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L'art de masse et l'art populaire dans la philosophie ..., Slides de Arts

philosophie analytique de l'art, ne concevoir comme œuvre d'art que les chefs ... fins de démonstration, mais servent plus souvent qu'à leur tour de boucs ...

Typologie: Slides

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Alexie_93
Alexie_93 🇫🇷

4.2

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94 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge L'art de masse et l'art populaire dans la philosophie ... et plus Slides au format PDF de Arts sur Docsity uniquement! UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL ET L'UNIVERSITÉ DE PROVENCE l L'ART DE MASSE ET L'ART POPULAIRE DANS LA PHILOSOPHIE ANALYTIQUE DE L'ART OU LE PARADOXE DES FANS D'ELVIS THÈSE PRÉSENTÉE EN COTUTELLE COMME EXIGENCE PARTIELLE DU DOCTORAT EN PHILOSOPHIE PAR MÉLISSA THÉRIAULT DÉCEMBRE 2007 UNIVERSITÉ DU QUÉBEC À MONTRÉAL Service des bibliothèques Avertissement La diffusion de cette thèse se fait dans le respect des droits de son auteur, qui a signé le formulaire Autorisation de reproduire et de diffuser un travail de recherche de cycles supérieurs (SDU-522 - Rév.ü1-2üü6). Cette autorisation stipule que «conformément à l'article 11 du Règlement no 8 des études de cycles supérieurs, [l'auteur] concède à l'Université du Québec à Montréal une licence non exclusive d'utilisation et de publication de la totalité ou d'une partie importante de [son] travail de recherche pour des fins pédagogiques et non commerciales. Plus précisément, [l'auteur] autorise l'Université du Québec à Montréal à reproduire, diffuser, prêter, distribuer ou vendre des copies de [son] travail de recherche à des fins non commerciales sur quelque support que ce soit, y compris l'Internet. Cette licence et cette autorisation n'entraînent pas une renonciation de [la] part [de l'auteur] à [ses] droits moraux ni à [ses] droits de propriété intellectuelle. Sauf entente contraire, [l'auteur] conserve la liberté de diffuser et de commercialiser ou non ce travail dont [il] possède un exemplaire.» lV CONCLUSION POUR UNE VISION CONSTRUCTIVE DU LOW ART 249 BIBLIOGRAPHIE 260 v REMERCIEMENTS Je tiens à remercier en premier lieu mes deux directeurs, le Pr. Jean-Pierre Cometti et le Pr. Luc Faucher pour leur soutien à tous les égards. Les marques de confiance et de patience qu'ils m'ont témoignées, de même que l'attention qu'ils ont accordée à la progression de cette recherche m'ont été plus que précieuses. Je remercie également ceux qui ont mis l'épaule à la roue par leurs commentaires ou leurs suggestions (les collègues et amis concernés se reconnaîtront, eux qui m'ont soutenue inconditionnellement dans mes démarches, errances, gaffes et tribulations). Ma gratitude va aussi à ceux qui m'ont appuyée dans divers processus administratifs et qui m'ont aidée à cheminer à l'aide de tous ces contrats qui ont contribué à améliorer ma formation. Merci également aux membres du jury, de même qu'aux organismes subventionnaires, dont le Conseil de recherche en sciences humaines du Canada pour la généreuse bourse. Finalement, j'aimerais dédier ce travail aux membres de ma famille : mes parents, Simone et Germain, mon frère Jonathan, ma sœur Majorie. J'ai également une pensée particulière pour mon grand-oncle Adrien, qui m'a révélé juste avant son décès le secret pour mener à bien des études doctorales et surtout pour résister à la tentation d'abandonner. Mon grand-oncle ne croyait pas au ciel, mais s'il existe bel et bien un ciel des idées, il doit s' y promener de temps en temps et aura, j'espère, l'occasion de constater que son truc fonctionne bel et bien. VI RÉSUMÉ Cette recherche se veut une contribution au débat connu dans le corpus anglophone en philosophie analytique de l'art comme celui de la « distinction high art/low art». Axée sur la compréhension des enjeux contemporains, elle s'inscrit néanmoins en continuité avec les débats traditionnels, dans la mesure où la réflexion sur les arts a été bouleversée par l'arrivée des techniques industrielles de production et de reproduction, qui ont permis un développement et une diffusion accrus des arts dits « populaires» ou « de masse ». Nous tenterons dans un premier temps de dégager les repères historiques permettant d'expliquer le durcissement d'une distinction ontologique entre le grand art et le « reste ». Comprendre sur quoi repose la croyance en une différence de nature entre le grand art et les traditions plus populaires nous permettra ensuite de juger de la pertinence des critères de démarcation et de mettre au jour ses présupposés. Le premier chapitre vise à faire quelques distinctions conceptuelles el1 vue de préciser l'objet de recherche et de dissiper les possibilités de confusion: l'emploi des tennes - courant ou savant - fluctue énormément d'une époque à l'autre, d'un auteur à l'autre, d'une école à l'autre. Une généalogie de la distinction de principe au sein du discours philosophique suivra. Elle sera divisée en trois périodes: période préindustrielle, modernité et vingtième siècle. On trouvera dans le deuxième chapitre les arguments les plus fréquemment évoqués par les philosophes de l'art pour justifier la distinction entre le grand art et le reste. Nous soulignerons les raisons qui font en sorte que les éléments évoqués dans ces arguments ne peuvent servir de critèr.e de distinction, puisqu'ils reposent la plupart du temps sur un raisonnement fallacieux (( argument ontologique », sophisme du « deux poids deux mesures », sophisme « de la pente fatale », etc.). Cette étape nous permettra de présenter au troisième chapitre une synthèse des positions dissidentes par rapport à la condamnation du low art. Plusieurs auteurs ont en effet accueilli favorablement le développement de médiums de diffusion propres au low art INTRODUCTION En 1959, une compilation des plus grands succès d'Elvis Presley était mise en vente sous le titre « 50 000 000 Elvis Fans Can't Be Wrong : Elvis' Gold Records Volume 2 ». Le succès de la compilation confirma que le chiffre n'était pas exagéré' des dizaines de millions de personnes vouaient un culte au King, et s'empressaient de communier au vinyle à chaque nouvel opus du chanteur. Le titre de la compilation est même entré par la suite dans le registre des expressions populaires américaines. Toutefois, pour le philosophe de l'art, il peut prendre une signification toute autre et renvoyer à une question complexe: le poids du nombre peut-il nous faire conclure à la valeur artistique d'une œuvre? Qui a autorité pour juger de la valeur d'une œuvre? Et surtout: si les fans d'Elvis « ne peuvent» avoir tort, sur quoi pourrait reposer le caractère nécessaire d'une telle affirmation? * * * La réflexion actuelle en philosophie analytique de l'art tient pour acquis que l'œuvre d'art possèderait certaines caractéristiques qui lui sont propres, lui conférant de la sorte un statut distinct des autres artefacts. Conservée religieusement dans les musées prestigieux ou trônant fièrement dans les galeries en vogue, coiffée de l'auréole de la reconnaissance institutionnelle ou arborant avec arrogance une étiquette contestataire, sa valeur intrinsèque est l'un des rares points sur lequel semblent s'accorder les 2 différentes thèses en philosophie de l'art des dernières décennies. L'œuvre d'art serait d'une espèce bien particulière, à en croire une majorité d'auteurs, ce qui suffirait à justifier l'attitude de vénération que nous adoptons à son endroit. Adopter une conception aussi conservatrice de l'œuvre d'art ne devrait pas nous dispenser pour autant de poser certaines questions. En premier lieu, on doit se demander si cette attitude est vraiment justifiée et, dans l'éventualité d'une réponse affirmative, si elle doit être réservée uniquement à l'œuvre d'art qui se situe dans les canons de la reconnaissance institutionnelle. Autrement dit, on se demandera tout au long de cette recherche si seules les grandes œuvres peuvent nous apprendre quelque chose sur la nature de l'œuvre d'art. Répondre par l'affirmative une seconde fois indiquerait alors à notre avis une compréhension assez étroite de l'ontologie de l'œuvre d'art: non seulement cela témoignerait d'une certaine fermeture aux pratiques émergentes « hors canons» qui sont pourtant essentielles au dynamisme de la pratique artistique, mais, pire encore, ce serait orienter l'analyse vers une fonction qui, selon nous, n'est pas la sienne. À notre avis, il arrive trop souvent que le philosophe de l'art, obnubilé par son objet d'étude, tende à s'égarer dans l'arène de l'évaluation -qui appartient pourtant d'abord à la critique et à l'histoire de l'art. On peut donc se demander si le philosophe ne fait alors que cautionner ce sur quoi on s'entend déjà en camouflant son conservatisme sous un vernis qu'un regard plus attentif suffit souvent à écailler. .. De fait, cette attitude conservatrice a été contestée au cours des dernières décennies: hors de l'enclos des objets anoblis par le titre d'œuvre d'art, l'apparition de nouveaux moyens de diffusion a permis le développement de pratiques à caractère artistique inédites, ouvrant ainsi la porte à un réel bouleversement dans notre compréhension générale de l'art et de la culture. À titre d'exemple, il suffit de regarder de quoi sont composés nos loisirs, nos sorties culturelles, nos références lorsqu'il est question d'art. Le fait que nous assistions à des concerts de post-rock, soutenions des festivals 3 de courts-métrages expérimentaux (directement par notre présence ou indirectement par l' attri bution de subventions) ou pratiquions l'art de l'échantillonnage et du mixage entre amis montre à quel point nous valorisons pour elles-mêmes des pratiques artistiques situées bien en dehors du musée ou de la galerie. Mais bien que ces pratiques et les productions qui en résultent forcent le monde de l'art à plus d'ouverture, elles demeurent pour la plupart - malgré leur popularité - purement et simplement ignorées par les philosophes. Ces productions· sont ainsi confinées à un statut de mal-aimées, et ne sont présentes dans la littérature que lorsque vient le temps de distinguer le « vrai» art et du reste. La philosophie analytique de l'art actuelle, principalement concentrée sur les arts visuels, ne s'attarde généralement qu'aux cas typiques d'œuvres bien connues, s'épargnant ainsi dès le départ la peine de mettre à l'épreuve ses propres présupposés. Pourtant, l'œuvre de low art peut également servir de modèle de référence puisqu'elle peut autant nous renseigner sur ce qu'est une œuvre d'art que ces chefs-d'œuvre sur lesquels on a l'habitude de s'appuyer. Il n'est bien sûr aucunement question de dire que toutes ces pratiques se valent: Guernica, Les Demoiselles d'Avignon et Carré noir ne s.auraient se comparer aux toiles que nous peignons pour nous détendre et il n'est certainement pas question de mettre sur le même pied n'importe quel jingle publicitaire et une symphonie de Mahler. Mais le problème est justement là: devons-nous, du point de vue de la philosophie analytique de l'art, ne concevoir comme œuvre d'art que les chefs­ d'œuvre et nous baser sur cet ensemble pour asseoir la démarcation? Et jusqu'à quel point pouvons-nous prendre l'évaluation positive d'une œuvre comme seule justification de son statut particulier? Puisqu'on ne peut faire coïncider parfaitement le statut et la valeur d'une œuvre, baser une ontologie de l'art sur cette adéquation ne peut que nous mener dans l'impasse. Une ontologie de l'œuvre d'art construite sur l'idée paradigmatique du chef-d'œuvre comporte potentiellement un effet pervers en 6 peut à juste titre être considéré comme tel. Toutefois, une forme pernIcIeuse de conservatisme demeure: lorsqu'il est question dans le corpus évoqué précédemment d'autre chose que le canon des grandes œuvres de notre tradition, les critiques sont plus que sévères. De plus, cela équivaut à ne pas prendre en compte qu' « élever» tel ou tel artefact au statut officiel d'œuvre d'art ne consiste pas tant à reconnaître l"a valeur de ses propriétés qu'à procéder à la justification de l'attribution d'un tel statut à la lumière d'un cadre théorique donné. Évidemment, le problème n'est pas tant là que dans le fait que cette justification procède souvent par une comparaison inadéquate ou biaisée entre différentes formes d'art. Souvent, l'infériorité présumée du low art (par rapport au grand art) s'appuie non sur des caractéristiques des œuvres en tant que telles, mais plutôt à certaines de leurs conséquences potentielles. L'art de masse et l'art populaire -pour ne nommer que deux des exemples les plus fréquents­ sont non seulement méconnus par les auteurs mêmes qui entendent s'en servir pour fins de démonstration, mais servent plus souvent qu'à leur tour de boucs émissaires, en faisant systématiquement figure de faire-valoir qui s'opposeraient au « vrai art », permettant ainsi soi-disant de montrer, à l'aide de ce qui ferait défaut au premier, ce qui serait la marque véritable du second. Nous soutiendrons ici que c'est plutôt l'inverse qui devrait se produire: la réflexion sur l'art gagnerait à être alimentée d'un regard plus large et plus nuancé sur plusieurs types de pratiques artistiques, et non sur ce qui équivaut à la pointe de l'iceberg. Loin de nous amener sur la pente glissante d'une approche relativiste de l'art ou encore d'entraîner une attitude régionalisante face à ses diverses formes, une prise en compte de la nature réelle et de la valeur des pratiques discréditées s'impose. Elle permettra d'éclairer les confusions qui persistent autour de la question et ensuite de proposer une approche ontologique de l'art à la fois plus englobante et moulée de plus près à la pratique artistique réelle. L'objet de notre analyse sera ainsi un vaste ensemble allant 7 de l'art populaire à l'art de masse, en passant par les sous-cultures qUi y sont rattachées, bref, tout ce que le langage ordinaire désigne comme « art », peu importe l'épithète qui l'accompagne. Justification du projet de recherche Ce projet a été en premier lieu inspiré par une inadéquation navrante, selon nous du moins, entre la pratique concrète et le discours philosophique actuel qui prétend la décrire: l'exemple le plus évocateur de cet état de fait est qu'il faut aller vers les rayons de sociologie de l'art et d'anthropologie pour trouver un discours sur le low art qui n'est pas d'emblée teinté de la connotation négative héritée de la traditionnelle condamnation philosophique du low art4 . En effet, depuis que quelques auteurs faisant autorité en philosophie analytique de l'art se sont inquiétés de l'influence de certaines pratiques artistiques qui ont suivi l'avènement de· la révolution industrielle, le ton a été donné: dès qu'il est question de formes d'art autres que le grand art c'est inévitablement pour nous exhorter à nous méfier du mauvais art (Collingwood), du kitsch (Greenberg), de l'industrie de la culture (Adorno & Horkheimer). Bref, point de salut hors du musée (dans lequel -pour reprendre l'expression hégélienne- les œuvres d'art sont conservées comme les bouteilles alignées sur la tablette de l'épicier) ou hors de la galerie branchée où l'on cultive la nouveauté, comme un jardinier tirerait sur ses fleurs pour en accélérer la croissance. 4 La philosophie n'est pas seule dans ce cas selon Auger: les études sur le tow art sont aussi très peu nombreuses dans les autres disciplines (Auger 2000, p. 92). 8 Il faut noter par ailleurs que les notions discutées ici s'inscrivent en continuité avec les débats traditionnels en philosophie de l'art: le problème de démarcation entre high art/low art n'est pas apparu si récemment dans l'histoire de l'art. Au contraire, ce qu'on appelle l'art populaire, par exemple -et qui semble tant poser problème dans les discussions actuelles- a toujours existé, sous une forme ou une autres: Noël Carroll souligne d'ailleurs qu'il peut être compris comme un concept « anhistorique » (Carroll 1998, p. 183). Cependant, il apparaît clairement que la topographie de la problématique a été bouleversée par l'arrivée des techniques industrielles de production et de reproduction dans la sphère de la production artistique au dix­ neuvième siècle. Les hypothèses -les plus enthousiastes comme les plus sombres­ émises au début du siècle quant aux changements qu'eptraînerait l'arrivée de la technique industrielle peuvent (et doivent) donc être reconsidérées, maintenant que l'insécurisante poussière de la nouveauté est retombée et que ces pratiques, sans précédent il n'y a pas si longtemps, se sont progressivement libérées de leur voile d'étrangeté pour devenir familières à nos yeux. Il était à prévoir que le « problème de la distinction high art / low art» tarde à prendre une place plus importante dans la littérature. Suite aux déroutantes mutations de la pratique artistique (dont l'intrusion de la technologie et l'engouement du public pour l'art de masse) certaines des réponses aux interrogations traditionnelles sur la nature de l'œuvre d'art, devenues caduques, se désagrègent lentement et sont remplacées par des interrogations qui sont soudainement apparues ou qui étaient jusque-là tout 5 Ce caractère équivoque des termes constitue d'ailleurs un obstacle: nous emploierons provisoirement celui de low art pour désigner de façon générale l'ensemble des pratiques autres que le grand art (à savoir: l'art de masse, l'art populaire, l'art marginal ou naïf, etc.), à défaut d'une traduction plus heureuse que le terme d' « arts mineurs» qui est rarement employé et impropre à l'usage que nous voulons en faire. D'ailleurs, cet ensemble n'est pas homogène: les objets qu'il regroupe n'ont en commun que d'être exclus de la pratique reconnue. Il Ensuite, l'étude des raisons ayant provoqué la radicalisation de la distinction high art/low art pourrait se justifier simplement par l'ampleur du phénomène d'un point de vue sociologique. L'art de masse et l'art populaire ont pris une place de plus en plus grande dans nos sociétés, au point qu'il devient pressant de comprendre leur influence dans notre paysage culturel, sous peine, dans le cas contraire, de prêter flanc à la critique nietzschéenne qui voit dans la plupart des philosophes de simples embaumeurs de la pensée. Yves Michaud ainsi que Noël Carroll soulignent d'ailleurs que si on considère la seule ampleur du phénomène (et le fait que ce dernier soit considérablement amplifié par divers canaux médiatiques), ce serait une erreur de l'écarter de la réflexion en esthétique et en philosophie de l'art (Michaud 1999, p. 12; Carroll 1998 p. 173). Loin d'être d'emblée réductibles à de simples mouvements de consommation ou de mode, ces tendances peuvent être le· signe de transformations profondes dans nos modes de pensée. On doit voir le développement de l'art de masse non comme un simple phénomène de consommation, mais comme l'indice de transformations maJeures: industrialisation, sécularisation et démocrati.sation progressive des pays occidentaux, adoption ou rejet de certaines valeurs, etc. Cela est d'autant plus révélateur que cette tendance doit être comprise en regard d'un autre phénomène non négligeable, soit la marginalisation progressive et grandissante du grand art dans certains milieux. En effet, malgré les tentatives énergiques des institutions concernées en vue de rejoindre un public plus large, celles-ci éprouvent dans certains cas beaucoup de difficulté à remplir leur fonction, ce qui a, bien sûr, amené plusieurs à voir le développement de la low culture comme une cause du déclin du grand art. Mais à supposer qu'on assiste bel et bien à une forme de déclin -et non à une fausse alarme déclenchée par un accès de nostalgie- il faudrait probablement en chercher l'explication bien loin en aval, et non faire porter le blâme à l'expansion du low art. Peut-être qu'après tout celui-ci ne fait que remplir un espace laissé vacant par le grand art ou, à l'inverse, que sa fonction est de permettre un éveil 12 à diverses formes de sensibilité et d'intérêt esthétique et artistique, toutes pratiques confondues? Finalement, il faut souligner qu'au-delà du champ d'investigation propre à la philosophie de l'art, la défense de l'art populaire et de l'art de masse laisse deviner des enjeux qui dépassent de loin la juste appréciation de ces productions artistiques: c'est la dimension éthique du problème qui apparaît. Tenter de comprendre et d'intégrer -plutôt que d'ignorer- ces nouvelles formes d'art dans le cadre d'une philosophie de l'art plus générale à la lumière de leurs conditions d'émergence et de leur signification sur le plan social permet de dépasser les critiques stériles -par ailleurs souvent biaisées ou mal informées- qui portent strictement sur leur soi-disant absence de valeur esthétique et artistique. Par exemple, on ne saurait trop insister sur le rôle de certaines formes de low art, tel que l'art populaire ainsi que diverses pratiques qui ne bénéficient pas toujours d'un intérêC soutenu de la part des spécialistes dans la construction de l'identité culturelle des jeunes nations, dans la revalorisation de certaines cultures en péril (ou de groupes marginaux). Celles-ci doivent en effet faire valoir la spécificité de leur culture en mettant l'accent sur des pratiques populaires plutôt que sur de grandes réalisations et figures ayant marqué cette histoire qu'on trouve dans les manuels7 , d'où l'importance de ne pas restreindre notre vision de la pratique artistique aux seules œuvres ayant franchi le seuil de la reconnaissance institutionnelle8 . Dans un contexte comme le nôtre où le patrimoine 7 D'autre part, il existe des contextes où la distinction entre deux catégories d'art n'existe pas en tant que tel. Voir par exemple (Auger 2000). 8 Nous n'entendons pas ici ce qui était désigné dans les années soixante en tant que « théories institutionnelles de l'art» (rattachées principalement aux travaux du philosophe américain G. Dickie, dont il sera peu question ici), mais bien une attitude consistant à ne concevoir comme valable artistiquement que ce qui est catalogué par les institutions de l'art. Par exemple, la philosophie d'A. Danto ne peut être qualifiée de théorie institutionnelle de l'art (bien que le rapprochement ait souvent été 13 culturel est à bâtir autant qu'à conserver, les diverses pratiques qui sont regroupées dans la culture populaire (allant des pratiques traditionnelles à celles qui surgissent des situations inédites provoquées par les mutations de nos modes de vies) peuvent être vues comme un ciment encore frais qui unit les membres de diverses origines. Porter notre regard en dehors des chemins déjà battus de l'étude du grand art pour le diriger vers ce qui façonne et accompagne la vie et la réflexion de ceux qui composent la soi-disant «masse», c'est agir selon les idéaux que nous réclamons comme fondements mêmes de notre société, à l'instar de ce que prônait le pragmatiste John Dewey. Dans cette perspective, le grand art n'est qu'un des maillons de la chaîne de notre tissu culturel -ce qui pourtant n'enlève absolument rien à sa valeur. Une étude plus approfondie de la distinction low art/high art permet alors d'arriver à une meilleure compréhension du rôle de l'art dans la culture, au lieu d'en faire une pratique isolée9 . En résumé, nous voulons soutenir que la correction de notre regard sur ces productions artistiques ne permettra pas seulement d'éclairer une partie de la pratique artistique qui est sous-représentée dans la littérature. C'est l'ensemble de notre compréhension de l'œuvre d'art et de son rôle social qui s'en trouvera affecté. Pour ce faire, il faudra nous pencher sur le lien entre l'ontologie de l'art et les questions philosophiques les plus générales, dont des considérations d'ordre anthropologique. Nous devons aussi mieux comprendre le sens que l'œuvre d'art populaire ou de fait), mais elle correspond cependant bel et bien à une approche marquée par la dimension institutionnelle, en ce qu'il y restreint ses analyses: Danto ne prend jamais position sur des pratiques émergentes ou populaires. 9 Cela comporte des incidences pratiques assez importantes: on peut penser par exemple à la controverse autour de la préservation de J'édifice abritant la charcuterie Ben's à Montréal (rare vestige de ('architecture streamline) ou de certains quartiers industriels dont les bâtiments revêtent un intérêt architectural auquel ne sont pas toujours sensibles les élus épris exclusivement de néo-classique ... 16 alléger le texte subséquent et à simplifier la lecture, mais la fonction première est de permettre de dissiper les possibilités de confusion, qui sont nombreuses. Cette clarification apparaît indispensable puisque jusqu'à maintenant, nous constatons que l'emploi des termes - courant ou savant- fluctue énormément (d'une époque à l'autre, d'un auteur à l'autre et d'une école à l'autre), ce qui ajoute à la complexité du travail de recherche. Nous nous attarderons aux concepts suivants : low art; low culture, art populaire, art de masse, kitsch. Une brève synthèse permettra ensuite de clarifier l'usage que nous ferons de ces termes. Le deuxième chapitre vise à discuter les arguments les plus fréquemment évoqués dans la position standard pour justifier la distinction entre le grand art et le reste. Les arguments retenus ont en commun d'être utilisés comme réponse à la question « où tracer la ligne? » (art/non-art) et de présupposer l'existence de cette démarcation sans arriver pour autant à bien la justifier. Notre démarche consistera donc à montrer à la fois que les éléments ne peuvent servir de ligne de distinction mais aussi que cette ligne même repose souvent sur un raisonnement fallacieux. Il n'est pas question d'affirmer qu'aucune démarcation de principe n'est possible, mais plutôt de souligner que celles que l'on retrouve actuellement sont présentées sous une forme contestable, voire simpliste dans certains cas. Les éléments sur lesquels repose la démarcation seront regroupés en trois parties, ce qui nous permettra d'organiser notre propos ainsi: critique de l'argument ontologique, critique du sophisme « deux poids deux mesures» et critique du sophisme de la pente fatale. L'argument ontologique se retrouve généralement sous trois formes: on évoque le soi-disant défaut d'originalité du low art, son caractère simpliste et son caractère accessible. Nous tenterons ainsi d'abord de montrer le caractère problématique du recours implicite à la notion d'originalité dans les tentatives de démarcation en vue de 17 voir quel rôle joue cette notion dans l'ontologie contemporaine de l'art et finalement d'évaluer en quoi cela influe sur le statut du low art. Nous montrerons aussi le caractère relatif de cette notion en faisant appel aux différentes conceptions de la notion d'emprunts en ait et en expliquant pourquoi le low art est souvent caractérisé par une absence d'originalité. Nous évaluerons également l'hypothèse selon laquelle l'originalité du low art n'est peut-être pas appréciée à sa juste valeur, et celle selon laquelle ce « défaut» ne serait pas exclusif au low art. Nous nous attarderons ensuite sur l'analyse du caractère soi-disant simpliste des œuvres de low art, que l'on invoque fréquemment pour expliquer leur dévaluation sur le plan artistique et montrerons que la simplicité qu'on leur attribue se trouve tant du côté high que du côté low de la pratique aItistique. Il sera également question des critiques selon lesquelles les œuvres de low art se caractériseraient par la simplicité (formelle, intellectuelle, etc.), arguments qui font appel à la présomption d'un travail plus complexe dans le cas du grand art. Finalement, nous verrons pourquoi l'on fait si souvent appel au caractère « accessible» en tant que caractéristique intrinsèque des œuvres de low art -trait qui permettrait à ces œuvres d'être appréciées de «la masse »-, même si plusieurs œuvres de grand ait compoltent également ce trait. Nous critiquerons l'appel à l'hermétisme comme marque d'un ait. véritable, en lui opposant l'argument de la familiarité (c'est-à-dire que l'apparente accessibilité des œuvres tient en paItie à ce que nous en faisons plus fréquemment l'expérience). Nous questionnerons ensuite l'usage du concept de masse pour tracer une distinction de nature entre diverses pratiques artitiques. La deuxième paItie du deuxième chapitre pOltera sur le sophisme du deux poids deux mesures, très présent dans les textes qui portent sur la démarcation high art/low art. Nous présenterons en guise de préambule quelle est l'influence de l'héritage kantien 18 et son impact sur ontologie de l'art quant au « critère» de désintéressement. La perception du rapport entre art et argent dans le discours philosophique traditionnel sera ensuite abordée, afin de montrer pourquoi ils sont compris comme étant incompatibles du point de vue du discours philosophique. Cela nous permettra de monter pourquoi le low art est si souvent rattaché à la recherche d'intérêt pécunier ou de diverses fonctions utilitaires (tenues pour incompatibles avec le caractère artistique véritable). Nous mettrons en lumière que nous ne pouvons pas d'emblée concevoir le low art comme étant défini par ces traits, notamment parce que le grand mi peut lui aussi être associé à la recherche d'intérêt pécunier ou de diverses fonctions utilitaires et qu'il est étroitement associé à la spéculation financière. Au cas où ce plaidoyer ne serait pas suffisamment convaincant, nous montrerons également en quoi au contraire, dans plusieurs cas le lien avec des considérations commerciales ou utilitaires est favorable à la pratique artistique et l'illustrerons par quelques exemples. La dernière partie du chapitre sera consacrée à l'analyse. du sophisme de la pente fatale . et présentera les arguments des auteurs qui se sont inquiétés de l'instrumentalisation de la pratique artistique et d'un certain effet de « nivellement» entrainé par le développement de certaines pratiques associées au low art (idem pour les dommages « moraux »). Nous verrons que certaines craintes reliées à l'expansion de la technologie dans le cadre de la production et de la diffusion des œuvres de low art font en sorte que celles-ci servent de bouc-émissaires. Nous répondrons ensuite à deux quèstions. Premièrement, s'il y a instrumentalisation de la pratique artistique dans le low art, le grand art, lui, y échappe-t-il? Deuxièmement, si le low art a une influence sur les valeurs morales que nous adoptons, cette influence ne pourrait-elle pas être positive? CHAPITRE 1 LA CONCEPTION STANDARD Qu'ont en commun les critiques de Platon (qui affirme que l'art qui transporte les foule les détourne de la raison), de Pascal (pour qui l'art fait en vue du divertissement détourne des valeurs religieuses), d'Adorno (aux yeux de qui l'art de masse perpétue l'aliénation économique et intellectuelle des sociétés modernes)? C'est qu'elles sont les corollaires de conceptions de l'art subordonnées à un a priori qui influe sur l'évaluation des pratiques artistiques et des œuvres. Le pari de ce chapitre sera de montrer qu'en réalité, les arguments qui tentent de montrer l'infériorité du low art par rapport au grand art reposent principalement sur des éléments qui concernent non pas les caractéristiques des œuvres, mais certaines de leurs conséquences potentielles. On voit alors mal en quoi ces critiques portant sur des répercussions hypothétiques devraient être définitives. La récapitulation historique qui suit devrait illustrer les principales conditions d'apparition de la distinction high art/ low art, en démontrant un parti pris systématique à l'encontre du low art, parti pris qui, nous le verrons, traverse l'histoire de la philosophie de l'art. Ce chapitre sera divisé en deux parties. Nous procéderons d'abord à un survol historique de la problématique, qui sera divisé en trois sections: période préindustrielle, modernité et vingtième siècle. Cette dernière section portera sur les 22 thèses avancées par trois auteurs qui ont marqué le débat: Greenberg, Adorno et Benjamin. On présentera ensuite une synthèse des notions qui seront employées fréquemment dans la suite du texte. Loin de prétendre à l'exhaustivité, ce tour d 'horizon des concepts vise à dissiper certains malentendus possibles (notamment dus au caractère polysémique de certains termes) et à faciliter la lecture des chapitres suivants. Il devrait ressortir de là que la dévalorisation de l'art de masse et du low art en général s'explique le plus souvent non pas par la valeur· des œuvres, mais par la référence à un idéal que l'on souhaite atteindre à travers elles, qui ne relève cependant pas nécessairement de l'ontologie de l'œuvre d'art. Loin de nous en tenir à un survol historique des concepts nécessaires à la compréhension du problème qui nous occupe, nous visons à montrer que les principaux arguments employés pour justifier la distinction entre le grand art et le reste sont pour la plupart des thèses reprises en bloc de la tradition philosophique. L'enjeu de cette démonstration est de mettre en évidence le caractère conventionnel et contestable de la distinction telle qu'elle est formulée actuellement par certains auteurs, qui la présentent souvent comme une distinction nécessaire ou une distinction d'espèce. 1.1 Historique de la problématique 1.1.1 Période préindustrielle Dès l'Antiquité, on trouve une distinction de principe implicite entre deux types d'art qui n'est pas totalement étrangère à la distinction high art/ low art actuelle. Elle évoque, à certains égards, la condamnation platonicienne de l'art qui porte non pas tant sur le caractère populaire de certaines œuvres mais sur leur caractère démagogique. Platon reproche aux poètes de ne chercher qu'à plaire à la foule et de 23 ne produire des œuvres qu'en vue du plaisir (Schaeffer 2000, p. 46), Cette condamnation de l'art et du divertissement se maintiendra au Moyen-Âge, alors que la scolastique y adjoindra un des exigences morales soumises aux impératifs de la doctrine chrétienne. La critique platonicienne a servi à maintes reprises d'argument d'autorité pour ceux qui ont formulé diverses mises en garde contre certaines formes d'art. Carroll souligne que la plupart des commentateurs actuels qui s'expriment sur la question se contentent encore aujourd'hui d'utiliser ces arguments séculaires présentés jadis sous la forme d'un dialogue entre Socrate et Glaucon sur la Cité idéale (Carroll 1998, p. 250). Certaines activités y sont jugées si dangereuses que Platon proposera la censure et le contrôle pur et simple des perturbateurs potentiels que sont les artistes et les artisans: Mais les poètes sont-ils les seuls que nous devions surveiller et contraindre à n'introduire dans leurs créations que l'image du bon caractère? Ne faut-il pas surveiller aussi les autres artisans et les empêcher d'introduire le vice, l'incontinence, la bassesse et la laideur dans la peinture des êtres vivants, dans l'architecture, ou dans tout autre art? (Platon 1966, p. 153 [livre III/400e-402aJ). Ce genre de tirades qui donne sa saveur à la plume platonicienne donne beau jeu à ceux qui cherchent matière à critiquer certaines formes d'art (c'est-à-dire celles qui ne sont pas subordonnées à un idéal précis). Comme on a souvent pris pour acquis que l'art populaire, par exemple, était par définition orie'nté d'abord vers des fins autres que l'élévation spirituelle, on invoque encore aujourd'hui les raisons qui étaient celles avancées par Platon pour critiquer les formes d'art plus populaires et les distinguer d'un art « supérieur» et ce, malgré que les formes et les médiums artistiques aient radicalement changé depuis. ­ Bien qu'il puisse sembler farfelu de comparer deux contextes incommensurables (le monde antique et la situation actuelle), plusieurs auteurs ont remarqué des points 26 La condamnation platonicienne a toutefois rencontré, jadis comme maintenant, son lot d'opposants. Aristote, par exemple, insiste davantage sur le fait que l'art est une source potentielle de connaissance, en autant qu'il soit fait selon un ensemble de règles établies. Il n'y a alors pas d'incompatibilité entre poésie et philosophie, puisque chacune est l'expression de facultés humaines distinctes (Rosen 1993, p. 224 14 ). L'art qui s'adresse à un grand nombre de personnes peut remplir plusieurs fonctions positives: une tragédie bien construite, par exemple, peut mettre en œuvre la catharsis qui aura des effets bénéfiques sur les individus en les libérant de leurs émotions négatives. Elle peut alors servir des fins d'édification morale, puisque d'un point de vue aristotélicien, ce qui est montr.é dans l'art présente un « degré de réalité» supérieur à ce qu'on trouve dans la vie quotidienne. À la synthèse des doctrines platonicienne et aristotélicienne, Augustin ajoutera au cours du Moyen-Âge la doctrine chrétienne qui orientera la réflexion sur les arts pour les siècles suivants. La réflexion sur les arts sort alors de la sphère des « préoccupations païennes» pour être subordonnée aux principes supérieurs de la Révélation. L'art doit désormais être conçu comme un Instrument au service des valeurs chrétiennes, l'Église faisant office d'autorité sur la production artistique et sa réception: celles-ci doivent alors être orientées vers le renforcement de la foi (Kuhns 1998, p. 159-160). À l'art produit dans un but de divertissement, on préfèrera des pratiques qui mettent en valeur la fonction iconographique (par exemple: la peinture, le vitrail ou la sculpture), qui servent mieux l'image religieuse. Ce pouvoir de médiation entre le sensible et le sacré que possède l'œuvre d'art par le truchement de l'image s'imposera de façon dominante dans la culture visuelle occidentale, au point où on en viendra presque à le considérer comme fonction unique 15 . Cet héritage 14 Quant à la tragédie, en tant qu'elle imite l'universel (et non un particulier changeant), elle présente en tant que discipline un plus grand potentiel philosophique que 1'histoire (Shusterman 1992, p. 62). 27 religieux se perpétuera bien après le Moyen-Âge: la combinaison du rationalisme et des valeurs judéo-chrétiennes contribuera à maintenir la méfiance générale envers certaines pratiques artistiques. Pascal, par exemple, s'inquiète du goût de ses contemporains pour des divertissements tels que la comédie: Tous les grands divertissements sont dangereux pour la vie chrétienne; mais entre tous ceux que le monde a inventés, il n'y en a point qui ne soit plus à craindre que la comédie. C'est une représentation si naturelle et si délicate des passions qu'elle les émeut et les fait naître dans notre cœur. .. (Pascal 1962, p. 112). La critique de Pascal porte en fait sur la fiction et le divertissement, plutôt que sur les arts mineurs. Ces derniers sont néamnoins condamnés par plusieurs: c'est la réaction typique des lettrés (et non de la population en général) qui s'inquiètent du développement d'une «perception esthétique favorisée tant par la libéralisation du statut de la peinture que par le développement de la «curiosité» » (Heinich 1993, p. 141). La dévaluation quasi-systématique des arts populaires et des productions à vocation de divertissement s'illustre également dans ce qui nous reste de la distinction antique entre arts libéraux et arts mécaniques. Les arts libéraux l6, issus de l'activité de l'esprit, sont nobles et honnêtes (Heinich 1993'. p. 178), alors que les arts mécaniques revêtent une connotation servile, à l'image de la matière (dévaluée par rapport à l'esprit tant dans l'ontologie platonicienne que l'ontologie chrétienne). L'évaluation « morale» d'un médium ou d'un genre passe alors par un type particulier de justification: par exemple, le statut mitoyen de la peinture -qui fait autant appel à l'esprit que la dextérité (Heinich 1993, p. 184)- lui permettra d'entrer 15 « Cette capacité lui valut de se voir conférer, tout d'abord, un pouvoir de médiation avec ce qui relève du sacré: pouvoir qui domina si bien la culture visuelle occidentale que la représentation religieuse fut longtemps le modèle par excellence de toute image. [... ] C'était même, dans l'esprit du clergé, leur unique raison d'être. » (Heinich 1993, p. 41). 16 Il Y aura après la Renaissance un recoupement entre arts libéraux et beaux-arts mais non une équivalence stricte, puisque les classifications varient légèrement selon les auteurs. 28 peu à peu, tout comme la sculpture, dans la sphère des arts libéraux. Dégagé de son statut d'artisan grâce à la formation d'académies influentes qui restreignent à une minorité l'accès à un métier devenu profession, le peintre acquiert ainsi un prestige indéniable (Heinich 1993, p. 180-181). Évidemment, les métiers ne sont pas systématiquement dévalués: par exemple, leur enseignement en France est encouragé à la fin du dix-neuvième siècle (Monnier 1991, p. 181), mais ils n'acquirent cependant pas pour autant le statut d'arts véritables J7 . Le passage de certains arts (peinture, sculpture) d'arts mécaniques à arts libéraux s'explique donc par la professionnalisation et la création d'institutions qui veilleront à défendre leurs intérêts (Heinich 1993, p. 7). La littérature artistique (par exemple) apparaît en France à partir du milieu du dix-septième siècle, ce qui coïncide avec l'académisation de la pratique et le renforcement de ses institutions. Elle accentue le lien entre une élite de praticiens et le monde des lettrés qui s'intéresse de plus en plus aux arts du dessin qui se développent grâce aux progrès techniques de l'après­ Renaissance (perspective, anatomie), ce qui creuse par ailleurs le fossé entre les arts du dessin et la sculpture et les arts décoratifs (Heinich 1993, p. 40; l3i 8 ). La formation d'académies de peinture changera complètement l'enseignement de la pratique, jusque là transmise dans l'atelier même. Dans le système artisanal, l'apprenti exécute et imite certaines actions à partir des indications du maître, en vue ~ d'acquérir un savoir-faire (Heinich 1993, p. 93), ce qui sera par la suite rejeté au 17 « [... ] la rupture avec la formation artisanale passait bien par le privilège accordé au savoir livresque sur l 'habileté manuelle et, plus généralement, à la théorie (associée au dessin, à la conception ou invention, à l'esprit, au fond lilléraire) sur la pratique (associée à la couleur, à l'exécution, à la main, à laforme picturale), selon une opposition récurrente dans les débats lettrés. » (Heinich 1993, p. 93). 18 Le dessin est associé à la rationalité et à l'esprit, alors que la couleur conserve une connotation vulgaire; elle est par conséquent subordonnée au dessin. Comme le dit Diderot, « tout le monde peut juger de la couleur)} alors que « seuls les maîtres peuvent juger du dessin)} (Heinich 1993, p. 155 n.61; 157), ce qui montre l'accentuation du fossé entre deux publics: les lettrés et les ignares. 31 [... ] le changement d'attitude des gens instruits est remarquable. En 1500, ils méprisaient les gens du commun, mais partageaient leur culture. En 1800 leurs descendants avaient cessé de participer spontanément à la culture populaire, mais étaient en voie de redécouvrir celle-ci sous une forme exotique, et par conséquent comme quelque chose d'intéressant. Ils commençaient même à admirer « le peuple» d'où était issu cette culture extérieure. [notre traduction] (Burke 1994, p. 286) La lecture de Burke pèche vraisemblablement par excès d'enthousiasme, pUlsque l'intérêt envers les cultures populaires qu'il prête à la culture savante ne se manifestera que par intermittence au cours de l'histoire des idées. Pour sa part, Novitz souligne que c'est à partir du dix-neuvième siècle qu'ont été rassemblées les conditions qui ont fait en sorte que la distinction high/low s'est imposée chez les théoriciens et historiens, leur permettant de « séparer le bon grain de l'ivraie». Plus souvent qu'autrement, on entend que le grand art et le low art auraient chacun des caractéristiques formelles propres qui feraient en sorte que deux « types de goût» distincts seraient interpellés. Pourtant, il n'y a, selon Novitz, de telles différences ni ". dans les propriétés formelles, ni dans la réception (Novitz 1992, p. 22-28). Trois autres éléments semblent ainsi davantage susceptibles d'expliquer l'émergence d'une division stricte entre deux types de culture: 1) l'invention du concept même de « public »; 2) des changements dans le statut de la copie et de la reproduction d'œuvres d'art ; 3) certaines transformations reliées au statut social et financier de l'artiste. De façon générale, les rapports entre culture savante, culture populaire et pratique artistique ont été affectés par l'industrialisation et l'émergence d'une classe moyenne qui a influencé tant la production des biens culturels que notre perception de ceux-ci: le public entre alors -si l'on peut s'exprimer ainsi- en scène. 32 • L'apparition du public La montée de l'industrialisation et la nouvelle indépendance de la classe moyenne émergente sera suivie d'une disponibilité croissante et sans précédent de biens de consommation, incluant les biens à caractère culturel. Toutefois, cette nouvelle classe moyenne qui se caractérise par son urbanité ne se reconnaît pas dans la culture populaire traditionnelle, essentiellement rurale. Elle se tournera alors avec d'autant plus d'intérêt vers ce nouveau type d'œuvres qui convient à ses moyens financiers grâce aux progrès de la technique industrielle (produite à coûts moindres grâce à la reproduction en série). La production artistique sera adaptée aux goûts et préoccupations de cette nouvelle clientèle qui se considère à la fois en tant que public et en tant que bassin de consommateurs22 . Cette production de biens « grand public» retiendra davantage l'attention des théoriciens parce qu'elle est sans précédent sur le plan historique (Burke 1994, p. 91). On n'avait jamais auparavant mis d'effort pour stimuler la production d'objets culturels, ce qui tend à changer avec le marché créé par l'explosion démographique que connaissent les villes industrialisées d'Europe (Biddiss 1980, p. 19). Greenberg y voit comme explication que les paysans ayant quitté les campagnes pour devenir prolétaires se désintéresseront de la culture populaire rurale, sans pour autant pouvoir accéder à la culture lettrée, faute d'éducation23 . La demande pour un type de production répondant à ce besoin précis sera ainsi sans précédent, puisque la population a, en plus d'un engouement, une capacité de consommation qui répond à 22 Voir aussi Monnier (1991, p. 95), de même que Leveratto (2000, p. 234-50) pour une description de différentes conceptions de la notion de public: comme communauté naturelle de citoyens, communauté historique des usagers ou groupement de consommateurs. 23 « Perdant néanmoins leur goût pour la culture populaire dont la campagne formait l'arrière-plan et découvrant (... ] une nouvelle capacité d'ennui, les nouvelles masses urbaines allaient attendre de la société qu'elle leurs fournît une culture adaptée à leurs besoins. » (Greenberg 1988a, p. 16). 33 cette production. La littérature et la presse populaires24 , notamment, répondent aux envies de ce nouveau marché dont l'expansion s'explique par le succès des mesures d'alphabétisation mises en place de façon généralisée au dix-neuvième siècle (Biddiss 1980, p. 140; Becker 1988, p. 313). Intérêt commercial et mission éducative sont dès lors deux motivations omniprésentes (et souvent enchevêtrées) dans les transformations culturelles de l'époque, puisque la survie et le développement de la presse à vocation populaire dépendent en bonne partie de la publicité (Biddiss 1980 p. 25). Par ailleurs, la sérigraphie et la photographie sont vues au début comme autant de moyens d'éduquer la nouvelle classe moyenne: ces techniques donnent accès à ce qu'on trouve dans les musées et les collections privées en permettant à davantage de gens de posséder « par procuration» des œuvres qui autrement n'auraient été accessibles que pour peu d'entre eux25 . Elles généreront également des droits de reproduction dont les retombées économiques sont non négligeables pour le monde artistique. Le dix-neuvième siècle a ainsi sonné la fin de l'ère artisanale dans la production des artefacts, ce qui modifiera de beaucoup notre conception de l'œuvre d'art. Des transformations dans les méthodes de fabrication, dorénavant caractérisées par la standardisation des procédés, permettent d'augmenter le rendement (Burke 1994, p. 247). On peut penser par exemple aux romans brochés qui sont apparus sur le marché, créant de la sOlie un engouement pour différents genres de littérature (Biddiss 1980, p. 14026 ). Les romans policiers, les récits d'aventure et les récits 24 Soulignons les exemples célèbres que sont les romans-feuilletons de Tolstoï et Balzac. 25 Le phénomène se reproduira au siècle suivant, si on pense à l'une de ses inventions les plus fameuses, la télévision, à la fois un formidable véhicule d'information, de culture... et d'abrutissement au service ct' intérêts commerciaux (Biddiss 1980, p. 388). 26 Voir également Hauser (1982, p. 36-44): c'est d'abord à travers la littérature religieuse édifiante qu'apparaît Je goût pour la lecture, et que ce n'est qu'après la seconde moitié du dix-huitième siècle que les livres se vendront assez pour que les auteurs puissent pour la première fois vivre de leur plume. 36 pas contraint par le poids de la tradition constitue un véhicule idéal pour des valeurs nouvelles. • Statut de la copie et de la reproduction Le développement de moyens de reproduction a définitivement marqué la création d'une distinction théorique entre le grand art et les arts plus « populaires». Apparu à la fin du dix-septième siècle et employé d'abord dans un sens biologique, le terme reproduction prend un sens par métonymie avec l'invention de la photographie en 1839, c'est-à-dire en désignant « l'image représentant une œuvre d'art ». Par la suite, il renvoie à deux types de productions distincts: ce qui est conçu pour être produit en série (fac-similés, copies, etc.) et ensuite les œuvres uniques qui sont par la suite médiatisées via la photographie (Goudinoux et Weemans 2001, p. Il). L'apparition de nouveaux procédés de reproduction en. série comme la gravure engendre un mouvement en apparence contradictoire. Dans un premier temps, ces procédés contribuent au prestige de certains arts libéraux (comme la peinture) en permettant de répandre la renommée des maîtres et en rendant possible une certaine « appropriation» des chefs-d'œuvre. Parce que les nombreuses copies de tableaux, plus fidèles, comportent plusieurs avantages par rapport aux répliques réalisées en atelier, la gravure renforce -au lieu de miner- le prestige revêtu par l'œuvre originale (Heinich 1993, p. 48) et permet de surcroît la perception de droits de reproduction (Monnier 1991, p. 123-4). En retour, le métier de copiste, jadis perçu favorablement, sera dévalorisé à partir du dix-septième siècle (Heinich 1993, p. 175). Malgré tout, dans ce contexte où le physique demeure dévalorisé par rapport au spirituel, certains .. 28travaux manue s 1 demeurent pnses : 28 Le terme même de plagiat ne serait apparu qu'en 1763 (Heinich 1993, p. 111-112). 37 [... ] un certain privilège s'attachait à toute technique qui, en engageant une main -plutôt qu'une multiplicité de mains anonymes ou, pis, des machines-, manifestait la prééminence du geste (coup de crayon ou pinceau) sur l'action mécanique (fusion, pression, tissage), de l'organe (main, oeil) sur l'outil (four, marteau, métier à tisser) et, par là même, de la personne sur la matière, de l'humain sur l'inanimé, de l'unique sur le répétitif. (Heinich 1993, p. 39) La fin du dix-neuvième et la première moitié du vingtième siècle ont été marquées à la fois par l'inquiétude et la fascination face au développement des procédés de reproduction et à l'expansion de la culture de masse, fruits du développement industriel. Alors que l'attitude par rapport à l'art populaire traditionnel reste sensiblement la même, le questionnement sur la culture de masse s'accentue en raison de son caractère dérangeant: la culture dite de masse importe un corps étranger dans le monde de l'art puisque la technologie industrielle fait naître une autre catégorie de biens culturels, à savoir l' œuvre d'art produite en série. Son apparition ravive la question de la démarcation entre art et non-art et met en évidence des situations inédites qui forcent à revoir l'association stricte entre l'œuvre d'art et son support matériel29 . On a abondamment souligné, par exemple, en quoi les œuvres de Duchamp et Warhol peuvent être vues comme autant de réponses critiques à l'industrialisation et à la standardisation de la production (à caractère artistique ou non). Selon Rochlitz, l'axe Duchamp-Warhol, est, du point de vue des théoriciens du grand art, un renvoi d'un point de vue extérieur à ce nouveau mode de production: [00'] de plus en plus, avec le développement d'une culture de la reproduction et d'une inflation des images, ce problème s'est posé notamment aux arts plastiques. Les entreprises de Duchamp ou de Warhol expriment la nécessité, pour ces arts, de 29 Sur la question des collaborations techniques en arts plastiques, voir Marontate (J 999). 38 répondre à la provocation que constitue la production et la reproduction industrielle des objets. (Rochlitz 1994, p. 132) Plusieurs dénoncent que la technique imprègne peu à peu toutes les sphères de la vie -y compris le monde de l'art- mais d'autres célèbrent les possibilités qu'elle offre ou s'en inspireneo. Parallèlement, on assiste à un développement marqué des produits directs de cette industrialisation (l'art dit « de masse »), parmi lesquels on peut compter le cinéma, dont l'apparition fut possible grâce au développement de procédés industriels complexes (Biddiss 1980, p. 286). Le statut de la reproduction ou de copie d' œuvre d'art fluctue ainsi selon époques et milieux. Si on a parfois cru que l'apparition des techniques de reproduction mécanique achèverait purement et simplement la production artistique, il apparaît que la multiplication des œuvres a plutôt accentué l'attachement au caractère unique de l'œuvre. C'est dans le contexte du développement de ces techniques que l'unicité de l'artefact comprise comme garantie d'authenticité s'est imposée progressivement en tant que caractéristique essentielle, sans qu'on puisse cependant cerner de façon univoque ce qui justifierait qu'elle fasse figure de condition sine qua non (Gunthert 200 l, p. 84). Mais ce qui bouleversera notre conception de l'œuvre n'est pas tant le fait qu'elle puisse désormais être multipliée -comme le remarquait Benjamin, cette propriété n'est pas nouvelle-, mais plutôt que sa multiplication prend un autre sens dans un contexte marqué par l'industrialisation. Symbole d'une déshumanisation de 30 Les futuristes, par exemple, embrassent cette nouveauté pour mieux évincer la tradition, soit le réalisme et le romantisme du dix-neuvième siècle trop associés à un retour en arrière: «[ ... ] l'importance de ces futuristes réside dans leur initiative en vue de combiner l'acceptation d'une sensibilité exprimant l'inquiétude des hommes au sein de cette civilisation. [... ] ils contribuèrent à l'élaboration de l'une des principales composantes psychologiques de l'art et de la pensée à venir. }} (Biddiss 1980, p. 167-8). 41 Le retrait progressif de l'aristocratie et de l'Église dans le patronage des arts à partir de la Renaissance a réduit la marge de manœuvre de l'artiste quant aux conditions matérielles de production. L'artiste a, en quelque sorte, été mené progressivement dans une impasse, étant de plus en plus privé du support financier qui lui assurait une relative indépendance, un certain prestige et lui permettait de se consacrer entièrement à son art. Il doit alors se tourner suite à la sécularisation et la démocratisation des sociétés européennes vers une source de financement extérieure qu'il trouvera principalement dans le monde du commerce: c'est la fin des grandes commandes et le début des petits contrats accordés par différents groupes sociaux et non seulement le clergé et la noblesse. Ce mariage forcé ne se fera pas sans heurts et il en résultera une crise dans le monde artistique, dont l'impact se manifestera dans une révolte marquée par un refus de la dominance de l'économique sur l'artistique, une réaction face à l'arraisonnement à la dictature de l'offre et de la demande et une exacerbation de la liberté individuelle (Novitz 1992, p. 31). Par opposition à l'artisan ou à l'ouvrier, dont le travail a toujours impliqué une dimension commerciale et utilitaire, l'artiste de vocation cherchera donc à souligner la spécificité de son travail à la fois sur le plan intellectuel et matériel. En effet, le nouveau prestige de l'artiste à l'époque moderne tient, notamment à ce que son statut ne lui provient ni de la fOltune, ni de la naissance, mais bien de qualités personnelles. Le titre d'académicien, explique Heinich, ne peut être ni acquis par voie d 'héritage,' ni acheté: Le titre d'académicien, conféré par cooptation -et non par héritage ou achat, décoration militaire ou examen- reconnaissait à une personne des qualités intransmissibles, à elle seule attachées, objectivées non dans des biens ou dans les corps mais dans des paroles ou des textes. (00'] l'élite. académique se caractérisait à la fois par l'immatérialité et par l'individualité de ses ressources ... (Heinich 1993, p. Il) Les peintres, en particulier, occuperont à partir de l'âge moderne une position charnière au sommet de la hiérarchie des métiers, mais à l'échelon inférieur d'une 42 élite à laquelle ils appartiendront en vertu du nouveau statüt libéral de leur discipline (Heinich 1993, p. 58). Ce nouveau statut vient avec certains avantages: par exemple, on confie aux littéraires des fonctions politiques en gage de reconnaissance (Hauser 1982a, p. 41-45). Mais ce prestige implique des compromis : la formation des académies de peinture requiert du financement provenant des institutions qui, en retour, exigent l'abandon de certaines pratiques telles que tenir boutique ou exposer des tableaux (Heinich 1993, p. 26). Bien qu'il soit levé depuis longtemps, cet interdit de commerce demeurera de façon implicite dans les mentalités: la méfiance face aux considérations matérielles demeurera une condition préalable à l'accession au statut d' artiste. Avec l' autonomisation de la pratique -résultat de processus de sélection sévères basés sur la reconnaissance d'excellence (morale et technique) par les pairs- le peintre se distancie de sa clientèle et acquiert sur elle un certain ascendant. La clientèle est alors plus dépendante des spécialistes pour accéder à la peinture: ils agiront désormais comme intermédiaires entre peintre et clients et celui-ci sera de plus en plus tenu à l'écart de l'aspect commercial de son métier (Heinich 1993, p. 31­ 32). La structure associative qui mène à une professionnalisation du métier (Heinich 1993, p. 34) achèvera alors d'autonomiser la pratique34 et de l'isoler du grand public. 1.1.3 L 'héritage du vingtième siècle: les figures marquantes Les événements qui viennent d'être évoqués s'illustreront particulièrement dans la pensée de trois auteurs qui ont marqué la philosophie de l'art du vingtième siècle et plus particulièrement la réflexion sur le low art. Affectés par l'intensification des phénomènes d'industrialisation et de démocratisation, Clement Greenberg, Theodor 34 « Les principaux critères de cette « professionnalisation» sont l'existence d'une structure associative, possédant un certain degré d'autonomie (régulation interne et auto-contrôle), fondée sur l'expertise [... ], à caractère fortement intellectuelle, et acquise par une formation spécialisée dans le cadre d,un enseignement théorique systématisé, c'est-à-dire organisé de façon régulière, uniforme et stable» (Heinich 1993, p. 35). 43 Adorno et Walter Benjamin ont défendu les thèses les plus fécondes sur cette question35 . Ils proposent des diagnostics radicalement différents : l'œuvre d'art de masse est suspecte aux yeux de Greenberg et Adorno parce que conçue uniquement comme objet de consommation. La position de Benjamin est plus nuancée: la reproduction mécanisée est vue comme le moteur d'une transformation radicale dans notre compréhension de l'art, mais aussi de l'histoire du concept lui-même ; il distingue aussi les conditions de production de l'art de masse de sa valeur artistique. • Greenberg : l'avant-garde, le kitsch et l'état de la culture L'intérêt des thèses de Greenberg tient surtout à ce qu'elles présentent le point de vue d'un historien et critique d'art: connu d'abord comme critique aux États-Unis dans les années trente, il a su retenir l'attention des philosophes..en défendant avec ferveur la suprématie des avant-gardes. L'antithèse de ces avant-gardes se nomme kitsch, et se présente comme le résultat d'une édulcoration et d'une régression par rapport au véritable art (défini par la recherche constante de progrès et de dépassement36 ). L'un des articles les plus célèbres sur la question, « Avant-garde et kitsch », explique la différence de nature entre le véritable art et ce nouveau type de productions cultmelles issu de l'industrialisation et de l'urbanisation extrêmement rapide des sociétés occidentales. On y explique que le kitsch est apparu comme un « succédané de culture », destiné à un nouveau marché considéré comme incapable de s'intéresser 35 R. G. Collingwood aurait pu figurer parmi ces auteurs en raison de la distinction entre art et artisanat (arts and crafls) proposée dans son ouvrage The Princip/es ofArt paru en 1938. Les éléments d'analyse qu'il propose recoupent en effet à certains égards les questions qui nous intéressent, mais nous avons dû, faute d'espace, laisser de côté ici la question de l'artisanat. Pour une présentation résumée de cet aspect de pensée de Collingwood, voir Carroll (1998, p.49-69). 36 Entré dans le langage courant en l'absence d'équivalent français strict, le concept de kitsch, tel que l'emploie Greenberg, a des airs de famille avec celui d' « industrie de la culture» chez Adorno. L'extension floue du concept et sa connotation péjorative nous inciteront à lui substituer ici autant que possible son plus proche équivalent contemporain, à savoir celui d'art de masse. 46 populaire traditiormelle : le kitsch est donc une menace à tous les nIveaux. L'opposition entre le kitsch et l'art populaire traditiormel est claire: le premier ne saurait être vu comme un sous-ensemble du second, compte tenu que la différence entre le grand art et l'art populaire est qualitative (l'art populaire vaut donc moins que le grand art, mais a néanmoins une forme valeur en lui-même et un caractère légitime puisqu'il sert de moteur de transmission de la culture), alors qu'il y aurait entre le grand art et le kitsch une différence de nature38 . L'art de masse ne possède pas les qualités qui lui permettraient de revendiquer un statut d'art, notamment parce qu'il ne peut qu'abrutir, divertir et prendre la place de la véritable culture. Il ne peut être considéré que comme substitut de culture parce que, contrairement aux avant-gardes, il ne conserve pas l'héritage de la culture passée (Carroll 1998, p. 31-33). Finalement, Greenberg propose une philosophie de l'art davantage prescriptive que descriptive, orientation qu'il partage notamment avec Adorno, qui ne va pas sans une borme dose de pessimisme. Avec son cinglant habituel, Tom Wolfe a résumé ainsi son héritage: « Quand Greenberg parlait, c'était comme si non seulement l'avenir de l'art se trouvait en jeu, mais aussi la qualité même, la possibilité même de la civilisation en Amérique» [italiques de l'auteur] (Wolfe 1978, p. 52). Toutefois, au­ delà de la vision caricaturale qu'on pourrait avoir des thèses défendues par Greenberg, on doit au critique américain d'avoir fait ressortir les éléments qUI permettent de comprendre ce moment de l'histoire de l'art. • Adorno et l'industrie de la culture 38 Sur les deux versions de la distinction high/ low, voir également (Pouivet 2002, p. 66). 47 En tant que figure de proue de l'école de Francfort, Theodor Adorno39 conjugue la tradition hégélienne, l'influence du marxisme et l'idéal des Lumières. Cherchant à mettre à jour les liens entre des phénomènes sociaux apparemment non reliés tels que la pratique artistique et certaines déterminations socio-économiques, il est l'une des figures marquantes de la théorie critique, qui se définit comme une approche multidisciplinaire faisant appel tant aux sciences sociales qu'à la réflexion philosophique, en vue d'une critique radicale du système qui permettrait de combattre et d'éliminer l'oppression et la domination des sociétés modernes (Zuidervaart 1998). Intéressé particulièrement à la musique en raison de sa formation de compositeur, Adorno en souligne le potentiel émancipateur et dénonce la perte de l'individualité dans la pratique artistique qui résulterait de la standardisation croissante dans tous les secteurs des sociétés industrialisées. L'une de ses cibles principales se trouve ainsi à' être la Kulturindustrie, terme qu'il emploie pour éviter toute confusion entre l'art de masse récemment apparu, produit et distribué de façon massive -à savoir, cette «exploitation systématique et programmée des «biens culturels)) à des fins commerciales» (Jimenez 1973, p. 128)- et un art populaire authentique, produit pour et par le peuple. Adorno avance que les moyens de production employés par l'industrie de la culture -notamment la production en série et la division du travail- affectent la nature même de l'œuvre d'art, par opposition à Benjamin pour qui -nous le verrons plus loin- la reproduction en série ne faisait qu'en laisser apparaître un aspect jusque-là passé inaperçu. On peut donc contraster les positions des deux penseurs sur la question du rapport fétichiste à l'œuvre d'art. Alors que Benjamin soutient que l'ère de la reproductibilité technique de l'œuvre d'art désamorce l'attitude fétichiste que nous avions face à l'œuvre unique, Adorno affirme que c'est au contraire la reproduction 39 C'est pour alléger Je texte que nous ne mentionnons ici qu'Adorno, dont nombre des travaux ont été réalisés avec M. Horkheimer. 48 en série qUI a provoqué une fétichisation artificielle en rendant l' obj et culturel omniprésent. Les images préfabriquées proposées par l'industrie de la culture encouragent « la masse» à adopter une attitude de consommation face à ces productions, qui sont alors vues d'abord comme des marchandises, et non comme des œuvres d'art4ü . Ce réflexe conditionné (qui se développe lorsque faiblissent la vigilance et l'attitude critique envers le système établi) contribue au maintien du capitalisme par cette forme d'autoglorification que le consommateur accepte sans conditions (Zuidervaart 1998, p. 17). Évidemment, les autres œuvres sont vues aUSSI comme des marchandises, ce pourquoi Adorno critique également l'art académique et bourgeois. Mais à la différence des produits de l'industrie de la culture, il ne les conçoit pas uniquement en tant que marchandises. L'objet d'art comme bien de consommation perd de ce fait le potentiel émancipateur qui en faisait la valeur: il est asservi à une fonction purement instrumentale (Adorno 1974, p. 317; Carroll 1998, p. 72). La culture de masse ne peut donc que servir l'industrie et abrutir une masse de consommateurs par l'attrait du divertissement et le culte du vedettariat. Seul remède possible à ce fléau: un art autonome, c'est-à-dire affranchi des déterminations imposées par la théologie, la métaphysique et sa fonction cultuelle (Jimenez 1973, p. 311). Cela ne signifie pas que le seul art valable est totalement étranger à ces fonctions -au contraire-, mais plutôt qu'il devrait chercher à provoquer la distance critique par la subversion des règles établies et un appel constant à l'imagination du récepteur. Il ne faut toutefois pas confondre l'idéal d'un art émancipateur et autonome et l'art pour l'art (Adorno 1974, p. 301; Jimenez 1973, p. 113), qui est en fait un leurre dans la mesure où l'art pour l'art est, selon Adorno, désengagé de la réalité sociale et se comp1ait dans un espace chimérique. L'art pour l'art n'est qu'une fausse consolation vu son retrait du monde concret (O'Connor 2000, p. 241). 40 Voirà ce sujet Frith (1996, p. 13). 51 Ce n'est pas le moindre des symptômes du déclin de la culture intellectuelle que le manque d'esprit critique quant à la distinction entre un art « noble», autonome et un art « léger», commercial, si problématique que soit cette distinction; on ne la perçoit même plus. Depuis que quelques intellectuels défaitistes [... ] ont dénoncé l'art « noble» en se servant de l'art « léger», les champions béotiens de l'industrie culturelle ont la fière conviction de marcher à la tête de l'esprit du temps. [nous soulignons] (Adorno, 1986a, p. 108) Mince concession: à défaut de reconnaître une potentiellè valeur à l'art de masse, Adorno admet au moins le caractère problématique de la démarcation high/low, et ne tombe pas dans le piège de la confusion entre statut artistique et reconnaissance sociale ou institutionnelle. Bref, l'intérêt de sa critique tient notamment à ce qu'elle synthétise l'ensemble des critiques faites à son époque sur cette question, dont celles de MacDonald (qui reproche à l'art de masse de s'asservir aux procédés techniques pour plaire et pour vendre davantage), de Collingwood (qui n'y voit qu'une suite de répétitions et de formules imposées par des techniciens) et celle de Greenberg, pour qui l'art de masse ne peut qu'abrutir l'imagination du public (Carroll 1998, p. 73). Traversée de part en part par un intérêt marqué pour les nouvelles formes et médiums artistiques du vingtième siècle, son œuvre témoigne d'unejnquiétude aiguë face aux conséquences que ces dernières pourraient entraîner sur le plan social. • Benjamin et l'œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique Nous avons évoqué précédemment que ce n'est pas tant la reproduction de l'œuvre d'art qui pose problème chez les détracteurs de l'art de masse (et du low art en général), mais plutôt la crainte que cette reproduction massive entraîne une perte et une déshumanisation de l'art. L'un des rares à s'être inscrit en faux contre cette tendance est Walter Benjamin, qui entrevoyait à la même époque de façon plus modérée les modifications que la reproduction industrielle entraînerait pour l'art. 52 Benjamin est sans conteste l'un de ceux qui ont proposé les pistes de réflexion les plus riches quant au rapport entre les fondements de la modernité capitaliste et la pratique artistique. Cherchant à expliquer en quoi l'intrusion de la technologie au sein du monde de l'art est l'effet d'une transformation générale de la culture occidentale (notamment son processus de sécularisation), il présente une généalogie de certaines fonctions de l'œuvre d'art, expliquant ainsi l'une des transformations les plus marquantes de l'histoire de l'art. L'ouverture de nouvelles possibilités de reproduction multiple et l'usage de la technologie (photographie et cinéma) fait selon lui apparaître une dimension de l' œuvre d'art jusque là passée inaperçue. En effet, il n'est pas dans l'essence de l'œuvre d'art d'être unique, tel qu'il l'explique en 1939 dans son célèbre article « L'œuvre d'art à l'ère de sa reproductibilité technique» : Il est du principe de l' œuvre d'art d'avoir toujours été reproductible. Ce que les hommes avaient fa,it, ils pouvaient toujours le refaire. Ainsi, la réplique fut pratiquée par les élèves dans l'apprentissage de l'art, par les maîtres pour la diffusion de leurs œuvres, enfin par des tiers pour l'amour du gain. Par rapport à ces procédés, la reproduction technique de l'art représente quelque chose de nouveau, un phénomène qui se développe de façon intermittente au cours de l'histoire... [nous soulignons] (Benjamin 2000, p. 271 44 ) En rendant l'œuvre accessible en tout lieu, tout temps et pour tous, les procédés de reproduction mécanique ont fait en sorte que l'œuvre d'art produite en série ne pouvait plus procurer une expérience semblable à celle émanant de l'œuvre d'art unique, qui incitait à la vénération et au recueillement. L'art à l'ère de sa 44 Ce passage montre également que la diversité des motivations derrière les procédés de reproduction; on ne saurait donc tirer de conclusion unique sur le statut de ces reproductions. Nous y reviendrons. 53 reproductibilité technique45 se caractérise donc par la perte de la fonction religieuse de l'œuvre d'art46 • Paradoxalement, c'est la disparition de cette fonction qui permet d'en prendre conscience: c'est ce que Benjamin appelle la perte de l'aura de l'œuvre, soit la perte de cette « unique apparition d'un lointain, si proche soit-il» (Benjamin 2000, p. 278), phénomène qui rend de la sorte possible l'apparition d'une autre facette de l'œuvre. Il prophétise de plus que la fonction cultuelle de l'œuvre observable jusqu'au dix-neuvième siècle fera place au vingtième siècle à une fonction principalement politique (Benjamin 2000, p. 275; 282) et ne présente pas l'effritement du caractère sacré de l'œuvre d'art comme quelque chose de complètement négatif. L'œuvre (issue ou non de procédés de production et de reproduction techniques) conserve son « contenu de vérité» (Rochlitz 1992, p. 147), d'autant plus que l'utilisation de la technologie peut servir une fonction émancipatoire. Davantage accessible pour tous, l'œuvre d'art est en mesure de contribuer à une démocratisation de la culture, en étant disponible là où il aurait été impossible avant d'y avoir accès. La qualité esthétique des œuvres fonctionnant sous le mode de la contemplation devient alors secondaire par rapport à leur utilité sociale et politique (Rochlitz 1994, p. 54). Cette nouvelle forme de reproductibilité comporte aussi un potentiel énorme de renouveau dans les procédés artistiques eux-mêmes (Benjamin 2000, p. 273). Ce qu'il 45 Les néologismes composés du suffixe « -ité» sont significatifs chez Benjamin: il aurait pu traiter simplement de « reproduction technique », mais le terme « reproductibilité » permet d'insister sur le fait que cette reproductibilité massive change notre conception de l'œuvre. Voir Weiber, S. (1998) « Benjamin's Writing Style» in Encyclopedia ofAesthetics, oup t. 3, p. 261-264. 46 Cette attitude religieuse est décrite de fàçon éloquente par Leveratto : « Le comportement physique du visiteur d'un musée [ ... ] nous signale ainsi immédiatement, par l'attitude de vénération qu'il manifeste, le caractère sacré des œuvres d'art exposées dans le musée. Le contrôle corporel qu'il s'impose visiblement dans cette situation -ne pas parler à voix haute, ne pas converser avec son voisin, ne pas toucher l'objet, etc. - et que confirment, si nécessaire, les rappels à l''ordre des gardiens, démontre le caractère extraordinaire, d'un point de vue rationnel, de cette situation. » (Leveratto 2000, p. 155-6). Il souligne également en quoi l'œuvre est traitée comme une personne, ce qui est développé dans (Edelman et Heinich 2002 p. 102-156). 56 pratiques populaires du reste était auparavant en quelque sorte dénuée de signification: le concept même de folklore n'apparaît qu'à partir de la seconde moitié du dix-neuvième siècle pour désigner l'étude des traditions, des usages et de l'art populaires d'un pays» (Burke 1994). Du point de vue de la sociologie, l'art populaire peut être défini comme suit: [... ] travaux effectués totalement en dehors des mondes de l'art professionnel par des gens ordinaires, dans le cours de leur vie ordinaire. Ces œuvres sont rarement tenues pour de l'art par ceuX qui les font ou ceux qui s'en servent. Leur valeur artistique est découverte après coup, par des gens étrangers à la communauté où elles ont été produites. (Becker 1988, p. 255) À l'encontre de ce qui prévaut dans l'approche sociologique ou ethnologique, il faudra en ce qui concerne les textes philosophiques comprendre le terme « populaire» au sens datifS l, puisque la plupart des textes sont centrés sur la réception: ils ne réfèrent pas à ceux qui produisent les œuvres, mais bien à ceux qui en sont les destinataires. En employant l'expression « art populaire», le philosophe réfère donc généralement aux productions artistiques destinées à être comprises par une majorité de gens, en postulant que le propre de ces œuvres est de ne pas nécessiter la maîtrise préalable d'un vaste bagage culturel pour être comprises (par opposition au grand art, dont le public serait plus restreint). Notons que le concept d'art populaire est souvent confondu avec le concept d'art de masse S2 . Or, contrairement au premier, le second ne devrait pouvoir s'appliquer qu'à une classe restreinte et récente d'œuvres d'art, apparue avec l'industrialisation ayant permis la production de masse qui donne son nom à ce qu'on est souvent tenté 51 Voir les remarques analogues de Oufrenne sur l'expression « de masse» (Oufrenne 1974, p. 13). 52 Voir par exemple Gans (\974), où les deux termes sont employés de façon interchangeable; cette erreur est par ailleurs fréquente. Voir également Carroll (\998, p. 186) pour d'autres exemples. 57 d'appeler un « genre ». Toutefois, puisque les œuvres d'art populaire et les œuvres d'art de masse ont souvent recours aux mêmes moyens de diffusion, les deux genres sont souvent confondus dans le discours et dans la pratique, en partie parce que les épithètes «de masse» et «populaire» ne sont pas incompatibles. Cette difficulté -qu'on ne saurait sous-estimer- sera au cœur de nos analyses. Par exemple, la bossa­ nova de Jobim, issue d'une tradition «populaire», est aussi diffusée et commercialisée massivement par l'industrie musicale. Elle peut donc être vue comme de l'art populaire ou comme de l'art de masse, dépendant si on s'attarde à sa filiation avec la tradition, à son succès commercial ou à la façon dont elle est diffusée et distribuée. Pourtant, les auteurs cherchent souvent à maintenir une division étanche entre les deux catégories, bien qu'il ne soit pas clair que la distinction ne puisse être comprise de façon « taxinomique» -ce qui est le cas chez plusieurs. Cette tendance est observable au sein de plusieurs disciplines ; certains historiens, par exemple, soutiennent à propos de la culture folk qu'elle ne peut être -confondue avec la culture « populaire» : La culture du peuple, que les Américains désignent aujourd'hui sous le nom de folk-culture ou simplement folklore, ne saurait se confondre avec la littérature populaire. Bien qu'elle s'inspire parfois des produits de l'imagination collectiye, la culture de masse reste tributaire des grands moyens de diffusion médiatique du XXe siècle. Elle repose sur la notion d'auteur, tandis que les mythologies populaires prennent leur source dans une expérience quotidienne transfigurée par des croyances et valeurs qui constituent le legs des générations ou l'apport d'un imaginaire contemporain. [nous soulignons] (Bourget et al. 1993,p.95) Le glissement vaut la peine d'être souligné: l'auteur cherche à la fois à distinguer culture de masse et culture populaire mais aussi culture populaire et culture folk, mais les descriptions qu'il donne pourraient s'appliquer à l'une ou l'autre des catégories. Il n'est par ailleurs pas superflu de rappeler qu'on ne saurait comprendre l'adjectif 58 « populaire» au sens strict de succès commercial, et encore moms confondre art populaire et art pop « à la Warhol» confusion qui se manifeste parfois de manière implicite. Notons que si le pop art emprunte les procédés et symboles de l'art populaire et de masse et a en commun avec ces derniers de chercher à se rapprocher de l'imagerie et des préoccupations de la vie courante; les trois se caractérisent donc par un refus d'une conception romantique de l'mi où l'ali est vu comme un « monde à part », caractérisé notamment par le culte du génie individuels3 . Toutefois, le pop art est un courant reconnu et institutionnalisé et est par conséquent -ironiquement­ du grand art à part entière malgré les controverses qui ont marqué son apparition. Le concept d'art de masse est généralement employé poui désigner des productions ayant recours à des procédés de production et de reproduction industriels, accompagnés d'une commercialisation intensive qui est distincte à la fois du grand art et de l'art populaire traditionnels4 . Sa valeur et son statut en tant qu'art sont encore plus contestés dans la littérature que ceux de l'art populaire, et le rappOli entre ces deux derniers diffère de beaucoup selon les auteurs. Par exemple, pour Carroll, l'art de masse est un sous-ensemble de l'art populaire; pour Adorno et Greenberg, ils représentent deux classes distinctes; pour Novitz, la distinction est plus ou moins peliinente puisque la frontière entre les deux n'est pas nette. Soulignons que l'expression même d'art de masse -comme celle d'art populaire- est problématique parce qu'elle peut sous-entendre deux acceptions aux implications bien différentes: « reproduit en masse» ou « destiné à la masse », ce qui rend moins convaincantes les distinctions strictes comme celles proposées par Adorno, Greenberg ou même Carroll. 53 Cet aspect sera développé au chapitre II. 54 Voir Carroll (1998, p. 196). 61 1.3 Conclusion du chapitre 1 Nous avons vu au ici que l'indifférence polie (ou le mutisme) quant aux questions de démarcation laisse deviner une acceptation tacite de la distinction standard entre le grand art et le reste. Mais cette distinction ne saurait échapper à la critique, notamment parce que les thèses présentées précédemment ont des prémisses et des implications qui dépassent à plusieurs égards le cadre de la philosophie de l'art: elles sont donc d'intérêt général, peu impolie la position adoptée quant au statut du low art. Elles présentent par ailleurs des vices argumentatifs qui feront l'objet du chapitre suivant. En effet, lorsqu'on cherche un modèle de réflexion qui mette en valeur les points positifs du low art, on constate que les rares propositions en ce sens se noient souvent dans un flot des critiques à leur égard. POUliant, les œuvres de low art « fonctionnent esthétiquement» et possèdent indéniablement des qualités artistiques. Afin de voir si la différence de traitement tient à des présupposés évaluatifs, nous prendrons une à une les principales critiques faites à leur endroit, afin de montrer qu'il n'y a pas de différence formelle nette entre le grand art et le reste. CHAPITRE II OÙ TRACER LA LIGNE? Nous avons vu dans le chapitre 1 que l'on attribue le plus souvent au low art les caractéristiques et effets suivants: • un défaut d'originalité par définition (Greenberg) ; • un caractère simpliste (elle fonctionne par formules familières au récepteur) (Adorno) ; • un caractère accessible (tant matériellement que dans le contenu) (Benjamin) ; • un caractère intéressé en raison du potentiel commercial et une certaine forme d'instrumentalisation (par exemple: viser uniquement à divertir) (Adorno, Greenberg). À ces caractéristiques s'ajoutent des effets habituellement décriés: • le low art aurait des conséquences morales néfastes (Platon, Pascal) ; • l'œuvre d'art de masse entraînerait une forme de passivité, d'aliénation sociale et intellectuelle (Adorno, Greenberg) ; • elle est aussi vue non seulement comme symbole d'un déclin de la culture, mais aussi comme une cause ou un facteur d'accélération de ce déclin (Adorno, Greenberg). 63 Ce chapitre vise à montrer que ce tableau est une représentation déformée de ce qu'on trouve réellement dans la pratique. Il permettra de prendre conscience du caractère tendancieux des arguments invoqués par la tradition philosophique pour discréditer le Law art et de montrer que même dans l'éventualité où il y aurait une différence de nature entre le grand art et le reste, cette distinction ne saurait se réduire à un critère simple (par exemple, « l'originalité» ou le « caractère désintéressé»). Notre aurons donc ici une double tâche: 1) d'abord recenser les principaux arguments qui servent à justifier la distinction high/Law; 2) critiquer, s'il y a lieu, la pertinence et le bien-fondé de ces arguments en vue de déterminer si la distinction peut être maintenue et à quelles conditions57 . Les arguments sont répartis en trois catégories: nous présenterons d'abord une analyse de ce qu'on pourrait appeler « l'argument ontologique », selon lequel grand art possèderait des caractéristiques qui feraient défaut au Law art et expliqueraient la supériorité du premier par rapport au second. Dans la deuxième section, nous verrons qu'en ce qui concerne la distinction high/Law, on fait souvent de deux poids deux mesures: les critiques adressées aux œuvres populaires, par exemple, pourraient souvent tout aussi bien être dirigées vers les œuvres les plus prestigieuses. Finalement, la troisième partie portera sur ce qu'on pourrait qualifier d'argument « de la pente fatale », selon lequel le développement du Law art aurait des conséquences néfastes sur l'art véritable. 57 Rappelons que l'idée ici n'est pas de contester la possibilité même d'établir un critère de distinction entre le grand art et le reste, mais plutôt de montrer que les distinctions qu'on trouve actuellement dans la 1ittérature sont insatisfaisantes ou contestables. 66 quelconque de plaisir esthétique), la plupart d'entre eux refusent en revanche de les aborder en tant qu'objets d'art. En revanche, du point de vue des amateurs de low art, le même objet est considéré comme une œuvre d'art: ce même objet change ainsi de catégorie selon le point de vue (ou même d'une époque à l'autre). On ne saurait donc trop insister sur le fait que la distinction est mouvante historiquement et culturellement. Les artistes ont cherché au fil du temps à affranchir leur discipline de l'emprise de l'esthétique pour en faire une discipline strictement intellectuelle-ce qui avait pour conséquence que les objets artistiques n'étaient pas automatiquement pensés comme des objets esthétiques. Cette contestation du rôle constitutif des considérations esthétiques n'a pas pour autant permis de conclure que l'art n'a rien à voir avec celles-ci, comme ont pourtant cherché à nous en convaincre certains hérauts des avant-gardes. Il s'imposait bien sûr pour certains artistes de montrer que conceptuellement parlant, l'art n'est pas nécessairement asservi aux contraintes comme l'idéal de beauté classique (et nous nous garderons ici de mal interpréter ceux qui ont contribué à l'avancement de la réflexion en ontologie de l'œuvre d'art). Mais il demeure que toute pratique artistique implique l'utilisation d'un médium quelconque: il y a donc toujours une médiation par les sens qui nous renvoie à une dimension esthétique au sens étymologique du terme (c'est-à-dire comme une « science du perçu »). Ainsi, affirmer que l'artistique n'a rien à voir avec l'expérience ou le plaisir esthétique est en quelque sorte autoréfutant. Quant à la question de la reconnaissance du statut des œuvres de low art, il apparaît que l' attri bu tion de propriétés aliistiques requiert une reconnaissance préalable de l'objet en tant qu'œuvre (ce qui comporte un aspect normatif). On se trouve donc en situation de « sophisme aviaire» : pour accorder le statut ~'œuvre d'art à un objet, il faut pouvoir y déceler des propriétés artistiques, mais pour voir des propriétés esthétiques comme des propriétés artistiques, il faut déjà prendre l'objet comme une 67 œuvre d'art et non comme un simple objet6o . La différence entre propriétés esthétiques et atiistiques est en bonne partie d'ordre conventionnel et repose non sur des éléments perceptuels, mais dans un travail d'interprétation qui comporte son lot d'a priori. Il faut donc écatier cette habitude de voir les œuvres d'art comme une « espèce naturelle », puisque les arguments qui font appel à une distinction de nature entre les différents types de pratiques artistiques cachent souvent des présupposés implicites d'ordre évaluatif. Dans la mesure où la différence entre propriétés esthétiques et propriétés artistiques est dépendante de nos choix théoriques, ces derniers rie sont pas à l'abri des remises en question. Bref, « propriétés esthétiques» et « propriétés artistiques» ont beau ne pas être synonymes, elles demeurent quand même liées, à la fois solidaires et distinctes. Par conséquent, la présence de l'une dans un objet n'entraîne pas nécessairement la présence de l'autre, mais on peut difficilement penser de façon indépendante ces deux aspects d'un objet. 2.2 L'argument ontologique Nous avons vu que de façon générale, les œuvres de low ar.t (et plus particulièrement celles produites grâce au développement de procédés de reproduction et de diffusion industriels) sont considérées comme appartenant à une classe d'artefacts à part. L'idée que les œuvres de low art et de grand art seraient par nature différentes est assez rarement contestée. Mais la justification de cette bipartition, qui sera désignée ici par souci de brièveté « l'argument ontologique », n'est pas toujours convaincante puisqu'elle présuppose dès le départ une démarcation de nature, qui a pourtant les traits d'une forme d'évaluation. Pour expliquer le caractère non artistique du low art, on évoque un élément qui lui ferait défaut et expliquerait son infériorité par rapport à l'art véritable. Bref, à partir d'une dévaluation jouée d'avance où l'on pose dès le 60 C'était l'idée derrière le mot d'esprit de Tom Wolfe lorsqu'il dit, à "propos de l'art abstrait: « Croire est voir», Tom Wolfe (1978), Le mot peint Gallimard, p. II. 68 départ qu'il Y a une différence qualitative entre le grand art -le vrai- et le reste, il devient difficile de défendre l'intérêt que revêt ce « reste ». L'argument ontologique prend plusieurs formes, mais trois variantes reviennent plus fréquemment61 : on reproche au Low art son manque d'originalité, son caractère accessible et son caractère simpliste. Ces caractéristiques seront présentées séparément ici, mais elles renvoient souvent dans les faits les unes aux autres (par exemple, l'art de masse n'est pas original parce que trop simple, ou accessible parce que simple, etc.). L'analyse des critiques dans les procl)aines sous-sections nous permettra d'abord de montrer que ces caractéristiques ne sont pas systématiquement présentes dans le Low art: on peut les retrouver également dans le grand art, sans qu'elles entraînent pour autant une dévaluation. Ainsi, puisqu'un même critère peut servir ou non de facteur de dévaluation dépendamment du contexte, nous serons amenés à conclure que ces critères ne peuvent ipso facto servir d'assise pour une distinction de catégorie entre high art/ Low art. 2.2.1 Défaut d'originalité En étudiant le monde de la peinture en France à l'époque moderne, Heinich souligne le caractère paradoxal de la rech~rche d'originalité- diamétralement opposée au respect de la règle-, de même que l'importance de cette notion dans notre compréhension de l'art. Si aux débuts de l'Académie, le respect de la règle fait figure de condition sine qua non de l'excellence du peintre, celle-ci «deviendra un siècle 61 Voir à cet effet Carroll (1998), en particulier le premier chapitre. 71 véritable, mais aussi comme celui d'un progrès. Une œuvre dans laquelle on croit ne déceler aucune originalité apparaît dès lors dénuée d'intérêt, puisqu'elle devient symbole d'un retour en arrière, reproche fréquemment adressé à l'a11 de masse: . [... ] l'ar1 de masse, parfaitement maîtrisé du point de vue technique comme le plus souvent le cinéma grand public, reste la plupart du temps en deçà d'une symbolisation artistique de ses enjeux pour ne véhiculer que des fantasmes collectifs. [nous soulignons] (Rochlitz 1994, p. 122) S'il est vrai que nombre d'œuvres d'art de masse sont bel et bien dépourvues d'originalité, il s'impose néanmoins (pour donner son assentiment à une dichotomie aussi tranchée imposée en loi générale) de se garder des généralisations hâtives, comme on peut trouver une des présentations les plus caricaturales dans « Avant­ garde et kitsch ». Il n'est d'ailleurs pas évident que Greenberg et ceux qui l'ont suivi depuis dans son rejet du kitsch se soient acquittés honnêtement de la tâche de fournir une analyse convaincante65. Il convient de s'attarder à ce détail, pUIsque « Avant-garde et kitsch» est encore aujourd'hui considéré comme un texte de référence. D'abord, Greenberg ne présente aucun exemple de ce qu'est le kitsch en dehors des principes généraux de comparaison avec l'art populaire et l'art d'avant-garde: il parle bien sûr de littérature bon marché, de bandes dessinées et de danse à claquette, montrant au passage son estime pour le folklore irlandais dont cette dernière est issue. Mais ces énumérations 65 En revanche, d'autres n'ont pas hésité à critiquer cette foi aveugle dans la soi-disant originalité intrinsèque du grand art, dont Brecht, qui s'exprime ainsi: «... dans le domaine de l'art, on entreprend souvent des expériences « pour des raisons uniquement artistiques )),·c 'est-à-dire sans mission sociale proprement dit; et parfois il apparaît ensuite qu'en réalité elles se chargent d'une mission asociale. Ji ces expériences s'attache naturellement une certaine odeur de frelaté, il y faut « du neufà tout prix )), on s'en prend en tout cas à ce qui passait jusqu'alors pour de l'art. Dans ces cas-là, les innovations ne sont que formelles; en réalité, le vieux monde bourgeois, complètement suranné, cherche désespérément à se maintenir en changeant d'accoutrement et en se donnant une nouvelle couche de peinture. }} (Brecht 1970, p. 116). 72 rapides ne permettent pas de comparer précisément ces soi,-disant types de pratiques artistiques et encore moins de comprendre le rôle de l'originalité dans notre représentation de l'art. La généralité des notions employées donne l'impression que Greenberg se croit dispensé dans ce type d'attaques générales du fardeau de la preuve: en l'absence d'exemples précis, les thèses qui posent ce type de distinction ontologique sont en quelque SOlie infalsifiables. « Bande dessinée» Cl' exemple est de Greenberg) est aussi vague que «livre» : on en trouve pour enfants, pour adultes, certaines sont humoristiques, d'autres subversives, certaines à teneur politique et ainsi de suite. En fait, pour Greenberg, une « bonne bande dessinée» est une contradiction dans les termes, opinion dont la fausseté nous est aujourd'hui manifeste (du moins aux yeux des amateurs du neuvième art). Faisant référence aux plus mauvais exemples à grands renforts de qualificatifs péjoratifs sans pour autant identifier clairement des productions kitsch, il fait l'inverse pour l'art d'avant-garde en ne citant que des artistes très reconnus: Braque, Picasso, Kandinskl6 , attitude comparable à ce que Heinich observe dans notre perception des peintres à l'ère moderne: [... ] s'alignant sur le sens commun, [l'historien] projettera sur l'ensemble des peintres les quelques exceptions passées à la postérité: ramenant le général au particulier, il fera de Raphaël, de Vinci ou de Michel-Ange les cas typiques de leur catégorie, alors qu'ils n'en sont que de brillantes exceptions, des exemples d'autant plus saillants qu'ils sont plus atypiques et d'autant moins généralisables qu'ils sont plus mémorables. (Heinich 1993, p. 58) Cette mauvaise habitude s'explique aisément malS ne peut que nous inciter à davantage de prudence lorsque vient le temps de juger non pas « l'homme à son œuvre », mais bien « l'œuvre à son homme ». Les arguments employés à l'origine par Greenberg (repris à l'envi depuis des décennies) ne sont ainsi guère en mesure de nous convaincre d'accepter la partition qu'il opère entre un art véritablement original 66YoirGreenberg(1988a,p.13). 73 et un simulacre dénué d'originalité. On doit donc fouiller davantage pour comprendre les raisons qui font en sOlie que le low art est perçu comme un art intrinsèquement dénué d'originalité. Parmi celles-ci, on peut citer certains présupposés liés à notre façon d'aborder les œuvres. Michaud prend pour exemple la méthodologie en histoire de l'art: cette discipline fournit bien sûr des informations précieuses sur les objets d'art, mais ce sont ceux que l'historien a choisi de considérer en tant qu'objets artistiques, ou encore ceux qui sont vus comme tels par le groupe académique professionnel auquel il appartient (Michaud 1999, p. 32). L'histoire de l'art est donc construite (et non découverte) par les historiens eux­ mêmes, par le biais de leurs convictions théoriques, idéologiques, leurs choix et l'influence de l'institution dans laquelle ils œuvrent. Or, si l'historien, le philosophe et le critique d'art se basent sur un critère d'originalité calqué sur le modèle de l'avant-garde, le statut du low art est joué d'avance. Rochlitz abonde dans le même sens, bien que de façon plus prudente: Une description n'est neutre ni du point de vue de l'évaluation ni du point de vue de l'interprétation [... ] Une description interprétative des relations internes doit tenir compte de l'ambition constitutive de l'œuvre, du sens et de la qualité des relations créées, du degré auquel elle a réalisé ses propres exigences, ainsi que l'enjeu et de l'intérêt de ces objectifs eux­ mêmes. (Rochlitz 1994, p. 136) Pour juger l'art de masse en fonction des critères qui font la valeur de l'art d'avant­ garde (dont la recherche d'originalité et la transgression de règles établies), il faudrait d'abord voir si l'art de masse (et le low art en général) poursuit ces objectifs par le même type de moyens. Ironiquement, le grand art a souvent puisé dans cet art soi­ disant dénué d'originalité les matériaux nécessaires pour exprimer sa propre originalité. On a abondamment souligné en quoi le raz-de-marée prov<?qué par le jazz en Europe dans les années vingt a permis à des compositeurs comme Debussy, 76 chansons pop et blues, pourtant deux genres musicaux assez proches, qui diffèrent nettement dans leur structure et dans les thèmes abordés (Frith 1988, p. 111) et soulève également quelques points problématiques sur les travaux liés à la rock poetry, qui passent sous silence le country, la musique noire et même Lou Reed, pourtant reconnu pour sa plume (Frith 1988, p. 117). Il est révélateur que dès qu'il est question de paroles de chansons l'on se restreigne pratiquement à Bob Dylan et ses émules, comme s'il ne pouvait y avoir de poésie que lorsqu'on peut retracer la filiation directe à un corpus sanctionné académiquement68 . Toutes proportions gardées, il y a à l'égard du low art une réaction analogue à celles qu'on a pu observer lors des grands changements de paradigme mtistique : lorsqu'un nouveau courant (tendance, école, etc.) apparaît, les éventuelles tentatives visant à intégrer l'élément nouveau dans le canon de pratiques reconnues et valorisées passent par une remise en question des critères d'évaluation. Par exemple, des mouvements innovateurs comme le cubisme n'ont pu être adéquatement compris à pmtir des critères d'évaluation de courant plus anciens (comme l'ont évoqué ses partisans à ses débuts) et il a fallu un certain temps avant que leur intérêt artistique ne soit reconnu. Ce phénomène d'adaptation peut être observé -à des degrés variables- tant pour les styles (impressionnisme, cubisme) que pour les genres (roman) ou les médiums (photographie) dont la reconnaissance est rarement instantanée ou exempte de contestation. Le cinéma nous fournit encore une fois ici un bon exemple: au début du siècle, on le considérait comme un simple spectacle forain. Il était par conséquent méprisé des classes supérieures, mais de « passe-temps urbain acceptable pour les bonnes et les enfants », le septième art a su devenir « un loisir intellectuellement re~pectable » même pour les adultes cultivés (Leveratto 2000, p. 223). Ironie du sort, maintenant que le potentiel artistique du médium a été reconnu, on passe désormais 68 Le nom de scène de Bob Dylan réfère directement au poète gallois Dylan Thomas, ce qui semble suffisant pour rattacher l'artiste à une tradition plus noble.,. 77 .. par une distinction de genre pour distinguer le bon grain de l'ivraie en traçant une distinction de principe entre cinéma d'art ou d'auteur et le cinéma grand public. Puisque la sortie d'un paradigme implique une révision des critères d'interprétation et d'évaluation, la nécessité de revoir ceux-ci face à d'autres types de nouveauté (notamment celles issues des nouveaux médias) apparaît plus clairement. Autrement, la critique sera condamnée à proposer une analyse biaisée de ces productions, comme l'ont fait ceux qui ont cautiolU1é des critiques comme celle de Greenberg ou d'Adorno, aveugles aux diverses formes d'originalité revêtues par l'art de masse. Si on s'accorde aujourd'hui pour reconnaître les mérites des affiches de Toulouse­ Lautrec (Novitz 1992, p. 22) et l'originalité des films de. Chaplin et de Hitchcock comparativement à leurs contemporains, ces aspects ont souvent passé inaperçus ou ont été mal évalués par les théoriciens de l'époque69 . Référant aux prétentions d'originalité radicale des avant-gardes, Rochlitz explique qu'innovation et originalité ne sont pas des concepts figés. Leur caractère comparatif donne à penser qu'on ne saurait affirmer d'une œuvre ou d'une pratique qu'elle est originale en soi, mais bien par rapport à un certain contexte. L'originalité d'une œuvre se dégage d'un point de vue rétrospectif et son caractère relatif fait en sorte qu'il n'est pas si simple de l'évoquer comme preuve de la valeur artistique d'une œuvre ou d'un genre. En fait, le caractère original d'une œuvre a souvent pour premier effet de nuire à sa reconnaissance, comme le résume Rochlitz : Aussi loin que l'on remonte dans l'histoire des temps modernes, les grands mouvements d'innovation artistique ont été perçus comme des menaces pathologiques, avant de devenir les piliers de l'académisme au nom duquel on pouvait condamner l'innovation suivante. (Rochlitz 1994, p. 121-122) 69 Le public, par contre, ne s'y était pas trompé: spontanéité et sensibilité .ont dans ce cas compensé pour l'absence de compétences professionnelles et le public a pu saisir ce qu'il y avait de profondément original dans ces œuvres sans attendre la sanction positive du discours savant. 78 On pourrait adapter cette remarque au cas d'une forme particulièrement appréciée de Law art, à savoir le jazz: honni il n'y a pas si longtemps, il est honoré depuis dans les institutions, ce qui est pour le moins révélateur7o. L'une des raisons de ce changement de cap est que ses détracteurs avaient une conception de l'originalité qui ne permettait pas de comprendre ce que le jazz pouvait avoir d'original et d'innovateur par rapport à la tradition musicale européenne. Or, la façon d'improviser qu'on trouve dans le jazz, de réécrire les standards et la distance prise par rapport à la partition sont autant d'éléments qui ont mis un certain temps à être reconnus. Même dans le blues (dont l'un des principes de base est justement la répétition à partir d'un motif harmonique et rythmique très simple), la notion d'originalité joue un rôle important. Seulement, elle est dans la façon dont le musicien s'approprie un air déjà connu et lui insuffle une nouvelle dimension par ses intonations vocales, par son· jeu d'instrument, par la liberté qu'il prend par rapport à la version précédente, etc. Sans la mise en veilleuse de ses présupposés, le musicologue qui s'attarde, par exemple, uniquement au caractère conventionnel du motif harmonique, passera inévitablement à côté de tous ces aspects qui devraient pourtant être soulignés (McClary et Walser 1990). L'omniprésence de la notion d'originalité dans le modèle actuel de l'art entraîne ainsi certaines difficultés puisqu'elle fait en sorte que certaines dimensions de la pratique artistique courante sont occultées. Même si les artistes se sont toujours fait des emprunts réciproques dans leurs œuvres, l'idéologie romantique du génie est demeurée ancrée dans le paradigme artistique actuel, gommant ce trait de la pratique et établissant artificiellement une division stricte entre « création originale» et « emprunt dérivé» (Shusterman 2001, p. 153) qui fait en sorte que la reconnaissance artistique n'échoit qu'au premier des deux termes de l'opposition. Cette idée est 70 D'où le mot de Dee Dee Bridgewater, qui résume en disant que le jazz est la plus populaire des musiques savantes, et la plus savante des musiques populaires. 81 une caractéristique voulue, sans que l'on puisse dire pour autant que c'est un défaut sur le plan artistique. Les « formules» qu'on trouverait dans le low art et qui lui ont valu l'étiquette d'absence d'originalité peuvent et doivent être interprétées autrement que comme un manque d'imagination, puisqu'elles sont l'indice d'une convention partagée par ceux qui produisent les œuvres et le public. L'amateur de western sait quel en sera le dénouement et sait surtout que son intérêt ne réside alors pas tant dans l'effet de surprise final que dans la façon dont l'histoire se déroulera jusqu'à ce dénouement attendu (en revanche, le respect des conventions ne garantit pas l'appréciation?3). Un détracteur du low art n'aura pas manqué de remarquer que West Side Story est l'histoire de Roméo et Juliette remise au goût du jour et sera porté à discréditer l'œuvre parce qu'elle n'a pas une histoire originale. Par contre, si on tient compte du fait que le chorégraphe Jerome Robins a expressément demandé en 1949 au compositeur et chef d'orchestre Leonard Bernstein de faire une version moderne de Roméo et Juliette, on ne peut pas voir cette œuvre comm'e dénuée d'originalité: on constate alors que l'intérêt de l'œuvre est dans le travail d'adaptation (chorégraphies, décors, fusion d'éléments du music-hall, de jazz et de culture latine, etc.). Soulignant que la distinction high/low ne correspond pas à la hiérarchie traditionnelle entre « art de masse et art de qualité », Rochlitz ajoute -':se plaçant ainsi à contre­ courant de la tendance générale en philosophie de l'art actuelle- que non seulement l'absence d'originalité et autres tares du geme ne sont pas la marque du low art, mais qu'en plus, ils n'épargnent pas le grand art (Rochlitz 1994, p. 123). Bien qu'il constate certaines différence entre ces deux pratiques en particulier (refusant notamment le titre d'œuvre d'art aux produits de l'art de masse qui se contenteraient d'être « efficaces»), il rappelle qu'à partir du moment où les divisions traditionnelles ne remplissent plus leur rôle, c'est à notre jugement qu'il faut confier la tâche de « découvrir les œuvres qui méritent attention et admiration» (Rochlitz 1994, p. 123). 73 Voir également Becker (1999, p. 63) sur la création en jazz. 82 Nous savons faire la différence entre le bon et le mauvais, sans égard à l'appartenance de l'œuvre à une catégorie74. Par conséquent, l'appartenance à une ou l'autre des catégories artistiques ne saurait se réduire au seul critère d'originalité, qu'il soit question d'une distinction high/low ou d'une distinction objet d'art/objet utilitaire. Schaeffer souligne pour sa part que la recherche d'originalité n'est pas propre à la pratique artistique et que «la production d'o~iets utilitaires n'est pas plus standardisée que celle d'une œuvre d'art », bien que la production des exemplaires, elle, le soit (Schaeffer 1996, p. 3875 ). Pour sa part, Rochlitz admet que la distinction high/low n'est pas un indice fiable de qualité: [... ] on trouve dans l'art de style « élevé» autant de vulgarité, d'idéologies des pires sortes, de prétentions injustifiées et de concessions au goût du jour que, dans l' «art de masse» des exemples de finesse, de subtilité sans prétention, d'esprit critique et d'innovation. (Rochlitz 1994, p. 123) Pourtant, même lorsqu'on admet que l'œuvre d'art de masse peut faire preuve d'une certaine originalité, cet aspect est souvent balayé du revers de la main sous prétexte que les œuvres d'art de masse exceptionnelles seraient justement. .. des exceptions. Mais si les œuvres d'exception représentent effectivement une infime partie de ce qui est produit, il en va de même pour le grand art76 . Pour chaque Jarry, Ligeti, Bertolucci, Modigliani, combien d'émules, de pâles copistes, de disciples mal compris, de précurseurs méconnus, de pasticheurs quelconques? Seulement, ce phénomène est beaucoup moins apparent dans le cas du grand art puisqu'il diffère des 74 « ... nous faisons la distinction entre une œuvre qui méprise notre intelligence en nous jetant en pâture les images primitives des désirs et des angoisses les plus largement partagés, et une œuvre qui distancie ces images et leur contenu d'idées pour nous présenter, à travers une symbolisation critique, une vision qui nous éclaire sur nous-mêmes. » (Rochlitz 1994, p. 123). 75 Or, créativité et contraintes sont compatibles: « Les comédies musicales offraient aux compositeurs le moyen d'innover, même si c'était dans un cadre très restreint. » (Becker 1988, p. 50-1). 76 Voir Heinich (1996, p. '15) et Pouivet (2002, p. 96). 83 autres types dans la façon dont ses œuvres sont rendues publiques77 . En effet, la façon dont une œuvre chemine du créateur au récepteur varie selon la sphère artistique: non seulement les différents mondes de l'art possèdent leurs propres institutions, mais l'espace de jeu du récepteur diffère de beaucoup. Si dans le grand art la sélection des œuvres est à la base très sévère, dans le low art, l'offre faite au récepteur est très variée: c'est à lui que revient la tâche de séparer le bon grain de l'ivraie (notamment en utilisant son pouvoir de consommateur). La conséquence négative de cet état de fait est que des œuvres sans intérêt sont quand même diffusées dans l'espace public, ce qui donne une mauvaise image du genre entier. 2.2.2 Caractère simpliste On évoque souvent le caractère simpliste des œuvres de low art pour souligner leur piètre valeur artistique et justifier le refus d'un statut artistique à part entière. Cet argument se décline de deux façons: il renvoie soit à l'acte de création et de production de l'œuvre, soit à la structure formelle de celle-ci. C'était par exemple ce que disait Adorno à propos du jazz: [... ] les prétendues improvisations se réduisent à des paraphrases de formules de base, sous lesquelles le schéma transparaît à tout instant. (00'] le jazz montre une pauvreté totale. [nous soulignons] (Adorno 1986a, p. 104) Même ses commentateurs les plus fidèles admettent qu'Adorno s'est tout simplement trompé sur certaines pratiques artistiques dont le jazz (Zuidervaart 1998, p. 17) et que les généralisations hâtives qu'il porte sur l'ensemble de l'industrie de la culture sont influencées par cette mauvaise lecture. Alors qu'on invoque généralement l'ignorance d'Adorno pour expliquer la sévérité de son verdict à propos du jazz, Bruce Baugh 77 Cet aspect sera discuté plus amplement au chapitre IV. 86 de ce qui a été mobilisé pour réaliser l'œuvre: il arrive souvent que le travail de production studio de certains hits radio assez ordinaires soit beaucoup plus laborieux que celui requis pour mener à bien des pièces beaucoup plus intéressantes musicalement. On peut se demander d'où vient d'ailleurs cette étrange règle de proportionnalité entre la valeur d'une l'œuvre et les procédés requis pour sa production? Le fait qu'une œuvre ait une histoire de la production simple (ou complexe) ne garantit pas que ce trait soit apparent dans le résultat final. On peut penser à titre d'exemple au très complexe album Pet Sounds (1966), conçu, composé, arrangé et exécuté avec un soin maniaque par Brian Wilson. Une oreille avisée saura reconnaître dans cette construction apparemment simpliste les motifs mélodiques, l'originalité des harmonies vocales, le jeu de rappel de thèmes et de variation sur ces derniers, etc. Mais si on ne porte pas attention aux subtilités de la construction, on peut ne voir dans l'œuvre qu'une suite de chansonnettes simplistes à laquelle on aura superposé une trame de bruits de fond et de collages sonores grossiers. Toutes proportions gardées, ce genre de problème de perception opère , également dans le grand art: on peut penser à des cas célèbres comme celui des Fauves, dont le travail n'a été perçu au début que comme. un gribouillage et ce, en dépit de la valeur artistique évidente que leurs tableaux comportaient et qui, heureusement, a été reconnue depuis. Pensons aussi à l'exemple de Metal Music Machine de Lou Reed, qui montre en quoi connaître la démarche d'un artiste affecte notre perception de son œuvre. Les spécialistes diront ceci de ce disque paru en 1975 : [il] exprime sans doute ce que Lou Reed ressent vraiment dans les affres de sa toxicomanie. Œuvre fondatrice de la musique industrielle, Metal Music Machine clôt la période glam-rock et marque le début de la vague punk qui gronde déjà ... (Assayas 2üü1,p.155ü) 87 Un auditeur peut donc y VOir une véritable démarche d'exploration sonore ou un pamphlet anti-esthétique en action. Or, ce qui s'est réellement passé est que Reed, complètement dégoûté et désabusé, cherchait simplement à se libérer de son contrat avec sa compagnie de disques en produisant un album inécoutable -même pour les fans. La compagnie étant tenue par contrat de publier cet album insupportable (tout comme Reed avait été tenu de produire quelque chose), ce dernier s'est retrouvé dans les mains des spécialistes. Vu la notoriété de Reed, dont les œuvres sont toujours attendues, ceux-ci ont construit un discours de justification autour de l'œuvre, pourtant conçue à. l'origine comme un véritable suicide commercial: avec le temps, l' œuvre a acquis un certain intérêt, même si le processus de création ne laissait pas présager qu'on pourrait interpréter de la sorte sa signification. Mais n'eut été du fait que le disque portait la signature de Lou Reed, ce dernier n'aurait jamais vu le jour (et aurait encore moins été réédité sur disque compact). L'attitude centrée sur l'artiste plutôt que l'œuvre, autre vestige du romantisme, est donc problématique. Si on peut comprendre pourquoi l'œuvre est considérée comme « attribut de la personne» (Edelman et Heinich 2002, p. 7) notamment sur le plan juridique (pour déterminer à qui revient les droits d'auteur ou la «paternité» de l'œuvre), cela comporte un aspect pernicieux puisque l'interprétation des œuvres est souvent éclipsée par le personnage de l'artiste82 . La figure· de l'artiste prend alors le dessus sur sa production, au risque de biaiser le discours critique. La corrélation entre l'œuvre et l'homme est telle qu'on peut même parler d'un renforcement mutuel entre la réputation de l'artiste et celle de l'œuvre. Selon Becker, une œuvre est toujours jugée et appréciée en fonction de la réputation du créateur: la réputation a une 82 Dans le droit français, par exemple, il ya indivisibilité entre l'auteur et son œuvre, conçue comme une émanation de sa personnalité: il importe que l'œuvre ait une forme arrêtée pour être considérée originale, et par conséquent qu'elle soit protégée par la loi. Par ailleurs, la notion de droit « moral» sur l'œuvre se trouve déjà chez Kant (Doctrine du droit, § 31, Il). Voir à ce sujet Edelman (I989, p. 20). 88 incidence sur la production en général puisqu'elle est justement une appréciation globale des actions d'un individu (Becker 1988, p. 47). Or cette conception de la valeur de l'œuvre est préjudiciable lorsque vient le temps de se pencher sur le low art: souvent moins attachées à des figures individuelles prestigieuses (notamment parce qu'elles ont un caractère collectif), elles sont dévaluées par rapport aux œuvres de grand art puisqu'on n'y trouve l'illustration des mérites d'un individu. Pourtant, l'œuvre d'art est, par nature un travail de coopération entre plusieurs personnes, peu imp0l1e le type. L'image de l'élan du génie individuel comme marque d'authenticité artistique est peu conforme à la réalité et la valeur d'une œuvre n'est pas forcément proportionnelle aux activités requises pour produire l'œuvre (Becker 1988, p. 2i\ Dans la mesure où l'œuvre d'art «exprime et concrétise les talents rares de son auteur », il nous importe de savoir qui possède ces dons et ce trait est exacerbé dans les sociétés occidentales au détriment d'autres types d'œuvres (Becker 1988, p. 39-40). Le peu de prestige conféré aux œuvres de low art en raison de leur caractère collectif ou anonyme (par exemple, les œuvres de folklore sont rarement identifiées) alimente ensuite sa perception en tant que pratique « simpliste », même si cette caractéristique ne peut faire office de critère de démarcation: Les arts populaires ne jouissent pas de traits structurels qui les distinguent en tant que groupe. On avance souvent que la simplicité formelle est la marque de commerce de l'art populaire et que cela seul est responsable du manque de sophistication et de l'insipidité qui caractérise ce type d'art [... ] Plus souvent qu'autrement, le cinéma est sans contredit une forme d'art populaire, mais très peu de films sont simples sur le plan formel. La plupart revêtent en fait des formes très complexes ... [notre traduction] (Novitz 1992, p. 23) 83 Même la peinture, activité solitaire par excellence, implique une série d'activités préalables dont dépend l'activité du peintre (Becker 1988, p. 37-8).
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