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La coopération militaire franco-algérienne, Notes de Relations Publiques

Typologie: Notes

2018/2019

Téléchargé le 18/06/2019

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Télécharge La coopération militaire franco-algérienne et plus Notes au format PDF de Relations Publiques sur Docsity uniquement! 1 LOUDCHER Jean-François, Université de Besançon, La soule, ancêtre du rugby ? D’un fait de civilisation à une pratique culturelle Introduction De la soule au rugby, la filiation semble assez naturelle. Activité physique d’affrontement collectif populaire, elle se présenterait assez logiquement comme l’ancêtre du sport anglais. Un jour de 1823, le jeune William Webb Ellis 1 aurait porté la balle à la main entre les poteaux adverses durant une partie et aurait consacré, au moins sur le plan symbolique, la séparation entre rugby et football et, du même coup, avec les pratiques traditionnelles. Puis, au cours du XIXème et du XXème siècles, le rugby, sous le nom de rugby-football, et le football, sous le nom de football-association, se seraient alors répandus principalement par le biais des influences anglaises (colonies, comptoirs). Mais ce schéma simpliste élague une question délicate. Pourquoi le rugby apparaît-il dans le College qui porte le même nom dans les années 1840 plutôt qu’à une autre époque et dans un autre lieu si la soule est réellement son ancêtre universel ? Ce « sport » n’aurait-il pas dû aussi naître dans d’autres pays européens ? Dès lors, la soule s’inscrit-elle à la suite du rugby ou bien ce dernier est-il une création originale ? La thèse de la continuité et celle de la rupture ne sont pas nouvelles et traversent habituellement les interprétations à propos des origines du sport 2 . Bien sûr, aucune ne convient véritablement car, selon la définition du sport retenue, l’une ou l’autre peut être considérée comme vraie. S’interroger sur les origines et les transformations de la soule et du rugby conduit donc non seulement à réfléchir sur une hypothétique filiation entre ces deux 1 La légende est tenace. William W. Ellis décède à Menton (sans doute d’une tuberculose) en 1872 à l’âge de 66 ans. Selon Tom Hughe dans son célèbre récit, Tom Brown’s schooldays (1850), l’histoire de William Webb Ellis était inconnue à Rugby lorsqu’il était élève de 1834 à 1842. Le mythe fut, d’après Eric Dunning et Kenneth Sheard (Barbarians, gentlemen, players, A sociological study of the Rugby-fooball (1979), London, Routledge, 2005, p.52) lancé par Bloxam qui rapporte l’anecdote dans le Meteor, n°57 de 1880. Mais, selon les auteurs, Bloxam a quitté Rugby 3 ans avant celui-ci…. 2 Pierre Arnaud, « Sport et changement social, la méthode des modèles et l’histoire des exercices physiques » M.S.H.A, Bordeaux 14 et 15 octobre, 1993. 2 formes d’activité, mais aussi de tenter de circonscrire le « rugby » en tant que pratique moderne sportive 3 afin de se demander dans quelle mesure un lien existe. 1.LA SOULE, UNE PRATIQUE AUX ORIGINES COMPLEXES ET ORIGINALES 1.1. Des racines obscures Certes, il est tentant de retenir l’idée d’une filiation historique pour la soule tant les jeux de balle sont largement répandus de par le monde. Pour rester dans la civilisation indo- européenne, les Grecs anciens dénommaient spheristike une sorte de jeu de paume et les Romains pratiquaient la pila paganica, l’ourania et le trigon décrits par Julius Pollux (IIème siècle A.J.C). Au IXème siècle, dans l’Histoire des Bretons attribuée à Nennius, sont évoqués des enfants jouant à la balle sans plus de précision 4 . Cinnamus, quant à lui relate, en 1153, une pratique semblable au jeu de paume 5 . A la Renaissance, Mercurialis reprend Galien et, sous le terme d’orchestrique 6 réunissant à la fois la sphéristique et la danse, conseille de pratiquer le jeu de balle pour maintenir la santé. Bien sûr, la liste est loin d’être exhaustive. Il faudrait aussi évoquer les jeux de balle, tels le trinquet basque, la pelote, la chistera, le jeu de paume, la boule nantaise, le hurling de Cornouaille ou le knappan du Pays de Galles ainsi que le calcio florentin sans oublier les nombreux jeux de quilles, de crosse, de mail ou de pale-mail, de billard et de billes. Le tableau peint par Bruegel, en 1560, représente de nombreux types d’activités, et de nombreux livres 7 attestent de leur existence à travers les âges et les pays. Dans le bas Moyen Âge, les références se multiplient concernant ce jeu de balle populaire collectif généralement appelé soule. Jean-Jules Jusserand signale une des plus anciennes sources en la charte de donation de 1147 d’un seigneur languedocien en faveur d'une église dans laquelle est spécifiée, entre autres, la remise de « sept ballons de la plus grande dimension» 8 . De même, à la fin du XIIème siècle, le chroniqueur Lambert d’Ardres, 3 Cf. Jean-François Loudcher, « La France, au centre de la modernité sportive ? », in Philippe Tétart (eds), Homo sportivus, Vuibert, 2006. 4 Bernard Merdrignac, Le sport au Moyen-Âge, Rennes, PUR, 2002, p.222. 5 « sorte de balle de cuir de la grosseur d’une paume, qu’on lançait avec une baguette tenue dans la main, se terminant par une large courbure dont le milieu était fait de cordes de boyaux entrelacés ». Marie Cégara, Jeux de balle en Picardie, Paris, L’Harmattan, 1998, p.86. Elle se réfère à : René Truchet, Le jeu de paume et le sport universitaire, Bordeaux, imp. Delmas Chapon, 1934. La référence est originellement citée par : Du Cange, Dissertation sur l’histoire de Saint-Louis. 6 Mercurialis, De Arte gymnastica, 1565. 7 En se retreignant aux livres français les plus célèbres, on peut citer ; G. Depping Merveilles de la force et de l'adresse, Paris, Hachette, 1869. Henry René d’Allemagne, Sports et jeux d'adresse, Paris, Hachette, 1903. Jean- Jules Jusserand. Les sports et jeux d'exercice dans l'ancienne France (1901), Paris, Genève, Champion-Slatkine, 1986. 8 D. Vaissette, Histoire générale du Languedoc, Paris, 1733-1745, 5 vol. in-fol., t. II, preuves, col. 518. Cité par Jean-Jules Jusserand, op. cit. 5 qualifier des activités un peu différente. Au XIXème siècle 23 , un jeu de soule appelé « éteur » ou « éteuf » se déroulait encore en Basse-Normandie 24 . 1.2. La différenciation des formes de jeu Vers la fin du Moyen Âge, les sources décrivant ce jeu se multiplient et donnent quelques précisions sur les formes et les lieux de pratique. Ainsi, sa localisation géographique est surtout restreinte au nord de la Seine, en Normandie, en Picardie, en Bretagne même si elle est parfois référencée dans d’autres régions comme dans le Sud-Ouest (Gironde) ou le centre de la France. La forme la plus commune consistait en un affrontement collectif plus ou moins déterminé socialement autour d’une balle à la taille et à la texture variable. A Coriat, au Moyen Âge, en Auvergne, les gens mariés rencontraient les gens non mariés dans un jeu de soule 25 . Dans l’Ardéche, à Crussols, commune de Charmes, le jeu consistait sous le nom de surla à faire « boire » la soule dans « l’Embroye » (rivière ou étang). Certes, le jeu se déroulait le plus souvent à la campagne, mais l’urbanisation n’étant pas encore bien développée, les parties franchissaient allègrement les frontières des cités. A Paris, le procès- verbal de police du 2 mars 1393 26 , mentionne le déroulement de rencontres et le jeu pouvait se disputer, selon Jean-Jules Jusserand, devant l’église Saint-Eustache. Cependant, derrière l’expression générique de soule, une multitude de pratiques existe. Arnold Van Gennep 27 , un des premiers spécialistes du folklore français, a proposé de distinguer les jeux caractérisés par la course et la vitesse, des jeux de type « certaminal » (de bataille). Le jeu de l’esteuf qualifierait les premiers du nom de la balle de cuir remplie d’étoffe. Le second type de soule serait celui, plus connu, qui rassemble des équipes de joueurs à travers champs pour disputer une balle ou pelote. Il serait joué principalement en Bretagne, en Normandie et en Picardie. L’auteur distingue enfin un troisième type de pratique moins courant ressemblant à une sorte de basket-rugby en vigueur vers la fin du XIXème siècle. Ce jeu, consistait en l’affrontement de deux équipes dans un endroit délimité avec un but en forme de cercle d’une trentaine de centimètres recouvert d’une toile et situé à quelque hauteur. Il fallait, pour les joueurs, crever la toile, à condition que le lanceur se situe à au 23 André Dubuc, op. cit. 24 Jules Lecoeur, Esquisses du Bocage normand, tome II, pp.153-165, cité par André Dubuc, op. cit. 25 Bernard Merdrignac, op. cit., p.227. 26 Alexandre Sorel, op. cit. 27 Arnold Van Gennep, Le folklore français, T1 Du berceau à la tombe, cycle de carnaval, carême et de Pâques , Paris, Bouquins,1998. 6 moins cinq mètres 28 . Mais cette distinction entre pratique de vitesse et d’agilité, d’une part, et activité « guerrière » plus violente, d’autre part, est largement hypothétique. Certains jeux peuvent aussi bien relever de l’un ou de l’autre. Ainsi, « biller les éteux » 29 consistait à frapper une balle remplie d’argent, lancée parmi les jeunes célibataires, placée sur une planchette au moyen d’un morceau de bois ; la partie donnait lieu à de furieuses empoignades qui auraient survécu jusqu’en 1890 30 . Toutefois, la grosseur de la balle et les conditions géographiques où se déroulent les parties sont au cœur de la disparité des pratiques. Ainsi, la balle pouvait être une vessie de porc ou de bœuf, simplement huilée ou recouverte de cuir. Dans ce cas elle était soit gonflée et donc légère, soit garnie de son ou de chanvre et donc plus pesante. Mais elle pouvait aussi être en bois plein ou creux et donc être plus lourde ; on la disputait alors généralement au bâton 31 car elle se prêtait alors assez bien aux surfaces glacées permettant de la faire glisser. A à Chauriat dans le Puy-de-Dôme où l’on se servait, le jour de noël, d’une boule en bois dite boule de chalandas. Un jeu de choule à la crosse très similaire est décrit par Emile Zola dans Germinal. On peut y voir, cependant, une combinaison de plusieurs jeux. L’esprit de la soule traditionnelle est présent en ce sens que le jeu se déroule à travers champs. Mais la notion de gagne-terrain (en « cholant » et en « décholant »), ainsi que l’enjeu (« une casquette neuve et un foulard rouge ») rapprochent la pratique du jeu de paume. Enfin, la frappe de la « cholette », petite balle en buis, à l’aide d’une crosse, maillet en « fer oblique », en un nombre de coups déterminés, son renvoi à partir de l’endroit où elle tombe, et l’équipe, au nombre de deux, prêtent à ce jeu certains aspects du golf. Bien sûr, des différences essentielles avec les sports modernes peuvent être relevées. Par exemple, les joueurs s’arrêtent fréquemment dans les estaminets pour boire des « choppes ». De même, l’arbitre et les règlements écrits brillent par leur absence. Tous ces éléments donnent à cette partie un aspect convivial traditionnel qui résonne particulièrement en cette période de « fin des terroirs » et l’avènement d’une société industrialisée. En définitive, les jeux de choule ou de soule ne sont certes pas des pratiques traditionnelles figées. Mais elles paraissent d’autant plus difficiles à appréhender que certains ethnologues ou historiens des jeux, à l’image de Van Gennep, les ont étudiées sans vraiment 28 La pratique est confirmée par André Dubuc et par un extrait de journal retraçant une partie de soule à St léger (Picardie) en 1930 fourni par un site internet. http://assoc.wanadoo.fr/saintleger. 29 Cf. Arnold an Gennep, op. cit. 30 André Dubuc, op. cit. 31 Roger Lecotté, « Le jeu de la soule à Brée », in Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne, Laval tome 67, 1957-1958. 7 tenir compte de leur évolution historique et sociale dans un processus de civilisation plus générale. 2. SOULE ET PROCESSUS DE CIVILISATION 2.1. Un jeu violent, mais régulé 10 attraper des coqs et des poulets qui servaient, sinon directement de balle, du moins d’enjeu conduisant à des mêlées indescriptibles 46 . 2.2. Soule et interdictions Mais le statut de la soule est ambiguë car elle n’a jamais été pleinement reconnue, ni par les autorités royales, ni par la noblesse, ni même par le clergé ou les médecins. En conséquence, le jeu n’a pas accédé au statut de pratique académique et aucun traité ne l’a évoqué contrairement aux multiples manuscrits et livres qui se font jour à partir du Xvème siècle concernant l’escrime, la danse, la vénerie, la gymnastique, la natation ou le jeu de paume. Il a suscité de nombreux désordres qui ont donné lieu à de multiples interdictions dans toute l’Europe. Eric Dunning et Kenneth Sheard relèvent ainsi trente décrets ou actes lancés par le roi ou les parlements anglais entre 1314 et 1667 47 . Le premier édit d’interdiction contre ces « rageries de grosses pelottes », sources de noises, de troubles et de blessures, aurait été pris par Édouard II, le 13 avril 1314. Ces interventions royales montrent que le jeu acquiert une dimension nouvelle dès le bas Moyen Âge qui croît parallèlement à la mise en place d’un nouvel espace politique européen. Des frontières relativement stables se constituent symboliquement marquées, selon Georges Duby, par la bataille de Bouvines (1214) 48 . Une nouvelle réalité sociale, économique et culturelle se met en place d’où émerge la séparation entre société civile et Etat 49 . Des formes inédites de sociabilités en découlent dont ce jeu « collectif » est partie prenante. Il est l’expression d’une certaine solidarité collective entre paysans, bourgeois et seigneurs ainsi que l’atteste la délibération de l’échevinage d’Amiens, du 17 février 1465 : « chole que ou temps passé Messieurs souloient faire à leurs sujets et chevauchement le jour des quaresmeaux ; eux et tous les échevins accompagnés des notables bourgeois de la ville, chascun an à le Fosse- Ferneuse, à le Fosse-Alais et autres lieux, et donnait monsieur le Maïeur, la boule ou estoef aux choleurs qui choloient » 50 . Mais alors que localement le jeu est encouragé, nationalement le jeu entre en concurrence avec des pratiques plus utilitaires pouvant servir militairement. En France, l’ordonnance de Philippe V prohibe, en 1319, tous les jeux dont la soule («ludos soularum») 46 Richard Holt, Sport and the British, Clarendon, 1989. 47 Eric Dunning & Kenneth Sheard, op. cit., p.20. 48 Georges Duby, La bataille de Bouvines, Paris, Gallimard, 1973. 49 Jenö Szüc, Les trois Europes, Paris, L’Harmattan, 1987. 50 Alexandre Sorel, op. cit. 11 qui ne sont pas susceptibles de « servir à la défense de notre royaume » 51 . Le tir à l’arc, à l’image de la pratique anglaise et écossaise, est alors encouragé. Un peu plus tard, Charles V, le 3 mars 1369, interdit, en son Hôtel de Saint-Pol-lez-Paris, tout jeu de «solles» 52 et « enjoint à ses sujets de s’exercer plutôt au tir de l’arc et de l’arbalète » 53 . En Angleterre, de nombreux édits et actes dont promulgués sur le même sujet dont la déclaration des sports de James 1 er en 1617 54 est la plus célèbre. Mais les interdictions parviennent tout juste à limiter voire à canaliser ces jeux qui empiètent parfois sur les jours dédiés au seigneur. Le 14 février 1464, une ordonnance de l’échevinage d’Amiens l’interdit seulement les jours de carêmes 55 . Les délinquants pouvant être frappés d’une amende de 60 sols. A la Renaissance, le jeu semble perdre un peu de cette notion de solidarité collective et identitaire. Il ne sert pas à éduquer les jeunes nobles, et paysans et bourgeois ne se côtoient plus qu’exceptionnellement dans des parties de soule effrénées. Si le roi de France Henri II choule à l’occasion, le jeu semble toutefois sensiblement euphémisé 56 et se déroule entre gens de bonne compagnie. En Angleterre, Stubbes, dans son Anatomie des abus, s'élève contre le football, l'un de ces «passe-temps diaboliques», usités même le dimanche, « jeu sanguinaire et meurtrier plutôt que sport amical» ou l’on cherche « à écraser le nez de son adversaire sur une pierre » 57 . Pour l’auteur, ce jeu ne donne lieu qu’à des côtes enfoncées, des jambes rompues et des yeux arrachés et nul ne s'en tire sans blessures 58 . A cette époque, la soule prend une connotation définitivement rurale et le jeu de paume devient plus citadin et bourgeois. Le filet central, séparant deux ou plusieurs joueurs 59 , la comptabilisation des points, en font définitivement une pratique originale 60 et académique au point que Rabelais y fait jouer son héros Gargantua. 51 Jean-Michel Mehl, op. cit., p.361. 52 Alexandre Sorel, op. cit. 53 Robert Favreau, « Fêtes et jeux en Poitou à la fin du Moyen Âge », in Jeux, sports et divertissement au Moyen Âge et à l’Âge classique, Paris, éditions du CTHS, 1993, p.37. 54 Appeler classiquement, The book of sport. Cf. Wiggleworth, The Evolution of English Sport, London, Frank Cass, 1996. Richard Holt, Sport and the British, Oxford, Clarendon Press, 1989. 55 Alexandre Sorel, op. cit. 56 Le roi aurait joué à la soule à Paris au Pré-aux-Clercs selon Claude Binet. Cf. Claude Binet, Discours de la vie de Pierre Ronsard, Paris, 1586, p.8. 57 Stubbes, Anatomy of Abuses, 1583, éd. Furnivall, 1877, t. I, p. 184. Cité par Jean-Jules Jusserand. 58 Op. cit. 59 Marie Cegara atteste de la présence d’équipes pouvant dénombrer 8 joueurs dans la version picarde du jeu de longue paume. Cf. Marie Cegara, Jeux de balle en Picardie, Paris, L’Harmattan, 1998, p.184. 60 La première réglementation est présentée par Antonio Scaino : Trattato della pala, 1555. Forbet Galien Claude J., L’utilité qui provient du jeu de la paume au corps et à l’esprit. Traduict du grec de Galien en françois. Avec une déclaration de deux doutes qui se trouvent en comptant le jeu de la paume, le tout depuis augmenté des raisons aux difficultez qui peuvent advenir joüant à iceluy, avec les règles du jeu de prix, par Forbet l’aisné maître en cet exercice (Texte imprimé), Paris, MD C XCIX, 1599, 20 pages, Déclaration de deux doutes qui se 12 Au cours du XVIIème siècle, le poids de la religion s’accentue encore envers les distractions populaires. De multiples confréries dévotes remplacent les anciennes. La religion, en particulier les Jansénistes, attaquent les fêtes fastueuses et les décorum 61 . La « confiscation des pratiques traditionnelles par le clergé » 62 vise à récupérer les fêtes dans le but de contrôler les pratiques religieuses le dimanche et les fêtes des Saints. Selon Alexandre Sorel, on choulait dans l’Oise, soit le Mardi-Gras surnommé jadis le jour des quaresmeaux, soit le lundi de Pâques ou bien encore à Noël. A Amiens, le jour de la Saint Firmin (25 septembre) était principalement retenu et, dans les environs de Dieppe, le jeu se déroulait à la Saint- Martin (11 novembre). Si la première cible du clergé est la danse 63 , activité spécifiée dans les grands jours de Clermont de décembre 1666, le jeu de soule est aussi concerné puisqu’il est assimilé aux fêtes baladoires (de bal). La religion s’entend de concert avec la bourgeoisie pour augmenter l’outil de production en tentant de diminuer les réjouissances paysannes ou fêtes baladoires lors des jours fériés et les dimanches instaurés au XIIIème siècle 64 . Ainsi, bien que c’est « au cours de la seconde moitié du XVIIème siècle que la victoire du loisir sur le travail devient irréversible », « le nombre des fêtes ne doit pas faire trop illusion » 65 . Sur les presque trois mois de fêtes (80 jours), nombreux étaient les jours travaillés qui, selon les moments et les difficultés économiques, conduisaient à « réduire les fêtes au nombre de trente » 66 en plus des dimanches. Au cours du XVIIIème siècle, le soutien des autorités change. La question religieuse évolue et aborde les problématiques liées à la santé publique et à l’ordre social 67 . A Brée, en 1761, « l’arrest » du parlement 68 interdit de « se presser les uns contre les autres, gagner ainsi des maladies et mourir ». La promiscuité est liée à la peur de la peste et fournit assez souvent des arguments pour proscrire le jeu en invoquant la santé. Mais, rapidement, les trouvent en comptant le jeu de la paume, Une vingtaine de pages, suivi par Le jeu royal de la paume, dédié à M. Morin, Paris, Charles Hulpeau, pp.10-12. 61 Yves-Marie Bercé, Fêtes et révoltes des mentalités populaires du XVIème au XVIIIème siècle, Paris, Hachette, 1976, p.144. 62 Yves-Marie Bercé, op. cit., p.146. 63 Yves-Marie Bercé, op. cit., p.150. 64 Robert Favreau, op. cit. 65 Yves-Marie Bercé, op. cit., p.150. 66 Yves-Marie Bercé, op. cit., p.153. 67 On retrouve ici, la problématique foucaldienne du bio-pouvoir. Cf. Jean-François Loudcher, Penser les origines du sport : essai de définition historique à la lumière foucaldienne, HDR, Besançon, 10 octobre 2002. 68 Roger Lecotté, « Le jeu de la soule à Brée », in Bulletin de la commission historique et archéologique de la Mayenne, Laval tome 67, 1957-1958. L’auteur produit en annexe le document originel. Arrest de la cour du Parlement qui défend au dernier garçon marié de la paroisse de Brée, et à tous autres, de jetter aucune boulle de cuir, de faire des attroupements, et de fréquenter les Cabarets pendant le service Divin, 1761. 15 balle était en cuir rouge, un autre en cuir bleu et les deux autres blancs, elle pouvait être parsemée de croissants et de crosses aux armes de l’abbaye de Roncevay qui la recevait 78 . Le jeu de soule présente, à l’Âge classique, un rapport complexe dans sa relation à l’autorité locale qui détient un pouvoir dans la mesure où le peuple le lui accorde. Mais, progressivement cette relation se distend. Témoin, le Marquis de Clermont (Sarthe) qui s’absente pendant onze présentations de la soule. En vaquant à d’autres occupations (guerres), il montre qu’il ne juge pas cet acte très important. De la même façon que les liens sociaux ont évolué sensiblement à la Renaissance, la fin de l’Âge classique consacre des relations beaucoup moins « mécaniques » 79 entre le peuple et l’autorité. Dès la fin du XVIIème siècle, les exercices guerriers des milices bourgeoises entre autres ont perdu de leur utilité à cause de l’efficacité des armées croissantes due à la diffusion des fusils (bataille de Steinkerque, 1699) 80 . De plus, la nécessité de développer des corps professionnels s’est accrue pour éviter les maladresses des « bourgeois » comme le relève Yves-Marie Bercé 81 . Les confréries rivales d’arbalétriers, d’arquebusiers, d’archers sont obligés de fusionner suite à la diminution de leurs effectifs, comme à Besançon en 1772, car elles ne sont plus financées par les villes 82 . Les liens sociaux traditionnels se défont. D’autres sont alors à construire. Avec le passage, au XIXème siècle, à une société moderne, les rituels évoluent et le jeu de soule se transforme. Portées par le romantisme de l’époque, les parties font parfois l’objet de poèmes homériques retraçant les péripéties du jeu comme en Normandie, à Clarigny, où elle est toujours courue en 1830 83 . Encore jouée en Bretagne au XIXème siècle, l’envoi de la soule, en cuir ou en bois, par le curé ou par le seigneur, se déroule après la messe et témoigne peut-être d’une région plus attachée à ses traditions et à ses rituels. Mais, d’une manière générale, les fêtes deviennent l’affaire des autorités et la soule se pare une symbolique nouvelle 84 . En 1857, le Préfet de Bretagne prend un arrêté interdisant ce jeu 85 dans une société qui ne le soutient plus. Il est précédé par l’arrêté préfectoral de Basse-Normandie cinq ans 78 Revue de Bretagne et de Vendée, Tome VI, « Recherches historiques sur quelques droits et redevances bizarres au Moyen-Âge », 1959, pp.349-353, cité par André Dubuc, op. cit. 79 Cf. Durkheim, De la division sociale du travail, 1893. 80 Développement de l’ordre mince et des exercices militaires corporels d’après M. Foucault. Cf. Michel Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975. Georges Vigarello, Le Corps redressé, Paris, Delarge, 1978. 81 Yves-Marie Bercé, op. cit., p.116. 82 Yves-Marie Bercé, op. cit., p.116. 83 Cf. Mangon-Delalande, op. cit. Les auteurs n’hésitaient pas à mettre en vers certains épisodes fameux retraçant des affrontements épiques ou des exploits célèbres comme celui de l’affrontement de boxe entre l’Anglais Dickson contre Rambaud dit la Résistance en 1852. 84 Cf. Mona Ozouf, La fête révolutionnaire, 1789-1799, Paris, Gallimard, 1976, p.42. 85 Yves-Marie Bercé, op. cit. p.182. 16 plus tôt en même temps que celui promulgué dans l’Orne 86 . A la fin du XIXème siècle, Alexandre Sorel 87 perçoit un emblème très fortement républicain dans l’organisation du jeu. La balle est habituellement gardée chez « le maire ou à la mairie de la commune, semblable au drapeau du régiment qui demeure chez le colonel ». D’ailleurs, l’éteuf, n’est-il pas quelquefois lancé par des conscrits ? Ceux de Bellou-en-Houlme (Basse-Normandie) offraient et lançaient sur la place de l’Eglise, le jour du Mardi Gras, cette soule qui avait 3 pieds de tour et pesait plus de 10 livres. Les joueurs ne conservaient que leur chemise et leur pantalon ; la plupart se serrait la taille dans une forte ceinture de cuir. Sept à huit cents souleurs y prenaient part et cinq à six mille paysans se déplaçaient pour la voir selon André Dubuc 88 . Le jeu reprend à son compte ces actes anciens en les assimilant à des rites de passage recréant ainsi une tradition 89 . Au XIXème siècle, la soule devient autant sinon plus un spectacle qu’une pratique traditionnelle. Mais, désormais, les anciens partages sont rendus caduques par les nouvelles organisations sociales à l’oeuvre. Les équipes de joueurs formées de bacheliers et d’hommes mariés n’ont plus les mêmes raisons d’exister. L’exode rural et la déperdition des croyances religieuses que connaît la France dans son expansion industrielle modifient les relations sociales. Il est probable que, durant cette période, l’habitude de s’affronter à la choule entre villages s’instaure alors que jusqu’à présent les rencontres entre classes sociales se produisaient le plus souvent. Par ailleurs, d’autres formes de jeu plus euphémisées, comme celle du Basket-Rugby évoqué par Arnold Van Gennep, apparaissent. Enfin, il ne s’agit plus seulement de noyer la soule, mais de se l’accaparer afin de s’octroyer les piécettes d’argent qu’elle contient parfois. La nette diminution des violences rurales, à partir des années 1860 90 , participe à cette transformation de la civilisation. La fin des terroirs 91 , au tournant du XIXème et XXème siècles, exprime l’idée de l’avènement d’une société moderne qui ne se satisfait plus des violences désordonnées des parties de soule. D’ailleurs, cette dimension symbolique et euphémisée de la violence est essentielle dans les jeux modernes collectifs qui se mettent en place tels le football, le de rugby ou le basket-ball (1891) à la fin du XIXème siècle. L’affrontement collectif de la soule réservait 86 André Dubuc, op. cit. 87 Cf. Alexandre Sorel, op. cit. 88 André Dubuc, op. cit. 89 Hobsbawm Eric & Terence Ranger (eds), The invention of Tradition, Cambridge, Cambridge University Pesse, 1983. 90 Cf. Alain Corbin, « L’histoire de la violence dans les campagnes françaises : esquisse d’un bilan » in Ethnologie Française XXI, 1991, 224-236. 91 Eugen Weber, La Fin des terroirs. La modernisation de la France rurale. 1870-1914, Paris, Librairie Arthème Fayard/Éditions Recherches, 1983. 17 une place à l’individu pris dans une communauté à laquelle il appartenait : il se sentait alors exister par les liens tissés enŔdehors de la rencontre. Dorénavant, le sport moderne permet une valorisation individuelle, à des niveaux divers, des joueurs pour eux-mêmes. Le temps des héros sportifs peut alors advenir à la condition de mettre en place des institutions sportives locales, puis nationales, garantes de l’homologation des exploits. Or, est-ce bien seulement sous l’influence anglaise que ces transformations ont lieu en rugby ? 3. LA SOULE, ANCETRE DU RUGBY ? 3.1. Du Rugby et de ses antécédents en Angleterre Certes, le rugby a une réelle dette envers les Anglais. Mais jusqu’à quel point ? En effet, peut-on parler de culture rugbystique anglaise lorsque l’on sait la participation des Gallois, des Irlandais, des Ecossais et que l’on connaît leur antagonisme ? Plus encore, les règles de 1845-1846 sont élaborées à Rugby dans une Public-School très élitiste dont le but n’était certes pas l’expansion de ce jeu. Dans quelle mesure, cette codification est-elle réellement significative de la naissance de ce sport moderne ? Bien sûr, la séparation progressive avec le football est en marche, mais ne faudrait-il pas plus retenir l’acte fondateur de William Webb Ellis, en 1823, ou la création de la Rugby Union, en 1871 ? Car si les Public Schools anglais ont donné naissance à la codification en vigueur, ils ont néanmoins largement emprunté à celles déjà existantes. En effet, outre les références directes à la soule, plusieurs formes de jeu de balle sont largement attestées dans l’histoire anglaise. Shakespeare, dans le Roi Lear 92 ainsi que Sir Thomas Elyot, en son livre du Gouverneur 93 , évoquent le « football » en notifiant sa dimension violente. Dans le Pays de Galles, le knappan, sorte de choule à la crosse, est très répandu. Mais c’est le hurling de Cornouailles (to hurl : lancer ou jeter), région aux fortes traditions, qui développe des règles proches de celles du rugby actuel, du moins dans l’une de ses formes. Richard Carew, en 1602, distingue deux sortes de hurling : l’un « au but » qui se joue à l’Est de la Cornouille, assez proche de la forme actuelle du rugby, et l’autre, « au pays », à l’Ouest de la Cornouailles, aux règles plus vagues. La partie de hurling au but commence par la délimitation du terrain ; 92 «misérable joueur de football» ; «You base football player». Shakespeare, King Lear, Comedy of Errors, 1, 4. Un des deux esclaves, ballotté entre les deux maîtres qui se ressemblent, se plaint d'être traité en football: « That like a football you do spurn me thus » (II, I.). 93 «...Wherfore it is to be put in perpetuall silence». Thomas Elyot, Gouernour, 1531; éd. Croft, 1880, t. I, p.295. 20 (Monarchie constitutionnelle) et de son insularité. Les paysans anglais, dépossédés des terres communales qui leur permettaient de subsister, deviennent économiquement plus indépendants à l’égard des grands propriétaires puisqu’ils doivent chercher d’autres moyens pour vivre. Du coup, ils accordent une signification toute particulière aux terres restantes car elles leur donnent la possibilité de se retrouver collectivement pour jouer et se distraire. Ainsi, en 1728, les villageois de Great Tey (Essex) gagnent le jugement les opposant au Landlord qui voulait labourer le champ pour le semer alors qu’il est utilisé pour le « traditionnel feu de joie du 5 novembre et (est un) site de football » 105 . Le manque d’espace accroît l’investissement symbolique envers un territoire collectif spécifique qui n’a plus de fonction utilitaire. Plus encore, les individus s’identifient à ce nouvel espace qui peut alors agréger plusieurs villages car il permet de défier un groupe adverse plus facilement reconnaissable, généralement réuni en un comté. En cricket, par exemple, le premier match d’une longue série mettant au prise deux comtés est enregistré dès 1709 106 . Ces rencontres contribuent à élaborer une identité locale qui n’est plus celle promue par la tradition rurale. Les distinctions ne sont plus seulement basées sur des partages sociaux visibles tels que l’âge ou le mariage mais, au contraire, sur des réalités géographiques et des distinctions locales. On s’affronte régulièrement que ce soit en Cricket, en boxe ou en football dans des lieux donnés. Parfois, des haines entre les paroisses, ces « petites républiques », s’expriment à travers le football et les combats de coqs 107 . L’espace ludique est identifié à une personne ou à un groupe de personnes. Plus encore, lorsque est en jeu la notoriété d’une région contre une autre, ou qu’un comté défie les autres comtés, la référence nationale, en tant que système comparatif et fédérateur, devient incontournable que ce soit en cricket ou en football. Le système des enclosures conduit les individus à octroyer à certains lieux une fonction spécifique aux terrains de football, de cricket ou de jeux traditionnels, élément clef dans la constitution du sport moderne selon Georges Vigarello et Roger Chartier 108 . Si, en boxe 109 , au milieu du XVIIIème siècle, la nécessité de former des individus capable de défendre la nation est un argument clef pour faire valoir la discipline, trente ans plus tard, les boxeurs sont régulièrement identifiés à leurs 105 Dennis Brailsford, A taste for diversion, Sport in Georgian England, Cambridge, The lutterworth Press, 1999, p.41. 106 G. B. Buckley, Fresh Light on Pre-Victorian Cricket A collection of New Cricket Notices from 1709 to 1837, Birmingham, Cotterell and Co, 1937, p. 1. 107 "In Parishes and Schools, the Thirst of Glory still obtains. At the seasons of football and Cockfighting these little Republicks reassume their national Hatred to each other” Spectator, july 16 th 1712. Cité par Morris Marples, A history of football, London, Secker and Warburg, 1954, p88 108 Roger Chartier & Georges Vigarello, « Les trajectoires du sport”, in Le débat, n°13, 1982. 109 John Godfrey, A Treatise Upon the Useful Science of Defence, London, Printed for the author, 1747. 21 comtés. Le sentiment national110 se construit dans la nécessité d’établir une reconnaissance individuelle en l’absence de la possession de la terre 111 . En effet, selon Norbert Elias 112 , l’absence de paysans-propriétaires et la domination des grandes propriétés terriennes instaureraient un rapport beaucoup plus libre qu’en France 113 . Dans l’Hexagone, une sorte de contrat tacite fondé sur la terre s’élaborerait plus facilement entre nobles et petits paysans terriens. Dès lors, ne faut-il pas s’étonner que le droit anglais se souci plus de l’individu 114 que de la terre qui appartient aux puissants et a peu de garantie de subsistance 115 ? Sans doute, le sentiment national se construit plus qu’en France dans l’expérience quotidienne. Pour Dennis Brailsford, « le football, au milieu de l’époque georgienne, quelles que soient ses formes locales, constituait une commune et virtuelle expérience nationale à travers sa vigueur, sa conduite et son élémentaire attraction” 116 . Quoiqu’il en soit, la donnée géographique est fondamentale pour comprendre la construction politique et sociale du pays et, en définitive, le déroulement et la transformation de la soule en des Past-Times spécifiques. Plus encore, elle permet de dépasser une opposition un peu vaine entre culture anglaise et française. En effet , ce jeu nécessite une relation particulière entre paysans et seigneurs s’établissant autour des travaux agricoles. Pour André Dubuc, la soule réclamait de larges surfaces ouvertes propices aux rencontres à travers champs ensemencés, prés, herbages, aux clôtures mal définies. Les champs ouverts étant communs depuis la rentrée des récoltes jusqu’à Pâques, les chouleurs pouvaient se ruer comme « une meute lancée après un cerf, non sans commettre, à leur passage, dans la frénésie de la lutte, des dégâts » 117 . Ils pouvaient sans crainte d’être poursuivi les parcourir. 110 Bernard Cottret avance l’idée que l’Angleterre est un Etat-Nation au XVIIIéme siècle. Bernard Cottret, Histoire d’Angleterre, XVIè-XVIIIè siècle, Paris, P.U.F., 1996. 111 Les doctrines économiques respectives sont révélatrices. En particulier, alors que les économistes anglais, tels Adam Smith ou Ricardo postulent le travail comme une richesse, les physiocrates français tels Du Quesnay, valorisent eux l’agriculture. 112 Norbert Elias, La société de cour, Paris, Calmann-Levy, 1974. 113 Bien qu’une dichotomie aussi catégorique entre paysannerie française et anglaise soit discutable. Cf. Poussou Jean-Claude, La terre et les paysans en France et en Grande-Bretagne aux XVIIème et XVIIIème siècles, C.N.E.D.-S.E.D.E.S., 1999. Pour l’auteur, certaines régions de France adoptent aussi un tel système d’enclosure dès l’Âge classique permettant de cultiver de grandes surfaces avec un fort rendement. La différence essentielle entre les deux pays n’est pas la quantité produite, ni même les techniques qui sont employées, mais la division sociale du travail plus efficace Outre-Manche. Il est vrai que la France, au XVIIIème siècle, connaît, d’une part, un accroissement démographique important autorisant l’utilisation d’une main d’œuvre à peu de frais et que, d’autre part, les petits propriétaires sont plus nombreux dans l’Hexagone même si de grandes propriétés équivalente à celles rencontrées en Angleterre existent aussi en Ile de France. 114 Notifiant l’Habeas Corpus en 1679 qui oblige la présentation devant un juge pour celui qui est accusé. 115 Il ne faut pas oublier les utilitaristes français du XVIIIème tels d’Holbach ou Helvétius qui défendent des problématiques similaires aux Anglais mais dont la portée des thèses est plus confidentielle. 116 Dennis Brailsford, A taste for diversion, Sport in Georgian England, Cambridge, The Lutterworth Press, 1999, p.43. 117 André Dubuc, op. cit. 22 Or, il en serait tout autre après la Révolution française où « tout fermier s’appuyant sur le droit nouveau, put s’opposer au passage des joueurs sur ses champs » 118 . Bien que les relations qui s’établissent autour de l’espace sont globalement différentes de part et d’autres du Channel, les processus sont toutefois assez semblables. Au-delà de l’aspect géographique, la réflexion autour du lien socio-économique qui en découle mérite d’être poursuivie. Peut-on expliquer que la soule se pratique plus en Normandie, en Picardie et en Bretagne que dans l’Est ou le Sud de la France à l’âge Classique par la nature de ces liens et de la spécificité des cultures agricoles ? La soule ne réclame-t-elle pas à la fois des espaces non clôturés, une agriculture traditionnelle et une main-d’œuvre symboliquement et réellement liée aux propriétaires ? On peut alors comprendre que ce jeu ne s’inscrive pas dans une continuité historique automatique. Il est encore joué en France au XIXème et au Xxème siècle 119 car il est probable que cette relation socio-économique particulière puisse encore perdurer dans quelques endroits. De plus, l’évolution symbolique constatée au XIXème siècle nourrit la soule d’autres finalités. Dans un même ordre d’idée, la barrette répandue par Philippe Tissié dans le Sud-Ouest, permet très certainement une ré-interprétation du jeu de soule par le biais d’une ré-appropriation nationale 120 . Dès lors, dans quelle mesure peut-on affirmer que le rugby est d’origine anglaise s’il résulte lui-aussi de transformations socio- économiques spécifiques qui ont lieu aussi bien en France qu’Outre Manche ? . 3.3. Le rugby : un sport moderne anglais ? Les règles de 1845 augurent-elles d’une évolution fondamentale du rugby ? On se peut se le demander lorsque l’on considère qu’elles sont dues à des réformes éducatives qui concernent toute l’Europe au même moment 121 . Toutefois, la particularité de ces Colleges est d’utiliser les activités physiques comme levier pédagogique. L’école de Rugby fait partie des sept Public Schools 122 qui se sont vues destiner à former, au cours du temps, l’élite de la 118 Ibid. 119 Selon Lecotté, au début du Xxème siècle, 35 villages de l’Oise la pratiquait. En 1946, ils étaient 35 et, dans les années 50, une quinzaine annonçaient la jeu qui prend des vrais allures de foires et de fêtes. Actuellement, quelques irréductibles tentent de la relancer dans le nord et le sud de la France mais selon des critères plus « actuels ». 120 Les références à la Barrette avant le XIXème siècle n’ont pas été trouvées. Il est légitime de penser que le jeu fut ré-inventé à partir de traditions diverses (comme le jeu de soule dans un champ avec un cercle de toile à percer) auxquelles P. Tissié souscrivit largement. 121 On peut évoquer les Philantropistes allemands avec Basedow, en 1770, les Suisses avec Pestalozzi, Tissot, Desessartz, les Français avec les Lumières et les plans d’éducation de la Révolution française… 122 Ce sont, Charterhouse, Eton, Harrow, Rugby, Shrewsbury, Westminster et Winchester. Mais un classement subtil existe au sein de ces Colleges. Eric Dunning & Kenneth Sheard, op. cit., p.40. Ces Colleges sont nommés “Public” parce que les professeurs qui enseignaient ne les possédaient pas (dans ce cas on les appelait « Private ») et étaient rémunérés par un ensemble de personnes constitués en « board ». 25 Néo-Zélandais, des Gallois, puis des Français, le jeu se transforme en favorisant l’utilisation des arrières valorisant ainsi un rugby de contournement plutôt que de percussion 136 . En réalité, l’influence anglaise est limitée dans l’expansion du rugby. Après les premières implantations du rugby par des Anglais au Havre (HAC, 1872), à Bordeaux avec l’Athletic Club (1876) et à Paris avec le club des English Taylors (1877), les Français prennent rapidement leur destinée rugbystique en main dans la décennie suivante. Les grands lycées parisiens donnent naissance aux premiers clubs (Racing Club, 1882 ; Stade Français, 1883) marquant le début du phénomène « sportif » dans l’Hexagone. Mais ces associations comptent souvent, dès l’origine, des Français parmi ses rangs. A Bordeaux, par exemple, quatorze membres fondent le club (5 Français et 9 Anglais) à l’intérieur duquel se pratiqueront le « football » et le « cricket » 137 . Parfois même, l’influence anglaise est assez lointaine. A Toulouse, selon Paul Voivenel, il existait depuis 1890, à l’internat du Lycée Pierre de Fermat, la « Ligue Athlétique du Lycée » 138 . Elle est créée dans la dynamique de l’association girondine propulsée par Philippe Tissié 139 , et grâce à l’aide du recteur de l’académie M. Ouvré, elle donnera naissance, deux ans plus tard, au club des « Sans-soucis ». Ce dernier avait eu, comme promoteur, Mercadet, joueur de rugby au lycée Michelet, puis Talavignes qui en « aurait eu la révélation au lycée de Reims » 140 . L’association est alors présidée par le maître-répétiteur Claustre qui deviendra le secrétaire général du Stade Toulousain en 1896. Mais la création de ce club reviendrait aux externes du lycée qui, trois ans plus tôt, auraient lancé un groupement informel. La première rencontre avec le club des « Sans-soucis » se serait déroulée pour la première fois à la fameuse prairie des Filtres (cours Dillon actuellement) en 1893. Mais on ne sait si le jeu était de la barrette ou du rugby 141 . Quoiqu’il en soit, trois ans plus tard, le premier match de rugby a lieu, au même endroit, entre le Stade Bordelais et l’Union Athlétique du lycée de Toulouse. La rencontre, alors arbitrée par l’Ecossais travaillant à Bordeaux M. Schearer, est présidé par le Proviseur du Lycée 142 . 136 Jean Lacouture, Voyous et gentlemen, une histoire du rugby, Paris, découverte Gallimard, 1993, p.31. 137 Le 15 mars 1876, B. Small, 30 ans, employé de commerce, fait une demande auprès du Préfet pour créer l’Athletic Club dans le but de « développer les exercices du corps ». Le club, basé à Merignac, reçoit l’autorisation presque un an plus tard. Cf. Archives Départementales de Bordeaux. 138 Voivenel, p. 47. 139 Faut-il rappeler que Philippe Tissié crée, avec un Anglais, la Ligue Girondine d’Education Physique en 1888 ? 140 Ce dernier l’exportera plus tard dans l’Aude. Paul Voivenel, Mon Beau rugby, Toulouse, L’Hérakles, 4 ème éd., 1942, p. 47. 141 Les références sont dues à P. Voivenel. Il évoque l’événement qui se serait déroulé à l’occasion des fêtes du révolutionnaire Bara. Il y a bien eu des fêtes gymnastiques importantes en mai 1893 à Toulouse au Pré aux Filtres, mais aucune information dans les journaux locaux ne valide l’événement. 142 La Dépêche, 31 janvier et 3 février 1896. 26 Rapidement, le rugby se diffuse dans le Sud-Ouest 143 . Profitant du réseau des clubs scolaires lancés par Philippe Tissié, il est aussi largement relayé, dans le domaine civil, par les clubs laïques alors que le football se propage plutôt au sein des patronages catholiques. L’exemple du Sud-Ouest montre combien le champ rugbystique n’est pas si éclaté comme en Angleterre et permet une appropriation et une diffusion rapide. D’une manière générale, le sport anglais est rapidement dépassé dans son expansion internationale comme le notent Richard Holt et Mike Cronin qui réhabilitent la place de la France dans ce processus 144 (les Anglais ne participent pas à la FIFA créée à l’initiative de Robert Guérin en 1904). En résulte alors une certaine domination des Français sur le plan européen avant la première guerre mondiale (1889, U.S.F.S.A. ; 1903, Tour de France, championnat du « monde » de boxe, courses automobiles, exploits aéronautiques…) qui peut s’expliquer par un champ sportif sinon plus homogène, du moins plus « unifié ». Si les schismes existent, ils sont le plus souvent organisés autour de grands thèmes fédérateurs presque « idéologiques » plutôt que pour des raisons sociales et culturelles comme en Angleterre. En France, la séparation du rugby pour des raisons professionnelles n’intervient qu’en 1930 et est rapidement résolue (1932) en créant la fédération amateur qui sera à l’origine de la Fédération de Rugby International Amateur lors de l’exclusion de la France par l’Angleterre (1932). En définitive, c’est le rugby de la fin du XIXème siècle qui peut être qualifié de sport moderne plutôt que celui du début car c’est à cette époque qu’il reçoit sa forme définitive. Sa transformation et son expansion sont dues à un ensemble de facteurs communs au sport moderne. La professionnalisation qui s’instaure parallèlement au développement de l’amateurisme coubertinien et s’actualise par la demande du « manque à gagner » des classes sociales populaires, mais aussi la nécessité de rencontres internationales pour promouvoir la fierté nationale dans un contexte de tensions bellicistes représentent le creuset au sein duquel le rugby moderne va se mettre en place. Ce dernier avatar n’est-il pas en fin de compte le résultat d’une évolution qui échappe à l’Angleterre au fur et à mesure qu’il se constitue ? CONCLUSION Le problème des origines du jeu de soule et de ses relations avec la forme moderne rugbystique suscite des questions fondamentales liées à la civilisation occidentale et aux cultures européennes. D’une activité pratiquée au Moyen Âge, le jeu de soule se modifie à la 143 Cf. Jean-Pierre Augustin et Alain Garrigou, op. cit. 144 Mike Cronin & Richard Holt, “The Globalisation of Sport. Mike Cronin and Richard Holt discover the roots of international sport in France”, in History Studies, v.53, 7, July 2003, pp.26-33. 27 Renaissance et à l’Age classique. D’une part, les formes de jeu, indifférenciées jusqu’alors, se précisent et, d’autre part, la grande solidarité existant entre les autorités locales, les bourgeois et les villageois se transforme pour être recentrée sur une pratique populaire aux fortes traditions rurales. Jouée surtout en Normandie, en Bretagne, en Picardie, au XVIIIème siècle, elle fait l’objet de contrôle, puis d’interdictions au fur et à mesure que la religion, s’alliant à l’autorité centrale, considèrent les désordres publics comme politiquement dangereux. Au XIXème siècle, la soule a quasiment disparu en France alors que le rugby émerge. Il est alors facile de supposer que la pratique traditionnelle est à la base de ce sport. Pourtant, la relation n’est pas si automatique. Déjà au XVIIème, l’Angleterre, pays où la soule est attestée à la Renaissance, produit des formes de football diverses aux règles plus strictes et aux enjeux différents qui sont appelés Past-Times par Norbert Elias. La transformation de l’espace (enclosure) permet de comprendre leur antériorité en Angleterre à partir d’un lien socio-économique spécifique donnant lieu à une certaine décentralisation du champ sportif. Mais cette précocité instaure une difficulté pour évoluer au XIXème siècle. En effet, avec l’expansion économique, les Past-Times deviennent sportifs mais ne prennent pas encore une forme moderne car la « fragmentation » du champ sportif limite leur transformation. L’Angleterre peut donner naissance à des formes de rugby plus formalisées dans les Public School anglaises du début du XIXème siècle mais le jeu se répand malgré elles. Le refus de jouer avec des clubs populaires et la diversité des règles encore en vigueur jusque dans les années 1880 limitent son expansion. Inversement, la France accueille ces Past-Times sportifs dans une période favorable où leur développement nécessite une certaine centralisation qui est traditionnellement véhiculée par les structures sociales du pays. Les transformations qui se produisent alors dans les deux pays renvoient à des nécessités qui affectent aussi l’Europe entière (éducation, colonisation expansion industrielle et économique, démocratie de masse). Le sport moderne résulte alors d’un processus général de civilisation dans lequel chaque « culture » s’inscrit différemment. Au XIXème siècle, la soule dans sa forme traditionnelle disparaît et apparaît quelques formes nouvelles mais néanmoins marquées par des rapports anciens qui marquaient le jeu. La soule peut alors être envisagée comme l’ancêtre du rugby dans la mesure où elle a sans doute servi, dans la vision d’une tradition ré-inventée, à produire ou à modifier des pratiques comme le jeu de la barrette en France ou a permis au folk-football de se transformer dans les Public Schools du début du XIXème siècle en Angleterre. Mais si symboles et rituels empruntent alors à certains des traits du sport moderne, la soule ne peut malgré tout concurrencer leur montée puisque le jeu possède une structure opposée au sport moderne. En effet, quelle place peut avoir l’homme
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