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Gargantua Prologue Analyse Linéaire, Lectures de Français

Prologue de Gragantua, étudié sous forme d'analyse linéaire, cours sur l'argumentation, première, bac de français

Typologie: Lectures

2021/2022
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Téléchargé le 13/11/2022

lou-26
lou-26 🇫🇷

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Télécharge Gargantua Prologue Analyse Linéaire et plus Lectures au format PDF de Français sur Docsity uniquement! GARGANTUA DE FRANÇOIS RABELAIS Quelle conception paradoxale de lecture Rabelais développe–t–il dans le prologue de Gargantua ? Introduction Issu du grec « pro- » et « logos » qui signifie ce qui précède le discours, le prologue désigne, dans l’Antiquité, la partie d’une œuvre théâtrale qui précède la pièce elle-même, dans laquelle un personnage vient présenter le sujet, avant l’entrée du chœur. Dans les œuvres modernes, il s’agit d’un texte introductif, à la manière d’une préface, qui peut remplir différentes fonctions, qu’elles soient explicatives, justificatives, critiques, polémiques. François Rabelais ouvre son Gargantua par un prologue en prose qui prolonge l’ « Avis aux lecteurs » en vers. Ce dernier plaçait le livre sous le signe du rire et de la légèreté, comme s’il s’agissait d’un ouvrage futile : « vrai est qu’ici peu de perfection/ Vous apprendrez, sinon en cas de rire ». Le prologue souligne-t-il lui aussi la futilité voire la grivoiserie du livre ou montre-t-il que cette légèreté cache en fait une réflexion beaucoup plus riche ? En somme, quelle conception paradoxale de lecture Rabelais propose-t-il dans ce prologue ? [Prévoir l’annonce du plan] I. Une invitation à s’amuser 1. Une relation auteur-lecteur placée sous le signe du jeu et de la complicité La voix d’Alcofribas Nasier, prétendu auteur, anagramme de François Rabelais, pseudonyme comique sous lequel se dissimule F. Rabelais lorsqu’il publie Pantagruel et Gargantua, retentit dès le prologue. Alcofribas y interpelle constamment ses lecteurs : « Buveurs très illustres et vous vérolés très précieux (c’est à vous, à personne d’autre que sont dédiés mes écrits) » (p. 47), « à votre avis » (p. 49), « mes bons disciples » (p. 49), « mes amours » (p. 53). L’auteur se met lui-même en scène par la voix qu’il fait entendre à la première personne du singulier : il fait référence à son œuvre : « mes écrits », « mes livres » (p. 53) comme aux livres populaires dont il s’est inspiré : « Gargantua, Pantagruel, Fessepinte, La Dignité des braguettes, Des Pois au lard assaisonnés d’un commentaire » (p. 49). Est donc définie une situation de lecture réunissant des lecteurs et un auteur. Il s’agit de la mise en place d’une situation classique dans un prologue. En effet, comme traditionnellement, le prologue est une sorte de seuil, d’entrée en matière, où un auteur annonce à ses lecteurs les enjeux du récit et établit un programme. La fantaisie de ce prologue réside dans le fait que Rabelais précise à quel lecteur il s’adresse. Et il ne s’adresse pas à n’importe qui. Il dresse ici le portrait du lecteur tel qu’il le voudrait : l’apostrophe initiale « Buveurs très illustres et vous vérolés très précieux (c’est à vous, à personne d’autre que sont dédiés mes écrits) » fait référence à un lectorat bachique, à un public de bons vivants appelé ici par Rabelais. Ce public d’élection est salué par les superlatifs absolus qui nous introduisent dans une épopée du corps et de ses plaisirs que pourrait être l’œuvre rabelaisienne. On peut rapprocher cette apostrophe initiale de l’inscription figurant aux portes de l’abbaye de Thélème : « Ci n’entrez pas, hypocrites, bigots / Vieux matagots, souffreteux bien enflés […] Ci entrez, et soyez les bienvenus / Bien réussis, vous tous, nobles chevaliers […] Vous serez mes intimes et mes familiers  : / Gaillards et délurés, joyeux, plaisants, mignons, / Tous de la classe des gentils compagnons » (chap. 54, p. 361-363). Cette inscription commence par le public dont on ne veut pas, avant de préciser à qui elle est ouverte. La logique en est donc inversée par rapport au prologue. Le début et la fin de l’œuvre se répondent. Surtout, ce livre, comme l’inscription aux portes de l’abbaye, est refusé aux hypocrites que sont les moines, les maris jaloux, les rabat-joie (…) alors que l’auteur réserve son meilleur accueil aux gens de bonne compagnie. Le lecteur de Gargantua se doit donc d’être un bon vivant, il doit être à l’image du livre, « plein de pantagruélisme ». D’ailleurs Rabelais l’exhorte, dans la péroraison finale du prologue, à lire en buvant et en se réjouissant : « A présent, réjouissez-vous, mes amours, et lisez gaiement la suite pour le plaisir du corps et la santé des reins. […] Souvenez-vous de boire à ma santé […] » (p. 53). Le prologue se clôt comme il avait commencé, sur le plaisir bachique (plaisir procuré par Bacchus, le dieu du vin) : de l’apostrophe initiale (« Buveurs très illustres ») à l’admonestation en clôture (« Souvenez-vous de boire à ma santé »), le prologue sonne comme une promesse de beuverie amicale à l’adresse du lecteur. Certes, ces propos ont pour énonciateur Alcofribas Nasier mais ils instaurent le vin comme une valeur majeure dans l’œuvre de Rabelais. En outre, le fait que ce prologue s’ouvre sur une allusion au Banquet de Platon semble bien référer à la convivialité et à un appétit tout rabelaisien. L’écrivain lui-même semble ne pas se prendre au sérieux. Il affirme « avoir une solide réputation de bon vivant et de joyeux compagnon » (p. 53). Il prétend même avoir écrit son livre en buvant et en mangeant : « car, pour composer ce livre seigneurial, je n’ai jamais perdu ni passé d’autre temps que celui qui était fixé pour me refaire, c’est-à-dire pour boire et manger » (p. 51-53). Rabelais n’est pas de ces auteurs laborieux qui travaillent durement pour construire des textes complexes au sens hermétique. Il écrit avec insouciance, sans se mettre en peine, en buvant, en mangeant, en s’adonnant à d’autres besognes corporelles. C’est cette conception de l’écriture que défend Rabelais à la fin du prologue (p. 53) à travers le jeu d’opposition entre le vin et l’huile. Il s’agit en fait de l’opposition entre deux modes d’écriture : les écrits qui sentent l’huile sont ceux qui ont été écrits avec peine, à la clarté des lampes à huile sur une table de travail, par des auteurs laborieux. Les écrits qui sentent le vin sont ceux qui sont écrits avec bonne humeur et désinvolture. Du côté du vin, Rabelais range auprès de lui Homère, et surtout Horace, poète des plaisirs raffinés que cultivent les épicuriens. Du côté de l’huile, il place l’orateur Démosthène, un maître de la rhétorique, donc des discours très construits, organisés, soigneusement préparés. Mais le vin et l’huile s’opposent pour une autre raison : le vin situe l’écriture du côté de l’inspiration et non du travail. L’écriture est spontanée, aisée, parce qu’elle est guidée par un dieu ou par une force inspiratrice. Il faut comprendre cette inspiration au sens propre : inspirer c’est souffler, remplir quelque chose d’un souffle spirituel. Grâce au vin, Rabelais est inspiré, une énergie lui souffle ses idées. C’est la raison pour laquelle l’auteur fait un véritable éloge du vin en recourant à la comparaison et à la paronomase (ressemblance phonétique des mots) : « le bouquet de vin est, ô combien, plus friand, riant, priant, plus céleste et délicieux que celui de l’huile  ! ». L’énumération des adjectifs suit un crescendo qui va du corps à l’âme, depuis le plaisir des sens («  friand »), jusqu’à celui de l’esprit (« riant ») pour déboucher enfin sur la joie de l’âme, sa ferveur spirituelle (« priant ») : volupté, gaieté, piété. Comme l’amour chez Or, chez le silène, l’extérieur est différent de l’intérieur ; Donc, chez Socrate, l’extérieur est différent de l’intérieur. • Alcofribas parle de son livre et dit qu’il est semblable à un silène ; Or, chez le silène, l’extérieur est différent de l’intérieur ; Donc, dans le livre, l’extérieur est différent de l’intérieur. Dans un second temps, Rabelais utilise à nouveau l’analogie, cette fois fondée sur l’expérience commune : « Car vous dites vous-mêmes… » (p. 49) : • Le bon sens dit que l’habit ne fait pas le moine. • Le bon sens dit que le titre ne révèle pas le contenu. Il peut ainsi conclure sur la différence entre l’aspect extérieur et la réalité profonde : « C’est alors que vous vous rendrez compte que l’ingrédient contenu dedans est de bien autre valeur que ne le promettait la boite » (p. 49). On voit que le raisonnement est suivi avec rigueur, et que, dès le début, il tend à la conclusion : les arguments s’enchaînent nettement : « A quel propos… ? », « Pour autant que… », « Mais par telle légèreté… » ; « Car vous dites vous-mêmes… », « C’est pourquoi… », « C’est alors que vous vous rendrez compte ». La conclusion est écrite dans un ton grave et sentencieux ce qui met en valeur le propos sérieux de l’auteur. Ces métaphores enchâssées présentent une convergence : la dualité, ou plutôt le passage de l’apparence à la vérité : il faut savoir dissocier l’apparence extérieure et le contenu intérieur. La laideur physique de Socrate et son incapacité dans la vie courante cachent un savoir divin. Ces métaphores invitent donc à la lecture allégorique du texte de Rabelais : les récipients que Rabelais nomme « silènes », en référence à Silène, maître particulièrement laid qui instruisit le dieu Bacchus, contiennent des drogues ou des pierreries de grande valeur, malgré les figures affreuses qui les ornent : nous voici donc invités à interpréter les figures grotesques du roman de Rabelais et à voir sous les géants de véritables humanistes, sous les désordres de Frère jean la force inextinguible de la joie. C’est donc une invitation à chercher un sens caché dans cette œuvre, « l’altior sensus » de l’exégèse biblique, c’est-à-dire le sens le plus profond, au-delà du sens littéral. Il ne faut donc pas se fier au titre ou aux facéties de l’aventure. Gargantua est un bréviaire humaniste dissimulé au cœur d’un ouvrage carnavalesque, de même que Socrate est présenté comme « toujours dissimulant son divin savoir ». Rabelais nous convie donc à une lecture stéganographique (qui recherche le sens caché de l’œuvre sous le sens apparent). Le livre devient lui-même un silène. 2. Un lecteur, chasseur de vérité Parallèlement à la question de l’interprétation du roman, le prologue donne une image de ce qu’est un bon lecteur. Après avoir, dans le dizain de l’ « Avis aux lecteurs », indiqué dans quel esprit il convient de lire son livre, Rabelais précise, dans le prologue, la manière qu’il faut employer en exhortant ses lecteurs à chercher eux-mêmes une signification profonde grâce à une image saisissante qui consiste à « rompre l’os et sucer la substantifique moelle » - expression qui est passée dans le langage courant -. La comparaison du lecteur avec le chien qui brise, « entomme » ( // Frère Jean des Entommeurs !!), l’os puis qui trouve à l’intérieur la « substantifique moelle » suggère que le bon lecteur devra être un chasseur de vérité. Car il ne s’agit pas de n’importe quel chien : «  léger à la poursuite et hardi à l’attaque », ayant « le discernement de humer, sentir et apprécier » (p. 51), c’est évidemment d’un chien de chasse rapide et courageux que parle Rabelais. Cette image de la chasse de sagesse, joue un rôle important dans l’histoire des connaissances : elle suggère d’abord que la vérité définitive ne peut jamais être atteinte, car cette chasse intellectuelle était essentiellement adoptée par les mystiques qui ne cherchaient que Dieu. Depuis longtemps, ils avaient compris que, plus l’esprit humain croit approcher ce dernier, plus il s’en éloigne – un peu comme Socrate qui déclarait ne savoir qu’une chose : son ignorance. Cette métaphore de la chasse de sagesse suggère également que la vérité ne peut être atteinte que par intuition («  instinct », « humer », « sentir » p. 51) par flair, en adoptant une méthode fondée sur le hasard et en suivant des indices minuscules. Ce qui est important de comprendre en fin de compte c’est que l’image de la chasse convoque un lecteur aimant à chasser la connaissance, le savoir et la sagesse, capable de suivre sa piste et de la débusquer non seulement dans la « haute graisse » (p. 51) extérieure de la proie mais aussi jusqu’au fond de l’os. Ce lexique de la chasse donne une image concrète des vertus nécessaires au lecteur. Outre le comportement du chien de chasse, une autre comparaison est employée dans le Prologue pour définir la bonne lecture : le chant des sirènes (p. 49). Elle est l’antithèse de la précédente. Avant de faire l’éloge du chien de chasse, découvreur du sens allégorique, Rabelais nous avertit en effet de ne pas nous laisser figer par ce chant, métaphore du sens littéral : « il faut pourtant ne pas s’arrêter là, comme enchanté par les Sirènes » (p. 49). Il s’agit bien sûr d’une allusion au chant XII de L’Odyssée d’Homère où Ulysse faillit de laisser mourir, immobilisé et fasciné par les voix des sirènes. L’antithèse entre ces deux images – celle du chien et celle des sirènes – est double : • D’une part, les sirènes représentent le sens «  littéral » et le chien le « haut sens » ; • D’autre part, les sirènes incarnent l’immobilité et le chien, le dynamisme.  Des sirènes au chien, ou comment passer d’une lecture heuristique à une lecture herméneutique. Aux yeux de Rabelais l’interprétation du sens allégorique est donc un mouvement dynamique. De fait les opérations de l’intelligence allant d’une hypothèse à une conclusion sont depuis longtemps assimilées à un mouvement de l’esprit. Enfin, le projet de Rabelais n’est pas d’imposer une vérité mais de nous contraindre à interroger la manière dont nous lisons un texte et pensons accéder à la vérité. Son intention est donc de nous inviter non pas à trouver une interprétation unique mais à élaborer une méthode d’interprétation, fondée sur le principe du jeu entre « bons compagnons » et de la chasse. D’ailleurs, Rabelais engage ses lecteurs à ne pas accorder de crédit aux interprétations farfelues que certains commentateurs ont pu faire de L’Iliade ou de L’Odyssée d’Homère ou des Métamorphoses d’Ovide. En effet, comparant son œuvre, « ces joyeuses et nouvelles Chroniques », à celles d’Homère ou d’Ovide, il évoque les interprétations qui en ont été tirées pour mieux les condamner. Le lecteur de Gargantua doit avoir un rôle actif, certes, mais avec discernement. La dernière définition que Rabelais donne de son œuvre est particulièrement déroutante voire déceptive : l’oxymore métaphorique « révérez ce cerveau de formage blanc » joue à détruire par avance toute possibilité de sens. De même, l’antithèse entre l’affirmation de la nécessité d’une interprétation « dans le sens de la plus haute perfection » et la réduction ironique de l’œuvre à de « belles billevesées » laisse planer le spectre de l’aporie sur l’œuvre.  La profusion du prologue a donc de quoi faire tourner la tête du lecteur : il multiplie les références antiques les plus diverses, prose et poésie, il réunit l’antique figure tutélaire de Socrate et le modèle des humanistes, Erasme, à travers ses Adages, il glisse du rire au sérieux et du sérieux au rire, ou plutôt entremêle l’un à l’autre. Mais au passage, il n’oublie pas de livrer les thèmes majeurs du roman : « notre religion […] la situation politique et la gestion des affaires ». Profusion de références, multiplicités de tons, thèmes majeurs, le roman est déjà là tout entier, dans son prologue. Le récit peut commencer.
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