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L'autre et l'ailleurs dans les romans "Exotiques" de Georges Simenon, Notes de Littérature

Typologie: Notes

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

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Télécharge L'autre et l'ailleurs dans les romans "Exotiques" de Georges Simenon et plus Notes au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! EÖTVÖS LORÁND TUDOMÁNYEGYETEM BÖLCSÉSZETTUDOMÁNYI KAR RÉSUMÉ DE LA THÈSE DE DOCTORAT HORÁNYI LILLA L’AUTRE ET L’AILLEURS DANS LES ROMANS « EXOTIQUES » DE GEORGES SIMENON A MÁSIK ÉS A MÁSHOL GEORGES SIMENON „EGZOTIKUS” REGÉNYEIBEN IRODALOMTUDOMÁNYI DOKTORI ISKOLA ISKOLAVEZETŐ: DR. LUKÁCS ISTVÁN DSC, EGYETEMI TANÁR FRANCIA IRODALOM A FELVILÁGOSODÁSTÓL NAPJAINKIG DOKTORI PROGRAM PROGRAMVEZETŐ: DR. MAÁR JUDIT CSC, EGYETEMI TANÁR A BIZOTTSÁG TAGJAI: DR. MAÁR JUDIT CSC, EGYETEMI TANÁR (A BIZOTTSÁG ELNÖKE) DR. MARTONYI ÉVA CSC, PROFESSOR EMERITUS (HIVATALOSAN FELKÉRT BÍRÁLÓ) DR. ÁDÁM ANIKÓ PHD, HABILITÁLT EGYETEMI DOCENS (HIVATALOSAN FELKÉRT BÍRÁLÓ) DR. CSEPPENTŐ ISTVÁN PHD, EGYETEMI ADJUNKTUS (A BIZOTTSÁG TITKÁRA) DR. KARAFIÁTH JUDIT CSC, NY. HABILITÁLT EGYETEMI DOCENS DR. HORVÁTH KRISZTINA CSC, HABILITÁLT EGYETEMI DOCENS (PÓTTAG) DR. PALÁGYI TIVADAR PHD, HABILITÁLT EGYETEMI DOCENS (PÓTTAG) TÉMAVEZETŐ: DR. TÓTH RÉKA CSC, FŐISKOLAI DOCENS BUDAPEST, 2017 2 1. Problématique, corpus et enjeux La présente thèse est une étude postcoloniale des représentations simenoniennes de l’Autre et de l’Ailleurs (ex-)coloniaux. La thématique exotico-coloniale s’impose à Georges Simenon (1903-1989) dans l’entre-deux-guerres. À l’époque, en France et en Belgique, les manifestations et les représentations littéraires et artistiques des colonies se multiplient tout comme les actions destinées à afficher la puissance de l’Empire. Dans ces années, Simenon effectue de nombreux voyages à travers le monde qui lui inspireront romans, nouvelles et reportages. Notre corpus se constitue de neuf romans de l’auteur que l’on appelle communément « exotiques » : Le Coup de lune (1933), Quartier nègre (1935), 45º à l’ombre (1936), Long cours (1936), Le Blanc à lunettes (1937), Touriste de bananes (1938), Ceux de la soif (1938), L’Aîné des Ferchaux (1945) et Le Passager clandestin (1947). Ils se déroulent dans des pays tropicaux ayant subi la colonisation européenne. Ceux-ci sont des anciennes colonies françaises, belges et espagnoles. Ces dernières sont des États indépendants au moment de la rédaction des romans, mais forment encore à l’époque des « empires informels »1. La critique tend à sous-évaluer le rôle de l’Autre et de l’Ailleurs dans l’œuvre de Simenon en disant que finalement, celui-ci (ré)écrit toujours la même histoire. Et même quand elle en vient à considérer cette thématique, elle ne fait que pointer les propos racistes de Simenon ou réaffirmer que ses romans tournent autour des mêmes thêmes et ce, en se basant sur quelques- uns de ses écrits africains. Les commentateurs de l’auteur, à peu d’exceptions près, se réfèrent uniquement à L’Heure du nègre et/ou au Coup de lune et restent partagés devant l’ambiguïté de ceux-ci, représentatifs à la fois de discours anticolonialiste et raciste. Le désintérêt des scientifiques aux œuvres « exotiques » peut encore résulter du fait que l’écriture de ceux-ci s’étend sur une quinzaine d’années, période relativement brève par rapport à la longue carrière littéraire de l’auteur. Dans notre thèse, nous tenons à montrer que la thématique anticolonialiste perdure dans l’œuvre « exotique » simenonien et ce non sous forme de critiques virulentes, comme c’est le cas dans Le Coup de lune, mais d’une manière implicite. Les œuvres de fiction qui forment le corpus peuvent se lire indépendamment des reportages, certes, mais pour répondre pleinement aux questions que soulèvent notre travail, nous avons trouvé nécessaire de tenir compte, au cas échéant, des écrits journalistiques également. Depuis 1 Jürgen Osterhammel, « "Colonialisme" et "Empires coloniaux" », Labyrinthe [En ligne], 35 | 2010 (2), mis en ligne le 27 juillet 2012, consulté le 6 novembre 2016. URL : http://labyrinthe.revues.org/4083 ; DOI : 10.4000/labyrinthe.4083 5 Nous unissons la tradition de l’analyse structurale à la lecture postcoloniale. C’est la raison pour laquelle nous nous référons également, outre Said et Morrison, à des auteurs qui ne peuvent pas être directement liés à la théorie postcoloniale. En étudiant la notion de l’exotisme, nous nous appuyons surtout sur la théorie de Victor Segalen, de Tzvetan Todorov et les ouvrages de Jean-Marc Moura, « l’un des tout premiers critiques français à introduire la théorie postcoloniale dans les études francophones »10, comme l’écrit Dominique Combe. Nous approfondissons l’interprétation du corpus par l’étude des procédés linguistiques et stylistiques. Nous examinons la fonction et le statut du narrateur, la focalisation de la narration, les questions liées à la temporalité de l’histoire, du récit et de la narration en suivant la terminologie genettienne. Notre analyse de la spatialité se réclame en grande partie de Jean-Marc Moura et de ses livres consacrés au thème de l’Ailleurs. Nous abordons l’œuvre simenonien du point de vue psychanalytique également en nous appuyant surtout sur les articles de Paul Mercier – portant sur le rôle de l’inconscient et les problématiques liées à la communication –, ainsi que sur les entretiens de Simenon et les écrits autobiographiques de celui-ci. Notre analyse psychologique des rapports colonisateur/colonisé, Même/Autre se fonde sur Portrait du colonisateur et Portrait du colonisé d’Albert Memmi, ainsi que sur Peau noire, masques blancs de Frantz Fanon, figure de référence des théoriciens du postcolonialisme11. Dans une moindre mesure, nous faisons appel aux études sociocritiques qui nous aident à définir la place de Simenon au sein de l’institution littéraire. Si nous ne suivons pas en tous les points la méthode saidienne, ni celle de Morrison, c’est parce qu’il nous semblait important d’adapter notre travail interprétatif à l’écriture simenonienne. La pensée de Morrison et de Said constituent le point de départ de nos réflexions, mais notre méthodologie est conditionnée par les particularités inhérentes à l’œuvre simenonien. 10 Dominique Combe, « Théorie postcoloniale, philologie et humanisme. Situation d’Edward Saïd », Littérature [En ligne], nº 154, 2009/2, p. 118-119. Disponible sur : https://www.cairn.info/revue-litterature-2009-2-page-118.htm 11 Voir Homi K. Bhabha, Les lieux de la culture. Une théorie postcoloniale, traduit de l’anglais (États-Unis) par Françoise Bouillot, Paris, Éditions Payot & Rivages, 2007, p. 85-120. 6 3. La structure de la thèse Notre analyse comporte trois parties. La première s’interroge d’abord sur le genre des œuvres de notre corpus, généralement appelés romans « exotiques ». Nous les situons par rapport aux littératures exotique et policière, les deux grands domaines auxquels elles sont susceptibles d’être rattachées, du moins, d’après les exégètes et les choix éditoriaux. D’après nos analyses, les romans « exotiques » de Simenon ne rentrent pas dans les catégories de la littérature exotique parce qu’ils démythifient aussi bien le colonialisme que l’exotisme. Ils sont foncièrement anti-exotiques dans le sens où ils montrent que l’exotisme n’existe pas. Quoiqu’ils se rapprochent du genre du roman d’aventures à caractère métaphysique, il nous paraît évident que l’espace exotique y dépasse la fonction de décor ou de prétexte à une réflexion existentielle pour devenir un « personnage » à part entière. Simenon subvertit à la fois les codes du récit colonial et ceux du récit exotique. Il en résulte une complexité qui nous force à réduire le terme « exotique » à son sens le plus commun et, en conséquence, applicable à chacun des textes de notre corpus : « Qui n’appartient pas aux civilisations de l’Occident. […] Qui provient des pays lointains et chauds. »12 Partant, ce qui relie ces neufs romans, c’est leur cadre tropical ce qui fait que « roman tropical » serait la désignation la plus appropriée. Nous montrons également que les romans étudiés ne suivent pas les critères du récit policier qui doit obligatoirement mettre en scène une enquête menée sur un acte criminel, présentée de façon à ce que le lecteur puisse y participer. À la lumière de ces réflexions, nous optons dans notre travail pour l’appellation « exotique », étant la plus répandue, mais nous gardons les guillemets pour exprimer nos réserves sur le terme. Ensuite, nous déterminons la place des romans « exotiques » dans l’ensemble de l’œuvre simenonien selon une approche thématique. Notre intention a été de réévaluer les romans « exotiques », de les situer dans l’œuvre en mettant en lumière leur singularité par rapport aux autres romans de l’écrivain. Notamment, la thématique exotique réutilise les motifs récurrents et, en même temps, en apporte de nouveaux. L’originalité des romans « exotiques » n’est pas seulement de décrire un décor tropical, mais de montrer comment un personnage typique évolue dans ce milieu bien différent de celui des œuvres simenoniennes en général. Les sentiments de solitude, d’isolement, d’étrangeté qui pèsent avant le départ atteignent leur paroxysme dans le milieu 12 Le Petit Robert. Dictionnaire de la langue française, Paris, Dictionnaires le Robert, 2007, p. 979. 7 exotique. Le décor exotique permet donc à Simenon de mieux rendre compte des inquiétudes de l’homme du 20e siècle. De plus, ils introduisent un thème à part, le colonialisme avec un accent sur le rapport à l’Autre. Ils nous permettent à la fois de suivre un destin individuel et de connaître le visage sombre d’une entreprise collective qu’a été la colonisation. La deuxième partie de notre travail s’intéresse aux représentations de l’Autre et de l’Ailleurs, ainsi qu’au rôle qu’ils jouent dans le déroulement narratif des romans « exotiques » de Simenon. Les images de l’Autre et de l’Ailleurs sont issues tant de la conception du monde de Simenon que de l’imaginaire collectif occidental des années 1930-1940. Chez Simenon, le prétexte de la représentation de l’Autre et de l’Ailleurs est l’expérience exotique d’un Européen. En conséquence, c’est le point de vue de celui-ci qui détermine les images du non-Occidental et du non-Occident. Notre propos est d’éclaircir la question de l’ambiguïté de la représentation de l’Autre. Nous analysons ses caractéristiques physiques et mentales/morales, la fonction qu’il remplit dans l’intrigue, ainsi que son rapport au Blanc. Chez Simenon, la fonction de l’Autre n’est pas purement descriptive. L’action perdrait sa cohérence sans la figure de l’Autre, quelque marginale qu’elle puisse paraître dans certains cas. Les romans « exotiques » de Simenon, qu’ils se déroulent en Afrique ou en Amérique du Sud montrent une image homogène de l’Autre qui présente rarement des écarts par rapport aux stéréotypes largement répandus dans l’opinion collective européenne de l’époque. C’est par l’usage que fait Simenon de ces stéréotypes que ses œuvres apportent une nouveauté à la littérature de l’Autre et de l’Ailleurs. Dans notre travail, nous évoquons quatre groupes ethniques : noir, tahitien, asiatique et sud-américain. Simenon accorde une place restreinte à l’Autre noir. Premièrement, les indigènes sont des personnages opaques, lointains ou invisibles réduits à la servitude. Deuxièmement, les romans étudiés privilégient la parole des colonisateurs qui n’attribuent aucune importance aux mots échangés entre les colonisés. Le discours de l’Autre est rapporté directement uniquement au cas où cela concerne l’intérêt d’un Blanc. Troisièmement, il faut insister en particulier sur la notion du regard qui reste le seul moyen de l’indigène à exprimer un jugement. Les deux cas d’individualisation de l’Autre dans les romans « exotiques », au lieu de nuancer le portrait du Noir, ne font que répéter les stéréotypes bien connus et, ainsi, les renforcer. Les romans tahitiens oscillent entre mythification et démythification de l’indigène. Le Passager clandestin se distingue parmi les œuvres « exotiques » par l’idéalisation du Tahitien vivant dans la nature et incarnant l’unité des valeurs européennes et polynésiennes. Dans les romans « exotiques », c’est le seul cas de l’indigène érigé en exemple contre les Blancs. 10 La troisième partie décrit la rupture du héros avec la société. Les œuvres analysées ont la particularité de présenter à la fois l’attitude du Blanc en face de l’Autre et en face du Même. De la société coloniale, trois participants émergent au fur et à mesure de l’intrigue romanesque : le Soi, le Même et l’Autre. Nous passons en revue les étapes qui conduisent le Soi sur le chemin de la connaissance de l’homme de son détachement progressif du Même à une certaine forme de l’altérité. Nous touchons ici au cœur du problème de la création romanesque de Simenon. Entrer en contact avec l’autre, européen ou non, essayer de le comprendre à travers son regard et ses paroles, tel est l’un des thèmes essentiels de l’œuvre de l’auteur. Dans l’espace exotique, l’enjeu est double : comprendre l’autre et trouver sa place dans un monde fuyant incessamment la notion de l’intelligible. Le défi de connaître l’homme se double ainsi d’une quête identitaire. Rien ne représente mieux l’effort du héros d’accomplir ces « missions », ou son échec, que la relation particulière qu’il entretient avec la réalité. Dans ce rapport au réel, et à travers cela à l’homme, nous croyons reconnaître l’écrivain Simenon en pleine création romanesque. La perception du monde du héros ne cesse de trahir celle de Simenon et la façon dont elle se développe au cours de l’écriture. Il existe un parallèle entre l’expérience simenonienne de la rédaction du roman et le thème de celui-ci qui est en train de s’écrire, « entre la transe vécue par l’écrivain et la crise qu’il relate »13. Découragé et se sentant incompris, le héros s’emmure volontairement pour appréhender la réalité à travers le filtre de la mémoire et/ou de l’imaginaire. Dans ces cas-là, il se croit être frappé d’une clairvoyance qui lui permet de capter les moindres signes du monde autour de lui et de reconnaître la vérité. À travers la représentation de l’Autre et de l’Ailleurs, se dévoile celle du processus simenonien d’écriture romanesque. L’auteur confère à ses personnages cette imagination créatrice, caractéristique des écrivains, qui leur permet de se forger une représentation subjective, personnelle, individualisée de la réalité. Dans notre corpus, le rapport problématique au réel se double de l’indicible de l’expérience exotique. Il est impossible de décrire la réalité telle qu’elle est. L’Autre/l’autre reste inconnu. Certains héros de roman « exotique » acceptent la vie coloniale sans regret, mais sans illusion également. Ils revendiquent une forme de l’altérité au sein même de la société. D’autres sont rejetés par la société coloniale pour avoir transgressé la norme implicite de celle-ci. Ils se détachent de leur entourage, voient leur système de valeurs s’écrouler et finissent par se livrer à une « Tentative d’auto-destruction »14, quitte à être en butte à l’hostilité des Blancs. Ainsi, ils 13 Jacques Dubois, « L’écriture en question », Le Magazine Littéraire. Sur les traces de Simenon, nº 417, 2003, p. 65. 14 Jean-Louis Dumortier, Georges Simenon, Bruxelles, Éditions Labor, coll. « Un livre Une œuvre », 1990, p. 74. 11 se retrouvent en dehors du cercle du Même sans jamais accéder à celui de l’Autre, ils vivent l’ultime phase de la solitude. 4. Conclusion En conclusion, Simenon renouvelle le genre du récit exotique : ce n’est pas sur l’aspect séduisant de la colonie qu’il met l’accent dans ses œuvres et présente le colon comme victime du colonialisme au même titre que le colonisé. Les romans d’aventures exotiques « multiplient […] les contrastes violents : parole/mutisme, activité/non-activité, intelligence/instincts »15 entre les Européens et les indigènes. Or, de ces trois antithèses, une seule est valable pour les romans « exotiques » de Simenon, celle qui oppose la parole du Blanc au silence de l’indigène. Et il s’agit même d’une parole qui défaille, tourne en rond jusqu’à s’étouffer dans un monologue intérieur. Le lecteur est plongé dans la vie intérieure du héros qui, au lieu de s’expliquer, se réfugie dans le silence. La communication est bloquée tant entre le Même et l’Autre qu’entre le Même et le Même. La parole défaillante du colonisateur constitue une critique de la condition coloniale. En ce qui concerne les deux autres antithèses, les disparités s’avèrent beaucoup moins nettes. Elles tendent à diminuer jusqu’à s’effacer complètement dans certains cas. D’abord, le groupe social colonial ne fait aucune preuve de cette vitalité que les œuvres de glorification impérialiste ont l’habitude d’opposer à la passivité indigène. Puis, la colonie est un lieu propice à la libération des pulsions réfrénées par la société occidentale, d’où l’effacement de la limite entre raison et instinct. Le héros ne peut garder l’intégrité de son être. En somme, la prétendue supériorité du Blanc s’évapore au contact de la réalité exotique. Les personnages sont souvent obsédés par une hantise trop forte pour être énoncée explicitement, d’où le silence et l’autocensure. L’Autre et l’Ailleurs sont inintelligibles, incontrôlables par l’intellect ou les sens. Heurtant sans cesse le problème de l’indicible, les romans « exotiques » de Simenon illustrent l’échec de la tentative de dominer l’Autre et l’Ailleurs. Simenon adopte un système narratif et symbolique propice à l’indicible, à la dénonciation de la colonisation. 15 Jean-Marc Moura, La littérature des lointains. Histoire de l’exotisme européen au XXe siècle, Paris, Honoré Champion, 1998, p. 306. 12 De plus, les romans « exotiques » de Simenon ont la particularité de montrer le Blanc non seulement en face de l’Autre, mais également en face du Même. Le duo de la situation coloniale s’agrandit en trio avec l’isolement du Soi. Le héros sent à un moment donné que sa communauté d’origine ne le comprend plus ou qu’il ne la comprend plus. Le groupe des Européens doit être uni et solidaire. Celui qui ne respecte pas cette loi se trouve en dehors du cercle. Certains protagonistes sont hantés par le désir d’altérité. Ils abandonnent le masque de la civilisation occidentale sans épouser les croyances « primitives » ou s’identifier au monde de l’Autre. Les romans et les reportages de Simenon n’attestent effectivement aucun intérêt pour la culture de celui-ci. Les héros de Simenon ne veulent jamais adopter la langue de l’Autre. C’est au nom d’un idéal qu’ils veulent imiter leur mode de vie. Un idéal qui n’a rien à voir avec le visage réel de l’Autre. Étant donné que la société blanche est hermétique, se marier avec une indigène ou s’enfoncer dans la forêt manifeste un décalage, un clivage et entraînera l’exclusion du héros de la société coloniale. La solitude du héros accuse à elle seule le colonat. Les héros de Simenon acquièrent la connaissance de l’homme, de la vérité au prix de leur intégrité physique et mentale. Cette connaissance est encodée dans l’expérience exotique même et il n’est pas nécessaire au personnage de rejoindre le monde « primitif » pour la déchiffrer. La chute du héros est le plus souvent provoquée par sa conscience bouleversée par la réalité coloniale, la vérité de l’existence qui le dépossède de son identité. L’esprit européen perd ses repères familiers face à l’Ailleurs ce qui aboutit à une perte d’identité. Le regard sur Soi est conditionné par un changement de perspective, favorisé par l’expérience exotique. L’anticolonialisme varie en intensité selon le point de vue adopté sur le fait colonial. Les personnages simenoniens se divisent entre plusieurs attitudes possibles devant le colonialisme. Même si le narrateur simenonien cherche à rester neutre, les personnages, eux, portent des jugements. La représentation de l’altérité lance un défi au projet d’écriture romanesque. La neutralité morale et stylistique revendiquée par Simenon est contrariée par l’effondrement du héros face à la réalité exotique. L’ambiguïté des romans est provoquée par l’alternance des jugements péjoratifs et mélioratifs sur la différence. Certains propos apparemment « racistes » ne s’expliquent qu’à la lumière de l’ensemble de la production artistique et journalistique de Simenon. Alors qu’il s’est fixé le but de s’éloigner des clichés et stéréotypes exotiques, de se tenir à distance des représentations de l’imaginaire collectif, Simenon reproduit inconsciemment les images conventionnelles de l’Autre. Les romans « exotiques » ne portent même pas, pour la plupart, de condamnations morales explicites sur les Blancs. Ainsi, ils risquent de légitimer la colonisation ce qui peut confondre le lecteur par rapport à la position idéologique de Simenon. Alors qu’il constate la faillite du
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