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horace, tragédie de Pierre Corneille, Essai de Littérature française

Typologie: Essai

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

Michel_Toulon
Michel_Toulon 🇫🇷

4.3

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Télécharge horace, tragédie de Pierre Corneille et plus Essai au format PDF de Littérature française sur Docsity uniquement! HORACE TRAGÉDIE CORNEILLE, Pierre 1641 Publié par Gwénola, Ernest et Paul Fièvre, Octobre 2015 - 1 - E ï HEATRE CLASSIQUE o les acquérir, que d'attacher nos yeux sur V.E. Quand elle honore de sa présence et de son attention le récit de nos poèmes ; C'est là que lisant sur son visage ce qui lui plaît, et ce qui ne lui plaît pas, nous nous instruisons avec certitude de ce qui est bon, et de ce qui est mauvais, et tirons des règles infaillibles de ce qu'il faut suivre et de ce qu'il faut éviter. C'est là que j'ai souvent appris en deux heures ce que mes livres n'eussent pu m'apprendre en dix ans ; c'est là que j'ai puisé ce qui m'a valu l'applaudissement du public, et c'est là qu'avec votre faveur j'espère puiser assez pour être un jour une oeuvre digne de vos mains ; Ne trouvez donc pas mauvais, MONSEIGNEUR, que pour vous remercier de ce que j'ai de réputation dont je vous suis entièrement redevable, j'emprunte quatre vers d'un autre Horace que celui que je vous présente, et que je vous exprime par eux les plus véritables sentiments de mon âme. Totum muneris hoc tui est Quod monstror digito praeterentium Scenae non levis artifex, Quod spiro et placeo, si placeo, tuum est. Je n'ajouterai qu'une vérité à celle-ci, en vous suppliant de croire que je suis et serai toute ma vie très passionnément, MONSEIGNEUR de V.E. le très humble, très obéissant et très fidèle serviteur, CORNEILLE. - 5 - ACTEURS TULLE, roi de Rome. Le vieil HORACE, chevalier romain. HORACE, son fils. CURIACE, gentilhomme d'Albe, amant de Camille. VALÈRE, chevalier romain, amoureux de Camille. SABINE, femme d'Horace, et soeur de Curiace. CAMILLE, amante de Curiace, et soeur d'Horace. JULIE, dame romaine, confidence de Sabine et de Camille. FLAVIAN, soldat de l'armée d'Albe. PROCULE, soldat de l'armée de Rome. La scène est à Rome, dans une salle de la maison d'Horace. - 6 - ACTE I SCÈNE PREMIÈRE. Sabine, Julie. SABINE. Approuvez ma faiblesse, et souffrez ma douleur, Elle n'est que trop juste en un si grand malheur ; Si près de voir sur soi fondre de tels orages, L'ébranlement sied bien aux plus fermes courages, 5 Et l'esprit le plus mâle et le moins abattu Ne saurait sans désordre exercer sa vertu. Quoique le mien s'étonne à ces rudes alarmes, Le trouble de mon coeur ne peut rien sur mes larmes, Et parmi les soupirs qu'il pousse vers les cieux, 10 Ma constance du moins règne encore sur mes yeux. Quand on arrête là les déplaisirs d'une âme, Si l'on fait moins qu'un homme, on fait plus qu'une femme : Commander à ses pleurs en cette extrémité, C'est montrer, pour le sexe assez de fermeté. JULIE. 15 C'en est peut-être assez pour une âme commune, Qui du moindre péril se fait une infortune ; Mais de cette faiblesse un grand coeur est honteux, Il ose espérer tout dans un succès douteux. Les deux camps sont rangés au pied de nos murailles, 20 Mais Rome ignore encore comme on perd des batailles. Loin de trembler pour elle, il lui faut applaudir, Puisqu'elle va combattre, elle va s'agrandir. Bannissez, bannissez une frayeur si vaine, Et concevez des voeux dignes d'une Romaine. SABINE. Variante 1, en annexe. 25 Je suis romaine, hélas ! puisque son époux l'est ; L'Hymen me fait de Rome embrasse l'intérêt, Mais il tiendrait mon âme en esclave enchaînée S'il m'ôtait le penser des lieux où je suis née. Albe : ville fort ancienne du Latium à 20km au sud-est de Rome, s'étendait du flanc septentrionale du Mont Albain, susques sur le rive orientale de l'Albanus Lacus. [B] Albe où j'ai commencé de respirer le jour, 30 Albe mon cher pays et mon premier amour, Le vers 31 commence par "Quand entre nous" Quand entre nous et toi je vois la guerre ouverte, Je crains notre victoire autant que notre perte. Rome, si tu te plains que c'est là te trahir, - 7 - SCÈNE II. Camille, Julie. CAMILLE. Le vers 135 de l'éd. 1682 est "Qu'elle a tort de vouloir que je vous entretienne !" 135 Pourquoi fuir, et vouloir que je vous entretienne ? Croit-elle ma douleur moins vive que la sienne, Et que plus insensible à de si grands malheurs À mes tristes discours je mêle moins de pleurs ? De pareilles frayeurs mon âme est alarmée, 140 Comme elle je perdrai dans l'une et l'autre armée, Je verrai mon amant, mon plus unique bien, Mourir pour son pays, ou détruire le mien : Et cet objet d'amour devenir pour ma peine Le vers 144 de l'éd. est "Digne de mes soupirs, ou digne de ma haine." Ou digne de mes pleurs, ou digne de ma haine. 145 Hélas ! JULIE. Elle est pourtant plus à plaindre que vous ; On peut changer d'amant ; mais non changer d'époux. Oubliez Curiace, et recevez Valère, Vous ne tremblerez plus pour le parti contraire, Vous serez toute nôtre, et votre esprit remis 150 N'aura plus rien à perdre au camp des ennemis. CAMILLE. Donnez-moi des conseils qui soient plus légitimes, Et plaignez mes malheurs sans m'ordonner des crimes : Quoiqu'à peine à mes maux je puisse résister, J'aime mieux les souffrir que de les mériter. JULIE. 155 Quoi ! Vous appelez crime un change raisonnable ? CAMILLE. Quoi ! Le manque de foi vous semble pardonnable ? JULIE. Varinate le vers 157 de l'éd. 1682 est "Envers un ennemi qui peut nous obliger ?" Envers un ennemi qui nous peut obliger ? CAMILLE. D'un serment solennel qui peut nous dégager ? JULIE. Vous déguisez en vain une chose trop claire, 160 Je vous vis encore hier entretenir Valère, Et l'accueil gracieux qu'il recevait de vous Lui permet de nourrir un espoir assez doux. - 10 - CAMILLE. Si je l'entretins hier et lui fis bon visage, N'en imaginez rien qu'à son désavantage, 165 De mon contentement un autre était l'objet. Mais pour sortir d'erreur sachez-en le sujet, Je garde à Curiace une amitié trop pure Pour souffrir plus longtemps qu'on m'estime parjure. Variante 3, en annexe.Quelques cinq ou six mois après que de sa soeur 170 L'hymenée est rendu mon frère possesseur (Vous le savez Julie) il obtint de mon père Que de ses chastes feux je serais le salaire. Ce jour nous fut propice et funeste à la fois, Unissant nos maisons, il désunit nos Rois, 175 Un même instant conclut notre hymen, et la guerre, Fit naître notre espoir et le jeta par terre, Nous ôta tout sitôt qu'il nous eut tout promis, Et nous faisant amants il nous fit ennemis. Combien nos déplaisirs parurent lors extrêmes, 180 Combien contre le ciel il vomit de blasphèmes, Et combien de ruisseaux coulèrent de mes yeux, Je ne vous le dis point, vous vîtes nos adieux : Vous avez vu depuis les troubles de mon âme, Vous savez pour la paix quels voeux a faits ma flamme, 185 Et quels pleurs j'ai versés à chaque événement, Tantôt pour mon pays, tantôt pour mon amant. Enfin mon désespoir parmi ces longs obstacles M'a fait avoir recours à la voix des Oracles, Écoutez si celui qui me fut hier rendu 190 Eut droit de rassurer mon esprit éperdu. Ce Grec si renommé qui depuis tant d'années Au pied de l'Aventin prédit nos destinées, Lui qu'Apollon jamais n'a fait parler à faux, Me promit par ces vers la fin de mes travaux : 195 « Albe et Rome demain prendront une autre face ; Tes voeux sont exaucés, elles auront la paix, Et tu seras unie avec ton Curiace, Sans qu'aucun mauvais sort t'en sépare jamais. » Je pris sur cet oracle une entière assurance, 200 Et comme le succès passait mon espérance J'abandonnai mon âme à des ravissements Qui passaient les transports des plus heureux amants, Jugez de leur excès. Je rencontrai Valère, Et contre sa coutume il ne put me déplaire, 205 Il me parla d'amour sans me donner d'ennui, Je ne m'aperçus pas que je parlais à lui, Je ne lui pus montrer de mépris ni de glace, Tout ce que je voyais me semblait Curiace, Tout ce qu'on me disait me parlait de ses feux, 210 Tout ce que je disais l'assurait de mes voeux. Le combat général aujourd'hui se hasarde, J'en sus hier la nouvelle, et je n'y pris pas garde, Mon esprit rejetait ces funestes objets Penser : nom masculin au XVIIème pour « pensée ». Charmé des doux pensers d'hymen et de la paix. 215 La nuit a dissipé des erreurs si charmantes, Mille songes affreux, mille images sanglantes, - 11 - Ou plutôt mille amas de carnage et d'horreur M'ont arraché ma joie et rendu ma terreur. J'ai vu du sang, des morts, et n'ai rien vu de suite, 220 Un spectre en paraissant prenait soudain la fuite, Ils s'effaçaient l'un l'autre, et chaque illusion Redoublait mon effroi par sa confusion. JULIE. C'est en contraire sens qu'un songe s'interprète. CAMILLE. Je le dois croire ainsi, puisque je le souhaite, 225 Mais je me trouve enfin, malgré tous mes souhaits Au jour d'une bataille, et non pas d'une paix. JULIE. Par là finit la guerre, et la paix lui succède. CAMILLE. Dure à jamais le mal s'il y faut ce remède ! Soit que Rome y succombe ou qu'Albe ait le dessous, 230 Cher amant, n'attends plus d'être un jour mon époux, Variante, le vers 231 de l'éd. 1682 est "Jamais, jamais ce nom ne sera pour un homme" Mon coeur (quelque grand feu qui pour toi le consomme) Variante, le vers 232 de l'éd. 1682 est "Qui soit ou le vainqueur, ou l'esclave de Rome" Ni veut ni le vainqueur, ni l'esclave de Rome. Mais quel objet nouveau se présente en ces lieux ? Est-ce toi Curiace ? En croirai-je mes yeux ? SCÈNE III. Curiace, Camille, Julie. CURIACE. 235 N'en doutez point, Camille, et revoyez un homme Qui n'est ni le vainqueur ni l'esclave de Rome : Cessez d'appréhender de voir rougir mes mains Du poids honteux des fers ou du sang des Romains. J'ai cru que vous aimiez assez Rome et la gloire 240 Pour mépriser ma chaîne et haïr ma victoire, Et comme également en cette extrémité Je craignais la victoire et la captivité... CAMILLE. Curiace, il suffit, je devine le reste, Tu fuis une bataille à tes voeux si funeste, 245 Et ton coeur, tout à moi, pour ne me perdre pas Dérobe à ton pays le secours de ton bras. Qu'un autre considère ici ta renommée, Et te blâme s'il veut de m'avoir trop aimée, Ce n'est point à Camille à t'en mésestimer, 250 Plus ton amour paraît, plus elle doit t'aimer, Et [si] tu dois beaucoup aux lieux qui t'ont vu naître, Plus tu quittes pour moi, plus tu le fais paraître. Mais as-tu vu mon père, et peut-il endurer Qu'ainsi dans sa maison tu t'oses retirer ? - 12 - JULIE. 345 Allez, et cependant au pied de nos autels J'irai rendre pour vous grâces aux immortels. - 15 - ACTE II SCÈNE PREMIERE. Horace, Curiace. CURIACE. Ainsi Rome n'a point séparé son estime ; Elle eût cru faire ailleurs un choix illégitime, Cette superbe ville en vos frères et vous 350 Trouve les trois guerriers qu'elle préfère à tous, Variante, vers 351 de l'éd. 1682 est "Et son illustre ardeur d'oser plus que les autres," Et ne nous opposant d'autres bras que les vôtres, D'une seule maison brave toutes les nôtres : Variante, vers 353 de l'éd. 1682, "à la voir" remplace "la voyant" . Nous croirons, à la voir toute entière en vos mains, Que hors les fils d'Horace il n'est point de Romains : 355 Ce choix pouvait combler trois familles de gloire, Consacrer hautement leurs noms à la mémoire, Oui, l'honneur que reçoit la vôtre par ce choix En pouvait à bon titre immortaliser trois, Et puisque c'est chez vous que mon heur et ma flamme 360 M'ont fait placer ma soeur et choisir une femme, Variante, le début du vers 361 de l'éd. 1682 est "Ce que je vais être". Ce que je vous dois être et ce que je vous suis Me font y prendre part autant que je le puis ; Mais un autre intérêt tient ma joie en contrainte, Et parmi ses douceurs mêle beaucoup de crainte ; 365 La guerre en tel éclat a mis votre valeur, Que je tremble pour Albe et prévois son malheur, Puisque vous combattez, sa perte est assurée, En vous faisant nommer le destin l'a jurée. Je vois trop dans ce choix ses funestes projets 370 Et me compte déjà pour un de vos sujets. HORACE. Loin de trembler pour Albe, il vous faut plaindre Rome Variante, le vers 372 commence par "Voyant ceux qu'elle oublie" dans l'éd. 1682. Vu ceux qu'elle rejette et les trois qu'elle nomme, C'est un aveuglement pour elle bien fatal D'avoir tant à choisir, et de choisir si mal. 375 Mille de ses enfants beaucoup plus dignes d'elle Pouvaient bien mieux que nous soutenir sa querelle ; Mais quoique ce combat me promette un cercueil, La gloire de ce choix m'enfle d'un juste orgueil ; Mon esprit en conçoit une mâle assurance, 380 J'ose espérer beaucoup de mon peu de vaillance, Et du sort envieux quels que soient les projets Je ne me compte point pour un de vos sujets. - 16 - Rome a trop cru de moi, mais mon âme ravie Remplira son attente ou quittera la vie. 385 Qui veut mourir, ou vaincre, est vaincu rarement, Ce noble désespoir périt malaisément. Rome, quoi qu'il en soit, ne sera point sujette Que mes derniers soupirs n'assurent ma défaite. CURIACE. Hélas ! C'est bien ici que je dois être plaint ! 390 Ce que veut mon pays, mon amitié le craint. Dures extrémités, de voir Albe asservie, Ou sa victoire au prix d'une si chère vie, Et que l'unique bien où tendent ses désirs S'achète seulement par vos derniers soupirs ! 395 Quels voeux puis-je former, et quel bonheur attendre ? De tous les deux côtés j'ai des pleurs à répandre ; De tous les deux côtés mes désirs sont trahis. HORACE. Quoi ! Vous me pleureriez mourant pour mon pays ! Pour un coeur généreux ce trépas a des charmes, 400 La gloire qui le suit ne souffre point de larmes, Et je le recevrais en bénissant mon sort Si Rome et tout l'État perdaient moins en ma mort. CURIACE. À vos amis pourtant permettez de le craindre, Dans un si beau trépas ils sont les seuls à plaindre, 405 La gloire en est pour vous, et la perte pour eux, Il vous fait immortel et les rend malheureux, On perd tout quand on perd un ami si fidèle ; Mais Flavian m'apporte ici quelque nouvelle, Le vers 409 est dans la seconde scène et prononcé par Curiace dans l'édition 1682. Albe de trois guerriers a-t-elle fait le choix ? SCÈNE II. Horace, Curiace, Flavian. FLAVIAN. 410 Je viens pour vous l'apprendre. CURIACE. Eh bien, qui sont les trois ? FLAVIAN. Vos deux frères et vous. CURIACE. Qui ? FLAVIAN. Vous et vos deux frères. Mais pourquoi ce front triste et ces regards sévères, - 17 - 500 Que j'épousai la soeur, je combattrai le frère. Et pour trancher enfin ces discours superflus Albe vous a nommé, je ne vous connais plus. CURIACE. Je vous connais encore, et c'est ce qui me tue ; Mais cette âpre vertu ne m'était pas connue, 505 Comme notre malheur elle est au plus haut point, Souffrez que je l'admire, et ne l'imite point. HORACE. Non, non, n'embrassez pas de vertu par contrainte, Et puisque vous trouvez plus de charme à la plainte ; En toute liberté goûtez un bien si doux, 510 Voici venir ma soeur pour se plaindre avec vous. v. 511 de l'édition 1641, on lit "Je vois" au lieu de "Je vais", corrigé dans l'éd. 1682. Je vais revoir la vôtre, et résoudre son âme Variante, le vers 512 de l'éd. 1682 commence par : "À se bien souvenir". À se ressouvenir qu'elle est toujours ma femme, À vous aimer encore, si je meurs par vos mains, Et prendre en son malheur des sentiments romains SCÈNE IV. Horace, Curiace, Camille. HORACE. 515 Avez-vous su l'état qu'on fait de Curiace, Ma soeur ? CAMILLE. Hélas ! Mon sort a bien changé de face. HORACE. Armez-vous de constance, et montrez-vous ma soeur, Et si par mon trépas il retourne vainqueur, Ne le recevez point en meurtrier d'un frère, 520 Mais en homme d'honneur qui fait ce qu'il doit faire, Qui sert bien son pays, et sait montrer à tous, Par sa haute vertu, qu'il est digne de vous ; Hyménée : divinité fabuleuse des païens, qu'ils croient présider aux mariage. (...) signifie aussi poétiquement le mariage. [F] Comme si je vivais achevez l'hyménée ; Mais si ce fer aussi tranche sa destinée 525 Faites à ma victoire un pareil traitement, Ne me reprochez point la mort de votre amant, Vos larmes vont couler, et votre coeur se presse, Variante : v. 528, le vers commence par "Consumez" dans l'éd. 1682. Consommez avec lui toute cette faiblesse, Querellez Ciel et Terre, et maudissez le sort, v. 530, il y a un X à aux mais point de S à mort. Nous retenons "au mort" de la version 1682 530 Mais après le combat ne pensez plus aux mort. L'édition de 1682 porte une didascalie : "À Curiace." Je ne vous laisserai qu'un moment avec elle, Puis nous irons ensemble où l'honneur nous appelle. - 20 - SCÈNE V. Curiace, Camille. CAMILLE. Variante : vers 533, l'éd. 1682 remplace "ma chère âme par Curiace". Iras-tu, ma chère âme, et ce funeste honneur Te plaît-il aux dépens de tout notre bonheur ? CURIACE. 535 Hélas ! Je vois trop bien qu'il faut, quoi que je fasse, Mourir, ou de douleur, ou de la main d'Horace. Je vais comme au supplice à cet illustre emploi, Je maudis mille fois l'état qu'on fait de moi, Je hais cette valeur qui fait qu'Albe m'estime ; 540 Ma flamme au désespoir passe jusques au crime, Elle se prend au ciel, et l'ose quereller, Je vous plains, je me plains, mais il y faut aller. CAMILLE. Non, je te connais mieux, tu veux que je te prie, Et qu'ainsi mon pouvoir t'excuse à ta patrie, 545 Tu n'es que trop fameux par tes autres exploits, v. 546, dans l'ed. 1641, on lit "li" au lieu de "lui". Albe a reçu par eux tout ce que tu lui dois. Autre n'a mieux que toi soutenu cette guerre, Autre de plus de morts n'a couvert notre terre, Ton nom ne peut plus croître, il ne lui manque rien, 550 Souffre qu'un autre ici puisse ennoblir le sien. CURIACE. Que je souffre à mes yeux qu'on ceigne une autre tête Laurier : se dit figurément en Morale, pour signifer la gloire d'un triomphe, d'une conquête. [F] Des lauriers immortels que la gloire m'apprête, Ou que tout mon pays reproche à ma vertu Qu'il aurait triomphé si j'avais combattu, 555 Et que sous mon amour ma valeur endormie Couronne tant d'exploits d'une telle infamie ? Non, Albe, après l'honneur que j'ai reçu de toi Tu ne succomberas ni vaincras que par moi ; Dans les deux éditions 1641 et 1682, on lit "conte" en fin de vers. Tu m'as commis ton sort, je t'en rendrai bon compte, Variante , v. 560 de l'ed. 1682, on lit "finirai" au lieu de "périrai". 560 Et vivrai sans reproche, ou finirai sans honte. CAMILLE. Quoi ! Tu ne veux pas voir qu'ainsi tu me trahis ! CURIACE. Avant que d'être à vous je suis à mon pays. CAMILLE. Mais te priver pour lui toi-même d'un beau-frère, Ta soeur de son mari ! - 21 - CURIACE. Telle est notre misère, 565 Le choix d'Albe et de Rome ôte toute douceur Aux noms jadis si doux de beau-frère et de soeur. CAMILLE. Variante, le v. 567 de l'éd. 1682 commence par : "Tu pourras donc, cruel,..." Viendras-tu point encore me présenter sa tête Et demander ma main pour prix de ta conquête ! CURIACE. Il n'y faut plus penser, en l'état où je suis, 570 Vous aimer sans espoir c'est tout ce que je puis. Variante , le v. 571 de l'éd. 1682 commence par "Vous en pleurez, Camille". Vous pleurez, ma chère âme. CAMILLE. Il faut bien que je pleure : Mon insensible amant ordonne que je meure, Et quand l'hymen pour nous allume son flambeau Il l'éteint de sa main pour m'ouvrir le tombeau, 575 Ce coeur impitoyable à ma perte s'obstine, Et dit qu'il m'aime encore alors qu'il m'assassine. CURIACE. Que les pleurs d'une amante ont de puissants discours, Et qu'un bel oeil est fort avec un tel secours ! Que mon coeur s'attendrit à cette triste vue ! 580 Ma constance contre elle à regret s'évertue. Variante, le v.581 de l'éd. 1682 finit par : "avec tant de douleurs,". N'attaquez plus ma gloire avecque vos douleurs, v. 582, on lit "vous" au lieu de vos".Et laissez-moi sauver ma vertu de vos pleurs ; Je sens qu'elle chancelle, et défend mal la place : Plus je suis votre amant, moins je suis Curiace. 585 Faible d'avoir déjà combattu l'amitié, Vaincrait-elle à la fois l'amour et la pitié ? v. 587, la négation "ne" est absente, il manque un pied. Elle est présente dans l'éd. 1682. Allez, ne m'aimez plus, [ne] versez plus de larmes, Ou j'oppose l'offense à de si fortes armes, Je me défendrai mieux contre votre courroux, 590 Et pour le mériter, je n'ai plus d'yeux pour vous, Vengez-vous d'un ingrat, punissez un volage. Vous ne vous montrez point sensible à cet outrage ? Je n'ai plus d'yeux pour vous, vous en avez pour moi ! En faut-il plus encore ? Je renonce à ma foi. 595 Rigoureuse vertu dont je suis la victime Ne peux-tu résister sans le secours d'un crime ? CAMILLE. Ne fais point d'autre crime, et j'atteste les dieux Qu'au lieu de t'en haïr, je t'en aimerai mieux Oui, je te chérirai tout ingrat et perfide, 600 Et cesse d'aspirer au nom de fratricide. Pourquoi suis-je Romaine, ou que n'es-tu Romain ? Je te préparerais des lauriers de ma main, Je t'encouragerais, au lieu de te distraire, - 22 - SCÈNE VII. Le Viel Horace, Horace, Curiace. LE VIEIL HORACE. Qu'est-ce-ci, mes enfants ? Écoutez-vous vos flammes, 680 Et perdez-vous encore le temps avec des femmes ? Prêts à verser du sang, regardez-vous des pleurs ? Fuyez, et laissez-les déplorer leurs malheurs. Leurs plaintes ont pour vous trop d'art et de tendresse. Elles vous feraient part enfin de leur faiblesse, 685 Et ce n'est qu'en fuyant qu'on pare de tels coups. SABINE. N'appréhendez rien d'eux, ils sont dignes de vous. Malgré tous nos efforts, vous en devez attendre Ce que vous souhaitez et d'un fils et d'un gendre ; Et si notre faiblesse ébranlait leur honneur, 690 Nous vous laissons ici pour leur rendre du coeur. Allons, ma soeur, allons, ne perdons plus de larmes : Contre tant de vertus ce sont de faibles armes. Ce n'est qu'au désespoir qu'il nous faut recourir. Tigres, allez combattre, et nous, allons mourir. SCÈNE VIII. Le Vieil Horace, Horace, Curiace. HORACE. 695 Mon père, retenez des femmes qui s'emportent, Et de grâce empêchez surtout qu'elles ne sortent, Leur amour importun viendrait avec éclat Par des cris et des pleurs troubler notre combat, Et ce qu'elles nous sont ferait qu'avec justice 700 On nous imputerait ce mauvais artifice, L'honneur d'un si beau choix serait trop acheté Si l'on nous soupçonnait de quelque lâcheté. LE VIEIL HORACE. J'en aurai soin, allez, vos frères vous attendent, Ne pensez qu'aux devoirs que vos pays demandent. CURIACE. 705 Quel adieu vous dirai-je, et par quels compliments... LE VIEIL HORACE. Ah ! N'attendrissez point ici mes sentiments, Pour vous encourager ma voix manque de termes, Mon coeur ne forme point de pensées assez fermes, Moi-même en cet adieu j'ai les larmes aux yeux, 710 Faites votre devoir, et laissez faire aux Dieux. - 25 - - 26 - ACTE III SCÈNE PREMIÈRE. SABINE. Prenons parti, mon âme, en de telles disgrâces : Soyons femme d'Horace, ou soeur des Curiaces, Cessons de partager nos inutiles soins ; Souhaitons quelque chose, et craignons un peu moins. 715 Mais, las ! Quel parti prendre en un sort si contraire ! Quel ennemi choisir, d'un époux ou d'un frère ? La nature ou l'amour parle pour chacun d'eux, Et la loi du devoir m'attache à tous les deux. Sur leurs hauts sentiments réglons plutôt les nôtres, 720 Soyons femme de l'un ensemble et soeur des autres, Regardons leur honneur comme un souverain bien, Imitons leur constance, et ne craignons plus rien. La mort qui les menace est une mort si belle Qu'il en faut sans frayeur attendre la nouvelle ; 725 N'appelons point alors les destins inhumains, Songeons pour quelle cause, et non par quelles mains, Revoyons les vainqueurs sans penser qu'à la gloire Que toute leur maison reçoit de leur victoire, Et sans considérer aux dépens de quel sang 730 Leur vertu les élève en cet illustre rang, Faisons nos intérêts de ceux de leur famille, En l'une je suis femme, en l'autre je suis fille, Et tiens à toutes deux par de si forts liens, Qu'on ne peut triompher que par les bras des miens : 735 Fortune, quelques maux que ta rigueur m'envoie, J'ai trouvé les moyens d'en tirer de la joie, Et puis voir aujourd'hui le combat sans terreur, Les morts sans désespoir, les vainqueurs sans horreur. Flatteuse illusion, erreur douce et grossière, 740 Vain effort de mon âme, impuissante lumière De qui le faux brillant prend droit de m'éblouir, Que tu sais peu durer, et tôt t'évanouir ! Pareille à ces éclairs qui dans le fort des ombres Poussent un jour qui fuit et rend les nuits plus sombres, 745 Tu n'as frappé mes yeux d'un moment de clarté Que pour les abîmer dans plus d'obscurité. Tu charmais trop ma peine, et le ciel, qui s'en fâche Me vend déjà bien cher ce moment de relâche, Je sens mon triste coeur percé de tous les coups - 27 - SCÈNE III. Sabine, Camille, Julie. SABINE. Ma soeur, que je vous dise une bonne nouvelle. CAMILLE. Je pense la savoir, s'il faut la nommer telle, On l'a dite à mon père, et j'étais avec lui, Mais je n'en conçois rien qui flatte mon ennui. 835 Ce délai de nos maux rendra leurs coups plus rudes, Ce n'est qu'un plus long terme à nos inquiétudes, Et tout l'allégement qu'il en faut espérer, C'est de pleurer plus tard ceux qu'il faudra pleurer. SABINE. Les Dieux n'ont pas en vain inspiré ce tumulte. CAMILLE. 840 Disons plutôt, ma soeur, qu'en vain on les consulte, Ces mêmes Dieux à Tulle ont inspiré ce choix, Et la voix du public n'est pas toujours leur voix, Ils descendent bien moins dans de si bas étages Que dans l'âme des Rois leurs vivantes images, 845 De qui l'indépendante et sainte autorité Est un rayon secret de leur divinité. JULIE. C'est vouloir sans raison vous former des obstacles Que de chercher leur voix ailleurs qu'en leurs oracles, Et vous ne vous pouvez figurer tout perdu 850 Sans démentir celui qui vous fut hier rendu. CAMILLE. Un oracle jamais ne se laisse comprendre, On l'entend d'autant moins que plus on croit l'entendre, Et loin de s'assurer sur un pareil arrêt, Qui n'y voit rien d'obscur doit croire que tout l'est. SABINE. 855 Sur ce qui fait pour nous prenons plus d'assurance, Et souffrons les douceurs d'une juste espérance. Quand la faveur du Ciel ouvre à demi ses bras, Qui ne s'en promet rien ne la mérite pas, Il empêche souvent qu'elle ne se déploie, 860 Et lorsqu'elle descend son refus la renvoie. CAMILLE. Le Ciel agit sans nous en ces événements, Et ne les règle point dessus nos sentiments. - 30 - JULIE. Il ne vous a fait peur que pour vous faire grâce, Adieu, je vais savoir comme enfin tout se passe, 865 Modérez vos frayeurs, j'espère à mon retour Ne vous entretenir que de propos d'amour, Et que nous n'emploierons la fin de la journée Qu'aux doux préparatifs d'un heureux hyménée. SABINE. Variante, le vers 869 de l'éd. 1682 commence par "J'ose encore l'espérer". Comme vous je l'espère. CAMILLE. Variante, le vers 869 de l'éd. 1682 finit par "Moi, je n'espère rien.". Et je n'ose y songer. JULIE. Variante, le vers 870 de l'éd. 1682 finit par "... que nous en jugeons bien.". 870 L'effet vous fera voir qui sait mieux en juger. SCÈNE IV. Sabine, Camille. SABINE. Parmi nos déplaisirs souffrez que je vous blâme, Variante : v.872 de l'éd. 1682 porte "votre" au lieu de "notre". Je ne puis approuver tant de trouble en notre âme, Que feriez-vous, ma soeur, au point où je me vois, Si vous aviez à craindre autant que je le dois, 875 Et si vous attendiez de leurs armes fatales Des maux pareils aux miens, et des pertes égales ? CAMILLE. Parlez plus sainement de vos maux et des miens, Chacun voit ceux d'autrui d'un autre oeil que les siens, Mais à bien regarder ceux où le ciel me plonge 880 Les vôtres auprès d'eux vous sembleront un songe. La seule mort d'Horace est à craindre pour vous, Des frères ne sont rien à l'égal d'un époux, L'hymen qui nous attache en une autre famille, Nous détache de celle où l'on a vécu fille, Variante, v. 885 de l'éd. 1682 commence par : "On voit d'un oeil divers ..." 885 On ne compare point des noeuds si différents, Et pour suivre un mari l'on quitte ses parents : Mais si près d'un hymen l'amant que donne un père Nous est moins qu'un époux et non pas moins qu'un frère, Nos sentiments entre eux demeurent suspendus, 890 Notre choix impossible, et nos voeux confondus. Ainsi, ma soeur, du moins vous avez dans vos plaintes, Où porter vos souhaits et terminer vos craintes, Mais si le Ciel s'obstine à nous persécuter, Pour moi j'ai tout à craindre et rien à souhaiter. - 31 - SABINE. 895 Quand il faut que l'un meure et par les mains de l'autre, C'est un raisonnement bien mauvais que le vôtre. Quoique ce soient, ma soeur, des noeuds bien différents, C'est sans les oublier qu'on quitte ses parents : L'hymen n'efface point ces profonds caractères, 900 Pour aimer un mari l'on ne hait pas ses frères, La nature en tout temps garde ses premiers droits, Aux dépens de leur vie on ne fait point de choix, Aussi bien qu'un époux ils sont d'autres nous-mêmes, Et tous maux sont pareils alors qu'ils sont extrêmes : 905 Mais l'amant qui vous charme, et pour qui vous brûlez Ne vous est après tout que ce que vous voulez, Une mauvaise humeur, un peu de jalousie, Variante, v. 908 l'éd. 1682 est "En fait assez souvent passer la fantaisie ;" Le peuvent mettre hors de votre fantaisie, Variante, v. 909 l'éd. 1682 est "Ce que peut le caprice, osez-le par raison," Ce qu'elles font souvent faites le par raison, 910 Et laissez votre sang hors de comparaison, C'est crime qu'opposer des liens volontaires À ceux que la naissance a rendus nécessaires. Si donc le Ciel s'obstine à nous persécuter, Seule j'ai tout à craindre, et rien à souhaiter, 915 Mais pour vous, le devoir vous donne dans vos plaintes, Où porter vos souhaits et terminer vos craintes. CAMILLE. Je le vois bien, ma soeur, vous n'aimâtes jamais, Vous ne connaissez point ni l'amour ni ses traits : On peut lui résister quand il commence à naître, 920 Mais non pas le bannir quand il s'est rendu maître, Et que l'aveu d'un père, engageant notre foi A fait de ce tyran un légitime Roi. Il entre avec douceur, mais il règne par force, Et quand l'âme une fois a goûté son amorce, 925 Vouloir ne plus aimer, c'est ce qu'elle ne peut, Puisqu'elle ne peut plus vouloir que ce qu'il veut ; Ses chaînes sont pour nous aussi fortes que belles. - 32 - CAMILLE. Ô mes frères ! LE VIEIL HORACE. Tout beau, ne les pleurez pas tous, 1010 Deux jouissent d'un sort dont leur père est jaloux. Que des plus nobles fleurs leur tombe soit couverte, La gloire de leur mort m'a payé de leur perte. Ce bonheur a suivi leur courage invaincu Qu'ils ont vu Rome libre autant qu'ils ont vécu, 1015 Et ne l'auront point vue obéir qu'à son Prince, Ni d'un État voisin devenir la province. Pleurez l'autre, pleurez l'irréparable affront Que sa fuite honteuse imprime à notre front, Pleurez le déshonneur de toute notre race, 1020 Et l'opprobre éternel qu'il laisse au nom d'Horace. JULIE. Que vouliez-vous qu'il fît contre trois ? LE VIEIL HORACE. Qu'il mourût, Ou qu'un beau désespoir alors le secourût. N'eût-il que d'un moment reculé sa défaite, Rome eût été du moins un peu plus tard sujette, 1025 Il eût avec honneur laissé mes cheveux gris, Et c'était de sa vie un assez digne prix. Il est de tout son sang comptable à sa patrie, Chaque goutte épargnée a sa gloire flétrie, Chaque instant de sa vie après ce lâche tour, 1030 Met d'autant plus ma honte avec la sienne au jour. J'en romprai bien le cours, et ma juste colère Contre un indigne fils usant des droits d'un père Saura bien faire voir dans sa punition L'éclatant désaveu d'une telle action. SABINE. 1035 Écoutez un peu moins ces ardeurs généreuses, Et ne nous rendez point tout à fait malheureuses. LE VIEIL HORACE. Sabine, votre coeur se console aisément, Nos malheurs jusqu'ici vous touchent faiblement. Vous n'avez point encore de part à nos misères, 1040 Le Ciel vous a sauvé votre époux et vos frères, Si nous sommes sujets c'est de votre pays, Vos frères sont vainqueurs quand nous sommes trahis. Et voyant le haut point où leur gloire se monte, Vous regardez fort peu ce qui nous vient de honte : 1045 Mais votre trop d'amour pour cet infâme époux, Vous donnera bientôt à plaindre comme à nous. Vos pleurs en sa faveur sont de faibles défenses, - 35 - J'atteste des grands Dieux les suprêmes puissances Qu'avant ce jour fini ces mains, ces propres mains 1050 Laveront dans son sang la honte des Romains. SABINE. Suivons-le promptement, la colère l'emporte. Dieux ! Verrons-nous toujours des malheurs de la sorte, Nous faudra-t-il toujours en craindre de plus grands, Et toujours redouter la main de nos parents ? - 36 - ACTE IV SCÈNE PREMIÈRE. Le Vieil Horace, Camille. LE VIEIL HORACE. 1055 Ne me parlez jamais en faveur d'un infâme ; Qu'il me fuie à l'égal des frères de sa femme, Pour conserver un sang qu'il tient si précieux Il n'a rien fait encore s'il n'évite mes yeux. Sabine y peut mettre ordre, ou derechef j'atteste 1060 Le souverain pouvoir de la troupe céleste... CAMILLE. Ah ! Mon père, prenez un plus doux sentiment, Vous verrez Rome même en user autrement, Et de quelque malheur que le ciel l'ait comblée, Excuser la vertu sous le nombre accablée. LE VIEIL HORACE. 1065 Le jugement de Rome est peu pour mon regard, Camille ; je suis père, et j'ai mes droits à part. Je sais trop comme agit la vertu véritable, C'est sans en triompher que le nombre l'accable, Et sa mâle vigueur toujours en même point 1070 Succombe sous la force et ne lui cède point. Taisez-vous, et sachons ce que nous veut Valère. - 37 - Variante, dans l'éd. 1682, on lit "des" au lieu de "de". L'air résonne de cris qu'au ciel chacun envoie, Albe en jette d'angoisse et les Romains de joie. Comme notre héros se voit près d'achever, 1130 C'est peu pour lui de vaincre, il veut encor braver : « J'en viens d'immoler deux aux mânes de mes frères, Rome aura le dernier de mes trois adversaires, C'est à ses intérêts que je vais l'immoler, » Dit-il ; et tout d'un temps on le voit y voler. 1135 La victoire entre eux deux n'était pas incertaine ; L'Albain percé de coups ne se traînait qu'à peine, Et comme une victime aux marches de l'autel, Il semblait présenter sa gorge au coup mortel, Aussi le reçoit-il peu s'en faut sans défense, 1140 Et son trépas de Rome établit la puissance. LE VIEIL HORACE. Ô mon fils, ô ma joie, ô l'honneur de nos jours ! Ô d'un État penchant l'inespéré secours ! Vertu digne de Rome, et sang digne d'Horace ! Appui de ton pays, et gloire de ta race ! 1145 Quand pourrai-je étouffer dans tes embrassements Variante v.1146 de l'éd. 1682 porte "L'erreur" au lieu de "L'horreur". L'horreur dont j'ai formé de si faux sentiments ? Quand pourra mon amour baigner avec tendresse Ton front victorieux de larmes d'allégresse ? VALÈRE. Vos caresses bientôt pourront se déployer, 1150 Le Roi dans un moment vous le va renvoyer, Variante, v.1151 de l'éd. 1682, "Et remet à demain la pompe qu'il prépare" Et remet à demain ce pompeux sacrifice Variante, v.1152 de l'éd. 1682 est "D'un sacrifice aux dieux pour un bonheur si rare ;" Que nous devons aux Dieux par un tel bénéfice. Aujourd'hui seulement on s'acquitte vers eux Par des chants de victoire et par de simples voeux ; 1155 C'est où le roi le mène, et tandis il m'envoie Faire office vers vous de douleur et de joie. Mais cet office encore n'est pas assez pour lui, Il y viendra lui-même et peut-être aujourd'hui, Variante, v.1159 de l'éd. 1682 est "Il croit mal reconnaître une vertu si pure," Cette belle action si puissamment le touche, Variante, v.1160 de l'éd. 1682 est "Si de sa propre bouche il ne vous en assure," 1160 Qu'il vous veut rendre grêce, et de sa propre bouche, Variante, v.1161 de l'éd. 1682 est "S'il ne vous dit chez vous combien vous doit l'État." Et combien vous montrez d'ardeur pour son service. LE VIEIL HORACE. Variante, v. 1162 de l'éd. 1682 est "De tels remerciements ont pour moi trop d'éclat," Je vous devrai beaucoup un si bon office. Variante 4, en annexe. - 40 - SCÈNE III. Le Vieil Horace, Camille. LE VIEIL HORACE. Ma fille, il n'est plus temps de répandre des pleurs ; Il sied mal d'en verser où l'on voit tant d'honneurs ; 1175 On pleure injustement des pertes domestiques, Quand on en voit sortir des victoires publiques. Rome triomphe d'Albe, et c'est assez pour nous ; Tous nos maux à ce prix doivent nous être doux. En la mort d'un amant vous ne perdez qu'un homme 1180 Dont la perte est aisée à réparer dans Rome ; Après cette victoire, il n'est point de Romain Qui ne soit glorieux de vous donner la main. Il me faut à Sabine en porter la nouvelle ; Ce coup sera sans doute assez rude pour elle, 1185 Et ses trois frères morts par la main d'un époux Lui donneront des pleurs bien plus justes qu'à vous ; Mais j'espère aisément en dissiper l'orage, Et qu'un peu de prudence aidant son grand courage Fera bientôt régner sur un si noble coeur 1190 Le généreux amour qu'elle doit au vainqueur. Cependant étouffez cette lâche tristesse ; Recevez-le, s'il vient, avec moins de faiblesse ; Faites-vous voir sa soeur, et qu'en un même flanc Le ciel vous a tous deux formés d'un même sang. SCÈNE IV. CAMILLE. 1195 Oui, je lui ferai voir, par d'infaillibles marques, Qu'un véritable amour brave la main des Parques, Et ne prend point de lois de ces cruels tyrans Qu'un astre injurieux nous donne pour parents. Tu blâmes ma douleur, tu l'oses nommer lâche ; 1200 Je l'aime d'autant plus que plus elle te fâche, Impitoyable père, et par un juste effort Je la veux rendre égale aux rigueurs de mon sort. En vit-on jamais un dont les rudes traverses Prissent en moins de rien tant de faces diverses, 1205 Qui fût doux tant de fois, et tant de fois cruel, Et portât tant de coups avant le coup mortel ? Vit-on jamais une âme en un jour plus atteinte De joie et de douleur, d'espérance et de crainte, Asservie en esclave à plus d'événements, 1210 Et le piteux jouet de plus de changements ? Un oracle m'assure, un songe me travaille ; La paix calme l'effroi que me fait la bataille ; Mon hymen se prépare, et presque en un moment Pour combattre mon frère on choisit mon amant ; 1215 Ce choix me désespère, et tous le désavouent ; - 41 - La partie est rompue, et les dieux la renouent ; Rome semble vaincue, et seul des trois Albains, Curiace en mon sang n'a point trempé ses mains. Ô dieux ! Sentais-je alors des douleurs trop légères 1220 Pour le malheur de Rome et la mort de deux frères, Et me flattais-je trop quand je croyais pouvoir L'aimer encore sans crime et nourrir quelque espoir ? Sa mort m'en punit bien, et la façon cruelle Dont mon âme éperdue en reçoit la nouvelle : 1225 Son rival me l'apprend, et faisant à mes yeux D'un si triste succès le récit odieux, Il porte sur le front une allégresse ouverte, Que le bonheur public fait bien moins que ma perte ; Et bâtissant en l'air sur le malheur d'autrui, 1230 Aussi bien que mon frère il triomphe de lui. Mais ce n'est rien encore au prix de ce qui reste : On demande ma joie en un jour si funeste ; Il me faut applaudir aux exploits du vainqueur, Et baiser une main qui me perce le coeur. 1235 En un sujet de pleurs si grand, si légitime, Se plaindre est une honte, et soupirer un crime ; Leur brutale vertu veut qu'on s'estime heureux, Et si l'on n'est barbare, on n'est point généreux. Dégénérons, mon coeur, d'un si vertueux père ; 1240 Soyons indigne soeur d'un si généreux frère : C'est gloire de passer pour un coeur abattu, Quand la brutalité fait la haute vertu. Éclatez, mes douleurs : à quoi bon vous contraindre ? Quand on a tout perdu, que saurait-on plus craindre ? 1245 Pour ce cruel vainqueur n'ayez point de respect ; Loin d'éviter ses yeux, croissez à son aspect ; Offensez sa victoire, irritez sa colère, Et prenez, s'il se peut, plaisir à lui déplaire. Il vient : préparons-nous à montrer constamment 1250 Ce que doit une amante à la mort d'un amant. SCÈNE V. Horace, Camille, Procule. Procule porte en sa main les trois épées des Curiaces. HORACE. Ma soeur, voici le bras qui venge nos deux frères, Le bras qui rompt le cours de nos destins contraires, Qui nous rend maîtres d'Albe ; enfin voici le bras Qui seul fait aujourd'hui le sort de deux états ; 1255 Vois ces marques d'honneur, ces témoins de ma gloire, Et rends ce que tu dois à l'heur de ma victoire. CAMILLE. Recevez donc mes pleurs, c'est ce que je lui dois. - 42 - SCÈNE VI. Horace, Procule. PROCULE. Que venez-vous de faire ? HORACE. Un acte de justice : Un semblable forfait veut un pareil supplice. PROCULE. 1325 Vous deviez la traiter avec moins de rigueur. HORACE. Ne me dis point qu'elle est et mon sang et ma soeur. Mon père ne peut plus l'avouer pour sa fille : Qui maudit son pays renonce à sa famille ; Des noms si pleins d'amour ne lui sont plus permis ; 1330 De ses plus chers parents il fait ses ennemis : Le sang même les arme en haine de son crime. La plus prompte vengeance en est plus légitime ; Et ce souhait impie, encore qu'impuissant, Est un monstre qu'il faut étouffer en naissant. SCÈNE VII. Horace, Sabine, Procule. SABINE. 1335 À quoi s'arrête ici ton illustre colère ? Viens voir mourir ta soeur dans les bras de ton père ; Viens repaître tes yeux d'un spectacle si doux : Ou si tu n'es point las de ces généreux coups, Immole au cher pays des vertueux Horaces 1340 Ce reste malheureux du sang des Curiaces. Si prodigue du tien, n'épargne pas le leur ; Joins Sabine à Camille, et ta femme à ta soeur ; Nos crimes sont pareils, ainsi que nos misères ; Je soupire comme elle, et déplore mes frères : 1345 Plus coupable en ce point contre tes dures lois, Qu'elle n'en pleurait qu'un, et que j'en pleure trois, Qu'après son châtiment ma faute continue. HORACE. Sèche tes pleurs, Sabine, ou les cache à ma vue : Rends-toi digne du nom de ma chaste moitié, 1350 Et ne m'accable point d'une indigne pitié. Si l'absolu pouvoir d'une pudique flamme Ne nous laisse à tous deux qu'un penser et qu'une âme, C'est à toi d'élever tes sentiments aux miens, - 45 - Non à moi de descendre à la honte des tiens. 1355 Je t'aime, et je connais la douleur qui te presse ; Embrasse ma vertu pour vaincre ta faiblesse, Participe à ma gloire au lieu de la souiller. Tâche à t'en revêtir, non à m'en dépouiller. Es-tu de mon honneur si mortelle ennemie, 1360 Que je te plaise mieux couvert d'une infamie ? Sois plus femme que soeur, et te réglant sur moi, Fais-toi de mon exemple une immuable loi. SABINE. Cherche pour t'imiter des âmes plus parfaites. Je ne t'impute point les pertes que j'ai faites, 1365 J'en ai les sentiments que je dois en avoir, Et je m'en prends au sort plutôt qu'à ton devoir ; Mais enfin je renonce à la vertu romaine, Si pour la posséder je dois être inhumaine ; Et ne puis voir en moi la femme du vainqueur 1370 Sans y voir des vaincus la déplorable soeur. Prenons part en public aux victoires publiques ; Pleurons dans la maison nos malheurs domestiques, Et ne regardons point des biens communs à tous, Quand nous voyons des maux qui ne sont que pour nous. 1375 Pourquoi veux-tu, cruel, agir d'une autre sorte ? Laisse en entrant ici tes lauriers à la porte ; Mêle tes pleurs aux miens. Quoi ? Ces lâches discours N'arment point ta vertu contre mes tristes jours ? Mon crime redoublé n'émeut point ta colère ? 1380 Que Camille est heureuse ! Elle a pu te déplaire ; Elle a reçu de toi ce qu'elle a prétendu, Et recouvre là-bas tout ce qu'elle a perdu. Cher époux, cher auteur du tourment qui me presse, Écoute la pitié, si ta colère cesse ; 1385 Exerce l'une ou l'autre, après de tels malheurs, À punir ma faiblesse, ou finir mes douleurs : Je demande la mort pour grâce, ou pour supplice ; Qu'elle soit un effet d'amour ou de justice, N'importe : tous ses traits n'auront rien que de doux, 1390 Si je les vois partir de la main d'un époux. HORACE. Quelle injustice aux dieux d'abandonner aux femmes Un empire si grand sur les plus belles âmes, Et de se plaire à voir de si faibles vainqueurs Régner si puissamment sur les plus nobles coeurs ! 1395 À quel point ma vertu devient-elle réduite ! Rien ne la saurait plus garantir que la fuite. Adieu : ne me suis point, ou retiens tes soupirs. SABINE. Ô colère, ô pitié, sourdes à mes désirs, Vous négligez mon crime, et ma douleur vous lasse, 1400 Et je n'obtiens de vous ni supplice ni grâce ! Allons-y par nos pleurs faire encore un effort, Et n'employons après que nous à notre mort. - 46 - ACTE V SCÈNE PREMIÈRE. Le Vieil Horace, Horace. LE VIEIL HORACE. Retirons nos regards de cet objet funeste, Pour admirer ici le jugement céleste : 1405 Quand la gloire nous enfle, il sait bien comme il faut Confondre notre orgueil qui s'élève trop haut. Nos plaisirs les plus doux ne vont point sans tristesse ; Il mêle à nos vertus des marques de faiblesse, Et rarement accorde à notre ambition 1410 L'entier et pur honneur d'une bonne action. Je ne plains point Camille : elle était criminelle ; Je me tiens plus à plaindre, et je te plains plus qu'elle : Moi, d'avoir mis au jour un coeur si peu romain ; Toi, d'avoir par sa mort déshonoré ta main. 1415 Je ne la trouve point injuste ni trop prompte ; Mais tu pouvais, mon fils, t'en épargner la honte : Son crime, quoique énorme et digne du trépas, Était mieux impuni que puni par ton bras. HORACE. Disposez de mon sang, les lois vous en font maître ; 1420 J'ai cru devoir le sien aux lieux qui m'ont vu naître. Si dans vos sentiments mon zèle est criminel, S'il m'en faut recevoir un reproche éternel, Si ma main en devient honteuse et profanée, Vous pouvez d'un seul mot trancher ma destinée : 1425 Reprenez tout ce sang de qui ma lâcheté A si brutalement souillé la pureté. Ma main n'a pu souffrir de crime en votre race ; Ne souffrez point de tache en la maison d'Horace. C'est en ces actions dont l'honneur est blessé 1430 Qu'un père tel que vous se montre intéressé : Son amour doit se taire où toute excuse est nulle ; Lui-même il y prend part lorsqu'il les dissimule ; Et de sa propre gloire il fait trop peu de cas, Quand il ne punit point ce qu'il n'approuve pas. - 47 - Ce grand et rare exploit d'un bras victorieux : 1515 Vous verriez un beau sang, pour accuser sa rage, D'un frère si cruel rejaillir au visage : Vous verriez des horreurs qu'on ne peut concevoir ; Son âge et sa beauté vous pourraient émouvoir ; Mais je hais ces moyens qui sentent l'artifice. 1520 Vous avez à demain remis le sacrifice : Pensez-vous que les dieux, vengeurs des innocents, D'une main parricide acceptent de l'encens ? Sur vous ce sacrilège attirerait sa peine ; Ne le considérez qu'en objet de leur haine, 1525 Et croyez avec nous qu'en tous ses trois combats Le bon destin de Rome a plus fait que son bras, Puisque ces mêmes dieux, auteurs de sa victoire, Ont permis qu'aussitôt il en souillât la gloire, Et qu'un si grand courage, après ce noble effort, 1530 Fût digne en même jour de triomphe et de mort. Sire, c'est ce qu'il faut que votre arrêt décide. En ce lieu Rome a vu le premier parricide ; La suite en est à craindre, et la haine des cieux : Sauvez-nous de sa main, et redoutez les dieux. TULLE. 1535 Défendez-vous, Horace. HORACE. À quoi bon me défendre ? Vous savez l'action, vous la venez d'entendre ; Ce que vous en croyez me doit être une loi. Sire, on se défend mal contre l'avis d'un roi, Et le plus innocent devient soudain coupable, 1540 Quand aux yeux de son prince il paraît condamnable. C'est crime qu'envers lui se vouloir excuser : Notre sang est son bien, il en peut disposer ; Et c'est à nous de croire, alors qu'il en dispose, Qu'il ne s'en prive point sans une juste cause. 1545 Sire, prononcez donc, je suis prêt d'obéir ; D'autres aiment la vie, et je la dois haïr. Je ne reproche point à l'ardeur de Valère Qu'en amant de la soeur il accuse le frère : Mes voeux avec les siens conspirent aujourd'hui ; 1550 Il demande ma mort, je la veux comme lui. Un seul point entre nous met cette différence, Que mon honneur par là cherche son assurance, Et qu'à ce même but nous voulons arriver, Lui pour flétrir ma gloire, et moi pour la sauver. 1555 Sire, c'est rarement qu'il s'offre une matière À montrer d'un grand coeur la vertu toute entière. Suivant l'occasion elle agit plus ou moins, Et paraît forte ou faible aux yeux de ses témoins. Le peuple, qui voit tout seulement par l'écorce, 1560 S'attache à son effet pour juger de sa force ; Il veut que ses dehors gardent un même cours, Qu'ayant fait un miracle, elle en fasse toujours : Après une action pleine, haute, éclatante, Tout ce qui brille moins remplit mal son attente ; 1565 Il veut qu'on soit égal en tout temps, en tous lieux ; - 50 - Il n'examine point si lors on pouvait mieux, Ni que, s'il ne voit pas sans cesse une merveille, L'occasion est moindre, et la vertu pareille : Son injustice accable et détruit les grands noms ; 1570 L'honneur des premiers faits se perd par les seconds ; Et quand la renommée a passé l'ordinaire, Si l'on n'en veut déchoir, il faut ne plus rien faire. Je ne vanterai point les exploits de mon bras ; Votre majesté, sire, a vu mes trois combats : 1575 Il est bien malaisé qu'un pareil les seconde, Qu'une autre occasion à celle-ci réponde, Et que tout mon courage, après de si grands coups, Parvienne à des succès qui n'aillent au-dessous ; Si bien que pour laisser une illustre mémoire, 1580 La mort seule aujourd'hui peut conserver ma gloire : Encore la fallait-il sitôt que j'eus vaincu, Puisque pour mon honneur j'ai déjà trop vécu. Un homme tel que moi voit sa gloire ternie, Quand il tombe en péril de quelque ignominie ; 1585 Et ma main aurait su déjà m'en garantir ; Mais sans votre congé mon sang n'ose sortir : Comme il vous appartient, votre aveu doit se prendre ; C'est vous le dérober qu'autrement le répandre. Rome ne manque point de généreux guerriers ; 1590 Assez d'autres sans moi soutiendront vos lauriers ; Que votre majesté désormais m'en dispense ; Et si ce que j'ai fait vaut quelque récompense, Permettez, ô grand roi, que de ce bras vainqueur Je m'immole à ma gloire, et non pas à ma soeur. SCÈNE III. Tulle, Valère, Le Vieil Horace, Horace, Sabine. SABINE. 1595 Sire, écoutez Sabine, et voyez dans son âme Les douleurs d'une soeur, et celles d'une femme, Qui toute désolée, à vos sacrés genoux, Pleure pour sa famille, et craint pour son époux. Ce n'est pas que je veuille avec cet artifice 1600 Dérober un coupable au bras de la justice : Quoi qu'il ait fait pour vous, traitez-le comme tel, Et punissez en moi ce noble criminel ; De mon sang malheureux expiez tout son crime ; Vous ne changerez point pour cela de victime : 1605 Ce n'en sera point prendre une injuste pitié, Mais en sacrifier la plus chère moitié. Les noeuds de l'hyménée et son amour extrême Font qu'il vit plus en moi qu'il ne vit en lui-même ; Et si vous m'accordez de mourir aujourd'hui, 1610 Il mourra plus en moi qu'il ne mourrait en lui ; La mort que je demande, et qu'il faut que j'obtienne, Augmentera sa peine, et finira la mienne. Sire, voyez l'excès de mes tristes ennuis, Et l'effroyable état où mes jours sont réduits. - 51 - 1615 Quelle horreur d'embrasser un homme dont l'épée De toute ma famille a la trame coupée ! Et quelle impiété de haïr un époux Pour avoir bien servi les siens, l'état et vous ! Aimer un bras souillé du sang de tous mes frères ! 1620 N'aimer pas un mari qui finit nos misères ! Sire, délivrez-moi par un heureux trépas Des crimes de l'aimer et de ne l'aimer pas ; J'en nommerai l'arrêt une faveur bien grande. Ma main peut me donner ce que je vous demande ; 1625 Mais ce trépas enfin me sera bien plus doux, Si je puis de sa honte affranchir mon époux ; Si je puis par mon sang apaiser la colère Des dieux qu'a pu fâcher sa vertu trop sévère, Satisfaire en mourant aux mânes de sa soeur, 1630 Et conserver à Rome un si bon défenseur. Le vieil Horace, au roi. Sire, c'est donc à moi de répondre à Valère. Mes enfants avec lui conspirent contre un père : Tous trois veulent me perdre, et s'arment sans raison Contre si peu de sang qui reste en ma maison. À Sabine. 1635 Toi qui par des douleurs à ton devoir contraires, Veux quitter un mari pour rejoindre tes frères, Va plutôt consulter leurs mânes généreux ; Ils sont morts, mais pour Albe, et s'en tiennent heureux : Puisque le ciel voulait qu'elle fût asservie, 1640 Si quelque sentiment demeure après la vie, Ce mal leur semble moindre, et moins rudes ses coups, Voyant que tout l'honneur en retombe sur nous ; Tous trois désavoueront la douleur qui te touche, Les larmes de tes yeux, les soupirs de ta bouche, 1645 L'horreur que tu fais voir d'un mari vertueux. Sabine, sois leur soeur, suis ton devoir comme eux. Au roi. Contre ce cher époux Valère en vain s'anime : Un premier mouvement ne fut jamais un crime ; Et la louange est due, au lieu du châtiment, 1650 Quand la vertu produit ce premier mouvement. Aimer nos ennemis avec idolâtrie, De rage en leur trépas maudire la patrie, Souhaiter à l'état un malheur infini, C'est ce qu'on nomme crime, et ce qu'il a puni. 1655 Le seul amour de Rome a sa main animée : Il serait innocent s'il l'avait moins aimée. Qu'ai-je dit, sire ? Il l'est, et ce bras paternel L'aurait déjà puni s'il était criminel : J'aurais su mieux user de l'entière puissance 1660 Que me donnent sur lui les droits de la naissance ; J'aime trop l'honneur, sire, et ne suis point de rang À souffrir ni d'affront ni de crime en mon sang. C'est dont je ne veux point de témoin que Valère : Il a vu quel accueil lui gardait ma colère, 1665 Lorsqu'ignorant encore la moitié du combat, - 52 - C'est en séchant vos pleurs que vous vous montrerez 1770 La véritable soeur de ceux que vous pleurez. Mais nous devons aux dieux demain un sacrifice ; Et nous aurions le ciel à nos voeux mal propice, Si nos prêtres, avant que de sacrifier, Ne trouvaient les moyens de le purifier : 1775 Son père en prendra soin ; il lui sera facile D'apaiser tout d'un temps les mânes de Camille. Je la plains ; et pour rendre à son sort rigoureux Ce que peut souhaiter son esprit amoureux, Puisqu'en un même jour l'ardeur d'un même zèle 1780 Achève le destin de son amant et d'elle, Je veux qu'un même jour, témoin de leurs deux morts, En un même tombeau voie enfermer leurs corps. SCÈNE DERNIÈRE. JULIE. Cette scène est supprimée à partir de 1660. Camille, ainsi le ciel t'avait bien avertie Des tragiques succès qu'il t'avait préparés, 1785 Mais toujours du secret il cache une partie Aux esprits les plus nets, et les mieux éclairés, Il semblait nous parler de ton proche hyménée, Il semblait tout promettre à tes voeux innocents, Et nous cachant ainsi ta mort inopinée 1790 Sa voix n'est que trop vraie en trompant notre sens. Vers 1791, l'édition 1641 porte "un autre", nous corrigeons en "une autre". Albe et Rome aujourd'hui prennent une autre face, Tes voeux sont exaucés, elles goûtent la paix, Et tu vas être unie avec ton Curiace Sans qu'aucun mauvais sort t'en sépare jamais. FIN - 55 - Extrait du Privilège du Roi. LOUIS PAR LA GRÂCE DE DIEU ROI DE FRANCE ET DE NAVARRE. À nos Amés et féaux conseiller les gens tenants les cours de Parlement, Maîtres de requêtes ordinaires de notre hôtel, baillifs, sénéchaux, et officiers qu'il appartiendra, Salut. Notre bien aimé AUGUSTIN COURBÉ, libraire à Paris, Nous a fait remontrer qu'il désirerait imprimer Horace, Tragédie, par Corneille, s'il avait sur ce nos lettres nécessaires, lesquelles il nous a très humblement supplié de lui accorder. À ces causes nous avons permis et permettons à l'exposant d'imprimer, vendre et débiter en tous lieux de notre obéissance le dit livre, en telles marges, en tels caractères, et autant de fois qu'il voudra durant l'espace de dix ans entiers et accomplis, à compter du jour qu'ils seront achevés d'imprimer, pour la première fois ; et faisons très expresse défenses à toutes personnes de quelque qualités, et condition qu'elles soient de les imprimer, faire imprimer, vendre ni distribuer en aucun endroit de ce Royaume durant le dit temps, sous prétexte d'augmentation, correction et changement de titre, ou autrement, en quelque sorte et manière que ce soit, à peine de quinze cents livres d'amende, payable sans déport par chacun des contrevenants, et applicables un tiers à Nous, un tiers à l'Hôtel Dieu de Paris, et l'autre à l'exposant, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens dommages et intérêts : à condition qu'il en sera remis deux exemplaires en notre bibliothèque publique, et un en celle de notre très cher féal et sieur Séguier, Chevalier Chancelier de France, avant que l'exposer en vente, à peine de nullité des présentes, du contenu desquelles nous vous mandons que vous fassiez jouir pleinement et paisiblement l'exposant, et ceux qui auront droit d'icelui , sans qu'il lui soit fait aucun trouble ni empêchement. Voulons aussi qu'en mettant au commencement ou à la fin des dits livres un bref extrait des présentes, elles soient tenues pour dûment signifiées, et que fois y soit ajoutée, et aux copies d'icelles collationnées par l'un de nos amés et féaux conseillers et secrétaire comme à l'original. Mandons aussi au premier huissier ou sergent sur ce requis, de faire pour l'exécution des présentes tous exploits nécessaires sans demander autre permission : car tel est Notre bon plaisir. Nonobstant oppositions ou appellations quelconques, et sans préjudices d'icelles, Clameur du haro, Chartes normandes, et autres lettres à ce contraires. Donné à Paris le 11ème jour de décembre l'an de grâce mille six cent quarante ; et de notre Règne le trente et unième. Signé, par le roi en son conseil. CONRART. - 56 - ANNEXE EXAMEN 1660 (de Pierre Corneille) C'est une croyance assez générale que cette pièce pourrait passer pour la plus belle des miennes, si les derniers actes répondaient aux premiers. Tous veulent que la mort de Camille en gâte la fin, et j'en demeure d'accord ; mais je ne sais si tous en savent la raison. On l'attribue communément à ce qu'on voit cette mort sur la scène ; ce qui serait plutôt la faute de l'actrice que la mienne, parce que, quand elle voit son frère mettre l'épée à la main, la frayeur, si naturelle au sexe, lui doit faire prendre la fuite, et recevoir le coup derrière le théâtre, comme je le marque dans cette impression. D'ailleurs, si c'est une règle de ne le point ensanglanter, elle n'est pas du temps d'Aristote, qui nous apprend que pour émouvoir puissamment il faut de grands déplaisirs, des blessures et des morts en spectacle. Horace ne veut pas que nous y hasardions les événements trop dénaturés, comme de Médée qui tue ses enfants ; mais je ne vois pas qu'il en fasse une règle générale pour toutes sortes de morts, ni que l'emportement d'un homme passionné pour sa patrie contre une soeur qui la maudit en sa présence avec des imprécations horribles, soit de même nature que la cruauté de cette mère. Sénèque l'expose aux yeux du peuple, en dépit d'Horace ; et, chez Sophocle, Ajax ne se cache point au spectateur lorsqu'il se tue. L'adoucissement que j'apporte dans le second de ces discours pour rectifier la mort de Clytemnestre ne peut être propre ici à celle de Camille. Quand elle s'enferrerait d'elle-même par désespoir en voyant son frère l'épée à la main, ce frère ne laisserait pas d'être criminel de l'avoir tirée contre elle, puisqu'il n'y a point de troisième personne sur le théâtre à qui il pût adresser le coup qu'elle recevrait, comme peut faire Oreste à Egisthe. D'ailleurs, l'histoire est trop connue pour retrancher le péril qu'il court d'une mort infâme après l'avoir tuée ; et la défense que lui prête son père pour obtenir sa grâce n'aurait plus de lieu, s'il demeurait innocent. Quoi qu'il en soit, voyons si cette action n'a pu causer la chute de ce poème que par là, et si elle n'a point d'autre irrégularité que de blesser les yeux. Comme je n'ai point accoutumé de dissimuler mes défauts, j'en trouve ici deux ou trois assez considérables. Le premier est que cette action, qui devient la principale de la pièce, est momentanée, et n'a point cette juste grandeur que lui demande Aristote, et qui consiste en un commencement, un milieu et une fin. Elle surprend tout d'un coup ; et toute la préparation que j'y ai donnée par la peinture de la vertu farouche d'Horace, et par la défense qu'il fait à sa soeur de regretter qui que ce soit de lui ou de son amant qui meure au combat, n'est point suffisante pour faire attendre un emportement si extraordinaire, et servir de commencement à cette action. Le second défaut est que cette mort fait une action double par le second péril où tombe Horace après être sorti du premier. L'unité de péril d'un héros dans la tragédie fait l'unité d'action ; et quand il en est garanti, la pièce est finie, si ce n'est que la sortie même de ce péril l'engage si nécessairement dans un autre, que la liaison et la continuité des deux n'en fassent qu'une action ; ce qui n'arrive point ici, où Horace revient triomphant sans aucun besoin de tuer sa soeur, ni même de parler à elle ; et l'action serait suffisamment terminée à sa victoire. Cette chute d'un péril en l'autre, sans nécessité, fait ici un effet - 57 - Je forme des soupçons d'un trop léger sujet : Près d'un jour si funeste on change peu d'objet ; Les âmes rarement sont de nouveau blessées, Variante 3 Les vers suivant situé en fin de l'acte II scène II sont absents de l'édition 1641. Il vous souvient qu'à peine on voyait de sa soeur Par un heureux hymen mon frère possesseur, Quand, pour comble de joie, il obtint de mon père Variante 4 Les vers suivants de la fin de l'acte IV scène 2 ne sont pas dans l'édition 1641 et présent dans l'édition 1682. Et je me tiens déjà trop payé par les vôtres Du service d'un fils, et du sang des deux autres. VALÈRE. Il ne sait ce que c'est d'honorer à demi ; Et son sceptre arraché des mains de l'ennemi Fait qu'il tient cet honneur qu'il lui plaît de vous faire Au-dessous du mérite et du fils et du père. Je vais lui témoigner quels nobles sentiments La vertu vous inspire en tous vos mouvements, Et combien vous montrez d'ardeur pour son service. LE VIEIL HORACE. Je vous devrai beaucoup pour un si bon office. - 60 - PRESENTATION des éditions du THEÂTRE CLASSIQUE Les éditions s'appuient sur les éditions originales disponibles et le lien vers la source électronique est signalée. Les variantes sont mentionnées dans de rares cas. Pour faciliter, la lecture et la recherche d'occurences de mots, l'orthographe a été modernisée. Ainsi, entre autres, les 'y' en fin de mots sont remplacés par des 'i', les graphies des verbes conjugués ou à l'infinitif en 'oître' est transformé en 'aître' quand la la graphie moderne l'impose. Il se peut, en conséquence, que certaines rimes des textes en vers ne semblent pas rimer. Les mots 'encor' et 'avecque' sont conservés avec leur graphie ancienne quand le nombre de syllabes des vers peut en être altéré. Les caractères majuscules accentués sont marqués. La ponctuation est la plupart du temps conservée à l'exception des fins de répliques se terminant par une virgule ou un point-virgule, ainsi que quand la compréhension est sérieusement remise en cause. Une note l'indique dans les cas les plus significatifs. Des notes explicitent les sens vieillis ou perdus de mots ou expressions, les noms de personnes et de lieux avec des définitions et notices issues des dictionnaires comme - principalement - le Dictionnaire Universel Antoine Furetière (1701) [F], le Dictionnaire de Richelet [R], mais aussi Dictionnaire Historique de l'Ancien Langage Français de La Curne de Saint Palaye (1875) [SP], le dictionnaire Universel Français et Latin de Trévoux (1707-1771) [T], le dictionnaire Trésor de langue française tant ancienne que moderne de Jean Nicot (1606) [N], le Dictionnaire etymologique de la langue françoise par M. Ménage ; éd. par A. F. Jault (1750), Le Dictionnaire des arts et des sciences de M. D. C. de l'Académie françoise (Thomas Corneille) [TC], le Dictionnaire critique de la langue française par M. l'abbé Feraud [FC], le dictionnaire de l'Académie Française [AC] suivi de l'année de son édition, le dictionnaire d'Emile Littré [L], pour les lieux et les personnes le Dictionnaire universel d'Histoire et de Géographie de M.N. Bouillet (1878) [B] ou le Dictionnaire Biographique des tous les hommes morts ou vivants de Michaud (1807) [M]. - 61 -
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