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La Dramaturgie de Pierre Corneille dans Médée, Essai de Littérature

Typologie: Essai

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

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Télécharge La Dramaturgie de Pierre Corneille dans Médée et plus Essai au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! UNIVERZITA KARLOVA V PRAZE PEDAGOGICKÁ FAKULTA KATEDRA FRANCOUZSKÉHO JAZYKA A LITERATURY La Dramaturgie de Pierre Corneille dans Médée Pierre Corneille’s dramaturgy in Médée Vedoucí bakalářské práce: Mgr. Záviš Šuman Studijní program : Specializace v pedagogice (B7507) Studijní obor : B AJ-FJ (7507R036, 7507R039) Praha 2013 Prohlášení Prohlašuji, že jsem bakalářskou práci vypracoval samostatně, že jsem řádně citoval všechny použité prameny a literaturu a že práce nebyla využita v rámci jiného vysokoškolského studia či k získání jiného nebo stejného titulu. V Praze dne 28.6. 2013 Martin Balucha Déclaration Je sousigné, déclare avoir élaboré ce mémoire indépendamment, en exploitant les références bibliographiques et les autres sources présentées ou citées selon la réglementation en vigueur et que ce mémoire n’a pas été utilisé dans le cadre d’autres études supérieures dans le but d’obtenir un autre diplôme ou une qualification équivalente. À Prague le 28.6. 2013 Martin Balucha Abstract : The study entitled : La Dramaturgie de Pierre Corneille dans Médée, is concerned with the issue of baroque and classicist aesthetics in Pierre Corneille’s drama, Médée. The aim of the present thesis is to consider the nature of Corneille’s version of Médée. And thus not only in the context of ancient and contemporary literary critique, but also in the framework of the influence of already mentioned aesthetics. Respecting this intention, the study is divided into following chapters : 1. Introduction, 2. Drama at the interface of two aesthetics, 3. Drama created to be seen an heard, 4. Among a countless number of rules. 5. Conclusion. In chapter 2, the present study sketches a brief draft of the seventeenth century dramatic production. Consecutively it deals with the issue of baroque aesthetics and presents the conceptualization of Jean Rousset, Bruce Morissette and Raymond Lebègue. The subject of the chapter 3, arising from Raymond Lebègue’s conceptualization of baroque aesthetics, deals with the representation of both death and violence on stage. Lebegue’s conception was applied to concerned passages in Médée - namely Creon’s suicide, murder of Créuse, Médée’s infanticide and the suicide of Jason. Chapter 4 is a recapitulation of the attitude of Greek, Roman and classicist writers, as well as the one of Pierre Corneille, towards the notions of bienséance (suitability), vraisemblance (credibility), ressemblance (resemblance) and én tó phanerõ (death on stage). The present study provides a condensed point of view of Corneille’s first tragedy, Médée, which is not only the product of classicist aesthetics but reflects several passages proving that Corneille’s dramatic creation undergoes certain evolution during the seventeenth century. Table des matières : 1. Introduction............................................................................................................7 2. Pièce située à mi-chemin entre deux esthétiques.................................................. 8 2.1 La conceptualisation du baroque d’après Raymond Lebègue.............. 10 2.2 La conceptualisation du baroque d’après Jean Rousset....................... 11 2.3 La conceptualisation du baroque d’après Bruce Morissette................. 14 2.4 La surface glissante du baroque............................................................ 15 3. Un théâtre fait pour les yeux autant que pour les oreilles................................... 16 3.1 Le suicide de Créon............................................................................... 17 3.2 Le meurtre de Créuse............................................................................ 23 3.3 Le meurtre des enfants.......................................................................... 27 3.4 Le suicide de Jason................................................................................ 33 4. Parmi une pléthore de préceptes........................................................................ 35 5. Conclusion......................................................................................................... 41 6. Resumé............................................................................................................... 43 7. Bibliographie...................................................................................................... 47 1. Introduction Médée de Corneille vit le soleil du monde littéraire durant la saison théâtrale de 1634-1635. Or, ce n’est qu’en 1639, après la célèbre Querelle du Cid, qu’elle fut publiée. En rédigeant Médée, Corneille aborde un nouveau genre – celui de la tragédie. La raison qui le pousse à accéder un univers entièrement différent de celui de la comédie ou de celui de la tragi-comédie, connues très bien de Corneille, est évidente. C’est la tragédie qui, d’après une hiérarchie incontestée des genres dramatiques, occupe la place suprême. Ce passage de la comédie à la tragédie peut être alors compris comme un avancement professionnel. Si Corneille était novice dans le genre tragique, le sujet, quant à lui, a su au cours des siècles acquérir une notoriété. L’histoire d’une femme, qui se venge de son perfide mari, en tuant son amante et leurs deux petits enfants, est déjà connue grâce aux pièces de Sénèque et Euripide. Toutefois, la représentation fournie par Corneille reflétant une pléthore de changements par rapport aux modèles antiques, est bien une pièce de la première moitié du XVIIe siècle. Ce qui veut dire qu’elle se retrouve dans un milieu littéraire très dynamique voire même antagoniste. Médée de Corneille est d’une part influencée par des sources antiques avouées et les règles de la doctrine classique naissante, de l’autre part nourrie par l’esthétique baroque présente à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. Comment alors définir le caractère de la première tragédie de Corneille tout en ayant à l’esprit cette triple emprise ? Pourrait-on avancer comme Georges Couton que Médée de Corneille est une tragédie régulière ?1 Et quand on dit régulière, voulons-nous dire classique ? Et si elle est classique quel serait le statut des principes sur lesquels la pièce repose ? Ou est–elle entièrement produit de l’esthétique baroque ? Les réponses à ces questions ne sont point transparentes et unanimes. Le présent travail tâchera de démontrer que Médée de Corneille se retrouve à la charnière entre l’esthétique classique et l’esthétique baroque. Pour cela, on essaiera tout d’abord d’esquisser la problématique liée à la définition de la notion obscure de baroque. On présentera alors d’une manière concise quelques approches, dont celle de Raymond Lebègue sera pour nous essentielle. Ainsi, on tentera de 1 COUTON, Georges: Notice à son édition des Œuvres complètes de Pierre Corneille. Paris: Éditions Gallimard, « Bibliotèque de la Pléiade », tome I, 1980. p. 1378. 7 sont apparues qu’au XVIIIe siècle.7 En d’autres termes, les dramaturges du XVIIe siècle n’associaent point leur propre production littéraire à l’esthétique classique ou baroque. Quant au système du baroque, ce dernier pénétra dans la sphère des études littéraires à la fin du XIXe siècle grâce aux travaux d’Heinrich Wölffli.8 En 1935, c’était Antoine Adam qui a mentionné le baroque littéraire à propos de Malherbe et de Théophile.9 2.1 La conceptualisation du baroque d’après Raymond Lebègue Néanmoins, ce fut Raymond Lebègue (1895-1984) un passionné des études classiques, spécialiste reconnu du théâtre et membre de l'Académie Française, qui appliqua dans les années quarantes, comme le premier universitaire parisien, la notion de baroque à une partie de la littérature française pour élargir une conception quelque peut réductrice du diptique renaissance-classicisme.10 Ce traitement simpliste du milieu théâtral impliquerait une négligence grave de certains auteurs. En effet, d’après Lebègue, depuis qu’on a introduit la notion de baroque, maints auteurs, tels que Malherbe ou d’Aubigné, sont sortis de l’ombre. De même, les débuts poétiques de Corneille sont de nos jours bien plus appréciés. Par ailleurs, Lebègue insiste également sur l’influence que la guerre de Trente ans eut sur la littérature allemande et française de la première moitié du XVIIe siècle. Les guerres civiles ont sécoué la culture humaniste et ont participé au déclin du renommé des modèles et des règles antiques. De plus, elles ont développé la violence et la déprivation des mœurs. Comme le souligne très bien Lebègue : «...en dehors des combats meurtriers et des crimes politiques, on versait souvent le sang humain, les vengences étaient fréquentes et atroces, les mœurs étaient de plus en plus relâchées. » La littérature reflétait toujours les événements, qui influençait la vie sociale. Les œuvres de la période baroque n’étaient pas une exception. En corrélation avec les images de la guerre, les dramaturges ont accordé une grande place aux passions violentes, aux cruelles vengeances et aux spectacles macabres. Toutefois, selon la perception du théâtre baroque de Lebègue, celui-ci apparaît en France vers 1580, ce qui veut dire que la guerre de Trente ans, ainsi que de divers 7 Šuman, Catégories exogènes et endogènes. Baroque et classicisme dans Médée de Corneille. p 1 8 Santos p.67 9 LEBÈGUE, Raymond: La Poésie baroque en France. Cahiers de l'Association intérnationale des études françaises. 1951, N°1-2, p.23 10 Idem 10 conflits qui l'accompagnaient, ne peuvent être perçus que comme un renforcement d’une esthétique déjà établie. En aucun cas on ne peut alors affirmer que la guerre de Trente ans a eu pour effet la création de la littérature baroque. Tout en étant persuadé que le baroque a ouvert de nouvelles voies de recherches, Lebègue admet que les spécialistes ne se sont toujours pas mis d’accord sur le dénominateur commun de cette notion. C’est pourquoi il esquisse une piste pour les futures chercheurs. Ceux-ci, d’après Lebègue, devraient procéder par une méthode comparative, mettant en relation toutes les œuvres européennes, dites baroques. Une fois les textes rassemblés, on chercherait des points communs. Lebègue a mis en place quelques points caractéristiques du théàtre baroque vers lesquels on reviendra plus loin. 2.2 La conceptualisation du baroque d’après Jean Rousset Dans les années cinquantes du XXe siècle, Jean Rousset (1910-2002), un des éminents spécialistes suisses, a tenté de mettre en place les traits distinctifs d’une œuvre baroque. À travers ses études, il décela quatre mouvements essentiels : « L’instabilité [d’un équilibre en voie de se défaire pour se refaire, de surfaces qui se gonflent ou se rompent, de formes évanescentes, de courbes et de spirales.], la mobilité [d’œuvres en mouvement qui exigent du spectateur qu’il se mette lui-même en mouvement et multiplie les points de vue (vision multiple)], la métamorphose [ou, plus précisément l’unité mouvante d’un esemble multiforme en voie de métamorphose.], la domination du décor [c’est-à-dire la soumission de la fonction au décor, la substitution à la structure d’un reseau d’apparences fuyantes, d’un jeu d’illusions] » (Rousset, La littérature de l’âge baroque en France, p. 181-182) Or, ces quatres qualités, Jean Rousset l’admet, représentent une simplification. Et comme toutes les simplifications, celle-ci dévoile également des avantages aussi bien que des inconvénients. Étant abstraites, ces catégories collent pour la majorité des domaines culturels, littéraires aussi bien que plastiques. En revanche, c’est cette généralité, qui, ignorant la spécificité de chacun des domaines artistiques, exclut la possibilité de pouvoir s’en servir pour une analyse dramaturgique. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle Raymond Lebègue évitait de chercher dans le baroque littéraire tous les caractères que l’on reconnaissait au baroque artistique.11 11 Idem 11 Cependant, Rousset fournit d’autres caractéristiques d’une œuvre baroque s’intéressant au théâtre de Corneille. Là encore, on n’avance pas plus loin. Le récent article de Mr. Záviš Šuman souligne l’enjeu : « [...] le théâtre cornélien y [Rousset, La littérature de l’âge baroque en France] est vu comme s’il s’agissait de poésies, aucun accent n’est mis sur les simples faits que Corneille créa du théâtre - le personnage de Médée n’est analysé qu’en tant qu’une semi-divinité possédée de magie maléfique et appartenant à la famille de magicienne comme Circé, censée refléter le goût baroque pour la métamorphose et pour la démonologie, goût qui persiste - on le sait trop bien aujourd’hui - tout au long du XVIIe siècle » (Šuman, Catégories exogènes vs catégories endogènes. Baroque et Classicisme dans Médée de Corneille., p.2) Malgré quelques traits de structures baroques (le personnage d’un/une magicien/ne, l’ostentation, l’hésitation, l’instabilité, la feinte) que Rousset dériva surtout de Mélite, d’Illusion Comique (1636), de la Place Royale (1634) et du Menteur (1643), il est vrai qu’il ne nous procure pas d’ensemble cohérent de caractéristiques, qui nous permettrait de faire une distinction nette entre une œuvre classique et baroque. Reste à savoir si cela est possible car Rousset propose un approchement de deux esthétiques. Et cela non seulement dans le milieu théâtral, mais également dans le domaine de la poésie : « On a vu les architectes comme les lyriques et les dramaturges donner les exemples de compromis, combiner le refus et l’acquiescement, mélanger intimement des caractères baroques et classiques. »12 Avant de mettre en évidence l’importance que ce passage pourrait avoir, il faut qu’on revienne vers le caractère des recherches de Rousset de la notion de baroque. On a déjà constaté que les études de Suisse concernent des domaines culturels très vastes – l’opéra, les arts plastiques, le théâtre. Toutefois, on a omis le fait que c’est l’approche thématique de la poésie, qui influence le plus la perception baroque de Rousset. Revenons maintenant vers le passage incriminé. Veut-il dire qu’une œuvre d’art peut refléter des traits caractéristiques de la structure baroque aussi bien que ceux de la doctrine classique? Nous proposons l’extrait dans lequel Rousset concrétise ce qu’il a affirmé plus haut : « Corneille construit à partir de données baroques une œuvre chargée à la fois de baroque et d’antibaroque, dont la contradiction finnissent par s’organiser en un tout homogène, non son quelque violence qui donne son ton à ce théâtre. »13 En une seule phrase Rousset reconcilie 12 ROUSSET, Jean: La littérature de l’âge baroque en France. Circé et le paon. Paris: Les Belles Lettres, 1996. p.245. 13 Idem 12 2.4 La surface glissante du baroque Si on s’efforçait de peindre plusieurs approches envers la notion de baroque, c’était pour démontrer à quel point la surface de la « Baroquie » est-elle glissante. Aucune des études, qu’on a brièvement esquissées, ne peut être utilisée pour une analyse d’une pièce de théâtre. Soit elles travaillent avec des catégories, dérivées des études des éléments baroques dans de divers domaines (dont plus particulièrement la poésie), qui sont très abstraits ; soit elles étalent un tel bouillonnement de termes, qui au lieu d’élucider, obscurcissent davantage la notion de baroque. La conception de baroque de Raymond Lebègue, qu’on a évoquée plus haut, disons- le d’emblée, n’est pas sans failles. Elle propose aussi des traits généraux. Néanmoins, ce sont des caractéristiques tirées des exemples concrets, trouvés dans des pièces des dramaturges écrivant à la fin du XVIe et au début du XVIIe siècle. De surcroît, son étude est destinée directement au théâtre et donc ne passe pas par la poésie, ni par d’autres domaines artistiques, bien que ces derniers soient également mentionnés. Pour ces raisons, on a décidé d’emprunter le trait du théâtre baroque esquissé par Raymond Lebègue, et l'appliquer ensuite à la pièce de théâtre de Pierre Corneille, Médée. Comme il était déjà dit, à l’aide d’une méthode comparative, rapprochant le critère choisi et les passages concernés de notre pièce, on tâchera de démontrer, ce qui était déjà en partie avancé, à savoir que Médée est une pièce « entre les deux ». Pour cela, on aura également recours aux modifications dont témoignent les éditions ultérieures ainsi qu’aux différents avis des théoriciens antiques et classiques. Quant au critère baroque souligné par Lebègue, on a choisi celui qui s'intéresse au caractère des actions représentées sur scène, car ce dernier est directement lié avec notre pièce. 15 3. Un théâtre fait pour les yeux autant que pour les oreilles Selon la conceptualisation du théâtre baroque de Raymond Lebègue15, celui- ci se distingue de la tragédie humaniste et de la tragédie classique par le fait que la perception visuelle est aussi importante que la perception auditive. Il vise par ce point surtout les sensations fortes et affirme que dans le théâtre baroque les violences ne sont pas seulement l’objet du récit, mais elles sont représentées sur la scène. Il met en évidence surtout les raffinements macabres, qui, opposés à des pièces classiques, ne se déroulent plus que dans les coulisses, mais également sur le théâtre. Ce disant, il donne quelques exemples des pièces (Clitandre 1630), qui respectent cette logique. Pour nous, l’exemple le plus pertinent que Raymond Lebègue fournit, est Médée de Pierre Corneille (Acte V, Scène II-III 16), où, comme souligne Lebègue, « Créon meurt sur la scène enragé et ruisselant de sang. »17 On résume brièvement l’action : Après que Créon a accordé un jour à Médée (ce jour jouant un rôle crucial. Premièrement, c’est un des traits qui différencie Médée de Corneille de celle d’Euripide et celle de Sénèque. Deuxièmement, c’est en mettant en relief l’unité d’un jour, que Corneille montre le soin de respecter l’unité de temps. Troisièmement, c’est durant cette journée, accordée imprudemment comme un mouvement pour diminuer quelque chose de l’injuste18, que Médée a su comettre autant de crimes) pour pouvoir préparer son voyage, celle- ci, dans sa grotte (ayant un rôle important dans le débat portant sur l’unité de lieu), empoisonne la robe, que Créuse demande à Jason. Ce dernier la doit soutirer à Médée, comme preuve de grâce car, étant fille de Créon, elle intercèda en faveur de ses enfants auprès de roi. ( à la diffèrence d’Euripide et de Sénèque, chez Corneille, c’est Créuse, qui demande la robe. « Ainsi, bien que les présents des ennemis doivent être suspects, celui-ci ne le doit pas être parce que ce n’est pas un don qu’elle [Médée] fait, qu’un paiement qu’on lui arrache de la grâce que ses enfants reçoivent. »19) Par l’intermédiaire du dialogue entre Médée et Theudas, qui a lieu dans la Scène I de l’Acte V, on apprend - ce de quoi on sera témoin dès les scènes suivantes - que Créuse une fois rentrée en possession de la robe ensorcelée meurt 15 LEBÈGUE, Raymond: Origines et caractères du théâtre baroque français [en ligne]. [s.d], Dernière mise à jour. 2013-06-23 [cit. 2013-05-15]. Disponible sur: http:<//baroque.revues.org/252 >. 16 Couton p.589 -591 17 LEBÈGUE, Origines et caractères du théâtre baroque français. 18 Couton p.557 19 Idem 16 dans des flammes sortant du don. Créon ainsi que Cléone, la suivante de Créuse, courent à son secours, mais le premier se voit également pris par le feu. Ainsi tous les deux, roi et sa fille, meurent dans une agonie. C’est le roi, qui meurt le premier (Scène III) pour être suivi de sa fille (Scène IV). Or, celle-ci revoit encore son amant, Jason, qui était allé accompagné Pollux, l’argonaute, jusque hors de la ville. Un autre changement par rapport aux Médées des Anciens. Corneille avait besoin de retirer Jason de la scène pour pouvoir faire tuer Créuse et Créon, et faire venir l’argonaute juste au moment pour qu’il puisse entendre le dernier soupir de la princesse. Après ces morts, plus personne n’empêchera le dialogue entre Jason et Médée, représentant le climax de la pièce. Revenons vers les paroles de Lebègue. Ce dernier évoque l’agonie de Créon, qui marque deux scènes consécutives, déjà mentionnées plus haut. Nous nous proposons tout d’abord une analyse du passage de la Scène II, Acte V (édition 164920) dont on examinera tout d’abord la forme du récit, la problématique de l’ordonnancement des scènes et la question de l’esthétique. Cette dernière sera approfondie par l’analyse des retouches faites par Corneille dans le premier passage ainsi que dans celui où Créon meurt (Scène III , Acte IV). On conclura ce chapitre en s’intéressant aux passages qui, sans être mentionnés par Lebègue, ensanglantent également la scène. 3.1 Le suicide de Créon Médée (1639, scène II, Acte V, v.1379-1387, éd. de la Pléiade Couton I. p.585-586) Créon, Domestiques Loin de me secourir, vous croissez mes tourments, Le poison à mon corps unit mes vêtements, Et ma peau qu’avec eux votre pitié m’arrache Pour suivre votre main de mes os se détache. Voyez comme mon sang en coule en mille lieux, Ne me déchirez plus, bourreaux officieux, Fuyez, ou ma fureur une fois débordée Dans ces pieux devoirs vous prendra pour Médée. […] Est-ce un monologue ou une simple tirade? En effet, il n’est pas toujours aisé de distinguer entre ces deux formes du récit, car, comme le dit Jacques Scherer : « dans les pièces où les scènes sont liées, même imparfaitement, le 20 COUTON, Georges: Notice à son édition des Œuvres complètes de Pierre Corneille. Paris: Éditions Gallimard, « Bibliotèque de la Pléiade », tome I, 1980. 17 Médée (scène II, Acte V, v.1379 -1387, éd. de la Pléiade Couton I. p.585-586) Édition originale 1639 Loin de me secourir, vous croissez mes tourments, Le poison à mon corps unit mes vêtements, Et ma peau qu’avec eux votre pitié m’arrache Pour suivre votre main de mes os se détache. Voyez comme mon sang en coule en mille lieux, Ne me déchirez plus, bourreaux officieux, Fuyez, ou ma fureur une fois débordée Dans ces pieux devoirs vous prendra pour Médée. Éditions ultérieures 1644-1682 Loin de me soulagera vous croissez mes tourments Le poison à mon corps unit mes vêtements, Et ma peau qu’avec eux votre secoursb m’arrache Pour suivre votre main de mes os se détache. Voyez comme mon sang en coule à gros ruisseaux, c Ne me déchirez plus, officieux bourreaux,d Votre pitié pour moi s’est assez hasardée,e Fuyez ou ma fureur vous prendra pour Médée.f C’est plus particulièrement le vers : « Voyez comme mon sang en coule en mille lieux. » (parenthèse : d’après certains dix-septiemistes, dont par exemple Georges Forrestier, l’hyperbole, également présente dans ce vers, constitue un des traits de l’esthétique baroque30), qui fait preuve de la lecture d’Aristote. Analysant la retouche (voir la colonne droite, lettre c), on s’aperçoit que l’approche cornélienne envers le débat traitant la question de savoir s’il faut ensanglanter la scène, reste semblable. Il y a toujours cette blessure, ce qui est d’après Corneille et Aristote inévitable afin d’émouvoir le public. Or, le sens est un peu différent. Tandis que le passage de la première édition de Médée (1639), met un accent sur l’ampleur de la blessure, les éditions ultérieures soulignent plutôt la gravité de cette- dernière. Il semble alors que cette correction ainsi que celles (a,b,d) sont d’ordre stylistique. Quant aux retouches (e,f), ces dernières ont une importance particulière au point de vue de la convenance (voir le chapitre 3.2 Parmi une pléthore de préceptes). Ce passage témoigne d’une différente interprétation du théâtre grec de Pierre Corneille. Celui-ci, suivant l’exemple d’Aristote, est persuadé que les meurtres ont effectivement lieu sur scène.31 Dans le but de réconcilier Aristote et la pratique théâtrale, les théoriciens échafaudent une différente interprétation de l’expression « les morts visibles » (én tó phanerõ)32, « renvoyant à une visibilité autre que celle du spectacle. »33 Cependant, cette approche nouvelle engendre une question. Si on ne peut pas représenter la mort, comment va-t-on faire savoir au public que le personnage est mort ? Castelvestro, théoricien et interprète d’Aristote, propose « sept réponses, en s’appuyant sur l’examen du corpus des tragédies grecques : il 30 FORESTIER, Georges: Introduction à l’Analyse des Textes Classiques. Paris: Armand Colin, 2012. p.18 31 Hénin p.15 32 ARISTOTE, Poétique.XI, 1452. 33 Idem 20 refuse le sens littéral de « morts sur scène », et y substitue une liste de stratégies de compensations »34. De surcroît il a avancé une explication métaphorique du terme « morts visibles. » Celle-ci peut être également appliquée sur la mort de Créon. D’après Castelvetro, comme le remarque Hénin : les morts « célèbres » ou « nobles », mais aussi les morts «proches» nous purgent de la crainte de la mort. Plus loin, Hénin, souligne le fait, démontré par Castelvetro : « lors des agonies la souffrance physique n’est pas censurée et fournit même l’occasion de tableaux et de discours pathétiques. »35Voyons le passage où Créon, roi de Corinthe, meurt. Nous ajoutons également les retouches faites par Corneille dans les éditions ultérieures : Médée (1639, scène III, Acte V, v.1443-1451, éd. de la Pléiade Couton I.p.587-588) Édition originale 1639 Les corrections (1644 - 1682) Créuse Et quoi ? vous me quittez ! Créon Oui, je ne verrai pas Comme un lâche témoin ton indigne trépas. Il faut, ma fille, que ma main me délivre De l’infâme regret de t’avoir pu survivre. Invisible ennemi, sors avecque mon sang. Créuse Courez à lui, Cléone, il se perce le flanc. Créon Retourne, c’en est fait, ma fille. Adieu, j’expire, Et ce dernier soupir met fin à mon martyre, Je laisse à ton Jason le soin de nous venger. Créon Oui, je ne verrai pasc Comme un lâche témoin ton indigne trépas. Il faut, ma fille que ma main me délivre De l’infâme regret de t’avoir pu survivre. Invisible ennemi, sors avecque mon sang. (Il se tue d’un poignard) Créusea Courez à lui, Cléone, il se perce le flanc. Créon Retourne, c’en est fait, ma fille. Adieu, j’expire, Et ce dernier soupir met fin à mon martyre, Je laisse à ton Jason le soin de nous venger. Avant d’aborder l’analyse de cet extrait, il serait utile de revenir vers le début de la scène. Elle est ouverte par Créuse qui, soupirant de douleur, se rend compte que c’est surtout à cause de son envie mesquine de posséder de la bellle robe de Médée, que son père ainsi qu’elle-même meurt (Créuse : « Je ne puis excuser mon indiscrète envie Qui donne le trépas à qui je dois la vie », voir le vers 1401-140236). Créon lui réplique en admettant qu’elle a commis une faute d’avoir exigé cette robe de Médée ( « Si ton jeune désir eut beaucoup d’imprudence », voir le vers 140937), cependant il ajoute tout de suite qu’il devait être également aux 34 Idem 35Idem 36 Couton p.586 37 Idem 21 aguets (« Ma fille, j’y devais opposer ma défense », voir le vers 141038). Par ces paroles, il revient vers la Scène III, Acte II, où il accorde volontiers à Médée un jour pour les préparations ( « Pour en délibérer, et choisir le quartier, De grâce ma bonté te donne un jour entier », voir le vers 499-50039). Et cela même après avoir été prévenu par Pollux, ami de Jason et l’argonaute, qui seul se méfiait des pouvoir de Médée et savait qu’un jour de plus pourrait se montrer crucial. (Pollux : « Si vous ne craignez rien, que je vous trouve à plaindre », voir le vers 114240) Or, le roi se souvient de ses propres fautes, ce que d’ailleurs démontrent les vers suivants ( « Je n’impute qu‘à moi l’excès de mes malheurs, Et j’ai part en ta faute ainsi qu’en tes douleurs », voir le vers 1411-141241). Hélas, il ne lui reste qu’à constater qu’au lieu de poursuivre des préparatifs pour le marriage de Jason et Créuse, ce seront les préparatifs pour les funérailles qu’il faudrait ammorcer ( « Ma fille, c’est donc là ce Royal Hyménée Dont nous pensions toucher la pompeuse journée ? » , voir le vers 1416-141742). La tirade de Créuse en donne preuve car cette-dernière souffre de la douleur accrue et s’adresse à sa suivante pour la soutenir. On est enfin arrivé vers notre extrait où Créon apercevant sa fille souffrir, décide de se tuer pour ne pas assister à sa mort. Bien que Créuse envoyasse aussitôt Cléone chez son père, celle-ci est venue trop tard pour l’empêcher de se suicider. Les dernierès paroles de roi mourant sont un mélange de divers sentiments. D’un côte le soulagement et l’amour, de l’autre côté le désespoir et la vengeance. Ayant toujours à l’esprit ce qu’affirmait Castelvetro par rapport à la mort d’un noble et la souffrance durant l’agonie, on peut finalement en conclure que même le meurtre sur la scène se accepté par les règles par une différente lecture de l’expression de « morts sur scène. »43 Or, il ne s’agit pas, dans ce cas, d’un meurtre. Créon commet un suicide en se perçant le flanc ( « Courez à lui, Cléone, il se perce le flanc », voir le vers 144844). Néanmoins, comme le souligne Hénin, même les suicides sont acceptés dans le cas où ces derniers sont des «morts généreux» et sont accompagnés de l’indication scénique « Il (Elle) se tue. »45 C’est ce que Corneille fait dès l’année 1644 où il ajoute une didascalie (voir la colonne droite, lettre a). 38 Couton p.586 39 Couton p.557 40 Couton p.578 41 Couton p.586 42 Couton p.587 43 ARISTOTE, Poétique.XI, 1452. 44 Couton p.588 45 Hénin p.21 22 manière explicite que le sang coule sur la scène, la mort de Créuse est exempte d’une description sanglante. La fille du roi meurt des douleurs causées par le contact avec la robe empoisonnée, non pas, comme son père, d’un coup d’épée. Cependant, les poisons versés sur la robe par Médée auraient également tué le roi. Le coup d’épée n’était effectué par Créon que dans le but d’accélérer sa mort pour ne pas assister à celle de sa fille. Ce qui est important, c’est que le spectateur ne voit pas les flammes, qui blessèrent d’une manière mortelle Créon et tuèrent Créuse. C’est alors que le feu invisible joue un rôle crucial non seulement au niveau dramaturgique mais également au niveau esthétique. Le public perçoit seulement cette terrible souffrance physique lors de l’agonie et n’apprend que par le récit des personnages que la robe est empoisonnée. Voilà en pratique l’essence du théâtre classique. Afin de pouvoir revenir aussitôt vers le passage qu’on est en train d’examiner, on se limitera juste à quelques phrases et une courte citation par rapport à ce sujet. En bref, les mots, les phrases, les paroles, soucieux de respecter les unités (notament celle de lieu), dépassent les bornes de l’hypothétique et deviennent la réalité et l’action. Comme le dit Jacques Scherer : « On repproche souvent au classicisme, et dès le XVIIe siècle de faire preuve de partialité en faveur du récit, d’aimer mieux raconter que faire voire la réalité en action. Rien n’est moins exact. Toutes les fois qu’ils pensent qu’une action peut être mise en scène, les classique préfèrent la représentation de cette action à son récit. Malheureusement plusieurs principes qu’ils tiennent pour essentiels prohibent souvent la représentation de l’action : le souci de respecter l’unité de lieu, la nécessité d’observer les bienséances et les vraisemblances écartent de la scène nombre de spectacles. » (Jacques Scherer, La Dramaturgie Classique en France, p.229) Si, comme le souligne Jacques Scherer, on reprochait au théâtre classique (nous comprenons par ce terme les pièces à partir de 1660-1680) d’avoir souvent recours au récit, on reprochait au théâtre pré-classique (ou baroque, les théoriciens utilisent les deux termes pour désigner les pièces, qui pour des raisons diverses s’écartent de la norme et apparaissent surtout dans le premier tiers du XVIIe siècle) d’être trop audacieux. Revenons vers l’analyse de notre passage. Après que Créuse meurt sur la scène, Jason commence une des ses plus longues tirades. Il s’agit en effet d’une tirade et non pas d’un monologue car Theudas ainsi que Cléone, même s’ils restent muets tout au long de la scène, sont également présents. D’ailleurs Jason, après une 25 brève crise de désespoir prévue par Créuse, s’adresse à eux et leur ordonne de prendre les corps de Créon et de Créuse. (Jason : « Vous autres, cependant, enlevez ces deux corps », voir le vers 154354). À ce point-ci Jason est résolu de venger son amante ainsi que son père ( « Contre tous ces Démons mes bras sont assez forts », voir le vers 154455). Ses paroles sont saturées de colère et de désir de tuer celle qui est à l’origine de ses peines. ( « Qui la [Médée] fassent mourir tant de fois sur leur tombe [Créuse et Créon], Que son coupable sang leur vaille une hécatombe », voir les vers 1550-155156). Et si par la suite il se montre irrésolue pour un moment, ce n’est que pour renforcer ses arguments et sa détermination. Jason met fin à ce dilemme en vertu d’une idée macabre. Ses propres enfants auraient dû devenir l’instrument de sa vengeance. L’idée d’immoler ses enfants est bien le produit de Corneille. Et comme le dit Couton : « Cela marque bien comment il [Corneille] a voulu surenchérir d’horreur par rapport à Sénèque et Euripide. »57 Comme Médée dans la Scène II de l’Acte V, il est arrivé au point où le désir de vengeance a dépassé l’amour parental. Cependant, il y a une différence de taille entre la magicienne et l’argonaute. Tandis que la première, à la fin de sa tirade est résolue tuer ses enfants, le deuxième hésite toujours. Voyons le passage en cause : Médée (1639, scène IV, Acte V, v. 1565-1569, éd. de la Pléiade Couton I. p. 591) Jason [...] C’est vous, petits ingrats, que malgré la nature Il me faut immoler desssus leur sépulture, Que la sorcière en vous commence souffrir, Que son premier tourment soit de vous voir mourir. Toutefois qu’ont-ils fait qu’obéir à leur mère? [...] Comme le souligne Couton, ce passage obscurcit avantage la fin de la pièce. Non seulement Médée voulait tuer ses enfants, mais également Jason ! Alors que Médée est connue et méprisée par les générations des spectateurs aussi bien que des lecteurs pour avoir commis le crime auquel une mère ne devrait même pas songer, personne ne parle dans ce contexte de Jason. Ce qui est évident. Comme on a déjà dit, Corneille est le premier à introduire le passage où Jason réfléchit sur le carnage de ses propres enfants. Et puis, tout en ayant cette idée, celle-ci reste bien hypothétique. On ne saurait jamais s’il allait commettre le même crime que Médée. 54 Couton p.591 55 Idem 56 Idem 57 Couton p. 1405 26 Le dernier vers de la tirade renforce avantage l’impossibilité de fournir une constatation directe. Jason, dont les sentiments d’un père ne sont pas encore surpassés par ceux d’un amant outragé se rend compte de l’innocence de ses enfants. Quoiqu’il en soit, ses considérations sont perturbées par les premières paroles de Médée dans la Scène V, Acte V, qui font preuve du carnage accompli. 3.3 Le meurtre des enfants On est arrivé à l’avant-dernière mort de la pièce, le meurtre des enfants. Voici le passage en cause et les retouches dans les éditions présentées par Corneille : Médée (1639, scène V, Acte V, v. 1570-1581, éd. de la Pléiade Couton I. p. 592) Édition originale 1639 Les corrections (1644 - 1682) Médée Lâche, ton désespoir encore en délibère? Lève les yeux, perfide, et reconnais ce bras Qui t’a déjà vengé de ces petits ingrats. Ce poignard que tu vois vient de chasser leurs âmes Et noyer dans leur sang les restes de nos flammes. Heureux père et mari; ma fuite et leur tombeau Laisse la place vide à ton hymen nouveau. Réjouis-t’en, Jason, va posséder Créuse, Tu n’auras plus ici personne qui t’accuse, Ces gages de nos feux ne feront plus pour moi De reproches secrets à ton manque de foi. Jason Horreur de la nature, exécrable tigresse! Médée (en haut sur le balcon)b Lâche, ton désespoir encore en délibère? Lève les yeux, perfide, et reconnais ce bras Qui t’a déjà vengé de ces petits ingrats. Ce poignard que tu vois vient de chasser leurs âmes Et noyer dans leur sang les restes de nos flammes Heureux père et mari; ma fuite et leur tombeau Laissentc la place vide à ton hymen nouveau. Réjouis-t’en, Jason, va posséder Créuse, Tu n’auras plus ici personne qui t’accuse, Ces gages de nos feux ne feront plus pour moi De reproches secrets à ton manque de foi. Jason Horreur de la nature, exécrable tigresse! Les trois premiers vers de la tirade prononcée par Médée (v.1570-157258, dont notamment le complément circonstanciel de temps « déjà » dans le vers 1572), sont la preuve que celle-ci devait entendre les contemplations de Jason. Elle lui montre d’un air altier les corps de leurs petits enfants, qui sont devenus l’instrument de sa vengeance. Si Jason n’était pas capable de surmonter ses hésitations, représentées notamment par la dernière question rhétorique ( « Toutefois qu’ont-ils fait qu’obéir à leur mère ? », voir le vers 156959), Médée tout en passant par le même flottement, en était capable. En effet, encore dans la Scène II de l’Acte V, elle admet, que leurs enfants sont innocents (Médée : « Mais ils sont innocents; 58 Couton p.592 59 Couton p.591 27 « à croire »70 » On comprend alors mieux la raison pour laquelle Corneille a décidé de changer ce passage par rapport à Euripide, qui poussa sa Médée à tuer ses enfants sur scène. D’ailleurs Corneille le dit lui-même : [..]« Il faut examiner en même temps si elle [l’action] n’est point cruelle ou si difficille à représenter, qu’elle puisse diminuer quelque chose de la croyance que l’auditeur doit à l’histoire et qu’il veut bien donner à la fable, en se mettant en la place de ceux qui l’ont prise pour une vérité. Lorsque cet inconvénient est à craindre, il est bon de cacher l’événement à la vue, et de faire savoir par un récit, qui frappe moins qu’ un spectacle et nous impose plus aisément. C’est pour cette raison qu’Horace ne veut pas que Médée tue ses enfants » [...] (Pierre Corneille, Trois Discours sur le poème dramatique, p.116, d'après Emmanuelle Hénin, Faut-il ensnaglanter la scène, p.25) Par cet extrait la question de savoir s’il faut ensanglanter la scène, gagne une nouvelle perspective. Jusque là on discutait, dans la majorité des cas, seulement au niveau des bienséances. Or, pour acquérir une vision plus complexe, il est absolument indispensable de considérer également la notion de vraisemblance, quelque douteuse qu’elle soit. Par ce récit Corneille reprend les paroles d’Horace et affirme qu’il est impossible de montrer certains spectacles d’une manière vraisemblable. Toutefois, cette constatation, comme on l’a déjà vu, ne veut point dire qu’Horace néglige les sensations visuelles qui émeuvent plus que les actes racontés une fois accomplis.71 Bien au contraire, il les préfère aux sensations auditives, mais dans le cas particulier d’infanticide de Médée, Horace dit qu’il faut se fier au récit. Cependant, il y encore un autre aspect qu’il faut considérer lorsqu’on parle de la mort sur scène. À savoir celui de la purgation des passions. On a déjà constaté en analysant la mort de Créuse aussi bien que celle de Créon, que lors des agonies, des souffrances physiques d’un noble ou d’un proche purgent des passions des spectateurs. Ainsi la mort sur scène du roi Créon aussi bien que de sa fille, Créuse, se voit excusée. Pourrait-on envisager de la même manière le meurtre des enfants ? La réponse n’est point claire. Corneille estime que la fonction primordiale des morts sur scène ainsi que d’autres violences est d’ « émouvoir puissament » et que les morts aussi bien que les violences se voient justifiés par la finalité du poème dramatique - la position de Corneille ne devrait pas nous étonner étant donné qu’on sait qu’il adhère à l’opinion d’Aristote.) L’auteur de Médée n’est pas seul à soutenir l’apparition de spectacles 70 Idem 71 Hénin p.23 30 lugubres sur scène. De même La Mesnardière est persuadé qu’afin de provoquer l’étonnement et la pitié, on devrait représenter un grand nombre de spectacles épouvantables. Toutefois, La Mesnardière ajoute dans son ouvrage théorique, Poétique, qui paraît en parallèle avec Médée des règles qui visent à restreindre des crimes sur scène. Voici le passage en cause : « Que si le Sujet est tel que le Principal personnage soit absolument vicieux, ce qu’on taschera d’éuiter [...], il ne faut pas que ses crimes soient éxents d’vn chastiment qui donne beaucoup de terreur; & mesme il faut s’il est possible, que les mauuaises actions paraissent toujours punies, & les vertues recompensées, non seulement en la Personne qui est la plus considérable, mais encore dans les moindres.» «C’est en ce point-là que le Poëte doit penser à la Morale, donner beaucoup à l’exemple, & ne pas commetre les fautes que nous voyons en plusieurs Poëmes, ainsi que dans la Médée, où le héros est perfide, & l’Héroïne meurtière, non seulement du sang royal, mais de ses propres enfants, sans que l’vne soit punie d’vne cruaté si horrible, ni que l’autre soit chastié, pour le moins en sa personne, d’estre ingrat & infidelle. » (La Mesnardière, La Poëtique, p.21 d'après Záviš Šuman, Catégories exogènes vs catégories endogènes. Baroque et classicisme dans Médée de Corneille, p.3) La Mesnardière, comme on a constaté plus haut ne rejette pas les spectacles macabres. Or, cet extrait démontre que sa perspective n’est guère sans exigences. Sa démarche repose sur l’exemplarité du dénouement, qui doit respecter la Morale. En d’autres termes, il exige que les héros vertueux et la bonne conduite soient récompensés et qu’au contraire les personnages vicieux ainsi que les mauvaises actions soient toujours punis. Toutefois, soulignons que Médée n’est punie pour ses meurtres ni dans les pièces des modèles antiques ni dans celle de Corneille. C’est elle « quelque criminelle qu’elle soit qui triomphe »72. Ainsi, par cette restriction de sujets, on revient vers Horace qui affirme qu’il est impossible de montrer certains spectacles tout en respectant la vraisemblance, un des principes primordiaux du théâtre classique. D’autres théoriciens s'alignent sur cette tendance de modérer des spectacles sanglants. Non pas qu’ils désapporuvent la position de Corneille et d’Aristote d’ensaglanter la scène, mais ils introduisent des limites. Emmanuelle Hénin fournit l’exemple de Beni.73 Ce théoricien du théâtre classique « reconnaît un cas où l’horror empêche de susciter la terreur et la pitié : quand la victime est complètement innocente, le spectateur a tellement horreur du crime qu’il n’éprouve 72 Šuman Catégories exogènes vs catégories endogènes. Baroque et classicisme dans Médée de Corneille. p.4 73 Hénin p.29 31 aucune purgation. »74 Dans ce cas, comme souligne Beni, il faut préférer le récit. Quant aux meurtres des personnages innocents dans Médée, dont le carnage des enfants, ceux-ci sont racontés par le récit. On peut en donc venir à l'affirmation que Bénit prône moderata nex, ou le massacre modéré dans le but de modérer la cruauté. Ce point n’était pas accepté par Corneille. Ce dernier,ayant sans doute lu la Poétique de La Mesnardière, explique dans la préface-dédicace accompagnant la version originale de la pièce, la raison pour laquelle il a décidé de nous donner « Médée toute méchante qu’elle est. »75 En rapprochant la peinture et la poésie dramatique, Corneille met en relief le seul critère principal que le poète doit prendre en considération en imitant.76 Il s’agit de la ressemblance. Celle-ci, rejettant tout embellissement et s’intéressant seulement à la peinture la plus fiable de la réalité, est pour Corneille la seule règle que le dramaturge devrait respecter. D’ailleurs Corneille le dit lui-même en décrivant d’abord le rôle de la ressemblance dans la peinture et ensuite dans la poésie dramatique : « Dans la portraiture il n’est pas question si un visage est beau, mais s’il ressemble, et dans la Poésie il ne faut pas considérer si les mœurs sont vertueuses, mais si elles sont pareilles à celles de la personne qu’elle introduit. »77 Corneille remplace l’exemplarité de La Mesnardière par la ressemblence. Si le poète veut créer l’effet de l’horreur, ce n’est pas seulement en punissant les mauvaises actions mais avant tout en soulignant leur laideur : « [...] et si elle [la ressemblance] veut nous en faire quelque horreur, ce n’est point par leur punition, qu’elle [la ressemblance] n’affecte pas de nous faire voir, mais par leur laideur [de mauvaises actions], qu’elle [la ressemblance] s’éfforce de nous faire représenter au naturel. »78 Ainsi, Corneille rejette en partie la logique de La Mesnardière, basée sur le respect de la Morale et l’exemplarité. Avant de tirer une conclusion passons rapidement à l'analyse de la dernière mort dans Médée. 74 Idem 75 Couton p.535 76 Šuman Catégories exogènes vs catégories endogènes. Baroque et classicisme dans Médée de Corneille. p.4 77 Couton p.535 78 Idem 32 l’un des plus graves crimes. Or, comme on a déjà dit les suicides sont acceptés par l’esthétique classique lorsqu'ils sont accompagnés des indications scéniques. Ce qui est le cas dès 1644 (voir la colonne droite, le dernier vers). Comme on a déjà évoqué, La Mesnardière parle dans ce contexte des « morts généreux », qui désignent les morts des personnages ayant agi à ce propos d'une mauvaise manière et auxquels le suicide sert de repentir. Michael Hawcroft a très bien souligné dans son récent article, The Bienséances and their Irrelevance to the Death of Camille in Corneille’s Horace83, les paroles de La Mesnardière : « Such characters and their suicides would be very suitable, in his view, for the arousal of pity and the fear84». Respectant alors la logique des «morts généreux» évoqués par La Mesnardière, le suicide sanglant de Jason, qui advient quelques instants avant le tomber du rideau, se voit excusé de la même manière que le suicide de Créon (l’Acte V, scène II, nous répétons). 4. Parmi une pléthore de préceptes En analysant les blessures de Créon, le meurtre de Créuse, le carnage des enfants et les suicides de Créon et de Jason, on peut en venir à la constatation que les violences tout en étant nourries par des passions dévorantes, doivent, elles aussi, se pencher aux règles des doctes. Cependant, ces dernières, à force de ne pas être définies d’une manière précise et laissant alors suffisamment de place aux diverses réinterprétations, ont su, à travers des siècles, revêtir des significations différentes de celles de leur origine. On a évoqué dans ce contexte la notion aristotélicienne « des morts visible s» (én tó phanerõ85) autour de laquelle on mena tant de discussions. Le premier camp fut représenté par les partisans d‘Horace. Ce dernier, tout en admettant que les sensations, provoquées par la perception visuelle, émeuvent plus, admet que dans les cas des événements trop dénaturés (voir la célèbre interdiction faite à Médée « Nec pueros Medea coram populo trucidet »86) le 83 HAWCROFT, Michael: The Bienséances and Their Irrelevance to the Death of Camille in Corneille’s Horace. Papers On French Seventeenth Century Literature, 2011 Volume XXXVIII Nº75. (« Les bienséances et leur insignificance pour la mort de Camille dans la pièce de Corneille, Horace », traduction Martin Balucha) 84 Idem (« Les personnages de ce genre et leurs suicides seraient, selon sa perception [de La Mesnardière], propices à susciter la pitié et l’horreur », traduction Martin Balucha) 85 ARISTOTE, Poétique.XI, 1452. 86 BROWNE D., MANBY R. The Works of Horace. Art Poétique v. 180 et 185 [en ligne]. [s.d], Dernière mise à jour. 2013-06-23 [cit. 2013-05-15]. Disponible sur: <http://books.google.cz>. 35 dramaturge devrait se fier au récit. Castelvetro, s’appuyant sur cette perspective, expliquait le terme grec en ayant recours aux diverses stratégies d’élimination de la mort sur scène. Les deux théoriciens soutenaient leur avis en argumentant par le fait que dans le cas contraire (où on représenterait les horreurs sur scène), on risquerait de créer la discordance entre la perception et la réalisation ( « The audience risks laughing at the discrepancy between what they see and what it is supposed to represent »87) La Mesnardière dans sa Poétique s’approche plutôt du camp aristotélicien. Or, celui-ci tout en soutenant l’avis du théoricien grec qui justifie la mise en scène des actions violentes ajoute également des critères qu’il faut respecter afin de susciter la pitié et la fureur chez son auditoire. Comme on a déjà dit pour le cas de Médée, le poète devrait penser à la Morale et donner beaucoup à l’example. (Médée ne tenant pas beaucoup à ces préceptes fut alors critiquée par La Mesnardière). Si La Mesnardière parlait de la pitié et de la furreur comme des émotions que le poète devrait susciter chez son auditoire, il parlerait de l’horreur comme d’une émotion qu’il faut absolument éviter. Comme il le dit : « Un transissement odieux & une horreur désagréable, qui surmontent infiniment la terreur, & la pitié qui doivent régner l’une et l’autre & toutes deux s’il est possible dans la parfaite tragédie. »88 Beni était également d’avis qu’il faut éviter l’horreur afin de susciter la terreur et la pitié, les affects inévitables au bon fonctionnement de la catharsis. Pour cela, il rejette les crimes où les victimes sont tout à fait innocentes. En interdisant au dramaturge de tuer les innocents, il revient vers le précepte imposé déjà par Aristote, qui exige qu’afin de garantir l’effet requis de catharsis, il faut absolument que les pesrsonnages coupables ne soient ni tout a fait bons ni entièrement méchants.89 Dans quel camp peut-on alors trouver Corneille ? La réponse n’est point transparente. Le partisan d’Aristote, expliquait én tó phanerõ90 par la visibilité des morts qui était censée contribuer au pathos de la pièce. Or, sa conception du terme n’a pas été partagée par d’autres interprètes de la Poétique. Le philologue André Dacier reprochait au dramaturge une mauvaise lecture d’Aristote et affirma que la notion grecque « ne signifie pas précisément une chose exposée aux yeux, mais une 87 Hawcroft The Death of Camille's Horace: Performance, Print, Theory. Papers On French Seventeenth Century Literature, 2011 Volume XXXVIII Nº75. p. 455 88 Idem 89 Hénin p.29 90 ARISTOTE, Poétique.XI, 1452. 36 chose, dont on voit des marques, qui ne permettent pas d’en douter »91 L’appréhension différente de Corneille du terme grec lui permettait alors d’ensanglanter la scène. En fait, d’après le dramaturge les Anciens n’interdisent guère aux poètes d’éviter le sang sur scène car il produit l’effet violent, indispensable pour le pathos de la pièce. C’est ainsi qu’il sape l’existence de la règle, évoquée par Scudéry lors de la Querelle du Cid qui défendrait aux dramaturges de commettre les morts sur le théâtre. Toutefois, la position de Corneille est plus voilée et bien plus difficile à cerner. Si Corneille soutenait l’avis d’Aristote quant aux morts sur scène, dans les cas extrêmes (voir le meurtre des enfants) il reconnaissait l’avis d’Horace préférant le récit au spectacle. Selon l’exemple du théoricien latin, il prône la crédibilité de la représentation. Michael Hawcroft souligne l’approche de Corneille : « It is possible to depict on-stage death as long as it does not damage the illusion of reality »92. Corneille donne alors la primauté surtout à la ressemblance historique. C’est-à-dire à la crédibilité de la réalisation, à ce que les personnages soient fidèles à leurs modèles antiques, universellement connus.93 Dans ses Discours Corneille le dit lui-même : « Qui peindrait Ulysse en grand guerrier, ou Achille en grand discoureur, ou Médée en femme soumise, s’exposerait à la risée publique. »94 Cependant cette règle concerne surtout les héros principaux connus très bien du public. Pour ce qui concerne des personnages secondaires dont le comportement n’est pas si flagrant et ne ressort pas autant dans les fables, les dramaturges peuvent les soumettre aux lois de l’esthétique. Corneille ne respecte pas seulement la ressemblance au niveau des personnages, mais également au niveau des actions. Michael Hawcroft met en évidence l’attitude de Corneille : « Corneille’s view is that a well-known event has to be retained, but it can be presented in such a way as to make it more appropriate for performance on stage. »95 Cette autorité de la ressemblance chez Corneille implique la présence des spectacles macabres sur 91 Hénin p.16 92 Hawcroft The Death of Camille's Horace: Performance, Print, Theory, p.458, ( « Il est possible de représenter la mort sur scène tant qu’elle ne nuit pas à l’illusion de la réalité », traduction Martin Balucha) 93 Šuman Interprétation du khrèstos aristotélicien (La Poétique, chapitre XV): La Mesnardière, Chapelain, Heinsius versus la dramturgie cornélienne dans Médee. p.1 94 Corneille p.82 95 Hawcroft The Death of Camille's Horace: Performance, Print, Theory. p. 459 ( « L'avis de Corneille était que l'événement connu doit être gardé, mais ce dernier peut être démontré de manière à ce que la représentation soit plus appropriée pour la scène », traduction Martin Balucha) 37 un comportement conforme aux attentes du public, suffit aux besoins scolaires mais ne répond pas à toutes les questions esthétiques. Ainsi, comme pour le terme grec én tó phanerõ107, Corneille propose sa propre perception du vraisemblable, respectant surtout la ressemblance, l’Histoire et l’opinion des Anciens. Voici le passage concerné : [...]« les grands Sujets qui remuent fortement les passions, et en opposent l’impétuosité aux lois du dévoir, et aux tendresses du sang, doivent aller au-delà du vraisemblable, et ne trouveraient aucune croyance parmi les Auditeurs, s’ils n’étaient soutenus, ou par l’autorité de l’Histoire, qui persuade avec empire, ou par la préoccupation de l’opinion commune, qui nous donne ces mêmes Auditeurs déjà tous persuadés. » (Pierre Corneille, Trois Discours sur le poème dramatique, p.64) Il résulte de cet extrait que dans les cas de grands Sujets (voir Médée), quelle que soit alors la nature de la vraisemblance, ce n’est pas le souci de celle-ci qui devrait commander le travail du poète. C’est la triple influence de l’Histoire, des opinions des Anciens et du goût pour la ressemblance, qui est censée représenter l’autorité principale. D’ailleurs Corneille énonce lui-même une phrase plus tard où il affirme que quoique le sujet de Médée, reflétant une femme qui tue ses enfants, ne soit pas vraisemblable, il faut absolument respecter l’Histoire qui représente le modèle incotestable. Au cas où le dramaturge traiterait le sujet d’une manière divergente, ne tenant pas au modèle imposé par l’Histoire, il risquerait selon Corneille s’exposer à la risée publique. On en est venu de nouveau vers la ressemblance, qui préconisait surtout la crédibilité de la représenation. Cette même avis de Corneille avant d’être publié dans les Trois discours sur le poème dramatique, fut interprété dans la lettre à Monsieur P.T.N.G.108 précédant Médée. On peut alors constater que Corneille, au moins pour ce qui concerne Le Cid et Médée, laisse de côté la règle de la vraisemblance au profit de l’Histoire (dans le cas de Médée) et du vrai (dans le cas du Cid). Cependant dans ce dernier cas, ce ne fut qu’avec de nombreuses contestations. Que peut-on alors dire de l’attitude de Corneille relative aux règles, dont notamment le trio én tó phanerõ, la bienséance et la vraisemblance ? Pourrait-on affirmer comme certains critiques modernes109, que Corneille au début de sa carrière manifeste l’indifférence envers les règles ? 107 ARISTOTE, Poétique. XI, 1452. 108 Couton p.535 109 Forrestier, Introduction à l’Analyse des Textes Classiques p.13 40 On devrait se méfier de définitions simplistes, qui rejettent la possibilité de considérer plusieurs aspects. D’un côté, il est vrai que Corneille au début de sa carrière (insistons sur ce fait), méprise certaines règles tout en prenant compte de leur existence. C’est la cas de la bienséance perçue à l’époque surtout dans le contexte de la convenance. D’ailleurs, les retouches que Corneille entreprit dans les éditions ultérieures, font preuve que l’attitude de Corneille envers ce principe évolue. De l’autre côté, si Corneille fournit des explications différentes de certaines notions (comme par exemple du terme grec én tó phanerõ110 ou de la vraisemblance ce n’est pas puisqu’il manque de respect aux principes des Anciens mais puisqu’ils n’ont pas utilisé des définitions sufisamment limpides pour prévenir d’autres interprétations. Le choix de Corneille d’interpéter différemment les principes où manquent des définitions précises est donc celui de chaque écrivain qui sait soutenir ses arguments. Ce en quoi Corneille excellait. 5. Conclusion On a vu que le théâtre à la charnière du XVIe et du XVIIe siècle voit des transformations importantes. À partir d’un genre ordinaire, il a su acquérir un statut, qui n’a été jusqu’à aujourd’hui égalé. Cette transition au niveau du genre littéraire était conditionnée par d’importants changements advenus au sein de la société. Progressivement, les dramaturges gagnent un meilleur statut social, on cesse de réprimander les acteurs, le goût pour la farce, la pastorale et la tragicomédie, représenté par la génération d’Hardy, laisse la place à l’intérêt croissant de la génération des théoriciens et des dramaturges pour les principes instaurés par les auteurs grecs ou latins. Comme on a signalé, ce déplacement peut être perçu comme le passage de l’esthétique baroque à l’esthétique classique. Or, ce raisonnement n’est possible qu’en ayant à l’esprit que la notion de baroque ainsi que celle de classique représentent des catégories exogènes établies par les critiques littéraires à posteriori. Et encore, le terme de baroque échappe à toutes tentatives d’élucider son caractère. Dans ce contexte on a évoqué plusieurs conceptualisations du baroque, dont notamment celle de Jean Rousset, reposant surtout sur l’approche dérivée d’une 110 ARISTOTE, Poétique. XI, 1452. 41 analyse de plusieurs domaines artistiques. On a également mentionné la vision de Bruce Morissette, qui soulignait surtout le caractère chimérique de la notion. Toutefois, ce fut la perception de Raymond Lebègue, mettant en évidence les traits du théâtre baroque dont spécialement celui s’intéressant au caractère des actions montrées sur scène, qu’on a choisi pour notre analyse dramaturgique. Cette- dernière concernait plus particulièrement les morts violentes sur scène. Ainsi, en mettant en perspectivet les avis des théoriciens (antiques, classiques et contemporains) aussi bien que les retouches faites par Corneille par rapport à l’édition originale de 1639, on a examiné le suicide de Créon et de Jason, le meurtre de Créuse et le carnage des enfants. Quant au premier suicide (celui de Créon), ayant eu recours aux principes démontrés par Castelvetro, on a pu constater que Corneille n’enfreint pas la doctrine classique, même s’il montre un personnage, qui meurt sur scène. De même, la mort de Créuse causée par les flammes invisibles (ayant un rôle crucial au niveau esthétique), est acceptée par les règles esthétiques. En ce qui concerne le meurtre de petits enfants, l’explication fut plus complexe. Après une rapide analyse du passage ainsi que celle des retouches, on a mis en avants le fait que les corps des enfants ne sont apportés sur scène qu’après la mort, qui a eu lieu hors scène. C’est cette technique de manifester la mort sans la représenter que les théoriciens appellent des morts en voix-off. Ce passage a été également interprété dans la perspective d’Horace, qui, préscrit à Médée antique ne pas immoler ses enfants. La logique que prône dans ce cas également Corneille, partisan d’Aristote. Évoquant égalemant la question de la pitié on a mentionné la critique de La Mesnardière, blâmant Sénèque de ne pas tenir à l’examplarité du dénouement et Beni, soulignant surtout l’innocence des enfants. Ce chapitre fut clos par le rappel de la ressemblance, la notion clef de l’esthétique cornélienne. Au final, on a évoqué le suicide de Jason, dont on a également constaté, comme pour les cas des représentations des morts précédents, qu’il ne contrarie pas les règles imposées par les Anciens. Le dernier chapitre était censé expliquer l’attitude de Corneille envers trois maître-mots : én tó phanerõ111, la bienséance et la vraisemblance. On est venu vers la constatation que l’interprétation cornélienne de ces notions résulte surtout d’une différente lecture des principes instaurés par les Anciens. Ces derniers n’ayant pas fourni des définitions plus strictes, ont laissé suffisamment de place pour des futures 111 ARISTOTE, Poétique.XI, 1452. 42 Ve třetí kapitole jsme se věnovali Médein vražd dětí. Jelikož se jedná o nejčastěji zmiňovanou pasáž a vyvrcholení celé tragédie, byl rozbor této části komplexnější. Po zběžném popisu činu, jehož se Médea dopustila, jsme zdůraznili další z Castelvetrových strategií, jak docílit vyjádření smrti bez jejího znázornění na scéně. Byla jím tzv. smrt en voix-off. Strategie, která na straně jedné umožnila Corneillovi zachovat pasáž představující podstatu celé divadelní hry, ale která na straně druhé znamená odklon od Euripidovy verze Médei. Vraždu dětí jsme následně interpretovali i z pohledu římského dramatika a kritika Aristotela, Horacia, jež se stavěl proti krvavému činu. Usmrcení synů jsme se snažili podrobit i kritériu soucitu, který měl velkou váhu v interpretaci Beniho, a kritériu příkladnosti, klíčovému pro přistup La Mesnardièra. Kapitolu jsme ukončili pojednáním o podobnosti, která je pro Corneille velmi důležitým termínem. Poslední smrtí, jíž jsme se zabývali a u které jsme shledali, že není proti pravidlům předepsaným antickými autory, byla Kreonta sebevražda. V závěrečné kapitole jsme se snažili vysvětlit Corneillův přístup ke třem ústředním termínům : én tó phanerõ (smrt na jevišti), bienséance (přiměřenost) a vraisemblance (věrohodnost). Došli jsme k závěru, že Corneillovo chápání těchto termínů vychází především z odlišné interpretace pravidel postulovaných řeckými a římskými autory. Tím, že poskytli nedostatečně jasné definice, umožnili budoucím generacím různé interpretace jimi zavedených termínů a zavdali tak podmět k neutuchajícím debatám ohledně jejich samotné podstaty. Analýza smrti na jevišti stejně jako Corneillův postoj k tradičním pravidlům, nám umožnily zkonstatovat, že Médea je tragédií navazující na antickou tradici. Řečtí ani následně římští autoři, na něž dramatikové sedmnáctého století nahlíželi jako na vzory, nezakazovali zobrazovat násilí na jevišti. Ba naopak je propagovali v mezích, které nepohoršovaly publikum. Z uvedeného důvodu jsme museli zavrhnout Lebègův koncept barokní divadelní hry. Násilí na jevišti není objevem počátku sedmnáctého století. Jestliže Corneillova Médea zobrazuje násilí více než budoucí divadelní hry, je to především z toho důvodu, že je pro Corneille důležitější návaznost a respekt obecně tradovaných pověstí. Charakter Corneillovy Médei je dále ovlivněn divadelními hrami objevujícími se na rozhraní šestnáctého a sedmnáctého století a v neposlední řadě i pozdějším nástupem klasicistní estetiky rozvíjející se především od roku 1660 do roku 1680. 45 Médea tedy nemůže být pouze produktem klasicistní estetiky, ale reflektuje několik pasáží, které i přes pozdější úpravy dokazují, že Corneillova tvorba v průběhu století doznává určitého vývoje. Kdybychom však chtěli tyto úpravy včlenit pod společným jmenovatelem nazvaným barokní estetika, narazili bychom na nejasnost termínu tkvící v jeho nezměrné šíři. 46 7. Bibliographie ARISTOTE, Poétique. [en ligne]. [s.d], Dernière mise à jour. 2013-06-23 [cit. 2013-05-15]. Disponible sur: <http://remacle.org/bloodwolf/philosophes/Aristote/poetique.htm >. AUBIGNAC François Hédelin abbé d’, La Pratique du Théâtre. Paris: Honoré Champion Éditeur, 2011. BOILEAU, Nicolas: Art Poétique. Paris: Garnier-Flammarion, 1969. BROWNE D., MANBY R. The Works of Horace. [en ligne]. [s.d], Dernière mise à jour. 2013-06-23 [cit. 2013-05-15]. Disponible sur: <http://books.google.cz>. COLLOGNAT-BARÈS, Annie: Le baroque en France et en Europe. Paris: Pocket, 2003. CORNEILLE, Pierre: Trois Discours sur le poème dramatique. Paris: Éditions Flammarion, 1999. COUTON, Georges: Notice à son édition des Œuvres complètes de Pierre Corneille. Paris: Éditions Gallimard, « Bibliotèque de la Pléiade », tome I, 1980. 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