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L'Altérité de la nature chez Verlaine dans les 'Ariettes oubliées ..., Notes de Histoire de la Musique

Dans une analyse de la relation paysage–musique, Daniel Grimley esquisse le concept d'un 'attunement [accord]' au monde, une sorte de 'being–in–the–weather [ ...

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Télécharge L'Altérité de la nature chez Verlaine dans les 'Ariettes oubliées ... et plus Notes au format PDF de Histoire de la Musique sur Docsity uniquement! Dix–Neuf septembre 2013 [septembre 2014; janvier 2015] 1 de 11 L’Altérité de la nature chez Verlaine dans les ‘Ariettes oubliées’ II, IV, V et VII Daniel A. Finch–Race (Trinity College, University of Cambridge, UK) Résumé La poésie verlainienne autour de 1874 témoigne d’une relation particulière du narrateur à son environnement dont les traces surgissent au seuil des Romances sans paroles dans les ‘Ariettes oubliées’. Dans la mesure où ces vers innovants sont marqués par la perte d’une affinité entre nature et humanité, les Ariettes II, IV, V et VII offrent un terrain fructueux pour une analyse écocritique de l’altérité de la nature et de son rôle dans la formation de valeurs poétiques. Cette étude considère le rapport entre certains concepts écologiques et la prosodie afin de proposer un regard écopoétique sur les tensions entre l’humanité et la nature vers la fin du dix–neuvième siècle. Mots–clés écopoétique; versification; environnement; écocritique Notice biographique Daniel A. Finch–Race termina une thèse de doctorat au Trinity College de l’université de Cambridge en août 2015. Dans le cadre de ses études écocritiques de la poésie du dix– neuvième siècle, il a publié des articles qui examinent l’hégémonie masculine et l’altérité féminine dans ‘À une mendiante rousse’ de Baudelaire (French Studies Bulletin, 2014); l’écosensibilité dans ‘Comédie de la soif’ de Rimbaud (Interdisciplinary Studies in Literature and Environment, 2015); les réflexions écopoétiques dans ‘Je n’ai pas oublié’ et ‘La Servante au grand cœur’ de Baudelaire (Green Letters, 2015); les non–lieux dans ‘Les Sept Vieillards’ et ‘Les Petites Vieilles’ de Baudelaire (Modern Language Review, 2015). Adresse de correspondance Trinity College, Cambridge, CB2 1TQ, UK Email daf44@cam.ac.uk – La matérialité de toute œuvre artistique comporte des aspects écologiques dont il est possible d’extrapoler une réflexion sur la relation de l’humanité à la nature. Pour Karl Kroeber dans Ecological Literary Criticism, tout auteur qui s’intéresse au monde qui l’entoure s’engage implicitement à ‘bringing close to himself (and so to his readers) natural features that had traditionally been regarded as marginal to supremely civilised life [apporter proche à lui (et donc à ses lecteurs) des particularités naturelles qui avaient été traditionnellement considérées comme marginales à la vie suprêmement civilisée]’ (1994: 56). C’est grâce à cette proximité que l’humanité est capable d’évaluer non seulement l’effet de ses propres actions sur l’environnement, mais aussi la façon dont les changements environnementaux peuvent influencer la conscience humaine. Les aspects écologiques de la poésie sont encore plus perceptibles si nous considérons cette dernière en tant que système de recyclage qui capte une grande partie de son énergie des cycles de réflexion du narrateur. Ce processus produit enfin une expérience distillée, rythmée par des courants prosodiques qui ressemblent aux systèmes de l’environnement physique qui entoure et affecte le poète. À partir de l’affirmation de Julia Kristeva dans La Révolution du langage poétique selon laquelle ‘la pulsion (de mort: négativité, destruction) réitérée se retire de l’inconscient et se place, comme déjà positivée […], dans un langage qui, de son placement, s’organise en prosodie ou L’ALTÉRITÉ DE LA NATURE CHEZ VERLAINE 2 de 11 en timbres rythmés’ (1974: 151), nous pouvons concevoir la poésie moderne comme une structure de recyclage qui contribue à la formulation de nouvelles valeurs en faisant surgir de l’inconscient du narrateur les effets des changements culturels et physiques. Dans une perspective écocritique, les particularités de la poésie en vers de la deuxième moitié du dix–neuvième siècle peuvent être interprétées comme corollaire des changements effectués dans le but d’accélérer le progrès de la société. Les développements du vers libre et de la poésie en prose signalent l’insuffisance d’un système prosodique et la nécessité d’un changement de paradigme face au nouveau monde. Il est ainsi possible de voir dans ce changement poétique une réaction à l’idéalisation de la nature inhérente au romantisme. Dans une étude du rapport texte–environnement, Kate Rigby propose le concept d’une ‘negative ecopoetics [écopoétique négative]’ (2004: 437) qui cherche à éviter la réification de l’environnement par l’intermédiaire d’une reconnaissance de l’altérité de la nature. Si nous voulons mieux comprendre l’évolution stylistique de la poésie, nous bénéficierons de la méthodologie diversifiée de l’écocritique. Elle nous permet de mieux comprendre les enjeux essentiels de la production culturelle qui sont liés à la matérialité et à l’environnement. Nous pouvons même concevoir la poésie moderne comme une manière de préserver la différence de la nature en réponse à la marchandisation et à l’évanescence de l’époque industrialisée, comme Jonathan Bate nous y invite dans The Song of the Earth: ‘as the realm of nature [...] has diminished almost to vanishing–point with the march of modernity, of technology and consumerism, so a refuge for nature […] [can] be found in poetry [ainsi que le domaine de la nature a diminué presque au point de la disparition lors de l’avancée de la modernité, de la technologie et du consumérisme, un refuge pour la nature peut être trouvé en poésie]’ (2000: 264). La poésie moderne nous incite à considérer plus attentivement les enjeux environnementaux de l’existence humaine et du progrès lors de la modernité en créant un espace dans lequel les particularités de la nature sont préservées, contrairement aux discours d’exploitation de la nature qui voient en elle une entité purement instrumentale assujettie aux besoins humains. Avant d’aller plus loin, il est important de reconnaître certains obstacles auxquels se heurte l’écocritique, en particulier le fait que les analyses effectuées dans ce cadre sont souvent basées sur des œuvres qui se concentrent sur la thématique de la nature sauvage. Si les analyses écocritiques les plus profondes nous semblent se concentrer surtout sur les torts de l’humanité envers la nature ou sur des notions mystiques d’essences écologiques, c’est que ces efforts représentent des tentatives de construire un modèle socialement engagé pour l’analyse littéraire. Cet engagement est le fruit des efforts écocritiques de promouvoir une attention théorique envers l’environnement qui est fondée sur des tentatives de réinterpréter les idées classiquement antagonistes de la nature et de la culture. Pour surmonter l’obstacle constitué par le fait que toute analyse humaine, comme le remarque Bate, ‘can only communicate […] knowledge in the form of propositions by using the divided Cartesian language of subject (“we see”) and object (“the life of things”) [peut seulement communiquer le savoir en forme de propositions avec l’utilisation de la langue divisée cartésienne du sujet (“nous voyons”) et de l’objet (“la vie des choses”)]’ (2000: 149), plusieurs écocritiques cherchent à élaborer une méthode pour discuter le rapport texte–environnement en reconnaissant l’altérité de la nature et en essayant de faire ressortir les obligations de l’humanité envers le monde. L’écocritique contemporaine nous offre donc des outils théoriques qui nous permettent de spéculer sur le rapport entre actions humaines et conséquences environnementales, d’autant plus qu’elle se montre consciente des instabilités inhérentes à l’interprétation de la nature par l’humanité. Grâce à des concepts empruntés aux sphères de recherche contiguës à l’analyse littéraire (la biochimie; la géographie), le L’ALTÉRITÉ DE LA NATURE CHEZ VERLAINE 5 de 11 Sur les plans émotionnel et temporel, le développement des expressions ‘voix’ (2) et ‘âme’ (5) par rapport à la première Ariette (‘Le chœur des petites voix’ (I, 6); ‘Cette âme qui se lamente’ (I, 13)) est suggestif: le modificateur quasi numineux de ‘voix’ (‘anciennes’ (2)) implique une attention croissante aux enjeux de l’existence du narrateur, soulignée par la répétition de la première personne du singulier du possessif dans le cinquième vers (‘mon âme et mon cœur’ (5)). L’élision à travers les virgules en raison d’un e caduc dans chacun des deux vers externes du premier quatrain (‘Je devine, à travers’ (1); ‘Amour pâle, une aurore’ (4)) met en évidence la hâte vers un avenir dans lequel luit l’espoir, opposé à la crise personnelle et poétique de la deuxième strophe: ‘mon âme et mon cœur en délires | Ne sont plus qu’une espèce d’œil double’ (5–6). Les difficultés du narrateur à l’égard de son identité et son rapport au monde sont soulignées par l’instabilité relative du deuxième quatrain, dans lequel l’enjambement continu des vers nonasyllabiques évoque une fluidité de l’espace poétique qui indique l’état d’esprit instable du narrateur. Selon la caractérisation par Clive Scott dans The Riches of Rhyme de ‘Verlaine’s ability to capture the unfocused, almost undifferentiated rippling of consciousness at its lower levels, the kinetics of the psyche, the flickering modulations of affective reaction [la capacité de Verlaine de capturer l’ondulation imprécise, presque indifférenciée de la conscience à ses niveaux inférieurs, la cinétique du psychisme, les modulations vacillantes de la réaction affective]’ (1988: 237–38), nous proposons que la crise impliquée dans la deuxième strophe est basée sur un tumulte lié aux transformations environnementales suggérées à la fin du quatrain (‘un jour trouble’ (8)) d’une manière qui préfigure le propos nihiliste du troisième quatrain. La relation entre le passé et l’avenir est brouillée par l’hystéron–protéron du distique interne de la troisième strophe (‘Que s’en vont, – cher amour qui t’épeures, | Balançant jeunes et vieilles heures!’ (10–11)), ainsi que par l’anaphore exclamatoire (‘O mourir’ (9; 12)) qui encadre le quatrain et qui met en évidence le fort tiraillement du narrateur entre le passé et un monde nouveau. La peine causée par cette situation lui fait souhaiter la fuite car il est incapable de faire face aux enjeux de la vie moderne. – La cinquième Ariette reprend le thème de l’incertitude en quatre tercets décasyllabiques qui proposent un mélange de rimes masculines et féminines dans une structure de rimes modulante: V Son joyeux, importun, d’un clavecin sonore. (Petrus Borel) Le piano que baise une main frêle Luit dans le soir rose et gris vaguement, Tandis qu’avec un très léger bruit d’aile Un air bien vieux, bien faible et bien charmant Rôde discret, épeuré quasiment, Par le boudoir longtemps parfumé d’Elle. Qu’est–ce que c’est que ce berceau soudain Qui lentement dorlote mon pauvre être? Que voudrais–tu de moi, doux Chant badin? Qu’as–tu voulu, fin refrain incertain Qui vas tantôt mourir vers la fenêtre Ouverte un peu sur le petit jardin? (OPC: 193) Marqué à la fin par la répétition en anaphore d’un questionnement émotif, le poème suggère dans une forme qui paraît très régulière (des vers pairs) une expérience synesthésique (provoquée autant par des sons que par des odeurs) du monde et de l’amour qui développe la L’ALTÉRITÉ DE LA NATURE CHEZ VERLAINE 6 de 11 confusion de la deuxième Ariette. À cet égard, la remarque de Yann Frémy dans Verlaine prend tout son sens: ‘dans cette ariette en apparence si modeste, il est probable que Verlaine propose le récit allégorique de son contre–romantisme’ (2013: 117). Afin de mettre davantage en évidence l’aspect postromantique de la poésie de Verlaine, examinons la structure suggestive des rimes des deux strophes initiales (‘frêle’ (1), ‘vaguement’ (2), ‘d’aile’ (3), ‘charmant’ (4), ‘quasiment’ (5), ‘d’Elle’ (6)) dans une perspective écocritique. La disposition F–M–F (terminaison féminine – terminaison masculine – terminaison féminine) du premier tercet se métamorphose en M–M–F dans la deuxième strophe, dans un mouvement qui évoque une attention accrue du poète aux composantes de l’environnement du poème. D’une part, la modulation de la structure des rimes peut représenter un regard minutieux sur le paysage poétique en contraste avec une appréciation romantique de la nature à distance si nous considérons le tissage des rimes comme corollaire du rapport humanité– nature. D’autre part, il faut noter que les finales féminines offrent une richesse plus élevée que les masculines (toutes les trois finales masculines ne peuvent créer que des rimes suffisantes) car les finales féminines qui sont proéminentes à la fin des deux tercets initiaux (‘d’aile’ (3); ‘d’Elle’ (6)) peuvent créer une rime riche dans un développement de la combinaison suffisante qui peut exister entre le premier vers et le troisième (‘frêle’ (1); ‘d’aile’ (3)). Il est possible d’interpréter la structure des rimes comme une affirmation de l’importance de l’altérité de la nature pour l’humanité puisque l’alternance des finales et la richesse contrastée des combinaisons nous sensibilisent à la texture des éléments qui composent le tissu poétique. La métamorphose des rimes se conclut dans la troisième strophe, à partir de laquelle la structure des rimes devient M–F–M pour les deux tercets finaux. La possibilité d’une rime féminine entre ‘être’ (8) et ‘fenêtre’ (11) est pourtant riche, en parallèle à l’association immédiatement antérieure entre ‘d’aile’ (3) et ‘d’Elle’ (6), ce qui renforce la sensation d’une altérité de la nature qui persiste dans la deuxième moitié du poème. Voletant entre la sensation de fluidité provoquée par le crépuscule du soir (la grisaille indique peut–être la confusion de la conscience du narrateur) et l’immatérialité d’une mélodie qui traîne dans le boudoir comme parfum évocateur, le récit de l’Ariette est rythmé par une altérité que le narrateur essaie vainement de comprendre. Accentuée par la cadence majeure du quatrième vers et du cinquième, l’apparition triple de ‘bien’ (4) dans le quatrième vers ouvre la voie au malaise souligné par l’association sémantique des occlusives dans ‘épeuré’ (5) et ‘parfumé’ (6), comme si le phénomène synesthésique indiquait la volatilité de l’existence du narrateur dans un monde en transition. À propos de l’importance de l’incertitude du sens et de l’expérience sensorielle dans le poème, il est utile de considérer l’analyse de Mylène Dubiau– Feuillerac de la mise en musique debussienne des Romances sans paroles: ‘dans une démarche de recherche de signification grâce aux procédés poétiques, Verlaine travaille les sonorités, les longueurs de syllabes, pour évoquer le spleen de son sujet lyrique’ (2013: 65). Si nous partons du concept de la nature en tant que sphère de l’altérité, la susdite sensibilisation écopoétique au rapport entre l’humeur du narrateur et ses alentours met en lumière l’environnement de l’Ariette, ce qui ouvre la voie à une perspective écocritique sur la disparition du refrain dans le petit jardin à la fin. Accompagné par une cadence majeure qui accentue le passage des sons faibles, le seul cas du passé composé dans le poème entier (‘Qu’as–tu voulu, fin refrain incertain’ (10)) implique que l’occasion pour le narrateur de trouver une réponse aux questions soulevées par l’altérité du monde dans lequel il se trouve (‘Qu’est–ce que c’est que ce berceau | Qui lentement dorlote mon pauvre être? | Que voudrais–tu de moi, doux Chant badin?’ (7–9)) est passée sans que son dilemme soit résolu. La cinquième Ariette incarne ainsi le trouble du narrateur causé par l’incompréhension de l’altérité, ce qui préfigure le désespoir des Ariettes suivantes, dans lesquelles le narrateur cherche une voie nouvelle pour échapper à la mélancolie. L’ALTÉRITÉ DE LA NATURE CHEZ VERLAINE 7 de 11 Ariettes IV et VII: Fuite et désespoir La quatrième Ariette commence par une demande de pardon pour une transgression non précisée, à cause de laquelle le narrateur est devenu paria dans la société: IV De la douceur, de la douceur, de la douceur. (Inconnu) Il faut, voyez–vous, nous pardonner les choses. De cette façon nous serons bien heureuses Et si notre vie a des instants moroses Du moins nous serons, n’est–ce pas? deux pleureuses. Ô que nous mêlions, âmes sœurs que nous sommes, À nos vœux confus la douceur puérile De cheminer loin des femmes et des hommes, Dans le frais oubli de ce qui nous exile! Soyons deux enfants, soyons deux jeunes filles Éprises de rien et de tout étonnées Qui s’en vont pâlir sous les chastes charmilles Sans même savoir qu’elles sont pardonnées. Dans une perspective écocritique, le désir du narrateur de s’enfuir avec son compagnon peut être compris comme un geste de rapprochement avec le monde naturel si nous comprenons l’environnement extra–urbain en tant qu’un monde à part. Ce dernier peut offrir un espace de sécurité pour les deux ‘âmes sœurs’ (5) qui se sentent mal à l’aise dans la sphère de la société humaine (il est facile de repérer la présence de Rimbaud en tant que figure d’altérité qui détourne Verlaine du chemin de la tradition). Quant à la présentation des deux protagonistes comme deux âmes exilées, elle augmente l’importance de la nature comme antithèse de la société que le narrateur veut fuir. À la lumière de l’affirmation d’Arnaud Bernadet dans L’Exil et l’utopie selon laquelle ‘dans l’espoir d’un pardon, le poème évoque de façon obsédante des “choses” qu’il passe aussitôt sous silence avec une pudeur excessive’ (2007: 132), il faut remarquer l’exclusivité de rimes féminines croisées en vers hendécasyllabiques (un écho de la deuxième Ariette) qui rythment la demande de pardon du narrateur pour son abandon des idées conventionnelles: ‘la douceur puérile | De cheminer loin des femmes et des hommes’ (6–7). Cette idée de chercher un locus amoenus dans une région extra–sociétale ressemble aux rêveries rimbaldiennes dans les deux derniers vers de ‘Sensation’ (‘j’irai loin, bien loin,// comme un bohémien, | Par la nature, heureux comme avec une femme’ (7–8; Rimbaud, 1999: 50)), ainsi qu’à la fin du premier quatrain de ‘Ma Bohème’ (‘J’allais sous le ciel, Muse!/ et j’étais ton féal; | Oh! là là! que d’amours splendides j’ai rêvées!’ (3–4; Rimbaud, 1999: 74–75)). L’importance de la nature en tant que monde à part est soulignée par le mètre plutôt déséquilibrant qui contraste avec la richesse des rimes presque homogènes, emblème des traditions contraignantes de la société auxquelles le narrateur essaie d’échapper. Entourée de l’incertitude de la troisième Ariette (‘Quelle est cette langueur | Qui pénètre mon cœur?’ (III, 3–4; OPC: 192)), de la douleur de l’abandon de la septième Ariette (‘Je ne me suis pas consolé | Bien que mon cœur s’en soit allé’ (VII, 3–4; OPC: 195)), et de la mélancolie figurée en termes naturels au cœur de la huitième Ariette (‘Le ciel est de cuivre | Sans lueur aucune’ (VIII, 5–6; OPC: 196)) et de la neuvième Ariette (‘L’ombre des arbres dans la rivière embrumée | Meurt comme de la fumée’ (IX, 1–2; OPC: 196)), la quatrième Ariette occupe une position significative avant le point médian du recueil. Le désir du narrateur de rejeter les notions conventionnelles de la société humaine est accompagné par l’envie d’intensifier son appréciation sensorielle de l’environnement: ‘soyons deux jeunes filles | Éprises de rien et de tout étonnées’ (9–10). L’idée pourtant terrifiante d’une rupture L’ALTÉRITÉ DE LA NATURE CHEZ VERLAINE 10 de 11 singularités suggestives d’un système en évolution vers une identité nouvelle. Nous proposons que les Ariettes II, IV, V et VII nuancent la compréhension poétique du rapport humanité–nature car les récits verlainiens évoquent une écosensibilité basée sur l’altérité de la nature qui encourage un redressement des perceptions brouillées par le progrès accéléré de la deuxième moitié du dix–neuvième siècle. Les évocations subtiles de la nature tout au long des ‘Ariettes oubliées’ méritent d’être interprétées comme l’extension du désir du narrateur pour la reconnaissance de la différence, source de liberté et de tranquillité. En somme, l’altérité de la nature est au cœur des préoccupations de Verlaine dans les ‘Ariettes oubliées’. Elle représente un corollaire de la détresse du narrateur et met en relief l’attitude restrictive de la société du dix–neuvième siècle qui émerge des vignettes. Il est possible d’apercevoir les contours d’une nouvelle conception du rapport texte–environnement dans cette série qui offre des signes de l’importance de la nature par rapport à la civilisation humaine. Les poèmes au début des Romances sans paroles interviennent de manière significative dans le débat sur la valeur de l’environnement pour l’humanité au moment où les développements scientifiques et technologiques augmentent l’assujettissement de la nature aux besoins humains. Dans Les Structures rhétoriques de la science, Fernand Hallyn affirme que ‘la science […] relève […] de l’agression par laquelle l’homme tente d’arracher ses secrets à la nature’ (2004: 76). La préoccupation de Verlaine pour l’altérité de la nature peut ainsi proposer une antithèse au progrès fervent de la société qui est basée sur un aperçu des faiblesses de l’humanité au seuil de la modernité. Dans une perspective écopoétique, nous pouvons envisager les ‘Ariettes oubliées’ en tant que mise en scène de l’augmentation des attitudes restrictives de l’humanité à l’époque moderne puisque les poèmes démontrent jusqu’à quel point il existe une séparation entre le monde du progrès et l’écologie de ses alentours. Il est enfin fructueux de contempler l’altérité de la nature qu’évoquent les Ariettes II, IV, V et VII comme indice d’une écosensibilité croissante dans la poésie post–romantique qui est liée aux développements de l’impressionnisme, mouvement qui témoigne de l’importance de l’environnement pour l’existence humaine. Références Agamben, Giorgio. 1995. Idea of Prose. Tr. M. Sullivan & S. Whitsitt. Albany, NY: State University of New York Press. Bate, Jonathan. 2000. 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La Révolution du langage poétique: L’Avant–garde à la fin du XIXe siècle, Lautréamont et Mallarmé. Paris: Seuil. Kroeber, Karl. 1994. Ecological Literary Criticism: Romantic Imagining and the Biology of the Mind. New York, NY: Columbia University Press. Maulpoix, Jean–Michel. 1996. La Poésie malgré tout. Paris: Mercure de France. L’ALTÉRITÉ DE LA NATURE CHEZ VERLAINE 11 de 11 Rigby, Kate. 2004. Earth, World, Text: On the (Im)possibility of Ecopoiesis. New Literary History, 35(3): 427– 42. Rimbaud, Arthur. 1999. Poésies; Une saison en enfer; Illuminations. Éd. L. Forestier. Paris: Gallimard. Robichez, Jacques. 1982. Verlaine entre Rimbaud et Dieu. Paris: Société d’édition d’enseignement supérieur. Scott, Clive. 1988. The Riches of Rhyme. Oxford: Clarendon Press. Serres, Michel. 1992. Éclaircissements: Cinq entretiens avec Bruno Latour. Paris: François Bourin. Taylor–Horrex, Susan. 1988. Verlaine: ‘Fêtes galantes’ and ‘Romances sans paroles’. Londres: Grant & Cutler. 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