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L'ARTICLE 16, Notes de Histoire

L'ARTICLE 16. JAMAIS dans l'histoire d'aucun pays doté d'une constitution, un homme n'a possédé de pouvoirs aussi étendus que ceux.

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Télécharge L'ARTICLE 16 et plus Notes au format PDF de Histoire sur Docsity uniquement! L'ARTICLE 16 JA M A I S dans l'histoire d'aucun pays doté d'une constitution, un homme n'a possédé de pouvoirs aussi étendus que ceux conférés au Président de la République par l'article 16. Ce simple fait devrait inciter les exégètes souvent improvisés de ce texte à une certaine circonspection. Nul ne nie l'exception­ nelle importance des compétences confiées au chef de l'Etat lors­ que les circonstances permettent la mise en jeu de l'article 16. Encore faut-il ne pas réduire à ce seul texte toute la constitution, voire tout le régime, et faire de son mécanisme qui n'est qu'auxi­ liaire le moteur essentiel, inconditionnel de celui-ci. Contrairement à ce que soutiennent aujourd'hui certains juristes amateurs et empressés, l'article. 16 est fort précis quant à la détermination de ses conditions de mise en oeuvre et d'appli­ cation. Il fixe ainsi ses propres limites. I . - L A M I S E E N Œ U V R E D E L ' A R T I C L E 1 6 Avant que survint la récente crise algérienne, nombreux étaient déjà ceux qui invoquaient l'article 16. « Plutôt qu'opérer une véritable réforme constitutionnelle le chef de l'Etat, disaient-ils, interprétant à tort ou à raison sa pensée, préférera recourir à l'article 16 qui lui octroie un véritable pouvoir présidentiel. » Nous nous sommes alors vivement élevé contre cette éven­ tualité. Nous rappelâmes, soit par interventions au Parlement, soit par divers articles que la procédure de l'article 16 ne peut être mise en action que si certaines.conditions sont remplies qui ne l'étaient pas alors. Ces conditions sont de deux ordres et résul­ tent du premier alinéa de l'article 16. Il faut, pour que celui-ci puisse être utilisé : LA BKVtrK N» 11 i 386 L ' A R T I C L E 16 1° que « les institutions de la République, l'indépendance de la nation, l'intégrité de son territoire ou l'exécution de ses engagements internationaux soient menacés d'une manière grave et immédiate. » 2° que « le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu. » L'une des quatre hypothèses de la première série peut assez facilement se présenter et ceux qui, avant la crise d'Alger, envi­ sageaient le recours à l'article 16 ne s'attachaient qu'à l'une ou l'autre d'entre elles. Mais la réalisation de l'une ou même de plusieurs des condi­ tions de la première série ne suffit point. Il faut qu'elle se cumule avec la seconde exigence qui est Y interruption matérielle du fonc­ tionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels. Cette interruption matérielle est un élément de fait qui ne peut prêter à aucune glose. Tant que le fonctionnement régulier des dits pouvoirs publics constitutionnels est assuré, le recours à l'article 16 est interdit. Nous verrons plus loin que cette condition, capitale et trop sou­ vent oubliée, détermine également la durée d'application de l'article 16. Le Conseil constitutionnel dans son avis du 23 avril 1961 (J. 0. du 24 avril) a considéré que : « d'une part les institutions de la République se trouvent menacées d'une manière grave et immédiate, d'autre part les pouvoirs publics constitutionnels ne peuvent fonctionner d'une manière régulière. » Nous nous sommes si souvent élevé contre les interprétations singulières données à la Constitution par le Conseil constitutionnel que nous ne pouvons être suspecté en déclarant aujourd'hui que son avis du 23 avril nous paraît fondé. L'insurrection d'Alger faisait sans aucun doute peser « une menace grave et immédiate » sur les institutions de la Républi­ que, trop souvent méconnues d'ailleurs par ceux qui s'abritaient alors précautionneusement derrière elles. Plus encore que cette menace sur les institutions s'affirmait celle que courait « l'inté­ grité du territoire » puisqu'en fait l'Algérie risquait de faire séces­ sion. Le Conseil constitutionnel ne s'est cependant pas arrêté à cette considération qui l'eut conduit à reconnaître l'Algérie comme faisant partie de « l'intégrité de la Nation ». Il eut pour­ tant singulièrement renforcé par là la valeur de son avis. Quant à l'interruption matérielle du fonctionnement régu- L ' A R T I C L E 16 389 La souveraineté n'appartient qu'à la Nation, laquelle l'a délé­ guée à ses représentants, députés ou sénateurs. Ce serait norma­ lement de cette représentation nationale que toute décision devrait sortir. Dans l'état actuel des choses, le parlement étant la représen­ tation de la souveraineté nationale, ce devrait être juridiquement à lui que le Président de la République adresserait son message. L'un des membres du Comité Constitutionnel, M. de Baillen- court le fit d'ailleurs observer et proposa que l'alinéa fut rédigé comme suit : « Il en informe le Parlement par un message ». M. Janot, Commissaire du Gouvernement, lui répondit que « les circonstances seraient suffisamment graves pour que le mes­ sage soit adressé à la Nation ». La réponse n'est point, nous semble-t-il, satisfaisante. Le fait que les circonstances soient graves ne dessaisit pas ie Parlement. Le Chef de l'Etat, comme le Premier Ministre, l'ont d'ailleurs justement rappelé le 25 avril 1961 devant l'Assemblée Nationale en indiquant à celle-ci qu'elle devait continuer à siéger et à exercer son activité normale. Au surplus une déclaration devant le Parlement aurait eu le même retentissement et la même publicité qu'une déclaration à la radio. En fait, là encore, les considérations d'opportunité l'empor­ tent sur les préoccupations juridiques. L'hypothèse la plus cou­ rante en l'espèce sera celle où le Parlement se trouverait dans l'impossibilité matérielle (juin 40) ou morale (mai 58) de se réunir. Exiger une déclaration devant le Parlement ce serait exiger l'accom­ plissement d'une formalité impossible à accomplir et la mise en jeu de l'article 16 se trouverait paralysée précisément dans le moment où elle se révélerait le plus nécessaire. L'amendement fut donc retiré, et c'est par un mesage à la Nation, dont la forme dépend exclusivement de son choix, que le Président de la République annoncera au pays la mise en application de l'article 16. Ce message en lui-même suffit. Peu importe que, par la suite, le Président de la République publie ou ne publie pas un texte annonçant d'une manière plus habituelle cette mise en applica­ tion de l'article 16 : s'il le fait comme il l'a fait en avril 1961, il inaugurera ainsi la série nouvelle d'actes juridiques que l'article 16 introduit dans notre Droit public : « les décisions du chef de l'Etat ». 390 L ' A R T I C L E 16 II. — É T E N D U E D E S P O U V O I R S C O N F É R É S P A R L ' A R T I C L E 1 6 Pas plus que pour la mise en jeu de l'article 16, les habituelles catégories juridiques d'actes ne pouvaient contenir ceux qui seraient pris par le chef de l'Etat en vertu de cet article ; c'est pourquoi le Président de la République a donné à ceux qu'il a édictés depuis le 24 avril le nom de « décisions ». Ces « décisions » ne sont astreintes à aucune condition de forme ou de fond. L'arti­ cle 16, dans son 3e alinéa, précise simplement que « le Conseil Constitutionnel est consulté à leur sujet ». Ainsi donc, pour chacune des « décisions » prises, le Conseil Constitutionnel — et lui seul — sera consulté. Là encore, son avis sera simplement indicatif. Obligé de le prendre, le chef de l'Etat n'est pas obligé de le suivre. C'est pourquoi chacune des « décisions » publiées depuis le 24 avril au J. 0. porte, outre la référence à l'article 16 la men­ tion : « Le Conseil Constitutionnel consulté ». Certains se sont émus du fait que, pour les toutes premières décisions, la formule était : « le Conseil constitutionnel entendu ». Us ont voulu décou­ vrir dans la substitution du mot « consulté » au mot « entendu », on ne sait quel arrière dessein présidentiel. Encore que nous ne soyons personnellement dans aucune confidence, une explication plus simple nous paraît pouvoir être donnée. La formule utilisée pour les décrets en conseil d'Etat est : « Le Conseil d'Etat entendu ». Par un entraînement normal, les mêmes mots furent utilisés au début pour les décisions de l'article 16, jusqu'au moment où un puriste s'aperçut que-le texte de la Constitution portait que le Conseil constitutionnel était « consulté » et ce terme fut alors préféré. Il est évidemment préférable. Cette consultation représente la seule formalité dont s'entoure chacune des décisions prises par le chef de l'Etat en application de l'article 16 ; il n'est même pas contraint d'informer le gouver­ nement de celles-ci. En effet, l'article 19 de la Constitution pré­ cise que les actes pris par le Président de la République en vertu de l'article 16 sont dispensés du contre-seing. En conséquence d'ailleurs, ils échappent à toute mise en jeu de responsabilité politique puisque le chef de l'Etat est politiquement irresponsable. C'est donc libéré pratiquement de toute entrave, que le Pré­ sident de la République pourra, grâce à ses décisions dont il est seul maître, « prendre les mesures exigées par les circonstances ». L ' A R T I . C L E 16 391 Les pouvoirs qu'il détient en vertu de l'article 16 sont en effet déterminés par ce seul membre de phrase et ceux qui les préten-. dent sans limites trouvent dans la volontaire imprécision des termes un sérieux appui à leur thèse. Cependant deux problèmes se posent : le premier à trait aux rapports entre les pouvoirs confé­ rés au président de la République par l'article 16 et ceux des auto­ rités constitutionnelles régulières : le second touche particulière­ ment à la durée d'application de l'article 16. Tout d'abord, les pouvoirs conférés au chef de l'Etat par l'arti­ cle 16 sont-ils exclusifs ? Certes non, et le général de Gaulle lui-même l'a reconnu dans le message adressé par lui à la nation le 25 avril : « Dans les cir­ constances actuelles, je considère que la mise en œuvre de l'arti­ cle 16 ne saurait modifier les activités du Parlement : exercice du pouvoir législatif et contrôle. De ce fait les rapports du gou­ vernement et du Parlement doivent fonctionner dans des condi­ tions normales pour autant qu'il ne s'agisse pas des mesures prises ou à prendre en vertu de l'article 16. » L'interprétation paraît correcte. Les pouvoirs de l'article 16 sont des pouvoirs « de remplacement » : ils ne sauraient donc se substituer aux « pouvoirs publics constitutionnels » réguliers. Exceptionnels, ils doivent demeurer tels. Tout ce qui est normal doit continuer à être assuré par les procédures normales. A vrai dire, nul ne peut nier que l'activité du Parlement se trouvera, dans l'hypothèse où l'article 16 joue, extrêmement réduite. Si le chef de l'Etat lui reconnaît à la fois le pouvoir légis­ latif et le droit de contrôle, nul doute que ce dernier aspect de son rôle ne se trouve en pratique annihilé. Les mesures prises en vertu de l'article 16 le sont par le Pré­ sident de la République, qui est politiquement irresponsable devant le Parlement. Le contrôle est donc juridiquement impos­ sible sur l'activité de ce dernier ; il l'est également en fait sur celle du Gouvernement. C'est d'ailleurs cette considération qui a fait adopter pour Je message du Président de la République à l'Assemblée la formule de l'article 18 : « Le Président de la Répu­ blique communique avec les deux Assemblées du Parlement par des messages qu'il fait lire et qui ne donnent lieu à aucun débat ». Nul doute qu'un débat serait en l'espèce déplacé et vain, car dépourvu de sanction. 394 L ' A R T I C L E 1 6 cle 16. Deux raisons s'opposent à cette possibilité. La première est que le Président de la République est un « pouvoir institué », qu'il n'est et ne peut être un pouvoir constituant. La vieille dis­ tinction entre l'un et l'autre ne perd jamais sa valeur. L'actuel chef de l'Etat, qui en 1940 dénia toute valeur juridique aux actes constitutionnels promulgués par le Maréchal Pétain serait mal, venu aujourd'hui à défendre une thèse contraire. C'est parce que le pouvoir constituant ne peut être délégué, que le Maréchal Pétain n'a, juridiquement, jamais possédé le droit de modifier la Constitution de 1875 et encore moins celui de la remplacer. Les « actes constitutionnels » de juillet 1940 étaient donc frappés dès l'origine d'un vice rédhibitoire. En outre, le texte dit sans ambages que le Président de la Répu­ blique doit prendre les mesures susceptibles « d'assurer aux pou­ voirs publics Constitutionnels dans les moindres délais, les moyens 4'accomplir leur mission ». Les pouvoirs publics Constitutionnels en question sont bien évidemment ceux qui sont définis par la Constitution : leur mission est celle que leur confère cette même Constitution. S'il en était autrement le texte aurait parlé de pouvoirs publics sans ajouter le qualificatif « constitutionnels » : ce mot ruine l'opinion de ceux qui pensent que l'article 16 permettrait au Chef de l'Etat d'o­ pérer ou même de déclancher en dehors des procédures de la révision prévue par l'article 89 une procédure de réforme de la Constitution. Leur interprétation est indéniablement erronée : pouvoir de remplacement, le Chef de l'Etat est et demeure un serviteur, non un maître. Parmi les pouvoirs publics dont la remise en état lui incombe :< dans le moindre délai » figure d'ailleurs le sien propre. Il a donc mission de se rétablir lui-même au plus vite, dans son as­ pect et ses fonctions constitutionnelles normales. La Constitution étant par définition même la loi suprême de l'Etat, la plus étudiée, la plus complète de toutes nos règles, est présumée également la plus parfaite. Cette présomption ne peut être détruite que par ceux-là même qui l'on établie, c'est-à- dire par les citoyens, seuls détenteurs de la souveraineté nationale. Afin d'éviter certaines situations absurdes, la Constitution elle- même a prévu la procédure selon laquelle les citoyens et eux seuls pourraient modifier son texte, donc leur propre volonté. Sous peine de tomber sous la condamnation de l'article 3 « aucune L ' A R T I C L E 16 395 section du peuple, aucun individu ne peut s'attribuer l'exercice de cette souveraineté » ; quiconque détient à quelque moment que ce soit la puissance de fait, doit donc avoir pour unique objet de restituer dans sa plénitude et le plus rapidement possible la puissance légale. Les pouvoirs qui lui sont exceptionnellement reconnus ne doivent donc tendre qu'à ce rétablissement et dis­ paraître dès lors qu'il est assuré. En conséquence : 1° seules sont légitimes, et par conséquent légales, les mesures tendant à remettre en action les procédures constitutionnelles, toutes autres ne pouvant être considérées que comme provisoires et sujettes à révision. 2° Les pouvoirs exceptionnels de l'article 16 cessent de plein droit dès lors que les « pouvoirs publics constitutionnels » sont à nouveau en mesure de remplir leur mission. * Tout d'abord disons-nous, seules sont légales les mesures ten­ dant à remettre en action les procédures constitutionnelles normales. Sans doute cette exigence doit-elle être libéralement comprise. Encore une fois, il s'agit de faire face à des circonstances exception­ nelles, et il ne saurait être question de mesurer au trébuchet la valeur de chaque décision prise. Cependant, il nous apparait que deux catégories de décisions devraient en l'espèce être distinguées. Les premières auraient pour objet direct la remise en état des procédure constitutionnelles normales. Pour celles-ci, la plus grande latitude devrait être admise. Il ne saurait être question de les enfermer dans un concept juridique trop étroit. Par exemple les règles organiques concernant la réunion des Assemblées, leur ordre du jour, et même certaines garanties de carrière peuvent parfaitement être écartées en l'espèce, notamment dans le cas où des agents de l'Etat, par mauvaise volonté ou par apa­ thie, paralyseraient l'un de ces rouages dont l'article 16 a pour but d'assurer la remise en marche. Par contre, celles qui n'ont pas pour objet de permettre « le rétablissement du fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels » ne pourraient être considérées que comme des mesures transitoires, susceptibles d'être révisées par lesdits pou- 396 L ' A R T I C L E 16 voirs constitutionnels dès lors qu'ils auraient repris leur régime normal. Si donc nous n'étions pas déjà, par nature, par tradition, par l'enseignement que nous en avons reçu en particulier de Victor Hugo, opposé, à tout système de juridiction d'exception, nous le serions à l'égard des tribunaux spéciaux créés ces jours-ci en appli­ cation de l'article 16. Leur institution ne peut avoir aucun effet sur la remise en route des « pouvoirs publics constitutionnels ». Elle va même à rencontre de cette remise en route. En réalité elle repré­ sente une volonté de modifier l'un des pouvoirs publics en cause, en l'espèce le judiciaire. C'est pourquoi également nous ne pouvons que regretter la déclaration faite par le Premier Ministre devant l'Assemblée Natio­ nale le 25 Avril : « Je ne veux pas cacher au Parlement la fermeté avec laquelle nous agirons désormais en écartant les règles légales. Comment en pourrait-il être autrement. On ne peut, répondre à l'illégalité proclamée, agissante et révolutionnaire par la seule légalité ». Ce langage, qui eut surpris chez n'importe quel homme politique est particulièrement insolite dans la bouche d'un homme parfaite­ ment au fait de toutes les données politiques et juridiques du pays. L'appartenance de M. Debré au Conseil d'Etat aurait du, à elle seule, lui interdire semblable propos. A aucune époque, à aucun degré, un Gouvernement n'a le droit ni le pouvoir de « recourir à l'illégalité », encore moins lorsqu'un article constitutionnel lui donne le pouvoir de modifier cette léga­ lité de façon provisoire, sans doute, mais efficace, afin de faire face aux circonstances. Le but, la mission de tout pouvoir est et demeure le respect et le rétablissement de la légalité. Or, la légalité n'est pas une notion intangible. Est légal ce qui est conforme à la loi, laquelle loi peut être modifiée par les procé­ dures mêmes qui ont présidé à son élaboration. Et nous en revenons toujours au même propos, au même impé­ ratif. Seuls pourront juridiquement, constitutionnellement, modi­ fier cette loi et transformer en légalité de demain ce qui est illé­ galité d'aujourd'hui, les « pouvoirs publics constitutionnels » que le Président de la République doit, en vertu de l'article 16, remettre en fonctionnement régulier dans le moindre délai. C'est précisément parce qu'ils ne sont ni supprimés ni dessaisis que leur rétablissement dans leurs totales prérogatives est absolument essentiel. L ' A R T I C L E 1 6 399 sèment. En l'espèce, il ne nous apparaît pas qu'une telle sanction puisse jouer. Le gouvernement n'est pas en cause dans l'application de l'article 16. Seul le chef de l'Etat intervient et il est politiquement irresponsable ; d'autre part les décisions qu'il prend en vertu de l'article 16 ne sont pas contresignées. Si donc il continue à utiliser l'article 16 après le rétablissement des pouvoirs publics constitutionnels, il se met en contradiction avec la Constitution mais ne peut pratiquement pas en être sanctionné par le Parle­ ment. Pour le cas où celui-ci prendrait l'initiative d'une motion de censure, un vote sur cette motion demeurerait sans effet : le gouvernement serait juridiquement contraint de démissionner alors qu'en réalité en tant que gouvernement il ne serait pas fautif. Il est d'ailleurs certain qu'en semblable hypothèse le chef de l'Etat refuserait la démission qui est constitutionnellement obli­ gatoire : le conflit serait alors aigu. Aucun moyen d'en sortir ne s'offrirait d'ailleurs. En effet, le jeu de « poids et de contre-poids » que représente le régime par­ lementaire est assuré dans notre constitution par la balance : « responsabilité gouvernementale — dissolution ». Dans le cas où le heurt entre l'Exécutif et le Législatif entraîne le renver­ sement du premier, le conflit ouvert peut être tranché par l'unique arbitre devait lequel tous, parlement, gouvernement, chef de l'Etat doivent s'incliner et qui est le peuple, seul souverain. La procédure de dissolution permet ce suprême arbitrage. Or l'article 16 dispose que toute dissolution est interdite pen­ dant la durée de son application. Si donc, pour résoudre le conflit, le chef de l'Etat a recours à la dissolution (ce qui paraît être politiquement la seule issue possible), par là même il reconnaît que la durée d'application de l'article 16 a pris fin. Il donne ainsi raison à ceux qui le critiquent. On se trouverait donc dans une situation absolument dramatique. Par ailleurs, la sanction juridictionnelle des actes de l'Exécutif est le recours devant le Conseil d'Etat. Un tel recours pour excès ou détournement de pouvoirs est-il possible contre une des « décisions » du chef de l'Etat ? A priori, rien ne s'y oppose. Cependant, le recours pour excès de pouvoir permet la comparaison des actes de l'exécutif aux lois en vigueur. C'est vis à vis de ces lois que leur validité est appré- 400 L ' A R T I C L E 1 6 ciée. En l'espèce, les « décisions » sont, à l'inverse des décrets, une catégorie juridique supérieure aux lois elles-mêmes. C'est donc une classe tout à fait nouvelle d'actes juridiques qui appa­ raît et qui bat en brèche la vieille et solide théorie de « la supé­ riorité de la loi ». En fait, les « décisions » du chef de l'Etat ne peuvent être appréciées que par rapport à la Constitution. Or le Conseil d'Etat ne possède pas le contrôle de la constitutionnalité des lois, des décrets et encore moins des « décisions ». Ce contrôle est confié au Con­ seil constitutionnel, nous verrons plus loin dans quelles conditions. Le recours devant le Conseil d'Etat contre une « décision » du Chef de l'Etat prise en application de l'article 16 nous paraît donc exclu. L'est-il également à l'égard d'une des mesures d'exécution de ces décisions, par exemple des décrets complétant l'une de celles-ci (voir plus haut la nomination par décret les membres du haut tribunal militaire institué par décision) la réponse doit être plus nuancée. En principe, rien ne s'oppose à ce que ces décrets, comme tous les autres, puissent être soumis à la censure du Conseil d'Etat. Cependant, et mis à part les problèmes de forme qui sont ici sans intérêt pratique, ces décrets devront être appréciés par rapport à la légalité. La légalité pour ce qui les concerne est représentée par les « décisions » dont ils procèdent et parla Constitution. L'inter­ prétation de cette dernière étant hors du domaine du Conseil d'Etat, l'appréciation de la validité des décrets ne peut être faite que par rapport à la « décision » d'origine. C'est donc seulement dans le cas où le décret d'application violerait cette « décision » que le Conseil d'Etat pourrait le censurer : l'hypothèse est évidem­ ment sans aucun intérêt pratique, juridique ou politique. En l'espèce d'ailleurs, il nous paraît probable que le Conseil d'Etat utiliserait la vieille théorie des « actes de gouvernement » et décli­ nerait sa compétence. Peut-il enfin exister un contrôle du Conseil constitutionnel ? Celui-ci possède sur les « décisions » en question un pouvoir certain et essentiel. Aucune « décision » prise par le chef de l'Etat en vertu de l'article 16 ne peut être édictée sans qu'il ait été au préalable consulté à son propos. Si donc il estime que la période d'applicabilité de l'article 16 a pris fin, le Conseil constitutionnel, lors de cette consultation préalable peut parfaitement émettre à l'égard de la mesure envi- L ' A R T I C L E 16 401 sagée, un avis défavorable. Sans doute, nous l'avons dit, cet avis ne possède-t-il aucune valeur absolue : le chef de l'Etat est libre de le suivre ou de le négliger, s'il le suit aucun problème ne se pose, mais s'il le néglige... En ce cas, la décision prendra effet et portera comme toutes les autres la mention : « le Conseil Constitutionnel consulté ». Il n'en reste pas moins que, bien qu'il soit en principe secret, l'avis défavorable dudit Conseil constitutionnel, surtout s'il est répété, finirait par être connu et par créer un mouvement d'opinion hostile au maintien de l'article 16 et que le chef de l'Etat serait impru­ dent de méconnaître. Le Conseil constitutionnel par son avis préalable, peut donc jouer en l'espèce un rôle déterminant. Peut-il également en posséder un a posteriori ? En d'autres termes a-t-il compétence pour prononcer éventuellement l'incons- titutionnalité de la décision prise. Lui seul, sans doute, serait habilité à le faire. Encore faudrait-il qu'il fut saisi de la question. Nous avons à maintes reprises dénoncé l'un des vices actuels de notre système de contrôle de la constitutionnalité des lois, décrets et actes diplomatiques, vice résultant des procédures de saisine du Conseil constitutionnel. Sans nous attarder aux détails, rappelons que seuls peuvent saisir le conseil constitutionnel : le chef de l'Etat, le premier minis­ tre et les présidents de chacune des deux assemblées parlemen­ taires. Aucune autre autorité, aucun particulier ne peut jamais saisir le Conseil constitutionnel. Les deux premiers personnages sont donc évidemment à exclure en l'espèce. Ils n'iront certai­ nement pas demander l'annulation d'une décision prise en vertu de l'article 16. Restent les deux autres. Mais on peut se demander s'ils auront la possibilité juridique de déférer une « décision » au Conseil consti­ tutionnel. Les articles 54 et 56 à 63 qui traitent de celui-ci ne font pas figurer les « décisions » de l'article 16 parmi celles dont il peut connaître à posteriori. La raison en est simple. Elle réside dans le fait qu'il a été déjà conduit à examiner ces « décisions » avant qu'elles ne soient prises et qu'il a émis à leur sujet un avis. Un recours devant le Conseil constitutionnel contre une « décision » publiée apparaît donc comme pratique­ ment impossible.
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