Télécharge Cahier d'un retour au pays natal, A. Césaire (1939) et plus Examens au format PDF de Topographie sur Docsity uniquement! Fiche – lecture analytique : Cahier d’un retour au pays natal, A. Césaire (1939) Problématique : Que révèlent ces deux portraits croisés, d’un lieu et d’un homme, de l’état de conscience du poète ? I. Le tableau d’une civilisation blessée a) Deux extraits en écho l’un à l’autre # Le 1e extrait, situé au début du Cahier…, opère une description des Antilles en procédant par rapprochements successifs : la vision va du plus large au plus resserré => l’archipel (« les Antilles », l.1), puis une île (« l’extrême, trompeuse, désolée eschare sur la blessure des eaux », l.4), une « plage des songes » (l.13), une « ville plate… » (l.14), la « foule criarde » (l.19). # Le 2e extrait, situé plus loin dans le parcours du poète, fait le portrait d’un homme à la manière d’une description de paysage, à travers une progression qui détaille et revient sur plusieurs parties de son corps une à une : le nez (l.4, 9), le front (l.8), une oreille (l.11), les yeux (l.13, 17), les orteils (l.14), les mâchoires (l.18), une joue (l.19)… Dans les deux cas, on est frappé par la dimension négative de la description, marquée par l’idée de décrépitude que traduit l’omniprésence d’un vocabulaire dépréciatif… - Ainsi, tandis que l’extrait 1 présente la Martinique à travers une périphrase qui souligne la dévastation dans lequel l’environnement se trouve, ainsi que sa fragilité (elle est une « eschare sur la blessure des eaux »), le nègre observé dans l’extrait 2 voit, de la même manière, son visage considéré à travers un vocabulaire de la topographie insistant sur l’usure qui le caractérise : son nez semble « une péninsule en dérade » (l.4) puis apparaît « percé de deux tunnels parallèles » (l.9) ; son visage, quant à lui, est constellé de cicatrices qui forment autant d’ « îlots scabieux » (l.6)… - Dans les deux extraits, on note en outre le fait que la dégénérescence semble imprégner tout ce que le poète décrit : l’extrait 1 déploie en ce sens un champ lexical lié à la maladie (« les Antilles grêlées de petite vérole », l.2 ; « pourrissant sous le soleil », l.8 ; « crevant de pustules tièdes », l.8-9). De son côté, l’extrait 2 évoque également la maladie, à travers la mention de la dépigmentation de la peau du personnage : « sa négritude même qui se décolorait » (l.4) b) Une civilisation accablée par la misère # Plus précisément, dans le 1e extrait, l’accumulation du premier paragraphe semble synthétiser l’idée que la misère occupe tout l’espace qui s’offre à la vision du poète : en désignant le peuple par le lieu qu’il habite à travers la métonymie « les Antilles » (pour « les Antillais »), Césaire rend en effet indissociables la vision des lieux et celle des personnes, associés autant les uns que les autres à « la faim », « la petite vérole » et « l’alcool » (l.1-2) Dans le même ordre idée, on remarque la présence du champ lexical de l’épuisement - avec les termes « se fanent » (l.5), « s’éparpillent » (l.5), « désaffectées » (l.6), « pourrissant » (l.7), « mûres » (l.13), « essoufflée » (l.16), ainsi que la répétition du terme « vieux/vieille » (l.6, 7, 8) – lequel souligne la précarité du monde évoqué par le poète. # Dans le 2e extrait, la Misère est personnifiée (on note la majuscule : l.5 et 7 + nouvelle mention l.16), et directement évoquée comme instance agressive modelant la physionomie grotesque du personnage : tour à tour, elle est ainsi assimilée à un « mégissier » (l.5), « un gros oreillard » (l.5), « un ouvrier » dont le pouce est « industrieux et malveillant » (l.8). Là encore, il est question d’épuisement dans l’évocation du nègre décrit par Césaire, dont les « mains tremblantes » sont celles d’un « boxeur affamé » (l.3) : outre sa « vieille joue décatie » (l.20), il est caractérisé par un œil couvert de « poussière et de chassie mêlées » (l.17-18), tandis que son attitude même témoigne d’un abandon, d’une lassitude (« un nègre affalé », l.23). On note également le double sens du verbe « achever » (l.16), associé à l’action de la misère (il s’agit pour elle autant d’achever une œuvre – i.e. y mettre la dernière main - que d’achever un être – i.e. le tuer…) c) Une civilisation prise dans une inertie alarmante Cet épuisement semble contribuer à maintenir le pays et le peuple dans l’inertie, et les images maniées par le poète dans les deux extraits renvoient de fait à l’idée d’une vie sans but ni mouvement propre : - Le chiasme (l.2-3) de l’extrait 1 : « échouées dans la boue de cette baie, dans la poussière de cette ville sinistrement échouées » - suggère l’enlisement profond du pays (encore souligné par l’allitération en [b]), son incapacité à sortir d’un cycle d’inaction. - Dans le même extrait, l’anaphore de l’expression « Au bout du petit matin » est à analyser : désignant la période fragile de l’aurore, où pointe fébrilement la lumière après la longue nuit (et la mention « au bout de… » renforce cette idée de terme, d’instant charnière appelé à s’effacer), sa répétition peut renvoyer au bégaiement des sensations qui envahissent Césaire : où que se pose son regard, la nuit n’est pas encore tout à fait révolue – il est toujours « au bout du petit matin »… c’est-à-dire dans un temps de passage, un temps vide. Cette question de la vacuité et de la redondance du moment est par ailleurs traduite à travers la syntaxe et le vocabulaire qui couvrent ce premier extrait : champ lexical de la vanité (« inutile », « babillards », « inanité », « songes », « inerte » (répété 3 fois)) ; omniprésence de phrases sans verbe en proposition principale (équivalent de phrases non verbales) qui renforcent la dimension énumérative de la description et l’impression de non- vie qui en émane ; verbes pronominaux conjugués au présent d’énonciation – et par conséquent pris dans une valeur d’inaccompli (« se fanent », « s’éparpillent » - l.5), ce qui contribue à la constitution d’images flottantes, où l’action semble figée dans son déroulement… - De manière générale, les répétitions dans les deux extraits renforcent cette impression d’une parole de ressassement, qui n’avance pas mais radote (cf. en ce sens les répétitions du GN « un nègre » dans le 2e extrait) II. La conscience d’une aliénation a) L’idée d’une dépossession # Dans le 1e extrait, les lieux sont évoqués à travers une série d’images qui cristallisent l’idée d’êtres étouffés, incapables de s’exprimer : - On note en ce sens le paradoxe du 2e § : « les martyrs qui ne témoignent pas » (l.5), i.e. qui sont dépossédés de leur raison d’être même (rappel : « martyr » = « témoin ») - On remarque surtout la description de la ville, puis de la foule dans les deux derniers § de l’extrait : ¤ Une métaphore christique semble personnifier dans un premier temps la ville, présentée – telle Jésus au plus fort de sa Passion – « essoufflée sous son fardeau géométrique de croix éternellement recommençante » (l.16). Le motif de la croix signe ici une double aliénation :