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L'art et la manière: une approche didactique de l'histoire de l'art , Notes de Histoire de l'Art

Typologie: Notes

2018/2019

Téléchargé le 18/06/2019

VirginieTT
VirginieTT 🇫🇷

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Télécharge L'art et la manière: une approche didactique de l'histoire de l'art et plus Notes au format PDF de Histoire de l'Art sur Docsity uniquement! Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 L’art et la manière Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Introduction C’est une histoire de l’art factuelle telle que la pratiquaient Louis Hourticq ou Germain Bazin qui domine encore l’enseignement et ses méthodes1. Il est pourtant nécessaire de mettre à nu les œuvres d’art de manière à en dégager le sens profond. Comme le déclare Daniel Lagoutte, on peut dire qu’il existe non pas une, mais des histoires de l’art2. Pour nous, il existe autant d’histoires de l’art qu’il existe d’historiens d’art et il nous faut prendre le temps de saisir ces différentes approches. Interpréter scientifiquement les faits artistiques est aussi un art. Un art qui possède ses manières, ses méthodes, ses procédures. L’histoire de l’art a évolué de l’approche empirique à l’approche scientifique ; il s’agissait en effet de mettre en place une approche scientifique sérieuse. L’histoire de l’Histoire l’Art en est la preuve. Depuis Winckelmann3, notre discipline n’a cessé de multiplier les approches autour de son objet d’étude, toujours plus scientifiques. La tâche était noble ; elle fut accomplie. Aujourd’hui, les historiens de l’art continuent d’œuvrer dans le sens d’une méthodologie renforcée. La crédibilité acquise ne doit néanmoins pas nous faire oublier le devoir de vulgarisation, même si certains répugnent encore à la besogne. L’effort de vulgarisation constitue en effet un passage obligé. Nous voudrions d’emblée souligner l’importance d’une notion chère à Jacques Thuillier : le décloisonnement. Dans Les doubles coordonnées de l’œuvre d’art, seconde partie de sa Théorie générale de l’Histoire de l’Art, Thuillier défend l’idée d’un champ disciplinaire qui se doit d’éviter l’écueil de l’enfermement dans une spécialisation excessive4. Un 1 HOURTICQ, Louis, Initiation artistique, Paris, Hachette, 1921 ; BAZIN, Germain, Histoire de l’Art. De la préhistoire à nos jours, Paris, Garamond, 1953. 2 LAGOUTTE, Daniel, Introduction à l’Histoire de l’Art, Paris, Hachette, 2001. 3 WINCKELMANN, Johann Joachim, Histoire de l’Art dans l’Antiquité, nouvelle trad. de l’allemand par Dominique TASSEL, Paris, Le Livre de Poche, 2005 (éd. originale 1764). Voir, sur Winckelmann, POMMIER, Edouard, Winckelmann, inventeur de l’Histoire de l’Art, Paris, Gallimard, 2003. 4 Comme le souligne Jacques THUILLIER (Théorie générale de l’Histoire de l’Art, Paris, Odile Jacob, 2003, p. 121), « […] l’œuvre d’art, créée, nous l’avons dit, illic et tunc, doit se voir restituer sa pleine temporalité. L’erreur est de la figer à l’intérieur d’un schéma tout conceptuel. Quant aux structures historiques, trop Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 regard exclusif sur un domaine tout aussi exclusif entraîne un cloisonnement qui empêche, entre autres, toute compréhension du jeu des influences esthétiques et des interdépendances culturelles. Après analyse et mise à l’épreuve de notre formation scientifique dans l’enseignement secondaire technique et professionnel, et supérieur universitaire (cours de didactique spéciale), il nous apparaît nécessaire d’aborder l’histoire de l’art avec suffisamment de recul pour éviter la myopie intellectuelle et la communication stérile. Il est vrai que le travail sur le terrain, dans la classe ou la salle de cours, modifie profondément la perception que nous avons de notre propre formation disciplinaire. Cette dernière réclame une vision globale des différentes spécialisations et des méthodes inhérentes à celles-ci. La nécessité d’une adaptation à un «public- cible» devient fondamentale, d’autant que l’inverse n’est plus possible. Une règle s’impose : partir de concepts simples pour tendre vers le complexe. Communiquer l’essentiel exige la précision scientifique de notre formation de base combinée à une approche synthétique décloisonnée ou défragmentée. «Réactiver» l’œuvre d’art pour rendre vie au passé composé par l’artiste constitue également un objectif naturel. Communiquer, c’est en effet donner vie et notre tâche vise à prouver tout l’intérêt de cette manière de faire. Les théories de l’art, la tradition de l’analyse iconologique, l’ouverture vers l’analyse de l’image, l’approche cognitive des émotions et la maîtrise des technologies nouvelles de la communication comptent parmi les ingrédients d’une tradition actualisée. Pour s’y inscrire, l’historien d’art se doit de conserver ou de préserver la spécificité de ses savoirs et de développer ou acquérir les moyens de les communiquer dans la performance. Tout enseignant, quelle que soit sa discipline, se trouve dans l’obligation de tenir compte des changements qui s’opèrent dans la société. L’omniprésence de l’image à notre époque représente un véritable défi pour l’historien d’art qui se veut un pédagogue conscient des réalités actuelles – aware, dans la langue de Shakespeare. Pédagogue, il aide les jeunes à développer leur faculté de discernement en aiguisant facilement réduites à une esquisse linéaire, elles ne doivent pas être rejetées : ce qui déracinerait les œuvres et obscurcirait leurs significations. Au contraire, elles doivent être affinées, de façon à coïncider plus étroitement avec l’histoire concrète.» Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 formes d’art, et à concevoir ces raisons comme les effets d’un conditionnement culturel lié à notre propre histoire. Le préjugé culturel est un fait par trop répandu. Il n’existe pas chez le jeune enfant qui a tout à apprendre. Les réactions de l’enfant face aux œuvres d’art sont simples, directes et souvent très imaginatives ; il voit plus vite et mieux. S’il n’est pas encore capable de définir l’émotion qu’il ressent, il ne préjuge pourtant aucunement de l’utilité, de la nécessité et de l’importance d’une œuvre d’art. Dans le Carré noir sur fond blanc de Malevitch6, un enfant pourra visualiser l’entrée d’un tunnel sans jamais se poser la question de savoir s’il s’agit bien d’une peinture ou d’une œuvre d’art. Par cet exemple, nous désirons seulement illustrer le fait que les choses simples se doivent d’être envisagées simplement. Il faut tenter de préserver cette pureté de la vision enfantine avant qu’elle ne se modifie et se teinte de préjugés. Le système éducatif canalise en effet rapidement l’imagination et la vision en enseignant des choses qui font partie de l’héritage culturel. Si on inculque chez l’enfant une conception exclusivement figurative ou représentative de la peinture, on inscrira en lui un préjugé culturel simple et banal. Il admettra difficilement en retour l’art abstrait. Le snobisme, enfin, est une tare de notre société face à l’art. Snobisme intellectuel notamment, qui se caractérise par une acceptation immodérée et inconditionnelle de toute production labellisée «art». Trop souvent, nous rencontrons des amateurs et des critiques qui se vantent de ressentir une émotion esthétique profonde devant une élucubration à la mode7. Cet esprit «révolutionnaire» de salon, qui fonde le plus souvent son appréciation sur le seul critère de la «nouveauté» et se permet d’autorité de couper court à toute analyse critique qui ambitionnerait une simple mise à l’épreuve de ce qui est donné à voir, vient tout droit de certaines mystifications inévitables dans un monde de bouleversements où il n’existe plus de critères objectifs du «beau» artistique. Aujourd’hui, le «beau» s’écrit, comme nous le faisons, entre guillemets : sa définition est plus que jamais relative. 6 MALEVITCH, Kazimir, Quadrangle. Carré noir sur fond blanc, 1915, huile sur toile, 106 cm x 106 cm, Moscou, Galerie Trétiakov. 7 Voir, par exemple, ce qui se joue dans la pièce Art de Yasmina Reza, créée avec Pierre Arditi, Pierre Vaneck et Fabrice Luchini. Voir REZA, Yasmina, Art, Arles, Actes Sud, 1994. Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 Découragement, préjugé culturel et snobisme intellectuel sont autant de formes d’échappatoire devant l’art, et plus particulièrement devant l’art contemporain et la disponibilité critique qu’il exige. Apprendre à voir, à regarder, à justifier un avis sont les objectifs fondamentaux que doit poursuivre l’enseignement de l’histoire de l’art. L’information culturelle et la formation analytique sont indispensables à l’élaboration d’une ligne de conduite générale qui déboucherait sur la connaissance et la compréhension d’un système de représentation bidimensionnelle (peinture) et tridimensionnelle (sculpture). Comme l’a montré Jean Piaget, une présentation structurée des contenus-matières favorise une mémorisation intelligente8. Partant de ce constat, l’information se donnera au travers de schémas et structures historiques simples, afin d’aborder plus rapidement et en toute connaissance de cause la formation analytique. Signalons que cette information doit être donnée avec une rigueur d’ordre scientifique. En plus de ces schémas historiques, l’information culturelle doit être complétée par une ligne du temps dont les points chronologiques seront les dates relatives aux faits artistiques marquants. Développer le sens analytique des élèves vis-à-vis du monde de l’art est indissociable d’une connaissance et d’une compréhension structurées et fondées. Ainsi, quel que soit le document étudié, l’élève devra toujours le situer dans son contexte temporel et spatial. La perception sensible est à la base de nos systèmes de pensée individuels. Ce qui apparaît aujourd’hui comme une évidence est pourtant loin d’être communément admis. Les quelques lignes écrites il y a maintenant plus de trente- cinq ans par Rudolf Arnheim, psychologue des arts visuels et spécialiste des images fonctionnelles, restent d’une surprenante actualité. «Nous demeurons toutefois tributaires d’une philosophie populaire qui insiste sur la dichotomie perception-pensée. Nul, certes, ne nie la nécessité d’un matériau sensoriel brut. Les philosophes sensualistes ont rappelé avec vigueur qu’il n’est rien dans l’intellect qui n’ait au préalable existé dans les sens. Ils n’en ont pas 8 Le phénomène de la mémorisation est amplement développé dans les ouvrages suivants : PIAGET, Jean, et INHELDER, Bärbel, Mémoire et intelligence, Paris, PUF, 1968 ; PIAGET, Jean, Psychologie et pédagogie, Paris, Denoël, 1969. Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 moins considéré le rassemblement des données de la perception comme une opération primaire indispensable, mais inférieure. L’activité qui consiste à créer des concepts, à accumuler la connaissance, à établir des associations, des dissociations, des déductions était à leurs yeux l’apanage des fonctions cognitives supérieures de l’esprit, qui ne pouvaient accomplir leur mission qu’en se détachant de tous les détails perceptibles. Les rationalistes des XVIIe et XVIIIe siècles empruntèrent à certains philosophes du Moyen Age, comme Duns Scott, la notion selon laquelle il appartient au raisonnement de clarifier les messages confus transmis par les sens. Alexander Baumgarten lui-même, à qui la jeune discipline de l’esthétique doit son appellation et qui soutenait que la perception, tout comme la pensée rationnelle, était susceptible d’atteindre à la perfection, n’en perpétua pas moins la tradition en décrivant la perception comme la moins noble des deux facultés cognitives - la clarté qui caractérise la faculté supérieure du raisonnement lui faisant, d’après lui, défaut. Cette thèse ne se limitait pas au seul domaine de la théorie de la psychologie. Elle s’appuyait, tout en y trouvant son application, sur l’exclusion traditionnelle des beaux-arts du cénacle des arts libéraux. Ceux-ci, ainsi dénommés parce que seuls jugés dignes d’être exercés par un homme libre, traitaient du langage et de la mathématique. La grammaire, la dialectique et la rhétorique étaient les arts du mot, cependant que l’arithmétique, la géométrie, l’astronomie et la musique étaient fondés sur la mathématique. La peinture et la sculpture comptaient parmi les arts mécaniques, qui nécessitaient l’effort physique et la dextérité manuelle. Le prestige dont jouissait la musique et le mépris dans lequel on tenait les beaux-arts dérivaient, bien entendu, de Platon, qui, dans sa République, avait réservé la musique à l’éducation des héros – cet art permettant aux humains de participer à l’ordre mathématique et à l’harmonie du cosmos, impossibles à atteindre par les sens ; cependant qu’il convenait de se défier des beaux-arts et notamment de la peinture, qui accentuaient encore l’asservissement de l’homme à des images illusoires. Le préjugé qui établit une discrimination entre perception et pensée n’a pas disparu de nos jours. La philosophie et la psychologie en offrent maints exemples. Tout notre système d’éducation est encore fondé sur l’étude des mots et des nombres. Certes, nos enfants, à l’école maternelle, font leur apprentissage en regardant et en Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 constatons cependant sur le terrain leur faible efficacité éducative : activités récréatives davantage que formatives, méconnaissance des possibilités de collaboration offertes par les institutions culturelles, référence aux œuvres d’art à fins d’illustration d’une thématique et non pour leur expression spécifique, absence de contextualisation, etc. Outre les programmes, le second problème sur lequel on achoppe est celui des contenus, des méthodes et des implications théoriques et pratiques de l’enseignement de l’histoire de l’art. Comme nous l’avons déjà mis en évidence, la tradition de l’analyse iconologique, la multiplicité des théories de l’art, l’explosion de la consommation des images et le développement des technologies de la communication confèrent une nouvelle dimension à la didactique en histoire de l’art. En l’absence de programmes et de référentiels explicitant d’une part les articulations méthodologiques, et d’autre part les compétences – celles-ci dépassant largement les frontières esthétiques –, c’est le potentiel éducatif «à forte valeur ajoutée» d’un champ disciplinaire qui continue d’échapper à nombre d’acteurs de l’institution scolaire. Pour conclure ce bref tour d’horizon de notre système éducatif, rappelons la place accordée à l’histoire de l’art dans d’autres pays européens, et ce constat que nombre de cultures non occidentales n’ont jamais scindé la communication par les mots de celle transmise par les images. De l’enseignement fondamental aux humanités traditionnelles, l’éducation aux arts reste trop souvent marginalisée, quand elle ne brille pas purement et simplement par son absence. Les programmes doivent impérativement s’élargir et comporter un minimum d’une à deux heures hebdomadaires d’histoire de l’art ou d’analyse de l’image. Si l’on considère l’influence d’une œuvre d’art sur le spectateur, il semble entendu qu’elle agit, qu’elle provoque une émotion, de sympathie ou d’antipathie, et cela avant même que l’intelligence analytique n’intervienne et que l’on puisse précisément déterminer en quoi l’œuvre nous procure de l’agrément ou du désagrément. La psychologie définit un type de relation projective des sentiments du Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 «regardeur» sur l’œuvre d’art. L’impression ressentie devant l’œuvre résulterait d’un système d’auto-projection purement émotionnel appelé Einfühlung12 (voir, sur ce sujet, le chapitre consacré à l’empathie). Quant à la réflexion critique sur le goût personnel, c’est une opération mentale «secondaire», au sens de «qui vient en second lieu». Cette réflexion critique permet le développement et l’affinement du goût, à condition qu’elle puisse s’exprimer en toute liberté et que son expression ne fasse l’objet d’aucune forme de censure externe, au nom d’un «bon goût» que son détenteur autoproclamé ne se risquerait sans doute pas à soumettre à la discussion. La didactique, discipline qui étudie les processus de transmission des connaissances et d’acquisition de compétences, aujourd’hui, se définit également par la prise en charge des contenus et s’intéresse à la transmission et à l’appropriation de savoirs précis. Une didactique disciplinaire est une science qui étudie, pour un domaine particulier, les phénomènes de communication des savoirs, les conditions de transmission d’une culture et les conditions d’acquisition des connaissances par un apprenant13. Enseigner, c’est communiquer un savoir. «Communiquer» vient du verbe latin communicare qui signifie «mettre ou avoir en commun», d’où partager, recevoir, prendre sa part de, entrer en relations avec autrui. La notion de «communication» a des implications profondes sur les méthodes d’enseignement mises en œuvre. Exprimer un savoir et communiquer un savoir sont deux choses distinctes et cette distinction oriente notre gestion d’un cours. Communiquer suppose une réciprocité 12 Pierre SOMVILLE, dans le chapitre intitulé L’Histoire évolutive ou le modèle biologique (Donner à voir. Introduction à la méthodologie de l’Histoire de l’Art, Liège, Solédi, 1977, pp. 26-28) développe une définition de l’Einfühlung. Il y fait référence à l’ouvrage de Konrad FIEDLER, Über den Ursprung der Künstlerischen Tätigkeit, paru en 1887 et récemment traduit intégralement en français sous la direction de Danièle COHN (Sur l’origine de l’activité artistique, Paris, Rue d’Ulm, 2003). 13 L’usage du mot didactique est ancien. Dès 1632, le philosophe et pédagogue tchèque Johann Amos COMENIUS publie La Grande didactique ou l’art d’enseigner tout à tous. À partir de la fin du XIXe siècle, les pédagogues tentent d’élaborer pour chaque matière une «pédagogie spéciale». À la différence d’autres recherches en sciences de l’éducation, la didactique s’occupe essentiellement de l’analyse des pratiques et des processus mis en jeu dans l’acquisition d’un savoir. Ces travaux associent une étude de la matière enseignée avec une analyse des conduites de l’enseignant et de l’élève. Selon Jean Berbaum, il est nécessaire que l’apprenant s’approprie les connaissances en construisant progressivement sa propre méthode. La capacité à prendre conscience de son propre comportement devient essentielle. Les didacticiens étudient la différence entre le contenu effectivement enseigné et les programmes officiels, l’organisation des conditions d’apprentissage, les styles pédagogiques des enseignants, etc. Leurs travaux mettent en évidence la complexité des situations éducatives. La didactique se démarque de la pédagogie par une volonté de rationalisation. Les auteurs opposent l’approche scientifique de la didactique à l’approche doctrinaire de la pédagogie. Voir BERBAUM, Jean, Développer la capacité d’apprendre, Issy-les-Moulineaux, ESF, 1991. Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 dans le processus relationnel et implique une évaluation permanente de la compréhension, donc une constante interactivité. C’est la distinction que l’on peut faire entre l’enseignement directif et l’enseignement participatif. Construire un savoir articulé autour de l’apprenant est devenu un truisme. Enseigner l’histoire de l’art consiste à élaborer un savoir, puis à mettre en place un système analytique. Il serait pourtant aberrant de développer un tel système indépendamment des représentations sociales et cognitives des apprenants, et la nécessité d’éprouver la validité structurelle nécessite une évaluation quasi permanente. La démonstration peut servir d’exemple, mais elle implique l’application sous forme de transfert. La responsabilité de l’enseignant réside dans l’ouverture dynamique, dans le dialogue maîtrisé et dans l’approche empirique guidée. Aussi étonnant que cela puisse paraître, enseigner c’est également apprendre : apprendre à écouter et à entendre ce que disent les autres – et non pas seulement les élèves –, apprendre à se remettre en question, apprendre aussi à faire siens les enseignements reçus des autres. Tout cela est aussi difficile que de communiquer un savoir. L’effet boomerang ou feedback doit être permanent : si nous voulons enseigner correctement, il nous faut alors évaluer l’écoute et l’intérêt des élèves. Enseigner réclame d’apprendre à partager et à recevoir, et nécessite le développement de techniques de communication performante. Enseigner l’histoire de l’art ou l’analyse de l’image repose également sur un acte fondamental : le geste de désignation (montrer du doigt quelque chose à quelqu’un). Ce geste simple en apparence construit une véritable structure triangulaire. Notre «triangle didactique» se réalise dans le geste pour «donner à voir» (l’enseignant qui désigne, l’élève à qui la désignation est destinée, et l’œuvre ou l’image, cible de la désignation). Désigner, c’est ainsi signifier. Il existe deux gestes de désignation : le «pointage proto impératif» dont la fonction est d’ordonner, et la «désignation proto déclarative» dont la fonction est de communiquer, donc de partager. Le pointage proto impératif est l’archétype de ce qu’on peut appeler «l’objectivation», c’est-à-dire le fait de montrer l’objet – c’est le geste qui permet par Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 Chapitre I De l’analyse multidisciplinaire : généralités et particularités L’analyse multidisciplinaire est la juxtaposition, autour d’un même «objet», d’analyses conduites selon plusieurs points de vue. Chaque discipline convoquée conserve sa spécificité, ce qui permet à l’enseignant une gestion globale de l’analyse. L’analyse multidisciplinaire permet également de conserver la maîtrise du cours en évitant les écueils de l’interdisciplinarité. Ce type d’approche analytique exige une ouverture d’esprit et une culture générale toujours en éveil. Par l’intégration d’une telle démarche d’enseignement, nous souhaitons aboutir à la défragmentation des savoirs afin d’éviter leur atomisation artificielle. Ainsi, le compartimentage ou découpage systématique de la matière doit laisser place à une vision plus proche de la réalité des faits et de leur continuité, ancrée dans le jeu des influences conscientes ou inconscientes. L’histoire de l’art est une et complexe. Concevoir cette complexité demande de passer par une mise en évidence de la notion de causalité dans le grand jeu des influences. Chapitre II L’image comme objet de l’analyse multidisciplinaire Le langage de l’image comme médiateur Habituellement, nous entendons le terme image dans une acception restreinte. Pour nous, historien d’art, il ne s’agit pas d’évaluer le tout-venant de la production visuelle, mais des documents qui, témoignant d’états de conscience et de culture, ont été sélectionnés par le grand musée imaginaire de l’histoire. Changer de position semble nécessaire pour jeter un pont entre notre culture de l’image, quelque peu élitiste, et la culture de nos élèves. Nous devons mettre les images actuelles au service du grand musée imaginaire. Médiatisation à outrance ou surconsommation de l’image caractérisent notre époque. Or les racines des images actuelles se cachent Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 dans des terres de références : les clés des images d’aujourd’hui nous viennent du passé. Par l’analyse de l’image, il est possible d’ouvrir le concept d’histoire de l’art. Lire une image, c’est dépasser le stade de l’analyse des éléments qui la constituent pour mettre au jour ce qui fondamentalement fait sens. Une telle compréhension suppose des méthodes d’appréciation permettant à l’élève d’établir avec les images une relation qui ne fasse pas de lui un consommateur passif. Notre objectif est d’assurer une formation équilibrée dont les piliers indispensables sont la perspective historique – axe majeur de l’histoire de l’art –, l’analyse esthétique et l’analyse des significations. C’est la raison d’être de l’intervention des historiens de l’art dans le monde de la communication iconique. L’enseignement systématique de ce langage spécifique éviterait une disparition de la compréhension des images qui ont fait notre histoire et qui fondent les images actuelles et à venir. La métaphore comme médiatrice Le pouvoir visuel du langage – la capacité à associer des mots qui, mentalement, produisent des images – doit être mis en évidence dans le discours de l’enseignant. Comparaisons, métaphores, allégories et analogies sont autant d’outils qui favorisent l’entendement15. Utiliser de tels outils équivaut à une technique d’enseignement facilitant le chemin qui mène au sens profond de l’œuvre. Parabole, métaphore ou analogie, tout discours « imagé» apporte des moyens cognitifs évidents, pour autant qu’il soit en prise directe avec le vécu de l’élève. Nous participons d’une certaine manière au processus make-believe16. Prendre la place de 15 Nature cognitive de la métaphore : il y a assimilation d’un élément à un autre et mise en commun de certaines qualités. Les métaphores descriptives du langage iconique sont des outils performants dans les apprentissages. Concernant l’apprentissage, on doit distinguer ce que l’on apprend [objets] du comment on l’apprend [processus]. 16 WALTON, Kendall L., Mimesis as Make-Believe. On the Foundations of Representational Arts, Cambridge (Massachusetts) et Londres, Harvard University Press, 1990. Kendall Walton s’interroge : comment se fait-il que nous soyons en situation d’éprouver des émotions, jusqu’à en ressentir physiquement les effets, à propos de choses, de personnages, de situations que nous savons absolument imaginaires ? Kendall Walton propose de considérer ces émotions et ces sentiments, comme semblables à celles et à ceux que nous apportent des situations réelles. Pour les ressentir, il nous faut non pas perdre passagèrement le sens des réalités, mais être nous-mêmes des personnages de fiction. C’est ce que Kendall Walton appelle être émotionnellement engagé dans une fiction. Réduire la distance entre fiction et réalité garantit ce fonctionnement. Reconnaissance et identification participent à ce processus. Dans Hamlet (1600-1601), Shakespeare a déjà précisé le fait ! HAMLET - Acte II - scène 2 Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 médiateur entre le sens profond du message iconique et l’élève devient un concept didactique opérant. La première journée interuniversitaire des Didactiques d’Histoire de l’Art organisée à l’Université de Liège en mars 2004 poursuivait un double objectif. Il s’agissait d’une part de démontrer la nécessité de développer et de préciser les objectifs de notre enseignement disciplinaire, d’autre part de faire prendre conscience de l’intérêt de l’équation «de l’histoire de l’art à l’analyse de l’image»17. La compétence de l’historien d’art consistera à préciser les champs respectifs et les interactions entre les images actuelles et historiques. Chapitre III L’art et le cerveau : première optimisation de l’analyse multidisciplinaire L’équation cerveau et apprentissage est apparue il y a maintenant une dizaine d’années dans les écrits consacrés à la didactique 18. Les neurosciences sont à la base de cette prise de conscience fondamentale. Convaincu par l’évidence de l’équation, nous avons à notre tour cherché à explorer cette piste en rapport avec l’objet de notre cours : l’art. «Oui, que Dieu soit avec vous ! Maintenant je suis seul. Ô misérable rustre, maroufle que je suis ! N’est-ce pas monstrueux que ce comédien, ici, dans une pure fiction, dans le rêve d’une passion, puisse si bien soumettre son âme à sa propre pensée, que tout son visage s’enflamme sous cette influence, qu’il a les larmes aux yeux, l’effarement dans les traits, la voix brisée, et toute sa personne en harmonie de formes avec son idée ? Et tout cela, pour rien ! Pour Hécube ! Que lui est Hécube, et qu’est-il à Hécube, pour qu’il pleure ainsi sur elle ? Que serait-il donc, s’il avait les motifs et les inspirations de douleur que j’ai ? Il noierait la scène dans les larmes, il déchirerait l’oreille du public par d’effrayantes apostrophes, il rendrait fous les coupables, il épouvanterait les innocents, il confondrait les ignorants, il paralyserait les yeux et les oreilles du spectateur ébahi ! […] J’ai ouï dire que des créatures coupables, assistant à une pièce de théâtre, ont, par l’action seule de la scène, été frappées dans l’âme, au point que sur-le-champ elles ont révélé leurs forfaits. Car le meurtre, bien qu’il n’ait pas de langue, trouve pour parler une voix miraculeuse. Je ferai jouer par ces comédiens quelque chose qui ressemble au meurtre de mon père, devant mon oncle. J’observerai ses traits, je le sonderai jusqu’au vif : pour peu qu’il se trouble, je sais ce que j’ai à faire. […] Cette pièce est la chose où j’attraperai la conscience du roi.» 17 Voir CRAMER, Evelyn, RICKER, Marie-Émilie, SOMVILLE, Pierre, et SOUVERYNS, Patrick (dir.), Enseigner l’histoire de l’art. Un art et une histoire tournés vers le futur. Première journée interuniversitaire des Didactiques d’Histoire de l’Art. Université de Liège, mars 2004, Éditions du 17 mars 2004 (A.C.R.P.), Liège, 2004. 18 JENSEN, Eric, Le cerveau et l’apprentissage. Mieux comprendre le fonctionnement du cerveau pour mieux enseigner, adapt. française de Gervais SIROIS et trad. de l’anglais (Canada) par Madeleine RENAUD, Montréal et Toronto, Chenelière/McGraw-Hill, 2001, (éd. originale 1998). Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 cheminement tout intérieur, notre enseignement doit en effet nous conduire à une explication de la transmission des idées. Le fonctionnement du cerveau qui contemple et qui crée est un axe d’analyse complémentaire à l’analyse multidisciplinaire. Chapitre IV L’art et le cerveau global : seconde optimisation de l’analyse multidisciplinaire Nous sommes tous comparables aux neurones d’un cerveau gigantesque. Pour reprendre une terminologie existante, nous constituons les unités personnelles d’un réseau intelligent ou «cerveau global». La métaphore du réseau d’information en tant que «cerveau global» peut s’étendre à l’ensemble de la société en tant qu’organisme global : c’est le concept de noosphère selon Teilhard de Chardin, de cerveau planétaire selon Joël de Rosnay, de super-cerveau selon Francis Heylighen, ou encore de cerveau social ou d’esprit global. L’art s’inscrit dans ce principe. «Depuis les premiers pas de l’ordinateur personnel en 1983, écrivains et scientifiques publient des livres consacrés à la création d’un cerveau global futur, composé d’ordinateurs reliés en réseau. […] Cette intelligence mondiale n’est pas le résultat de la Silicon Valley mais bien une des phases d’évolution de ce cerveau global qui existe depuis plus de trois milliards d’années ! En effet, la Nature est bien plus douée en réseaux informatiques que nous : ses mécanismes d’échanges de données et de création collective sont encore plus complexes et plus agiles que tout ce que les meilleurs théoriciens informatiques ont imaginé jusqu’à présent.»21 21 Ces quelques lignes proviennent de l’introduction du livre de Howard BLOOM, Howard, Le Principe de Lucifer. Une expédition scientifique dans les forces qui gouvernent l’histoire. Tome II. «Le Cerveau Global», trad. de l’américain par Aude FLOURIOT et Carole HENNEBAULT, Paris, Le jardin des Livres, 2003, (éd. originale 2001), p.9. Voir aussi, du même auteur, Le Principe de Lucifer. Une expédition scientifique dans les forces qui gouvernent l’histoire, Trad. de l’américain par Aude FLOURIOT, Paris, Le jardin des Livres, 2001 (éd. originale 2001). Spécialiste des comportements de masse, Bloom fait partie des fondateurs de la mémétique. Dans le Principe de Lucifer, son premier livre traduit en français, Bloom remet en cause l’étude de l’évolutionnisme darwinien basé sur la compétition sélective entre individus au profit des groupes et d’un mécanisme générateur fondamental qui, selon lui, dépasse largement l’histoire de la vie puisque rattaché à la logique même de l’histoire de l’univers. Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 Nous participons tous en effet à l’expérience unique de la vie, et l’art est en somme le cadeau dans la boîte. L’œuvre d’art n’est pas le résultat des pensées d’un individu isolé : l’artiste est le récepteur de multiples informations et son œuvre, le produit d’une synthèse. L’art est communication : des mots sur des images et des images sur des mots. La pensée visuelle et la pensée verbale tissent le fil d’Ariane de la connaissance. Grâce à ce fil qui nous relie, les savoirs s’échangent, s’entrechoquent, s’interpénètrent. Des liens visibles et invisibles forment une toile culturelle. Nous devons être attentifs à ces liens qui nous unissent par le corps et par l’esprit. Selon la thèse dite de la «coévolution», la culture suit un développement parallèle à celui de la biologie. L’art s’alignant ainsi sur le principe de base de cette coévolution, la question de la transmission des idées est devenue un véritable objectif scientifique et elle constitue pour nous un axe didactique. L’œuvre d’art est une idée complexe, matérialisée par l’artiste. Elle traverse le temps et marque les esprits. Quand la «transmission» devient style, certains scientifiques défendent l’hypothèse d’une relation de symétrie entre les gènes et les «mèmes»22. La sélection naturelle peut expliquer bien des choses du monde des idées. À notre manière, nous avons expérimenté cette théorie lors de l’élaboration du dossier pédagogique Flash Art, exemple type du cheminement d’une sélection naturelle. Puisque l’art et la science sont fondamentalement liés, nous devons appliquer les objectifs d’une approche multidisciplinaire et, si possible, d’une approche interdisciplinaire. 22 La théorie synthétique de l’évolution permet de comprendre comment les espèces vivantes évoluent au cours du temps, elle peut aussi permettre d’expliquer la transmission et la modification des idées. Une thèse soutenue par la «théorie mémétique», proposée par le biologiste britannique Richard DAWKINS dans Le Gène égoïste, trad. de l’anglais par Laura OVION, Paris, Armand Colin, 1990 (éd. originale 1976). Selon lui, les idées peuvent être décomposées en unités élémentaires théoriques, nommées «mèmes», par équivalence avec les gènes. De la même manière que ces derniers mutent ou se transmettent, les «mèmes» se transformeraient lors de leur transmission d’un cerveau à un autre, en fonction de la personnalité de chaque individu. Cela donnerait lieu à une évolution non plus biologique, mais culturelle, voyant les idées naître, puis disparaître, à l’instar des espèces vivantes. Patrick Souveryns : L’art et la manière. Une approche didactique de l’Histoire de l’Art Thèse de doctorat -- Histoire, art et archéologie -- Université de Liège, 2007 Terminons ce voyage autour du cerveau par une question : existe-t-il une «neuroesthétique» ? Le fait de nommer une chose est une reconnaissance de son existence. Celle-ci reste à justifier. Chapitre V Prospectives didactiques Il est possible d’apprendre à apprendre en prenant en compte des stratégies mentales d’apprentissage, des motivations, etc. Les applications des recherches sur le cognitif sont multiples : communication, créativité, modélisation, thérapie, etc. Les neurosciences, qui s’intéressent entre autres à nos compétences cognitives, et de manière plus large les découvertes du monde des sciences de l’esprit doivent être convoquées et exploitées. Analyser les moyens de communication dans le but de rendre le discours plus performant et assumer cette médiation entre l’œuvre et l’élève nous amène à défricher des terres de recherche très différentes. Qu’entendre dès lors par prospective en éducation ? Tout ce qui touche à la recherche appliquée dans l’enseignement avec l’aide des technologies de l’information et de la communication. Analyser aujourd’hui pour se projeter dans le futur : nous envisageons les acquis et les manques dans le domaine de l’éducation aux arts et à l’image pour conseiller autant que faire se peut.
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