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CANDIDE DE VOLTAIRE - orné de figures du temps, Lectures de Littérature

Typologie: Lectures

2021/2022

Téléchargé le 24/02/2022

Roxane_Lille
Roxane_Lille 🇫🇷

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Télécharge CANDIDE DE VOLTAIRE - orné de figures du temps et plus Lectures au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! V O L T A I R E CAND1DE ou L'OPTIMISME Orne de figures du temps P A R I S E d i t i o n s de la S i re tie 7, rue Pasquier, Paris (vin') V O L T A I R E 1 A I ! \ OU L'OPTIMISME Orne de figures clu temps P A R I S I*.', d i t i o n s d r l a S i r e n r 7. rue Pasquier, Paris (vin') CANDIDE, L ' O P T I M I S M E , T R A D U J T D E L ' A L L E M A N D D E MR. IE D O C T E U R RALPH. M D CC I IX. 2 C A N D I D E qu'on le nommait Candide. Les anciens do- mestiques de la maison soupsonnaient qu'il etait fils de la soeur de Mr. le Baron, et d'un bon et honnete Gentilhomme du voisi- nage, que cette Demoiselle ne voulut jamais epouser, parce qu'il n'avait pu prouver que soixante et onze quartiers, et que le reste de son arbre genealogique avait etc perdu par Pinjure du terns. Monsieur le Baron etait un des plus puis- sans Seigneurs de la Westphalie, car son Cha- teau avait une porte et des fenetres. Sa grandeSalle, meme, etait ornee d'uneTapis- serie. Tous les chiens de ses basses-cours composaient une meute dans le besoin; ses palfreniers etaientsespiqueurs; le Vicairedu village etait son grand Aumonier. Us Tappe- laient tous Monseigneur, et ils riaient quand il faisait des contes. Madame la Baronne qui pesait environ trois cent cinquante livres, s'attirait par la une tres grande consideration^ et faisait les honneurs de la maison avec une dignite qui o u L ' O P T I M I S M E la rendait encor plus respectable. Sa fille Cunegonde agee de dix-sept ans etait haute en couleur, fraiche, grasse, appetis- sante. Le fils du Baron paraissait en tout digne de son pere. Le Precepteur Pangloss etait 1'oracle de la maison, et le petit Can- dide ecoutait ses lemons avec toute la bonne foi de son age et de son caractere. Pangloss enseignait la Metaphisico-theo- logo-cosmolo-nigologie. II prouvait admi- rablement qu'il n'y a point d'effet sans cause, et que dans ce meilleur des Mondes —*-~J!£!y"*m"1 "" i""^ JL possibles, le Chateau de ..ionseigneur le Baron etait le plus beau des Chateaux, et Madame la meilleure des Baronnes possibles. «II est demontre, disait-il, que les choses ne peuvent etre autrement: car tout etant fait pour une fin, tout est necessairement pour la meilleure fin. Remarquez bien que les nez ont ete faits pour porter des lunettes, aussi avons-nous des lunettes. Les jambes sont visiblement instituees pour etre chaus- sees, et nous avons des chausses. Les pierres C A N D I D E ont etc formees pour etre taillees, et pour en faire des Chateaux; aussi Monseigneur a un tres beau Chateau; le plus grand Baron de la province doit etre le mieux loge : et les cochons etant faits pour etre manges, nous mangeons du pore toute 1'annee : par consequent, ceux qui ont avance que tout est bien, ont dit une sottise : il fallait dire que tout est au mieux.» Candide ecoutait attentivement, et croyait innocemment; car il trouvait Mademoiselle Cunegonde extremement belle, quoiqu'il ne prit jamais la hardiesse de le lui dire. II concluait qu'apres le bonheur d'etre ne Baron de Thunder-ten-tronckh, le second degre de bonheur etait d'etre Mademoiselle Cunegonde, le troisieme de la voir tous les jours, et le quatrieme d'entendre Maitre Pangloss, le plus grand Philosophe de la Province, et par consequent de toute la Terre. Un jour Cunegonde en se promenant aupres du Chateau, dans le petit bois qu'on C H A P I T R E I I Ce que devint Candide parmi les Bulgares. AND IDE chasseduParadisterrestre, marcha longtems sans savoir ou, pleurant, levant les yeux au Ciel, les tournant souvent vers le plus beau des Cha- teaux qui renfermait la plus belle des Baron- nettes; il se coucha sans souper au milieu des champs entredeux sillons; la neigetombait a gros flocons. Candide tout transi se traina le lendemain vers la Ville voisine, qui s'ap- 8 C A N D I D E pelle Vadberghoff-trarbk-dikdorff, n'ayant point d'argent, mourant de faim et de lassi- tude, il s'arreta tristement a la porte d'un cabaret. Deux homines habilles de bleu le remarquerent : « Camarade, dit Tun, voila un jeune homme tres bien fait, et qui a la taille requise»; ils s'avancerent vers Candide et le prierent a diner tres civilement.« Mes- sieurs, leur dit Candide, avec une modestie charmante, vous me faites beaucoup d'hon- neur, mais je n'ai pas de quoi payer mon ecot. — Ah Monsieur! lui dit un des bleus, les personnes de votre figure et de votre merite ne payent jamais rien : n'avez-vous pas cinq pieds cinq pouces de haut ? — Oui, Messieurs, c'est ma taille, dit-il en faisant la reverence. — Ah Monsieur! mettez vous a table ; non seulement nous vous defraye- rons, mais nous ne souffrirons jamais qu'un homme comme vous manque d'argent ; les hommes ne sont faits que pour se secou- rir les uns les autres. — Vous avez raison, dit Candide; c'est ce que Mr. Pangloss m'a o u L ' O P T I M I S M E 9 toujours dit, et je vois bien que tout est au mieux». On le prie d'accepter quelques ecus, il les prend et veut faire son billet, on n'en veut point, on se met a table:«N'aimez-vous pas tendrement... ?— Oh oui! repond-il, j'aime tendrement Mademoiselle Cunegon- de. — Non, dit Tun de ces Messieurs, nous vous demandons si vous n'aimez pas ten- drement le Roi des Bulgares ?—Point du tout, dit-il, car je ne Pai jamais vu. — Comment ? c'est le plus charmant des Rois, et il faut boire a sa sante. — Oh ! tres volontiers, Messieurs»; et il boit.« C'en est assez, lui dit- on, vous voila 1'appui, le soutien, le deffen- seur, le heros des Bulgares ; votre fortune est faite, et votre gloire est assuree.» On lui met sur le champ les fers aux pieds, et on le mene au Regiment. On le fait tourner a droite, a gauche, hausser la baguette, re- mettre la baguette, coucher en joue, tirer, doubler le pas, et on lui donne trente coups de baton ; le lendemain il fait Texercice un peu moins mal, et il ne recoit que vingt 12 C A N D I D E lient, qui le menent dans un cachot; on lui demanda juridiquement ce qu'il aimait le mieux, d'etre fustige trente-six fois par o u L ' O P T I M I S M E 13 tout le Regiment, ou de recevoir a la fois douze bales de plomb dans la cervelle; il cut beau dire que les volontes sont libres, et qu'il ne voulait ni Pun, ni Pautre, il fallut faire un choix ; il se determina en vertu du don de Dieu, qu'on nomme liberte, a passer trente-six fois par les baguettes; il essui'a deux promenades. Le Regiment etait compose de deux mille homines ; cela lui composa quatre mille coups de baguette qui, depuis la nuque du cou jusqu'au cu lui decouvrirent les muscles et les nerfs. Comme on allait proceder a la troisieme course, Candide n'en pouvant plus de- manda en grace qu'on voulut bien avoir la bonte de lui casser la tete ; il obtint cette faveur ; on lui bande les yeux, on le fait mettre a genoux; le Roi des Bulgares passe dans ce moment, il s'informe du crime du patient; et comme ce Roi avait un grand genie, il comprit par tout ce qu'il apprit de Candide que c'etait un jeune Metaphi- sicien, fort ignorant des choses de ce monde, C H A P I T R E I I I Comment Candide se sauva d'entre Us Bulgares, et ce qu'il devint. IEN n'etait si beau, si leste, si bril- lant, si bien ordonne que les deux armees. Les trompettes, les fifres3 les hautbois3 les tambours, les canons for- maient une harmonic telle qu'il n'y en cut jamais en Enfer. Les canons renverserent d'abord a peu pres six mille hommes de cha- C A N D I D E 19 que cote; ensuite la mousquetterie ota du meilleur des mondes environ neuf a dix mille coquins qui en infectaient la surface. La bayonnette fut aussi la raison suffisante de la mort de quelques milliers d'hommes. Le tout pouvait bien se monter a une trentaine de mille ames. Candide, qui tremblait comme un Philosophe, se cacha du mieux qu'il put pendant cette boucherie heroi'que. Enfin tandis que les deux Rois faisaient chanter des Te-Deum, chacun dans son camp, il prit le parti d'aller raisonner ail- leurs des effets et des causes. II passa par dessus des tas de morts et de mourants, et gagna d'abord un village voisin ; il etait en cendres, c'etait un village Abare que les Bulgares avaient brule selon les loix du droit public. Ici des vieillards cribles de coups regardaient mourir leurs femmes egorgees, qui tenaient leurs enfans a leurs mammelles sanglantes j la des filles eventrees apres avoir assouvi les besoins naturels de quelques heros, rendaient les derniers sou- 22 C A N D I D E ta vie.» La femme de TOrateur ayant mis la tete a la fenetre, et avisant un homme qui doutait que le Pape fut Ante-Christ, lui repandit sur le chef un plein... O del ! a quel exces se porte le zele de la Religion dans les Dames ! Un homme qui n'avait point etc batise, un bon Anabatiste, nomme Jaques, vit la maniere cruelle et ignominieuse dont on traitait ainsi un de ses freres, un etre a deux pieds sans plumes, qui avait une ame ; il Pamena chez lui, le netoya, lui donna du pain et de la bierre, lui fit present de deux florins, et voulut meme lui apprendre a travailler dans ses manufactures aux etoffes de Perse qu'on fabrique en Hollande. Can- dide se prosternant devant lui s'ecriait : «Maitre Pangloss me 1'avait bien dit que tout etait au mieux dans ce monde, car je suis infiniment plus touche de votre extreme generosite que de la durete de ce Monsieur a manteau noir, et de Madame son Epouse.» Le lendemain en se promenant, il ren- o u L ' O P T I M I S M E contra un gueux tout couvert de pustules, les yeux morts, le bout du nez ronge, la bouche de travers, les dents noires, et par- lant de la gorge, tourmente d'une toux vio- lente, et crachant une dent a chaque effort. C H A P I T R E I V Comment Candide rencontra son ancien Maitre de Philosophie, le Docteur Pangloss, el ce qui en advint. A M D I D E plus emu encor de com- passion que d'horreur, donna a cet epouvantable gueux les deux florins qu'il avait re9us de son honnete Anabatiste o u L ' O P T I M I S M E 2 7 connu cet amour, ce souverain des coeurs, cette ame de notre ame ; il ne m'a jamais valu qu'un baiser et vingt coups de pied au cu. Comment cette belle cause a-t-elle pu produire en vous un effet si abominable ?» Pangloss repondit en ces termes: « O mon cher Candide ! vous avez connu Paquette, cette jolie suivante de notre auguste Baron- ne; j'ai goute dans ses bras les delices du Paradis, qui ont produitces tourments d'En- fer dont vous me voyez devore ; elle en etait infectee, elle en est peut-etre morte. Paquette tenait ce present d'un Cordelier tres savant, qui avait remonte a la source; car il Tavait cue d'une vieille Comtesse, qui Tavait re9ue d'un Capitaine de Cavalerie, qui la devait a une Marquise, qui la tenait d'un Page, qui Tavait re9ue d'un Jesuite, qui etant novice 1'avait cue en droite ligne d'un des compagnons de Christophle Colomb. Pour moi je ne la donnerai a personne, car je me meurs. —O Pangloss ! s'ecria Candide, voila une 28 C A N D I D E etrange genealogie ! n'est-ce pas le Diable qui en fut la souche ? — Point du tout, repli- quace grand homme; c'etait une chose indis- pensable dans le meilleur des mondes, un ingredient necessaire ; caf si Colomb n'avait pas attrape, dans une Isle~de 1'Amerique, cette maladie qui empoisonne la source de la generation, qui souvent meme empeche la generation, et qui est evidemment Poppose du grand but de la nature, nous n'aurions ni le chocolat ni la cochenillel; il faut encore observer que jusqu'aujourdnui dans notre Continent, cette maladie nous est parti- culiere comme la controverse. Les Turcs, les Indiens, les Persans, les Chinois, les Siamois, les Japonois ne la connaissent pas encore ; mais il y a une raison suffisante pour qu'ils la connaissent a leur tour dans quelques siecles. En attendant, elle a fait un merveilleux progres parmi nous, et surtout dans ces grandes armees composees d'honnetes stipendiaires bien eleves, qui decident du destin des Etats ; on peut assu- o u L ' O P T I M I S M E 2 9 rer que quand trente mille homines com- battent en bataille rangee centre des troupes egales en nombre, il y a environ vingt mille veroles de chaque cote. — Voila qui est admirable, dit Candide, mais il faut vous faire guerir. — Eh comment le puis-je ? dit Pangloss, je n'ai pas le sou, mon ami; et dans toute 1'etendue de ce Globe on ne peut ni se faire saigner, ni prendre un lavement sans payer, ou sans qu'il y ait quelqu'un qui paye pour nous.» Ce dernier discours determina Candide ; il alia se jetter aux pieds de son charitable Anabatiste Jaques, et lui fit une peinture si touchante de 1'etat ou son ami etait reduit, que le bon homme n'hesita pas a recueillir le Docteur Pangloss ; il le fit guerir a ses depens. Pangloss dans la cure ne perdit qu'un ceil et une oreille. II ecrivait bien, et savait parfaitement rarithmetique. L'Ana- batiste Jacques en fit son teneur de livres. Au bout de deux mois etant oblige d'aller a Lisbonne pour les affaires de son commer- C H A P I T R E V Tempete, naufrage3 tremblement de terre, et ce qui advint du Docteur Pangloss, de Candide et de rAndbatiste Jaques. A moitie des passagers affaiblis, ex- pirants de ces angoisses inconceva- bles que le roulis d'un vaisseau porte dans les nerfs et dans toutes les humeurs du corps agitees en sens contraires3 n'avait pas meme la force de s'inquieter du danger. L'au- tre moitie jettait des cris et faisait des prieres; les voiles etaient dechirees, les mats brises. le vaisseau entr'ouvert. Travaillait qui pou- vaitj personne ne s'entendait, personne ne commandait. L'Anabatiste aidait un peu a la manoeuvre ; il etait sur le tillac ; un mate- lot furieux le frappe rudement et Petend sur les planches ; mais du coup qu'il lui donna, il eut lui-meme une si violente secousse qu'il tomba hors du vaisseau la tete la premiere. II restait suspendu et accroche a une partie de mat rompue. Le bon Jaques court a son secours, 1'aide a remonter, et de 1'effort qu'il fit il est precipite dans la mer a la vue du matelot, qui le laissa perir sans daigner seulement le regarder. Candide 3 4 C A N D I D E aproche, voit son bienfaicteur qui reparait un moment et qui est englouti pour jamais. II veut se jetter apres lui dans la mer, le Philosophe Pangloss 1'en empeche, en lui prouvant que la rade de Lisbonne avait etc formee expres pour que cet Anabatiste s'y noyat. Tandis qu'il le prouvait d priori^ le vaisseau s'entr'ouvre, tout perit a la reserve de Pangloss, de Candide, et de ce brutal de matelot qui avait noye le vertueux Ana- batiste ; le coquin nagea heureusement jusqu'au rivage, ou Pangloss et Candide furent portes sur une planche. Quand ils furent revenus un peu a eux, ils marcherent vers Lisbonne ; il leur restait quelque argent avec lequel ils esperaient se sauver de la faim apres avoir eehape a la tempete. A peine ont-ils mis le pied dans la ville en pleurant la mort de leur bienfaicteur, qu'ils sentent la terre trembler sous leurs pas, la mer s'eleve en bouillonnant dans le port, et brise les vaisseaux qui sont a 1'ancre. o u L ' O P T I M I S M E 3 7 provisions de bouche en se glissant a travers des decombres, ils reparerent un peu leurs forces. Ensuite ils travaillerent comme les autres a soulager les habitans echapes a la mort. Quelques citoyens secourus par eux leur donnerent un aussi bon diner qu'on le pouvait dans un tel desastre : il est vrai que le repas etait triste, les convives arrosaient leur pain de leurs larmes ; mais Pangloss les consola, en les assurant que les choses ne pouvaient etre autrement : « Car, dit-il, tout ceci est ce qu'il y a de mieux. Car s'il y a un volcan a Lisbonne, il ne pouvait etre ailleurs. Car il est impossible que les choses ne soient pas ou elles sont. Car tout est bien. » Un petit homme noir, Familier de Pln- quisition, lequel etait a cote de lui, prit poliment la parole, et dit : « Aparemment que Monsieur ne croit pas au peche ori- ginel ; car si tout est au mieux, il n'y a done eu ni chute ni punition. — Je demande tres humblement pardon 3 8 C A N D I D E a votre Excellence, repondit Pangloss encor plus poliment, car la chute de Phomme et la malediction entfaient necessairement dans le meilleur des Mondes possibles. — Mon- sieur ne croit done pas a la liberte ? dit le Familier. — Votre Excellence m'excusera, dit Pangloss ; la liberte peut subsister avec la necessite absolue, car il etait necessaire que nous fussions libres; car enfin la volonte determinee.. » Pangloss etait au milieu de sa phrase, quand le Familier fit un signe de tete a son estafier qui lui servait a boire du vin de Porto, ou d'Opporto. Comment on fit un bel Auto-da-fe pour empe- cher lestremblements de terre, et continent Candide fut fesse. A >* PR£S le tremblement de terre qui avait detruit les trois quarts de Lis- bonne, les sages du pays n'avaient pas trouve un moyen plus efficace pour pre- venir une ruine totale que de donner au peuple un bel Auto-da-fe; il etait decide par I'Universite de Coimbre, que le spectacle de quelques personnes brulees a petit feu en grande ceremonie, est un secret infail- lible pour empecher la Terre de trembler. Homm$ qui <va etrc brufepar arrest df, I Inquisition. . ' C A N D I D E 4 3 les deux homines qui n'avaient point voulu manger de lard furent brules, et Pangloss fut pendu quoique ce ne soit pas la coutu- me. Le meme jour la terre trembla de nouveau avec un fracas epouvantable. Candide epouvante, interdit, eperdu, tout sanglant, tout palpitant, se disait a lui- meme : ft*Si c'est ici le meUleur .des ̂ Mondes possibles, gue sont done les autres ? passe encor si je n'etais que fesse, je Pai ete chez les Bulgares ; mais, 6 mon cher Pan- gloss ! le plus grand des Philosophes, ,faut-il vous avoir vu pendre sans que je vsache pourquoi ! 6 ! mon cher Anabatiste, le meilleur des hommes, faut-il que vous ayez 6t6 noye dans le port ! O ! Mademoi- selle Cunegonde, la perle des filels, faut-il qu'on vous ait fendu le ventre ! » II s'en retournait se soutenant a peine, ^preche, fess^, absous et be*ni, lorsqu'une vieille Taborda, et lui dit : « Mon fils, pre- nez courage, suivez moi, » o u L ' O P T I M I S M E 4 7 s'en va. Candide croyait rever, et regardait toute sa vie comme un songe funeste, et le moment present comme un songe agre- able. La vieille reparut bientot; elle soutenait avec peine une femme tremblante, d'une taille majestueuse, brillante de pierr cries, et couverte d'un voile. « Otez ce voile », dit la vieille a Candide. Le jeune homme aproche, il leve le voile d'une main timide. Quel moment ! quelle surprise ! il crut voir Mademoiselle Cunegonde, il la voyait en effet, c'etait elle-meme. La force lui manque, il ne peut proferer une parole, il tombe a ses pieds. Cunegonde tombe sur le canape. La vieille les accable d'eaux spiritueuses ; ils reprennent leurs sens, ils se parlent : ce sont d'abord des mots entrecoupes, des demandes et des reponses qui se croisent, des soupirs, des larmes, des cris. La vieille leur recommande de faire moins de bruit et les laisse en liberte. « Quoi, ! c'est vous, lui dit Candide, vous vivez ! je vous retrouve 4 8 C A N D I D E en Portugal ! On ne vous a done pas violee ? on ne vous a point fendu le ventre, comme le Philosophe Pangloss me Pavait assure ? — Si-fait3 dit la belle Cunegonde ; mais on ne meurt pas toujours de ces deux accidents. — Mais votre pere et votre mere ont-ils ete tues ? — II n'est que trop vrai, dit Cunegonde, en pleurant. — Et votre frere ? — Mon frere a ete tue aussi. — Et pourquoi etes-vous en Portugal^ et com- ment avez-vous sc.u que j'y etais, et par quelle etrange avanture m'avez-vous fait conduire dans cette maison ? — Je vous dirai tout cela, repliqua la Dame; mais il faut auparavant que vous m'appreniez tout ce qui vous est arrive depuis le baiser inno- cent que vous me donnates, et les coups de pied que vous re9utes. » Candide lui obeit avec un profond respect; et quoiqu'il fut interdit, quoique sa voix fut faible et tremblante, quoique Pechine lui fit encor un peu ma!3 il lui raconta de la maniere la plus naive tout ce qu'il avait O U L O P T I M I S M E 49 eprouve depuis le moment de leur separa- tion. Cunegonde levait les yeux au Ciel; elle donna des larmes a la mort du bon Ana- batiste, et de Pangloss; apres quoi elle parla en ces termes a Candide, qui ne perdait pas une parole, et qui la devorait des yeux. 5 2 C A N D I D E femmes. Ce Juif s'attacha beaucoup a ma personne, mais il ne pouvait en triompher ; je lui ai mieux resiste qu'au soldat Bulgare. Une personne d'honneur peut etre violee une fois, mais sa vertu s'en affermit. Le Juif pour m'aprivoiser me mena dans cette maison de campagne que vous voyez. J'avais cru, jusques-la, qu'il n'y avait rien sur la Terre de si beau que le Chateau de Thunder-ten-Trunckh. J'ai etc detrompee. « Le grand Inquisiteur m'apersut un jour a la Messe, il me lorgna beaucoup, et me fit dire qu'il avait a me parler pour des affaires secrettes. Je fus conduite a son Palais, je lui appris ma naissance; il me representa combien il etait au-dessous de mon rang d'appartenir a un Israelite. On proposa de sa part a Don Issachar de me ceder a Mon- seigneur. Don Issachar qui est le banquier de la Cour, et homme de credit, n'en voulut rien faire. L'Inquisiteur le mena9a d'un Auto-da-fe. Enfin mon Juif intimide con- clut un marche, par lequel la maison et moi 53 leur apartiendraient a tous deux en com- mun, que le Juif aurait" pour lui les lundis, mercredis et le jour du Sabbat, et que Pln- quisiteur aurait les autres jours de la semai- ne. II y a six mois que cette convention subsiste. Ce n'a pas etc sans querelles, car souvent il a etc indecis si la nuit du samedi au Dimanche appartenait a 1'ancienne Loi, ou a la nouvelle. Pour moi j'ai resiste jusqu'a present a toutes les deux, et je crois que c'est pour cette raison que j'ai toujours ete aimee. « Enfin pour detourner le fleau des trem- blements de terre, et pour intimider Don Issachar, il plut a Monseigneur Tlnquisiteur de celebrer un Auto-da-fe. II me fit 1'hon- neur de m'y inviter. Je fus tres bien placee ; on servit aux Dames des rafraichissements entre la Messe et Pexecution. Je fus a la verite saisie d'horreur en voyant bruler ces deux Juifs et cet honnete Biscayen qui avait epouse sa commere : mais quelle fut ma surprise, mon effroi, mon trouble, 5 4 C A N D I D E quand je vis dans un Sanbenito, et sous une mitre, une figure qui ressemblait a celle de Pangloss ! Je me frottai les yeux, je regardai attentivement, je le vis perujre ; je tombai en faiblesse; a peine reprenais-je mes sens que je vous vis depouille tout nud; ce fut la le comble de 1'horreur, de la consternation, de la douleur, du desespoir. Je vous dirai, avec verite, que votre peau est encore plus blanche, et d'un incarnat plus parfait que celle de mon Capitaine des Bulgares. Cette vue redoubla tous les sen- timens qui m'accablaient, qui me devo- raient. Je m'ecriai, je voulus dire : Arretez, barbares, mais la voix me manqua, et mes cris auraierit ete inutiles. Quand vous eutes etc bien fesse : « Comment se peut-il faire, disais-je, que Taimable Candide et le sage Pangloss se trouvent a Lisbonne, Tun pour recevoir cent coups de fouet, et 1'autre pour etre pendu par ordre de Monseigneur 1'In- quisiteur dont je suis la bien-aimee ? Pan- gloss m'a done bien cruellement trompee 58 C A N D I D E devez avoir une faim devorante, j'ai grand appetit, commen9ons par souper. » Les voila qui se mettent tous deux a table, et apres le souper ils se replacent sur ce beau canape dont on a deja parle ; ils y etaient quand le Signer Don Issachar, Tun des Maitres de la maison, arriva. C'etait le jour du Sabbat. II venait jouir de ses droits, et expliquer son tendre amour. C H A P I T R E I X Ce qui advint de Cunegonde, de Candide, du grand Inquisiteur et d'un Juif. ET Issachar etait le plus colerique Hebreu qu'on cut vu dans Israel depuis la captivite en Babilone. « Quoi ! dit-il, chienne de Galileenne, ce n'est pas assez de Mr. 1'Inquisiteur ? il faut que ce coquin partage aussi avec moi ? » En disant cela, il tire un long poignard dont il etait toujours pourvu, et ne croyant pas que son adverse partie cut des armes, il se jette sur Candide : mais notre bon Westphalien avait re$u une belle epee de la vieille avec 1'habit complet. II tire son epee, quoiqu'il cut les moeurs fort douces, et vous etend I'lsraelite raide mort 62 C A N D I D E Aussi-tot Candide selle les trois chevaux. Cunegonde, la vieille et lui font trente milles d'une traite. Pendant qu'ils s'eloignaient^ la Ste. Hermandad arrive dans la maison ; on enterre Monseigneur dans une belle Eglise, et on jette Issachar a la voirie. Candide3 Cunegonde et la vieille etaient deja dans la petite ville d'Avacena au milieu des montagnes de la Sierra Morena; et ils parlaient ainsi dans un cabaret. C H A P I T R E X Dans quelle detresse Candide, Cunegonde et la vieille arrivent a Cadiz, et de leur em- barquement. ui a done pu me voler mes pistoles et mes diamants ? disait en pleu- rant Cunegonde; de quoi vivrons- nous ? comment ferons-nous ? ou trouver des Inquisiteurs et des Juifs qui m'en donnent d'autres ? — Helas, dit la vieille, je soup9onne fort un reverend Pere Cordelier qui coucha 6 4 C A N D I D E hier dans la meme auberge que nous a Badajos; Dieu me garde de faire un jugement teme- raire, mais il entra deux fois dans notre chambre, et il partit longtems avant nous. — Helas, dit Candide,le bonPangloss m'avait souvent prouve que les biens de la terre sont communs a tous les hommes, que chacun y a un droit egal. Ce Cordelier devait bien suivant ces principes nous laisser de quoi achever notre voyage. II ne vous reste done rien du tout, ma belle Cunegonde ? — Pas un maravedis, dit-elle. — Quel parti prendre ? dit Candide. — Vendons un des chevaux, dit la vieille, je monterai en croupe derriere Mademoiselle, quoique je ne puisse me tenir que sur une fesse, et nous arriverons a Cadiz ». II y avait dans la meme hotellerie un Prieur de Benedictins, il acheta le cheval bon marche. Candide, Cunegonde et la vieille passerent par Lucena, par Chillas, par Lebrixa, et arriverent enfin a Cadiz. On y equipait une flotte, et on y assemblait o u L ' O P T I M I S M E 6 7 infortunes telles que les miennes ». Cune- gonde se mit presque a rire, et trouva cette bonne femme fort plaisante, de pretendre etre plus malheureuse qu'elle. « Helas! lui dit-elle, ma bonne, a moins que vous n'ayez ete violee par deux Bulgares, que vous n'ayez re?u deux coups de couteau dans le ventre, qu'on n'ait demoli deux de vos Cha- teaux, qu'on n'ait egorge a vos yeux deux meres et deux peres, et que vous n'ayez vu deux de vos Amans fouettes dans un Auto-da-fe, je ne vois pas que vous puissiez 1'emporter sur moi; ajoutez que je suis nee Baronne avec soixante et douze quartiers, et que j'ai ete cuisiniere. — Mademoiselle, repondit la vieille, vous ne savez pas quelle est ma naissance, et si je vous montrais mon derriere, vous ne parleriez pas comme vous faites, et vous suspendriez votre juge- ment.» Ce discours fit naitre une extreme curiosite dans 1'esprit de Cunegonde et de Candide. La vieille leur parla en ces termes. j 7 .X. * C H A P I T R E X I Histoire de la Vieille. E n'ai pas eu toujours les yeux erailles et hordes d'ecarlate ; mon nez n'a pas toujours touche a mon menton, et je n'ai pas toujours etc servante. Je suis la fille du Pape Urbain dix et de la Princesse de Palestrine. On m'eleva jusqu'a quatorze ans dans un Palais auquel tous les Chateaux de vos Barons Allemands n'au- raient pas servi d'ecurie; et une de mes robes valait mieux que toutes les magnificences de la Westphalie : je croissais en beaute, en graces^ en talents, au milieu des plaisirs, des respects et des esperances. J'inspirais deja de C A N D I D E 6 9 Tamour. Ma gorge se formait, et quelle gor- ge ! blanche, ferine, taillee comme celle de la Venus de Medicis; et quels yeux! quelles paupieres! quels sourcils noirs! quelles flam- mes brillaient dans mes deux prunelles., et effasaient la scintillation des etoiles, comme me disaient les Poetes du quartier. Les femmes qui m'habillaient et qui me d&habillaient tombaient en extase en me regardant par devant et par derriere, et tous les hommes auraient voulu etre a leur place. « Je fus fiancee a un Prince Souverain de Massa Carara. Quel Prince ! aussi beau que moi, paitri de douceur et d'agrements, brillant d'esprit et brulant d'amour. Je Taimais comme on aime pour la premiere fois, avec idolatrie, avec emportement. Les noces furent preparees. C'etait une pompe, une magnificence inouie ; c'etaient des fetes, des Carouzels, des Opera BufFa con- tinuels, et toute Tltalie fit pour moi des Sonnets dont il n'y cut pas un seul de passa- 72 C A N D I D E de charmes qu'on n'en peut trouver dans toute 1'Afrique. Pour moi, j'etais ravissante, j'etais la beaute, la grace meme, et j'etais pucelle. Je ne le fus pas longtems : cette fleur qui avait ete reservee pour le beau Prince de Massa Carara, me fut ravie par le Capitaine Corsaire. C'etait un Negre abo- minable, qui croyait encor me faire beau- coup d'honneur. Certes il fallait que Madame la Princesse de Palestrine, et moi, fussions bien fortes pour resister a tout ce que nous eprouvames jusqu'a notre arrivee a Maroc. Mais passons: ce sont des choses si commu- nes qu'elles ne valent pas la peine qu'on en parle. « Maroc nageait dans le sang quand nous arrivames. Cinquante fils de FEmpereur Muley-Ismael avaient chacun leur parti ; ce qui produisait en effet cinquante guerres civiles, de noirs contre noirs, de noirs centre bazanes, de bazanes contre bazanes, de mulatres contre mulatres. C'etait un carnage continuel dans toute 1'etendue de PEmpire. o u L ' O P T I M I S M E 7 3 «A peine fumes-nous debarquees, que des noirs d'une faction ennemie de celle de mon Corsaire, se presentment pour lui enlever son butin. Nous etions, apres les diamants et Tor, ce qu'il avait de plus precieux. Je fus temoin d'un combat tel que vous n'en voyez jamais dans vos climats d'Europe. Les peuples Septentrionaux n'ont pas le sang assez ardent. Us n'ont pas la rage des femmes au point ou elle est commune en Afrique. II semble que vos Europeans ayent du lait dans les veines; c'est du vitriol, c'est du feu qui coule dans celles des habi- tans du mont Atlas et des pays voisins. On combattit avec la fureur des lions, des tigres et des serpens de la contree, pour savoir a qui nous aurait. Un Maure saisit ma mere par le bras droit, le Lieutenant de mon Capitaine la retint par le bras gauche; un soldat Maure la prit par une jambe, un de nos pirates la tenait par Tautre. Nos filles se trouverent presque toutes en un moment tirees ainsi a quatre soldats. Mon 74 C A N D I D E Capitaine me tenait cachee derriere lui. II avait le cimeterre au poing, et tuait tout ce qui s'oposait a sa rage. Enfin, je vis toutes nos Italiennes et ma mere dechirees, cou- pees, massacrees par les monstres qui se les disputaient. Les captifs mes compagnons, ceux qui les avaient pris, soldats, matelots, noirs, blancs, mulatres, et enfin mon capi- taine, tout fut tue3 et je demeurai mourante sur un tas de morts. Des scenes pareilles se passaient, comme on S9ait, dans 1'etendue de plus de trois cent lieues, sans qu'on man- quat aux cinq prieres par jour ordonnees par Mahomet. « Je me debarrassai avec beaucoup de peine de la foule de tant de cadavres san- glants entasses, et je me trainai sous un grand oranger au bord d'un ruisseau voisin ; j'y tombai d'effroi, de lassitude, d'horreur, de desespoir et de faim. Bientot apres mes sens accables se livrerent a un sommeil qui tenait plus de revanouissement que du repos. J'etais dans cet etat de faiblesse et C A N D I D E 77 plus belle que celle des femmes, les autres vont gouverner des Etats. On me fit cette operation avec un tres grand succes, et j'ai etc Musiden de la Chapelle de Madame la Princesse de Palestrine. — De ma mere! m'ecriai-je.— De votre mere! s'ecria-t-il en pleurant. Quoi! vous seriez cette jeune Prin- cesse que j'ai elevee jusqu'a 1'age de six ans, et qui promettait deja d'etre aussi belle que vous etes ? — C'est moi-meme; ma mere est a quatre cent pas d'ici coupee en quartiers sous un tas de morts. » « Je lui contai tout ce qui m'etait arrive; il me conta aussi ses avantures, et m'aprit comment il avait ete envoye chez le Roi de Maroc par une Puissance Chretienne, pour conclure avec ce Monarque un traite, par lequel on lui fournirait de la poudre, des canons et des vaisseaux pour Taider a exter- miner le commerce des autres Chretiens. « Ma mission est faite, me dit cet honnete Eunuque ; je vai m'embarquer a Ceuta, et je vous ramenerai en Italic. Ma che sciagura d'essere senza coglioni ! » « Je le remerciai avec des larmes d'atten- drissement, et au lieu de me mener en Italic, il me conduisit a Alger, et me vendit au Dey de cette province. A peine fus-je vendue, que cette Peste qui a fait le tour de PAfrique, de 1'Asie et de PEurope, se declara dans Alger avec fureur. Vous avez vii des tremblements de terre; mais, Made- moiselle, avez-vous jamais eu la peste ? — Jamais, repondit la Baronne. « Si vous 1'aviez eue, reprit la vieille, vous avoueriez qu'elle est bien au-dessus cTun tremblement de terre. Elle est fort commune en Afrique ; j'en fus attaquee. Figurez vous quelle situation pour la fille d'un Pape agee de quinze ans, qui en trois mois de terns avait eprouve la pauvrete, Tesclavage, avait etc violee presque tous les jours, avait vu couper sa mere en quatre, avait essuie la faim et la guerre, et mourait pestiferee dans Alger. Je n'en mourus pourtant pas. Mais mon Eunuque et le Dey, et presque tout le Serrail d'Alger perirent. 82 C A N D I D E action si charitable, et vous serez secourus. » « II avait beaucoup d'eloquence ; il les persuada. On nous fit cette horrible ope- ration. L'Iman nous appliqua le meme baume qu'on met aux enfans qu'on vient de circoncire. Nous etions toutes a la mort. « A peine les Janissaires eurent-ils fait le repas que nous leur avions fourni, que les Russes arrivent sur des batteaux plats ; il ne rechapa pas un Janissaire. Les Russes ne firent aucune attention a 1'etat ou nous etions. II y a partout des Chirurgiens Fran9ais; un d'eux qui etait fort adroit prit soin de nous, il nous guerit; et je me souviendrai toute ma vie, que quand mes playes furent bien fermees,' il me fit des propositions. Au reste, il nous dit a toutes de nous consoler; il nous assura que dans plusieurs sieges pareille chose etait arrivee, et que c'etait la loi de la guerre. « Des que mes compagnes purent mar- cher, on les fit aller a Moscou. J'echus en partage a un Boiard, qui me fit sa jardi- niere, et qui me donnait vingt coups de o u L ' O P T I M I S M E 8 3 fouet par jour. Mais ce Seigneur ayant etc roue au bout de deux ans avec une trentaine de Boyards, pour quelque tracasserie de Cour, je profitai de cette avanture ; je m'enfuis ; je traversal toute la Russie ; je fus longtems servante de cabaret a Riga, puis a Rostock, a Vismar, a Leipsick, a Cassel, a Utrecht, a Leyde, a la Haye, a Rotterdam ; j'ai vieilli dans la misere et dans 1'opprobre, n'ayant que la moitie d'un derriere, me souvenant toujours que j'etais fille d'un Pape : je voulus cent fois me tuer, mais j'aimais encor la vie. Cette faiblesse ridicule est peut-etre un de nos panchans les plus funestes. Car y a-t-il rien de plus sot que' de vouloir porter continuellement tin fardeau qu'on veut toujours jetter par terre ? d'avoir son etre en horreur, et de tenir a son etre ? enfin de caresser le serpent qui nous devore, jusqu'a ce qu'il nous ait mange le coeur? « J'ai vu dans les pays que le sort m'a fait parcourir, et dans les cabarets ou j'ai 84 C A N D I D E servi, un nombre prodigieux de personnes qui avaient leur existence en execration ; mais je n'en ai vu que douze qui ayent mis volontairement fin a leur misere, trois Negres, quatre Anglais, quatre Genevois et un professeur Allemand nomine Robek. J'ai fini par etre servante chez le Juif Don Issachar ; il me mit aupres de vous, ma belle Demoiselle; je me suis attachee a v6tre destinee, et j'ai etc plus occupee de vos avantures que des miennes. Je ne vous aurais meme jamais parle de mes malheurs, si vous ne m'aviez pas un peu piquee, et s'il n'etait d'usage dans un vaisseau de conter des histoires pour se desennui'er. Enfin, Mademoiselle, j'ai de 1'experience, je connais le monde ; donnez vous un plaisir, engagez chaque passager a vous conter son histoire; et s'il s'en trouve un seul qui n'ait souvent maudit sa vie, qui ne se soit souvent dit a lui-meme qu'il etait le plus malheureux des hommes, jettez moi dans la mer la tete la, premiere. » o u L ' O P T I M I S M E 8 7 pas non plus; et quoique ce mensonge offi- cieux cut etc autrefois tres a la mode chez les anciens et qu'il put etre utile aux moder- nes, son ame etait trop pure pour trahir la verite. « Mademoiselle Cunegonde, dit-il, doit me faire 1'honneur de m'epouser, et nous supplions Votre Excellence de daigner faire notre noce. » Don Fernando dlbaraa, y Figueora, y Mascarenes, y Lampourdos, y Souza, rele- vant sa moustache, sourit amerement, et ordonna au Capitaine Candide d'aller faire la revue de sa Compagnie. Candide obeit ; le Gouverneur demeura avec Mademoiselle Cunegonde. II lui declara sa passion, lui protesta que le lendemain il 1'epouserait a la face de 1'Eglise, ou autrement, ainsi qu'il plairait a ses charmes. Cunegonde lui de- manda un quart d'heure pour se recueillir, pour consulter la vieille et pour se deter- miner. La vieille dit a Cunegonde : « Made- moiselle, vous avez soixante et douze quar- } M VE Le Fernanda Guar Gamme PR venbolem \ Cou à 2 Eco" \ < . Ste Are Pad er En À Pere qu ele honte és L Jean Femallo re F Ya \ Laondtt ER de Vierra PERTE ee “Buenos % Re Pampas on LL Lutbitins" es Fluiy 24 R: de la Plate
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