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ESSAI D'ANALYSE STRUCTURALE DU PREAMBULE, Résumés de Arts

Préambule, encadré par la double extension des droits de l'homme à la femme au ... Teboul (Ed.), La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ...

Typologie: Résumés

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Yves90 🇫🇷

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Télécharge ESSAI D'ANALYSE STRUCTURALE DU PREAMBULE et plus Résumés au format PDF de Arts sur Docsity uniquement! 1 ESSAI D'ANALYSE STRUCTURALE DU PREAMBULE Par Jacques CHEVALLIER Professeur à l'Université Panthéon-Assas (Paris 2) A) Le Préambule de la Constitution du 27 octobre 1946 peut être envisagé sous des angles d'attaque variés qui, loin d'être incompatibles, se complètent et se conjuguent, en permettant de progresser dans la connaissance du texte ; ce Colloque en est une excellente illustration. Trois types d'approches au moins peuvent être adoptées. 1° D'abord, l'analyse de contenu, la plus classique, qu'on trouve dans tous les manuels classiques de libertés publiques, consiste à s'attacher au texte lui-même, en mettant en évidence ses différents éléments constitutifs, leur logique de construction et d'agencement, les significations explicites qu'ils recèlent, notamment à l'aide d'une méthode exégétique passant par la recherche de l'intention des auteurs. On constatera ainsi que la « structure » du Préambule1 est composite, puisqu'à côté de la réaffirmation solennelle des droits et libertés consacrés par la Déclaration de 1789, ainsi que des « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République », l'on trouve un ensemble de « principes politiques, économiques et sociaux » jugés « particulièrement nécessaires à notre temps » : certains de ces principes sont relatifs à l'ordre politique (dispositions sur le droit d'asile, la politique extérieure ou encore l'Union française) ; mais la plupart concernent la vie économique et sociale2, à travers les dispositions relatives au statut du travailleur, aux structures économiques, aux règles de la vie sociale. Il s'agit de prolonger la démocratie politique par une authentique « démocratie économique et sociale », conformément au programme d'action du Conseil national de la Résistance. On déplorera sans doute le manque de rigueur dans l'énoncé et l'enchaînement des principes, en dépit des tentatives de rationalisation du dispositif3 ; mais cette incohérence s'expliquerait par les conditions d'élaboration du Préambule. 1 J. Rivero, G. Vedel, « Les principes économiques et sociaux dans la Constitution : le Préambule », Droit social 1947, vol. 31, pp. 13-35. 2 En ce sens, J. Rivero, Les libertés publiques, Tome 1, PUF, Coll. Thémis, 6ème éd., 1991, pp. 100 sq ;J. Robert, J. Duffar, Droits de l'homme et libertés fondamentales, Montchrestien, Domat, 5ème éd., 1993, pp. 50 sq ; G. Lebreton, Libertés publiques et droits de l'homme, A. Colin, 1995, pp. 88 sq ; G. Burdeau, F. Hamon, M. Troper, Droit constitutionnel, 24ème éd., LGDJ 1995, pp. 382-383. 3 Pour M. Le Bail (27 août 1946, JO-Débats, p. 3330), on trouverait au centre du Préambule, encadré par la double extension des droits de l'homme à la femme au début et aux ressortissants de l'Union française à la fin, la disposition sur la propriété collective, entourée de l'énoncé de droits, soit conquis par la classe ouvrière, soit correspondant à des devoirs de la société. 2 2° On passe dès lors à une analyse politique, s'attachant à reconstituer le processus dont le Préambule est l'aboutissement. On mettra en évidence l'opposition qui existe au sein de la première Assemblée constituante entre deux conceptions de la Déclaration de 1789, l'une « absolutiste », l'érigeant en socle durable et permanent des droits de l'homme, l'autre « relativiste », y voyant plutôt le reflet d'une époque et préconisant son dépassement ; même si un compro- mis est possible, dans la mesure où les premiers admettent la nécessité de compléments à la Déclaration et les seconds souhaitent marquer la filiation avec l'esprit de 1789, la différence de perspective n'en est pas moins sensible. La Déclaration des droits de l'homme figurant en tête du projet de Constitution du 19 avril 1946 marque la victoire provisoire des partisans du dépassement ; le rejet du projet au référendum de mai entraînera la remise en chantier d'un texte qui avait été mis sur la sellette au cours de la campagne — les conditions de formulation du droit de propriété dans les articles 35 et 36 ayant été notamment un des arguments des adversaires du projet de Constitution — et l'élaboration d'un Préambule de dimensions beaucoup plus modestes : la structure et le contenu du Préambule ne peuvent être expliqués sans référence à la Déclaration d'avril, avec laquelle il forme un ensemble indissociable. 3° Au-delà de ces luttes politiques autour de la formulation du Préambule, se profilent ainsi des enjeux plus généraux, qu'on peut s'attacher à mettre en évidence par une analyse généalogique. Il s'agira dans cette perspective de s'interroger sur les influences immédiates et médiates qui ont joué sur le texte, sur les éléments de continuité et de discontinuité qu'il comporte par rapport aux Déclarations précédentes, et plus généralement sur l'étape qu'il représente dans le processus de protection des droits de l'homme. Sur ce plan, le Préambule marque sans nul doute une série d'évolutions significatives. Même s'il réaffirme les « droits inaliénables et sacrés » que possède « tout être humain », il prend ses distances avec la doctrine du droit naturel, sur laquelle était fondée la Déclaration de 1789 : aussi, les droits de l'homme ne sont-ils plus considérés comme fixés une fois pour toutes, mais appelés à s'enrichir au fur et à mesure de l'évolution sociale et de l'émergence de nouvelles exigences ou valeurs ; enfin, et surtout, à la vision traditionnelle de « droits-libertés » ser- vant de rempart face à l'Etat et utilisés comme cran d'arrêt pour éviter une extension démesurée de la sphère publique, fait place la conception nouvelle de « droits-créances », supposant pour leur réalisation des actions positives de la part de l'Etat. B) Toutes ces approches apportent des éclairages utiles, et à vrai dire indispensables, sur le Préambule. On cherchera ici à compléter ces approches par une lecture différente du texte, s'inspirant de certains acquis du structuralisme. 1° Une analyse structurale du Préambule se démarque des approches précédentes sur deux points essentiels. D'une part, elle suppose, par application du principe d'immanence, que le texte soit étudié dans sa logique interne, à l'exclusion de toute prise en compte de ses conditions de production ou des filiations auxquelles il est susceptible de se rattacher. Appréhendé dans la pure synchronie4, le Préambule sera considéré comme un Tout, formé d'un ensemble 4 Pour Saussure, toute science privilégie, soit « l'axe des simultanéités » ou synchronie, en s'intéressant aux relations statiques entre les choses qu'elle étudie, soit « l'axe des successivités », ou diachronie, qui a trait aux évolutions. 5 prolongement des travaux de Greimas et Landowski sur le terrain de la « sémiotique juridique »19, n'excluent pas la mise à l'épreuve de l'analyse structurale sur des textes juridiques plus ponctuels, comme A.J. Greimas l'avait d'ailleurs fait à propos de la loi de 1966 sur les sociétés commerciales ; la réflexion esquissée ici sur le Préambule s'inscrit dans cette perspective. C) Une analyse structurale du Préambule se heurte cependant à une série d'obstacles, qui tiennent à certaines caractéristiques du texte lui-même. Le premier problème est celui de sa « juridicité ». Si le problème est réglé depuis que le Conseil constitutionnel a décidé en 1971 d'intégrer ses dispositions au rang des principes à valeur constitutionnelle, il restait posé en 1946 ; formellement, le texte est intégré dans la Constitution, dont il forme la première partie, mais seulement en qualité de « Préambule », la numérotation des articles n'intervenant qu'après ; et sa portée prêtait à discussion, beaucoup n'y voyant qu'un catalogue de principes philosophiques ou moraux dépourvus de sanction concrète. Cette équivoque se traduit par le fait que beaucoup de formulations du Préambule apparaissent davantage comme des déclarations d'intentions, voire des pétitions de principe, que comme de réels engagements de nature juridique : aussi certains auteurs20 étaient-ils portés à opérer une distinction entre les divers éléments d'un Préambule amalgamant règles de droit et principes non juridiques ; le Préambule est ainsi un texte politique tout autant qu'un texte juridique, ce qui lui donne une tonalité particulière et contribue à brouiller sa signification. Ce double statut se traduit notamment par le passage incessant d'un registre normatif à un registre déclamatoire voire incantatoire, qui constitue un des signes distinctifs du Préambule de 1946. Ensuite, l'analyse se heurte au fait que le Préambule se présente, à la différence de la Déclaration d'avril, comme un document à texture ouverte, puisqu'il renvoie explicitement à la Déclaration de 1789 ainsi qu'aux « principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » : non seulement un point de vue « synchronique » est ainsi interdit, mais encore une analyse purement « textuelle » est rendue impossible par la référence à des principes dont on ne saurait dresser la liste. On est dès lors apparemment confronté à une impasse : à s'en tenir aux seules dispositions explicites du Préambule, on n'aurait qu'une vision tronquée de celui-ci, puisqu'il renvoie à des dispositions plus anciennes ; mais il serait évidemment inconcevable de procéder à une lecture en synchronie de la Déclaration de 1789 et du Préambule de 1946. On ne peut sortir de cette contradiction qu'en dissociant l'analyse des dispositions de 1946 et de 1789, la mise en évidence de leur logique respective d'organisation pemettant de faire ressortir les différences profondes entre les deux textes. Enfin, le Préambule de 1946 se situe à la fois en rupture et en continuité avec la Déclaration d'avril : rupture dans la conception du texte et le positionnement par rapport à la Déclaration de 1789 ; continuité dans la formulation de certains principes nouveaux. Là encore, une confrontation entre la logique sous-jacente aux deux textes s'impose. Après avoir tenté de dégager la structure du Préambule (I), une double confrontation avec celles des Déclarations de 1789 et 1946 apportera le contrepoint nécessaire (II). 19 Voir par exemple P. Dubouchet, Sémiotique juridique, Introduction à une science du droit, PUF 1990. 20 Notamment J. Rivero et G. Vedel. 6 I - DESTRUCTURATION Le Préambule comporte plusieurs classes d'unités unies par des relations paradigmatiques qu'il s'agit ici de mettre en évidence et d'analyser : les actants, c'est-à-dire les sujets ou protagonistes de l'action ; le procès, c'est-à-dire l'action réalisée par eux ; les bénéficiaires, c'est-à-dire ceux au profit desquels se fait l'action ; enfin, les biens, c'est-à- dire les éléments attribués aux bénéficiaires. Les divers éléments de ces classes d'unités, substituables les uns aux autres, se trouvent associés dans des constructions syntagmatiques qui ressortent d'une première lecture simple du Préambule. Cette structure narrative est mise en scène par un pré-texte,c'est-à-dire une série d'unités regroupées dans les deux premiers alinéas qui précèdent les énoncés concrets du Préambule et mettent ceux-ci en perspective. La suite du Préambule s'inscrit dans le cadre tracé par ces deux alinéas ; mieux encore, elle n'est que l'explicitation des propositions du début qui condensent et résument l'ensemble du Préambule. 7 A) Pré-texte Les deux premiers alinéas ont un statut à part dans le Préambule, tout en reproduisant la structure narrative qu'on retrouvera par la suite (Fig. 1) : d'une part, ils ont pour fonction de marquer solennellement l'adhésion des constituants à la Déclaration de 1789 ainsi qu'à l'oeuvre accomplie par la Troisième République ; d'autre part, ils sont là pour annoncer et justifier les principes nouveaux posés par les constituants. D'où la distinction nette des deux alinéas, le premier qui sert à établir le lien avec le passé, le second qui fixe le cadre dans lequel s'inscrira la suite du Préambule : tout le reste du Préambule n'est que l'explicitation de la proposition inscrite dans ce second alinéa, comme en témoigne le signe de ponctuation utilisé (:) ; ainsi le Préambule comporte-t-il en apparence une première structure simplifiée, qu'on trouve dans ce pré-texte. Cette présentation serait cependant trompeuse : l'apport du Préambule réside bien dans les nouveaux principes énumérés à partir du troisième alinéa ; les deux premiers alinéas ont simple fonction de rappel et de contextualisation. La structure de ces deux alinéas présente de ce fait des éléments notables de singularité par rapport à la suite. D'abord, l'actant est unique : il s'agit exclusivement du « peuple français », qui est le Sujet suprême sur lequel repose l'ensemble du Préambule et plus généralement de la Constitution ; en réaffirmant que « la souveraineté nationale appartient au peuple français », l'article 3 de la Constitution fait bien du peuple le foyer, la source exclusive du pouvoir. Or, ce Sujet suprême, omnipotent et omniprésent dans ces deux alinéas, s'efface complètement, comme on le verra, du reste du Préambule : on ne re- trouvera le mot de « peuple » qu'à la fin, et notamment dans les trois derniers alinéas qui concernent les « peuples d'outre-mer », ce qui entre curieusement en résonnance avec « les peuples libres » du 1e alinéa ; mais les peuples ne sont plus alors actants mais simples bé- néficiaires dans la relation qui les unit au sujet « France ». Ce Sujet monumental agit à travers trois verbes performatifs — « proclame à nouveau », « réaffirme solennellement », « proclame en outre » — qui se succèdent logiquement pour mettre en place les divers éléments constitutifs de l'édifice. Les biens sont divers : ce sont « les droits inaliénables et sacrés » (proclamés à nouveau), « les droits et les libertés de l'homme et du citoyen » (consacrés par la Déclaration de 1789) et « les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République » (solennellement réaffirmés), enfin « les principes politiques, économiques et sociaux » (en outre proclamés). On voit ainsi apparaître quatre ensembles différents : deux sont bien circonscrits, ceux issus de la Déclaration de 1789 et ceux que le Préambule va énumérer ; le troisième (les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République) a des contours totalement flous ; enfin les « droits inaliénables et sacrés » tiennent lieu de référence symbolique, marquant la continuité avec la vision naturaliste de 1789. Quant au bénéficiaire enfin, il reste curieusement flou : « tout être humain » — ce qui implique l'absence de « distinction de race, de religion, ni de croyance » — pour les droits inaliénables et sacrés, « l'homme et le citoyen », simplement évoqués par l'intermédiaire de la référence à 1789, mais les principes fondamentaux reconnus par les lois de la République et les principes politiques, économiques et sociaux n'ont pas de destinataire explicite. Apparaissent en revanche deux éléments essentiels de contextualisation, l'un justifiant au1e al. la référence à 1789 « au lendemain de la victoire remportée par les peuples libres 10 D) Bénéficiaires Le Préambule vise à première vue des catégories extrêmement diversifiées, ce qui crée déjà cette impression de catalogue qui sera renforcée par l'analyse des objets. On peut néanmoins distinguer trois catégories de bénéficiaires. D'abord, l'homme dans sa généralité, c'est-à-dire « tout être humain » (al. 1, 11)), « tout homme » (al. 4, 6), qui dispose en tant que tel d'un ensemble de droits inhérents à « la personne humaine » (al. 1) et s'étendant du même coup à la « femme » (al. 3) : cette catégorie est en définitive assez peu présente dans le détail du Préambule ; c'est avant tout dans la Déclaration de 1789, on le verra, qu'on trouve cette référence, comme l'atteste la formulation de l'al. 1. On sait que la Déclaration de 1789 passe constamment de l'homme au citoyen : on rencontre cette même équivoque à une seule reprise dans l'al. 12, qui vise seulement « tous les français », manifestement pour réduire les charges sous-jacentes à l'idée de solidarité nationale. Ensuite, le Préambule vise un certain nombre de situations de vulnérabilité, qui justifient certaines actions spécifiques : l'« homme persécuté » (al. 4), puis l'« enfant » (al. 11 et 13 — à côté de l'« adulte »), la « mère », les « vieux travailleurs », mais aussi vieillards, invalides, indigents (al. 11) sont ainsi explicitement cités ; dans tous les cas, c'est toujours le souci de « développement » qui justifie les actions engagées. Plus généralement, le Préambule s'adresse au « travailleur », soit explicitement (al. 8), soit à travers l'esquisse d'un statut du « travail » et de l'« emploi » (al. 5), soit encore à travers la consécration de droits collectifs (al. 6, 7) liés au travail. Il s'agit là de l'innovation majeure du Préambule, qui ne vise plus seulement l'homme ou le citoyen en général, mais aussi une catégorie sociale particulière ; cependant, la portée de cette innovation est atténuée par la magie du discours, les droits liés au travail étant, à la seule exception de l'al. 8, attribués à « chacun », « nul » (al. 5), « tout homme » (al. 6) : tout se passe comme si, aux yeux des constituants, la catégorie du travailleur touchait à l'universel, le travail étant inhérent à la condition humaine. Enfin, le Préambule, et c'est la seconde innovation essentielle, introduit des entités collectives dans la liste des bénéficiaires : la « famille », qui était déjà apparue en l'an III et en 1848, bénéficie d'une reconnaissance au même titre que l'individu (al. 10) ; mais surtout les « peuples » d'outre-mer sont explicitement visés par les trois derniers alinéas. Le Préambule tend ainsi à prendre en compte, non plus seulement l'« être humain », mais encore l'« homme situé » (G. Burdeau), en accordant une protection à certaines catégories sociales apparues au fil de l'évolution technique, économique et sociale et en s'intéressant à certains des groupes dans lesquels il s'insère : du même coup, il ne saurait prétendre à la même universalité que la Déclaration de 1789 ; le « notre temps » de l'al. 2 apparaît sous cet angle paradoxalement comme un aveu de modestie. E) Les biens On touche ici à la question plus classique du contenu des droits — biens symboliques ou d'ordre immatériel — consacrés dans le Préambule. Deux types de biens peuvent être distingués, même s'ils sont étroitement liés. D'une part, un ensemble de valeurs, qui constituent l'apport proprement axiologique du Préambule. Parmi ces valeurs, l'« égalité » occupe une place de choix : au-delà même des références explicites au principe d'égalité — « droits égaux » reconnus à la femme (al. 3), « 11 égalité » devant les charges résultant des calamités nationales (al. 12), « égal accès » à l'instruction, formation professionnelle et culture (al. 13), « égalité » des peuples d'outre- mer (al. 16) et « égal accès » pour eux aux fonctions publiques (al. 18) —, celui-ci résulte aussi a contrario de la prohibition de « toute distinction » de race (al. 1, 16), origines (al. 5), opinions (al. 5), croyances (al. 1, 5), religion (al. 1, 16), de l'institution d'un enseignement « laïque » (al;. 13), et plus généralement de l'ensemble des formules visant « tout homme » ou « tout travailleur » ; l'égalité constitue sans aucun doute la valeur centrale sur laquelle est bâti tout le Préambule. Elle n'est cependant pas la seule : la « liberté » est citée à plusieurs reprises — action en faveur de la « liberté » (al. 4), « liberté » des peuples (al. 14, 18) en cohérence avec la référence aux « peuples libres » (al. 1) —, mais aussi la « sécurité » (al. 11, 17), la « solidarité » (al. 12), le « développement » al. 10), le « bien-être » (al. 17) et la « paix » — ces cinq dernières valeurs étant évidemment étroitement liées. Valeur-reine du Préambule, l'égalité est perçue comme indissociable de la liberté et prolongée par la sécurité, sous toutes ses formes. Le Préambule comporte d'autre part une série de créances, liées à ces valeurs. Certes, les fameurx « droits-créances » consacrés par le Préambule et qui auraient changé en profondeur la conception des droits et libertés, en justifiant l'intervention active de l'Etat pour assurer leur réalisation, ne sont pas les seuls21 : il y a aussi, au-delà du renvoi à 1789, référence à un certain nombre de « libertés » classiques, qu'on étend à la femme (al. 3), ou encore nouvelles (droit d'asile, al. 3, droit syndical, al. 6, droit de grève, al. 7) ; et on parle encore dans le Préambule d'« intérêts » (al. 6) et de « devoirs » — « devoir de travailler » (al. 5), égalité des « devoirs » dans l'Union française. Il n'en reste pas moins que ces droits- créances constituent l'élément le plus nouveau — droit au travail (al. 5), au développement (al. 10), protection de la santé, sécurité matérielle, repos, loisirs (al. 11), moyens d'existence (al. 11), instruction, formation professionnelle, culture (al. 13), calamités nationales (al. 12) ; ils posent à nouveau le problème de leur effectivité, notamment en ce qui concerne le travail ou le développement. L'analyse de la structure du Préambule permet donc de révéler un ensemble d'aspects que ne met pas en évidence l'analyse de contenu classique : pluralité des actants, prédominance des verbes performatifs, diversité des bénéficiaires, nouveaux biens fondés sur le couple valeurs/créances. L'énoncé de base du Préambule peut être ainsi formulé : la Nation garantit aux hommes des droits égaux, énoncé qui est lui-même d'objet d'une série de transformations, par substituts paradigmatiques. Cette analyse est cependant insuffisante pour permettre de mesurer la spécificité de cette structure : une mise en perspective, passant par une confrontation avec les deux textes précités de 1789 et d'avril 1946 est dès lors nécessaire. II - CONFRONTATIONS La structure du Préambule de 1946 diffère aussi bien de celle de la Déclaration de 1789, dans la mesure où le champ couvert par les deux textes n'est pas le même, que de celle du projet d'avril 1946, qui se présentait comme une déclaration complète, se substituant à celle de 1789, ce que le Préambule s'abstient précisément de faire. La confrontation avec les deux textes ne vise pas le même objectif, même si elle est également instructive : avec 1789, il s'agit de faire ressortir les éléments de dissemblance, qui rendent l'ajustement des énoncés problématique ; avec avril 1946, il s'agit de montrer, au-delà des différences 21 J. Robert, J. Duffar, op. cit., p. 56. 12 tenant au contenu même de la Déclaration, l'évolution qui s'est produite dans les conceptions des constituants. A) Le Préambule et la Déclaration de 1789 La Déclaration de 178922 ne diffère pas seulement du Préambule de 1946 par le contenu, c'est-à-dire par la nature des droits consacrés : au-delà de cette différence explicite, qui résulte du choix effectué par les constituants de 1946 après le rejet du premier projet de Constitution, se profilent des contrastes plus fondamentaux, que l'analyse de la structure de la Déclaration permet de mettre en évidence. 1° Comme le Préambule, la Déclaration est assortie d'un pré-texte, qui précédant les articles numérotés, les met en perspective, pose le cadre axiologique dans lequel s'inscrit le dispositif (Fig. 3). Comme en 1946, la Déclaration s'appuie sur le « Peuple français » : néanmoins, alors qu'en 1946, le peuple français est l'actant unique, qui, seul « proclame » ou « réaffirme » les droits, en 1789, ce sont ses « représentants » qui parlent, représentants constitués en « Assemblée nationale » ; et c'est cette « Assemblée nationale », et non le Peuple français directement, qui va reconnaître et déclarer les droits fondamentaux de l'homme et du citoyen. Le véritable actant en 1789 est donc, non pas le Peuple français, qui est « agi » et « invoqué », mais ceux qui en sont les représentants et forment l'Assemblée nationale : on est entré ici de plein pied dans le cadre du schéma représentatif, qui s'appuie davantage sur la figure de la « Nation », comme l'indique d'ailleurs explicitement l'article 3 selon lequel « le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation ». Cette contradiction apparente résultant de la coexistence de deux entités — Peuple/Nation — sur lesquelles reposent deux conceptions possibles de la souveraineté — populaire/nationale — montre bien qu'aux yeux des constituants de 1789 l'opposition n'est pas si nette : elle sera, on le sait, formulée plus tardivement par la doctrine de droit public, et notamment Carré de Malberg23. Deuxième différence notable de ce pré-texte avec celui de 1946, le recours à des verbes constatifs plutôt que performatifs pour qualifier le travail effectué par les représentants. Il ne s'agit pas en effet de proclamer, mais d'« exposer », dans une déclaration solennelle, les droits fondamentaux inhérents à l'homme : le travail effectué est donc apparemment dépourvu de toute dimension créatrice ou constitutive, ce qui est cohérent avec l'idée que ce sont des droits « naturels, inaliénables et sacrés », qu'il s'agit de rappeler ; corrélativement, le bénéficiaire de ces droits est l'« Homme » en général, ce qui place la Déclaration sous le sceau de l'universalité. En énonçant dans la suite de la Déclaration les droits qui sont ceux, non plus seulement de l'« Homme » mais aussi du « Citoyen » — deux catégories de bénéficiaires qu'on retrouvera tout au long du texte —, l'Assemblée nationale se borne dès lors à prendre acte de ces droits, qu'elle « reconnaît et déclare ». Enfin, le décor est parachevé par trois types de références qui servent à justifier l'élaboration d'une Déclaration (« l'ignorance, l'oubli ou le mépris des droits de l'Homme »), à préciser sa 22 Pour une analyse du texte, voir J. Morange, La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, PUF, Coll. Que sais-je n° 2408, 1988 ; S. Rials (Ed.), La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, Hachette, Coll. Pluriels, 1988 ; G. Conac, M. Debène, G. Teboul (Ed.), La Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, Economica, 1993 23 G. Bacot, Carré de Malberg et l'origine de la distinction entre souveraineté du peuple et souveraineté nationale, Ed. CNRS 1985. 15 binöme « le peuple-proclame »/« la République garantit », la relation entre les deux actants reste floue. 2° On voit au fil de la Déclaration (Fig. 6) apparaître d'autres actants, tels la « Nation », en matière de protection sociale (art. 23), de développement familial (art. 24) — en revanche, la Nation « supporte » les dommages causes par les calamités (art. 34) —, ou encore l'« Etat », pour l'organisation de l'enseignement public (art. 25) ; mais la Déclaration apparaît, comme celle de 1789, plutôt comme une déclaration sans sujet, ce qui renforce sa tonalité universaliste. Tout comme la Déclaration de 1789, le texte d'avril 1946 donne à la « loi » (16 occurences) une place démesurée : chargée à la fois de définir « les conditions d'exercice de la liberté » (art. 3) et d'organiser l'exercice des droits sociaux et économiques (art. 22), elle est présente tout au long de la Déclaration, mais surtout dans la première partie relative aux libertés (13 occurences). Mieux encore, la loi est promue à maintes reprises au statut de véritable actant : c'est elle qui « garantit » (art. 1, 4, 35), « assure » (art. 11), « définit » (art. 3), « ordonne » (art. 3), « punit » (art. 38) — formules auxquelles il faut ajouter des tournures indirectes, comme « en vertu de la loi » (art. 7, 8), « déterminés par la loi » (art. 9, 19), « dans les conditions fixées par la loi »(art. 18), « dans le cadre des lois » (art. 32) ; même si la loi est « l'expression de la souveraineté nationale » (art. 2), cela accentue un légicentrisme très visible — qui expliquera certaines inquiétudes par exemple concernant le droit de propriété (art. 35). En ce qui concerne les bénéficiaires, la Déclaration vise l'homme en général, à travers des expressions comme « tout être humain » (art. 22, 33), « tous les hommes » (art. 1, 11, 17) ou « tout homme » (art. 5, 6, 14, 30, 35), mais aussi « nul » (art. 3, 9, 10, 13, 26, 38), « chacun » (art. 15, 18, 29, 30, 37), « tous » (art. 34), « quiconque » (art. 19) : le « citoyen » en revanche est délaissé — la Déclaration s'intitule d'ailleurs « Déclaration des droits de l'homme » —, sauf quand il s'agit de l'accès aux fonctions publiques (art. 18) ou des obligations dues à la République (art. 39) ; quant au « travailleur », il n'a qu'une place mo- deste (art. 27, 31), quand il est question de la durée et des conditions de travail ainsi que de la participation. Enfin, les valeurs proclamées oscillent entre la « liberté » — mais le mot figure assez peu, même dans la première partie, en dehors de la définition donnée à l'article 3 —, l'« égalité », notamment de la femme par rapport à l'homme, et aussi la « dignité » de la personne (art. 22), du travailleur (art. 27) et de ceux qui sont en situation d'infériorité (art. 38) ; quant aux droits, ils s'ordonnent autour des deux volets des droits-libertés, issus des dispositions de la Déclaration de 1789 reformulées et complétées, et des droits- créances, tout être humain possédant à l'égard de la société « les droits qui garantissent son plein développement physique, intellectuel et moral » (art. 22). La Déclaration d'avril 1946, dont l'énoncé de base peut être formulé ainsi : la loi fixe les conditions d'exercice des droits et libertés, possède ainsi une structure singulière, qui montre qu'elle ne se borne pas à additionner les droits-libertés classiques de la Déclaration de 1789 et les droits économiques et sociaux qu'on retrouvera dans le Préambule d'octobre : le légicentrisme et la référence à l'homme en général évoquent 1789, mais la conception de la loi est différente, comme en témoigne son passage dans l'ordre de l'action à travers les énoncés performatifs qui lui sont associés, et les droits de l'homme, confondus avec ceux du citoyen, disparu de la scène narrative, n'acquièrent consistance qu'à travers la loi qui définit leurs conditions d'exercice. Les droits-créances évoquent le Préambule d'octobre, mais la structure narrative est simplifiée par la raréfaction des actants et des bénéficiaires. 16 L'esquisse d'analyse structurale qui vient d'être fait permet, par la mise en évidence des relations paradigmatiques et syntagmatiques unissant les diverses unités du Préambule, de dévoiler la logique qui préside à l'organisation de ses énoncés et de mesurer son degré d'originalité par rapport à d'autres textes, auxquels il se réfère (Déclaration de 1789) ou dont il est issu (Déclaration d'avril) ; l'éclatement de ces relations, du fait d'un triple mouvement de diversification des actants, des bénéficiaires et des biens, traduit, au-delà même du pluralisme des références, la complexification des mécanismes de protection des droits et libertés. Mais pour prendre la mesure de cette évolution, d'autres méthodes doivent prendre le relatis d'une analyse structurale qui n'est qu'un instrument parmi d'autres et n'a sans doute de pertinence qu'à la condition d'être ultérieurement dépassée.
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