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"La composition des Feuilles d'automne, étude du manuscrit", Notes de Construction

A M. de Lamartine » est fondé sur une métaphore filée qui compare le poète des Feuilles d'automne et Lamartine à deux bateaux affrontant la tempête.

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Marcel90
Marcel90 🇫🇷

4.3

(105)

247 documents

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Télécharge "La composition des Feuilles d'automne, étude du manuscrit" et plus Notes au format PDF de Construction sur Docsity uniquement! Claire MONTANARI LA COMPOSITION DES FEUILLES D’AUTOMNE : ÉTUDE DU MANUSCRIT Je tiens avant tout à remercier Guy Rosa pour ses conseils avisés et son aide précieuse. On a peu étudié les manuscrits des recueils de Hugo antérieurs à l’exil. René Journet et Guy Robert ont pourtant fait une transcription extrêmement rigoureuse et très précieuse de quatre recueils, Les Feuilles d’automne, Les Chants du crépuscule, Les Voix intérieures et Les Rayons et les ombres. Cependant, ils insistent eux-mêmes sur le fait que les corrections visibles dans ces manuscrits n’apportent que des informations partielles sur la méthode créatrice de Hugo : « Les 4 manuscrits étudiés n’ouvrent qu’une vue assez restreinte sur le travail créateur de Hugo. Ils ne constituent en effet que des mises au net, le plus souvent très proche du texte définitif.» 1 . La correspondance de Hugo, comme souvent, est très allusive à l’égard de la composition du recueil des Feuilles d’automne. On peut tout au plus avoir des informations sur les circonstances qui ont poussé Hugo à la rédaction de tel ou tel poème. La correspondance de Hugo avec ses éditeurs ne nous en apprend guère plus sur le travail de l’artiste autour des Feuilles d’automne. Hugo, en octobre 1831, se sépare de Gosselin et préfère traiter avec Renduel pour imprimer le recueil. Contrairement à ce que Hugo laisse entendre dans la préface du recueil 2 , il est loin de se désintéresser des « question[s] de second ordre » qui concernent le « libraire et non [le] poète » 3 et il débat âprement avec Gosselin, comme avec Renduel, de questions financières. Si on est au fait des querelles d’édition qui ont entouré la publication du recueil, on sait assez peu de choses sur la méthode de travail de Hugo pour composer Les Feuilles d’automne. Notre seule ressource est de nous appuyer sur les manuscrits. Certes, les corrections n’y sont pas spectaculaires en apparence, mais elles nous obligent à nous attacher à de petits phénomènes qui en disent beaucoup sur la création hugolienne et qui pourraient, paradoxalement, être négligés dans des manuscrits plus complets. 1 Journet et Robert, Des Feuilles d’automne aux Rayons et les ombres, étude des manuscrits, Les Belles Lettres, Paris, 1957, p 263. 2 « Ici se présente une objection d’une autre espèce : - Sans contredit, dans le moment même le plus critique d’une crise politique, un pur ouvrage d’art peut apparaître à l’horizon ; mais toutes les passions, toutes les attentions, toutes les intelligences ne seront-elles pas trop absorbées par l’œuvre sociale qu’elles élaborent en commun, pour que le lever de cette sereine étoile de poésie fasse tourner les yeux à la foule ? – ceci n’est plus qu’une question de second ordre, la question du succès, la question du libraire et non du poète », écrit ainsi Hugo dans la préface des Feuilles d’automne. 3 Hugo écrit ainsi à son nouvel éditeur, Renduel : « Dans l’état incertain où se trouve la librairie, il me semble qu’il serait convenable de modérer de la manière suivante les conditions du traité que nous avons signé pour les Feuilles d’automne le 24 octobre denier. Vous tireriez deux mille exemplaires au lieu de quatre mille4000. toujours douze cent cinquante in 8° et le reste in –18. Et vous me paieriez ces 2000 exemplaires 3000 francs, sa […] » (dans Œuvres complètes, t. 4, « Club français du livre », Paris, 1967, p 1052). Le manuscrit des Feuilles d’automne laisse d’ailleurs entrevoir différentes étapes de la composition du recueil, même si sans doute les étapes intermédiaires manquent. Il n’existe ainsi pas de plan du recueil. De nombreuses ébauches n’ont pas été conservées et seules les dernières versions apparaissent. Certaines pièces, en outre, ne sont que des copies de la main de Mme Hugo, de Fontaney ou de Marie Mennessier-Nodier 4 . Les copies peuvent cependant être interprétées car elles prennent en charge les variantes entre lesquelles Hugo n’a pas encore choisi, et elles portent souvent des corrections et des rajouts de la main même de l’auteur. Malgré ces manques que l’on peut regretter, il semble que l’on peut tirer parti du manuscrit en analysant les étapes successives qui ont mené à la construction du recueil. On multipliera les méthodes d’approche au cours de notre exposé en essayant de tirer parti de tous les indices qui disent quelque chose sur la méthode – et parfois sur l’absence de méthode - du poète. On analysera ainsi les quelques ébauches qui ont été à l’origine de la composition de certains poèmes du recueil. Puis on étudiera les corrections que Hugo effectue dans ses poèmes déjà composés. Il s’agit d’une étape qui, loin d’être insignifiante, permet de resserrer la cohérence des poèmes et leur donne une profonde unité. Enfin on s’attachera à la physionomie générale du recueil, aux corrections trop récurrentes pour ne pas servir l’unité du recueil. I – Des ébauches aux poèmes La plupart des poèmes des Feuilles d’automne dont on a conservé les manuscrits ne sont que des mises au net présentant relativement peu de corrections. Quelques manuscrits cependant gardent la trace des étapes précédentes de la création. Journet et Robert, dans Des Feuilles d’automne aux Rayons et les ombres, ont pris soin de mettre en rapport certains poèmes des Feuilles d’automne avec des esquisses trouvées dans les albums ou dans les Feuilles paginées. 1/ Méthodes de travail : ébauches des poèmes narratifs et non-narratifs On a ainsi conservé des ébauches très complètes de « Rêverie d’un passant à propos d’un roi », d’ « A M. de Lamartine », de « Soleils couchants » et de « La Prière pour tous ». Hugo ne procède différemment selon les types de poèmes qu’il prévoit de composer. Les deux derniers poèmes cités, « Soleils couchants » et « La Prière pour tous », sont divisés en sections et n’ont pas une vocation très narrative : « Soleils couchant » s’amorce sur l’évocation des couchers de soleil et se termine par une comparaison entre le cycle éternel de la nature et le vieillissement inéluctable de l’homme. « La Prière pour tous » prend la forme d’un discours adressé à la fille du poète sur la nécessité de prier. Les ébauches de ces deux poèmes sont caractérisées par une recherche tâtonnante. Hugo semble avoir un thème en tête – les soleils couchants ou les bienfaits de la prière – et il jette sur le papier tous les vers (ou les notes en prose) qui lui viennent à l’esprit sur le sujet, sans avoir, apparemment, de plan très défini. 4 Voir la présentation du manuscrit par Journet et Robert dans Des Feuilles d’automne aux Rayons et les ombres, étude des manuscrits, Les Belles Lettres, Paris, 1957, p 9. Sauf précision contraire, les passages des manuscrits cités dans notre étude seront tirés de cet ouvrage. On présentera, en note, le numéro du folio sur lequel les extraits se situent, ainsi que la page à laquelle Journet et Robert l’ont transcrit dans leur ouvrage. On respectera, la plupart du temps, la présentation de leur transcription, sauf lorsqu’elle gênera la lisibilité des extraits. L’ébauche du poème « A M. de Lamartine » est déjà composée en octosyllabes, seul mètre employé dans la version finale. Pourtant, il arrive, au moment de la composition, que Hugo retombe sur des hexasyllabes, alors qu’il n’a visiblement pas l’intention de présenter des strophes hétérométriques : je te revois à l’horizon [123-4] 8 Mais ce n’est plus la nef battue des vents etc [125] Prose C’est un navire plein de joie, [131] 8 Un cygne qui revient. – 11 [149-50] 6 te voilà au port… et je te regarde Prose ce flot qui sur moi se soulève 8 S’apaisera sous toi… 12 [cf. 221-230] 6 L’hexasyllabe semble avoir un statut privilégié dans la mesure où l’on ne trouve jamais, dans les ébauches de poèmes en alexandrins, d’autres mètres qui viendraient de façon instinctive ou accidentelle 13 . La prose, en revanche, est souvent présente et permet d’accéder progressivement au rythme de l’alexandrin ou de l’hexasyllabe. Dans l’ébauche de « La Prière pour tous », certaines notations en prose retrouvent ainsi le rythme de l’hexasyllabe. C’est le cas dans ce fragment : Il s’emplit de ses paroles et reste ange [cf. 330-331] Comme le cristal s’emplit d’eau sans changer de couleur. 14 Le groupe prépositionnel, « sans changer de couleur », constituera l’hémistiche d’un alexandrin dans la version finale : Comme le pur cristal que notre soif réclame S’emplit d’eau jusqu’aux bords sans changer de couleur. Le même phénomène est visible quelques fragments plus loin : Je suis comme le portefaix qui se repose aux bornes du chemin et dépose sa charge 15 [cf. 86] Cette phrase en prose se termine par deux hexasyllabes, « aux bornes du chemin », « et dépose sa charge », qui finiront par former un alexandrin : Je suis comme l’esclave, assis dans la vallée, Qui dépose sa charge aux bornes du chemin ; L’attention que Hugo porte au mouvement, lors de l’écriture des premiers jets, se retrouve dans ses corrections de détail, lorsqu’il s’attache à relire les manuscrits ou les copies de poèmes déjà composés. Il lui arrive fréquemment de modifier ou de corriger certains vers, voire certains mots. Ces corrections, parfois infimes, méritent néanmoins d’être étudiées de près. On constate souvent que de minuscules modifications renversent complètement ou approfondissent considérablement le sens d’un poème. II – Pour une cohérence des poèmes 11 Ibid., f°37, p 31. 12 Ibid., f°37, p 32 13 A noter que Les Feuilles d’automne constituent le premier recueil de Hugo dans lequel les poèmes en alexandrins à rimes plates se développent de façon évidente 14 Ibid., f° 99 r°, p 75. 15 Ibid., f° 100 v°, p 77. La création poétique ne s’arrête pas aux modifications les plus spectaculaires. On garde souvent en mémoire l’image des manuscrits de Hugo les plus saisissants, couverts de ratures et de rajouts dans la marge. Celui des Feuilles d’automne est, visuellement, relativement peu spectaculaire. Il témoigne néanmoins de l’extraordinaire maîtrise d’un poète qui ne laisse rien au hasard. Les infimes modifications qu’apporte Hugo à son manuscrit ne sont pas des corrections de détail, mais plutôt des corrections du détail, corrections de détails qui renforcent souvent profondément la cohérence des poèmes. 1/ Cohérence du vers Attachons-nous tout d’abord aux modifications qui peuvent sembler les plus ténues, celles qui ne touchent qu’un mot ou deux, mais qui sont loin d’être anodines et qui disent quelque chose de la composition du vers chez Hugo. « Hugo travaille autant les masses que la ciselure », remarque Meschonnic 16 . Les manuscrits en témoignent de façon éloquente. Journet et Robert, dans l’appendice de leur ouvrage Des Feuilles d’automne aux Rayons et les ombres, dressent la liste des types de modifications qu’ils ont repérés dans les manuscrits des quatre recueils. Ils les commentent avec beaucoup de circonspection, expliquant ainsi que « pour autant qu’il soit possible de juger dans ce domaine particulièrement délicat, les corrections pour raison d’euphonie semblent rares » 17 . On conviendra sans difficulté que la prudence est de mise pour aborder la question des sonorités dans la conception du vers. Il est difficile d’affirmer de façon péremptoire que Hugo a voulu changer tel mot pour rendre son vers plus harmonieux, par exemple. La modification des sonorités s’accompagne en effet d’une modification sémantique et il est impossible de décider lequel de ces deux aspects a gouverné le changement. On peut en revanche, sans chercher à deviner la cause de la démarche du poète, analyser les effets que produisent les modifications sur la structure du vers. Et, très souvent, le vers se trouve renforcé dans sa cohérence après les changements que lui fait subir le poète. Soit la strophe suivante, tirée de la pièce XXIII, « Oh ! qui que vous soyez, jeune ou vieux, riche ou sage » 18 : Si jamais vous n’avez, à l’heure où tout sommeille, Tandis qu’elle dormait, oublieuse et vermeille, Pleuré comme un enfant à force de souffrir, Crié cent fois son nom du soir jusqu’à l’aurore, Et cru qu’elle viendrait en l’appelant encore, Et maudit votre mère, et désiré mourir ; L’un des vers en a été modifié. Hugo avait d’abord écrit : « Crié vingt fois son nom du soir jusqu’à l’aurore ». Il me semble que le poète n’a pas seulement corrigé « vingt » par « cent » pour amplifier de façon hyperbolique le désespoir du jeune homme amoureux. La modification produit une allitération en [s] qui, ici, n’est pas anodine : « Crié cent fois son nom du soir jusqu’à l’aurore ». La répétition de la consonne « s » dans le vers souligne le sens du vers, insistant lui-même sur une action répétitive. Les exemples de ce type sont extrêmement nombreux dans le manuscrit. Dans le poème XXIX, « La pente de la rêverie » 19, Hugo modifie de la même façon un de ses vers : La spirale est profonde, et quand on y descend, Sans cesse se prolonge et va s’élargissant 16 Dans Pour la poétique IV, Ecrire Hugo, 1, Gallimard, « NRF », Paris, 1977, p 161. 17 René Journet et Guy Robert, Des Feuilles d’automne aux Rayons et les ombres, Etude des manuscrits, Annales littéraires de l’Université de Besançon, Les Belles Lettres, Paris, 1957, p 265. 18 Manuscrit des Feuilles d’automne, 13 389, f° 56, p 43. 19 Idem, f° 68 r°, p 49. Il avait d’abord écrit : La spirale est profonde, et quand on y descend, Toujours | i Sans fin | se multiplie et va s’élargissant La richesse sonore de la version définitive, « Sans cesse se prolonge et va s’élargissant », donne, une fois encore du relief au vers. Les quatre premières syllabes du vers commencent toutes par la consonne « s » : de même que la « spirale […] se prolonge », le son s’étire et se diffuse d’une syllabe à l’autre. Puis, alors que le mouvement de la spirale « s’élargi[t] », l’allitération devient moins pressante, les consonnes répétées s’espacent. La spirale se devine presque visuellement dans l’espace sonore du vers. A noter que la modification à laquelle Hugo a procédé n’a d’ailleurs pas seulement permis de donner sens à la structure du vers, mais elle a aussi renforcé le lien entre ce vers et celui qui précède : les sonorités du verbe « prolonge » rappellent ainsi celles de l’adjectif « profonde », situé au même endroit, juste avant la césure, dans le vers qui précède. Soit le vers « L’horizon s’effaça, les formes disparurent » 20 . Hugo le modifie ainsi : « L’horizon se perdit, les formes disparurent ». La modification est moindre en apparence. Pourtant elle permet de donner du relief au vers, structuré par le retour des mêmes phonèmes de chaque côté de la césure, et de renforcer le parallélisme des deux événements évoqués, l’effacement de l’horizon et la disparition des formes. Les formes verbales, « se perdit » et « disparurent » laissent entendre précisément les mêmes consonnes (« s », « p », « r », « d »), ainsi que la syllabe « di », et créent une sorte de symétrie sonore. « Un vers de Victor Hugo est facile, non pas à écrire, mais à reconnaître », dit Jean- Marc Hovasse 21 . « Si les mêmes séries de phonèmes se répètent, se mêlent et s’entrecroisent – sans que cela passe forcément par des allitérations évidentes -, si l’enchevêtrement des figures sonores finit, quand on essaye de les décomposer, par faire apparaître une logique, alors le vers est bien de lui ». La formule est très juste. Le vers que l’on vient d’étudier peut sembler anodin, il ne recèle pas d’ « allitérations évidentes » comme ceux que l’on a vu auparavant, mais il vaut par sa grande homogénéité. Hugo a rapidement l’intuition du mot qui convient : il n’hésite habituellement qu’entre deux variantes. Il lui arrive néanmoins d’essayer plusieurs versions avant de tomber sur une trouvaille qui résonne comme une évidence. « Celui-là seul sait écrire qui écrit de telle sorte qu’une fois la chose faite, on n’y peut changer un mot » note-t-il dans un de ses fragments 22 . Hugo tâtonne pour commencer ce vers, qui se trouve dans le trente-huitième poème du recueil, « Pan » : « Enivrez-vous […] / Du voyageur de nuit dont on entend la voix ». Le poète avait d’abord écrit : « Enivrez-vous […] / Du nocturne passant dont on entend la voix », puis il a songé à remplacer « nocturne passant » par « chanteur inconnu », et par « passant inconnu ». Il finit par penser à « voyageur de nuit », qui se trouve, sur le manuscrit, en surcharge sur « passant inconnu ». On peut donc supposer qu’il s’agit de la dernière version trouvée, et sans conteste celle qui fonctionne le mieux du point de vue de la construction du vers. Comme dirait Henri Meschonnic, « les deux bouts du vers sont des miroirs sémantiques où se reflètent et se renversent une syllabe, un mot » 23 . La « voix » du « voyageur » se fait déjà entendre dans son nom. Tout se passe comme si le poème réinventait une étymologie fictive au nom « voyageur » : le « voyageur » est celui dont on entend seulement la « voix », il ne se définit et n’a d’existence que par elle, puisqu’il n’est pas visible au milieu de la nuit. 20 « La pente de la rêverie », Manuscrit des Feuilles d’automne, 13 389, f° 70 v°, p 50. 21 « Victor Hugo, créateur par la rime ? », dans Poétique de la rime, édité par Michel Murat et Jacqueline Dangel, Honoré Champion, « Métrique française et comparée », Paris, 2005. 22 Manuscrit 13 424, f° 78, dans Océan, Robert Laffont, « Bouquins » Paris, 1989, p 159. 23 Dans Pour la poétique IV, Ecrire Hugo, 1, Paris, Gallimard, « NRF », 1977, p 165. accompagnée de sa mère – ce qui pouvait être le gage de sa vertu –, et dont il n’a plus l’assurance d’être aimé. La strophe ainsi modifiée souligne l’attente frustrée du jeune homme. La jeune fille tant attendue n’est qu’une vision fugitive et éphémère, qu’une ombre qui passe et s’en va, « des fleurs au front ». L’image des « fleurs » n’apparaissait pas dans la première strophe, mais elle ne peut être considérée ici comme un détail inutile. Les fleurs mettent en effet l’accent sur la coquetterie de la jeune fille et sur l’éclat de son insouciance, contraire à l’allure morne et sombre du sujet. Elles permettent aussi d’annoncer ce qui constituera la fin de la strophe suivante : Si vous n’avez jamais vu d’un œil de colère La valse impure, au vol lascif et circulaire, Effeuiller en courant les femmes et les fleurs. Les détails anodins ont disparu au profit d’un resserrement de l’image, d’une dramatisation de la situation. On trouve le même type de modification, l’image concrète devenant plus métaphorique, dans une strophe du poème XXXVII, « La Prière pour tous ». Le poète évoque les morts pour lesquels sa fille doit prier. En voici la première version : Mais eux ! si tu savais de quel sommeil ils dorment ! Leurs lits sont froids et lourds à leur os qu’ils déforment. Ils sont là jusqu’au jour où tous se lèveront ; Pas d’aube dans leur nuit, pas de feux, pas de lampe ; Le remord, qui s’est fait vers du sépulcre et rampe, Traîne éternellement sa bave sur leur front ! 28 L’image finale, étrangement baudelairienne, est volontairement provocatrice. Elle doit provoquer le dégoût mais elle n’est pas véritablement motivée. Hugo transforme ainsi ce passage : Les anges autour d’eux ne chantent pas en chœur. De tout ce qu’ils ont fait le rêve les accable. Pas d’aube pour leur nuit, le remord implacable S’est fait vers du sépulcre et leur ronge le cœur. La nouvelle strophe a plus de cohérence. Le vers « De tout ce qu’ils ont fait le rêve les accable » est lié avec la notion de « remord ». Le même thème était répété avec des variations dans le vers « Pas d’aube dans leur nuit, pas de feux, pas de lampe ». L’image ne disparaît pas complètement dans la nouvelle version, mais elle est plus métaphorique : « Pas d’aube pour leur nuit, le remord implacable ». La virgule, ici, n’est pas anodine. Hugo aurait pu lui préférer un point ; cela aurait fonctionné sans dommage grammatical. Oui, mais la virgule peut, si on s’attache à ce seul vers, avoir un sens adversatif ; elle signifie la même chose qu’un « mais » : « Pas d’aube pour leur nuit, [mais] le remord implacable ». « Aube », mis sur le même plan que « remord », prend un sens plus métaphorique, moins platement concret : le mot signifie, dans ce nouveau contexte, « espoir », « espérance », et plus seulement « lumière ». En outre, le dernier vers de la nouvelle version, « S’est fait vers du sépulcre / et leur ronge le cœur », remarquable par son rythme très régulier, l’est aussi parce qu’il réactive le sens figuré de l’expression, « ronger le cœur ». Le même souci de sobriété et de densité rend compte de l’abandon de ce qui, dans les ébauches, était excessivement explicite. C’est ainsi que, dans une ébauche du poème IX, « A M . de Lamartine », Hugo fait allusion au texte qui l’a sans doute inspiré : Horace… Chantait au vaisseau de Virgile 28 Ibid., f°104 v°, p 80. Mais Horace chantait au port. Moi je te chante dans l’orage 29 Horace avait en effet écrit une ode à l’occasion d’un voyage réel ou fictif de Virgile en Grèce. Il faisait mine de s’adresser au vaisseau emportant le poète sur les flots. La métaphore qui fait de Lamartine et de l’auteur des Feuilles d’automne des navires affrontant la tempête vient vraisemblablement de l’ode d’ Horace. Hugo choisit cependant de ne pas reproduire ces vers dans la version finale, mais l’épigraphe du poète est tirée du texte de l’auteur latin : « te referent fluctus ». L’allusion à l’ode d’Horace a glissé du texte à l’épigraphe. Désormais plus discrète, elle contribue cependant à établir un lien de complicité avec le lecteur cultivé qui ne pourra manquer de comprendre le rapport entre l’épigraphe et le contenu du poème. On peut considérer aussi que le refus de citer Horace à l’intérieur même du poème est lié à l’esthétique de l’ensemble du recueil : contrairement à ce qu’il fait pendant l’exil, Hugo évoque très peu les auteurs qu’il admire dans les Feuilles d’automne. Le recueil est volontairement ancré dans le présent et les seuls artistes représentés sont les contemporains et amis du poète, Louis Boulanger, Lamartine, Louise Bertin, Sainte-Beuve, David d’Angers. Les corrections, suppressions ou modifications apportées dans un poème sont aussi liées à la physionomie que le poète veut donner au recueil dans son ensemble. III – Construction du recueil On étudiera d’abord les corrections qui nous semblent récurrentes ; certaines s’attachent à construire, au fil des poèmes, une image du « moi » du poète et du « moi » de l’homme privé - le traitement des deux « moi », dans les corrections, n’est d’ailleurs pas exactement le même. D’autres montrent que Hugo a, très souvent modifié les passages consacrés à Napoléon. On analysera ensuite les indices qui témoignent de l’attention que Hugo porte à la cohérence du recueil des Feuilles d’automne. 1/ « Je » du poète, « je » de l’homme privé Deux « moi » se succèdent et alternent dans le recueil : celui du poète, homme public, et celui de l’homme privé. Les corrections accentuent très fréquemment la tristesse et la fragilité du « moi » privé. Dans le poème VI, « A un voyageur », Hugo avait d’abord écrit : Oh ! j’avais donc vingt ans ! j’étais donc plein de flamme J’avais à l’horizon l’espérance et dans l’âme Un tendre et mol [ ?] ennui [ ?] 30 La variante, qu’il conservera, est plus pessimiste, ne serait-ce que par les mots placés à la rime, « songes » / « mensonges », qui laissent un souvenir moins positif que les rimes de la version antérieure (« flamme » / « âme ») dans la mémoire du lecteur : J’avais donc dix-huit ans ! j’étais donc plein de songes ! L’espérance en chantant me berçait de mensonges. Un astre m’avait lui ! 29 Ibid., f° 37, p 31. 30 Manuscrit des Feuilles d’automne, 13 389, f° 43, p 36. En soulignant la faiblesse du « moi » privé, Hugo l’intègre à la communauté des hommes. Les Feuilles d’automne constituent en effet le premier recueil de Hugo dans lequel le poète s’approche de la voix du peuple. Les ratures et les corrections témoignent de l’effort constant de l’auteur de rattacher le destin de l’homme privé à celui de la communauté des hommes. Les changements de pronoms en témoignent de façon récurrente. La première version du poème que l’on vient d’évoquer, « A un voyageur », commence ainsi : Ami, vous revenez d’un de ces longs voyages Qui font vieillir plus vite, et vous changent en sages 31 La version définitive transformera le « vous », impersonnel ou non, en un « nous » qui englobe l’ami, le poète et l’ensemble de l’humanité : Ami, vous revenez d’un de ces longs voyages Qui nous font vieillir vite, et nous changent en sages De même, dans le poème XVIII, Hugo remplace le possessif « ses », qui a ici une valeur impersonnelle, par un « nous » collectif, en insistant une fois de plus sur la faiblesse de l’humanité. Le deuxième vers de « Vieillir enfin, vieillir ! comme des fleurs fanées / Voir blanchir ses cheveux et tomber ses années » devient « Voir blanchir nos cheveux et tomber nos années ». Si l’homme privé a le même destin que l’ensemble de l’humanité 32 et parle en son nom, le poète, lui, s’en distingue ; il se situe en retrait de la foule. Il est, comme le mont Atlas dans le poème X, celui qui « porte un monde » et qui rêve. Alors que les corrections des poèmes évoquant l’homme privé tendent à insister sur sa fragilité, les ratures et modifications des passages consacrés au poète visent souvent à le grandir ou à donner un caractère plus tangible à ses rêveries. La façon dont le « moi » du poète est grandi par les corrections se remarque plus encore dans le poème IX, « A M. de Lamartine ». Les derniers vers du poème étaient d’abord relativement pessimistes : Et si mon invisible monde Toujours dans les ténèbres fuit, Si rien ne germe dans cette onde Que je laboure jour et nuit, Si voilé d’un fatal mystère Je me brise à l’ingrate terre Que cherchent mes yeux obstinés, Pleure, ami, mon ombre jalouse ! Colomb doit pleurer Lapeyrouse. Tous deux étaient prédestinés ! 33 Hugo remplace finalement « dans les ténèbres » par « à l’horizon ». « Si voilé d’un fatal mystère / Je me brise à l’ingrate terre » devient « si mon navire de mystère / Se brise à cette ingrate terre » : ce n’est plus le « je » qui est voué à se briser, mais le « navire de mystère ». Tous deux se réfèrent bien entendu au poète, mais le fait d’utiliser la métaphore du navire 31 Ibid., f° 26, p 24. 32 Ludmila Charles-Wurtz dit ainsi que, dans Les Feuilles d’automne, « Le récit autobiographique aboutit […] à l’expérience de l’impersonnalité du Moi. Si dans le Moi parle l’humanité tout entière, le pacte autobiographique change nécessairement de sens : il s’agit moins pour Hugo de décrire son Moi comme un cas exemplaire de la condition humaine que de vider le « je », personne grammaticale constitutive du projet autobiographique, de toute personnalité. Par la voix de celui qui dit « je » parle toujours l’humanité. »( Poétique sur sujet lyrique dans l’œuvre de Victor Hugo, Champion, Paris, 1998, p 512 ) 33 Ibid., f° 36 v°, p 31. privilégier la sphère de l’intime dans le recueil. Napoléon est d’ailleurs presque toujours lié, dans Les Feuilles d’automne, à l’enfance du poète. Il est rarement évoqué en dehors du contexte qui a fasciné l’enfant d’autrefois. Le poète ne chante pas ses louanges au présent mais en fait une sorte de passé mythique vaguement puéril. Certes, ces corrections, pourtant très cohérentes, ne font pas réellement la preuve que Hugo avait, au moment où il les faisait, une idée claire et précise de la construction de son recueil. Un élément dans le manuscrit nous permet cependant de savoir que Hugo relisait ses anciens poèmes pendant qu’il en écrivait d’autres : Hugo a en effet d’abord daté la mise au net de la première section des « Soleils couchants » de novembre 1831, « date de l’achèvement » 39 du poème. Il a ensuite changé d’avis et remplacé 1831 par 1828, « date de la conception ». Cela prouve que ce poème, l’un des premiers conçus par Hugo, a été modifié au moment où il est en train de composer ses derniers poèmes. Certains indices dans le manuscrit montrent par ailleurs que Hugo avait une conscience très aiguë de l’organisation de son recueil. 3/ La cohérence du recueil Malheureusement, aucun plan préparatoire ni projet de classement des poèmes des Feuilles d’automne ne nous est parvenu 40 . Pourtant, certaines notes dans le manuscrit du recueil sont liées à la construction du recueil. On trouve ainsi, à la fin du brouillon de « Souvenir d’enfance », cette mention, autographe selon Journet et Robert : « mettre cette pièce après la pièce intitulée la pente de la rêverie » 41 . Les deux pièces, comparables par la taille et placées l’une à côté de l’autre, permettent de faire le parallélisme entre le rêverie glorieuse du soldat, Napoléon, et celle du poète. De même, Hugo écrit sous le numéro du poème XXXVI, « Un jour vient où soudain l’artiste généreux » : « mettre ceci avant la prière pour tous » 42 . Là encore, le rapprochement est habile. Le poème XXXVI décrit en effet sur le désenchantement du « moi » vieillissant. Il se termine sur ces vers : « Il retrouve, attristé, le regret morne et froid / Du passé disparu, du passé, quel qu’il soit ! » Le poème suivant, « La Prière pour tous », tente de surmonter cette mélancolie. Enfin, le dernier poème du recueil porte la mention : « cette pièce clora le volume » 43 . On peut remarquer que de telles notes n’apparaissent que sur des poèmes composés en novembre 1831, c’est à dire immédiatement avant la publication du recueil. On peut alors supposer qu’ils ont été composés dans la perspective du volume final. Ayant négocié avec Renduel pour publier le recueil des Feuilles d’automne 44 , Hugo doit finir et organiser son recueil. Il est en revanche difficile de savoir à partir de quel moment Hugo a composé les poèmes des Feuilles d’automne dans la perspective du recueil. Henri Meschonnic laisse entendre, dans Pour la poétique IV 45 , que « dès septembre 1828 » Hugo avait « [fixé] 39 Journet et Robert, Manuscrit des Feuilles d’automne, 13 389, f° 83 r°, p 58. 40 On dispose en revanche d’un projet de classement des poèmes des Chants du crépuscule, manuscrit 13 360, f° 135. 41 Manuscrit des Feuilles d’automne, 13 389, f° 76, p 53. 42 Ibid., f° 97 r°, p 73. 43 Ibid., f° 115, p 84. 44 Voir à ce sujet l’article de Jacques Seebacher, « Victor Hugo et ses éditeurs avant l’exil », paru dans Victor Hugo ou le calcul des profondeurs, Presses Universitaires de France, « Ecrivains », Paris, 1993. 45 Pour la poétique IV, Ecrire Hugo, Gallimard, « NRF », Paris, 1977, p 66. d’avance le sens et le titre » du recueil, parce qu’il avait composé le poème qui constituera la pièce XXXIX du volume et qui compare les « chansons aimées » du poète à des « feuilles flétries » qui tombent de sa couronne. Henri Meschonnic cite en outre une lettre de Hugo à Victor Pavie datant du 17 mars 1827 « où il [lui] promettait […] cette ‘Ode à la colonne’ qui ne vaut pas ce seul vers : ‘C’était une feuille d’automne’ ». Le fait que Hugo apprécie ce vers ne prouve cependant pas qu’il avait eu, dès 1827, l’idée d’en faire un titre. En 1828, lorsque Hugo écrit les premiers poèmes des Feuilles d’automne, il compose aussi des pièces des Orientales. Il arrive même qu’une même ébauche soit scindée en deux et utilisée dans Les Orientales et dans ce qui constituera le futur recueil des Feuilles d’automne 46 . Par la suite, les périodes de rédaction consacrées aux poèmes qui s’intègreront dans Les Feuilles d’automne sont plus resserrées et plus unifiées. Presque la moitié des poèmes du recueil est ainsi composée entre mai et juin 1830. Si on observe les dates données aux poèmes de cette période, on s’aperçoit que nombre de poèmes qui se suivent dans le recueil ont été composés dans un laps de temps très réduit, comme si Hugo, sans avoir nécessairement en tête la construction finale du recueil, composait déjà en pensant à la succession des poèmes, ou du moins à leur unité thématique. Disons plus simplement qu’il écrit par à-coups, et que les poèmes qu’il compose pendant une même période ont entre eux un lien, plus ou moins étroit mais réel. Cette similitude d’inspiration facilitera l’organisation du recueil final. C’est ainsi par exemple que les poèmes « Un jour au mont Atlas les collines jalouses » et « Dédain », composés respectivement les 24 et 26 avril 1830, se suivront dans le recueil, précédés par le poème « A M. de Lamartine », terminé en juin 1830. Les trois poèmes, conçus pendant la même période évoquent tous trois les rapports que l’on peut entretenir avec les poètes de génie. Un terme revient dans les trois pièces : le mot « jaloux ». La structure du recueil a su donc tirer parti de l’ordre de composition des poèmes. Les poèmes composés à la fin, au mois de novembre 1831, sont, quant à eux, plutôt composés en fonction des poèmes existant déjà. A noter par exemple que les numéros des poèmes XXXV et XL, écrits en novembre 1831, sont, sur les manuscrits, notés avec la même encre que celle qui est utilisée pour le corps du texte. Ce n’est pas le cas pour les poèmes antérieurs : le numéro qui permet de les classer est toujours postérieur à la copie. On peut donc supposer que ces derniers poèmes sont écrits pour s’insérer à des endroits précis du recueil. Il est en tout cas certain que le dernier poème du recueil a été écrit pour « clor[e] le volume ». Il modifie en effet l’inspiration du recueil en s’ouvrant à la poésie d’inspiration politique et en annonçant que le poète va ajouter « à [sa] lyre une corde d’airain ». Il a en outre été conçu en même temps que la préface, les deux textes occupant des positions stratégiques et donnant du relief au recueil. Leur contenu est très proche. 47 Les premiers vers du poème, que l’on peut supposer inspirés d’Ovide – « Amis, un dernier mot ! – et je ferme à jamais / Ce livre, à ma pensée étranger désormais » – sont ajoutés et font écho à la préface, qui cite explicitement l’auteur latin : « Il laisse donc aller ce livre à sa destinée, quelle qu’elle soit, liber, ibis in urbem, et demain il se tournera d’un autre côté. » 46 Le f° 85, p 59, contient ainsi une ébauche constituée de deux strophes. La première sera intégrée au poème IV des Orientales, la seconde fera partie des « Soleils couchants » : « J’aime une lune ardente et rouge comme l’or, / Se levant dans une brume épaisse, ou bien encor / blanche au bord d’un nuage sombre, […] / J’aime ces chariots lourds et noirs, qui, la nuit, / Passant devant le seuil des fermes avec bruit / Font aboyer les chiens dans l’ombre ». « J’aime le ciel immense, et dès qu’a fui le jour, / En tout tems, en tous lieux, d’un ineffable amour, mon œil plonge à travers ses voiles […] » 47 On retrouve le même rapport étroit entre la préface et un poème qui a une position stratégique dans Les Chants du crépuscule. Le premier poème en effet, « Prélude », a été composé après tous les autres poèmes, à quelques jours d’écart de la préface. Les thèmes qui le traversent sont comparables. On peut considérer d’ailleurs que « Prélude », par son titre même, constitue une seconde préface. Préface et dernier poème insistent de même sur la gravité du « moment politique », faisant la liste des troubles qui agitent les pays d’Europe. Le recueil, « livre inutile », « pur ouvrage d’art », « volume de pauvres vers désintéressés », s’inscrit, grâce à ces deux pièces, dans l’actualité la plus immédiate. Hugo insiste d’ailleurs, dans la préface, sur la date de parution des Feuilles d’automne. Après avoir décrit la situation politique en Europe, il écrit : « Voilà où nous en sommes au mois de novembre 1831 ». Il prend soin cependant de rappeler le moment de l’écriture en ajoutant dans la marge à la fin de la préface : « en ce mois de novembre 1831 ». Hugo renvoie ainsi au dernier poème du recueil, daté, comme la préface, de novembre 1831. On peut aussi considérer que, par cette notation, le poète relie le recueil avec celui des Orientales, dont le dernier poème s’intitulait tout simplement « Novembre » et marquait un retour à une inspiration proche de celle des Feuilles d’automne. Hugo ne se contenterait donc pas de resserrer la structure de son recueil ; il s’efforcerait de l’intégrer dans une construction d’une autre échelle, celle de l’ensemble de son œuvre. Si Hugo détestait les arts poétiques et parlait fort peu de sa manière de créer, la forme de ses ébauches, ses ratures et ses corrections en disent long sur sa vision de la poésie et sur sa façon de procéder. Il semble que la composition du poème se fonde sur deux mouvements au moins qui, très différents, se complètent néanmoins : La création, chez Hugo, est d’abord fondée sur une dynamique, sur un flux, sur un souffle qui, d’un même mouvement, passe de l’inarticulé à l’expression la plus réglée du vers, voire de la strophe. Les ébauches contiennent déjà en elles-mêmes le mouvement que le poète devra recréer pour terminer le poème. Une fois le poème élaboré – et l’on passe ici, par manque de documents, sur les phases intermédiaires – tout l’effort du poète consiste à renforcer la cohérence des vers et de l’ensemble, à travailler sur le rapport entre le tout et les parties. Cette phase, moins spectaculaire et moins surprenante sans doute que la première, est cependant tout aussi importante. Reste à comprendre comment se compose le recueil… Curieux recueil que celui des Feuilles d’automne, qui, publié après juillet 1830, n’évoque pas un instant son bouleversement ; qui revendique l’historicité d’un sujet s’inscrivant dans son siècle, mais qui ne s’attache pas à l’actualité directement politique ; qui se construit presque en creux, annoncé par la fin des Orientales et annonçant déjà Les Chants du crépuscule. La notion de mouvement, au fond, n’est pas galvaudée lorsqu’on évoque l’écriture de Hugo. Il est fascinant de voir à quel point les notions de frontières, de catégories, sont absentes au moment de la création. Le vers donne son mouvement au poème, qui s’intègre parfaitement dans le recueil, qui lui-même est étroitement lié aux autres recueils. Les catégories que l’on est obligé d’introduire pour faciliter études et commentaires, n’ont, à la limite, pas lieu d’être. « La spirale est profonde, et quand on y descend, / Sans cesse se prolonge et va s’élargissant ».
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