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Commentaire La Peste (Pütz Fernand), Résumés de Droit

Dans toutes ses oeuvres, et en particulier dans la Peste, Camus dit sa ... "A s'en tenir au résumé le plus littéral, la ville d'Oran est livrée à une ...

Typologie: Résumés

2021/2022

Téléchargé le 08/06/2022

Kilian_Te
Kilian_Te 🇫🇷

4.4

(79)

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Télécharge Commentaire La Peste (Pütz Fernand) et plus Résumés au format PDF de Droit sur Docsity uniquement! La Peste page 1 de 23 ðRemarque : les indications de pages renvoient aussi bien à l’édition actuellement au programme (en caractères gras) qu’à la pénultième édition (en italique) LA PESTE. 1. QUELQUES TERMES IMPORTANTS DE LA PENSEE DE CAMUS L'EXISTENTIALISME: L'existentialisme, un mouvement littéraire et philosophique qui a connu son apogée en France vers 1940/1950 a pris des aspects très divers. Les auteurs existentialistes les plus connus sont: Jean-Paul Sartre, Albert Camus et Simone de Beauvoir. Ils accordent tous une grande importance à la notion d’“existence“. L’homme doit, par ses actes, définir son existence, à la naissance il n’est rien. Il arrive dans un monde „absurde“. "Loin de constituer un "être" donné au départ et doué de raison, l'homme n'est d'abord que néant et le fait même d'exister est "absurde". En un mot, l'homme existe avant d'être (ce qu'exprime la célèbre formule de Sartre : 'l'existence précède l'essence' ou encore: ' nous sommes avant d'être quelque chose'). C'est donc l'homme lui-même qui doit donner un sens à sa propre vie et devenir dans sa vie un être raisonnable; l'homme n'est que ce qu'il fait de lui-même. En d'autres termes: être, c'est se choisir par un libre engagement. Au surplus, il ne saurait être question de refuser cette liberté. L'homme est condamné à être libre..." Mais la société mesure souvent un homme selon sa naissance, son nom, sa famille, son héritage, sa nationalité, sa race. Mais selon les existentialistes, seuls les actes nous définissent. Nous sommes ce que nous faisons de nous-mêmes. L'ABSURDE: le terme est discuté par Camus dans le Mythe de Sisyphe : Sisyphe a été condamné par les dieux à rouler éternellement une pierre; Dés qu'il a atteint le sommet de la montagne, le pierre dégringole et il doit recommencer son travail absurde. Telle est l'image de notre existence. Cependant, selon Camus, " il faut imaginer Sisyphe heureux", puisqu'il a compris et accepté l'absurde de sa condition et qu'il fait son travail sans espoir mais la paix dans l'âme. Ainsi l’homme ne doit pas se plaindre de sa condition, il ne doit pas se lamenter sur l’“absurde“ et sur la création mal faite, il doit d’abord accepter le monde tel qu’il est et lutter contre l’injustice et le malheur. Meursault, dans l'Etranger, représente un homme qui vit en plein absurde, face à une société qui refuse totalement le hasard, la contingence (voir ce terme ). Cette société essaie d'établir des liens logiques réconfortants entre tous les événements réunis par le hasard. Elle est fondée sur des valeurs qui sont acceptées a priori, c'est-à-dire sans réflexion: l'amour filial, la religion, le mariage, le travail, la justice... Or l'existentialisme n'accepte pas de telles valeurs toutes faites pour guider notre vie. De plus, Meursault prend vers la fin du roman conscience du mal et surtout de la mort (penser à son entrevue avec le prêtre), ce qui renforce son sentiment de l'absurde de notre vie, sentiment que jusque-là il ne ressentait qu'instinctivement. L'Etranger apparaît comme le point zéro, le point de départ de la pensée de Camus. Meursault se contente de vivre dans l'absurde, sans réagir, il accepte la situation. Sa révolte survient trop tard et elle est stérile, inefficace. Caligula, dans la pièce de théâtre portant le même nom, utilise son pouvoir d'empereur romain pour faire comprendre à ses sujets, de façon didactique mais horrible, qu'ils vivent en plein absurde. L'expérience qui déclenche son action est la mort de la femme aimée: la mort, encore elle, lui fait prendre conscience de la vanité de son pouvoir et de son existence. Voyant autour de lui des sénateurs infatués de leur dignité, il crée une atmosphère d'insécurité. Telle action aujourd'hui comblera un sénateur de richesses et d'honneurs, qui demain lui coûtera la vie. Caligula mourra assassiné: son attitude face à l'absurde est condamnée par l'auteur. La Peste montre différentes attitudes prises par les protagonistes face à l'absurde, représenté par la peste. Ce livre essaie de proposer des solutions, qui résident toutes dans l'action. La Peste page 2 de 23 CONTINGENT, CONTINGENCE: La société dans l'Etranger défend l'idée d'un monde où tous les événements sont régis par la nécessité; elle ne s'intéresse pas aux actions qui sont, mais à celles qui devraient être (motifs du meurtre, etc.). Or les actions de l'homme absurde et libre sont toujours contingentes, elles ne sont pas régies par des forces et des valeurs extérieures, elles ne se conforment pas à un schéma. L'attitude de Meursault est donc extrêmement dangereuse pour cette société. Le monde d'ailleurs apparaît comme contingent, tout ce qui se passe pourrait tout aussi bien ne pas se passer du tout ou se passer d'une façon différente. Dans ce contexte, contingent devient synonyme de hasard. Dans la Peste, l'épidémie frappe de façon contingente, elle choisit ses victimes au hasard. Paneloux, le prêtre, essaie de retrouver une nécessité: il la trouve dans son idée d'un châtiment divin qui punirait les hommes pour leurs péchés. D'autres personnages trouvent d’autres raisons pour expliquer ce qui en fait est inexplicable: pourquoi la maladie, la mort frappent-elles telle personne et non pas telle autre? ESSENCE, ESSENTIEL: Ce qui fait d'une chose ou d'un être ce qu'ils sont, ce qui permet de les distinguer de tous les autres êtres. ACCIDENT, ACCIDENTEL: ce qui n'est pas essentiel. La couleur des cheveux, les habits qu'il porte, ne sont pas essentiels pour définir un homme; ils sont accidentels. Il peut en changer et rester fondamentalement le même. Or c'est souvent sur les aspects accidentels de l'homme que la société bâtit son jugement. REVOLTE: attitude de refus et d'hostilité face à une autorité, une loi, une contrainte. Meursault se révolte contre la mort, contre les arguments et les consolations dénués de signification que lui apporte le prêtre. Dans toutes ses oeuvres, et en particulier dans la Peste, Camus dit sa révolte face à tout ce qui permet de justifier les injustices et en particulier la peine de mort. Il dit aussi sa révolte face à un monde absurde qui, par exemple, inflige la souffrance et la mort à des enfants. Aux yeux de Camus, une telle création est un scandale, et il vaut mieux pour Dieu qu'il n'existe pas. ENGAGEMENT: (littérature engagée, un auteur engagé). Il s'agit de l'attitude de non-neutralité face à des conflits, des problèmes, des injustices. L'écrivain ne peut pas créer des oeuvres obscures ou abstraites. Sa pensée doit être utile et cela pour tous les hommes. L'engagement doit toujours se faire pour les faibles et contre les oppresseurs. L'artiste doit éviter de ne produire que le beau pour le beau, mais également de tomber dans la propagande. Camus a clairement exprimé ces idées dans le Discours de Stockholm. (voir extraits ci-joints) 2. QUELQUES DETAILS BIOGRAPHIQUES 1913 Naissance de Camus en Algérie. L'année d'après, son père est tué à la guerre. Sa mère vient s'établir à Alger et y vit dans la pauvreté. 1923 Camus entre au lycée et plus tard à l'université. Il joue gardien de but dans l'équipe universitaire. Il souffre de tuberculose. En 1933 il milite dans un mouvement antifasciste. 1934 Premier mariage; divorce deux ans plus tard. Camus adhère au Parti Communiste. 1937 Publie L'Envers et l'Endroit 1939 Publie Noces 1940 Second mariage. Se rend en France métropolitaine. Au cours de la guerre Camus milite dans la Résistance. Le débarquement allié en Afrique du Nord le sépare pour longtemps de sa femme. 1942 L'Etranger 1943 Le Mythe de Sisyphe 1944 Le Malentendu. Rencontre avec Sartre 1945 Caligula 1949 Les Justes 1951 L'Homme Révolté 1952 Rupture avec Sartre 1953 Prend position pour les insurgés de Berlin-Est 1954 L'Eté 1956 La Chute La Peste page 5 de 23 • les fours où les cadavres sont brûlés lorsque la peste a atteint son paroxysme: le génocide juif (p. 197-199, p.164-167) • l'organisation des équipes sanitaires: la résistance contre l'occupant (p. 147-149, 124-125) • la méfiance qui règne partout: la peur de dire son sentiment dans un régime dictatorial (p. 214- 215, 179) • les camps de quarantaine: les camps d'internement et les camps de concentration (p.259-260, 215-217) • les enterrements dans des fosses communes: les massacres nazis dans tous les pays d'Europe (p. 192-196, 161-164) • les règlements édictés par l'administration, le rationnement: les nombreux interdits et problèmes d'approvisionnement qui règnent en temps de guerre (passim) • les hésitations de l'administration: le gouvernement de Vichy (passim) • la séquestration, la séparation des amants: le manque de contacts entre la zone libre et la zone occupée, entre la France et ses colonies • les fêtes dans la rue à la fin de la peste: la liesse populaire au moment de la Libération Bien sûr, cette liste n'est pas exhaustive. LA PESTE COMME IMAGE DE NOTRE CONDITION Tout d'abord, il faut relever que la vie des habitants d'Oran est une image de notre propre vie, caractérisée par la banalité, les habitudes et l'absence de sentiments forts: "Oran, ville laide et neutre, vaut précisément par cette insignifiance; ville de partout et de nulle part... Il y circule une foule banale, tout entière jetée dans une existence sans relief: travail, cinéma, baignades, on n'y soupçonne guère que puissent exister d'autres valeurs que l'argent et l'agitation. Ville sans âme et sans recours, sans amour aussi... Bref, une cité qui a perdu le sens de la vraie vie."5 Oran tourne le dos à la mer, symbolisant ainsi qu'elle s'est coupée de tout élan vers des frontières nouvelles. Les habitants d'Oran ressemblent à la foule du dimanche telle qu'elle est décrite dans l'Etranger. Elle correspond aussi à la vision que Camus a de la monotonie de notre existence; il l'a résumée dans la formule "métro, boulot, dodo" La peste représente également toutes les formes que prennent le mal, l'injustice et la sottise humaine. Dans Caligula, l'empereur disait :"Je suis la peste". Dans L'Etranger, les coups de feu de Meursault déchaînent la peste. Elle prend des formes très diverses, tantôt elle apparaît sous le masque de la justice, tantôt sous celui du bourreau, du révolutionnaire qui tue pour sa cause, du dictateur, du fanatique, etc. Finalement, elle est tout ce qui entraîne la souffrance et la mort de l'homme. Tarrou affirme dans sa discussion avec Rieux que "chacun porte la peste en soi" (p. 275, 228) c'est-à-dire que nous sommes tous capables de justifier un jour, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, ce qui fait mourir les hommes.Il ajoute qu'il" faut faire ce qu'il faut pour ne plus être un pestiféré"(p.275, 228) Et il n'y a aucun espoir que nous puissions un jour définitivement vaincre le mal et l'injustice, car, comme l'affirme Rieux à la fin de sa chronique: "le bacille de la peste ne meurt ni ne disparaît jamais." (p.335, 279) La peste symbolise aussi de façon parfaite la contingence de notre existence, puisqu'elle frappe au hasard, sans égard pour la personne. Elle apparaît de façon inattendue, il n'existe aucune raison particulière pour que Oran ait été frappé et non une autre ville. Elle disparaît de façon tout aussi inattendue et avec une rapidité incroyable (est-ce à cause du sérum de Castel, de l'arrivée de la saison froide, s'est-elle essoufflée? Personne ne saurait le dire). Elle représente la mort qui frappe inexorablement et qui, de façon aléatoire, met fin à notre existence et à tous nos desseins. 5. Roger Quilliot, La Mer et les Prisons La Peste page 6 de 23 "Tous nous avons vécu ou nous pouvons vivre sous la présence implacable de la dictature ou de la guerre, et tous nous sommes en tout cas, dès notre naissance, condamnés à mort, le bacille est en nous... [Ce livre] nous invite à regarder en face les fléaux, quels qu'ils soient, et à chercher patiemment, lucidement, avec l'homme modeste qui raconte et qui réfléchit devant nous, ce que nous pouvons faire contre le mal."6 En fait, de nombreux thèmes expliqués dans les pages suivantes ont un lien étroit avec cette explication de la peste: l'absurde, la mort, le bonheur, les réactions des protagonistes, etc. L'ABSTRACTION Les sujets abordés par Camus nous concernent donc tous. Il est étonnant de constater cependant que le récit reste singulièrement abstrait. Les raisons en sont nombreuses. Nous avons vu que le style de la chronique force le narrateur à un récit objectif et froid. Il est l'observateur, le témoin, dont l'impassibilité n'est ébranlée qu'en de rares moments (ainsi après le sermon de Paneloux et lors de la mort de l'enfant) De plus, Camus veut donner un caractère universel à son livre. Ainsi, chacun pourra y retrouver quelque chose de ce qu'il a déjà vécu, pensé ou senti. mais en même temps, ce récit, qui s'applique donc à un grand nombre de situations très diverses, ne s'applique entièrement à aucune situation précise. La Peste parle bien de façon symbolique de la résistance aux nazis, mais elle ne parle pas de façon précise de la deuxième guerre mondiale. On a souvent reproché à Camus cette abstraction volontaire: "Vous vous dérobez et vous nous dérobez à l'action politique proprement dite, lui ont dit à peu près Bertrand d'Astorg, Francis Jeanson, Jean-Paul Sartre, Roland Barthes; vous refusez ce qui est seul efficace, d'appeler à la lutte contre des causes précises et nettement désignées, contre les structures ou les individus responsables de l'exploitation et de la guerre. Vous êtes inutile, démobilisateur, et votre morale n'est qu'une morale de Croix-Rouge!7 Les remarques finales de Rieux restent plutôt vagues et générales: il s'agit d'un appel à une résistance à toute forme de mal. D'ailleurs, en tant que médecin, il se limite à combattre le mal et à soulager la douleur. Il n'essaie pas de les éviter et d'en chercher l'origine. Camus a répondu à ces reproches. Il dit que son premier but c'est que " La Peste puisse servir à toutes les résistances contre toutes les tyrannies 8. Il ne veut pas juger qui est responsable du malheur ou des injustices, il veut montrer comment les combattre et comment vaincre les tyrannies, qu'on ait pu les empêcher ou non. La Peste, selon lui, est "un témoignage de ce qu'il avait fallu accomplir et que sans doute [les hommes] devraient encore accomplir contre la terreur et son arme inlassable, malgré leurs déchirements personnels." Le terme d'"abstraction" peut encore prendre d'autres significations. Ainsi l'administration, incapable d'affronter le problème inattendu qui se pose à elle, refuse de considérer la peste dans toute sa gravité, elle essaie de gagner du temps, elle noie les morts et les souffrances individuelles sous des chiffres. Rien de plus abstrait en effet que les statistiques! Combien de drames individuels peuvent se cacher sous les annonces hebdomadaires puis journalières des morts! Pour l'administration, ces drames se réduisent à des courbes établies consciencieusement. Elle administre la souffrance. (voir pages 40 et 91-92, 35 et 77) De toute façon, l'homme est incapable d'affronter la peste dans toute son horreur. L'imagination humaine est débordée; que signifient cent morts, mille morts, dix mille morts? "J'ai les chiffres, dit le préfet, ils sont en effet inquié tants... Je vais demander des ordres au Gouvernement général. Rieux raccrocha devant Castel. 6. Pol Gaillard, Camus, Bordas, p.97. 7. Profil d'une oeuvre, p.29 8.Camus, Club , février 1955 La Peste page 7 de 23 -Des ordres! Et il faudrait de l'imagination." Rieux lui non plus n'échappe pas à l'abstraction. Lorsque Rambert lui parle de ses projets de s'enfuir de la ville parce qu'il croit avoir le droit de rechercher son bonheur individuel, le docteur lui répond que la peste "nous concerne tous". Rambert rétorque avec amertume: "Vous parlez le langage de la raison, vous êtes dans l'abstraction." Rieux réfléchit à la question et il arrive à la conclusion qu'à force de répéter toujours les mêmes conseils, les mêmes ordres, les mêmes gestes, à force d'appliquer sans considération de la personne les règles d'hygiène et de quarantaine, il ne voit plus le malade individuel. La maladie, la visite d'un pestiféré deviennent abstraites, il finit par ne plus voir un individu, mais un cas. Il conclut: " Oui, la peste, comme l'abstraction, était monotone." (p.100-104, 84-87) THEMES ET PERSONNAGES LA SEQUESTRATION ET LA SOLITUDE Le thème de la séquestration (le fait d'être enfermé et isolé) est fréquent chez les existentialistes. Sartre l'utilise dans plusieurs oeuvres, dont notamment Huis Clos : trois personnages s'y retrouvent enfermés pour l'éternité dans une chambre en enfer. Sartre va étudier leurs réactions et arriver à la conclusion célèbre: l'enfer c'est les autres. La séquestration de ses personnages présente plusieurs avantages pour un auteur: - il peut les étudier en "vase clos", c'est à dire sans que la moindre influence extérieure puisse se faire sentir (un peu comme un biologiste étudierait une culture de microorganismes) - les personnages ne peuvent plus échapper à leur situation, ils ne peuvent pas "se dérober" - notre condition d'hommes, définitivement enfermés dans notre existence, est ainsi illustrée. Camus, lui aussi séquestre ses personnages. Sisyphe est enfermé en enfer, Meursault, dans L'Etranger prend conscience de sa situation lorsqu'il se trouve en prison, tous les protagonistes de La Peste sont séquestrés dans Oran. De plus, pour Camus, la perte de la liberté est un des principaux malheurs qui puissent frapper l'homme. Ainsi Oran, enfermé dans ses murs, entouré de gardes, le dos tourné à la mer, illustre toutes les tyrannies, toutes les dictatures qui enlèvent à l'homme sa liberté. La mer, quant à elle, représente la liberté. Elle offre un refuge contre la peste, contre la chaleur étouffante, elle représente la communion de l'homme avec la nature. Il ne faut pas oublier que l'histoire se passe en Afrique du Nord, où le soleil est souvent inexorable. Dans Noces, Camus nous raconte quel bonheur il éprouvait personnellement à prendre des bains de mer. Dans L'Etranger, Meursault rencontre Marie en se baignant, il prend un bain de mer avec elle juste avant de commettre le meurtre et ce bain représente un des principaux moments de bonheur du livre. Il en est de même du bain de l'amitié que prennent Rieux et Tarrou pour échapper un instant à la peste. (p.279-280, 231 et 232) Un des premiers effets de la séquestration que ressentent les Oranais, c'est qu'ils ne peuvent plus se baigner dans la mer: "Le soleil de la peste éteignait toutes les couleurs et faisait fuire toute joie. C'était là une des grandes révolutions de la maladie. Tous nos concitoyens accueillaient ordinairement l'été avec allégresse. La ville s'ouvrait alors vers la mer et déversait sa jeunesse sur les plages. Cet été-là, au contraire, la mer proche était interdite et le corps n'avait plus droit à ses joies."(p.128, 108) La séquestration d'Oran symbolise également la situation de la France sous l'occupation nazie: le pays était coupé en deux par la ligne de démarcation, le passage de la France occupée dans la zone libre était difficile sinon impossible. Les familles étaient séparées, les amants attendaient la fin de la guerre pour se retrouver. Cette séquestration entraîne la solitude. Rambert est coupé de son amie, Rieux est séparé de sa femme. Un des thèmes principaux du livre est celui des amants séparés, seuls personnages vraiment intéressants aux dires de Camus. Ainsi les femmes, qui sont peu présentes dans La Peste jouent-elles, du fait même de la séquestration et de leur absence, un rôle très important. La Peste page 10 de 23 hommes. Notre société hédoniste, entièrement orientée vers la recherche du plaisir, fuit l'idée qu'un terme sera un jour mis à notre existence. Un véritable tabou pèse sur la mort: il est de mauvais ton d'aborder ce sujet. Or tel n'était pas toujours le cas. Autrefois on se préparait à la mort, on mourait en public, entouré de ses proches. Aux XVIe et XVIIe siècles le mourant recherchait la "belle mort", qu'il désirait attendre stoïquement. Il ne faut pas oublier que la mort constitue un des thèmes fondamentaux de la littérature existentialiste (voir entre autres Le Mur, Huis Clos de Sartre, L'Etranger, Caligula, Le Malentendu de Camus). Ces auteurs vivent à une époque qui a enseigné aux hommes combien leur existence est précaire. Il suffit de penser au choc des deux guerres mondiales, à l'indignation des intellectuels lors du bombardement de Guernica, à l'holocauste dans les camps de concentration, aux bombes atomiques. Les réflexions sur la mort et la peine capitale sont nombreuses dans La Peste. D'une façon générale, la peste, qui frappe inexorablement et de façon aléatoire, illustre notre condition. De façon plus spécifique, nous pouvons retenir les idées suivantes: -Oran illustre la "façon moderne" de mourir dans la solitude, au milieu d'une foule occupée à s'amuser et à faire des affaires. La mort survient d'ailleurs après une vie monotone et vide de sens, passée à travailler du matin au soir et à perdre le temps libre avec des futilités. -La mort est un des aspects essentiels de l'absurde. Elle met un terme définitif à toutes nos activités et à nos espoirs, sans que nous puissions prévoir le moment où elle surviendra. Quelle que soit notre richesse ou notre puissance, elle peut nous enlever les êtres aimés. Nous manquons d'ailleurs d'imagination: nous sommes incapables de nous représenter clairement notre situation. Camus dit à propos des Oranais: "Ils se croyaient libres et personne ne sera jamais libre tant qu'il y aura des fléaux."(p.48, 42) Or la peste nous enseigne que notre vie "ne tient qu'à un fil", que le moindre événement, le plus imperceptible mouvement peuvent la détruire: "...au bout de tout cela, on était pendu à un fil et les trois quarts des gens, c'était le chiffre exact, étaient assez impatients pour faire ce mouvement imperceptible qui les précipitait" (p.49, 43) -La mort reste abstraite pour nous, elle se limite à des chiffres, à des statistiques. Les Oranais d'ailleurs sont incapables de s'imaginer ce que représentent trois cents morts par semaine. Est-ce dramatique? Combien de gens meurent en temps normal? D'ailleurs, personnellement, nous avons l'impression que nous ne sommes pas concernés par le problème: ce sont toujours les autres qui meurent. - Le médecin, qui est en contact avec les mourants, souffre personnellement de leur mort, et il lui est difficile de se résigner. "Et puis il a fallu voir mourir. Savez-vous qu'il y a des gens qui refusent de mourir?"(p.143, 120) Or lui aussi succombe à l'habitude, à l'abstraction (voir ce chapitre). -Il est difficile de se résigner à voir mourir. La mort et la souffrance sont d'ailleurs une des preuves essentielles contre l'existence de Dieu (voir les idées du XVIIIe siècle, de Voltaire en particulier): "...puisque l'ordre du monde est réglé par la mort, peut-être vaut-il mieux pour Dieu qu'on ne croie pas en lui et qu'on lutte de toutes ses forces contre la mort, sans lever les yeux vers le ciel où il se tait."(p.144, 121); voir le chapitre REFUS D'UN ORDRE DU MONDE REGLE PAR LA MORT) -Paneloux essaie de fournir une explication de cette souffrance et de cette mort (voir chapitre Le PRECHE DE PANELOUX) -La mort de l'enfant apporte une dénégation définitive à toutes les théories qui essaient d'expliquer de façon rationnelle, par une volonté transcendante, la souffrance et la mort. -la mort ne s'arrête pas à des barrières sociales, pour la première fois il existe une égalité absolue entre le condamné et le juge, entre le prisonnier et son gardien (p.187-188, 157) Voici quelques passages de Profil d'une Oeuvre à ce sujet: La Peste page 11 de 23 "Nous sommes tous des condamnés à mort, mais nous avons tendance à l'oublier sans cesse bien que nous le sachions parfaitement. Presque chaque jour les quotidiens consacrent la plus neutre de leurs grandes pages aux avis de décès 'ordinaires' si je puis dire, aux morts 'naturelles'. Quelle force dans ce dernier mot si nous faisions attention! Mais nous lisons à peine dès lors que nous ne connaissons pas... Il faut des morts spéciales pour nous bouleverser: la disparition d'un être cher, la fin absurde de Camus ou de tant d'autres sur des routes heureuses, la catastrophe d'un raz de marée, les massacres perpétrés par des hommes contre d'autres hommes. La mort de tous les jours, si régulière bien que nous ne sachions ni le jour ni l'heure, ne semble pas nous concerner." Nous jouons tous la comédie de la vie, mais le dernier acte peut arriver à tout instant, de façon inattendue et dramatique; "Chacun peut mourir brusquement sur scène comme l'acteur qui joue Orphée au grand théâtre d'Oran". LA PEINE DE MORT Le problème de la peine capitale est abordé à plusieurs reprises, en particulier aux pages 270-275, 224- 228, où Tarrou dit son dégoût de tous ceux qui s'arrogent le droit de condamner à mort un de leurs semblables et cela pour quelque raison que ce soit. La session au tribunal où il a vu son père demander la tête d'un criminel l'a marqué pour toute sa vie. Son père, avocat général, était de "naturel bonhomme". Il semble mener une vie tout à fait normale, ayant quelques aventures amoureuses et une manie: apprendre par cœur les indicateurs de chemin de fer. Or un jour Tarrou assiste à un plaidoyer de son père. Il fait la description de l'inculpé, un petit homme au poil roux et pauvre, qui sue de peur. Il termine cette description par la remarque: "Bref, je n'insiste pas, vous avez compris qu'il était vivant." En le comparant au calme et à la bonne conscience inhumains du tribunal, Tarrou conclut: "...je sentais qu'on voulait tuer cet homme vivant et un instinct formidable comme une vague me portait à ses côtés avec une sorte d'aveuglement entêté." Il entend son père faire sa harangue et demander "la mort de cet homme au nom de la société". De quel droit la société ou un juge peuvent-ils décider de la vie d'un homme. Certes, la société trouve mille raisons pour expliquer que l'exécution de tel criminel est indispensable, mais ce que l'on appelle "les derniers moments... il faut bien [le] nommer le plus abject des assassinats." Tarrou appelle l'exécution un assassinat, son père un assassin et il quitte la maison paternelle. Il militera dans plusieurs mouvements qui eux aussi tuent au nom de la "juste cause" ou "pour le bien de l'humanité". Finalement, il refusera d'écouter ces arguments fournis par l’idéologie, il refuse de" donner une seule raison, une seule, vous entendez, à cette dégoûtante boucherie." (p.275, 227) " Et c'est pourquoi j'ai décidé de refuser tout ce qui, de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu'on fasse mourir." (p.275, 228) Il ne faut pas oublier que Camus a toujours milité pour les prisonniers politiques et contre la peine de mort. L'Etranger par exemple est un plaidoyer contre la peine capitale. Des expériences personnelles ont marqué Camus au cours de sa jeunesse. Voici quelques souvenirs autobiographiques: "Peu avant la guerre de 1914, un assassin dont le crime était particulièrement révoltant (il avait massacré une famille de fermiers avec leurs enfants) fut condamné à Alger. Il s'agissait d'un ouvrier agricole qui avait tué dans une sorte de délire du sang, mais avait aggravé son cas en volant ses victimes. L'affaire eut un grand retentissement. On estima généralement que la décapitation était une peine trop douce pour un pareil monstre. Telle fut, m'a-t-on dit, l'opinion de mon père que le meurtre des enfants, en particulier, avait indigné. L'une des rares choses que je sache de lui, en tout cas, est qu'il voulut assister à l'exécution, pour la première fois dans sa vie. Il se leva dans la nuit pour se rendre sur les lieux du supplice, à l'autre bout de la ville, au milieu d'un grand concours de peuple. Ce qu'il vit ce matin-là, il n'en dit rien à personne. Ma mère raconte seulement qu'il entra en coup de vent, le visage bouleversé, refusa de parler, s'étendit un moment sur le lit et se mit tout d'un coup à vomir. Il venait de découvrir la réalité qui se cachait sous les grandes formules dont on la masquait. Au lieu de penser aux enfants massacrés, il ne pouvait plus penser qu'à ce corps pantelant qu'on venait de jeter sur une planche pour lui couper le cou. Il faut croire que cet acte rituel est bien horrible pour arriver à vaincre l'indignation d'un homme simple et droit et pour qu'un châtiment qu'il estimait cent fois mérité n'ait eu finalement d'autres La Peste page 12 de 23 effets que de lui retourner le cœur. Quand la suprême justice donne seulement à vomir à l'honnête homme qu'elle est censée protéger, il paraît difficile de soutenir qu'elle est destinée, comme ce devrait être sa fonction, à apporter plus de paix et d'ordre dans la cité. Il éclate au contraire qu'elle n'est pas moins révoltante que le crime, et que ce nouveau meurtre, loin de réparer l'offense, ajoute une nouvelle souillure à la première."12. LE PREMIER SERMON DE PANELOUX (pages 106-113, 89-95) La peste et la mort apparaissent donc comme des aspects essentiels de notre existence, dont elles illustrent le caractère aléatoire. Paneloux, quant à lui, essaie de retrouver dans cette mort qui frappe au hasard une volonté, un ordre transcendant. De la même façon, le tribunal dans L'Etranger recherchait dans la suite d'événements fortuits (dus au hasard) qui avaient amené le meurtre de l'Arabe, une suite logique, un "mobile du crime". L'idée que notre existence dépende du hasard est insoutenable pour de nombreuses personnes. Le jour où Paneloux fait son prêche, le ciel est sombre et la pluie bat la ville. L'Eglise a décidé de lutter contre le fléau avec ses propres moyens, qui sont la prière. Les Oranais assistent d'abord avec hésitation à la semaine de prières, mais ils affluent de plus en plus nombreux, d'abord parce qu'ils sont désœuvrés et que c'est une occupation comme une autre, ensuite ils suivent le principe: "De toute façon, ça ne peut pas faire de mal." Le jour du sermon, la foule est grande. Le père jésuite commence son prêche avec une phrase violente, qui est le thème, le leitmotiv de tout son discours: "Mes frères, vous êtes dans le malheur, mes frères, vous l'avez mérité." Il établit ainsi un lien de causalité entre la peste et les péchés des Oranais. Habilement, Paneloux illustre son sermon, construit selon les règles de la rhétorique, avec des exemples historiques. Il renvoie à la Bible: la peste a toujours frappé les ennemis de Dieu, les orgueilleux et les aveugles. Ceux qui n'ont pas commis de péchés n'ont rien à craindre: "Les justes ne peuvent craindre cela, mais les méchants ont raison de trembler." Une image tirée de l'Histoire Sainte illustre cette affirmation: "Dans l'immense grange de l'univers, le fléau implacable battra le blé humain jusqu'à ce que la paille soit séparée du grain" . Le mot "fléau" a deux significations: l'outil utilisé pour battre le blé (Dreschflegel) et le cataclysme (ici la peste). Le "blé humain" représente l'humanité" et en particulier les Oranais. La "paille " renvoie aux méchants, aux pécheurs, le "grain" renvoie aux bons. Lorsque Paneloux affirme que les justes ne peuvent pas craindre cela, il ne veut pas dire qu'ils ne peuvent pas attraper la peste, mais qu'ils ne doivent pas craindre la maladie et la mort puisqu'ils gagneront le salut éternel. Il reproche aux Oranais leur mollesse, leur confiance que Dieu aurait pitié d'eux quoiqu'ils fassent, le laisser-aller spirituel. Dieu, fatigué d'attendre, a détourné son visage de la ville et l'a livrée à la peste. Paneloux personnifie la peste pour frapper l'imagination de son auditoire: elle apparaît comme un ange vengeur: "Voyez-le, cet ange de la peste, beau comme Lucifer et brillant comme le mal lui-même, dressé au- dessus de vos toits, la main droite portant l'épieu rouge à hauteur de sa tête, la main gauche désignant l'une de vos maisons." Lorsque Dieu a ainsi désigné une maison, rien ne peut la sauver; inutile de recourir à la médecine pour éviter la peste: "nulle puissance terrestre et pas même, sachez-le bien, la vaine science humaine, ne peut faire que vous l'évitiez". Cet abandon complet à la volonté divine qui sauve et condamne fera en sorte que Paneloux, lorsqu'il est attaqué lui-même par la peste, refusera la visite d'un médecin. Cette idée n'est pas encore clairement formulée dans le premier sermon, Paneloux y insistera dans le deuxième. Les Oranais se sont satisfaits de suivre quelques rites, de fréquenter parfois la messe, d'aller aux sacrements aux jours "importants"; leur foi n'allait pas plus loin. Paneloux appelle cela de la "tiédeur", alors que l'amour de Dieu est exigeant. Cette mollesse, la peste permettra de la vaincre: elle ouvrira les yeux aux Oranais, ils comprendront qu'ils ne se sont occupés jusqu'ici que de choses secondaires, qu'ils ont oublié de voir l'"essentiel": "...c'est un regard neuf que vous portez sur les êtres et sur les choses, depuis le jour où cette ville a refermé ses murs autour de vous et du fléau." 12. Albert Camus, Réflexions sur la Guillotine. La Peste page 15 de 23 l'amour de Dieu, quelque difficile qu'il soit: "...l'amour de Dieu est un amour difficile. Il suppose l'abandon total de soi-même et le dédain de sa personne." Lorsque Paneloux tombe malade, il applique à son propre cas la maxime que si un prêtre consulte un médecin "il y a contradiction". Il mourra en s'en remettant totalement à la volonté de Dieu, refusant de voir un médecin et un ami, puisqu'un prêtre n'a d'autre ami que Dieu. Etait -il d'ailleurs malade de la peste? Sur sa fiche Rieux inscrit "cas douteux". Nous pouvons comprendre cette remarque comme un doute exprimé par Camus face à l'attitude de Paneloux. Il dit des paroles dures et discutables pendant le premier sermon, mais il reste capable d'apprendre et de changer ses opinions. Il s'engage d'ailleurs activement dans les équipes sanitaires et il a le courage de défendre ses idées jusqu'au bout sans faiblir. 251-254, 208-211 L'ACTION A l'absurde de notre condition, à la peste, aux idées de Paneloux, Rieux oppose la morale de l'action, symbolisée par l'engagement des équipes sanitaires. L'absence d'action ou les tergiversations de l'administration Les Oranais sont incapables d'imaginer la peste, et cette incapacité rend impossible toute action rapide et efficace. Camus écrit que "pestes et guerres trouvent les gens toujours aussi dépourvus... Quand une guerre éclate, les gens disent: "Ca ne durera pas, c'est trop bête... Le fléau n'est pas à la mesure de l'homme, on se dit donc que le fléau est irréel."(p.47, 41) L'homme est toujours pris au dépourvu par les catastrophes et il reste solidement enfermé, à l'image des Oranais, dans ses petites habitudes. L'administration illustre le mieux cette attitude néfaste: elle reste attachée à ses règlements et à une hiérarchie qui permet de se démettre de sa responsabilité sur le supérieur immédiat. Ainsi le docteur Richard affirme qu'il n'est pas qualifié pour prendre des mesures et qu'il doit informer le préfet. Lorsque Rieux prononce pour la première fois le mot de peste (p.47, 41), tous sont pris au dépourvu et personne ne veut reconnaître la gravité de la situation. Or Rieux est d'avis qu'il ne faut pas tergiverser, qu'il faut prendre rapidement les mesures qui s'imposent: "...Ce qu'il fallait faire, c'était reconnaître clairement ce qui devait être reconnu, chasser enfin les ombres inutiles et prendre les mesures qui convenaient." (p.51, 44) Or l'homme a peur des mots, peur de nommer les choses. En effet, dès que nous avons mis une dénomination précise sur un fait, nous le reconnaissons avec toutes ses implications et nous serons en quelque sorte forcés à réagir. Voilà pourquoi l'administration refuse aussi longtemps que possible d'admettre le terme de "peste" et se limite à des euphémismes. Ainsi aucune mesure définitive ne devra être décrétée et personne n'aura besoin d'assumer ses responsabilités. Nous pensons ici aux réactions des démocraties face à la montée du nazisme et à l'attitude du gouvernement de Vichy. LA SAINTETE SANS DIEU OU LA RECHERCHE DE LA PERFECTION Tarrou s'engage activement dans les équipes sanitaires. La peste lui offre une situation exceptionnelle pour mener à bien sa recherche de la perfection: la sainteté sans Dieu. Après avoir raconté à Rieux quelle a été sa vie, il affirme que la seule question vraiment importante est de savoir comment devenir un saint si Dieu n'existe pas. Cette remarque, paradoxale à première vue, a été préparée par plusieurs observations que Tarrou a notées dans ses carnets. Ainsi il s'est demandé si le vieillard aux petits pois est un saint. Il a conclu par l'affirmative, à condition d'accepter que la sainteté corresponde à un ensemble d'habitudes. Quelle signification peut-il donc donner à ce terme? Le saint est communément défini comme une personne à laquelle l'Eglise voue un culte, en raison du très haut degré de perfection chrétienne qu'elle a atteint durant sa vie. Bien sûr, ce n'est pas dans l'optique chrétienne que nous devons prendre le terme puisque Tarrou n'accepte pas l'existence de Dieu. Restent les notions de "perfection”, de "patience" et de "vertu" attachées au mot. De plus, il ne faut pas oublier que le saint travaille pour le bien, ou, à défaut, qu'il fait tout pour éviter le mal. Or le mal, selon Tarrou, est représenté par tout ce qui "de près ou de loin, pour de bonnes ou de mauvaises raisons, fait mourir ou justifie qu'on fasse mourir." Nous sommes tous des pestiférés, nous La Peste page 16 de 23 portons tous le bacille de la peste en nous, mais les plus grands pestiférés, ce sont ceux qui mettent des robes rouges, c'est à dire les juges qui, sans sourciller et la conscience tranquille, condamnent à mort au nom de la société. Tarrou a fait cette découverte en assistant au plaidoyer de son père, qui demandait la tête de ce criminel qui allait être la victime de ce que Camus qualifie d"assassinat" . Cette expérience engendre chez Tarrou la volonté d'agir. Il va s'engager dans des groupes révolutionnaires qui combattent cette société meurtrière. Mais pour la combattre, ils seront eux aussi amenés à commettre des meurtres, au nom de la "bonne cause" bien sûr. Mais tout le monde n'est-il pas d'avis qu'il défend la juste cause, les massacres les plus horribles de l'histoire n'ont-ils pas justement été commis en son nom? Tarrou en arrivera à refuser toute raison qui justifie la mort d'un homme. Il n'accepte aucune exception, et c'est dans ce sens que nous devons comprendre sa recherche de la perfection. Cependant, il se coupe ainsi de la possibilité d'agir efficacement dans de nombreuses situations. La peste lui offre une situation où toutes les actions qu'il fait permettent de soulager le mal et la souffrance sans qu'il ait besoin de s'engager éventuellement dans une action violente. Or même cette situation exceptionnelle comporte des aspects qui rendent indispensable l'usage de la violence: la nuit est parfois déchirée par les coups de feu des gardes armés qui tirent sur ceux qui essaient de sortir de la ville. En effet, il faut à tout prix éviter que la peste ne se propage hors d'Oran. Dans notre univers il semble impossible de faire le bien durablement et efficacement; la sainteté, la perfection elles-mêmes semblent impossibles à Tarrou. Aussi faut-il, selon lui, se satisfaire peut-être d'un "satanisme modéré". Satan, c'est l'ange de la révolte, Lucifer qui s'est révolté contre la création de Dieu. Et cet esprit de révolte nous l'avons trouvé également chez Tarrou et Rieux, au moment où l'enfant meurt. L'action durable étant impossible, il faut se limiter peut-être à éviter tout ce qui entraîne le mal. Ainsi, même le vieil Espagnol devient candidat à la sainteté telle que la définit Tarroux. Il ne fait certainement du mal à personne puisqu'il a abandonné toute action. De plus, il représente un modèle de patience et d'endurance, il a atteint la perfection dans son domaine bien à lui: le refus du monde. Son geste de transvaser continuellement des petits-pois d'un récipient dans l'autre fait de lui un autre Sisyphe : conscient de l'absurde de notre condition, il la reproduit par un geste totalement dénué de signification. La question que nous devons nous poser, c'est si l'absence d'action ne peut pas être néfaste en elle -même. La question restera sans réponse, cependant il faut voir que le vieil Espagnol survit à la peste. Quant à Tarrou, il est condamné in extremis. Sa recherche de la perfection et de la sainteté, son refus de toute action qui puisse faire souffrir un homme ne lui permettrait pas de trouver la paix intérieure dans une situation autre que celle de la peste. Il a affirmé lui-même qu'il existe une autre solution que la sainteté: la bonne mort. C'est celle-ci qu'il connaîtra lorsque l'épidémie touche déjà à sa fin. Rieux affirme n'avoir aucun goût pour la sainteté, il veut, lui, être un homme. De façon assez surprenante, Tarrou prétend que vouloir être un saint est plus modeste que vouloir être un homme. "-Peut-être, répondit le docteur, mais vous savez, je me sens plus de solidarité avec les vaincus qu'avec les saints. Je n'ai pas de goût, je crois, pour l'héroïsme et la sainteté. Ce qui m'intéresse, c'est d'être un homme. -Oui, nous cherchons la même chose, mais je suis moins ambitieux." (p.278, 230) Ce paradoxe s'explique de la façon suivante: alors que le saint recherche la perfection dans son domaine bien précis, que toute son attention et ses efforts sont fixés sur son but, l'homme doit s'adapter à des situations variées, accepter les échecs, réviser ses idéals, recommencer éternellement un combat qu'il sait sans espoir et sans récompense. RIEUX OU LA SEULE ACTION HUMAINEMENT POSSIBLE Dans le Discours de Stockholm Camus explique la nécessité d'agir: nous sommes tous embarqués sur la même galère, le silence même n'est plus possible à notre époque. A Rambert, qui affirme qu'étant étranger à la ville, il n'a pas à s'occuper de la peste, Rieux répond qu'elle "nous concerne tous" (p.99, 84). Et il ajoute qu'il faut être "fou, aveugle ou lâche pour se résigner à la peste."(p.141, 119) Les existentialistes ont fait de l'action, de l'engagement, le pilier principal de leur pensée. Sartre affirme que nous sommes définis uniquement par nos actes, que nous avons la dure liberté de choisir nos actes. La Peste page 17 de 23 Face à une administration qui cherche à esquiver le problème, face aux idées de Paneloux, Rieux répète qu'il est essentiel d'agir et il dit que sa tâche de médecin, comme celle de l'homme en général, est "de bien faire son métier"(p.51, 44) Cette action est généralement humble et souvent monotone: dans ce cas précis, il s'agit de soulager la souffrance des malades et de freiner la propagation de la peste avec les moyens dont chacun dispose. Il ne faut pas discourir sur les problèmes, mais agir: "Il soignerait la misère avant de vouloir en démontrer l'excellence".(p.142, 119) Les équipes sanitaires représentent cette morale de l'action. Pratiquement tous les personnages importants du livre s'y engagent, même ceux dont on ne l'aurait pas attendu, comme Paneloux, Rambert et le juge Othon. Bien sûr cet engagement est dangereux, mais Camus affirme que face à des situations exceptionnelles, aucune hésitation n'est permise. Ainsi tous s'engagent en quelque sorte "normalement", sans considérer leur décision comme un acte héroïque; elle est tout simplement indispensable. Grand représente à la perfection l'homme qui s'engage sans discourir, sans hésiter, mais aussi sans en tirer le moindre titre de gloire. Il aide dans la mesure de ses moyens, fait un travail humble mais utile. Aussi devient-il le véritable modèle du livre, le seul qui soit à notre mesure. S'il faut proposer un héros, note Rieux, ce sera "justement ce héros insignifiant et effacé, qui n'avait pour lui qu'un peu de bonté au cœur et un idéal apparemment ridicule. Cela donnera à la vérité ce qui lui revient, à l'addition de deux et deux son total de quatre, et à l'héroïsme la place secondaire qui doit être la sienne, juste après, et jamais avant, l'exigence généreuse du bonheur;" (p.153-154, 129). L'idée que deux et deux font quatre et qu'il faut avoir le courage d'affirmer et de vivre cette vérité simple se retrouve à la page 149, 125. Camus veut dire par-là qu'il existe des vérités évidentes, qu'il faut reconnaître et appliquer, même si c'est dangereux. En effet, sous une dictature, celui qui sait des vérités élémentaires, comme le droit de l'homme à la liberté, à la dignité et au bonheur, (il est représenté par l'instituteur qui enseigne que deux et deux font quatre), court d'énormes risques s'il continue à les proclamer. "...il vient toujours une heure dans l'histoire ou celui qui ose dire que deux et deux font quatre est puni de mort. L'instituteur le sait bien. Et la question n'est pas de savoir quelle est la récompense ou la punition qui attend ce raisonnement. La question est de savoir si deux et deux, oui ou non, font quatre." (p.149, 125) Pourtant, qu'est-ce qui peut décider si notre action est justifiable? Ne risquons-nous pas de nous engager pour le mal? Ce risque existe bien sûr et l'homme est totalement responsable du choix qu'il aura fait. Cependant, dans le discours de Stockholm, Camus offre une ébauche de solution: l'écrivain doit toujours prêter sa voix aux pauvres et aux opprimés, à ceux qui n'ont pas la possibilité de s'exprimer. Jamais il ne devra tomber dans le piège de la propagande pour les puissants. Tarrou discute avec Rieux de ce problème. Son engagement dans les mouvements révolutionnaires l'ayant forcé à combattre le mal en faisant lui-même le mal, il en arrive à la conclusion qu'aucune action n'est justifiable si elle entraîne la violence et la mort. A cette attitude farouche, à cette recherche de la perfection et de la sainteté, Rieux oppose le travail du médecin qui soumet toutes ses décisions au critère de l'urgence. Dans la page finale de sa chronique il résume ses idées: - il ne faut pas se taire sur la vérité - il faut mettre sa voix et ses efforts au service de ceux qui souffrent et sont opprimés - il faut garder confiance dans le genre humain - puisque la perfection est impossible il faut essayer de faire le travail qui est à notre mesure - aucune action définitive n'est possible, l'homme ne connaîtra pas de victoire totale sur le mal et l'injustice qui réapparaîtront toujours "le docteur Rieux décida alors de rédiger le récit qui s'achève ici, pour ne pas être de ceux qui se taisent, pour témoigner en faveur de ces pestiférés, pour laisser du moins un souvenir de l'injustice et de la violence qui leur avaient été faites, et pour dire simplement ce qu'on apprend au milieu des fléaux, qu'il y a dans les hommes plus de choses à admirer que de choses à mépriser... tous les hommes qui, ne pouvant être des saints et refusant d'admettre les fléaux, s'efforcent La Peste page 20 de 23 Son portrait physique est fait à la page 21, , 19 Ses carnets accordent une grande importance à tout ce qui est bizarre, étrange. Très différents de la chronique de Rieux, ils en sont une sorte de complément: alors que Rieux nous fournit les grandes lignes de l'évolution de la peste, Tarrou s'arrête aux détails. Ses carnets nous fournissent des renseignements notamment sur le vieil asthmatique, le vieux aux chats et sur Cottard. Le regard qu'il porte sur les événements ressemble parfois à celui de Meursault dans l'Etranger (penser notamment au passage où, accoudé à sa fenêtre, Meursault observe les passants du dimanche). Il est le seul personnage qui ait des contacts approfondis avec Cottard. Il parle fréquemment de lui dans ses carnets, il se promène avec lui, il juge ce collaborateur de la peste avec une grande indulgence: "Tarrou estimait qu'il entrait peu de méchanceté dans l'attitude de Cottard " (p.216, 180) Selon Tarrou, le comportement de Cottard s'explique par sa crainte de devoir sortir de ses habitudes et par sa peur de la solitude. En fait, l'état de peste permet à Cottard de se sentir moins seul: " La seule chose qu'il ne veuille pas, c'est être séparé des autres. Il préfère être assiégé avec tous que prisonnier tout seul." (p.213, 178) "En somme, la peste lui réussit. D'un homme solitaire et qui ne voulait pas l'être, elle fait un complice. car visiblement c'est un complice et un complice qui se délecte" (p.215, 179) En fait, on pourrait dire que la peste réussit aussi à Tarrou. Son refus de toute action qui puisse entraîner la mort d'un homme lui rend difficile la vie en temps normal. La peste représente une situation d'exception, et toutes les actions qu'il entreprend avec les équipes sanitaires ne peuvent qu'aider à sauver la vie d'un homme ou à alléger une souffrance. Que ferait Tarrou lorsque l'état de peste sera levé? Certains critiques vont jusqu'à dire que sa mort vers la fin de la peste représente cette incapacité de vivre en temps normal. La mort de Tarrou (p.307 etc ., 256-262) lui permet de réaliser son vœu le plus profond: s'il est impossible de devenir un saint, du moins peut-on espérer une bonne mort. Sur son chevet, il dit à Rieux: "Je n'ai pas envie de mourir et je lutterai. Mais si la partie est perdue, je veux faire une bonne fin."(p.307, 257) Ces pages comptent parmi les plus poignantes du livre; elles soulignent la profonde amitié qui relie Tarrou et Rieux. "...à la fin, ce furent bien les larmes de l'impuissance qui empêchèrent Rieux de voir Tarrou se tourner brusquement contre le mur, et expirer dans une plainte creuse, comme si, quelque part en lui, une corde essentielle s'était rompue." Voici les jugements de deux critiques: "(Comme Cottard) Tarrou a peur lui aussi, instinctivement, du retour à la normale! Pendant la peste, l'héroïsme, la pureté totale, la sainteté sans Dieu, c'était simple, en somme, il suffisait de soigner en risquant sa vie; l'action efficace pouvait s'accorder presque entièrement avec la volonté absolue de ne jamais participer à la violence en quoi que ce soit. Mais comment conserver cette innocence, après..." (Pol Gaillard) "...il a choisi la sainteté sans Dieu. Une approximation de sainteté, puisque aussi bien nous portons tous la peste en nous. De son éducation bourgeoise et chrétienne, Tarrou a gardé la nostalgie de l'absolu et les vertus de charité et d'humilité... Finalement, Tarrou avait rejoint cette paix difficile dont il avait parlé, mais il ne l'avait trouvée que dans la mort, à l'heure où elle ne pouvait lui servir de rien. Du moins a-t-il soutenu son pari jusqu'au bout, ne disparaissant qu'aux derniers soubresauts de la peste..." (Roger Quilliot) RAMBERT OU LA RECHERCHE DU BONHEUR La Peste page 21 de 23 Lorsque Rambert vient trouver Rieux pour lui annoncer sa décision de quitter Oran, celui-ci dit qu'il ne peut pas juger l'acte du journaliste, qu'il ne peut pas le condamner puisque chacun a le droit de rechercher son bonheur. Cette attitude peut paraître étonnante de la part d'un homme entièrement tourné vers l'action et qui affirme que la peste nous concerne tous. Mais il faut voir que Rambert occupe une place à part et qu'il est sans doute un des principaux porte-parole de Camus. Il commence par affirmer qu'il ne se sent pas concerné par le problème de la peste, qu'il est à Oran par hasard: "...il avait dit qu'il n'avait pas de rapport avec Oran, que ce n'était pas son affaire d'y rester, qu'il se trouvait là par accident et qu'il était juste qu'on lui permît de s'en aller," (p.82) Il affirme d'ailleurs qu'il n'est pas né pour l'héroïsme. Cependant il est un homme qui ne craint pas l'engagement, il s'est battu aux côtés des républicains pendant la guerre civile en Espagne. Il lui en est resté une profonde méfiance face aux gens qui meurent pour des idées: " Eh bien, moi, j'en ai assez des gens qui meurent pour une idée. Je ne crois pas à l'héroïsme, je sais que c'est facile et j'ai appris que c'était meurtrier. Ce qui m'intéresse, c'est qu'on vive et qu'on meure de ce qu'on aime." (p.179-181, 150-151) C'est cette idée qui sépare nettement Rambert de Tarrou. Celui-ci a bien tiré de son engagement la conclusion qu'il ne faut accepter aucune idéologie qui justifie qu'on tue des hommes, mais comme le dit le journaliste, Tarrou est tout à fait capable de mourir pour une idée (ce que, en quelque sorte, il fait d'ailleurs). Quant à Rambert, s'il faut que le destin lui ait attribué une place, ce sera à côté de la femme qu'il aime. "Je n'ai pas été mis au monde pour faire des reportages. Mais peut-être ai-je été mis au monde pour vivre avec une femme. Cela n'est-il pas dans l'ordre?"(p.98, 82) Lorsque Rieux lui fait remarquer que la peste nous concerne tous, Rambert lui dit qu'il parle le langage de la raison, qu'il est donc dans l'abstraction. Selon le journaliste, il n'existe pas un mythique "bien public", le bien public est fait de la somme des bonheurs individuels. (p.100-101, 84-85). Aussi Rieux, dans sa chronique, appelle-t-il Rambert un des derniers individualistes face à une société qui sombre dans les habitudes, l'abstraction et l'indifférence. Rambert essaie par tous les moyens de rejoindre la femme dont il est séparé. Voir toutes ses démarches pour sortir de la ville, les échecs, les espoirs. Il attend pendant des semaines que la filière indiquée par Cottard lui fasse quitter Oran. Cette trêve lui permet de prendre conscience du travail que font Rieux, Tarrou et les équipes sanitaires. Finalement, sans qu'il puisse vraiment s'expliquer ce geste, Rambert entre dans les formations sanitaires et il décide de rester dans la ville le jour même où il pourrait en sortir. Qu'est-ce qui peut expliquer ce revirement surprenant? Eh bien, Rambert a compris que s'il partait, s'il fuyait ses responsabilités, s'il ne considérait que son bonheur individuel, il y aurait éternellement comme une tache sur son amour. Son amour s'en trouverait terni, amoindri. "...il continuait à croire ce qu'il croyait, mais que s'il partait, il aurait honte. Cela le gênerait pour aimer celle qu'il avait laissée." Il répète en quelque sorte les paroles de Rieux: "...j'ai vu ce que j'ai vu, je sais que je suis d'ici, que je le veuille ou non. Cette histoire nous concerne tous." Pourtant, il ne sait pas expliquer lui-même sa décision: "Rien qu monde ne vaut qu'on se détourne de ce qu'on aime. Et pourtant je m'en détourne, moi aussi, sans que je puisse savoir pourquoi." (p.228, 191) Lorsqu'en hiver la peste s'arrête, essoufflée, lorsque les portes de la ville s'ouvrent et que les amants séparés se retrouvent, Rambert peut enfin serrer dans ses bras celle qu'il a si passionnément attendue. Et si le docteur Rieux n'a pas osé condamner le désir de quitter la ville, c'est que le but de toutes ses luttes à lui ne peut être que d'alléger les souffrances et de créer des conditions qui permettent à chacun de trouver le bonheur, seul antidote contre la peste et l'absurde de notre existence. Aussi place-t-il le bonheur au-dessus de l'héroïsme. A propos de Grand il dit que celui-ci donne "à l'héroïsme la place secondaire qui doit être la sienne, juste après, et jamais avant, l'exigence généreuse du bonheur." (p.129) Bonheur simple, très terre à terre, tel qu'il La Peste page 22 de 23 apparaît déjà dans l'Etranger mais surtout dans Noces et dans L’: se dorer au soleil, prendre un bain de mer, connaître l'amitié, serrer dans ses bras une femme. Et dans la terrible lutte contre la peste, l'auteur nous offre deux moments de répit et de bonheur: le bain de l'amitié que prennent Rieux et Tarrou, et enfin les retrouvailles des amants, "seuls personnages vraiment intéressants" du livre, comme le note le chroniqueur. COTTARD Voir à son sujet ce que nous avons dit à propos de son amitié pour Tarrou. Voir également ce qui a été dit des collaborateurs de la peste. Dans ce contexte, il faut également citer les contrebandiers et ce journal de la peste, dont les nouvelles se réduisent finalement à la propagation de recettes prétendument infaillibles contre la maladie. Sa tentative de suicide peut être analysée comme une fuite et comme un appel au secours: c'est ce que démontre le panneau qu'il a accroché à la porte: "Entrez, je suis pendu". Tarou essaie de comprendre ce singulier personnage et non de le juger. Mais, dit-il à Rieux, s'il parvient à comprendre tous ses problèmes, ses peurs et ses crimes, il ne peut pas comprendre qu'il accepte dans son cœur ce qui fait souffrir et mourir les enfants. Rieux note: "Tarrou avait dit un jour à Rieux: "Son seul vrai crime, c'est d'avoir approuvé dans son cœur ce qui faisait mourir des enfants et des hommes. Le reste, je le comprends, mais ceci, je suis obligé de le lui pardonner." Il est juste que cette chronique se termine sur lui qui avait un cœur ignorant, c'est-à-dire solitaire."(p.328, 274) Il faut remarquer que Tarrou ne le condamne pas pour cette attitude, mais qu'il la lui pardonne. Tarrou, en effet, a définitivement refusé de jouer le rôle de juge. Rieux dit que Cottard est solitaire. Tous les personnages de La Peste en effet établissent ou essaient d'établir des relations avec autrui, que ce soit à travers l'engagement, la compréhension, l'amitié ou l'amour. Paneloux pourrait lui aussi être qualifié de solitaire (voir son refus de voir un médecin, son refus de l'amitié humaine), s'il n'établissait des contacts avec les hommes à travers son engagement dans les équipes sanitaires. La Peste pourrait donc également être analysée comme un livre de la fraternité entre les hommes. Cottard d'ailleurs craint la solitude de la prison, voilà pourquoi il sombre quasiment dans la folie lorsque la peste est vaincue et que les portes de la ville s'ouvrent. Ce retour à la normale représente pour lui la reprise de l'enquête et la condamnation (remarquons d'ailleurs que son crime, dont nous ne savons rien, n'est pas un assassinat, seul crime que sans doute ni Rieux, ni Tarrou ne pourraient comprendre). Il se retranche dans une maison et tire sur tout ce qui bouge. Finalement il sera pris par la police, "passé à tabac" et enfermé. PANELOUX Voir à son sujet les passages sur son sermon et sur la mort. RIEUX Les passages qui lui sont consacrés sont très nombreux. Voir en particulier: l'action, la discussion du sermon de Paneloux, la sainteté sans Dieu, etc. LES PERSONNAGES ABSENTS: LES FEMMES La Peste semble, à première vue, être un livre d'hommes. Les protagonistes en sont masculins: Rieux, Tarrou, Rambert, Paneloux, Grand, Cottard. La présence de femmes reste singulièrement discrète, qu'il s'agisse de la mère de Rieux ou de l'épouse de Castel. Mme Rieux reste confinée dans sa chambre, assise à l'ombre, taciturne et effacée. Cette discrétion cependant se double de compassion, de compréhension et de chaleur humaine. Cette femme discrète et maternelle fait l'admiration de Tarrou.
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