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Et moi, et moi, Moi qui chantais le poing dur Il faut savoir jusqu ..., Résumés de Poésie

COMMENTAIRE LITTERAIRE. Le Cahier d'un Retour au pays natal est l'un des ouvrages poétiques les plus connus d'Aimé Césaire. Il le rédige à Paris à la fin de ...

Typologie: Résumés

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Estelle_87
Estelle_87 🇫🇷

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Télécharge Et moi, et moi, Moi qui chantais le poing dur Il faut savoir jusqu ... et plus Résumés au format PDF de Poésie sur Docsity uniquement! Et moi, et moi, Moi qui chantais le poing dur Il faut savoir jusqu'où je poussai la lâcheté. Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre. C'était un nègre grand comme un pongo qui essayait de se faire tout petit sur un banc de tramway. Il essayait d'abandonner sur ce banc crasseux de tramway ses jambes gigantesques et ses mains tremblantes de boxeur affamé. Et tout l'avait laissé, le laissait. Son nez qui semblait une péninsule en dérade et sa négritude même qui se décolorait sous l'action d'une inlassable mégie. Et le mégissier était la Misère. Un gros oreillard subit dont les coups de griffe sur ce visage s'étaient cicatrisés en îlots scabieux. Ou plutôt, c'était un ouvrier infatigable, la misère, travaillant à quelque cartouche hideux. On voyait très bien comment le pouce industrieux et malveillant avait modelé le front en bosse, percé le nez de deux tunnels parallèles et inquiétants, allongé la démesure de la lippe, et par un chef d'oeuvre caricatural, raboté, poli, verni la plus minuscule mignonne petite oreille de la création. C’était un nègre dégingandé sans rythme ni mesure. Un nègre dont les yeux roulaient une lassitude sanguinolente. Un nègre sans pudeur et ses orteils ricanaient de façon assez puante au fond de la tanière entrebâillée de ses souliers. La misère, on ne pouvait pas dire, s’était donné un mal fou pour l’achever. Elle avait creusé l’orbite, l’avait fardée d’un fard de poussière et de chassie mêlées. Elle avait tendu l’espace vide entre l’accrochement solide des mâchoires et les pommettes d’une vieille joue décatie. Elle avait planté dessus les petits pieux luisants d’une barbe de plusieurs jours. Elle avait affolé le cœur, voûté le dos. Et l’ensemble faisait parfaitement un nègre hideux, un nègre grognon, un nègre mélancolique, un nègre affalé, ses mains réunies en prière sur un bâton noueux. Un nègre enseveli dans une vieille veste élimée. Un nègre comique et laid et des femmes derrière moi ricanaient en le regardant. Il était COMIQUE ET LAID, COMIQUE ET LAID pour sûr. J’arborai un grand sourire complice... Ma lâcheté retrouvée ! Aimé CÉSAIRE, Cahier d’un retour au pays natal, 1946, Présence africaine, 1971 (p. 40- 41). 1 Pongo : grand singe. 2 Mégir signifie « tanner une peau » ; c’est l’action du mégissier, qui utilise pour cela la mégie. 3 Oreillard : chauve-souris. COMMENTAIRE LITTERAIRE Le Cahier d'un Retour au pays natal est l'un des ouvrages poétiques les plus connus d'Aimé Césaire. Il le rédige à Paris à la fin de ses études et le publie à son retour en Martinique, l'année même où il sera nommé professeur au lycée Schoelcher de Fort-de-France. Dans ce long poème en prose, Césaire chante son rapport avec la Martinique, avec sa misère, sa beauté, et, au-delà, avec la Négritude : par ce texte fondateur, il donne une dignité nouvelle au peuple Noir dont il se sent plus proche que jamais. Nous allons étudier, dans cet extrait, la manière dont la poésie de Césaire se rattache au lyrisme, par son aspect d'expression personnelle et par sa musicalité. Puis nous tenterons d'analyser le portrait du Nègre qu'il dresse dans le poème, pour nous pencher ensuite sur la signification profonde du texte et sur le rôle de la poésie qui s'y exprime. Dans la plus pure tradition lyrique, Césaire s'exprime dans ce texte à la première personne, et il nous y livre des émotions violentes. Nous pouvons remarquer que si la majeure partie du texte concerne le portrait d'un nègre aperçu dans un tramway, ce portrait est encadré par des marques subjectives (pronom personnel répété trois fois au début du texte, puis reprise du pronom personnel aux lignes 30-31). Le texte apparaît ainsi comme un souvenir personnel, une anecdote présentée par la phrase « Un soir dans un tramway en face de moi, un nègre »). Ce souvenir n'est pas un souvenir neutre, c'est le souvenir d'une mauvaise action, d'un crime que le poète a besoin de confesser : le mot lâcheté, utilisé à la ligne 3, revient à la dernière ligne. Il s'agit bien d'un aveu, que l'on devine difficile : celui de la trahison du poète qui prend le parti des femmes (blanches) derrière lui pour se moquer cruellement du nègre. La culpabilité éprouvée par le poète se ressent particulièrement à travers l'emploi de l'adjectif « complice »à la ligne 30. Lyrique, le texte l'est aussi, bien sûr, par son intense musicalité. Même si la poésie n'est pas versifiée, le rythme et les sonorités y prennent une importance capitale. Nous relevons tout d'abord un certain nombre d'anaphores (mot ou groupe de mots répétés en début de phrase ou de paragraphe) : par exemple « c'était un nègre... » lignes 5 et 15, repris par « un nègre » en lignes 16 et 17, ou « Elle avait... » au début des lignes 21, 22, 23, 24. A ces anaphores s'ajoutent de nombreuses reprises ou répétitions (« la misère », aux lignes 9, 10 et 20), l'accumulation des « un nègre... » lignes 25 à 27, les mots « comique et laid » aux lignes 27 à 29. Ce jeu de reprises forme à certains moments comme un refrain, et scande le texte. Au niveau du rythme, on remarque une utilisation privilégiée du rythme ternaire, depuis le début « Et moi, et moi, moi.. . », jusqu'à la triple répétition des mots « comique et laid ». La phrase qui s'étend de la ligne 11 à la ligne 14 est à ce titre très représentative : le pouce a « modelé le front... percé le nez... allongé la(...) lippe », puis il a « raboté, poli, verni » la « minuscule mignonne petite » oreille : le rythme ternaire structure le texte, lui donnant une sorte de pulsation. Et cette musicalité fait du poème une sorte de chant. Ce poème lyrique, où la forme musicale sert l'expression des sentiments du poète, s'articule autour d'un portrait : celui de ce nègre misérable aperçu au fond d'un tramway. Quel portrait le poème brosse-t-il de ce nègre, et de quelle manière ? On note tout d'abord l'attitude de ce personnage, qui est l'attitude même de l'humiliation. Le nègre est décrit comme essayant « de se faire tout petit », essayant d' »abandonner ses jambes (...) et ses mains » : comme s'il avait honte de lui-même et qu'il
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