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d'information sur le Mediator, juin 2011., Examens de Droit

4 Compte tenu des termes du débat, votre arrêt ne pourra donc être lu ... dans ses conclusions sur l'affaire Letisserand pour justifier la ...

Typologie: Examens

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Florentin
Florentin 🇫🇷

4.6

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94 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge d'information sur le Mediator, juin 2011. et plus Examens au format PDF de Droit sur Docsity uniquement! Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 1 N° 393108 Mme B... Nos393902, 393926 - Mme F... - Ministre des affaires sociales, de la santé et des droits des femmes N° 393904 Mme G... 1ère et 6ème chambres réunies Séance du 17 octobre 2016 Lecture du 9 novembre 2016 CONCLUSIONS M. Jean LESSI, rapporteur public Le benfluorex est le principe actif de la spécialité commercialisée sous le nom de Mediator par les laboratoires Servier à partir de 1976 – l’autorisation de mise sur le marché (AMM) datant de 1974. Ce médicament, indiqué comme adjuvant dans le traitement de l’hyperlipidémie et du diabète de type 2, a aussi été prescrit, en dehors de l’AMM, à des patients désireux de perdre du poids. Environ cinq millions de personnes auraient été traitées par cette molécule depuis sa mise sur le marché, le 1er septembre 19761. Le Médiator a été suspendu à compter du 30 novembre 2009, puis retiré définitivement du marché le 20 juillet 2010, en raison des effets nocifs pour la santé identifiés comme générateurs de valvulopathies et d'hypertensions artérielles pulmonaires (HTAP), deux maladies cardiaques graves et potentiellement mortelles, la seconde en particulier – effets nocifs qui n’étaient pas mentionnés dans la notice du produit et qui, s’ils avaient été établis plus tôt, auraient sans doute fait obstacle à l’octroi ou au renouvellement de l’AMM. De nombreux patients ou ayants droit de patients ont souhaité être indemnisés pour les préjudices qu’ils imputent à l’absorption de Mediator. La loi du 29 juillet 2011 a prévu une procédure spécifique d’indemnisation par l’ONIAM (Office national d'indemnisation des accidents médicaux) des personnes s’estimant victimes d’un déficit fonctionnel lié au benfluorex, l’Office étant subrogé dans les droits de la victime (art. L. 1142-24-1 et s. du code de la santé publique). Ce dispositif législatif s’applique toutefois « sans préjudice des actions qui peuvent être exercées conformément au droit commun ». Et des actions ont effectivement été portées devant les juridictions. 1 Sénat, Rapport d'information de Mme Marie-Thérèse Hermange, fait au nom de la mission commune d'information sur le Mediator, juin 2011. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 2 La plupart de ces actions ont été dirigées contre la société Servier, devant les juridictions judiciaires. Au civil, le tribunal de grande instance de Nanterre a rendu le 22 octobre 2015 des décisions remarquées, reconnaissant la responsabilité des laboratoires Servier au titre du régime des produits défectueux (anciens art. L. 1386-1 et s. du code civil), pour ne pas avoir informé les patients des effets indésirables graves liés à l’ingestion de benfluorex. Au pénal, des informations judiciaires ont été ouvertes pour tromperie aggravée, pour homicides et blessures involontaires, tromperie, escroquerie et trafic d'influence, sans déboucher à ce jour sur un procès. Venons-en au volet administratif de cette triste affaire. De nombreux patients ou ayants droit ont recherché la responsabilité de l’Etat en raison des fautes ou carences fautives commises dans l’exercice notamment de ses missions de police sanitaire, à travers l’Agence du médicament, puis l’Agence française de sécurité sanitaire des produits de santé (Afssaps), devenue ANSM, pour avoir autorisé et ne pas avoir interrompu la commercialisation du médicament avant 2009. C’est le cas des trois requérantes dont les pourvois viennent d’être appelés devant vous, Mesdames F..., G... et B..., qui se trouvent toutefois dans des situations différentes au regard des dates auxquelles elles ont été exposées au Mediator, et des préjudices dont elles ont demandé la réparation, aux côtés d’autres requérants. Madame G... a pris du Mediator en 1996 et 1997, et souffre d’une insuffisance aortique modérée de grade II/IV associée à une insuffisance mitrale minime - il s’agit d’une forme de valvulopathie. Madame F... a quant à elle été exposée au Mediator entre avril 2002 et novembre 2009, et souffre elle aussi d'insuffisance mitrale minime. Madame F... et Madame G... ont demandé la réparation des préjudices causés par ce dommage corporel. Quant à Madame B..., elle a consommé du Médiator de novembre 2007 à novembre 2009, et n’avait, en l’état du dossier, pas encore développé l’une des pathologies. Elle a demandé à voir réparer son préjudice lié à l’angoisse d’en souffrir un jour. Le tribunal administratif s’est prononcé par des jugements du 7 août 2014, avant-dire droit dans le cas de Mme F.... Il a retenu l’existence d’une carence fautive de nature à engager la responsabilité de l’Etat – au nom duquel l’ANSM agissait - à compter du 7 juillet 1999. Il a rejeté les conclusions de Mme G... qui avait consommé du Mediator avant cette date, en l’absence de faute de l’Etat sur cette période. S’agissant de Mme F..., la faute était constituée. Le tribunal a refusé d’exonérer l’Etat de tout ou partie de sa responsabilité en raison des agissements des laboratoires Servier, et a ordonné des expertises médicales visant à établir le lien de causalité entre les symptômes développés par Mme F... et l’ingestion du Mediator. Enfin, s’agissant de Mme B..., la faute était également constituée mais le tribunal a estimé que le préjudice d’anxiété allégué ne présentait pas un caractère direct et certain. Les deux requérantes déboutées ont formé un appel, de même que le ministre s’agissant de Mme F..., laquelle a elle-même formé un appel incident. L’ensemble des conclusions d’appel ont été rejetées par la cour administrative d’appel de Paris dans des arrêts du 2 et du 31 juillet 2015. Vous êtes saisis des quatre pourvois appelés, dont les conclusions se superposent aux conclusions d’appel rejetées. Nous examinerons d’abord les pourvois de Madame F... et de Madame G... qui soulèvent des questions communes, puis le pourvoi du ministre, et enfin le pourvoi de Madame B..., qui soulèvent des questions distinctes. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 5 Sans revenir sur l’évolution fine des textes au cours de la période en cause, nous en tirons, sans grande surprise en matière de gestion des risques, deux types d’obligations. La première est une obligation d’action, qui peut se traduire a minima par la modification unilatérale de l’AMM, en particulier du résumé des caractéristiques du produit (RCP) pour y faire mention de contre-indications ou d’effets indésirables omis initialement. L’action peut aller jusqu’à la suspension ou le retrait de l’AMM en cas de nocivité fortement suspectée ou avérée du produit ou d’inversion du rapport bénéfices-risques, ou bien encore de décalage entre la composition réelle et la composition déclarée, ou encore le non-respect des obligations et conditions imposées au titulaire de l’AMM. Sans revenir sur l’évolution de la lettre des textes, de plus en plus précis et explicites, de l’article L. 601 de l’ancien code issu du décret du 5 octobre 1953 jusqu’à nos jours, en passant par la loi du 28 mai 1996, nous vous dirons que cette obligation d’agir en présence de certaines informations ou de certains évènements ressort, en creux ou en plein, des textes applicables à chacune des périodes en cause. La deuxième obligation est un devoir d’information active : le déclenchement des pouvoirs d’action dépend bien sûr de l’état des connaissances dont dispose l’autorité sanitaire sur les risques, bénéfices et composition d’un produit, à un instant t. Mais cet état des connaissances n’est pas une donnée exogène : il appartient à l’administration de se tenir informée, de vérifier les informations émanant des laboratoires, et de se donner les moyens de générer elle-même l’expertise visant à enrichir l’état des savoirs, ainsi que vous l’avez jugé en matière de prévention des risques professionnels dans la décision d’Assemblée Ministre de l’emploi et de la solidarité c/ consorts T... du 3 mars 2004 (n° 241152, au Recueil). Il ne s’agit sans doute pas d’une loi générale et intemporelle applicable à l’Etat en matière de gestion des risques. Il faut tenir compte de la répartition de la charge d’acquisition du savoir, entre acteurs publics et privés, prévue à chaque époque par les textes dans une matière donnée. Et en matière de médicaments, si, lors de la délivrance de l’AMM, l’Etat reste tributaire des études cliniques réalisées par le laboratoire, il n’est pas désarmé et, au cours de la vie du produit, les lois successives5 ont renforcé sa mission d’actualisation des savoirs, en développant la pharmacovigilance et en formalisant les devoirs de l’Etat en matière d’enquête et d’expertise publique, notamment par la loi du 4 janvier 1993 créant l’agence du médicament, lorsque des « éléments nouveaux » - scientifiques, de pharmacovigilance - sont de nature à fragiliser l’évaluation initiale. En résumé, si l’on ne saurait reprocher à l’Etat de ne pas être omniscient, il est astreint à une obligation de particulière vigilance. Voilà pour les deux séries d’obligations pesant sur les autorités de police du médicament. Mais à partir de quel seuil ces obligations, et donc la faute en cas de carence, se déclenchent-elles ? Il existe selon nous une obligation d’approfondir les connaissances, voire d’agir à titre conservatoire, en présence de signaux sérieux accréditant l’hypothèse d’une sous-évaluation des risques ou d’une surévaluation du rapport bénéfices-risques, l’intensité de cette obligation pouvant varier selon la nature des dangers potentiellement encourus. Qu’en est-il en l’espèce ? 5 La loi du 4 janvier 1993 créant l'agence du médicament chargée entre autres de «recueillir et d'évaluer les informations sur les effets inattendus ou toxiques des médicaments et produits», «de procéder à toutes expertises et controle techniques relatif; à la qualité [de ces produits] (art. L. 567-2 de l'ancien code de la santé publique). Franchissant un pas de plus, la loi du 1er juillet 1998 créant l'Afssaps lui confie le soin de «procéder à l'évaluation des bénéfices et des risques (...) à tout moment opportun et notamment lorsqu’un élément nouveau est susceptible de remettre en cause l'évaluation initiale». Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 6 Avant d’en venir aux détails, nous vous décrirons à gros traits le nœud du problème. A partir des années 1950, l’industrie pharmaceutique a cherché à développer des dérivés fluorés de l’amphétamine qui en auraient les vertus sans les inconvénients. Ont ainsi été mis au point la fenfluramine et le benfluorex, deux groupes de dérivés de structures chimiques proches. A partir de là, la plupart des acteurs ont vécu dans les années 1960-1970 sur l’idée que ces molécules, malgré leur parenté, avaient des effets pharmacologiques bien différents des amphétamines. Or, à partir des années 1980 -1990, sont apparus des signaux de plus en plus nets sur la dangerosité des fenfluramines, qui ont conduit les autorités à en restreindre la prescription, puis à suspendre leurs AMM à partir de 1997. Mais, malgré son cousinage chimique avec les fenfluramines, le benfluorex n’a pas été emporté par la vague qui a les submergées. L’idée que cette molécule, bien que de structure chimique cousine, n’avait pas les mêmes effets dans l’organisme, a continué à faire son chemin. Cette idée apparaît rétrospectivement en partie fausse, car il est admis désormais que le benfluorex est transformé, lors de son absorption, en plusieurs métabolites, dont la norfenfluramine, qui est également le principal métabolite des fenfluramines. Mais elle dominait à l’époque. Ce n’est qu’au tournant des années 2000 que sont apparus des signaux spécifiques quant à la dangerosité du benfluorex, qui se sont combinés aux doutes anciens sur ses bénéfices et la certitude du risque de mésusage lié à sa prescription croissante hors AMM comme coupe- faim, pour conduire au retrait du Mediator en 2009. Ce sont donc deux types de signaux que les pouvoirs publics ont eu à interpréter, dans un contexte d’asymétrie d’information qui ne saurait à lui seul tout justifier. D’une part, des signaux propres au Mediator, qui ne sont cependant apparus que tardivement, en 1999. D’autre part, des signaux relatifs aux risques des molécules cousines du benfluorex que sont les fenfluramines6. Le plus marquant, c’est la difficulté rencontrée par les pouvoirs publics pour identifier le « chaînon manquant », pour jeter entre fenfluramines et benfluorex la passerelle qui aurait permis de regarder ce dernier comme présentant des dangers analogues aux premières, passerelle dont l’existence était rendue dès le départ crédible par la proximité structurale entre molécules, mais dont la réalité pharmaco-chimique n’a été corroborée que bien tard. Dans ce contexte, la cour a-t-elle eu raison de juger que, compte tenu des signaux relatifs aux fenfluramines et au benfluorex, au regard de ce que l’on pouvait raisonnablement savoir sur les liens entre ces deux molécules, l’Etat n’a pas commis de faute avant 1999 ? Mmes G... et F... soutiennent tout d’abord que c’est au prix d’une erreur de droit que la cour a exclu toute faute de l’Etat entre 1974 et 1994. La cour, dont l’appréciation des faits sur cette période n’est pas critiquée devant vous, aurait, à tort, exigé une faute d’une certaine gravité, c’est-à-dire une faute lourde, et non une faute simple. Ce moyen manque en fait. La cour a recherché toute faute. Elle s’est fondée sur les informations rassurantes fournies par les laboratoires Servier dans les études pré-AMM, sur les moyens de contrôle de l’administration à cette époque, et sur le caractère embryonnaire de la recherche sur les risques cardio- pulmonaires liées à l’amphétamine et à ses dérivés. Selon Mme F..., il appartenait à l’Etat de ne pas rester dans la dépendance des informations transmises par les laboratoires Servier. Mais la cour a correctement recherché si la force des signaux quant à la dangerosité du 6 Et dans l’interprétation de ces signaux indirects, deux thèses ont pu s’affronter : celle, nourrie notamment mais pas seulement par les laboratoires Servier, de l’existence d’une muraille de Chine entre fenfluramines et benfluorex, les risques associés aux premières n’étant pas extrapolables au second ; à l’inverse, la thèse de la fragilité, voire du caractère artificiel de ces murailles, qui a fini par l’emporter. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 7 benfluorex imposait à l’Etat d’agir, sous toute forme, y compris par des études ou enquêtes complémentaires. Mme F... soutient ensuite que c’est au prix d’une insuffisance de motivation que la cour n’a pas caractérisé une faute dès 1995, et qu’elle a dénaturé les pièces du dossier en jugeant que les autorités ne disposaient pas à cette date d’éléments nouveaux exigeant une intervention. L’année 1995, décrite comme une année d’« occasions manquées » par le rapport établi par l’IGAS dès janvier 2011, est en effet un moment-charnière. Que savait-on jusqu’au tournant des années 1993-1995 ? Selon la cour, on savait pour l’essentiel deux choses : l’existence, dès l’origine, d’une parenté structurale entre le benfluorex et les fenfluramines ; et qu’il existait des soupçons croissants d’effets indésirables graves des dérivés fenfluraminiques, en raison de remontées de pharmacovigilance, dès le début des années 1980, accréditant l’existence d’un lien entre les fenfluramines (dexfenfluramine ou fenfluramine7) et l’apparition d’hypertension artérielle pulmonaire (HTAP), qui ont justifié le lancement d’enquêtes de pharmacovigilance au début des années 1990 sur ces deux molécules fenfluraminiques. En revanche, la cour a souligné que la proximité pharmacologique entre benfluorex et fenfluramine restait mal connue. Qu’a-t-on appris de nouveau en 1994-1995 ? C’est à ce moment-là que les risques associés aux fenfluramines sont établis, avec les résultats des enquêtes lancées en 1991-1992, les résultats d’une étude française du Dr. Brénot et du Pr. Simonneau parue fin 1993 et, surtout, de l’étude internationale « IPPHS » début 1995. Et ces risques sont apparus si importants qu’ils ont conduit le directeur général de la santé, au nom du ministre, à interdire en mai 1995 l’ensemble des anorexigènes, y compris du benfluorex, dans les préparations magistrales. Madame F..., dans son pourvoi, tout comme l’IGAS dans le rapport déjà mentionné, se sont étonnés du traitement différent réservé au Mediator d’une part par le ministère, compétent pour les préparations magistrales, qui a lié leur sort à celui des autres dérivés amphétaminiques, et d’autre part par l’agence du médicament, compétente pour les AMM, qui a au contraire dissocié leur sort en décidant une restriction de prescription pour les dérivés autres que le benfluorex, sans toucher à celui-ci – première divergence dans des trajectoires jusque là parallèles. Mais cette incohérence administrative apparente n’est pas synonyme de faute, au sens que nous avons donné à cette notion dans ce contexte. Le seul fait qu’une décision, rétrospectivement très sage, soit prise pour les préparations magistrales, ne signifie pas qu’il était fautif de ne pas prendre une mesure analogue pour les spécialités, alors au demeurant que, comme la cour l’a relevé, le moindre encadrement des préparations magistrales, qui ne font pas l’objet d’une pharmaco-vigilance de même teneur, pouvait plaider pour une mesure plus radicale les concernant. Surtout, cet étrange hiatus ne signifie pas que les deux autorités concernées – le DGS, le DG de l’ANSM – ont porté des appréciations divergentes sur les risques en présence. Car, comme la cour l’a relevé, il ressort du dossier qu’aucun élément nouveau n’est apparu à cette époque sur le benfluorex lui-même, ni sur ses effets ni sur son lien pharmacologique avec les fenfluramines : à cette époque, la grande majorité des parties prenantes, peut-être endormie par les laboratoires Servier mais qu’aucune étude ne venait 7 La fenfluramine, sans« s »,désigne le mélange racémique (50/50) des deux isomères dont la dexfenfluramine est l’isomère dextrogyre. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 10 s’agissant du service public de la vaccination obligatoire ; CE, Ass., 9 avr. 1993, M. D., n° 138653, au Recueil p. 110). De longue date, vous condamnez la personne publique à réparer l’intégralité du dommage résultant du concours d’une faute du service et de la faute personnelle d’un agent (CE, Ass., 28 juil. 1951, Delville, au Recueil p. 464, GAJA, 20ème éd. n° 63), lorsqu’il y a cumul de fautes, sans préjudice d’une action récursoire. Dans ces cas, le partage n’a guère de sens, le pouvoir causal étant concentré dans le service dont le tiers, faux tiers en réalité, n’est que le bras armé. Une deuxième série d’exceptions vise des cas d’imbrication étroite des fautes de chacun des coauteurs, où il est équitable de dispenser la victime de démêler elle-même l’écheveau des responsabilités, en particulier lorsque le dommage se produit dans le cadre d’une collaboration étroite entre plusieurs personnes publiques relevant de services publics distincts (CE, 18 févr. 2010, Consorts A..., n° 318891, aux Tables p. 978, s’agissant du transport de patients)10. Nous rattachons à ce même souci la solution retenue en matière de responsabilité pour dommages de travaux publics pour faute, compte tenu de l’indivisibilité de l’opération de travaux publics à l’égard de la victime (CE, Sect., 26 avr. 1968, Ville de Cannes, au Recueil p. 268). On le voit, le « pouvoir causal » de chaque faute n’est, dans ces hypothèses, guère individualisable. Une troisième série d’exceptions vise le cas où un dommage « trouve sa cause dans plusieurs fautes qui, commises par des personnes différentes ayant agi de façon indépendante, portaient chacune en elle normalement ce dommage au moment où elles se sont produites » (CE, 2 juil. 2010, M..., n° 323890, au Recueil p. 236, s’agissant de deux erreurs de diagnostic, commises pour le même patient par des services différents à des dates différents, qui ont toutes deux occasionné une même perte de chance). L’idée est qu’il n’y a pas eu un concours, une addition de fautes, mais que chacune a consommé entièrement le dommage à 100 %. Chacune ayant un pouvoir causal entier, il n’est pas inéquitable de laisser à l’une des deux personnes publiques la charge de désintéresser la victime en totalité. Ce troisième lot d’exceptions a une parenté avec la jurisprudence en matière de responsabilité contractuelle, lorsque sont en cause deux coauteurs liés à la personne publique par des contrats distincts11 : si vous admettez que la faute de l'un soit exonératoire en tout ou partie de celle de l'autre (CE, 28 oct. 1970, R... et Min. de l'Education Nationale c/Sté Breton et autres, n° 72196;72208, au Recueil p. 621), sauf lorsque chacune des fautes invoquées a concouru à la réalisation de la totalité du dommage (CE, Sect., 8 novembre 1968, Compagnie d'assurances générales contre l'incendie, au Recueil p. 558, concl. Grévisse; CE 29 juillet 1983, O…, n° 34013, p. 349, CJEG 1984, p. 11, concl. Labetoulle). Ces trois exceptions, lorsque les causes sont confondues, indivisibles ou parfaitement équivalentes, ne remettent pas en cause les principes issus de la décision Dame Pierret, et s’expliquent au contraire nous semble-t-il par le souci d’éviter que votre approche de la causalité produise, dans certains cas, des résultats contraires à l’équité. 10 v. aussi CE, 24 avr. 2012, M. et Mme I..., n° 342104, au Recueil, s'agissant de coresponsabilité entre service public pénitentiaire et service public de santé pour le suicide d'un détenu ; CE, 4 juin 2014, Consorts J..., n° 342104, aux Tables 11 En revanche, lorsqu'est en cause un véritable «tiers», sa faute ne saurait être exonératoire dans un cadre de responsabilité contractuelle. Comme l'indiquait N. Boulouis dans ses conclusions sur une affaire CE, 24 nov. 2010, Me E...(SA CMR, n° 328189), «C'est une des conséquences logiques de l'effet relatif des contrats : le tiers ne peut être tenu pour responsable vis à vis du maître de l'ouvrage d'une méconnaissance d'obligations contractuelles qu'il n'a pas contractées à son égard.» Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 11 La solution retenue par la cour d’appel ajoute à cette construction jurisprudentielle une exception supplémentaire. Elle n’entre en effet pas dans l’une de ces trois séries d’exceptions. Les fautes éventuelles de l’Etat et de Servier ne se confondent pas et n’ont rien d’indivisible. Il n’y a ni imbrication, ni coopération dans un même service public, mais au contraire une altérité de principe entre le contrôleur et le contrôlé opérateur économique, altérité qui justifie d’ailleurs, dans un autre ordre, de retenir une faute lourde sauf lorsque de très bonnes raisons militent, comme ici, pour retenir une faute simple. De même, on ne se situe pas dans l’hypothèse où chacune des deux fautes portait normalement en elle l’intégralité du dommage : au contraire nous aurions tendance à dire que, par essence, seule la faute du contrôle porte entièrement en elle le dommage – au demeurant, il faudrait savoir de quelle faute on parle de la part des laboratoires (point qui ne vous est pas soumis), de la faute consistant à avoir mis sur le marché un produit dangereux, ou d’en avoir dissimulé les risques aux yeux du public comme du contrôleur ? Certes, si l’on réfléchit sur le « pouvoir causal » respectif des deux fautes – ce qui nous semble devoir être, on l’a dit, le raisonnement orthodoxe -, le raisonnement de la cour est logique et séduisant. Ce raisonnement permet en fait de répondre à un cas intermédiaire, où il n’y a ni pur cumul de fautes additionnant leurs effets, ni pure coexistence de fautes indépendantes portant en elles le dommage à 100%, mais en réalité une concaténation de fautes, l’Etat ayant permis, par sa carence, que le dommage se réalise, par le fait ou la faute de Servier, à 100 %. Mais, malgré la ressemblance avec les hypothèses de type M..., il existe une différence essentielle selon nous, qui rattache cette hypothèse aux cas plus classiques de cumul : sans la faute du contrôlé, en règle générale, la faute du contrôleur n’aurait pas à elle seule produit le dommage12. Selon nous, suivre la cour supposerait, plutôt que d’ajouter une quatrième série d’exceptions, de nature à couvrir en réalité un grand nombre d’hypothèses où l’administration, par sa faute, permet à une autre de déployer ses effets, d’assumer un abandon de la jurisprudence Dame Pierret. Force est d’admettre que la question mérite d’être posée, et elle l’a déjà été. Son principal inconvénient, qui a pu conduire d’éminents auteurs à la décrire comme « l’une des verrues qui subsistent dans le droit de la responsabilité publique » (Vedel, Delvolvé, Droit administratif, PUF, 12e édition, 1992, p. 620), est de contraindre la victime à saisir les deux ordres de juridiction pour obtenir réparation intégrale. La jurisprudence Dame Pierret implique aussi que le juge administratif statue sur la faute commise par une personne privée, qui ne peut être poursuivie devant lui, n’est pas mise en cause, ce qui soulève des questions au regard du principe du contradictoire. La difficulté procédurale se résout sans doute en disant que le juge judiciaire n’est certes pas lié, ensuite, par le partage de responsabilité retenu devant la juridiction administrative. Mais la victime n’est pas à l’abri d’une divergence d’analyse du juge judiciaire qui, au cas où il ne retiendrait pas le principe de la responsabilité de la personne ou le retiendrait dans une moindre mesure, ferait peser sur la victime un inconvénient supplémentaire. 12 Nous ne parvenons pas à rattacher cette exception à d’autres raisonnements qui peuvent vous conduire. Vous tenez ainsi parfois compte de la gravité considérable de la faute commise par l’administration, qui justifierait l’absence d’atténuation de sa responsabilité voir par ex CE, 1961, commune de Vico, concernant la responsabilité du fait des dommages causés par les feux d'artifice organisés par la commune ; ou CE, 1er février 197 4, commune de Sainte-Athanasie, p. 79). Mais on ne saurait renverser la hiérarchie des fautes en présence en faisant passer la faute du contrôleur avant, dans l’ordre des gravités, celle du contrôlé. Bref, le sujet des relations entre contrôleur et contrôlé est celui qui, à nos yeux, se prête le moins à la création d’une nouvelle exception. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 12 Ces inconvénients ne doivent pas être minimisés, et la solution de la cour a l’immense mérite de s’avérer justement favorable aux victimes. Mais, tout en en ayant conscience, vous avez toujours réaffirmé le cap de votre jurisprudence et admis l’exonération du fait du tiers au bénéfice de deux séries de considérations (Cf. les conclusions Lasry sous CE, 29 juillet 1953, Glasner). D’une part, l’absence de reconnaissance du caractère partiellement exonératoire du fait du tiers conduirait à laisser au juge judiciaire, dans le cadre des actions subrogatoires, le soin de procéder lui-même au partage de responsabilité, en déterminant ainsi celle de l’Etat. D’autre part, le souci d'éviter que les personnes publiques ne se retrouvent, pour des raisons de solvabilité et de simplicité, mises en cause prioritairement et ne se transforment en assureurs universels, sous réserve des démarches subrogatoires ultérieures engagées, qui n’aboutiraient pas toujours en cas de disparition ou d’insolvabilité de la personne privée. Et puisque l’on parle « responsabilité », nous pensons aussi « responsabilisation » : outre que le choix du partage est, en termes d’orthodoxie juridique, plus cohérent avec votre approche du lien de causalité, il est aussi, en termes d’esprit de la loi, de ratio legis – si l’on peut dire cela de votre jurisprudence – plus cohérent avec la finalité de la responsabilité pour faute qui comporte une incompressible dimension morale qui transparaît à travers chacun de ses paramètres. Il est juste, et d’ailleurs aussi efficace, d’inciter chacun, par son obligation et sa contribution à la dette, chacun à assumer les conséquences de ses actes dommageables. Ce n’est pas pour rien que, lorsque vous quittez l’univers de la responsabilité pour faute pour celui de la responsabilité sans faute, la faute du tiers devient non exonératoire – ce qui rappelle au passage que le choix du partage n’est pas un pur corollaire de la théorie de la causalité adéquate (CE, Ass., 9 janv. 1976, Ministre de l’aménagement du territoire c/ dame K..., n° 86053, au Recueil p. 21). Pour ces raisons, tout en comprenant la logique et la finalité sous-tendant sa solution, nous pensons que la cour a commis une erreur de droit en refusant de procéder à un partage, et que vous devrez, pour ce motif, casser son arrêt et lui renvoyer l’affaire. 4. Nous en venons à présent au dernier pourvoi, celui de Mme B.... Celle-ci se trouve dans une situation différente de Mmes F... et G..., la situation de patients qui ont pris du Mediator sans développer l’une des affections susceptibles d’être provoquées par le benfluorex. Après le retrait du Mediator en 2010, l’AFSSAPS a informé les personnes exposées au benfluorex qu'elles devaient se soumettre à un suivi cardiaque. Après réception de cette lettre, Mme B... a subi un bilan cardiaque à l’été 2011, qui a permis de constater à ce stade l'absence de lésion valvulaire. Nous vous l’avons dit, Mme B... a saisi l’ANSM en 2013 d’une demande d’indemnisation du préjudice d’anxiété qu’elle estime subir en raison du suivi médical qui lui a été conseillé, et de la crainte de développer une maladie grave, cette crainte étant limitée, dans le dernier état de ses écritures, au développement d’une hypertension artérielle pulmonaire. Le tribunal et la cour ont refusé d’indemniser un tel préjudice. La question soulevée par son pourvoi est de savoir s’il est possible de réparer un préjudice tenant à la crainte de développer une maladie après une exposition à un agent pathogène, indépendamment donc de toute atteinte effective à l’intégrité physique. Votre jurisprudence n’a jusqu’ici eu à se prononcer que sur le cas où un accident déjà survenu, une maladie déjà contractée, ou une contamination avérée, sont à l’origine de l’angoisse de développer les complications induites par cette affection ou cette contamination, y compris la complication ultime qu’est le raccourcissement de l’espérance de vie. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 15 forme d’examens médicaux réguliers (Soc. 24 sept. 2013, n° 12-20157, au Bull.), puis posant un critère unique, nécessaire et suffisant, de réparabilité, tenant à l’inscription de l’entreprise dans laquelle le salarié a travaillé sur la liste des établissements ouvrant droit à l’ACATAA (Soc. 3 mars 2015, n° 13-20486, au Bull. 2015, V, n° 31 ; v. M. Keim-Bagot, La Cour de cassation referme la boite de Pandore : Dr. soc. 2015, p. 360). D’autre part, ce qu’il s’agit d’indemniser est éminemment subjectif, à savoir la réaction de la victime à un évènement, situation inhérente au préjudice moral. Il est des cas où cette réaction est objectivable, lorsqu’il ne s’agit plus d’une simple angoisse mais d’une réelle pathologie – ce cas doit dans doute être réservé. Dans les autres cas, il nous paraît nécessaire d’objectiver les choses au maximum, comme vous l’avez d’ailleurs fait en matière d’indemnisation de la souffrance liée à la perte d’un proche, où il s’agit moins de mesurer la souffrance ressentie – cela a-t-il un sens ? – que de mesurer la distance objectivée entre ce proche et la victime par ricochet. Dans ce travail d’objectivation, vous devez être guidés par les critères ordinaires de réparabilité du préjudice, à savoir son caractère personnel, direct et certain. Et il n’est sans doute pas souhaitable d’enfermer les juridictions dans un carcan rigide, afin de traiter avec équité la grande variété des situations susceptibles de se présenter, et nous pensons que la décision que vous rendrez sera limitée au cas d’espèce. Nous vous ferons part de trois séries d’observations. En premier lieu – et c’est sans doute cette condition qui fera souvent défaut – le préjudice doit être en lien direct avec la faute de la collectivité publique. Cela exclut évidemment l’angoisse générée par un risque purement hypothétique en l’état des connaissances scientifiques – non pas que le préjudice soit, lui, éventuel : certaines personnes peuvent être réellement angoissées par un risque éventuel. Mais en pareille hypothèse, l’anxiété ne pourra tout simplement pas être reliée à un fait dommageable imputable à la puissance publique. Tel n’est pas le cas en l’espèce : le risque de développer une valvulopathie ou une HTAP est réel. En revanche, même en présence d’un risque réel, ne doit-on pas considérer que l’angoisse n’est directement imputable à la faute ayant conduit la victime à être exposée au facteur de risque qu’en présence d’un risque particulièrement important, c’est-à-dire lorsqu’existe une probabilité significative de survenance d’un danger grave, porteur d’une atteinte sérieuse à la santé, voire de décès ? Cette question est délicate, tout aussi délicat qu’est le maniement dans la bouche du juge de la notion de « légitimité » pour désigner le ressenti d’une victime, comme vous l’avez fait dans l’affaire Mme Z.... Se fonder sur les caractéristiques intrinsèques du risque est, certes, sans doute la meilleure voie pour objectiver les choses. Et une telle démarche d’objectivation peut trouver un ancrage dans votre approche de la causalité adéquate, qui suppose que le dommage apparaisse comme la conséquence naturelle de la cause, suivant « un enchaînement normal des faits, lui même fondé sur un comportement normal des hommes », pour reprendre les termes de Gilbert Guillaume dans ses conclusions sur une décision Société des établissements Lassailly et Bichebois (7 mars 1969, p.148; RDP 1969, p.957; chronique Dewost et Denoix de Saint Marc, AJDA p.288). Apprécier cette « normalité » suppose une approche normative de la part du juge. Et dans cette appréciation de la réaction « standard », la manière dont la victime a été informée sur le risque doit d’ailleurs être prise en compte : si la puissance publique – comme en l’espèce – prend soin d’informer sur le degré de risque, et précise que le risque est faible, la surréaction sera moins aisément réparable. Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 16 Se fonder sur la seule mesure objective du risque n’est pas entièrement évident, car, du point de vue subjectif de la victime, le niveau d’angoisse et les troubles dans les conditions d’existence qui l’accompagnent peuvent être relativement déconnectés du niveau objectif de risque, selon la fragilité psychologique et les antécédents de la victime, ou le contexte, médiatique en particulier, dans lequel le risque se manifeste. Or l’un des principes de base du droit de la responsabilité est que l’auteur du fait dommageable « prend la victime comme il la trouve » (A. M. Honoré, cité par G. Viney et P. Jourdain, Traité de droit civil - Les conditions de la responsabilité, LGDJ, 2003), sauf lorsque ses prédispositions deviennent en réalité la cause adéquate unique du préjudice. Pour ménager ces deux soucis – objectiver le risque, ne pas ignorer la situation concrète et subjective de la victime – et pour nous résumer sur la condition tenant au caractère direct du préjudice, vous pourriez réserver l’indemnisation aux risques importants, sous réserve des cas où, malgré un risque moindre, des circonstances particulières tenant au contexte d’information sur le risque ou à la situation de la victime, justifieraient d’admettre la réparation. Notre deuxième remarque portera sur l’appréciation du caractère réel et certain d’un tel préjudice. Elle est délicate, s’agissant d’un dommage pour l’essentiel « incontrôlable », comme le relevait le président Heumann sur l’affaire Letisserand. Faut-il exiger de la victime qu’elle apporte des éléments matériels traduisant l’ampleur de l’angoisse ressentie : preuves d’un suivi médical, de contrôles réguliers, voire preuves de manifestations pathologiques de l’anxiété – qui sort alors du domaine du sentiment pour passer dans celui de la médecine ? Ou au contraire suffit-il, pour le dire simplement, que, par sa situation, la victime entre dans la « case du risque » ? Il nous paraît, sur ce point aussi, difficile de faire une théorie rigide. On a vu que le juge judiciaire a finalement renoncé à ce que les travailleurs de l’amiante démontrent la réalité de leur anxiété sous la forme d’examens médicaux réguliers (Soc. 24 sept. 2013, n° 12-20157, au Bull.). Si, s’agissant de l’anxiété face à la fatalité, vous relevez dans certaines décisions la nécessité d’un suivi psychiatrique traduisant l’anxiété ressentie (Mme Z..., préc.), d’autres décisions paraissent la présumer. Il est préférable d’avoir une approche nuancée, laissant jouer une quasi-présomption en présence d’un risque particulièrement important, plus exigeante pour un risque moindre. Notre troisième remarque sera une interrogation sur l’opportunité de sortir des termes de ce débat, tournant autour du caractère direct et certain du préjudice. Nous nous demandons s’il ne serait pas plus clair, bien que plus hétérodoxe, de se fonder non pas sur les caractères attendus du préjudice réparable, mais sur la notion même de préjudice, distincte on le sait de celle de dommage, pour refuser d’indemniser une angoisse générée par un risque trop faible. Le préjudice est, on le sait, l’atteinte portée aux intérêts légitime de la victime, c’est-à-dire aux intérêts protégés par le droit. On trouve dans votre jurisprudence ancienne, la trace, aujourd’hui perdue, d’une telle approche n’admettant de caractériser un préjudice que lorsque le dommage présente une gravité suffisante (v. pour le préjudice esthétique, CE, 15 juin 1979, Compagnie Groupe ancienne mutuelle, au Recueil p. 283). Ici, il ne s’agirait pas tant de gravité du dommage que d’une conception de la peur que la société doit, en équité, admettre de voir réparer par l’Etat lorsque celui-ci y a contribué. Cette approche ouvertement normative du préjudice réparable est assumée, on l’a dit, par le droit allemand. Elle explique aussi la position de refus du juge anglais pour les angoisses déconnectées d’une atteinte effective à l’intégrité physique (v. l’arrêt Rothwell v Chemical & Insulating Co Ltd, rendu par la Chambre des Lords en 2007). Certes, Ces conclusions ne sont pas libres de droits. Leur citation et leur exploitation commerciale éventuelles doivent respecter les règles fixées par le code de la propriété intellectuelle. Par ailleurs, toute rediffusion, commerciale ou non, est subordonnée à l’accord du rapporteur public qui en est l’auteur. 17 comparaison n’est pas raison. Mais une telle approche normative n’est pas absente du droit français, qui exclut par nature la réparation de certains préjudices (que l’on pense à l’article L. 114-5 du code de l’action sociale et des familles). Dans le cas présent, il ne s’agirait pas d’une question de nature, mais de degré du fait dommageable. Mais telle n’est pas l’orientation de la jurisprudence française. Ces trois séries de remarques étant faites, revenons-en à l’arrêt attaqué et à la situation de Mme B.... Nous avons le sentiment que la cour s’est placée dans le bon cadre de raisonnement. Mais en se bornant à relever qu’en l’absence de toute hypertension artérielle pulmonaire diagnostiquée, Mme B... ne pouvait se prévaloir des inquiétudes, dont il n’était « pas établi qu’elles pouvaient être légitimement éprouvées », qu’elle avait pu entretenir en raison d’un risque d’apparition d’une telle maladie, alors que l’intéressée se prévalait précisément de l’angoisse de déclarer cette pathologie, la cour nous semble avoir insuffisamment motivé son arrêt. On ne comprend pas en effet si elle s’est fondée sur un refus de principe, en droit, d’indemniser une angoisse en l’absence de maladie déclarée, ou si elle a bien entendu laisser cette porte ouverte, en se fondant en l’espèce sur « l’illégitimité » de la crainte pour refuser l’indemnisation. Après cassation pour ce motif, vous réglerez l’affaire au fond. Comme l’a rappelé la cour, Mme B... imputait son inquiétude, d’une part, aux informations délivrées et au suivi recommandé par l’Afssaps dans son courrier circulaire adressé aux patients fin 2009 et, d’autre part, à la crainte de développer une HTAP. Nous serons rapide sur la question du courrier de l’Afssaps : vous ne sauriez regarder ce courrier, qui n’était pas d’une tonalité excessivement anxiogène, comme un fait générateur de responsabilité, sauf à donner une prime à l’opacité des pouvoirs publics alertés d’un risque pour la santé publique. Au contraire, ce courrier évoquait déjà l’extrême rareté du risque d’HTAP. Venons-en à la crainte de développer l’HTAP. Ce risque est, tout d’abord, réel. Mme B... en a eu connaissance au plus tard en recevant le courrier de l’Afssaps. Les conséquences sont graves : la HTAP est caractérisée par l’augmentation des résistances artérielles pulmonaires, le rétrécissement progressif des vaisseaux, une pression artérielle pulmonaire supérieure, aboutissant à une insuffisance cardiaque droite, et dans certains cas au décès. Mais le risque de survenance reste très faible. Il résulte notamment des travaux réalisés en 2010 par la CNAMTS, sur la base des données du SNIIRAM concernant les 303 336 personnes exposées au benfluorex en 2006, que 99 d’entre elles ont été hospitalisées en présentant une HTAP, soit 0,03% (22 d’entre elles étant décédées au terme d’une période d’observation de 55 mois). Ce risque diminue rapidement après l’interruption du traitement au benfluorex, notamment au bout de deux ans, même si l’on ne dispose au dossier que de chiffres globalisant HTAP et valvulopathies. Aussi, sans nier l’inquiétude, que certains patients ont légitimement pu ressentir, et sans chercher à faire des comparaisons avec d’autres agents pathogènes fréquemment rencontrés dans le prétoire pour esquisser un barème, il nous semble que l’anxiété liée à ce risque ne doit pas ouvrir droit à indemnisation dans le cas de Mme B..., en l’absence de toute circonstance particulière alléguée relative à sa situation personnelle ou au contexte d’information.
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