Télécharge COLETTE, Les Vrilles de la vigne, « Le dernier feu », 1908 et plus maturité tests effectués au format PDF de Français sur Docsity uniquement! LL.12 La célébration de l’enfance Introduction : Les Vrilles de la Vigne de Colette est paru en 1908 et s’inscrit dans le parcours « la célébration du monde » ainsi que dans l’objet d’étude « le roman et le récit du Moyen-Âge au XXIe siècle » Colette est la fille de Sidonie Gabrielle dont-elle tient son amour de la nature et des livres. Au début du XXème siècle, elle rédigera des autobiographies sous le nom de son mari Willy et connaît un franc succès. Enfin, elle se rapproche de nombreux écrivains et artistes comme Marcel Proust ou Claude Debussy à Paris Les Vrilles de la Vigne est un roman constitué de courts textes épars indépendants les uns des autres mais on repère quand même des thèmes qui reviennent dans les différentes nouvelles : le retour sur le passé, l’amour pour les animaux, la mer, et il y a l’éloge de la campagne et de la forêt Colette a 35 ans lorsqu’elle écrit ce récit, « Le Dernier Feu », qu’elle publie ensuite dans le recueil Les Vrilles de la vigne. Elle commence sans doute à se sentir vieillir et elle vient de connaître une séparation douloureuse. Après avoir été abandonnée par son mari, elle a une relation amoureuse avec une femme à qui ce texte est dédié. L’écriture et la plongée dans le passé apportent à Colette un apaisement salvateur. Cet extrait dévoile une triple célébration : celle de la femme aimée, celle de l’enfance et celle du printemps naissant. Tout commence avec une banale conversation entre les deux amantes à propos de la couleur des violettes. TEXTE : COLETTE, Les Vrilles de la vigne, « Le dernier feu », 1908 De « Plus mauves… » à « innombrables m’enivre » Et les violettes elles-mêmes, écloses par magie dans l’herbe, cette nuit, les reconnais-tu ? Tu te penches, et comme moi tu t’étonnes ; ne sont-elles pas, ce printemps-ci, plus bleues ? Non, non, tu te trompes, l’an dernier, je les ai vues moins obscures, d’un mauve azuré, ne te souviens-tu pas ?… Tu protestes, tu hoches la tête avec ton rire grave, le vert de l’herbe neuve décore l’eau mordorée de ton regard… [ Plus mauves… non, plus bleues… Cesse cette taquinerie ! Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde en respirant le philtre qui abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance… Plus mauves… non, plus bleues… Je revois des prés, des bois profonds que la première poussée des [bourgeons embrume d’un vert insaisissable, des ruisseaux froids, des sources perdues, bues par le sable aussitôt que nées, des primevères de Pâques, des jeannettes jaunes au cœur safrané, et des violettes, des violettes, des violettes…] Je revois une enfant silencieuse que le printemps enchantait déjà d’un bonheur sauvage, d’une triste et mystérieuse joie… Une enfant prisonnière, le jour, dans une école, et qui échangeait des jouets, des images, contre les premiers bouquets de violettes des bois, noués d’un fil de coton rouge, rapportés par les petites bergères des fermes environnantes… Violettes à courte tige, violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc-bleu veiné de nacre mauve, violettes de coucou anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores… Violettes de février, fleuries sous la neige, déchiquetées, roussies de gel, laideronnes, pauvresses parfumées… Ô violettes de mon enfance ! Vous montez devant moi, toutes, vous treillagez le ciel laiteux d’avril, et la palpitation de vos petits visages innombrables m’enivre ! Problématique : Comment Colette parvient-elle à partager avec le lecteur la beauté d’un moment précieux ? Mouvements : Du début à « de ton enfance !... » : un dialogue amoureux De « Plus mauves… » à « fermes environnantes » : le tableau de l’enfance retrouvée De « Violettes » à la fin : l’ode aux violettes Développement : RELEVE PROCEDE EXPLOITATION 1 er mouvement : Un dialogue amoureux « Plus mauves...non, plus bleues... », « Cesse cette taquinerie ! » impératif Abrégeant la conversation en ne reprenant que des bribes suivies de points de suspension « Plus mauves… non, plus bleues… », elle met un terme à ce badinage amoureux, qualifié tendrement « de taquinerie » à l’aide d’un impératif : « Cesse cette taquinerie ! ». « narines », « parfum », « respirant » antithèse Colette dépasse le différend sur la couleur des violettes en sollicitant un autre sens, l’odorat → Ce sont les synesthésies baudelairiennes ( idée d’associer un sens à un autre sens, théorie des des jouets, des images, contre les premiers bouquets de violettes des bois, noués d’un fil de coton rouge, rapportés par les petites bergères des fermes environnantes… » Le lecteur visualise ce premier petit bouquet de violettes des bois grâce à un détail : « le fil de cordon rouge » noué autour du bouquet. Métaphore → Fil conducteur de sa vie. La multiplication des points de suspension dans ce passage invite à se laisser aller à cette rêverie champêtre. « violettes » répété sept fois comme un leitmotiv poétique. « Violettes à courte tige, violettes blanches et violettes bleues, et violettes d’un blanc-bleu veiné de nacre mauve, violettes de coucou anémiques et larges, qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores… Violettes de février » Juxtaposition anaphore « violettes » La première phrase est composée d’une juxtaposition de groupes nominaux scandée par l’anaphore du nom « violettes » dans une sorte d’hommage. Cette envolée lyrique énumère toutes les violettes existantes, mais les points de suspension laissent entendre que c’est inépuisable. L’enthousiasme lyrique de la locutrice est perceptible avec des groupes nominaux de plus en plus longs. Le dernier est complété par une subordonnée relative, expansion du nom permettant de détailler une étrange variété de violettes « qui haussent sur de longues tiges leurs pâles corolles inodores ». Violettes rares et uniques, c’est l’autoportrait de Colette, elle met en évidence sa différence et le regard qui est porté sur elle, elle est considérée comme inintéressante. On est ainsi passé des « violettes à courtes tiges », évoquées au début dans un groupe nominal bref, aux violettes à hautes tiges à la fin de l’énumération, décrites dans une unité syntaxique plus longue comme pour suggérer la longueur des tiges. Dans cette ode aux violettes, on a une véritable symphonie de couleurs où se décline toute la palette des couleurs possibles : « blanches », « bleues », « blanc bleu veiné de nacre mauve », « pâles ». « fleuries sous la neige » et « roussies de gel » La phrase suivante poursuit l’accumulation de groupes nominaux juxtaposés pour caractériser les violettes, premières fleurs à émerger alors que la neige n’a pas encore disparu. Le paradoxe de cette floraison est restitué dans des expressions oxymoriques qui allient les contraires Plus d’actants humains, mais des violettes personnifiées de manière hypocoristique (= intention affectueuse) comme des « laideronnes, pauvresses parfumées ». La beauté étrange et délicate de ces petites fleurs n’est pas sans rappeler la caractérisation de Colette enfant. « Ô violettes de mon enfance ! » Apostrophe lyrique Après ces longues énumérations, la brève apostrophe lyrique exprime de manière éclatante l’amour et la vénération de Colette pour ces fleurs « le ciel laiteux d’avril » métamorphose Mais le pouvoir de cette évocation est tel que Colette, dans un délire poétique, s’imagine une treille de violettes sur fond de « ciel laiteux ». Métamorphose de la violette puisque la violette est une fleur de ras du sol et elle devient une fleur qui pousse en hauteur, pour atteindre le ciel. → Mysticisme. « Vous montez devant moi » « petits visages innombrables » personnification La personnification se poursuit puisque qu’elle s’adresse directement aux fleurs : « Vous montez devant moi » et leur attribue des « petits visages innombrables » et palpitants. Richesse de l’humanité dans la nature avec laquelle elle communique. Elle termine par l’évocation sensuelle de l’ivresse provoquée par cette vision. Ainsi ces violettes ont fait naître chez Colette une vision qui la submerge de bonheur en ravivant tous les printemps de son enfance. On notera le mouvement d’élévation qui mène à une envolée, à une apothéose dans « un ciel laiteux d’avril ». Conclusion : Dans ce texte poétique et lyrique, Colette célèbre le bonheur d’aimer et le bonheur de retrouver les impressions d’enfance en se laissant porter par ses sens, en l’occurrence, la vue et l’odorat. Mais elle célèbre aussi la beauté étrange, discrète et paradoxale de ces petites violettes déchiquetées, qui, à son image, parviennent à renaître après le dur hiver. Si Colette « abolit les années » grâce au parfum retrouvé des violettes de son enfance, Proust retrouve quant à lui, dans Du côté de chez Swann, le temps passé grâce au goût d’une madeleine trempée dans du thé. GRAMMAIRE : Analysez la construction de la phrase complexe suivante : « Porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes et regarde, en respirant le philtre qui abolit les années, regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance !... » Dans cette phrase complexe, on repère quatre verbes conjugués qui nous permettent de distinguer quatre propositions. – La première proposition « porte plutôt à tes narines le parfum invariable de ces violettes changeantes » est coordonnée à une seconde proposition grâce à la conjonction de coordination « et ». – Dans cette deuxième proposition, le complément d’objet direct « philtre » est complété par une proposition subordonnée relative (« qui abolit les années ») introduite par le pronom relatif « qui ». On pourrait très bien supprimer cette subordonnée relative ou la remplacer par un groupe nominal équivalent, par exemple « le philtre destructeur d’années ». – On a enfin une dernière proposition qui est simplement juxtaposée sans mot de liaison : « regarde comme moi ressusciter et grandir devant toi les printemps de ton enfance !... ».