Télécharge Dissertation corrigé de Manon Lescaut et plus Guide, Projets, Recherche au format PDF de Français sur Docsity uniquement! Exemple de sujet corrigé
(Les références apportées ici sont exclusivement tirées du roman
de l’abbé Prévost. On pourra élargir la réflexion au parcours.)
> Sujet : Dans Manon Lescaut de l'Abbé Prévost, peut-on
dire, selon vous, que Manon et des Grieux sont vraiment
des personnages en marge de la société ?
Corrigé rédigé
Lorsque L’Abbé Prévost publie en 1731, «l'histoire du cheva-
lier des Grieux et de Manon Lescaut » il s’agit du dernier tome des
Mémoires d’un homme de qualité, une forme d’autobiographie fictive
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oncouf qui pourrait être un ce uble de Prévost
du marquis de REŸ ette première publication, l'auteur Entrevoit
lui-même. Mais des ni ce qui devient rapidement et simplement
le statut particulier age est publié en volume autonome en 1753
Manon Lescaut. L ont bécation, il a attiré l'attention des lecteurs
et, dès sa première Ed aure. Le personnage de Manon fascine
aussi bien que de la ! tte jeune femme est perçue par certain,
indigne ou interroge ". ulatrice, débauchée, seule responsable
comme ere mn ant, par d’autres en revanche comme inno.
des malheur s de due par la passion des plaisirs, par d’autres Encore,
cente, fragile, ea ersonnage plus complexe voire mystérieux, qui
enfin, Ro ALEnE àtravers un portrait moral univoque ettranché,
Loire des deux amants est en effet A # rebondisse.
ments multiples les menant des loges de la su se “ Prison, des
tables de jeu aux auberges sordides, des dîners dans la haute Société
à la déportation en Amérique. Ils semblent sans cesse enfreindre
les codes sociaux et moraux, mais le faire peut-être en toute inno-
cence. Nous nous demanderons alors sices personnages sont vrai-
ment en marge de la société, s'ils peuvent être considérés comme
de simples marginaux, des hors-la-loi sans morale. Nous verrons
que leur audace et leur liberté d’action créent en effet les rebon-
dissements du roman. Mais nous montrerons aussi que ces person-
nages sont à l'image de la société dans laquelle ils vivent et qu’on
ne peut donc pas considérer qu’ils sont absolument en dehors des
codes et des normes.
En premier lieu il semble évident que Manon et des Grieux
sont bien des Personnages en marge de la société. Leurs aventures
donnent lieu à un récit qui se veut «un exemple terrible de la force
des Pessions», d'après l'annonce du marquis de Renoncour dans
fun del auteur». Et tout ce qui leur arrive semble peu conven-
gination seslon dép ne” Ausens de « peu banal et qui excite l'ima-
les deux amants côtoient qu ec cle langue fr ange ” +
tion, à la tricherie au jeu enr de l'ombre liée als Prost
tion. Ainsi le frère de Manon M fe rc ORALE BAR dl
et sans principes d'honneur» il . seaut est un *horm es
vendant les charmes de sa … ‘Avisage de gagner de l'argent en
Ur à Un homme riche, il encourage
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en les condamnant à plusieurs reprises et les personnages eux-
mêmes ont conscience de leur statut même s’ils ne remettent
Pas en cause par ailleurs la légitimité de leurs actes.
Toutefois il ne faudrait pas simplement considérer Manon et
des Grieux comme des personnages en marge, qui agissent selon
la seule morale de leur passion et sans se préoccuper des règles
sociales ou religieuses. En effet l’abbé Prévost souhaite faire de
son récit un «traité de morale» tout en ne condamnant pas expli-
Citement les deux amants dans la conduite de la narration. Pour
que cette démarche soit effective, il ancre précisément les aven-
tures des deux jeunes gens dans la société de son temps. Manon
et des Grieux agissent donc en marge des lois, certes, mais ils
représentent aussi pleinement leur époque et ses travers. C’est
ce qui rend ces personnages, et en particulier Manon, si ambigus
ou énigmatiques. Sont-ils réellement en marge, ou sont-ils l’expres-
sion des passions de leur temps ? Tout d’abord s'ils peuvent agir
comme ils le font, s'enfuir, employer des hommes de main, tricher,
c’est parce que ces pratiques sont courantes dans la société de
ce début du xvin°. La narration s'appuie sur une démarche d’écri-
ture réaliste qui donne à voir des lieux réels et des pratiques docu-
mentées par les historiens. Les cercles de jeu étaient nombreux
à la fin du règne de Louis XIV et le pharaon par exemple, auquel
s'adonnent les joueurs dupés par des Grieux, était un jeu de cartes
très prisé de la haute société parisienne. L'hôtel de Transylvanie,
toujours visible aujourd’hui dans le quartier de Saint Germain
des Prés, faisait partie de ces lieux de divertissement, dont tous
n'étaient pas légaux. De même le roman montre un système de
corruption généralisée. Des Grieux emploie un «garde du corps»
et des «soldats» pour attaquer le convoi qui emmène Manon et le
concierge de la prison de l'Hôpital est prompt à laisser entrer des
visiteurs s’ils sont «hommes de qualité » et ont donc sans doute un
peu d’argent à lui donner. De même le Lieutenant de police agit
selon le bon vouloir du puissant M. de G... M... il plaint presque
le jeune homme: il lui dit en effet qu’il a «manqué de sagesse en
[se] faisant un ennemi tel que M.de G... M... C'est d’ailleurs .
personnage lui-même qui conduit l'arrestation de des se
«<conduisez-les au Petit Châtelet, dit-il aux archers, et prenez B
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. vous échappe: C'estun rusé, qui s'est déjà sauvé
quele chevalier ne jibération du chevalier est ensuite négociée
de Saint Lazare.» La déportation de Manon. Les puissants
tie de la dép Jes amants ont enfreint la loi
rl .
avec la contreparn ame si
dirigent donc la justice sont punis surtout dans le cadre d’une
i . à
en volanteten dupant, et non dans une pratique claire et offi.
démarche personnelle
ielle de la justice. L
cie illeurs le mensonge et la dissimulation qui font de
d res et de Manon des personnages en marse, entrent dans
es Gr itrise plus large de la parole, en ce qu elle manipule,
une maî s les finesses de la rhétorique. Le
convainc, par toute
\ test aussi un roman sur l'art de la parole
la société du temps. Manon comme
des Grieux manient avec grande habileté le langage. Des Grieux
parle de son «éloquence scolastique» et débat aisément avec son
ami Tiberge, jusqu’à utiliser ce que son ami désigne comme un
«sophisme d’impiété et d'irréligion», c’est-à-dire un raisonnement
aux apparences rigoureuses mais qui cherche à justifier une idée
contestable. De même Manon est très cultivée, puisqu'elle sait
citer, pour les parodier, des vers d’Iphigénie de Racine. Des Grieux
lui-même adopte des accents tragiques raciniens quand il exprime
son désespoir amoureux, ponctuant ses tirades de l’exclamation
tragique «Hélas! ». Ils montrent donc tous deux une maîtrise
rhétorique, miroir de l'éducation apportée aux jeunes gens et du
goût de la haute société pour la parole. Le père de des Grieux, le
Supérieur de Saint Lazare, le gouverneur du Mississippi sont tous
des interlocuteurs avec qui des Grieux peut débattre avec force.
sb qu ésomnent ans on nr Par es mi
plicité des personnages que du fait à cdi PER de vi
lui-même sait adopter en fonction de. Se KO Qué es EIRE
sine monter 1 onction de ses interlocuteurs. Il saura
ter plus subtil ou plus agressif selon les situations.
Face au supérieur de saint Lazare, «je lui pré les situ n
la vérité, du côté le plus favorable DE HR RFERRGUS les choses, :
général, son père et M.de T... il sait mé nous». Avec le lieutenant
croire à sa sincérité et à sa modesti ménager ses effets pour faire
ne se laisse pas prendre à son di 1°. Mais son père par exemp À 9
SCOurs et finit par le renier après
s'être tout d’ab :
ord laissé
aissé prendre Par Sa tendresse, On peut donc
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persuade,
roman de l'abbé Prévos
et de l’habileté oratoire dans
RE
affirmer ici que des Grieux et Manon sont pleinement représen-
tatifs de la société dans laquelle ils vivent par leur maîtrise d'une
parole qui est un instrument de pouvoir,
Enfin ce roman nous parle aussi de la place des femmes dans
la société du xvur et les lecteurs ne s’y sont pas trompés qui, dès la
Parution de l'œuvre, ont fait de cette histoire celle de Manon, alors
Même que le chevalier des Grieux en est le narrateur et que c’est sa
Propre histoire qu'ilnous raconte àla première personne. Manon est
Eu e comme une femme à la beauté fatale, libertine, pervertie,
rice. Elle serait cause des «désordres » de la vie du chevalier
des Grieux. Et pourtant elle est la seule véritable victime de cette
histoire puisque le chevalier semble reprendre le cours d’une vie
plus rangée à son retour d'Amérique. Tiberge est venu le chercher,
S ee en France ilva sans doute pouvoir prendre possession de
ge de son père, etilest attendu par son frère chez un «gentil-
homme de [sjes parents». Manon meurt, elle, dans un désert, sans
que l’on sache si c’est de froid, de peur ou de faiblesse. Elle incarne,
de manière tragique, la destinée d'innombrables jeunes femmes
que l’on ne fait qu’entrevoir dans le roman: les «filles de joie» du
convoi pour le Mississippi, condamnées à épouser le colon àquion
les donnera à leur arrivée au nouvel Orléans; le «joli petit visage »
de la toute jeune fille offerte à des Grieux quand Manon est avec le
fils de M. de G... M... et à qui des Grieux lui-même dit: «tu es une
femme, il te faut un homme, mais il t'en faut un qui sois riche et
heureux». Le roman véhicule d’ailleurs une représentation commune
de la femme au xvnr, à la fois tentatrice redoutable, et à la fois frêle
physiquement, de constitution fragile. Nous n’avons pas de portrait
physique de Manon, mais sont souvent évoquées sa faiblesse, sa
pâleur voire sa maigreur. Ces caractéristiques participent de la
force d'attraction qu’elle exerce sur des Grieux car il ne peut alors
qu’abandonner toute colère. «Il aurait fallu que j'eusse perdu tout
sentiment d'humanité pour m’endurcir contre tant de charmes»
confie-t-il au récit de la réaction de sa jeune maîtresse à sa propre
colère d’être restée chez M. de G... M... Ici l'imagerie chrétienne de
la Madeleine pénitente se mêle aux images plus prosaïques de filles
entretenues, les «maîtresses » que l’on pare de bijoux et de belles
toilettes pour les exhiber à la Comédie. Manon, dès sa première
apparition dans le roman explique qu’elle est envoyée au couvent
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Boule desuifest la nouvelle qui a rendu célèbre Guÿ de Maupassant,
lors de sa publication dans un recueil collectif de nouvelles, en
avril 1880. Dans ce récit, un groupe hétéroclite de voyageurs fuit
Rouen en diligence au moment de l'invasion de la ville par les
Prussiens. Au début de la nouvelle, nous découvrons une galerie de
portraits dont celui d’une prostituée, Elisabeth Rousset, surnom-
mée Boule de Suif du fait de son embonpoint.
Cet extrait nous montre ainsi le regard porté par les autres
passagers sur celle qu’ils méprisent. Les termes utilisés pour la
désigner et la dénigrer moralement, ne peuvent manquer de nous
faire penser à tous les noms attribués à Manon dans les moments
de colère jalouse de des Grieux: « galante »; «prostituée»; «honte
publique»; «vendue sans vergogne». Mais en même temps le choix
du point de vue omniscient, adopté pour la description et la narra-
tion, souligne aussi la curiosité, la fascination, voire la convoitise
que peut susciter cette femme.
Bilan de ce parcours et prolongements possibles
Dans ces trois textes les femmes sont définies par le regard que
la société porte ou portera sur elle. Mais elles ont toutes les trois
une force indéniable qui leur est propre, comme Manon malgré sa
fin tragique. En effet la jeune Mlle de Chartres sera parfaitement
vertueuse et ne se laissera pas prendre aux pièges de l’amour grâce
à la connaissance préalable qu’elle en aura. C’est la rouerie et la
dissimulation qui constituent en revanche la force de la marquise
de Merteuil pour dominer l'expression de ses émotions. Et Boule
de Suif, malgré le regard désapprobateur de ses compagnons de
voyage, fait bien l’objet d'un portrait très détaillé montrant à quel
point elle suscite l'intérêt et donc possède une forme de pouvoir
sur les autres.
Pour compléter cette galerie de portraits de femmes dans la litté-
rature, nous pouvons lire Anna Karénine de Tolstoï, publié en 1877.
Dans ce grand roman dela littérature russe, Anna vit un amour à la
fois coupable et passionné avec le comte Vronski, un séduisant offi-
cier. Le récit alterne entre les moments où Anna est emportée par
Sa passion pour son amant et ceux où prise de remords elle supplie
Son époux de lui pardonner. Le couple d’amants représente ce que
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peuvent être les «personnages en marge» de l'intitulé du Parcours
et le «plaisir du romanesque » est alors apporté par la multiplica-
tion des péripéties et des revirements liés à cette passion jugée
immorale, jusqu’à la fin tragique d'Anna.
Par ailleurs un complément artistique intéressant peut se trou-
ver en peinture dans les multiples représentations des danseuses
par Degas par exemple. On sait aujourd’hui que les «petits rats» de
l'Opéra, non seulement devaient affronter beaucoup de souffrance
pour arriver à la maîtrise de leur art, mais, qu’en plus, nombre de
ces très jeunes filles étaient contraintes d'accepter les avances d’ha-
bitués qui venaient les voir, c’est-à-dire de se prostituer pour pouvoir
sortir de la misère. Des tableaux de Degas, par exemple Danseuse
dans sa loge (1878) ou l'Étoile (1876) attestent de la présence de ces
hommes en haut-de-forme au plus près des jeunes filles. Etle roman
de Camille Laurens La petite danseuse de 14 ans publié en 2019,
recrée la vie et le parcours de celle qui fut le modèle de la sculpture
en cire et tissu de Degas qui porte ce titre et qui fut réalisée en 1881.
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