcer certe citadelle vivante à recevoir l'ennemi dans la place. Cornudet cependant restait à l'écart, complètement étranger à cette affaire. Une attention si profonde tendait les esprits, qu’on n’entendit poine rentrer Boule de suif. Mais le comte souffla un léger. «Chut» qui fic relever tous les yeux. Elle était là. On se tuc brusquement ét un cer- tain embarras empêcha d’abord de lui parler. La comtesse, plus assou- plie que les autres aux duplicités des salons, l’incerrogea:-—«Érait-ce amusant, ce baptême?» La grosse fille, encore émue, raconta tout, er les figures, et les atti- tudes, ct l’aspect même de l’église. Elle ajouta: —«C'est si bon de prier quelquefois.» Cependant, jusqu'au déjeuner, ces dames se contentèrent d'être aim- ables avec elle, pour augmenter sa confiance et sa docilité à leurs conseils. Aussirôt à table, on commença les approches. Ce fut d’abord une con- versation vague sur le dévouement. On cita des exemples anciens: Judith et Holopherne, puis, sans aucune raison, Lucrèce avec Sextus, Ciéopätre faisant passer par sa couche tous les généraux ennemis, et les réduisant à des servilicés d’esclave. Alors se déroula une histoire fan- taisiste, éclose dans l'imagination de ces millionnaires ignorants, où les citoyennes de Rome allaient endormir à Capoue Annibal entre leurs bras et, avec lui, ses lieutenants, et les phalanges des mercenaires, On cita toutes les femmes qui ont arrêté des conquérants, fait de leur corps un champ de bataille, un moyen de dominer, une arme, qui ont vaineu par leurs caresses héroïques des êtres hideux ou détestés, er sacrifié leur chasteté à la vengeance et au dévouement. On parla même en termes voilés de cette Anglaise de grande famille qui s'était laissé inoculer une horrible et contagieuse maladie pour la transmettre à Bonaparte sauvé miraculeusement, par une faiblesse subite, à l'heure du rendez-vous fatal. Et tout cela était raconté d’une façon convenable et modérée, où par- fois éclatait un enthousiasme voulu propre à exciter l'émulation. On aurait pu croire, à la fin, que le seul rôle de ja femme, ici-bas, était un perpétuel sacrifice de sa personne, un abandon continu aux caprices des soldaresques. Les deux bonnes sœurs ne semblaient point entendre, perdues en des pensées profondes, Boule de suif ne disait rien. Pendant toutc l'après-midi on la laissa réfléchir. Mais, au lieu de l’ap- peler «madame» comme on avait fait jusque-là, on lui disait simple- ment «mademoiselle», sans que personne sût bien pourquoi, comme si BOULE DE SÜIF 53 ofartack, the ruses to employ, and the surprise assaults, in order to force thar living citadel to allow the enemy to enter. Cornudet, however, stayed at a distance, campleteiy removed from chis business. An attention so profound held their minds that they didn't hear Boule de Suif return. But the Count whispered a soft “Shh,” which made everyone look up. She was there. They abruptly fell silent and a cer- tain embarrassment kept them from talking to her at first. ‘The Countess, more skiliful than the others in the treachcries of che salon, sked her: “Did you enjoy che baprism?” The fat young woman, still emotional, recaunted everything, the faces, the attitudes, and even the appearance of the church. She added: “Sometimes it's so good to pray.” However, until lunchtime, the ladies were contented to be kind ta her, s0 as to increase her trust and openness to their advice. As soon as they were seared, they began their approach. There was at first a vague conversation about self-sacrifice. T'hey cited ancient exam- piles: Judith and Holofernes, then, for no apparent reason, Lucretia and Sextus, then Cleopatra taking all the enemy generals into her bed and teducing them to a slave-like docility. Then a fantastic story unfurted, hatched in the imagination of these ignorant millionaires, in which the female citizens of Rome were going to Capua so as to lult Hannibal to sieep in their arms and, along with him, his lieutenants and the phalanxes of mercenaries. They cited all the women who halted conquerors, who made their bodies into battlefields, into tools of domination, into weapons, who conquered hideous or hated beings through their heroic caresses, and gave up their chastity for revenge and for self-sacrifice. They even spoke in veiled terms about chat Englishwoman of a no- ble family who ler herself be inoculated with a horrible and contagious disease so as to transmit it to Bonaparte, who was miraculously saved by a sudden dizzy spell at the hour of the fateful meeting, And ali this was told in a proper and restrained manner in which there occasionally erupted a deliberate enthusiasm meant to elicit emulation. One would've thought, in the end, that the only rote of women here on carth was an endless sacrifice of their bodies, a continuous submis- sion to the whims of the licencious soldiery. The two nuns seemed not to hear, lost in their deep thoughts. Boute de Suif said nothing. Throughout the entire afternoon they let her ruminate. But instead of calling her “Madame” as they’d done until then, they called her sim- ply “Mademoiselle,” without their even knowing why, as if they'd 54 BOULE DE SUIF l’on avait voulu la faire descendre d’un degré dans l'estime qu’elle avait escaladée, lui faire sentir sa situation honteuse. Au moment où l’on servit le potage, M. Folienvie reparut, répétant sa phrase de la veille:-—«L'officier prussien fair demander à Me Éti. sabeth Rousset si elic n'a point encore changé d'avis.» Boulc de suif répondit sèchement:—«Non, monsieur.» Mais au dîner la coalition faiblit. Loiseau eut trois phrases mal- heureuses, Chacun se battait les flancs pour découvrir des exemples nouveaux et ne trouvait rien, quand la comtesse, sans préméditation peut-être, éprouvant un vague besoin de rendre hommage à la Religion, intccrogea la plus âgée des bonnes sœurs sur les grands faits de la vie des saints. Or, beaucoup avaient commis des actes qui seraient des crimes à nos yeux; mais l'Église absout sans peine ces forfaits quand ils sont accomplis pour la gloire de Dieu, ou pour le bien du prochain. C'était un argument puissant; la comtesse en profita. Alors, soit par une de ces ententes tacites, de ces complaisances voilées, où excelle quiconque porte un habit ecclésiastique, soit simplement par l'effet d’une inintelligence heureuse, d’une secourable bêtise, a vieille re- ligieuse apporta à la conspiration un formidable appui. On la croyait timide, elle se montra hardie, verbeuse, violente. Celle-là n’était pas troublée par les tâtonnements de la casuistique; sa doctrine semblait une barre de fer; sa foi n’hésitait jamais; sa conscience n'avait point de scrupules. Elle trouvait tout simple le sacrifice d'Abraham, car elle au- rait immédiatement tué père et mère sur un ordre venu d'en haut; et rien, à son avis, ne pouvait déplaire au Seigneur quand l'intention était louable. La comtesse, mettant à profit l'autorité sacrée de sa complice inattendue, lui fit faire comme une paraphrase édifiante de cer axiome de morale: «La fin justifie les moyens.» Elle l'interrogeait. ——«Alors, ma sœur, vous pensez que Dieu accepte toures les voies, et pardonne le fait quand le motif est pur? —Qui pourrait en douter, madame? Une action blâmable en soi de- vient souvent méritoire par la pensée qui l’inspire.» Et elles continuaient ainsi, démêlant les volontés de Dieu, prévo- yant ses décisions, le faisanc s'intéresser à des choses qui, vraiment, ne le regardaient guère. Tout cela était enveloppé, habile, discret. Mais chaque parole de la sainte fille en cornette faisait brèche dans la résistance indignée de la courtisane. Puis, la conversation se détournant un peu, ta femme aux chapelets pendants parla des maisons de son ordre, de sa supérieure, d'elle-même, et de sa mignonne voisine, la chère sœur Saint-Nicéphore. BOULE DE SUIF 55 wanted 10 take her down a peg from the level of esteem to which she’d ctimbed and make her aware of her shameful situation. As the soup was being served, Monsieur Follenvie reappeared, re- peating his announcement of che night before: “The Prussian officer asks if Mademoiselle Élisabech Rousset has changed her mind yer,” Boule de Suif answered dryiy: “No, Monsieur.” Bur at dinner the alliance weakened. Loiseau made threc unfortunate remarks. They were all racking their brains to come up with new ex- amples but were finding nothing, when the Countess, perhaps without forethought, experiencing a vague need to pay homage to religion, ques- tioned the elder of the nuns about the important events in the lives of saints. For many had committed acts that would be crimes in our eyes; but the Church readily forgives these misdecds when they're done for che glory of God, or for the good of one’s ncighbors. It was à powerful argument; the Countess took advantage of ic Then, whether it was through one of those unspoken understandings or veiled complicities in which those who wear ecclesiastic habits excel, or whether it was sim- ely the effect of fortunate ignorance and helpful stupidity, che old nun lent considerable support to the conspiracy. They'd ali thoughe her shy, but she showed herself bold, verbose, violent. She wasn’t troubled by the tentative gropings of casuistry; her doctrine seemed a bar of iron; her faith never wavered; her conscience had no scruples, She found Abraharm’s sacrifice perfectly simple to understand, for she would’ve im- médiately killed father and mother on an order from above; and neth- ing, co her way of thinking, could displease the Lord when the inten- üon was praiseworthy. The Countess, putting to use the holy authoritg of her unexpected accomptice, had her make a sort of edifying summary of that axiom of morality, “Fhe ends justify the means.” She questioned her. “So then, sister, do you think that God accepts all courses of action and forgives the deed when the rhoughc behind ic is pure?” “Who could doubr it, Madäme? An action reprehensible in itself of- ten becomes worthy by dint of the thought that inspires it.” And they wens on like this, untangling the will of God, predicting His decisions, engaging Him in things that realy had littie to do with Him. AU chis was shrouded, sly, discreet. But each word from the hoty maiden with the coif made a breach in the indignant resistance of the courtesan, Then, the conversation taking a bit of a detour, the woman with che dangling rosary spoke about the houses of her order, about her Mother Superior, about herself and about her delicate companion, dear 60 BOULE DE SUIF deux bonnes sœurs, elles-mêmes, sollicitées par ces dames, consen- tirent à tremper leurs lèvres dans ce vin mousseux donc elles n'avaient jamais goûté. Elles déclarèrent que cela ressemblait à la fimonade gazeuse, mais que c'était plus fin cependant. Loiseau résuma la situation. —«C'est malheureux de ne pas avoir de piano parce qu'on pourrait : pincer un quadriile.» Cornudet n'avait pas dic un mot, pas fait un geste; il paraissait même plongé dans des pensées très graves, et tirait parfois, d’un geste furieux, sa grande barbe qu'il semblait vouloir allonger encore. Enfin, vers mi- nuit, comme on allait se séparer, Loiseau qui titubait, lui tapa soudain sur Le ventre et Lui dit en bredouillant:—«Vous n'êtes pas farce, vous, ce soir; vous ne dites rien, citoyen?»—Mais Cornudet releva brusque- ment la tête, et parcourant la société d’un regard luisant et terrible:— «Je vous dis à tous que vous venez de faire une infamiel»—Il se leva, gagna la porte, répéta encore une fois: «Une infamie!» et disparut. Cela jeta un froid d'abord. Loiseau interloqué restait bête; mais il reprit son aplomb, puis tout à coup, se tordit en répétant:—«lis sont trop verts mon vieux, ils Sont trop verts.»—Comme on ne com- prenait pas, il raconta les «mystères du corridor». Alors il y eut une reprise de gaieté formidable. Ces dames s’amusaient comme des folles. Le comte et M. Carré-Lamadon pleuraient à force de rire. Ils ne pou- vaient croire. «Comment! Vous êtes sûr? Il voulait . —-Je vous dis que je l'ai vu. Et, elle a refusé —-Parce que le Pruiss —Pas possible? —Je vous le jure.» Le comte érouffair. L’industriel se comprimaic le ventre à deux mains. Loiseau continuait: en était dans la chambre à côté. —«£i, vous comprenez, ce soir, il ne la trouve pas drôle, mais pas du tout.» Et tous les trois repartaient, malades, essoufflés. On se sépara là-dessus. Mais ME Loiseau, qui était de la nature des orties, fit remarquer à son mari, au moment où ils se couchaient, que «cette chipie» de petite Carré-Lamadon avait ri jaune toute la soirée:— «Tu sais, les femmes, quand ça en tient pour l'uniforme, qu'il soit Français ou bien Prussien ça leur est, ma foi, bien égal. Si ce n'est pas une pitié, Seigneur Dieu!» Et toute la nuit, dans l'obscurité du corridor coururent comme des BOULE DE SUIF 61 The two nuns themselves, urged on by those ladies, consented to wet their lips in chat bubbly wine which chey’d never before tastcd. They declared that ie was like carbonated Jemonade, bnc more re- finéd. Loiseau sized up the situation: “ts unfortunate chat we don’t have a piano because we could play a quadrille.” Cornudet hadn't said a word, hadn’t budged: he even seemed to he sunk deep in serious thought, and from time to time tugged hard ar his long beard which he seemed to want to make even longer. At last, around midnight, as everyone was about to take their leave, Loiseau, cottering, suddenly poked him in the belly and jabbered at him: “You haven’t been much fun tonight; aren’t you going to say something, cit- izen?” Cornudet lifted his head brusquely and, looking over the group witb a glowering and harsh eye: “TII say that what you've all just done is a disgracel” He got up, went to the door, repeated once more, “A disgrace!” and vanished, This cast a chill at frst. Loiseau, unsettled, was dumbstruck; but he segained his composure, then suddenly doubled over with laughter as he repeated: “Sour grapes, my friend, sour grapes.” Since no one un- derstood, he related the “secret of the hatlway.” Then chere was a con- siderable resurgence of good humor. The ladies were cickled pink. Fhe Count and Monsieur Carré-Lamadon laughed so hard that they cried. ‘They couldn’t believe it. “What! Are you sure? He wanted to...” “F cell you I saw it” “And she refused .. ? “Because che Prussian was in the next room.” “rt can't be.” “T swear to you.” The Count was gasping. The manufacturer held his bell wich both hands. Loiseau went on: “And now you see why he doesn't find tonight’s situation at all funny.” And tbe three began all over again, dizzy, breathless. Upstairs, they parted ways. But Madame Loiseau, who had a biting nature, pointed out to her husband, as they were going to bed, that “that bitch” Madame Carré-Lamadon had been forcing herself to laugh all night: “You know, when women go crazy for a man in uniform, they don't care whether he's French or Prussian. Lord, if it isn°t pathetie!” And all night chere was a sort of rustling in the darkness of che hall- 62 BOULE DE SUIF frémissements, des bruits légers à peine sensibles, pareils à des souf- Îles, des effleurements de pieds nus, d'imperceptibles craquements. Et lon ne dormit que très tard, assurément, car des filets de lumière glis- sèrent longtemps sous les portes. Le champagne a de ces effets-Bà; il trouble, dit-on, le sommeil. Le lendemain, un clair soleil d'hiver rendait la neige éblouissante, Éa diligence, attelée enfin, attendait devant la porte, tandis qu'une ar- mée de pigeons blancs, rengorgés dans leurs plumes épaisses, avec un œil rose, taché, au milieu, d’un point noir, se promenaient gravement entre les jambes des six chevaux, er cherchaient leur vie dans le crat- tin fumant qu'is éparpillaient. Le cocher, enveloppé dans sa peau de mouton, grillait une pipe sur le siège, ec tous les voyageurs radieux faisaient rapidement empaque- ter des provisions pour le reste du voyage. On n'attendait plus que Boule de suif. Elle parut. Elle semblait un peu troublée, honteuse; et elle s'avança timidement vers Ses compagnons, qui, tous, d’un même mouvement, se dé- rournèrent comme s'ils ne lavaient pas aperçue. Le comte prit avec dignité le bras de sa femme et l'éloigna de ce contact impur. La grosse fille s'arrêta, stupéfaite; alors, ramassant tout son courage, clle aborda la femme du manufacturier d’un «bonjour, madame» hum- blement murmuré. L'autre fit de la rête seule un petit salut imperti- nent qu'elle accompagna d'un regard de vertu outragée. Tout le monde semblait affairé, et l’on se tenait loin d'elle comme si elle eût apporté une infection dans ses jupes. Puis on se précipita vers la voiture où elle arriva seule, la dernière, et reprit en silence la place qu’elle avait oc- eupée pendant la première partie de la route. On semblait ne pas la voir, ne pas la connaître; mais M€ Loiseau, la considérant de loin avec indignation, dit à mi-voix à son mari: «Heureusement que je ne suis pas à côté d'elle.» La lourde voiture s’ébranla, et le voyage recommença. On ne parla point d’abord. Boule de suif n'osait pas lever les yeux. Elle se sentait en même temps indignée contre tous ses voisins, ec hu- miliéc d’avoir cédé, souillée par les baisers de ce Prussien entre les bras duquel on l’avait hypocritement jetée. Mais la comtesse, se tournant vers ME Carré-lamadon, rompit bientôt ce pénible silence. —«Vous connaissez, je crois, M€ d’Étrelles? —Oui, c'est une de mes amies. —Quelle charmante femme! BOULE DE SUIF 63 way, slight noises barely audible, tike breathing, like the padding of bare feet, like imperceptible creaking. And certainly no one fell asleep until very late, for slivers of lighc slipped out from under their doors for quite a while, Champagne has been known to do this; it disturbs sleep, they say. The next day, a bright winter sun made the snow blindingiy white. ‘The coach. at last hitched up, was waiting in front of thé deor, while an army of white pigeons, puffed up in cheir thick plumage, with pink eyes marked in the centers by a black dot, paraded solemniy among the legs of the six horses and sought out their susténance in the steam- ing dung that the horses were strewing about. The driver, wrapped in his sheepskin coat, was smoking a pipe in his seat, and ail the beaming travelers were quickly having provisions packed for the rest of the trip. They were waiting only fer Baule de Suif. She appeared. She seemed a little disturbed, ashamed; and, ümidly, she approached her companions who all in a single movement turned around ss if chey hadn’t seen her. The Count took bis wife’s arm with a dignified air and distanced her from chat impure contact. The fat voung woman halted, dumbstruck; then, mustering all her courage, she went up to the manufacturer’s wife and humbly mumbled, “Good morning, Madame.” The ocher woman gave a little impertinent nod of greeting which she accompanicd with a look of offended virtue. Everyvone seemed busy and kept far away from her as if she’d brought an infection into their midst. Fhen they dashed toward the coach, where she arrived by herself, the last one, and silentiy reoccupied the seat which she'd had during the first leg of che journey. No one seemed to see her, or to know her; Madame Loiseau, look- ing at her disdainfuily from afar, muttered to her husband: “Luckily, l'm not next to her.” The heavy coach shook and the voyage resumed. No one spoke at first. Boule de Suif didn't dare raise her eyes. She felt at one and the same time contemptuous coward all her neighbors and ashamed for having given in and been dirtied by the kisses of that Prussian into whose arms they'd hypocritically thrown her. But the Countess, turning to Madame Carré-Lamadon, soon broke the painful silence, “I believe you know Madame D'Étrelles?” “Yes, she’s a friend of mine.” “What a delightful woman!” 64 BOULE DE SUIF —Ravissante! Une vraie nature d'élite, fort instruite d'ailleurs, et artiste jusqu'au bout des doigts; elle chante à ravir ec dessine dans ta perfection.» Le manufacturier causait avec le cornte, et au milieu du fracas des vitres un mot parfois jaillissait: <Coupon—échéance—prime—à terme.» Loiscau, qui avait chipé Le vieux jeu de cartes de l'auberge engraissé par cinq ans de frottement sur les tables mal essuyées, attaqua un bésiguc avec sa femme, Les bonnes sœurs prirent à leur ceinture le long rosaire qui pendait, firent ensemble le signe de la croix, et tout à coup leurs lèvres sc mirent à remuer vivement, se hâtant de plus en plus, précipicant leur vague mærmure comme pour une course d'oremus; et de temps en temps elles baisaient une médaille, se signaient de nouveau, puis recommençaient leur marmottement rapide et continu. Cornudet songeait, immobile. Au bout de trois heures de route, Loiseau ramassa ses cartes: fait faim», dit-il Alors sa femme atteignit un paquet ficelé d’où elle fie sortir un morceau de veau froid. Elle le découpa proprement par tranches minces et fermes, et tous deux se mirent à manger. —«8i nous en faisions autant»,—dit la comtesse. On y consentit et clle déballa les provisions préparées pour les deux ménages. C'était, dans un de ces vases allongés dont le couvercle porte un lièvre en faïence, pour indiquer qu’un lièvre en pâté gît au-dessous, une char- cuterie succulente, où de blanches rivières de lard traversaient la chair brune du gibier, mêlée à d'autres viandes hachées fin. Un beau carré de gruyère, apporté dans un journal, gardait imprimé: «faits divers» sur sa pâte onctueuse. Les deux bonnes sœurs développèrent un rond de saucisson qui sen- tait l'ail, er Cornudet, plongeant les deux mains en même temps dans les vastes paches de son paletot sac, tira de l’une quatre œufs durs er de l’autre le eroûton d’un pain. If détacha la coque, la jeta sous ses pieds dans la paille et se mit à mordre à même les œufs, faisant tomber sur sa vaste barbe des parcelles de jaune clair qui semblaient, là-dedans, des étoiles. Boule de suif, dans la hâte et l’effarement de son lever, n'avait pu songer à rien; et elle regardait, exaspérée, suffoquant de rage, tous ces gens qui mangcaient placidement, Une colère tumultueuse la crispa <N BOULE DE SUIF 65 “Enchanting! À nature of true refinement, well educatcd too, and an artist to the tips of her fingers; she sings divinety and draws won- ls.” Te manufacturer was chatting with the Count and amid the din of the rattling windows a word occasionally shot out: “Dividend-—dead- line—option—futures.” Loiseäu, who had swiped the inn's old pack of cards, greasy from five years of contact with badly cleaned tables, began à game of be- zique with his wife. _- “he nuns t00k hold of the long rosaries that hung from their waists, made the sign of the cross together, and all at once their lips began to move rapidly, quickening more and more, spewing out their indistinct murmurings as if they were in an oremus* race; and from time 16 time they would kiss a medallion, cross themselves again, then once more start their quick and ceaseless muttering. Cornudet was chinking, immobile. After chree hours on the road, Loiseau gathered up his cards: “Tm hungry," he said. | So his wife picked up a tied package from which she took out a piece of cotd veal. She cut it neatly into thin, firm slices, and the two of them began to eat. “Perhaps we should ali do likewise,” said the Countess. Everyone agrced and she unpacked the provisions prepared for the two couples. They had, in one of those oblang containers whose cover bears a porce- lain hare to indicate that there is a pâté of hare resting therein, a bit of succulenc cokd meat through which white rivers of bacon fat crossed the brown flesh of the game, mixed with other finely chopped meats. À sizable block of Gruyère cheese, wrapped in a newspaper, bore “News Items” printed on its oily surface. The two nuns unwrapped a link of sausage that smelled of garlic; ané Cornudeï, plunging his two hands simultaneousiy into the room pockets of his avercoat, drew out four hard-boiled cggs from one and a crust of bread from the other. He removed the shells, tossed them among the straw under his fer and began to bite inco the eggs. mak- ing crumbs of bright yellow fall into his enormous beard, where they louked like stars. Boule de Suif, in the haste and panic of getting up, hadn't been able to think ahead; and, exasperated, choking with rage, she watched all those people who were eating peacefulis. A. soiling anger gripped her “Les us pray.”
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