Docsity
Docsity

Prépare tes examens
Prépare tes examens

Étudies grâce aux nombreuses ressources disponibles sur Docsity


Obtiens des points à télécharger
Obtiens des points à télécharger

Gagnz des points en aidant d'autres étudiants ou achete-les avec un plan Premium


Guides et conseils
Guides et conseils

Études d'histoire littéraire, Schémas de Histoire

une analyse détaillée des premières strophes et une ... Et les monts, les forêts, les villes, ... 1. A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt.

Typologie: Schémas

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Martin_D
Martin_D 🇫🇷

4.4

(50)

97 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Études d'histoire littéraire et plus Schémas au format PDF de Histoire sur Docsity uniquement! F. BALDENSPERGER ÉTUDES D'HISTOIRE LITTÉRAIRE COMMENT LE XVIII* SIÈCLE EXPLIQUAIT LUHIVERSALITE DE LA LANGUE FRANÇAISE YOUNG ET SES " NUITS " EN FRANCE LE " GENRE TROUBADOUR " " LÉNORE " DE BURGER DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE LES DÉFINITIONS DE l'HUMOUR PARIS LIBRAIRIE HACHETTE ET G 79, BOULEVARD SAINT- fJERMAIN 79 1907 LA « LENORE » DE BURGER DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE Les morts vont vite.... Cette locution, dont la fameuse ballade de Burg-er a enrichi la lang-ue fran- çaise *, est un des échos les plus persistants de la g-alopade de Lénore : étrang-e et sinistre chevauchée dont le fantastique semble aujourd'hui suranné, mais qui inquiéta longuement nos jeunes romantiques, fournit à plusieurs d'entre eux un exercice de versifi- cation, un modèle à quelques-uns, et offrit à tous un type singulier de poésie. Ghampfleury a consacré tout un chapitre de ses Vignettes romantiques à la fortune que fit, dans les arts du dessin, la macabre aventure de Lénore, galopant en croupe de son spectral fiancé : elle ne mérite pas moins d'égards de la part des his- toriens littéraires diï romantisme, ayant été, avec quelques autres poèmes étrangers, objet de prédilec- tion ou de scandale pour la génération de 1825. Celle-ci y trouva, aussi mélancolique et plus sinistre, le frisson nouveau qu'une époque ultérieure devait demander au merveilleux scientifique, mais que des âges antérieurs avaient demandé, en poésie, à Ossian ou à cette plain- tive Elégie de Gray composée dans un cimetière de campagne, si souvent traduite ou paraphrasée par les versificateurs du Consulat et de l'Empire. I. Cette sorte de refrain d'une partie de Lénore est le titre, par exemple, des deux volumes où Al. Dumas a réuni des articles consacrés à des contemporains défunts ; c'est aussi la rubrique courante des notices nécrologiques de l'Artiste. Je ne vois pas que Littré mentionne cette locution. 150 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. Le voile qui me couvre le génie de la langue allemande est encore trop profond pour que je puisse donner plus de précision à mes idées. Je crois entrevoir cependant que l'Allemand est moins enfié et plus près de la nature, plus vrai, plus naïf que l'Anglais. Dans cette romance, on dit d'un cheval qu'il faisait trop, trop, trop I on parle du tamtam des tambours. « Suit une analyse détaillée des premières strophes et une rapide indication de la fin. Cependant, malgré des témoignages aussi immédiats que ceux-ci, c'est par une voie indirecte que nous arrive la première traduction de Lénore qui ait été publiée en France : il s'agit d'une sorte d'amplification de la bal- lade de Burger — analogue à celle que W.-R. Spen- cer avait donnée en anglais — publiée en 1811 par S.-A.-D. de la Madelaine K Pas d'onomatopées; rien de la brièveté dramatique du folk-lore. « Tourmentée par de tristes rêves, fruit de son malheureux amour, Léo- nora se levait avant l'aurore : « Combien de temps seras- « tu encore éloigné de moi, mon Alfred ?. . . Est-ce la mort « qui t'empêche de revenir, ou serais-tu assez injuste «pour croire quelque faux rapport sur ton amie? » Bien (jue l'enveloppement mystérieux de l'original ait à peu près disparu, le Journal des Débats, qui rend compte le 8 avril 1811 de cette Léonora, traduite de Variglais, ne manque pas d'y discerner « les vices les plus odieux de l'école germanique ». Deux ans après, VAllemagne de Mme de Staël offre au public, dans le chapitre de la poésie allemande, un commentaire abondant de cette « romance », la plus fameuse des œuvres de ce Biirger qui a fait de la croyance populaire aux spectres et aux revenants un 1. On la retrouve en 1814 dans le Mercure étranger, t. III, p. 38. « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. loi si puissant ressort d'émotion poétique. « Je ne me suis assurément pas flattée, écrit-elle à la suite de son ana- lyse, de faire connaître par ce récit abrég-é le mérite étonnant de cette romance : toutes les images, tous les bruits, en rapport avec la situation de l'âme, sont mer- veilleusement exprimés par la poésie : les syllabes, les rimes, tout l'art des paroles et de leurs sons est employé pour exciter la terreur. La rapidité des pas du cheval semble plus solennelle et plus lugubre que la lenteur d'une marche funèbre. L'énergie avec laquelle le cheval hâte sa course, cette pétulance de la mort cause un trouble inexprimable ; et l'on se croit emporté par le fantôme, comme la malheureuse qu'il entraîne avec lui dans l'abîme. » Mme de Staël jugeait la ballade de Burger à peu près intraduisible en français, « ou du moins il serait bien difficile qu'on put en exprimer tous les détails, ni par notre prose, ni par nos vers ». Prosateurs et poètes relevèrent le gant. « La Lénore de Biirger, dira un jour Th. Gautier', peut être considérée comme un des chefs-d'œuvre de la poésie romantique, dans la plus étroite acception du mot.... » Elle possédait, en tout cas, ce qu'il fallait pour plaire à celte génération des alen- tours de 1820, qui, lasse des poétiques traditionnelles, cherchait avec tant d'incertitude et de fièvre des modèles à son goût. Outre une forme qui devait paraître singu- hèrement neuve et dramatique, cette aventure du cava- lier qui s'arrête à minuit sous les fenêtres de sa fiancée, la prend en croupe et l'entraîne en une galopade effrénée jusqu'au lointain cimetière où il se révèle squelette, répondait bien aux prédilections du moment. Le w genre troubadour », situation d'attente, en quelque sorte, du 1. L'Art dramatique en France, t. III, p. 73. 152 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. romantisme poétique qui cherchait sa voie\ pouvait s'accommoder aisément de ce poème : bien qu'il fût, pour Biirg-er, un combattant de la guerre de Sept Ans, le fiancé de Lénore n'avait pas manqué de devenir, selon Mme de Staël, « un chevalier » : le rationalisme français, ainsi rassuré sur l'époque et le décor, n'avait pas à reg^imber. La macabre issue de l'histoire étant le châtiment d'un blasphème de Lénore, les préoccupa- tions reUgieuses d'un âg-e néo-chrétien ne pouvaient s'offusquer de l'espèce de satanisme épars dans cette aventure. Le goût du mystérieux, surtout, y trouvait son compte ; et la ballade de Lénore formait comme la contre-partie d'une donnée fournie naguère par le Moine de Lewis et qui avait eu beaucoup de succès auprès des amateurs de macabre : les apparitions noc- turnes de la Nonne sanglante qui vient chercher à l'heure dite le malheureux qui glissa par méprise à son doigt la bague de fiançailles. Traduit en vers médiocres par Emile de la Bédollière, imitée de manière stupéfiante par Mme de Louvorie ^, le poème de Biirger est encore reproduit en une prose très plate dans la Ruche d'Aquitaiiie^ la revue borde- laise où Edmond Géraud parle De quelques Élégies et de quelques ballades allemandes : ce romantique de demi-sang n'absout « les monstruosités fantastiques dont abonde une si bizarre production » qu'en faveur de l'imagination dont elle témoigne ^ Mais voici que le spectral fiancé et le cheval fantôme rentrent dans notre littérature par un chemin détourné : le Mercure de 1. Cf., plus haut le chapitre sur le genre troubadour. 2. L'auteur signe Pauline de B"*. Paris, 1814. Cf. J. CAnTiEn, Gérard de Nerval, Genève, 1904, p. 41. 3. Ruche d'Aquitaine, t. II, p. 353; t. III, p. 152. Les Aniialc-t de la littérature et des arts devaient reproduire (1825, t. XX, [). 204) cet article de Géraud. « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 155 sinistre qui paraissait à la fois dans Lénore, dans le Roi des Aulnes, et dans les nombreux Vampires de 1820 ou les Poésies diverses de Victor Hug-o. M. de Valori s'écriait dans son Élégie dédiée aux poètes romantiques * : Dis-moi quelle est ta forme ? es-tu nymphe, es-tu reine ? Ou corps bleu dans l'eau morte, ou spectre sans cercueil? Viennet, dans son Épître aux Muses sur le rotnan- tique, énumérait ironiquement les thèmes favoris de cette poésie détestée : C'est la voix du désert, c'est la voix du torrent, Ou le roi des tilleuls, ou le fantôme errant. Qui, le soir, au vallon, vient siffler ou se plaindre, Des figures enfin qu'un pinceau ne peut peindre.... Et Baour-Lormian, supposant en 1825 un dialogue entre le Classique et le Romantique, faisait, des motifs préférés du romantisme, un inventaire plus applicable évidemment au vicomte d'Arlincourt qu'à Lamartine ou Vigny : L'amas incohérent de spectres et de charmes, D'amantes et de croix, de baisers et de larmes, De vierges, de bourreaux, de vampires hurlants. De tombes, de bandits, de cadavres sanglants, . De morgues, de charniers, de gibets, de tortures. Et toutes ces horreurs, ces hideuses peintures Que sous le cauchemar dont il est oppressé Un malade entrevoit d'épouvante glacé -.... III Même lorsque les énerg-ies de la jeune littérature furent sollicitées par la lutte pour les libertés dramati- 1. Lettres champenoises, 1822, tome XI, p. 58. 2. Aussi le recueil de Légendes où Baour pastiche les procédés romantiques ne manque-t-il pas de faire une place à des thèmes analogues à celui de Lénore. 156 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. ques ou par le déploiement de la couleur locale des- criptive et romanesque, Lénore resta en faveur. Elle avait été, de fait, pour plusieurs, la révélation du lyrisme fantastique ; et beaucoup des jeunes hommes de 1830 auraient pu sans doute lui donner le même témoig-nag-e qu'Alexandre Dumas * : « La lecture de cette œuvre, appartenant à une littérature qui m'était complètement inconnue, produisit sur moi une profonde impression.... Dès le même soir, j'essayai de la mettre en vers ; mais, comme on comprend bien, la tâche était au-dessus de mes forces. J'y brisai les premiers élans de ma pauvre muse, et je commençai ma carrière littéraire comme j'avais commencé ma carrière amoureuse, par une défaite d'autant plus terrible qu'elle était secrète, mais incontestable à mes propres yeux. N'importe, ce n'en étaient pas moins les premiers pas essayés vers l'avenir que Dieu me destinait, pas inexpérimentés et chancelants comme ceux de l'enfant qui commence à marcher.... » De plus tenaces, en revanche, s'acharnaient à cette difficile traduction.' Çà et là, des versions en prose venaient préciser les souvenirs, suppléer à l'ignorance du texte orig-inal. Les Annales de la littérature et des arts, en 1827, reprennent les anciens articles de la Ruche d'Aquitaine-, La Revue des Deux Mondes en 1830 ^ les Annales romantiques et la Nouvelle Revue germanique en 1831 *, la Revue Européenne en 1832 '^ donnent à l'envi des traductions du fameux poème : elles sont le plus souvent qualifiées d' « exactes », et le mérite un peu sobre de la fidélité doit suppléer à 1. Mes Mémoires, t. II, p. 300 dans l'édition de Paris, 1865. 2. Cf. 1825, t. XX, p. 264 et 1827. t. XXVII, p. 447. 3. Tome IV (d'oct.-nov. 1830). p. 193. 4. 1831, t. II, p. 79. 5. Tome II, p. 323. « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 157 l'absence de vertus plus expressives et plus émou- vantes. Une autre traduction, annoncée en 1828, n'a pas vu le jour*. Une grande simplicité de vocabulaire et de style distinguait la Lénore publiée en 1827, en même temps que cinq autres ballades de Bûrger, par Ferdinand Flocon, dans son petit recueil de Ballades allemandes tirées de Bûrger^ Kœrner et Kosegarten ; mais le futur combattant de 1851 se contentait de tra- duire par quelques Hurrah ! les onomatopées de l'original, et de rejeter dans les notes les hop, hop, hop évoquant le galop précipité du coursier fan- tastique qui porte Lénore et son fiancé^. Les versificateurs ne restent pas en arrière. Un poète dijonnais, Ch. Brugnot, prélude à ses Ballades par une traduction en vers de Lénore, « qu'il s'est reprochée plus tard comme empreinte de respect humain litté- raire et de cette mauvaise honte qui fait qu'on n'ose être soi qu'à demi^ ». Fontaney, en 1829, insère une Lénore à la suite du poème intitulé Une Vision, dans ses Ballades, Mélodies et Poésies diverses : le même mystère nocturne baigne les deux tableaux, et le poème allemand vient assez naturellement après la pièce de Fontaney : S'échappant doucement des fosses entr'ouvertes, Je vis de tous côtés des ombres se glisser : Les unes se levant, de leurs linceuls couvertes, Au milieu des tombeaux allaient se disperser.... Henri de Latouche, à qui le romantisme était rede- 1. QuÉRARD, France littéraire, t. VII, p. 303 : « Ch. Pougens annonçait en 1828, comme étant sous presse, un ouvrage qui n'a point vu le jour : ce sontles Dialogues philosophiques. Cet ou\Tage devait être composé des morceaux suivants : .... 7" La Vision de Léonora, imitée de l'allemand de Bûrger. » 2. Paris, 1827, p. 27; les notes p. 43 et suivantes. 3. Th. FoissET, introduction aux Poésies de Ch. Brugnot. Dijon, 1833, note de la p. 377. ItO ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. Et les monts, les forêts, les villes, A droite, à gauche, s'envolaient.... qu'interrompt la conversation de Lénorc avec son fiancé, et que termine un dénoûment abolissant entièrement — comme un cauchemar s'enfuit au pre- mier chant du coq — toute la macabre aventure : la jeune fille rêvait, mais la voici qui s'éveille au moment où elle répliquait « Jamais ! » au spectral fiancé qui lui demandait un baiser : « Jamais! » Elle s'agite,... et tout s'évanouit! « Jamais! dit son amant, est-ce bien vrai, cruelle? (Il était près du lit.) — Ah ! Guillaume, dit-elle, Quel rêve j'ai fait cette nuit ! » ISessai de traduction littérale en vers est assuré- ment plus pathétique que cette adaptation, restée plus digne de Latouche que de Gérard. Le traducteur de Faust y maintenait cette fois un rythme autrement analogue aux effets expressifs de l'original. Tout à coup, trap, trap, trap ! Lénore Reconnaît le pas d'un coursier, Bientôt une armure sonore En grinçant monte l'escalier... Et puis, écoutez, la sonnette Klingklingkling, tinte doucement.... Par la porte de la chambrette. Ces mots pénètrent sourdement : Holà ! holà ! c'est moi, Lénore ! Veilles- tu, petite, ou dors-tu î Le remaniement de 1835 élaguait çùet là ; de légères variantes corrigeaient tel détail mal venu, telle gau- cherie d'expression ; le troisième couplet Ah ! partout, partout, quelle joie ! A leur abord, jeunes et vieux Fourmillent par monts et par voie En les accueillant de leur mieux.... « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 161 èe transformait ainsi : Ah ! partout, partout, quelle joie ! Jeunes et vieux, filles, garçons ; La foule court et se déploie Sur les chemins et sur les ponts.... A part des corrections de ce genre, les deux textes sont en général identiques, et Théophile Gautier pou- vait, ajuste titre, féliciter de bonne heure son ami pour la fidélité de sa traduction « aussi allemande que l'original ». Elle fut pour le romantisme des artistes et des Jeune-France l'équivalent de ce qu'avait été, en dépit de ses inexactitudes, le Faust de Gérard pour la même clientèle ardente et chimérique. Elle ne tarde pas à être mise en musique par Monpou, qai voyait dans Lénore « le drame fantastique en récit et en action ». Trois artistes, Célestin Nanteuil, Camille Ro- gier, Jules Goddé, collaborèrent à cette édition de la Lénore française, en accompagnant le texte de Gérard et la musique du compositeur d'un frontispice et de trois lithographies : l'œuvre collective fut dédiée à Victor Hugo, considéré à cette heure comme l'écrivain représentatif par les romantiques des ateliers autant que par ceux des cénales. Car il va sans dire que les arts du dessin avaient été séduits de leur côté par la poétique fantasmagorie de Biirger. « Eux aussi, dit Champfleury à propos des peintres, sont de « bonnes gens » qui, en quête de pittoresque, s'inquiètent médiocrement du fond. Deux 11 162 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. fiancés chevauchant la nuit à travers les espaces, suivis de g-nomes, faisaient à merveille leur affaire : du noir, du blanc, la lune assombrie par les nuages, des fan- tômes, un sujet populaire et qui porte, combien d'ar- tistes n'en demandent pas davantage. Les peintres envisagèrent le fiancé de Lénore de diverses manières, entre autres en personnage désespéré, vêtu d'un collant. Ceux qui voulaient plaire aux dames représentaient Guillaume en hussard; d'autres, sans se préoccuper de l'année 1773, époque à laquelle Bûrger avait composé sa ballade, s'en tinrent à l'habillement pseudo-Renais- sance mis à la mode parles Deveria^ » Champfleury fait allusion à quelques-unes des œuvres inspirées par la ballade allemande, les Morts vont vite d'Horace Vcrnet, une lithographie de Ziégler dans la Silhouette, diverses interprétations de moindres artis- tes -. Reculant davantage encore la date du décor et du costume, la Lénore d'Ary Scheffer, au salon de 1831, situait la ballade en plein moyen âge, et Henri Heine écrivait avec raison: « Il me semble bien, puisque le peintre a placé la scène au temps plein de foi des croi- sades, que Lénore abandonnée ne blasphémera point la divinité, et que le cavalier-fantôme ne viendra pas la cherchera » La mélancolique figure à qui Scheffer prêtait la morbidesse de son pinceau, c'était, d'ailleurs, l'anxieuse fiancée qui assiste au retour des croisés parmi lesquels son amoureux n'est pas ; mais une autre toile du même peintre allait représenter Lénore demi- \. Les Vigjietles romantiques, p. 70. 2. h'Artisle donne, en 18il, une série de quatre gravures des- tinées à la Pléiade, collection de morceaux choisis de toutes les littératures, illustrée par Penguilly-L'Haridon (2c série, t. VII, p. 56). La même revue, le l'i juin 1848, publie du même artiste huit petites gravures illustrant la ballade traduite par Gérard. 3. Kunstberichte au'i Paris, 1831. « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 165 plus juste — en dehors de quelques épigraphes fournies aux poètes de 1830 et de ce funèbre refrain les morts vont vite enseig-né à notre lang-ue — l'enrichissement qui en résulta dans la poésie? Dans l'infini réseau des prêts et des emprunts qui constitue la littérature euro- péenne, ce fil singulier échappé au rouet des légendes germaniques se retrouve-t-il mêlé, chez nous, à d'autres trames ? C'est à la première partie de Lénore — la fiancée assistant au retour de l'armée — que Victor Hugo doit l'idée qu'il a orchestrée si somptueusement (en atten- dant Saint-Saëns) dans la Fiancée du Timbalier. Ce qui n'était qu'un épisode de l'introduction du poème allemand : Elle s'informe, crie, appelle. Parcourt en vain les rangs pressés. De son amant point de nouvelle... Et tous les soldats sont passés ! devient le sujet principal, déploiement pittoresque du défilé, jusqu'à l'effondrement final : Elle dit, et sa vue errante Plonge, hélas ! dans les rangs pressés ; Puis dans la foule indifférente Elle tomba froide et mourante.... Les timbaliers étaient passés. Mais plus encore que l'introduction, l'enlèvement de Lénore mérite, ici encore, d'être retenu. Il semble qu'avec d'autres œuvres auxquelles s'initia le jeune romantisme, le Roi des Aulnes, par exemple, les romances du Gid, le Mazeppa de Byron, et cette autre ballade de Bûrger, la Chasse infernale, Lénore ait fourni à notre poésie le motif si fréquent et si coloré de la chevauchée^ évocation d'un rythme naturel et enivrement de la vitesse et de l'impétuosité, en dehors même de tout intérêt anecdotique. Sans doute, notre 166 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. folklore aurait pu fournir à la poésie cet élément : Gérard de Nerval, — rapportant la chanson populaire qui commence ainsi : Dessous le laurier blanc, La belle se promène, et indiquant la suite de l'aventure : « Trois cavaliers passent au clair de lune : « Montez, dit le plus jeune, sur « mon beau cheval gris», — remarque fort justement: « N'est-ce pas là la course de Lénore, et n'y a-t-il pas « une attraction fatale dans ces cavaliers inconnus*? » Mais il a fallu, pour qu'on s'inquiétât des trésors poétiques épars dans nos provinces, que notre littérature apprît par des œuvres étrangères quel parti on pouvait tirer de ces richesses. Et ainsi, malgré les traditions locales auxquelles se sont fournis Ch. Brugnot^ ou Ed. d'Anglemont% les ballades étrangères conservent le mérite de l'initiation première. La chevauchée surtout nocturne, nouveauté pittoresque, ignorée des anciens A biianachs des Muses, et que ne connaissait pas non plus la romance « de pied ferme » du genre trou- badour, semble bien faire avec Lénore son entrée dans notre poésie. On sait quelle prodigieuse fortune elle a eue dans l'œuvre de Victor Hugo, depuis les curiosités de rythmes et de rimes de la Chasse du Burgrave ou du Pas d'armes du roi Jean^ depuis le mode mineur de la ballade à un Passant : Voyageur, qui, la nuit, sur le pavé sonore De ton chien inquiet passes accompagné, Après le jour brûlant, pourquoi marcher encore? Où mènes-tu si tard ton cheval résigné? 4. Chansons et légendes du Valois. 2. Cf. ses Poésies, Dijon, ISSS. 3. Légendes françaises, 1829, et Nouvelles Légendes françaises, 1833. « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 167 jusqu'au dialog-ue des Contemplations : La nuit était fort noire et la forêt très sombre. Hermann à mes côtés me paraissait une ombre. Nos chevaux galopaient. A la garde de Dieu ! Les nuages du ciel ressemblaient à des marbres. Les étoiles volaient dans les branches des arbres Comme un essaim d'oiseaux de feu *. jusqu'à l'ampleur épique de la poursuite dans VAigle du casque ou à la musique de songe d'Evîradnus : Si tu veux, faisons un rêve : Montons sur deux palefrois ; Tu m'emmènes, je t'enlève. L'oiseau chante dans les bois. Ailleurs, le motif du cavalier nocturne, si bien fait pour plaire au romantisme, s'ajuste à une aventure d'amour, comme dans la Portia de Musset : Où donc, noble jeune homme, à cette heure où les ombres Sous les pieds du passant tendent leurs voiles sombres, Où donc vas-tu si vite ? et pourquoi ton coursier Fait-il jaillir le feu de l'étrier d'acier? Ta dague bat tes flancs, et ta tempe ruisselle -. Jeune homme, où donc vas-tu? qui te pousse ou t'appelle? Pourquoi comme un fuyard de l'arçon te courber? Dans la Promenade de J. de Saint-Félix, c'est une consolation presque physique qu'un amoureux demande au galop nocturne : Mon cheval ! mon cheval ! j'aime la promenade Quand le soir est venu sous les platanes verts. Quand on entend le bruit de quelque sérénade Près du balcon mauresque aux volets entr'ouverts. Au galop ! au galop ! tout seul dans la campagne, La solitude est bonne à guérir un chagrin ; Et moi j'aime d'amour.... La tristesse me gagne, Si je m'arrête : allons, au galop, point de frein. 1. A quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt. 170 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. de la vie courante, avec un dénoûmenl heureux qui, rapporte Gauti-er, ne contenta personne. En efï'et, les partisans de l'école du bon sens pouvaient s'irriter d'avoir accordé quelque crédulité à une « complainte » qui n'avait que le mérite « de venir de loin' »; les derniers romantiques s'indignèrent de voir les imagi- nations de la ballade traduites en une pure hallucination de Lénore ; et Philothée O'Neddy s'écriait : « Il n'y a point de cavalier-fantôme, de mort-fiancé, de spectre ravisseur, point de merveilleux et de fantastique ailleurs que dans le cerveau délirant de Lénore. Wilhelm est vivant; quelle idée saugrenue! il est vivant, le bélî- tre^ » La foule eut une déception d'un autre ordre. « On espérait, dit le 3Ioniteur du 1" août 1843, le spec- tacle de la course rapide du cavalier et du cheval- spectre enlevant Lénore. On n'a trouvé qu'un spectacle terre à terre et bourgeois, dénué de toute espèce de fantasmagorie » La même année, la Maison maudite^ histoire de cent ans, par E. Vander-Burch, transportait l'action de la ballade de Lénore dans le cadre d'un épisode de voyage et accommodait ainsi à son tour le fantastique du poème aux conditions du monde réeP. IX C'est que déjà les temps n'étaient plus aussi pro- pices au surnaturel dans la littérature, à l'absolu du rêve, de la légende, de l'invraisemblable : 1843, n'est- ce pas l'année où tombent les Burgraves, où triom- i. J. Janin, Feuilleton des Débats, 24 juillet 1843. 2. E. Havet, Notice en tête des Poésies post/iumes de Ph. ONeddv, p. 45. 3. Cf. le Moniteur univei^sel du 29 juillet 1844. « LÉNORE » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 171 phe de nouveau le « sens commun »? Les morts vont vite ; et les beaux jours de Lénore sont passés. Elle conserve cependant son prestige, mais en dehors de Paris et de l'actualité. De très jeunes sensibilités, des inquiétudes frémissantes de provinciaux naïfs sont seules à s'exalter encore à sa lecture ou à son souvenir. Maurice de Guérin note cette comparaison * : « 11 y a un état de l'esprit où l'âme, comme Lénore, se sent emportée à bride abattue vers je ne sais quelles régions lugubres. » Aimé de Loy songe à l'amie perdue : Tout la pleure ; j'entends de lamentables voix ; Je crois voir dans la nuit un fantôme sonore Qui l'emporte, semblable au coursier de Lénore, Et puis le chant lointain des prêtres 2.,. Les Fleurs d'outre-Rhin de F. Delcroix, en 1843, donnent encore une traduction en vers de la ballade. Maxime du Camp et Louis de Cormenin débutent dans la vie littéraire par une imitation en vers de Lénore; ils l'envoient à Musset qui déclare leurs vers « un peu jeunes » et à Hugo qui les proclame « très beaux' ». Une traduction fort timide, et qui marque à coup sûr un recul, est publiée par P. Froly dans la Revue du Lyonnais de 1840^ : A l'horizon, l'aube a rougi les cieux, Lénore après des rêves douloureux S'écrie en pleurs : « Que l'attente est cruelle ! » C'est à Lyon aussi — survivance caractéristique dans une province de notre littérature qu'on a pu appeler « notre Allemagne » — que le thème fantastique de la 1. Reliquiae. 2. Feuilles aux vents. Paris et Lyon, 1840, p. 238. 3. Revue des Deux Mondes, 1" août 1881, p. 485; Souv. littêr., \, \, p. 112. 4. 1840, t. II, p. 83. 172 ÉTUDES d'histoire LITTÉRAIRE. légende est sollicité de s'appliquer à un autre mode de vitesse déchaînée. Joséphin Soulary exorcise le Che- min de fer, en 1841, avec des réminiscences de Lénoî^e et sous cette épigraphe de Burger : a Cheval, dépêche- toi, allons vite! notre course est achevée, le lit nuptial s'ouvre; les morts vont vite; nous sommes au but! » L'application de la course fantastique du cheval-fan- tôme au Centaure qu'invectivaient, un peu partout, les poètes de ce temps, venait facilement sous la plume : Le voyez-vous courir sur le chemin sonore T.. . Moins rapide volait, en emportant Lénore, L'affreux courrier des trépassés.... Mais la montagne, au loin, lève sa tête rase Sur la route poudreuse où repose sa base ; Tranquille, elle attend le convoi. Il approche... Un mot part d'une bouche maudite ; C'est le mot de Wilhelm : i Hop ! hop ! les morts vont vite.... ... Place à nous ! Sézame, ouvre-toi '. »... Or c'est précisément à cet autre genre de fantasti- que, le merveilleux scientifique et logique, que l'on va demander bientôt la variété de terreur que le surna- turel spiritualiste a cessé insensiblement d'obtenir. Mme Cornu publie en 1841, sous le pseudonyme de Sébastien Albin, ses Ballades et Chants populaires de rAllemagne : et Lénore, qui s'y trouve à la place qui lui est due, n'est plus qu'une ballade parmi cent autres, une fleur ténébreuse au milieu d'un parterre presque également mystérieux et suranné. Challemel-Lacour consacre à Burger un important article de biographie et de critique- : Lénore, traduite en prose à la suite de cette étude, est louée pour «ce savant progrès dans les blasphèmes de la jeune fille, ce crescendo de terreur 1. Le Chemin de fer, ballade par Joséphin Soulary; se vend a profit d'une famille pauvre. (Lyon) 1841. 2. Rome germanique et française du l'' février 1863. « LÉNORB » DANS LA LITTÉRATURE FRANÇAISE. 175 de fantastique illustrée par la célèbre ballade a perdu la plus grande partie de son efficacité, si la nuance de pittoresque dont elle se colore semble elle-même d'gn romantisme un peu vieillot, on dirait que l'élan de cette galopade étrange réveille encore des résonnances dans l'art moderne, à la façon peut-être d'une force naturelle impossible à arrêter ou à refréner. La Lénore musi- cale d'Henri Duparc est une sorte de course à l'abîme que rythme presque continûment le galop du cheval, dominé par instants seulement par la plainte de Lénore ou par des rires sataniques et des hurlements de damnés. Un poète contemporain invoque aussi ce batte- ment précipité, mais qui reste cadencé : Il me faut le rythme sonore De la ballade de Lénore Et le verbe, comme du fer, Souple et clair '. Les morts vont vite... Les formes littéraires se succè- dent et se détruisent comme les autres choses vivantes ; mais, comme toute vie, elles métamorphosent et trans- muent leurs éléments sans relâche, et ne sont pas vouées au néant. La destinée de celle-ci est singulière, puisque, sans doute issue de la Grande-Bretagne médiévale, elle s'est fixée sous la plume d'un poète allemand du xviii"^ siècle^ pour venir ensuite stimuler et enrichir les imaginations de notre romantisme. 1. Gh. GuÉRiN, le Cœur solitaire, p". 101. 2. Cf. Bonet-Maury, Burger et les origines anglaises de la bal- lade allemande. Paris, 1889. TABLE DES MATIÈRES Préface v Comment le XYIII^ siècle expliquait l'Universalité de la Langue Française 1 Young et ses « Nuits » en France 55 Le « Genre Troubadour » 110 La « Lénore» de Bùrger dans la Littérature Française. 147 Les Définitions de l'Humour 176 10-07. — St-Cermain-lès-Corbeil. Imp. F. LEROY.
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved