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l'art poétique de paul verlaine, Lectures de Arts

Si j'ai choisi Paul Verlaine comme sujet de cette communi- cation, c'est que Verlaine est un poète mosellan. Il est né à Metz en 1844, rue Haute-Pierre, ...

Typologie: Lectures

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Rene_Toulon
Rene_Toulon 🇫🇷

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Télécharge l'art poétique de paul verlaine et plus Lectures au format PDF de Arts sur Docsity uniquement! L'ART POÉTIQUE DE PAUL VERLAINE par M. Albert SCHNEIDER Si j ' a i choisi Paul Verlaine comme sujet de cette communi­ cation, c'est que Verlaine est un poète mosellan. Il est né à Metz en 1844, rue Haute-Pierre, juste en face du Tribunal. Certains disent que Verlaine, fils d'officier, n'a été Messin et Lorrain que par accident. C'est vrai en partie. Mais lui-même n'a jamais oublié qu'il était né à Metz et qu'il y avait passé sa prime jeunesse et connu son premier amour, ou plutôt sa première amourette de petit garçon pour une petite fille. Verlaine s'est senti Lorrain et Messin. Il a même écrit une Ode à Metz dirigée contre les Allemands. Verlaine a été un grand poète, surtout dans les trois recueils Fêtes galantes, Romances sans paroles, et Sagesse. Ses œuvres ont été appréciées non seulement par les Français, mais aussi par les étrangers. Par exemple, les Romances sans paroles ont fait très grande impression sur le poète allemand Stefan George et ont largement contribué à déterminer l'idée très haute et très exigeante qu'il s'est faite de la poésie. Verlaine a donc exercé une influence indéniable. Cependant, il n'a pas été un chef d'école. Il était trop mou, trop faible de carac­ tère pour exercer un magistère de cette sorte. Mais il était très conscient de son art. Comme notre bon La Fontaine, c'était un faux naïf. Il a été si conscient de sa manière qu'il l'a parodiée dans une pièce curieuse et amusante intitulée : A la manière de Paul Verlaine. Cette conscience, cette lucidité explique qu'il ait pu écrire un Art poétique. Mais d'abord, qu'est-ce qu'un « art poétique » ? C'est un poème plus ou moins long, parfois très long, où un poète expose 1 108 L'ART POÉTIQUE DE P A U L VERLAINE sa conception de la poésie, de la littérature et édicté des préceptes, des règles sur l'art d'écrire des vers. Les Arts poétiques les plus connus sont ceux du poète latin Horace et celui du Français Boi- leau. Mais il y en a d'autres, beaucoup plus courts, par exemple le poème de Théophile Gautier intitulé U Art, le Sonnet des cor­ respondances de Baudelaire, le Sonnet des voyelles de Rimbaud, Y Art poétique de Verlaine, le poème d'Apollinaire intitulé La jolie Rousse. UArt poétique de Verlaine est très court : il comprend neuf strophes de quatre vers. Le poète l'a composé en avril 1874, à la prison de Möns, en Belgique, où il se trouvait parce qu'il avait tiré deux coups de pistolet sur son génial confrère et ami Rimbaud. Le 24 mars, il avait reçu des exemplaires d'auteur de son beau recueil Romances sans paroles. En relisant son œuvre, il avait sans doute repris conscience de son art et, mû par la fierté, la joie, il avait dû sentir le besoin de formuler poétiquement sa doctrine. Pour comprendre le sens et la portée de Y Art poétique de Verlaine, il faut d'abord se rappeler qu'au romantisme éloquent, voire échevelé, avait succédé le Parnasse, partisan d'un art sévère, travaillé, pittoresque, plastique, sculpté pour ainsi dire. Il faut savoir aussi que Verlaine a été Parnassien avant de devenir sym­ boliste. Dans le premier fascicule du Parnasse contemporain, recueil collectif de vers nouveaux, paru le 2 mars 1866, il y avait huit poèmes de Verlaine. Les Poèmes saturniens de notre auteur, qui parurent à l'automne de la même année 1866, étaient en grande partie parnassiens. Le recueil se termine d'ailleurs par une pièce intitulée Epilogue et qui contient — déjà — une sorte d'art poétique, très parnassien d'ailleurs, car Verlaine y loue le travail conscient et opiniâtre, aux dépens de l'inspiration. Dans Y Art poétique que je désire vous commenter aujour­ d'hui, Paul Verlaine renie l'idéal parnassien. C'est que son art, depuis les Poèmes saturniens, a beaucoup évolué. Il est devenu plus subtil, plus insinuant, plus aérien. Il est encore très travaillé, mais on ne s'en aperçoit plus. Il est à la fois plus léger et plus profond. Les Fêtes galantes et les Romances sans paroles sont pleines de morceaux exquis. Verlaine s'est, bien entendu, rendu compte de l'évolution de son art. On sait — surtout depuis les volumes de Variétés de Paul Valéry — que les grands poètes sont et ne peu- 2 L'ART POÉTIQUE DE PAUL VERLAINE 111 5 accentuel. D'où la différence d'allure de deux vers de même lon­ gueur. Avant Verlaine, les vers impairs avaient été employés surtout par les poètes de la Pléiade, par exemple par Ronsard, donc au xvi e siècle, puis, au xix 6 siècle, par Marceline Desbordes-Valmore et Rimbaud. Verlaine a lu aussi bien les poètes de la Pléiade que Marceline, qui lui avait été révélée par son ami Rimbaud. Ce der­ nier a exercé une nette influence sur Verlaine et a contribué à le pousser sur la voie des innovations hardies. Nous avons vu que Verlaine avait lu aussi des vers impairs dans les Etudes rythmiques du poète belge Van Hasselt. Sa tentative et son conseil ne sont donc pas aussi neufs, aussi révolutionnaires qu'on est d'abord tenté de le croire. Pourquoi préfère-t-il le vers impair au vers pair ? Il nous le dit dans son Art poétique. Le vers pair lui paraît trop précis, trop net, trop carré. Il a en lui quelque chose « qui pèse ou qui pose ». Le verbe poser demande une interprétation. On le com­ prend souvent ici comme un simple redoublement de pèse ; il voudrait dire alors « qui appuie ». Personnellement, je crois qu'il veut dire « qui prend une pose, une attitude », donc qui n'est pas naturel. Verlaine préfère le rythme impair parce que, selon ses propres termes, il est « plus vague et plus soluble dans l'air ». Soluble est une image chimique, presque scientifique. Elle veut dire que le rythme impair est léger, hésitant, fluide, presque éva- nescent. Dans la deuxième strophe, Verlaine passe au vocabulaire. Il y conseille de ne pas choisir ses mots « sans quelque méprise », c'est-à-dire sans quelque erreur volontaire, bien sûr. Au mot propre, juste, précis, le poète préfère le mot impropre, imprécis, volontairement mal choisi. Verlaine l'a dit ailleurs plus explicite­ ment : « Le mot propre écarté des fois à dessein ou presque » (Préface de la réimpression des Poèmes saturniens). Une sèche et exacte précision coupe les ailes à l'imagination et conduit à la prose. Le mot impropre, imprécis, donne au contraire le branle à l'imagination du lecteur et lui permet de rêver. Les deux vers suivants explicitent la pensée de l'auteur : Rien de plus cher que la chanson grise Où rindécis au Précis se joint. 112 L'ART POÉTIQUE DE PAUL VERLAINE Cher veut dire ici : cher au poêle. Pourquoi chanson grise ? Le gris n'est ni noir, ni blanc. C'est une couleur indécise, crépus­ culaire, favorable au rêve, aux vagabondages de l'imagination. Notons toutefois qu'à côté de YIndécis, Verlaine demande du Précis. Le poème ne doit pas se dissoudre dans le vague, la brume. Il doit être fait d'un mélange ou peut-être d'un contraste du Précis et de l'Imprécis. C'est de cette combinaison que naît l'envoûtement poétique. La troisième strophe va nous donner quatre exemples de la combinaison du Précis et de l'Imprécis : — « des beaux yeux derrière des voiles » — le grand jour de midi adouci par le tremblement de l'air — P « automne attiédi » — « le bleu fouillis des claires étoiles ». Le mot bleu est un excellent exemple de mot choisi avec « quelque méprise ». Il n'est pas juste, il n'a rien de réaliste, de descriptif (les étoiles ne sont pas bleues), mais il est poétique. Le son eu du mot bleu se combine heureusement avec les voyelles ou diphtongues des autres mots du vers pour produire une remarqua­ ble musique vocalique. Le mot bleu plaît et fait rêver. La strophe suivante oppose la Nuance à la Couleur. Verlaine y insiste beaucoup : il écrit trois fois le mot nuance. La couleur était le fait des Romantiques et des Parnassiens. Lui, Verlaine, veut quelque chose de plus discret, de plus fin, de plus subtil, de plus vague. Après les préceptes positifs, Verlaine va édicter dans les stro­ phes suivantes quelques interdictions. Il va jeter des exclusives. Il v£ut éliminer de la poésie tous les corps étrangers : la pointe, l'es­ prit, le rire, l'éloquence, la rime. Les adjectifs que Verlaine accole aux mots pointe, esprit, rire (assassine, cruel, impur) sont très péjoratifs. La pointe, trait d'es­ prit qui généralement termine une anecdote, une histoire plaisante, « assassine » la poésie, qui ne s'accommode pas de l'esprit. Celui-ci est appelé cruel : il est dur, net, précis, donc en contradiction avec les qualités que Verlaine réclame de la poésie : imprécision, nuance, rêve, tendresse, douceur. Le rire est dit impur non pas au point de vue moral, mais au point de vue poétique. Il constitue une profa- 6 L'ART POÉTIQUE DE PAUL VERLAINE 113 nation de la poésie. Je signale au passage que Baudelaire pensait de même (« De l'essence du rire » ) . A Yesprit, Verlaine oppose Y Azur, ce qui est, semble-t-il, un souvenir de Mallarmé. Azur est, en effet, un mot-clé chez Mallarmé qui a été, comme il le dit dans son poème Les Fenêtres, « d'azur bleu vorace ». L'Azur, c'est la poésie, l'idéal. L'esprit est comparé ici à de Yail, mot dévalorisé complètement par le complément : de basse cuisine. Après l'esprit, Verlaine s'altaque à l'éloquence ou à la rhéto­ rique. Ici, il s'oppose plutôt aux Romantiques qu'aux Parnassiens, à Victor Hugo plutôt qu'à Leconte de Lisle, car les Parnassiens n'étaient pas éloquents. Les Romantiques, par contre (par exemple Victor Hugo dans les Contemplations — A Villequier — ) ado­ raient les développements oratoires. L'éloquence, pour Verlaine et les Symbolistes, ce n'est pas de la poésie, c'est de la prose. Elle est comparée ici à une volaille à laquelle on tord le cou. Les sept vers suivants sont dirigés contre la rime. Qu'est-ce que Verlaine lui reproche ? On peut le déduire assez clairement des termes qu'il emploie. De la rime, Verlaine fait « un bijou d'un sou », c'est-à-dire de très peu de valeur. Il a été payé par un « enfant sourd». Cela veut dire que la rime est trop sonore, que la musique en est exagérée, indiscrète, peut-être aussi qu'elle a un caractère enfantin. Le faux bijou est dû peut-être aussi à un « nègre fou ». Ce qui signifie qu'il s'agit d'une musique primitive et dérai­ sonnable. Ici, les critiques de Verlaine s'adressent principalement aux Parnassiens, partisans de la rime riche, sonore, éclatante, tra­ vaillée, peut-être surtout à Gautier et à Banville, acrobates de la rime. Verlaine condamne-t-il absolument la rime ? Il ne semble pas. Ce qu'il condamne, c'est la rime trop recherchée, trop appuyée. Il dit que la rime « sonne creux et faux », mais, attention, seule­ ment « sous la lime », c'est-à-dire si on la travaille de trop. Ce que Verlaine veut, c'est, comme il le dit, la «rime assagie», ramenée à sa véritable importance. La preuve qu'il ne condamne pas la rime purement et simplement, c'est que son Art poétique est rimé, et bien rimé. Il s'agit de rimes embrassées a b b a ; l'alternance tradition­ nelle des rimes masculines et féminines est même respectée. Appli­ quant son propre précepte, Verlaine n'a guère utilisé que des rimes 7
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