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Enseigner en français et enseigner le français en zep, Notes de Langue Française

Typologie: Notes

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

Maxime80
Maxime80 🇫🇷

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Télécharge Enseigner en français et enseigner le français en zep et plus Notes au format PDF de Langue Française sur Docsity uniquement! 93 RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003Pages 93-110 ENSEIGNER EN FRANÇAIS ET ENSEIGNER LE FRANÇAIS EN ZEP Fatima DAVIN-CHNANE, Daniel FAÏTA* Résumé La construction, par l’enseignant, d’un milieu spécifique caractérisé par des conditions d’enseignement adaptées et des gestes profes- sionnels adéquats permet à l’élève primo-arrivant d’évoluer et de s’intégrer progressivement dans le système scolaire. Le savoir dont il est question dans notre article est celui de la discipline « français ». Il est mis en circulation selon une temporalité spécifique, une métho- dologie innovante et des rapports repensés entre les acteurs du système didactique. Mais c’est d’abord dans une conception elle- même spécifique de l’activité du professeur que réside en majeure partie l’innovation. Abstract The teacher’s construction of a specific environment characterized by adequate teaching conditions and relevant professional action allows first-time pupils to evolve and gradually integrate in the school system. The knowledge we deal with in this paper is related to ‘French’ as a subject. It is passed on according to a specific treatment of time, an innovating methodology and rethought relationships between the actors of the didactic system. But, innovation first mostly lies in an equally specific conception of a teacher’s activity. * - Fatima Davin-Chnane, Daniel Faïta, Université de Provence, INRP, IUFM d’Aix-Marseille. 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 93 Introduction L’enseignement dans les zones d’éducation prioritaire (ZEP) doit relever un défi, celui de l’hétérogénéité maximale (1). Celle-ci pourrait, effectivement, faire basculer le col- lège unique qui arrive à ses limites vers le collège « pluriel ». En effet, pour beaucoup d’enseignants, il paraît de plus en plus difficile d’apporter une réponse unique à des élèves qui ont des parcours scolaires différents, surtout lorsqu’il s’agit de primo-arri- vants, regroupés souvent dans les ZEP. Confrontés à un univers scolaire difficile, ils ont besoin, pour s’y intégrer, d’acquérir d’abord la langue française : de la maîtrise de celle-ci, principal outil d’apprentissage, dépendra largement la suite de leur par- cours scolaire. Tous les enseignants sont concernés par l’enseignement du français, dans toutes les disciplines. Ils constatent que la grande difficulté que rencontraient les enfants est liée à la maîtrise de la langue. Ils s’assignent donc collectivement l’objec- tif de travailler sur la langue et sur les langages, dans le but d’améliorer les perfor- mances des enfants. Cela se fait au prix d’une modification sensible de l’organisation de l’établissement, notamment avec la mise en place d’un dispositif FLE et FLS dès la classe de 6e, la mobilisation des disciplines autres que le français sur les « lan- gages » ; des classes « binômes », etc. Dans un contexte « homoglotte » de ce type, il ne s’agit pas de faire autre chose mais de faire autrement. LA PROBLÉMATIQUE L’arrivée d’un nouveau public au collège, celui d’élèves non (ou « mal ») franco- phones a débouché sur le parti-pris de concevoir l’enseignement/apprentissage de la langue de communication intra et extra scolaire suivant les méthodes de français langue étrangère (FLE) et de la langue de scolarisation dispensée en français langue maternelle (FLM) : enseigner/apprendre du français et en français. D’où l’urgence de l’introduction de nouveaux objets de savoir qui ne font pas partie du système dit « ordinaire » de l’enseignement du français au collège. Dans ce sens, et selon Che- vallard (1985), l’émergence et la réussite de l’introduction de nouveaux objets d’en- seignement doivent avoir un motif comme l’obsolescence didactique des savoirs mis en place. Or, le motif dans le cas de l’enseignement aux primo-arrivants n’est pas la distance entre des savoirs savants et des savoirs enseignés, mais entre les savoirs à enseigner et un autre pôle du système didactique, l’élève. Ces savoirs ne seraient pas adaptés pour des élèves allophones qui ne maîtrisent pas suffisamment la langue, 94 Enseigner En français et enseigner Le français en ZEP RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 1 - Hétérogénéité des collèges : ZEP, REP, sensible, violence. Hétérogénéité des classes : dis- positif, 3e insertion, 4e projet professionnel,… et les autres. Hétérogénéité des élèves : anal- phabètes, illettrés, décrocheurs passifs et actifs,…et les autres. 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 94 motivation et le mode de vie. Il représente plusieurs catégories d’apprenants selon les besoins linguistiques : ceux qui ont suivi un parcours scolaire normal mais qui ont encore des difficultés linguistiques, ceux qui viennent d’arriver ne maîtrisant pas la langue et qui ont été mal ou peu scolarisés dans leur pays d’origine, ceux qui n’ont jamais été scolarisés antérieurement. Dans les trois cas il y a une urgence : la maî- trise de la langue des disciplines scolaires, la langue de communication pour accé- der ensuite à la langue de scolarisation et parfois la langue de communication, l’alphabétisation et l’entrée dans la culture scolaire. C’est un système didactique (Chevallard, 1985) différent de celui d’une classe de FLM et où les trois pôles – l’élève, l’enseignant et le savoir – fonctionnent dans un système qui se complexifie. En effet, par rapport au système dit « classique », compte tenu de la présence d’un élément nouveau qui est le fait que la langue de l’ensei- gnant et celle des savoirs n’est pas la même que celle de l’élève, une médiatisation s’impose dans la relation entre ces trois composantes : L’« élève » dans ses rapports avec l’objet-savoir à construire en vue de développer des compétences linguistique et communicative en français pour interagir avec les pairs, avec l’enseignant est un apprenant qui arrive avec des connaissances anté- rieures construites dans une autre langue, avec d’autres conceptions et d’autres représentations. Il ne pourra réactualiser ses connaissances qu’une fois entré dans la nouvelle langue. L’« enseignant » propose un savoir nouveau dans une langue qui n’est pas « mater- nelle » pour l’élève. Cet enseignant représente un modèle pour l’élève sur le plan lin- guistique à qui il enseigne sa langue maternelle comme une langue seconde. Le « savoir » nouveau qui représente des valeurs, une histoire et une culture nou- velles pour l’élève et qui ne s’inscrit pas dans la continuité de ses connaissances préalables et de ses conceptions. Il s’agit à la fois d’un savoir, d’un savoir-faire et d’un savoir-être qui exigent des compétences, communicative et linguistique, dans la langue des partenaires des interactions, le français. Une temporalité spécifique L’organisation et la gestion d’un tel système didactique vont demander un temps spé- cifique issu d’une formation (Chevallard et Mercier, 1987) temporelle complexe ayant comme cadre le temps institutionnel englobant le temps didactique de l’ensei- gnant visant ici à atteindre des objectifs – et non pas à finir un programme – et pre- nant en compte le temps d’apprentissage de l’élève. En effet, l’organisation de ce milieu se fait selon une temporalité spécifique pour que les élèves puissent rencontrer le savoir mis en circulation dont le déroulement « ne se ramène pas à du ‘temps qui passe’ mais à du savoir qui avance » (Amigues, 2000). Ainsi, les séances d’enseignement/apprentissage dans le milieu construit du FLS sont en termes de contenus de savoir et non pas en termes de temps institutionnel. Le Fatima DAVIN-CHNANE, Daniel FAÏTA 97 RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 97 Temps effectif ici est le résultat d’une rencontre entre le savoir à faire avancer ou à ralentir et le rythme d’apprentissage de l’élève. Les connaissances de ce dernier sont construites dans une autre langue que le français, et il va lui falloir du temps pour établir un rapport entre l’ancien savoir construit dans sa langue maternelle et le nou- veau savoir en langue seconde ou étrangère. Ce premier rapport connaissances préalables/savoir nouveau paraît difficile à établir rapidement puisque les deux n’appartiennent pas à la même langue, donc n’ont pas le même code. Cela a pour conséquence, tout au moins au début, une absence de dynamique entre les deux et une évolution lente de la circulation du nouveau savoir qui nécessite une translation de la LM vers la LE et une restructuration des compétences. Le schéma pourrait être le suivant : De ce fait, si la séance en termes de temps institutionnel est d’une durée d’une heure, la séance en termes de contenu pourrait durer une heure, ou plus ou moins d’une heure. L’objectif étant d’accompagner l’élève dans l’accomplissement de sa tâche et lui permettre de se saisir d’un savoir mis à sa portée, sans toutefois baisser le niveau d’exigence, et se déroulant selon un temps effectif d’apprentissage dans un milieu qui évolue selon son rythme. L’élève décroche rarement dans un milieu pareil contrai- rement à un milieu qui évolue trop vite comme celui de la classe FLM, ou qui ne change pas comme celui de la classe FLE. Cela va tout à fait dans le sens de R. Amigues (2000) qui pense que dans « un milieu qui évolue trop vite dans le temps, les élèves éprouvent des difficultés d’apprentissage ou décrochent. Mais inversement si le milieu ne change pas suffisamment, les élèves n’apprennent plus et décrochent aussi ». Ainsi, un savoir en mathématiques qui va avancer normalement en classe FLM – poser, par exemple, deux opérations de soustraction et construire deux phrases pour verbaliser la réponse – et qui se fera en 15 minutes prendra en classe-dispositif de FLS une heure. Un temps pendant lequel l’enseignant va travailler les mathématiques mais aussi l’acquisition de la langue et le développement des compétences de base : parler, lire, écrire, compter. 98 Enseigner En français et enseigner Le français en ZEP RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 Élève non natifConnaissances en langue d’origine Savoir nouveau en français = Absence d’interactions au début Passage par l’interlangue = Évolution lente Élève natif Connaissances Savoir = Même langue : interactions entre connaissances et savoir = Évolution rapide 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 98 De même en français, la construction collective du sens d’un poème comme Déjeu- ner du matin (J. Prévert), écrit dans un français « quotidien » accessible au natif, prendra dans une classe-dispositif jusqu’à une heure quinze minutes ; en effet, il faut s’aider d’un double support, écrit (le texte) et iconique (des images), pour expli- quer certains objets culturels que les élèves ne connaissent pas dans leur culture d’origine ou qu’ils ne savent pas nommer en français. Bruner allant dans le sens de Vygotski (3) a montré que l’apprentissage ne s’effectue pas par la personne seule comme le pense Piaget, par une interaction objet/sujet, mais se fait par interaction avec autrui pour acquérir les outils intellectuels d’une culture. Pour cela, il a besoin d’un médiateur qui est ici le texte et les images et d’un expert qui est le professeur pour l’aider à acquérir ces objets. MISE EN CIRCULATION D’UN SAVOIR EN « FRANÇAIS » : LA POÉSIE Pour enseigner le « français » à des nouveaux arrivants et leur permettre d’appro- cher progressivement la langue « cultivée » de l’écrit et de l’écriture, tout en maîtri- sant simultanément celle de l’oral, il a fallu procéder à une forme de re-« transposition » didactique (4) particulière. Le concept d’interdidacticité (Galis- son, 1995) s’adapte ici à la situation dont l’objectif est de faciliter la circulation des savoirs FLM⇔FLE⇔FLS⇔FLM. Car cela fait émerger un enseignement/apprentis- sage pluriel qui répond à la diversité des apprenants et fait du FLS un domaine inter- didactique (DFLE/DFLM/DFLS). De ce fait, aborder le texte littéraire en classe de FLS prend en compte les paramètres différents de ce milieu, tout au moins au début, par rapport à celui du FLM : choix des objectifs, des compétences à développer, du (des) support(s)adapté(s), de la démarche adéquate et d’un statut de l’erreur modifié. L’exemple ci-dessous apportera un éclairage sur l’enseignement du français en classe-dispositif FLS. Le texte littéraire en classe de FLS En effet, utiliser le texte littéraire comme objet culturel en classe avec des primo-arri- vants c’est d’abord les sensibiliser à une pratique sociale, la lecture, c’est introduire une nouvelle médiation au monde nouveau dans lequel ils se trouvent pour franchir, ainsi, l’obstacle de « je ne sais pas assez en français pour… ». Fatima DAVIN-CHNANE, Daniel FAÏTA 99 RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 3 - Vygotski L., Pensée et langage, Paris, La Dispute, 1997 (réédition). 4 - Plazaola Giger I., Bronckart J.-P.,« Les manuels d’enseignement du français langue seconde », in La transposition didactique, des notions énonciatives dans les manuels d’ensei- gnement des langues vivantes, Éditions Universitaires Fribourg, Suisse, 2000. 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 99 P : est-ce que tu te souviens de la phrase ?/ Hamza : non/ Lhouaria : un soldat la bouche ouverte/la tête nue/ P : c’est très bien/ […] Hamza : il a deux trous sur le côté P : (ravie) très bien/tu vois que quand tu veux travailler tu peux travailler/c’est très bien Hamza (Extrait février 2003). • Production et évaluation Après une triple écoute, arrive le moment de la production de réponses à des ques- tions, pendant lequel il s’agit d’évaluer l’audition du texte et l’activité mentale dans ce processus auditif qui fait appel à des connaissances préalables, à des hypothèses et même peut-être à des transferts de la langue maternelle. Cette complexité de la compréhension du texte sonore met l’élève dans une situation où il doit faire un choix en partant de ce qu’il sait déjà pour reconstituer le sens du texte entendu. L’exemple de Mohamed lors de cette séance montre bien que son oreille a sélectionné ce qu’il a déjà en mémoire et ce qu’il a reconnu, à tort (la forme sonore « vague », en y ajoutant même « de la plage ») et non pas ce qui est nouveau pour lui (le « val »). Il lui faudra réécouter le poème, suivre les interactions de ses camarades et visualiser le mot au tableau pour comprendre le son et le sens de « val ». Habitué à être sanc- tionné, Mohamed, se retrouve devant une situation où son erreur est devenue l’affaire de tous, de ses camarades qui interagissent pour faire ressortir le sens de « val » en renvoyant à « vallée », de l’enseignant qui est prêt à repasser le poème pour lui per- mettre de comprendre. L’erreur n’est plus synonyme de faute qui entraînait dans son passé scolaire lointain un châtiment et dans son passé scolaire récent une sanction. Il y a une modification du statut de l’erreur. Celle-ci devient formatrice. Affiner la conception du statut de l’erreur Une telle démarche permet à tous les élèves, et surtout à ceux qui ont de grosses dif- ficultés, de participer, sachant qu’ils ont la possibilité de se reprendre et de se corri- ger. Il importe de considérer comment, dans le cas de cette population scolaire, l’erreur n’est pas seulement transitoire, contingente à l’abord d’un nouveau domaine de connaissances (Amigues, 1990). Son origine n’est pas à rechercher uniquement dans la relation de l’élève à la tâche, en tant qu’indice d’une possibilité d’action dif- férente, mais dans la relation à une situation complexe où s’entremêlent le vécu de cet élève, et la perception qu’il a de son statut, du rôle qu’il joue dans le présent, des attentes des autres. En effet, le milieu a été construit pour répondre à ce besoin, le temps n’est plus centré sur le programme mais sur la progression dans l’apprentis- sage de l’élève. Ainsi, au triplet question du professeur – réponse de l’élève – éva- 102 Enseigner En français et enseigner Le français en ZEP RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 102 luation du professeur, s’ajoute une étape, celle de l’autocorrection par la formulation d’hypothèses à infirmer ou à confirmer. « S’il [le professeur] a dit ‘vrai’, le travail continue, sinon il faut ‘reprendre le raisonnement’ pour pouvoir avancer. L’élève peut en être l’artisan » (Amigues, 2000), ce qui est encouragé dans ce milieu de FLS. Donc, le professeur en tant qu’expert ne le reprend pas. Il lui donne une nouvelle occasion de se reprendre et de s’auto-corriger. L’élève réécoute, cherche la réponse à partir d’indices se reprend et produit une réponse correcte après une réflexion lexi- cale pour construire du sens. Trois exemples vont étayer cette thèse : Ex. 1 (novembre 2001) Déjeuner du matin, J. Prévert/Supports : texte + images – Avant de lire le texte : observation des images qui accompagnent le texte pour évi- ter tout blocage linguistique. Lors de cette tâche, une image a intrigué les élèves parce qu’elle avait la forme d’un « 8 ». Ils ont pensé, effectivement que c’était un « 8 ». Après la lecture du texte, les élèves eux-mêmes ont trouvé la réponse : il a fait des ronds avec la fumée. Extrait : Abd. : je vois un « 8 » P : est-ce que c’est un « 8 »? je le mets comme ça (dessine deux ronds en forme de 8) on verra […] Es : (pour le 8 ) des œils P : on verra tout à l’heure. Vous allez lire le texte et vous allez me dire ce que c’est. […] Abd. : Madame, le 8 c’est le nez P : on verra tout à l’heure/ […] P : maintenant vous allez lire le texte/essayez de voir si ce que vous m’avez dit là (images) a un rapport avec le texte que vous allez lire/et là, vous allez trouver ce que c’est que le 8. – Les élèves lisent le texte R : il a fait des ronds avec la fumée P : tu me le diras tout à l’heure/finis de lire/ P : alors qui a trouvé la réponse à notre « 8 »?/ Abd. : c’est les ronds de la fumée P : bien/ce sont des ronds de la fumée/qui peut me lire le vers Abd. : il a fait des ronds avec la fumée Ex. 2 (janvier 2002) Voyage à Marrakech/Supports : document vidéo + texte Annie raconte son voyage à Marrakech. Tout s’est bien passé sauf au départ parce que les aiguilleurs étaient en grève ce qui a causé du retard. […] Nivine : il y a une tempête P : attends/une tempête/on note ça au tableau/Nivine nous parle d’une tempête/on Fatima DAVIN-CHNANE, Daniel FAÏTA 103 RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 103 va voir/ (vers la fin de la séance et avant le contrôle des acquis ) P : mais avant/je voudrais bien revenir au mot de Nivine/« tempête »/ Nivine : Non/madame/c’est la grève à l’aéroport/ Ex. 3 (février 2003) Le dormeur du val, A. Rimbaud/Supports : Document audio + image + texte Le cas de Mohamed : Mohamed fait partie de ces élèves à qui on a répété souvent qu’il était nul et qui a fini par le devenir en ne manifestant aucune disponibilité intel- lectuelle. Il respecte le contrat didactique en exécutant tout ce qu’on lui demande de faire mais passivement. Autrement dit en répondant pour répondre, en écrivant et en faisant « n’importe quoi » pour ne pas rendre sa feuille blanche. Il subissait passi- vement son échec et pense aujourd’hui qu’il n’a aucune chance de réussir. Il est conscient de sa situation et n’hésite pas à le manifester et à le dire haut et fort. Voici quelques extraits (avril 2003) d’un débat enregistré en classe après le contrôle commun des 5e : P : Nous allons prendre d’abord le premier groupe de ces questions : le cadre du récit/comment vous les trouvez ?/ Mohamed : très difficiles/et j’écris n’importe quoi/ P : mais/est-ce que tu as lu les questions ?/ Dis-moi la vérité/ Mohamed : non/ Lhouaria : parce qu’il n’avait rien compris/ Faris : parce que dans sa tête/il dit qu’il va lire/il va rien comprendre/ Fatima : il va perdre du temps aussi/ P : donc/Mohamed/tu n’as rien lu/ni le texte ni les questions/et tu as commencé à écrire/ Faris : vous savez/madame/même s’il va lire les questions/il peut pas répondre/ P : mais/Faris/il faut pas être comme ça/il faut essayer de comprendre/il faut faire un effort/il ne faut pas se dire/j’ai des questions/je ne peux pas répondre/je n’ai pas besoin de les lire/ Faris : c’est comme les devoirs/madame/si vous nous donnez des devoirs/et qu’il faut les faire/vous allez lui dire qu’il fait pas les devoirs/c’est pour ça/lui préfère faire n’importe quoi/pour qu’on lui dise pas qu’il ne fait pas les devoirs/ P : tu étais comme ça en Algérie/tu répondais n’importe quoi aussi ?/ Mohamed : oui/depuis le CP/ P : et les professeurs ne te disaient rien/ Mohamed : on me frappait/… Le rapport de Mohamed à la tâche est assez particulier. Lui donner l’occasion de répondre en classe, de se tromper et de s’auto-corriger est une façon de l’aider à sortir de son échec passif. C’est un élève qui est capable d’intervenir oralement, et lui donner la parole sans qu’il soit sanctionné est une nouveauté dans sa relation au 104 Enseigner En français et enseigner Le français en ZEP RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 104 mot, unité isolée comme maman, quatre ou trente et un, peut toujours référer à un objet unique, ou à une classe d’objets, comme quatre entretient une relation de réfé- rence avec un ensemble d’objets, lorsqu’il est nombre, et une relation avec un objet unique lorsqu’il est numéro, s’ajoute la difficulté supplémentaire liée au fait que l’énoncé tout entier réfère à une réalité globale et complexe. Pire encore, il y a tou- jours différentes façons possibles de procéder à cette mise en relation, selon que pour l’enfant trente et un ans signifie déjà âgé, par rapport à lui, ou encore jeune, par rapport à une grand-mère. Le problème est donc bien de savoir comment l’élève, nous dirons plus généralement le sujet-locuteur, perçoit, avant de les concevoir, les façons possibles pour l’énoncé d’être en relation avec ce à quoi il se rapporte. Il est probable que la question mérite d’être posée d’abord en termes de degrés : à difficulté objectivement égale, il est sans doute plus facile pour un francophone natif d’élucider la relation que pour un non natif, dans la mesure où, en la matière, le nombre et la fréquence des situations lui offrant ce type d’épreuves, comme le nombre des interactions à autrui, la densité des formes d’étayage offertes par le milieu social-familial, sont sans commune mesure. Encore convient-il de ne pas oublier que pour le second les épreuves en question peuvent être remplacées par d’autres, même partiellement différentes, et qu’il est par conséquent intéressant de rapprocher la situation de cet « alloglotte », « fabriqué par les linguistes » (Mondada, 1999) du sujet natif auquel le milieu social réserve au jour le jour des situations comparables. La question des échanges d’acti- vités est donc bien posée, le professeur orientant la sienne vers l’organisation, la fourniture à l’élève des situations d’épreuve de ce type. Tâche scolaire et activité de l’élève Le cas de Mohammed mérite que l’on fasse retour sur les interrogations qu’il suscite, et qu’on réfléchisse pour cela à une autre façon de catégoriser les objets et notions mis en jeu. Considérons d’abord le fait qu’un autre enfant généralise le problème par une énonciation significative (assimilation de il –Mohammed– à nous) : Faris : c’est comme les devoirs/madame/si vous nous donnez des devoirs/et qu’il faut les faire/vous allez lui dire qu’il fait pas les devoirs/c’est pour ça/lui préfère faire n’importe quoi/pour qu’on lui dise pas qu’il ne fait pas les devoirs/ (à souligner que Faris est parmi les « bons » élèves de la classe) Sans exagérer ce point de vue, il paraît légitime d’affirmer que le comportement de M. face à la tâche scolaire ne fait en quelque sorte que grossir le trait du cas géné- ral : les devoirs donnés par le professeur, c’est avant tout la tâche à exécuter bon gré mal gré, sans que la manière de s’y soumettre soit obligatoirement corrélée au fait qu’il est obligatoire de l’accomplir, ce qui est formulé ci-dessus en termes d’exécu- tion « passive » du contrat didactique. L’élève comme tout acteur d’un procès de tra- vail en pareil cas, lit et interprète cette tâche. Elle fait ou non sens pour lui, et cela Fatima DAVIN-CHNANE, Daniel FAÏTA 107 RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 107 de façon variable, sans pour autant qu’elle cesse de s’imposer Il n’existe donc pas de différence, ou très peu, entre cet élève et l’opérateur qui, dans son procès de tra- vail, sait « […] avant toute assimilation cognitive », à quel point « la tâche est une épreuve sociale » (Clot, 1995). Les enseignements des sciences du travail (Faïta, 2004) s’avèrent donc pertinents en ce qu’ils nous permettent d’envisager de possibles similitudes entre des cas de figures apparemment très éloignés. En poursuivant le parallèle avec les situations de travail analysées d’un point de vue psychologique, on peut avancer qu’à sa façon l’élève ne se borne pas, généralement, à fournir une réponse à la tâche proposée, mais qu’il donne à travers elle sa réponse à ce qu’il perçoit de l’activité du concepteur de cette tâche. Il y aurait véritablement, dans ce cas, interaction différée entre le pres- cripteur (le professeur, ou en amont de lui l’institution) et l’élève, par l’entremise du devoir. On est donc bien dans le cas de la seconde problématique évoquée plus haut, un échange d’activités entre professeurs et élèves, et la question devient alors : comment faire en sorte, en orientant cette activité enseignante de façon spécifique, que M. l’in- terprète différemment qu’il ne le fait, pour y répondre, y « répliquer » (Clot, ibid.), d’une manière différente, correspondant mieux à ce qui est attendu de lui ? Activité enseignante, création d’un milieu pour produire, pratiques de classe On a vu le type de réponse proposée, en trois parties : créer d’abord un milieu spé- cifique, mais aussi et surtout édifier un rapport à la temporalité des actes scolaires qui donne à ceux-ci un statut différent, dès lors qu’ils s’inscrivent dans le cours de l’activité. Il n’est plus question d’erreur au sens traditionnel du terme, c’est-à-dire d’un acte appelant une réparation ou une exploitation, mais d’une contribution momentanément erronée à l’entreprise collective de production d’un nouveau savoir. La situation créée par le professeur place l’élève en difficulté dans la position de celui qui retarde la production du groupe en ne produisant pas l’acte attendu de lui, bien que sa conduite s’inscrive dans le processus. Le décalage provisoire par rapport à la production collective d’un discours l’incite à renforcer son engagement dans le mouvement initié. Il recherche dans les éléments que lui fournissent à la fois l’étayage du professeur et la circulation de la parole dans le groupe, les indications lui per- mettant de mesurer l’inadaptation de l’acte commis. Son « erreur » n’a donc été qu’une étape dans un processus de progression spiralaire, au sens du « programme en spirale » de Bruner, qui caractérise la progression de l’enseignement d’un sujet à partir d’une approche « intuitive », « à la portée de l’élève », suivie d’autant de retours qu’il le faut pour que ce dernier « parvienne à maîtriser le problème ou le sujet en question dans toute sa puissance générative » (Bruner, 1997, p. 149). 108 Enseigner En français et enseigner Le français en ZEP RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 108 On reformulera pour notre compte cette pensée en faisant l’hypothèse que l’« erreur » de M. prend place dans un processus progressif se développant dans l’espace assigné par le professeur au groupe-classe, processus autorisant chacun à repasser autant qu’il le faut à l’endroit où il a commis un acte inattendu, incongru par rapport à ce qui eut été nécessaire à la démarche du groupe. À la différence de ce qu’envisage Bruner, dans ce cas, l’activité du professeur consiste non pas à effec- tuer des retours successifs sur le sujet enseigné, mais à contrôler la participation au processus de chaque élève, tout en étayant sa progression. On peut effectivement dire, de ce point de vue, que Mohammed commet un premier acte autocentré, réfé- rant les éléments fournis par l’audition du poème à ceux de son propre potentiel lexi- cal, et qu’il produit alors un acte inattendu. L’accueil réservé à ce dernier, la réponse du professeur, le stimulent pour rechercher dans les productions successives des autres les indications grâce auxquelles il pourra dépasser le résultat de sa première action, déjà recevable en tant que telle, pour jouer enfin le rôle dévolu à chaque membre du groupe. Conclusion La construction d’un milieu spécifique où le professeur adapte les conditions d’ap- prentissage aux caractéristiques d’élèves ne maîtrisant pas la langue leur permet d’être prêts à faire l’effort d’écouter, de comprendre et de tenter de répondre, avec les moyens linguistiques qu’ils possèdent, même si ceux-ci sont encore loin d’être ceux d’un natif. Face à des objets de savoir adaptés mais qui évoluent selon un temps spécifique en adéquation avec le rythme d’apprentissage des nouveaux apprenants d’une langue seconde, ceux-ci « osent » s’emparer de ces objets et ten- tent de se les approprier. L’écoute, la réception, la compréhension et la production fonctionnent sur le modèle d’une pédagogie spiralaire, où le statut de l’erreur est développé. Cette dernière est reprise d’une part dans le cadre d’un travail réflexif sur la nouvelle langue et d’autre part dans une construction collective du savoir. L’en- semble permet à son tour la construction individuelle des connaissances et l’entrée progressive dans la langue orale et écrite. Les deux conditions nécessaires à la mise en œuvre d’une telle démarche sont d’une part une conception particulière de l’activité du professeur, d’autre part l’instauration dans la classe d’une « communauté d’apprenants » au sens où l’entend Bruner. Ni gardien de la norme, ni comptable de l’heure, le professeur, joue un rôle incitatif, veillant à ce que le processus d’apprentissage fonctionne, tout en intervenant pour l’orienter et la canaliser. Confrontés aux tâches scolaires, les élèves participent à leur manière à la construction d’un « milieu pour apprendre » où les uns aident les autres à trouver les éléments de réponse aux questions posées. Fatima DAVIN-CHNANE, Daniel FAÏTA 109 RECHERCHE et FORMATION • N° 44 - 2003 093a110.davin 16/06/04 8:58 Page 109
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