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Fiche de synthese sur Gargantua, Notes de Français

Fiche de synthese sur Gargantua

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 19/01/2024

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Télécharge Fiche de synthese sur Gargantua et plus Notes au format PDF de Français sur Docsity uniquement! 1 1. La célébration des sources antiques du savoir dans Gargantua Gargantua apparaît dès le prologue comme une défense et illustration de la culture antique qui est au centre de l’idéal humaniste. Ce retour enthousiaste aux sources antiques et toujours vivantes du savoir se fait contre la scolastique, le savoir sclérosé du Moyen Âge. La satire de la scolastique du Moyen Âge : La scolastique est le savoir enseigné dans les écoles du Moyen Âge, notamment à l’université de la Sorbonne, à Paris. Ce savoir se caractérise entre autres par son formalisme obscur. Pour le tourner en dérision, Rabelais introduit dans son œuvre toute une galerie de faux savants caricaturaux qu’il appelle parfois « sophistes » (ce mot désigne, chez Platon, les mauvais professeurs et les orateurs qui déforment la vérité pour les besoins de leur cause). Il se moque d’abord, au chapitre 14, des « précepteurs sophistes » de Gargantua : ceux-ci font lire à leur élève des œuvres qui ne sont que des commentaires d’œuvres - et non des œuvres originales. Ces commentaires, volumineux et confus, empêchent tout contact vivant avec les sources du savoir. La satire de la scolastique réapparaît dans les chapitres 17-20 à travers le personnage de Janotus de Bragmardo (notez le nom aux consonances grivoises1), envoyé par la Sorbonne pour récupérer les cloches de Notre-Dame. Ce docteur de la Sorbonne se présente ivre chez Gargantua, accompagné de maîtres ignares (18). Puis il prononce une longue harangue ridicule pleine de mauvais latin2 (ou de « latin de cuisine »), de mots abstraits et incompréhensibles (19, voir p. 159, fin du §), de raisonnements absurdes et de divagations burlesques (p. 163). Cet épisode se termine par une dispute entre tous les docteurs de la Sorbonne pour savoir lequel d’entre eux gagnera le drap offert par Gargantua avec la restitution des cloches… Cette dispute aboutira à un procès tout aussi burlesque (20). La satire de la scolastique vise aussi une étrange manie des intellectuels du Moyen Âge : la lecture allégorique des textes. Cette lecture consiste à se servir d’un texte (souvent un texte religieux) pour interpréter une réalité qui n’a rien à voir avec lui, en essayant de dégager de ce texte des symboles, des « allégories ». Rabelais fait la satire de ces lectures allégoriques au chapitre 38, quand des pèlerins sont mangés « en salade » par Gargantua. Ces pèlerins, après s’être retrouvés d’abord dans la bouche du géant, puis dans le flot de son urine, essaient de comprendre de qui leur est arrivé à travers un psaume de David : ils imaginent que ce psaume prédisait leur aventure au moyen de différentes images (38 p. 297, l. 69-84). Rabelais se moque d’ailleurs directement de ces lectures allégoriques dans le prologue (p. 43, l. 82-92). La célébration des auteurs et du savoir de l’Antiquité : Contre la scolastique, Rabelais veut revenir aux sources du vrai savoir : les auteurs antiques, qui sont à l’origine de pratiquement toutes les sciences connues à l’époque. L’enthousiasme de Rabelais pour ces sources antiques du savoir apparaît dans l’érudition foisonnante qu’il attribue à Alcofribas Nasier, le narrateur de Gargantua. Ce narrateur a beau se donner une apparence bouffonne, il multiplie les références aux grands auteurs de l’Antiquité : le poète grec Homère, le poète latin Ovide, les philosophes grecs Platon et Aristote, les médecins grecs Hippocrate et Galien, le naturaliste latin Pline, le géographe grec Strabon… Ces références sont toujours exactes – on trouve de rares canulars, par exemple quand Aristote est donné comme l’inventeur de la cryptologie (1). On retrouve bien sûr cette vénération pour les auteurs antiques dans l’éducation donnée par Ponocrates à Gargantua. Un hommage aux langues anciennes : Gargantua se présente aussi comme une célébration des langues anciennes si mal pratiquées par les faux savants du Moyen Âge. C’est d’abord un hommage au latin, avec lequel Rabelais joue 1 Bragmardo est la déformation de « braquemart » : épée courte ; en argot, sexe masculin. 2 Dans sa bouche, Bona dies (« bonjour ») devient Mna dies : exemple du latin qu’on parlait rapidement, avec l’accent français, à la Sorbonne (voir le début de son discours p. 158). 2 comme avec le français (notamment dans la harangue bouffonne de Janotus de Bragmardo déjà évoquée). Le latin était la langue de l’église et de toutes les personnes cultivées de l’époque, mais surtout des humanistes, qui sont à l’origine des hommes d’église : c’est pourquoi cette langue est omniprésente dans Gargantua, notamment dans les titres des ouvrages cités par le narrateur et dans les citations dont celui-ci parsème son récit (mais ce latin est gommé dans la traduction : reportez-vous au texte original pour bien en mesurer l’importance). Plus original, dans le contexte du XVIe siècle, était le goût de Rabelais pour le grec. On trouve peu de grec écrit en toutes lettres dans le roman (au chapitre 8, p. 96), mais cette langue apparaît en filigrane dans l’onomastique, c’est-à-dire les noms propres des personnages (plus rarement des lieux). Ces noms, en effet, ont souvent une étymologie grecque : Eudémon, Ponocrates (15) ; Anagnostes, Gymnaste, Rhizotome (23), Échéphron (33) ; Phrontiste et Sébaste (48) ; l’abbaye de Thélème (51). Ces noms ont été inventés par Rabelais d’après des racines grecques connues des hellénistes et constituent autant de devinettes savantes posées au lecteur, que celui-ci doit savoir décrypter. L’importance de l’éloquence : L’éloquence était au centre de la culture antique et elle apparaît logiquement, dans Gargantua, comme un élément incontournable de la culture humaniste3. La faillite de l’éducation du Moyen Âge se manifeste d’abord par l’échec de Gargantua au concours d’éloquence organisé par Philippe des Marais (= Érasme ?). Pétrifié d’admiration après le discours d’Eudémon, le jeune géant reste muet (15). Ce discours d’Eudémon est présenté comme un petit chef d’œuvre d’éloquence : il reprend parfaitement la structure et les règles d’un discours antique. Certes, l’éloge de Gargantua prononcé ici par Eudémon peut paraître un peu artificiel, si on le compare à la géniale fantaisie de l’éloge de Socrate par Alcibiade (dans le prologue). Il faut le voir comme un exercice scolaire qui signifie aussi que Gargantua doit, à ce moment-là, dire adieu à la paresse et aux bouffonneries de l’enfance. Par la suite, de nombreux discours illustrent l’importance de l’éloquence dans le métier de roi et la vie politique en général. Outre la lettre de Grandgousier à Gargantua, qui est une sorte de discours (30), on trouve dans le roman trois harangues4 exemplaires par leur ampleur et leur solennité : - la harangue de Gallet à Picrochole (31, p. 249-251, cf. les nombreuses questions oratoires) ; - la harangue de Grandgousier à Toucquedillon (46) ; - enfin, la harangue de Gargantua aux vaincus de la guerre picrocholine (où, derrière Alpharbal, modèle du mauvais roi, c’est Charles-Quint qui semble visé : 50). 3 Les humanistes s’inspirent de Cicéron en latin et de Démosthène en grec, les deux plus célèbres orateurs politiques de l’Antiquité. Ils s’inspirent aussi du style de Platon : celui-ci, dans l’éloge de Socrate par Alcibiade, propose un autre modèle d’éloquence, plus philosophique. 4 Harangue : discours solennel. 5 3. La réflexion sur la religion dans Gargantua Cette réflexion sur la religion est très audacieuse, si l’on pense à la censure qui s’exerçait à l’époque. Rabelais s’oppose au dogmatisme10 de la Sorbonne critique de nombreux aspects du catholicisme de l’époque, qui était la religion du royaume de France. Il défend l’évangélisme qui avait cours dans l’entourage de Marie d’Angoulême, la sœur de François premier. La satire du dogmatisme religieux : La scolastique enseignée dans les universités du Moyen Âge (comme la Sorbonne à Paris) a une dimension religieuse importante : les professeurs sont avant tout des théologiens qui défendent les dogmes11 religieux de l’époque et pourchassent les « hérésies » (les opinions considérées comme déviantes d’un point de vue religieux). Sans cesse, le narrateur du roman reproche aux théologiens leur dogmatisme et leur manque d’esprit critique. Le plus souvent, il le fait de manière ironique et détournée, comme dans le chapitre 6 : « Je me doute que vous ne croyez pas vraiment à cette étrange naissance… mais un homme de bien croit toujours ce qu’on lui dit, et ce qu’il trouve écrit. Cette naissance est-elle contraire à notre loi, à notre foi, va-t-elle contre la raison, contre la sainte écriture ? » (p. 85). La satire est parfois plus directe. Dans le chapitre 7, le narrateur, à propos de l’allaitement de Gargantua (au lait de vache, non au lait maternel), met en cause de manière comique les « docteurs scotistes », c’est-à-dire les adeptes de l’Ecossais Duns Scot, fondateur de la scolastique : « certains docteurs scotistes [on]t affirmé que sa mère l’avait allaité […] cette proposition a […] été déclarée mamellement12 scandaleuse et offensante pour les oreilles pieuses : cela sentait son hérésie. » L’accusation d’hérésie est ici plaisamment retournée contre les théologiens eux-mêmes (p. 87-89, cf. note 4). Une autre allusion burlesque à Dun Scott apparaît un peu plus loin, à propos du meilleur « torchecul » (fin du chapitre 13). Parfois, le narrateur est beaucoup plus virulent, comme dans le chapitre 1 où il traite les théologiens de « cafards » (p. 51, l. 41-43). Mais, face à la répression royale qui se déchaîne après l’affaire des placards, Rabelais supprime en 1542 les mots « théologiens » et « théologalement », trop explicites, et les remplace par les mots « sophistes » et « sophistiquement13 », moins polémiques (voir notes du chapitre 14, p. 135). Ce sont évidemment les théologiens qui sont visés par les mots « à d’autres », dans l’adresse aux lecteurs du prologue : « car c’est à vous, et non à d’autres, que sont dédiés mes écrits ». La satire de certaines pratiques rituelles, ressenties comme artificielles : Rabelais se moque aussi du formalisme14 de certains rites et de leur pratique excessive : au chapitre 21, Gargantua écoute « vingt-six ou trente messes » d’affilée, tout marmonnant des litanies15 ; puis il continue ses prières en égrenant ses « chapelets ». Ces actes de dévotion répétitifs, mécaniques et artificiels ne témoignent pas, selon Rabelais, d’une foi authentique. La satire des monastères, du culte des saints, des pèlerinages, de la superstition : D’après Rabelais, les monastères16, par leurs règles absurdes, rendent les moines passifs, ignares et débauchés. Cette satire apparaît dès l’épisode du clos de Seuilly. Les moines de l’abbaye, devant l’attaque, se contentent de faire sonner des cloches et de chanter en bégayant de peur (27, p. 225-27). Plus loin, Gargantua, dans ses conversations avec frère Jean, critique 10 Dogmatisme : attitude religieuse ou philosophique qui consiste à rejeter catégoriquement le doute et la critique (au nom d’un dogme à défendre). 11 Dogme : élément fondamental et considéré comme incontestable d’une croyance religieuse ou philosophique. 12 Mamellement : néologisme burlesque (à partir de « mamelle » : sein). 13 Théologalement, sophistiquement : autres néologismes burlesques. 14 Formalisme : attachement excessif aux formes, aux façons extérieures, ici aux gestes rituels. 15 Litanie : longue énumération de prières. 16 Monastère : maison où vivent les moines. Les moines (ou moniales au féminin) sont liés par des vœux de religion et mènent, en solitaire ou en communauté, une vie essentiellement consacrée à la prière. 6 violemment les « moines oisifs » qui ne font que marmonner des prières (40, « Pourquoi tout le monde fuit les moines », p. 309). Quant à frère Jean, c’est le type même du moine paillard : il rappelle à quel point les moines sont obsédés par le sexe (45, p. 339, l. 72-84). Dans le chapitre 27 apparaît aussi une violente satire du culte des saints et des reliques (qui est pure superstition pour Rabelais : il faut s’adresser à Dieu seul). Au moment de se faire massacrer par frère Jean, les soldats de Picrochole invoquent toutes sortes de saints ridicules... La satire des pèlerinages commence dans l’épisode où six pèlerins se retrouvent sans comprendre pourquoi dans la bouche de Gargantua (38). Grandgousier leur démontre l’absurdité des pèlerinages, présentés eux aussi comme des pratiques superstitieuses (45, p. 337). Il leur oppose le travail, beaucoup plus utile à la collectivité (p. 339). Dans son discours, il traite d’ailleurs les moines de « cafards » (p. 337, l. 55-66)17. Les soldats de Picrochole, enfin, manifestent une superstition qui témoigne de leur bêtise et causera leur perte : Gymnaste s’étant (par ruse) présenté à eux comme un « pauvre diable » (un homme pauvre), ils le prennent réellement pour un démon et s’enfuient. Ils s’aspergeront d’eau bénite pour le combattre, mais cela ne les empêchera pas d’être massacrés (34 et 35, cf. p. 286). Les sympathies évangélistes de Rabelais : Tous les traits satiriques relevés ci-dessus reprennent des critiques que les protestants adressaient à l’église catholique, mais Rabelais appartient à un autre courant religieux, l’évangélisme. Ce courant est proche du protestantisme, mais n’a pas rompu avec le catholicisme officiel. Défendu par la sœur du roi, Marguerite d’Angoulême, et par la plupart des humanistes, notamment Érasme, il prône la connaissance exacte des textes bibliques, le détachement à l’égard des biens matériels, l’abandon des rites qui gênent l’expression d’une foi sincère. Dans le programme éducatif de Ponocrates, la religion est surtout basée sur la lecture de la Bible, qui permet un rapport direct et vivant avec le texte sacré. Cette lecture est faite à haute voix par le page Anagnostes, avec une prononciation claire et appropriée. Les rites sont rares : cantiques et prières du matin et du soir. L’accent est mis sur l’élan intérieur, la sincérité, la contemplation de Dieu dans ses œuvres (le ciel étoilé). La prière spontanée est valorisée, car c’est le signe d’une véritable piété, reconnaissante et réfléchie. On remarque que la messe n’est pas au programme. La vision qu’a Rabelais de la religion est donc très ouverte. Dans le médaillon de Gargantua (8, l. 88), les êtres androgynes du Banquet de Platon sont associés à une parole de saint Paul. Manière d’associer le message de l’Évangile et la philosophie antique ? Rabelais fait-il parfois une satire des écritures saintes ? « J’ai la parole de Dieu en bouche : j’ai soif » (5, l. 75). Il s’agit plutôt ici d’un humour de moine, toléré au Moyen Âge. L’abbaye de Thélème, un idéal de liberté (52-57) : Cette abbaye utopique se présente comme l’inverse des abbayes18 médiévales : elle est dénuée d’enceinte et donc ouverte sur le monde extérieur (pas de « clôture »), l’âme et le corps y sont réconciliés, les garçons et les filles y sont mélangés (pas de vœu de chasteté), elle est luxueusement décorée (pas de vœu de pauvreté) et on n’a pas besoin d’y travailler... Sa seule règle est une non-règle : « Fais ce que voudras » (57, p. 401). Le mot grec thélèma signifie d’ailleurs « volonté », « libre arbitre ». Par là, Rabelais exprime un idéal de liberté et montre son désaccord total avec les règles des monastères, pesantes et absurdes, qui ne peuvent qu’abêtir les gens qui y sont enfermés. Mais il s’agit d’une utopie aristocratique, qui ressemble plus au château royal de Chambord qu’à une institution religieuse. Car, finalement, il n’est pas vraiment question de religion dans l’abbaye de Thélème. Cette utopie aristocratique s’adresse à une élite : frère Jean, qui est issu du peuple et représente un contre-modèle par rapport à la culture courtoise, n’habitera pas cette abbaye, qui lui était pourtant destinée. 17 Quelques années avant Gargantua, G. Briçonnet, évêque de Meaux, avait chassé de son diocèse les moines cordeliers dont les sermons répandaient une angoisse excessive de la damnation en enfer. 18 Abbaye : monastère gouverné par un abbé (ou une abbesse). 7 4. La réflexion sur le pouvoir royal dans Gargantua La royauté reste de droit naturel et n’est pas critiquée en tant que telle par Rabelais. Mais le roman fait apparaître une opposition très nette et très didactique entre le mauvais roi, impulsif et belliqueux, incarné par Picrochole, et le bon roi, raisonnable et pacifique, incarné à la fois par Grandgousier et son fils Gargantua. La satire du mauvais roi, qui veut la guerre : Le mauvais roi est évidemment incarné par Picrochole, dont le nom signifie en grec : « bile amère », c’est-à-dire « humeur colérique ». Ce mauvais roi a plusieurs défauts : Il est d’abord colérique, belliqueux et agressif (jusqu’à la cruauté). On s’en aperçoit dès le moment où, ayant appris que ses fouaciers avaient été maltraités par les bergers de Gargantua, il mobilise sur-le-champ son armée : « Picrochole, aussitôt, entra dans une colère furieuse et, sans s’interroger plus outre sur le pourquoi et le comment, fit convoquer par tout le pays le ban et l’arrière-ban… » (26, 2e §). L’expression « sans s’interroger plus outre » est une allusion à la devise orgueilleuse de Charles-Quint, « Plus ultra » (« Plus loin encore »). Autre exemple du caractère colérique de Picrochole, la manière dont il ordonne le meurtre de son capitaine Toucquedillon, qui est revenu libre de chez Grandgousier et lui parle de paix (relire le chapitre 47). De même, pendant la bataille finale, il « sortit de sa maison comme un fou furieux, avec quelques hommes armés » (48). Après sa défaite, il emporte sa colère dans sa fuite (voir la fin grotesque du « pauvre colérique » dans le chapitre 49, p. 359). Autre défaut rédhibitoire de Picrochole : sa vanité, qui le rend facilement manipulable par des conseillers flatteurs. L’épisode le plus comique à ce propos est le chapitre 33, où il se laisse persuader par ses conseillers qu’il pourra facilement se rendre maître de l’univers, après avoir vaincu Grandgousier. Le délire mégalomane de Picrochole, qui se promène en imagination avec ses armées dans tout le monde connu à l’époque, sans rencontrer de résistance, est particulièrement loufoque et hilarant. Là encore, pour exprimer sa soif insatiable de conquête, Picrochole ne cesse de répéter « passons outre », parodiant la devise de Charles Quint. Le mauvais roi est donc à la fois crédule et belliqueux, autrement dit bête et méchant. Son vice fondamental est la passion de la guerre, un fléau condamné par les humanistes. Dans le roman, la guerre est montrée comme une aberration qui fait suite à une dispute dérisoire entre les fouaciers de Picrochole et les bergers de Grandgousier (25). L’éloge du bon roi, qui veut la paix : Cet éloge se fait à travers les figures idéales de Grandgousier et de Gargantua et met en relief un idéal de paix. Dès le moment où Picrochole attaque son royaume, Grandgousier montre son pacifisme en faisant tous les efforts pour sauver la paix. Au chapitre 28, sa première réaction, au lieu de se mettre en colère, est de se désespérer et d’attester Dieu qu’il n’est pas responsable de ce qui va se passer (cf. le titre du chapitre : « Comment Picrochole prit d’assaut La Roche- Clermaut, et la difficulté qu’éprouva Grandgousier à entreprendre une guerre »). Après avoir écrit une lettre à son fils Gargantua pour lui demander de revenir, lettre dans laquelle il réaffirme son engagement pour la paix (29), il décide d’envoyer un ambassadeur à Picrochole, qui n’est pas reçu (30) mais qui prononce une belle harangue devant La Roche- Clermaut (31). Puis il décide de rendre les fouaces (pourtant déjà payées) avec de riches cadeaux (32). Voir aussi son discours à Toucquedillon (46). Ensuite, pendant la guerre devenue inévitable, lui et son fis Gargantua montrent leur courage et leur intelligence : recrutement bien organisé, discipline de l’armée (47), prudence tactique pendant la bataille finale (48). Enfin, après la guerre, Gargantua, qui a pris de fait la place de son père, montre sa sagesse et son sens de la justice dans une belle harangue où il offre des conditions généreuses aux vaincus (il en gracie la plupart et châtie seulement les responsables : 50). Comme il s’agit surtout d’assurer la paix future, la victoire doit être respectueuse du droit : c’est pourquoi il organise le pays vaincu sans le piller, ni l’annexer (refus des conquêtes) ; il en confie la garde à Ponocrates, en attendant que le fils de Picrochole, son héritier légitime, devienne majeur. Relire à ce propos la belle fin de son discours, où il voudrait encore essayer de raisonner Picrochole (p. 367). 10 choquer autant qu’aujourd’hui. Il faut les comprendre comme une autre manière, bouffonne et provocatrice, de célébrer les plaisirs du corps (on pense aussi aux débordements du carnaval). Ainsi, quand Gargamelle mange trop de tripes : « O la belle matière fécale qui devait boursouffler en elle ! » (4). Elle est alors prise de diarrhée et il faut employer un « astringent » pour resserrer ses sphincters (6). Une fois né, Gargantua « se conchiait à toute heure » (7). L’enfant Gargantua ne cesse de faire des plaisanteries scatologiques (12, p. 123, 125). Le sommet est atteint au chap. 13, quand il tient à son père tout un discours sur le meilleur « torchecul », en y ajoutant des poèmes de cabinet sur les « fianteurs » et autres propos « torcheculatifs »19. Grandgousier en conçoit une vive admiration pour l’intelligence de son fils... L’urine tient encore une grande importance dans l’adolescence de Gargantua, notamment quand il « compissa » les Parisiens depuis les tours de Notre-Dame (17, p. 153). La grivoiserie : La grivoiserie, le goût pour les propos à caractère sexuel, est une autre manière pour Rabelais de célébrer le corps joyeux, sans tabou. Pour dire que Grandgousier et Gargamelle font l’amour, Rabelais écrit qu’ils « faisaient tous les deux souvent ensemble la bête à deux dos, se frottant joyeusement leur lard » (3). Plus loin dans le même chapitre, le narrateur se montre plus hardi : il invite les veuves enceinte à « jouer de la jarretière » à se faire « rataconiculer »20 en toute liberté, sous prétexte que leur libertinage serait couvert par la loi (l. 50-70). On relève aussi de nombreuses plaisanteries sur la braguette et le sexe masculin. Le narrateur prétend avoir écrit un livre intitulé De la dignité des braguettes. Il rapporte que Gargamelle, prise par les souffrances de l’accouchement, lance à Grandgousier : « Plût au ciel que vous l’eussiez coupé » (6). Et à propos de l’enfant Gargantua : « Et vous savez quoi, les gars […] ce petit paillard toujours tâtait ses gouvernantes […] et déjà il commençait à exercer sa braguette » (11, p. 107). On relève aussi, dans une tradition très masculine, toute sortes de plaisanteries sur la sexualité des femmes. Le narrateur dit par exemple que les lingères ont commencé à froncer les tissus parce qu’elles « besognaient du cul » (8). Mais le champion en la matière est frère Jean, le moine paillard : voir dans le chapitre 39 sa devinette sur le sexe féminin (p. 303, l. 60-72). Le jeu et la fête : Importance des jeux : voir la liste comique des activités ludiques de Gargantua enfant (11) et celle des jeux auxquels il joue plus tard : cartes, jeux de tables, devinettes, jeux de plein air (22). Importance de la fête : voir le banquet joyeux organisé par Grandgousier avec les villageois du voisinage pour manger les tripes, avant la naissance de Gargantua (4) : tous sont de « bons buveurs, bons compagnons et bons joueurs de quille ». Conclusion du chapitre : « c’était un passe-temps céleste de les voir ainsi rire et s’amuser. » Tous ces gens attablés ou dansant « sur l’herbe drue » (p. 71) ne forment-ils pas une communauté plus joyeuse que celle de Thélème ? Voir encore les « Propos des bien ivres » (5). Les farces et l’esprit de carnaval : Rabelais raconte avec un plaisir non dissimulé les farces de Gargantua enfant, par exemple à propos de ses « chevaux factices » (12). Mais les farces de Gargantua adolescent sont plus cruelles, quand il urine sur les Parisiens et vole les cloches de Notre-Dame (17), ou quand il rabaisse en public Janotus de Bragmardo en le faisant boire (18 et 20). Ces farces semblent faire écho à la tradition du carnaval. On a retrouvé le même esprit de carnaval (parfois violent) dans les plaisanteries de Jean des Entommeures (« Jean du Hachis ») massacrant ses ennemis en provoquant chez eux toutes sortes de postures grotesques (chapitres 27 et 44, cf. p. 329-331) ; puis dans le rabaissement final de Picrochole, qui est battu et déshabillé par des meuniers (39, p. 359). On peut penser aussi aux acrobaties de Gymnaste sur son cheval, jouant encore du mot « diable » (35, p. 279). Mais c’est frère Jean surtout qui incarne, par sa vitalité et son ironie, la violence subversive du carnaval. 19 Remarquer la saveur de ce néologisme, à la fois scatologique et savant (par son suffixe « -atif »). 20 Sur ce néologisme, qui est aussi un mot-valise, voir la note 4 p. 67. 11 6. La langue joyeuse dans Gargantua L’entrée du carnaval en littérature se manifeste aussi, dans Gargantua, par un goût prononcé pour les jeux de mots et les jeux littéraires. Faire s’entrechoquer les mots, les transformer, les inventer, les accumuler de manière comique ou lyrique, jouer sans cesse avec les attentes du lecteur, telles sont les marques du génie littéraire de Rabelais. Sa fantaisie reste inégalée parmi les auteurs de langue française. Richesse et saveur du vocabulaire : La richesse du vocabulaire de Rabelais est sans égale dans l’histoire de la littérature française. Beaucoup de mots courants aujourd’hui apparaissent pour la première fois dans ses romans. L’introduction de votre édition en donne une liste quasi complète (p. 30-32). On peut citer « étriper » (43), « panique », « culbuter » (44 p. 333), « à tire-larigot » (7)... Rabelais adore les mots aux sonorités pittoresques et savoureuses, qu’il puise dans la langue populaire de son époque et que les spécialistes modernes ont parfois du mal à interpréter : « emburelucocquer » (emberlificoter ? chap. 6, l. 69), « tabuster » (tarabuster ? chap. 6, l. 86)… Voir notamment les mots étonnants qu’il emploie pour raconter le massacre accompli par frère Jean au chapitre 27 (p. 231, l. 89-95). On perd beaucoup de cette saveur en français moderne. Il s’amuse aussi à inventer des mots au sonorités comiques : « matagraboliser » (19, l. 19). Ces néologismes de Rabelais sont parfois des mots valises21 : « matéologiens » contient le mot grec « matéo- » qui signifie « vain », mais il contient aussi par ses sonorités le mot « théologien » (15). Des noms de personnages particulièrement suggestifs : Parmi tous les noms des personnages du roman, on trouve, à côté de ceux qui sont tirés du grec, des noms aux racines bien françaises et aux consonances savoureuses : Gargamelle, fille du roi des Parpaillons (= parpaillots, autre nom des protestants ?) ; Philippe des Marais, vice-roi de Papeligosse (anagramme d’Érasme et allusion au papier ?). À cela, il faut ajouter tous les noms drolatiques des sots et des méchants de l’histoire. Il s’agit d’abord des théologiens : Thubal Holopherne, Jobelin Bridé (14), Janotus de Bragmardo (18). Il s’agit ensuite des mauvais conseillers de Picrochole : Trepelu (= « très poilu »), Merdaille (de « merde », 31), Tripet (de « tripe », 34), Hâtiveau (mot-valise : « hâte » + « veau », 42), Menuail (de « menu » = petite taille ?), Tiravant (« se tire avant »… la bataille ? 43)… Calembours et autres jeux de mots : Rabelais adore fabriquer des étymologies fantaisistes à partir de calembours plus ou moins approximatifs22. Ainsi, le nom de Gargantua viendrait de l’exclamation de son père : « Quel grand… tu as ! » (6). De même, le nom de la Beauce (province française) viendrait de l’exclamation de Gargantua : « Je trouve beau ce (= cela) » (16, p. 151). Plus farfelu encore, le nom de Paris viendrait de l’expression « par ris » (= « par rire », 17 p. 153). Il adore, bien sûr, tous les jeux de mots fondés sur la paronomase. Gargantua déclare à son père : « en rimant souvent m’enrhime » (= m’enrhume, 13 p. 131). Frère Jean répond à son prieur qui l’accuse de troubler « le service divin » : « - Mais, le service du vin… » (27, p. 229). Le moine, non sans finesse, dénonce ainsi la clôture des abbayes : « là où il y a des murs, il y a force murmures, envies et conspirations mutuelles » (52, p. 375 : jeu sur la syllabe « mur »). Dans « Les propos de bien ivres » du chapitre 5, relevons ce vrai calembour : « Dieu créa les planètes, nous faisons les plats nets »… Le jeu de sonorité se prolonge parfois sur une phrase tout entière, créant un effet burlesque de répétition. Le narrateur termine ainsi le portrait de frère Jean : « et pour tout dire en un mot, vrai moine s’il en fut jamais depuis que le monde moinant moina de moinerie » (27). Dans cette 21 Un mot-valise est un mot qui contient un ou plusieurs autres mots (il est formé par la fusion de deux autres mots ou plus). 22 Calembour : jeu de mots fondé sur l’homophonie. Il faut donc, pour faire un vrai calembour, répéter exactement les mêmes syllabes, mais avec un autre sens. Souvent, Rabelais se contente de répéter des syllabes presque identiques, jouant sur la paronymie (d’où le mot « paronomase »). 12 phrase, le néologisme « moiner » est répété sous différentes formes). Un procédé similaire apparaît en latin dans le discours de Janotus de Bragmardo à partir du verbe « clocher » (chapitre 19, p. 163). Proverbes détournés : Rabelais s’est beaucoup amusé aussi à jouer avec les proverbes, à les subvertir, les retourner. Dans le 2e § du chapitre 11, pour décrire les bêtises du petit Gargantua, il prend plaisamment (et sur une page entière) le contrepied de toute une série de proverbes et de locutions populaires. Voir aussi le dialogue de la fin du chapitre 33, où Échéphron retourne le proverbe de Spadassin. Voir enfin le jeu sur les sens propre et figuré des expressions : « Avoir le moine » (43), « donner le moine » (45) : la première signifie au XVIe siècle que l’on s’est laissé berner, l’autre que l’on joue un mauvais tour. Mais, chaque fois, il s’agit en fait de frère Jean, le moine du roman, dont la capture fera le malheur des soldats de Picrochole ! Plaisir des accumulations et des listes : Rabelais multiplie dans son roman les énumérations ou accumulations, parfois sous forme de listes, pour produire des effets variés : fantaisiste, comique, lyrique… parfois sociologique. Dès le prologue, ces accumulations donnent à l’éloge de Socrate une dimension à la fois comique et lyrique. On peut citer aussi les listes des « Propos de (gens) bien ivres » (5), des bêtises de Gargantua enfant (11), des « torcheculs » qu’il invente (13), des jeux qu’il pratique (22), des saints ridicules invoqués par les soldats de Picrochole (27)… Jeux du narrateur avec son lecteur : Dès la page de titre, le narrateur joue avec le lecteur en se donnant un pseudonyme comique Alcofribas Nasier, qui est en fait l’anagramme de François Rabelais. Le jeu de masque continue avec l’apposition : « abstracteur de quinte essence ». Le narrateur serait-il un alchimiste ? Sans cesse, ensuite, le narrateur provoque et apostrophe son lecteur, soit pour l’inciter à mieux comprendre le sens de ses paroles (prologue, l. 30 et suivantes), soit pour le rendre complice de ses plaisanteries salaces (voir par exemple le chapitre 3 p. 67, l. 52-55). Ou encore, il lui adresse des menaces bouffonnes (chapitre 4, l. 2). Il instaure donc un dialogue constant avec son lecteur. Mélange des genres et des registres, goût de la parodie : Souvent, les registres grave et burlesque se succèdent sans que le lecteur sache bien si le narrateur plaisante ou s’il parle sérieusement. Dans le prologue, par exemple, après l’éloge de Socrate, on s’attend à une œuvre sérieuse : il faudra se méfier des apparences et « à plus haut sens interpréter » le texte (p. 41). Mais juste après survient une pirouette bouffonne du narrateur (noter la contradiction entre les l. 51-52, 71-81 et les l. 82-105). On se demande alors si on va lire une méditation philosophique ou un discours d’ivrogne. Rabelais joue évidemment de cette ambiguïté. Ce qui peut aussi charmer (et désorienter) le lecteur, c’est le mélange des genres qui apparaît dans l’œuvre : ainsi, de nombreux poèmes sont insérés dans le récit23. Quant au récit lui-même, s’agit-il d’une histoire de géants, d’un roman d’éducation, d’un apologue sur le bon gouvernement, d’un roman de chevalerie ? Tout cela à la fois sans doute… Mais certains de ces aspects de l’œuvre sont franchement comiques, d’autres semblent tout à fait sérieux, d’autres encore sont traités sur le mode burlesque, sous forme de parodie24. Rabelais parodie par exemple les romans de chevalerie : il transforme les récits de combat en jeux de massacre ou bien en petits cours burlesques d’anatomie (par l’emploi surprenant du vocabulaire médical). Voir à cet égard les chapitres 27 et 44, qui décrivent les exploits de frère Jean (on trouve une belle parodie de comparaison épique p. 331-332, dans les l. 55-63). Ne va-t-il pas jusqu’à parodier la Bible elle-même ? 23 On trouve des poèmes dans les chapitres 2, 13, 54 et 58, sans compter le poème « Aux lecteurs » 24 La parodie consiste à employer de manière caricaturale les procédés d’un genre littéraire reconnu, pour amuser les lecteurs. L’intention est plus ou moins moqueuse.
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