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GUILLAUME APOLLINAIRE LES VIEILLES CHANSONS, Notes de Poésie

Prose ou vers, l'œuvre de Guillaume Apollinaire atteste qu'il accueillait volontiers le ... rable voyage, sous le titre La Petite Auto (1), débute ainsi :.

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 08/06/2022

Damien_94
Damien_94 🇫🇷

4.6

(71)

531 documents

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Télécharge GUILLAUME APOLLINAIRE LES VIEILLES CHANSONS et plus Notes au format PDF de Poésie sur Docsity uniquement! GUILLAUME APOLLINAIRE ET LES VIEILLES CHANSONS Les amis de Guillaume Apollinaire ne lui reconnaissent pas une grande sensibilité musicale : les souvenirs de Mme Louise Faure-Favier s'accordent là-dessus avec ceux de M. André Billy (1). Mais il n'est besoin ni d'éducation ni de goût musical pour trouver intérêt à la chanson — assez de chansonniers et de chanteurs nous le prouvent — et moins encore pour entendre des chansons passer dans la mémoire, les laisser monter aux lèvres, inventer même, ou croire qu'on invente, des rythmes, des mélodies. Prose ou vers, l'œuvre de Guillaume Apollinaire atteste qu'il accueillait volontiers le souvenir de chansons d'étudiants, de carabins ou de soldats, avec leurs propos sans réserve, voire celui de sonneries militaires qui, pour lui, n'étaient pas préci­ sément des romances sans paroles. Il avait aussi, au témoignage de M. André Billy, « la manie de chantonner en composant ses vers. Un air mélancolique fait de quatre ou cinq notes dont il s'aidait pour garder le rythme- Il chantonnait comme un enfant très absorbé dans son jeu ». Quel dommage qu'on ne puisse préciser quels étaient ces airs ou ces rythmes et pour quelles pièces ? Mais notre oreiïie ne reconnaît-elle pas en quelques poèmes d'Apollinaire des ryth­ mes de vieilles chansons ? Guillaume Apollinaire paraît avoir porté aux vieilles chan­ sons de France presque autant d'intérêt que Gérard de Nerval, (1) Louise Faure-Favier, Souvenirs sur Apollinaire (1945) ; André Billy, Apollinaire vivant (1923) et Intimités littéraires (1932), p. 198-200. 312 LA REVUE avec moins'de délicate fraîcheur, peut-être, et de joie de décou­ verte. En un petit récit intitulé Les Noëls de la rue de Buci (1), il a curieusement reproduit des Noëls de différentes régions de la France entendus un soir de réveillon, peu d'années avant la guerre de 1914, dans un caveau du quartier, et voici comment il les présente : « Les Noëls ne sont-ils point parmi les plus curieux monuments de notre poésie religieuse et populaire ? Ce sont, en tout cas, les ouvrages qui reflètent peut-être le mieux l'âme et les mœurs de la province dont ils viennent. » De son ami André Salmon, un de ses compagnons au réveil­ lon des Noëls, il écrivait en 1908 : « S'il se rattache aux grands poètes de son époque, c'est à travers ce symbolisme populaire dans lequel il puise souvent son inspiration et qui est la source la plus limpide où puisse s'étancher la soif lyrique... Mais ^u'on ne s'attende point à trouver ici de la poésie artificielle composée sous prétexte de folklore. Toute affectation savante est bannie des poèmes d'André Salmon. Une chanson précise et mysté­ rieuse rechante dans sa mémoire au rythme des battements ae son cœur. Une de ces chansons qui, malgré les transformations qu'elles ont subies à travers les âges, les voyages et les langages, sont peut-être les plus anciens monuments de la pensée poé­ tique, une de ces chansons, que l'on chante parfois encore a ix enfants et qu'on recueille .de la bouche des vieilles femmos, revient l'émouvoir, et de la bouche d André Salmon il sort alors, parce que ce thème l'a inspiré, une chanson nouvelle, ni moins pure, ni moins précise, ni moins mystérieuse (2)... » Analyse d'inspiration, de genèse, applicable à certains poèmes d'Apollinaire où se prolonge et rebondit l'écho d'une chanson ancienne. * On rencontre bien aussi chez Guillaume Apollinaire quelque . chose de cette « poésie artificielle composée sous prétexte Je folklore », qu'il se félicitait de ne pas trouver chez André Sal­ mon. Ce ne sont pas tout à fait des pastches ; du moins, iC pastiche y est toujours volontairement incomplet ; un moment (1) Dans Le Flâneur des deux rives (11)18). (2) Vers et prose, juillet-août 1908, p. 122. GUILLAUME APOLLINAIRE 315 temps de paix ». Or la pièce d'Apollinaire qui relate ce mémo­ rable voyage, sous le titre La Petite Auto (1), débute ainsi : Le 31 du mois d'août 1914 Je partis de Deauville un peu avant minuit Dans 4a petite auto de Rouveyre... 31 août, au lieu de 31 juillet ou de 1er août, cela ne saurait être, en l'espèce, et pour un tel événement, inadvertance, oubli. Mais une chanson bien connue a justement pour titre : Le 31 du mois d'août ; en voici les deux premiers couplets et les deux avant-derniers : i Le trente et un au mois d'août Nous vîmes venir sous l'vent vers nous Une frégate d'Angleterre, Qui fendait l'air et puis les eaux, Voguant pour aller à Bordeaux. Le capitaine, un grand forban, Fait appeler son lieutenant : — Lieutenant, te sens-tu capable, Dis-moi, te sens-tu z'aesez fort Pour prendre l'Anglais à son bord ? Vir' lof pour lof en bourlinguant Je l'abordions par &on avant. A coup de haches d'abordage, De piq', de sabr', de mousquetons, En trois cinq sec, je l'arrimions. Que dlra-t-on du grand rafiot, En Angleterre et à Bordeaux, Qu'a laissé prendre son équipage Par un corsaire de six canons, Lui qu'en avait trente et si bons ? N'est-il pas probable que, dans l'auto qui filait en toute hâte vers Paris, le souvenir de cette chanson de combat et de victoire s'éveillait dans l'esprit de Guillaume Apollinaire, et aussi dans son cœur ? Les deux dates se sont alors « surimposées » : la plus ancienne, avec son quantième, trente et un, la formule du mois et sans doute la prononciation a-oût, domine> chantant l'ardeur et l'espérance ; le millésime, qui appartient à la date la plus récente, nous remet devant la nouvelle et incertaine réalité ; du même coup, le souvenir initial s'abolit et le rythme comme la pensée deviennent tout autres. (1). Dans GaVAgrammes, en tête des poèmes de la guerre. 316 LA REVUE Quelque douze années plus tôt, Guillaume Apollinaire avait connu, dans un séjour sur les bords du Rhin, la légende de la Loreley, et en avait tenté une adaptation française d'après la ballade en « vieux neuf » qu'avait fabriquée Clemens Brentano. Il s'était efforcé de donner à son poème une allure ancienne et populaire ; pour cela, il avait traité librement les e sourds, tan­ tôt comptés dans le vers et tantôt négligés (évêq', pierr'ries, homm's, flamm's), et il avait introduit dans le rythme de son vers quelque irrégularité. Ce rythme n'en est pas moins, en général, celui de l'alexandrin, comme on le voit clairement dans les premiers distiques (1). LA LORELEY A Bacharach il y avait une sorcière blonde Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde Devant son tribunal l'évêque la fit citer D'avance il l'absolvit à cause de sa beauté O belle Loreley aux yeux pleins de pierreries De quel magicien tiens-tu ta sorcellerie Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits Ceux qui m'ont regardé êvêque en ont péri Mes yeux ee sont des flammes et non des pierreries Jetez jetez aux flammes cette sorcellerie... On est d'autant plus étonné de constater que les deux pre­ miers vers sont d'un autre rythme. Le second, avec ses 13 (ou 14) syllabes de rythme indécis, peut bien être tenu pour un alexandrin volontairement imparfait, comme plus loin (v. 20) : Mon cœur me fit si mal du jour où il s'en alla; mais le premier enferme ses 14 syllabes en un rythme si régu­ lier, 4, 4, 4 + 2 : A Bacharach il y avait une sorcière blonde, qu'il est bien difficile de le tenir pour une altération populaire de l'alexandrin. Rappelons-nous maintenant qu'on connaissait à Paris, dans les environs de 1900, une chanson des provinces de l'Ouest, qu'une chanteuse à la mode avait mise dans son (1) Dans Alcools, parmi les Rhénanes ; la pièce, publiée en 1903, est datée de mai 1902. GUILLAUME APOLLINAIRE 317 répertoire et que Guillaume Apollinaire ne pouvait guère igno­ rer, La jolie fille de Parthenay; cette chanson commence ainsi : A Parthenay il y avait Une tant belle fille, L'était jolie et Psavait bien, Mais elle aimait qu'on lui dis', voyez-vous. J'aime Ion la landerirette, J'aime Ion la landerira. Le premier vers de La Loreley, si on le chante, se superpose exactement aux deux premiers vers de la chanson poitevine, avec une formule identique : ( Bacharach ( sorcière blon-on-de A ] il y avait \ ( Parthenay ( tant belle fi-i-lle. N'est-il pas probable que, cette fois encore, Apollinaire a commencé sa pièce sur le timbre d'une chanson d'allure ancienne pour la continuer dans un ton et dans un rythme tout diffé­ rents ? Notons que le texte allemand de Brentano : Zu Bacharach am Rheine Wohnt eine Zauberin Die war so schôn und feine Und risz viel Herzen hin, n'imposait pas à Apollinaire sa formule du premier vers. On est tenté dès lors de reconnaître, au début de la pièce intitulée Le Pont Mirabeau (1), Sous le Pont Mirabeau coule la Seine Et nos amours Faut-il qu'il m'en souvienne... un souvenir de la vieille ronde joyeuse Sur le pont d'Avignon, et la pièce, qui se clôt sur la répétition de ce premier vers rendu par là plus caractéristique, trouverait dans cette interprétation un accent d'ironie plus poignant. Ces débuts sur des thèmes connus et des rythmes chantants (1) Alcools. 320 LA REVUE pour traduire une hésitation, une retenue du sentiment : la coupe du vers est en effet une ponctuation et Apollinaire le savait bien ; cette recherche de coupes est visible dans telle pièce dont on peut comparer les états successifs, comme La Nuit d'avril 1915. Cela revient à dire que ce petit poème est en ter­ cets du type 10 a 10 a 10 a suivis chacun d'un refrain en 7 b 7 b. On pourra noter que le premier et le dernier des tercets riment en aine. Lisons maintenant une de -ces charmantes romances du Moyen Age, qu'on nommait, au début du XIIP siècle, « chansons d'histoire » ou « chansons de toile », et qui sont des chansons d'amour à personnages, celle de Gaieté et Oriour ; nous en citons les deux premières et la dernière strophe : Le samedi al soir faut la semaine ' Gaieté et Orior, serors germaines, Main à main vont baignier à la fontaine. Vente l'ore et 11 raim crollent : Qui s'entraiment soef dorment ! L'enfes Gerarz revient de la quintaine, S'a choisie Gaieté sour la fontaine : Entre ses braz l'a prise, soef l'a étreinte. Vente l'ore et li raim crollent ; Qui s'entraiment soef dorment ! L'enfes Gerarz et Gaie s'en sont torné, Lor droit chemin ont pris vers la cité. Tantost corn il 1 vint l'a esposé. Vente l'ore et li raim crollent : Qui s'entraiment soef dorment ! Même dessin rythmique que dans Le Pont Mirabeau, même disposition de rimes, partiellement mêmes rimes ; de plus, même rythme, même disposition, même construction grammaticale et même mouvement du refrain. L'on croira difficilement à une rencontre fortuite. Mais Apollinaire connaissait-il ce charmant vieux poème ? Comment ne l'eût-il pas connu : Gaieté et Oriour figure en tête de la partie réservée à la poésie lyrique dans la petite Chrecto- mathie du Moyen Age de Gaston Paris et Ernest Langlois, clas­ sique bien avant 1900. Peut-être maintenant comprendrons-nous le vers final, un GUILLAUME APOLLINAIEE 321 peu mystérieux, de la dernière strophe de Marie, pièce qu'on ne peut séparer du Pont Mirabeau (1) : Je passais au bord de la Seine Un livre ancien sous le bras Le fleuve est pareil à ma peine Il s'écoule et ne tarit pas Quand donc finira la semaine C'est que, quand « le samedi al soir faut (s'achève) la semaine », l'enfant Gérard épouse Gaieté : bénie serait cette an de semaine où Marie — nous savons bien qui elle est et combien Apollinaire a désiré l'épouser, — cette Marie, sans doute déta­ chée un moment de Guillaume, deviendrait en effet la femme du poète. * ** « Et les temps sont proches », écrivait, il y a déjà quinze ans, l'auteur d'une étude sur Apollinaire (2), « où les sorbonna- gres, avec force révérence et mainte bonnetade, entraîneront Guillaume Apollinaire vers la salle de dissection ». Serai-je traité de « sorbonnagre » (les rimes à ce mot sont bien désobli­ geantes) ? Je n'ai pas tenté de dissection : j'ai écouté le chant du poète et j'y ai perçu des modulations dès longtemps fami­ lières, j'ai cru les reconnaître, j'en ai noté l'effet, j'en ai ima­ giné l'origine et l'intention. MARIO ROQUES. (1) Marie est aussi dans Alcools. « Cor de chasse commémore les mêmes souvenirs que Zone, Le Pont Mirabeau et Marie, le plus déchirant de tous, je crois », dit Apollinaire lui-même (Aegerter et Labràcherie, Guillaume Apollinaire, p. 44). (2) H. Fabureau, Guillaume Apollinaire (1932). 5
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