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La Mission du Marquis D'égullles en Écosse auprès de ..., Schémas de Langue Française

gouvernement de Louis XV, quand l'ouverture de la guerre de la ... of Duncan George Forbes, of Culloden, publié par H.-R. Duff.

Typologie: Schémas

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Danielle92
Danielle92 🇫🇷

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Télécharge La Mission du Marquis D'égullles en Écosse auprès de ... et plus Schémas au format PDF de Langue Française sur Docsity uniquement! ANNALES DE L’ÉCOLE LIBRE SCIENCES POLITIQUES Coulommiers: Imp. P. BRODARD et GALLOIS. LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUILLES EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. (1745-1746.) Un projet de débarquement en Angleterre, et le dessein d’une invasion destinée à provoquer un soulèvement britannique en faveur des Stuarts, constituent depuis la révolution de 1688 jusqu’au milieu du XVIII e siècle la partie traditionnelle de tous les plans de campagne dirigés par la France contre la Grande- Bretagne. Le souvenir malheureux de la Boyne et de la campagne de 1690 en Irlande, la pénible répétition des échecs subis en Écosse, en 1708, en 1715, en 1719, n’empêchèrent pas le gouvernement de Louis XV, quand l’ouverture de la guerre de la Succession d’Autriche remit la France aux prises avec son ancienne ennemie, de songer sérieusement aux chances que pouvait offrir une heureuse diversion, entreprise moins contre la nation anglaise que contre la maison de Hanovre. Après trois générations d’exil, la maison de Stuart offrait encore, dans la personne de l’héritier de son sang, assez de vigueur et d’initiative pour laisser espérer le succès d’une pareille entreprise, et, sans parti pris de dénigrement ou d’enthousiasme, les ministres français pouvaient avec suffisamment de vraisemblance s’attendre à voir le caractère entreprenant de Charles-Édouard réussir, là où l’apathie du chevalier de Saint-Georges son père n’avait provoqué que des désastres. Louis XIV, qui faisait tout en roi, avait eu en Irlande, auprès de Jacques II détrôné, un ambassadeur aussi régulièrement accrédité qu’à Londres même avant la révolution 1 . Le comte d’Avaux avait rempli ces fonctions à Dublin et à la suite de l’armée, pendant toute l’année 1689, entretenant avec Colbert de Croissy une correspondance régulière 2 En 1708, au moment où la flotte qui alla 1 Instruction de d’Avaux, mars 1689, intitulée: « Mémoire du Roy pour servir d’instruction au comte d’Avaux, s’en allant avec le Roy de la Grande Bretagne en qualité d’ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté. » (Arch. Aff. étr., Corr. pol., Angleterre, 168.) 2 Correspondance de d’Avaux. Brest, 6 mars 1689.—Dublin, 25 janvier 1690. (Id., 168-170 et 172.) 240 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES inutilement croiser devant les côtes d’Écosse se préparait à Dunkerque, le comte de Gacé avait été chargé auprès du chevalier de Saint-Georges d’une mission analogue 1 , mission éventuelle que la rentrée de l’expédition au port empêcha en fait d’avoir jamais lieu 2 . L’envoi d’un représentant du gouvernement français, accrédité près de son fils, était par conséquent chose toute naturelle, et le marquis d’Éguilles, en 1745 3 , devint en quelque sorte titulaire de ce poste 4 aux longues intermittences, dans lequel il pouvait compter déjà des prédécesseurs 5 . Il l’occupait, toutefois, avec la diminution graduelle d’appareil et de crédit qui ne correspondait que trop à la différence du traitement réservé par Louis XIV à Jacques II et par Louis XV à Charles-Édouard. A la dissemblance insensible des formules officielles, d’Avaux, accrédité « s’en allant avec le roi de la Grande-Bretagne en qualité d’ambassadeur extraordinaire de Sa Majesté »; Gacé, envoyé « pour agir en qualité d’ambassadeur en Écosse »; d’Éguilles, expédié furtivement « allant en Écosse », il est facile de sentir que Jacques II venait seulement de tomber du trône, que le chevalier de Saint-Georges n’avait été roi qu’à Avignon ou à Rome, et que Charles-Édouard était seulement l’héritier d’un père qui n’avait jamais régné que de nom. Il y eut donc auprès du prince Charles-Édouard Stuart, pendant la campagne extraordinaire qu’il entreprit en Écosse, en 1745 et 1746, un ambassadeur presque attitré. Les œuvres d’imagination célèbres, au souvenir desquelles s’associe inconsciemment pour ainsi dire tout récit d’événements relatifs à cette période de l’histoire écossaise, évoquent mal, semble-t-il, l’idée d’un négociateur accrédité auprès d’un prince dont les aventures relèvent autant de la fiction que de la réalité 6 . On se fait 1 L’instruction de Gacé n’a pas été conservée. Il y est seulement fait allusion dans une dépêche de Torcy à Gacè, du 6 mars 1708, dans laquelle il est désigné « pour agir en qualité d’ambassadeur en Écosse ». (Id., 226.) 2 Correspondance de Gacé. Dunkerque, 11 mars 1708. (Id. 226.) 3 Instruction de d’Éguilles, 24 septembre 1745, intitulée: « Mémoire pour servir d’instruction de la part du Roy au sieur marquis d’Éguilles allant en Écosse. » (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) Voir ci-dessous. 4 Correspondance de d’Éguilles. (Id., 79 et 80.) Voir ci-dessous. 5 En 1715 et en 1719, la France se trouvant en paix avec l’Angleterre, on ne trouve pas trace d’un agent accrédité auprès du chevalier de Saint-Georges, qui ne fut soutenu que par l’Espagne. 6 On sait cependant que, pour ne considérer que l’exactitude des EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 241 difficilement à l’idée d’un diplomate obligé, pour rester aux côtés du souverain qu’il veut suivre, de partager les marches forcées des montagnards, d’adopter leur existence et leurs fatigues, de mener avec eux la vie de guerre, presque à l’état sauvage, comme le prince qu’il devait accompagner la supportait lui-même. Ce caractère exceptionnel et singulier sera cependant celui de la mission du marquis d’Éguilles. Marin, ambassadeur, colonel d’artillerie au besoin, on le verra déchiffrer ses dépèches sous une tente, dans un camp, sur la plage d’où va repartir le corsaire qui l’amena. Sa négociation commence par un combat naval et se termine par une ruse de guerre qui le sauve lui et ses compagnons d’une exécution sommaire 1 . renseignements, le récit des événements d’ordre historique dans Waverley et dans les Tales of a Grandfather est une des meilleures relations connues. 1 Les correspondances et documents utilisés dans cette étude, indépendamment de ceux compris dans les séries régulières des dépôts des Affaires étrangères, de la Marine et de la Guerre, proviennent pour la plupart de la collection de lettres, de rapports, de pièces de toute origine et de toute nature qui ont formé peu à peu aux Archives des Affaires étrangères le fond dit des Stuarts, actuellement Mémoires et documents, Angleterre, volumes 76 à 95, anciennement désignés Stuarts, 1 à 19. Les documents officiels relatifs à la mission de d’Éguilles sont reliés, chaque pièce à sa date respective, dans les volumes 79, 80, 83 de cette série. L’instruction de d’Éguilles (vol. 79) a été publiée dans les pièces justificatives de l’histoire de Charles-Edward de M. Pichot (Histoire de Charles-Edward, dernier prince de la maison de Stuart, quatrième édition, Paris, 1842, 2 vol. in-8°). Des parties de la correspondance de d’Éguilles (vol. 79 et 80) ont élé insérées dans la publication intitulée: Un protégé de Bachaumont, parue dans le recueil reconstitué sous le nom de Revue rétrospective (Revue rétrospective, recueil de pièces intéressantes et de citations curieuses, sous la direction de M. Paul Cottin, Paris, Lepin, in-18, t. III, juillet-décembre 1885, pp. 95-158). Le Mémoire au roi (vol. 80) intitulé mémoire de M. le président d’Eguilles sur sa commission en Écosse, et qui parait avoir été rédigé vers la fin de 1747 ou au commencement de 1748, a été imprimé au commencement de ce siècle dans les Archives littéraires de l’Europe (Archives littéraires de l’Europe, ou mélanges de littérature,d’histoire et de philosophie, par une société de gens de lettres, Paris, 1804-1808, 17 vol. in-8°, t. I, pp. 78-101). Un autre mémoire (vol. 83), sans titre ni mention d’origine, est cité ci- dessous sous la rubrique: Mémoire sur le rôle de d’Éguilles en 244 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES L’avènement du ministère belliqueux de lord Carteret, l’entrée de George II dans la guerre de la Succession d’Autriche, en tant qu’électeur de Hanovre, au commencement de 1743, coïncidant avec la mort de Fleury, fait passer l’entreprise de la condition de chimère sentimentale à l’état de diversion utile en pays ennemi. La France avait dès lors un intérêt direct à inquiéter la maison de Hanovre, en soutenant une dynastie rivale et un prince dont l’apparition eût soulevé l’Angleterre et amené le rappel des troupes qui opéraient en Allemagne de concert avec celles de la maison d’Autriche. Le gouvernement de Louis XV avait entre les mains, dès cette époque, des renseignements et des engagements qui lui permettaient de se rendre compte des forces et du dévouement des partisans des Stuarts. C’était en premier lieu un acte écrit et solennel, signé en 1741 à Édimbourg par les sept principaux chefs des Highlands d’Écosse, dont l’adhésion ouverte, un débarquement une fois opéré, devait soulever toutes les Hautes-Terres 1 . A défaut d’un serment aussi formel des tories anglais, l’émissaire français, qui sur leur demande avait récemment parcouru les comtés d’Angleterre, avait rapporté des notions assez précieuses sur leurs dispositions et leur état d’esprit 2 . S’il fallait se montrer moins confiant qu’eux dans le soulèvement simultané de la Cornouaille, du pays de Galles et du Lancashire, dont ils se prétendaient assurés, il n’en restait pas moins avéré que la dynastie hanovrienne était partout l’objet de l’indifférence générale, et, en plusieurs endroits, d’un mépris qui allait jusqu’à la haine 3 . C’est dans ces 1 L’original de cette pièce historique, scellée de sept cachets de cire rouge, est aux Archives des Affaires étrangères. Elle est rédigée sous forme de lettre adressée à Fleury, datée d’Édimbourg, 13/24 mars 1741. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 77.) 2 Ce rapport est aux Archives des Affaires étrangères. Il porte la date du 3 novembre 1743, et est intitulé: État des seigneurs ou gentilshommes qui ont le plus de crédit dans les différentes provinces d’Angleterre et sur lesquels on peut compter (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 77.) M. Pichot, dans son Histoire de Charles-Édouard, en a inséré quelques passages. 3 « On mena ensuite l’homme du R. T. C. dans les provinces pour lui prouver les sentiments et les dispositions de la noblesse: on lui donna une liste d’environ 70 pairs du royaume sur lesquels on pouvait compter pour le service du roi Jacques Trois… L’homme du R. T. C. fut présent aux courses de chevaux qui se firent alors à Litchfield, ville principale de la province de Stafford; il y avoit une assemblée de plus de trois cents seigneurs ou gentilhommes dont le moins riche avoit près de trois mille livres sterling de rente en fonds de terres, dans toute cette assemblée il ne se trouva qu’un seul gentilhomme qui fut partisan du EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 245 conditions, l’Angleterre même, en tant que nation, se trouvant encore en apparence en paix avec la France, que dans les derniers jours de 1743 une expédition destinée à des chances de succès très réelles est combinée avec l’Espagne 1 , que dix mille hommes de troupes sont réunis à Dunkerque, Maurice de Saxe désigné pour les commander, et que Charles-Édouard arrive de Rome pour passer dans la Grande-Bretagne en qualité de régent du Royaume-Uni. La tempête du 6 au 7 mars 1744, qui met hors de service la plus grande partie des bâtiments légers disposés pour le transport, fait abandonner le projet 2 , et malgré l’ouverture officielle des hostilités entre la Grande-Bretagne et la France, qui a lieu au milieu des préparatifs, Louis XV porte vers l’Allemagne l’attention et les efforts de sa politique. Charles-Édouard paraissait oublié à Gravelines, à Fitz-James, au château de Navarre, où il cherchait successivement l’isolement. D’Argenson, qui avait succédé à Fleury après le court ministère gouvernement présent, tous les autres faisoient gloire d’être attachés au roi Jacques et ils déclarèrent ouvertement qu’ils étoient prêts à prendre les armes pour son service aussitôt qu’un seigneur qui étoit de la compagnie leur en donnerait le signal… » (Mémoire de lord Sempill de mars 1744, déjà cité.) 1 Ce qui suit, d’après Flassan, Histoire générale de la diplomatie française, t. V, p. 276-281. 2 Voici comment un contemporain bien informé apprécie cette entreprise: « Voicy ce que je pense sur l’affaire d’Angleterre. Tout dépend de l’embarquement et du débarquement. II ne s’agit que d’arriver, et, humainement parlant, tout sera fait. Pour y réussir il faut préparer à Dunquerque tout ce qui sera nécessaire pour faire la descente. Mais il est très important que l’on ne retombe plus dans les mêmes fautes que l’on a faites dans la dernière entreprise, où les affaires de la marine furent conduites misérablement. (L’on n’ignore pas que le roy George avoit fait préparer un yacht pour se sauver si la descente s’étoit faite l’année passée.) On fit an grand armement à Brest, et on rassembla quantité de bâtiments sur les côtes de Flandres, avec si peu de précautions que l’on aficha pour ainsi dire le dessein que l’on avoit de faire une descente en Angleterre. On en donna la direction à une personne qui n’avoit nulle connoissance de la Manche, ni des côtes de la Grande Bretagne, qui manœuvra à faire pitié… » (Mémoire anonyme intitulé: Reflexions particulières, déjà cité.) 246 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES d’Amelot, s’occupait à lui refuser une commission d’officier dans l’armée de Flandre 1 , quand on apprit en France, et presque à la fois, le débarquement et les premiers succès du prince, qui, ne se fiant qu’à son initiative, venait de fréter une frégate à Nantes et de se jeter en partisan dans les montagnes de l’Écosse. Le 12 juin 1745 2 , il avait quitté sans éclat sa résidence de Navarre, près d’Évreux; le 21 3 , il s’embarquait à Saint-Nazaire, sur la Doutelle, avec sept compagnons, et, le 15 août 4 , après plusieurs semaines de navigation et de cabotage dans les Hébrides 5 , il abordait à la côte occidentale d’Écosse, dans le Loch Nanuagh, bras de mer encaissé de montagnes qui sépare le pays de Muidart du pays d’Arisaig, au nord de la dépression calédonienne qui coupe en deux les Hautes- Terres. Puis, les succès se précipitant, il était acclamé régent au rendez-vous de Glenfinnin, le 30 août; le 7 septembre, ayant passé les montagnes, il commençait à descendre cette longue vallée d’Athol et de la Tay qui prend les Highlands en écharpe. Le 10, il 1 Note de la main de d’Argenson, adressée à du Theil, premier commis des Affaires étrangères, sur la réponse à faire à la lettre de M. O’Bryen du 20 avril 1745, qui insistait sur la demande du prince. « La vérité est que le Roy a refusé déjà par deux fois que le prince de Galles servit à l’armée: le second refus est de la semaine passée—la vraye raison est que nous ne devons pas davantage augmenter l’injure n’y irriter le roy d’Angleterre hanovrien contre nous, il l’est déjà assez.—M. du Theil est prié de découvrir d’autres raisons honnêtes à alléguer.. » (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 2 Celle date, d’après Pichot, Histoire de Charles-Edouard. 3 Cette date, d’après Browne, History of the Highlands, t. III. 4 Cette date, d’après la lettre de sir Thomas Sheridan à d’Argenson, datée d’une baie de la côte d’Écosse, le 4/15 août, et d’après celle de Charles-Édouard à Louis XV, évidemment écrite encore à bord de la Doutelle, le 6/17 août. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.)—Voir aussi la lettre de Norman MacLeod au président Duncan Forbes de Culloden, datée de Dunvegan, 3/14 août, signalant le navire. (Culloden Papers, n° 246.) 5 La confusion constante entre l’ancien et le nouveau style du calendrier, la réforme grégorienne n’ayant été adoptée en Angleterre qu’à partir de 1752, fait régner une très grande incertitude parmi les dates des événements de cette époque, et surtout parmi celles de la traversée et de l’arrivée de Charles- Édouard en Écosse. Toutes les dates citées ci-dessus et ci-dessous sont arrêtées d’après le nouveau style, à moins de double indication. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 249 se mit immédiatement en mesure, avec dix mille francs comme pécule 1 , de partir pour Dunkerque et de là pour l’Écosse. Il serait intéressant de connaître l’état des informations parvenues au gouvernement français, au moment exact où la pensée d’accréditer auprès de Charles-Édouard un représentant direct prit corps et fut adoptée. Aucune trace des intentions de Louis XV et de d’Argenson 2 n’étant demeurée, et ce que l’on connaît de la correspondance des agents jacobites avec Jacques III à Rome étant muet sur ce point 3 tout ce qu’il est possible de prendre comme point de départ est la date de l’Instruction de d’Éguilles. Or le 24 septembre, jour même où elle était signée à Choisy, Charles-Édouard continuant sa route de Perth à Édimbourg, occupait la ville de Doune au débouché dans la plaine des Basses-Terres et, dans l’après-midi, passait le Tay 4 au Ford of the Frew, se dirigeant sur Édimbourg où il entra, comme on a vu, le 28. Nouvelles qui n’arrivèrent d’ailleurs en France que pendant le séjour de d’Éguilles à Dunkerque, à la veille de son embarquement 5 . Ainsi, dans la troisième semaine de septembre, on ne pouvait guère savoir à Paris, par les lettres particulières venues de Hollande, que l’insurrection partielle des cantons les plus sauvages de l’Écosse. En somme, le 7, après le rendez-vous de Glenfinnin, Charles-Édouard avait autour de lui un peu plus de 1 « Vous aviez jugé vous-même que six mille francs ne suffisaient pas et qu’il luy faudroit dix mille francs… Je n’ay parlé à M. d’Éguilles de deux mille écus que pour le sonder et luy faire trouver d’autant meilleur ce que vous voudriez bien y ajouter. Je crois en effet que deux mille écus sont bien peu pour une commission aussi délicate. » (Le Dran à d’Argenson, Paris, 24 septembre 1745, Arch. Aff. étr., Mém. et. Doc, Angleterre, 79.) 2 D’Argenson dit seulement: « Le marquis d’Éguilles a été employé par moi auprès du prince Édouard tant qu’il a été en Écosse. » (Journal de d’Argenson, 29 décembre 1749, dans Journal et Mémoires de d’Argenson, t. VI, p. 109.) 3 Aucune allusion dans la série de lettres de lord Sempill à Jacques III, publiée par M. Browne dans les pièces justificatives de l’History of the Highlands (T. III, p. j. 3). 4 Actually, the ford is over the River Forth, eight miles above Stirling. [Editor:] 5 « Par les lettres écrites icy de Hollande, il paroit presque certain que le prince est bien pret d’Edimbourg, s’il n’y est pas déjà entré: ce seroit là un grand événement. » (D’Éguilles à d’Argenson. Dunkerque, 1 er octobre 1745.) 250 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES deux milliers d’hommes 1 ; le 10, à Blair, le duc d’Athol et lord George Murray lui en présentaient un millier 2 ; le 15, à Perth, le duc de Perth lui en amenait autant 3 . Mais on l’ignorait certainement à la cour de France, et, en décidant comme il le faisait l’envoi d’un ambassadeur immédiatement et sans délai, d’Argenson risquait fort de le faire arriver trop tôt à la côte orientale d’Écosse, que le soulèvement pouvait n’avoir pas encore atteint. Cette crainte était du reste écartée quand d’Éguilles sortit de Dunkerque, instant où, sans être encore informé du succès de Preston-Pans, on était déjà certain de l’occupation d’Édimbourg. Il n’est pas moins important de se rendre exactement compte quel était, au même moment, pendant cette période d’expectative et d’incertitude sur l’étendue du soulèvement écossais, l’état des secours que le gouvernement français avait spontanément préparés ou était résolu à donner, « connaissance qui m’est absolument nécessaire », remarquait fort bien d’Éguilles, « pour proposer de delà tels ou tels partis et pour pouvoir envoyer ici un plan d’opérations raisonnées 4 . » Lors du projet d’expédition de l’année précédente, les jacobites anglais, quand il s’était agi de préciser des chiffres, avaient formulé la demande suivante: en Angleterre, un débarquement de dix mille soldats; en Écosse, un envoi d’armes pour vingt mille hommes des clans prêts à se soulever, avec un soutien de deux ou trois bataillons réguliers 5 . Dans la lettre du 12 1 Exactement 2,030, ainsi décomposés: Camerons, sous Lochiel ..................................... 700 Macdonalds, sous Clanranald ............................. 250 Stuarts d’Appin, sous Ardshiel ........................... 220 Macdonalds de Keppoch .................................... 260 Macdonalds de Glengarry .................................. 600 (Lettre de Thomas Fraser de Gorluleg au président Duncan Forbes de Culloden, Gortuleg, 7 septembre 1745, dans Culloden Papers, n o 202.) On peut comparer ce dénombrement émanant d’un témoin oculaire avec celui donné par d’Éguilles à son arrivée en Écosse, publié ci-dessous. 2 Sir John Cope au président Duncan Forbes de Culloden. Aberdeen, 23 septembre 1745. (Culloden Papers, n o 267.) 3 Ibid., id.. 4 D’Éguilles à d’Argenson. Dunkerque, 6 octobre 1745. 5 Mémoire de lord Sempill de novembre 1744, déjà cité. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 251 juin à d’Argenson, Charles-Édouard, par l’intermédiaire de Sheridan, ne demandait, outre des armes et de l’argent, que l’envoi éventuel du régiment de cavalerie de Fitz-James et de la brigade irlandaise 1 , ces troupes que, selon l’expression de d’Argenson, Louis XV considérait « comme une espèce de dette ou de dépôt confié à la France » depuis la révolution de 1688 2 . Les agents du chevalier de Saint-Georges plus ou moins officieusement accrédités à la cour de France montraient plus d’exigences. L’Irlandais O’Bryen, qui depuis quelques mois négociait 3 concurremment avec Sempill 4 , avec lequel il était en assez mauvais rapports 5 , demandait formellement un corps d’armée de dix à douze mille hommes 6 , en transmettant à d’Argenson la nouvelle du départ du prince, qu’il disait avoir reçue aussi tardivement que le ministre 7 . En même temps, vers la fin de juillet, deux nouveaux agents rejoignaient la cour en Flandre, lord Clancarty, ancien chef d’escadre dans la flotte anglaise, plus spécialement délégué par les jacobites d’Angleterre, et lord Marishall, envoyé de Rome par le Prétendant 8 . Malgré les jalousies et des intrigues qui divisaient tous ces diplomates occultes, la présence de lord Marishall et le crédit spécial dont il était muni 9 décidèrent la mise à l’étude d’un embarquement de six mille hommes destinés soit à l’Écosse soit à l’Angleterre 10 . Un mémoire fut rédigé à cet effet sous la direction 1 Sir Thomas Sheridan à d’Argenson. Navarre, 12 juin 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 2 Instruction de Châteaubrun. 3 Lettre de créance d’O’Bryen, Jacques III à d’Argenson. Rome, 27 février 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 4 Lettre de créance de lord Sempill, Jacques III à d’Argenson. Rome, 23 février 1745. (Ibid., id.) 5 Instruction de Chateaubrun. 6 O’Bryen à d’Argenson—à Maurepas, 29 juillet 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 7 O’Bryen à d’Argenson, 24 juillet 1745. (Ibid., id.) 8 O’Bryen à d’Argenson, 7 août 1745. Jacques III à Louis XV, 11 août 1745. (Ibid., id.) 9 Mémoire remis par lord Marishall à d’Argenson, daté du 20 août 1745. (Ibid., id.) 10 Lettre de d’Argenson à Maurepas, du 20 août, à laquelle il est fait allusion dans sa lettre à lord Marishall en réponse au mémoire de celui-ci du 20, datée du 23 août 1745. (Ibid., id.) 254 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES Sa Majesté », dit Maurepas, « n’en sera que plus disposée à continuer et augmenter ses assistances et secours pour aider le prince Charles-Édouard à se soutenir en Écosse, en sorte qu’il ait lieu de se flatter de voir ses affaires prospérer de jour en jour, non seulement dans ce royaume, mais aussi en Angleterre et en Ir- lande… » Et, plus loin encore: « Le sieur marquis d’Éguilles saura sur quels amis il pourra compter en Angleterre et en Irlande de même qu’en Écosse. » Séparation de l’Angleterre et de l’Écosse, affaiblissement de la puissance britannique et satisfaction donnée aux obligations dues aux Sluarts, tel eût été dans la pensée des hommes d’Etat français le double avantage de cette politique. D’Argenson l’a revendiquée sans dissimulation, et l’Instruction de d’Éguilles n’est en somme que le développement du passage de ses Mémoires où il expose sa conduite dans les affaires d’Écosse. « Le prince », dit-il avec une certaine complaisance, « a marqué souvent à M. d’Éguilles des sentiments de mépris et de mésestime contre le ministère de France, et il disait souvent qu’il n’y avait vu que moi d’honnête homme à qui il se fiait totalement. Cependant, ne me connaissant pas encore, il s’imagina que je voulais le tromper et faire languir cette affaire, lorsque je voulais qu’on se contentât de son établissement dans la seule Écosse, en séparant pour quelque temps les deux royaumes 1 » Voici donc, formulée par le premier ministre même, quelle était la disposition du gouvernement de Louis XV. D’Argenson désirait voir un Stuart roi d’Écosse et ne souhaitait pas à la dynastie d’autre couronne, mais si les ressources particulières du parti jacobite rendaient à l’héritier du trône le Royaume-Uni tout entier, il voulait être à même de faire valoir la mission de son ambassadeur, afin d’exiger en retour des compensations plus matérielles et moins équivoques. Trois jours après la remise de ces instructions, d’Éguilles était prêt à partir pour Dunkerque 2 , où il arrivait le 28 septembre au soir 3 . Les ordres 4 avaient été donnés au comte d’Aunay, commandant de la place, pour préparer l’embarquement de 1 Journal de d’Argenson, 29 décembre 1749, dans Journal et Mémoires de d’Argenson…, t. VI, p. 109. (Journal et Mémoires du marquis d’Argenson..., publiés par M. Rathery, dans la collection de la Société d’Histoire de France, Paris, 1857-1869, 9 vol. in 8°.) 2 Mémoire au roi. 3 D’Éguilles à d’Argenson, Dunkerque, 29 septembre 1745. 4 Les details qui suivent, jusqu’au départ de Dunkerque sont extraits des dépêches de d’Éguilles à d’Argenson, datées de Dunkerque, 29 septembre, 30 septembre, 1 er octobre, 1 er octobre, 6 octobre 1745. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 255 l’ambassadeur, de quelques compagnons, et de l’équipement nécessaire à deux mille quatre cents hommes. Mais ils avaient été si mal transmis 1 que les navires commandés pour l’appareillage se trouvaient être des bâtiments de 40 à 50 tonneaux, de sorte qu’il en eût fallu huit pour porter ce qu’on voulait ne charger que sur trois. En outre, les pistolets manquaient, ou avaient été oubliés, malgré l’utilité de cette arme si familière aux montagnards des clans. Néanmoins, grâce à l’initiative des agents de la marine et de la guerre, grâce à l’arrivée imprévue d’un fin voilier réputé pour sa marche, tout se trouvait embarqué le 1 er octobre. D’Éguilles, après avoir pris place d’abord sur le Hareng Couronné, corsaire de 120 tonneaux, avait préféré risquer le passage sur l’excellent bâtiment, de dimensions égales, mais d’allure supérieure, qui venait d’entrer dans le port de Dunkerque après avoir échappé en haute mer à deux croiseurs anglais. C’est donc sur l’Espérance qu’après une longue semaine d’attente, le 7 octobre au matin, l’ambassadeur et ses compagnons de fortune quittèrent le quai de Dunkerque, faisant route vers la rade de Montrose 2 , nom d’augure impressionnant et semblant comme prédestiné à servir de ralliement aux partisans des Stuarts. Le petit bâtiment qui portait cette étrange mission diplomatique devait être suivi à quelques jours de distance de deux autres 3 . 1 Sur ce point, voir la dépêche de d’Éguilles à d’Argenson, du 1 er octobre 1745. Dans son mémoire au roi, d’Éguilles se loue cependant de l’exactitude des ordres donnés par Maurepas. 2 D’après le mémoire de d’Éguilles au roi, on voit que la rade de Montrose était le but prémédité de la traversée, et que ce ne fut pas un hasard de navigation qui y fit aborder le vaisseau. 3 Les traites d’affrètement des navires l’Espérance, le Hareng couronné, le Neptune, ainsi qu’un marché pour vivres, signés du 24 au 28 septembre, sont encore conservés aux Archives de la Marine. (Arch. Mar., Campagnes, 1745.) Voici les renseignements fournis sur chacun de ces bâtiments: Espérance, 120 tonneaux, 14 canons de 6 et de 4;—Hareng couronné, 120 tonneaux, 12 canons de 4 et de 3, 4 pierriers;—Neptune, 90 tonneaux, 6 canons de 4 et de 3.—Aucune trace de l’affrètement d’un quatrième navire mentionné par d’Éguilles par une de ses dépêches. Voici l’état exact des armes et munitions embarquées à Dunkerque: 2,405 sabres dans 42 caisses; 2,424 gibernes, fourniments et ceinturons dans 73 caisses; 2,400 fusils dans 200 caisses, chaque fusil a sa baïonnette; 120,000 cartouches chargées dans 200 caisses; 256 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES L’Espérance emportait toute la poudre et l’équipement de 1,100 hommes; les deux autres navires, le reste des armes et six canons à la suédoise que le comte d’Aunay s’était procurés au dernier moment, avec des munitions supplémentaires. Avec d’Éguilles s’embarquaient trois hommes de valeur, Brown, capitaine au régiment irlandais de Lally, Sheridan, neveu de sir Thomas Sheridan, conseiller intime du prince, et le master de Strathallan, fils aîné du lord de ce nom, destiné à rallier autour de lui aux environs de Montrose les tenanciers des domaines de sa famille 1 . Auprès de ses compagnons, la veille inconnus de lui, et avec lesquels le commissaire de marine Charron l’avait mis en rapport, d’Éguilles ne passait que pour un Français « qu’un fanatisme singulier avait déterminé à aller servir leur prince et leur héros 2 ». Aucun d’eux, assure-t-il, ne le soupçonnait chargé de la moindre commission. Un calme plat, un premier coup de vent sur les côtes basses de la Hollande, un ouragan en vue des montagnes d’Écosse, telle fut cette traversée si audacieusement entreprise 3 . La nuit du 16 au 17 octobre 4 , l’Espérance, en perdition depuis la veille, donnait à l’insu du capitaine Kempill 5 et des passagers dans les eaux calmes d’une 4 milliers de poudre dans 40 barils; 7 milliers de plomb dans 70 barils; 2 barils de pierres à fusil; 75 pistolets. « Ce dernier article devrait être plus fort, vu l’usage des Écossois,qui se servent plus volontiers du sabre et du pistolet que de toute autre arme. » (D’Éguilles à d’Argenson, Dunkerque, 29 septembre 1745. Arch. Aff. étr., Mém. et Doc. Angleterre, 79.) Il faut y joindre les 6 canons à la suédoise et leurs munitions. (Id., 6 octobre 1745.) 1 Mémoire au roi. 2 D’Éguilles à d’Argenson, Dunkerque, 1 er octobre 1745. 3 Récit de la traversée et du débarquement à Montrose, d’après le mémoire de d’Éguilles au roi et d’après les dépêches de d’Éguilles à d’Argenson datées de Montrose, 17 octobre 1745, et d’Edimbourg, 27-30 octobre 1745.—Ces relations qui se complètent mutuellement présentent cependant certaines contradictions. 4 Ou bien du 15 au 16. Le moment réel du débarquement dépend du calcul du temps employé au déchargement du navire. 5 Capitaine au long cours, de Dunkerque. (Traité d’affrètement de l’Espérance, Arch. Mar., Campagnes, 1745.) EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 259 passer en amont du château de Stirling 1 », encore aux mains de sa garnison hanovrienne, comme celui d’Édimbourg. Le laird de Gask fut chargé de fournir l’escorte nécessaire, et deux cents hommes descendirent des montagnes d’Athol pour intimider les Anglais du château 2 . D’Éguilles, qui était aux environs de Doune le 21 3 , à Doune même, en face du passage, le 23 4 , arriva le 25 à Edimbourg 5 , prêt à se transformer, pour Charles-Édouard seul, en ambassadeur du roi de France. Nul ne paraissait encore avoir découvert l’objet de sa mission. Les lettres que le duc d’Athol échangeait avec ses correspondants, pour organiser la traversée du Forth, faisaient mention du gentilhomme français qui venait d’apporter un renfort inespéré au parti national 6 ; mais sa réelle identité demeurait inconnue, quand le dimanche 26 octobre il se présenta au palais d’Holyrood devant sir Thomas Sheridan, qui possédait toute la confiance de Charles- Édouard. Il faut le laisser raconter lui-même son audience du lendemain et 1745. (Jacobite corr., 79.) D’Éguilles au duc d’Athol. (Id. 133.) Voir d’un autre côté la correspondance de lord Lovat avec le président Duncan Forbes de Culloden, du 15 août au 4 décembre 1745, )Culloden Popers, n os 254 à 304.) 1 « The long boat of the man of war is more to be feared than the castle of Stirling. George Lockhart de Carnwrath au colonel Merccr d’Aldie, Alva, 29 octobre 1745. (Jacobite Corr., 106.) 2 Le duc d’Athol au laird de Gask, Dunkeld, 23 octobre 1746.— Le master de Strathallan au duc d’Athol, Doune, 23 octobre 1745. (Jacobite corr., 87 et 90.) 3 D’Éguilles au duc d’Athol, Machany, 21 octobre 1745.—Le duc d’Athol à d’Éguilles, Dunkeld, 22 octobre 1745. (Jacobite corr., 133 et 134.) 4 Le master de Strathallan au duc d’Athol, Doune, 23 octobre 1745. (Jacobite corr., 90.) 5 D’Éguilles à d’Argenson, Édimbourg, 27-30 octobre 1745.— Lord George Murray au duc d’Athol, Édimbourg, 25 octobre 1745. (Jacobite corr., 97.)—D’Éguilles au duc d’Athol, Édimbourg, 26 octobre 1745. (Jacobite corr., 101.) 6 « The gentleman who is come from France », dit le duc d’Athol au secrétaire Murray de Broughton. « The french gentleman », dit le master de Strathallan au duc d’Athol. Le lord de Strathallan constate qu’il ne parle que français. (Jacobite corr., 85, 90, 93.) 260 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES sa conversation avec le prince. Charles-Édouard vient de manifester toute sa joie, en lisant la lettre de Louis XV. « Je pars dans huit jours, » dit-il à d’Éguilles, « je marche droit à Londres; si vos troupes descendent et obligent nos ennemis à une diversion, l’Angleterre est à nous dans deux mois; mais si par malheur le débarquement si souhaité et si nécessaire n’avait pas lieu, ou se faisait trop tard, toutes les autres deviendraient inutiles. » D’Éguilles, selon la lettre et l’esprit de ses instructions, se garde de promettre catégoriquement un secours à date fixe; il propose d’attendre la réponse aux dépêches qu’il va envoyer en France, avant de tenter une marche en avant qui pourrait ne pas coïncider avec le débarquement en projet. « Si le roi très chrétien a déjà donné des ordres pour le débarquement, » reprend Charles- Édouard, « mon père règne, et quand même il n’en donnerait qu’en recevant vos dépèches, nous aurions encore du temps, car il m’est impossible de joindre mes ennemis avant un mois. » Dans la soirée du lendemain, mardi 28, d’Éguilles eut une seconde entrevue avec le prince, qui insista de nouveau sur la nécessité d’un prompt secours, souhaitant que le duc d’York son frère ou le duc d’Ormond fussent de l’expédition si elle ne devait pas s’en trouver retardée 1 . Un mot de sir Thomas Sheridan résumait en effet la situation: « Le moment est venu de frapper les grands coups 2 . » D’Éguilles, dès sa première entrevue avec Charles-Édouard, se trouvait donc initié au secret de sa marche. Les renseignements que ses premières dépêches allaient donner sur l’état de l’armée écossaise, sur sa force réelle, étaient par conséquent d’immense importance au cas où le ministère français se fût décidé à presser l’expédition projetée de manière à faire coïncider une descente sur la côte anglaise du sud avec la marche des clans sur Londres. Dès son entrée à Édimbourg, d’Éguilles s’occupait de cette tâche délicate, avec conscience et lucidité. « J’ai été voir l’armée après dîner, » écrit-il dès le 27; « elle est campée à une demi-lieue de la ville; j’y ai compté treize cent vingt et une tentes, ce qui doit faire près de huit mille hommes, à les évaluer à six par tente. Il y en a d’arrivés outre cela que j’ai rencontrés et comptés en chemin: il y a dans ce nombre cinq cents chevaux montés par presque autant de gentilshommes. Il vient encore des îles du Nord près de trois mille hommes, mais comme ils ne peuvent être ici que dans trois 1 D’Éguilles à d’Argenson, Édimbourg, 27-30 octobre 1745.— Conversation publiée en partie dans Pichot, Histoire de Charles- Édouard, ch. XVIII. 2 Sir Thomas Sheridan à d’Argenson, Edimbourg, 26 octobre 1745. (Arch. Aff. étr., Mèm. el Doc, Angleterre, 79.) C’est par erreur que M. Pichot attribue cette expression à Charles-Édouard. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 261 semaines, on ne les attend pas. Nous entrons donc en Angleterre avec un peu moins de dix mille hommes effectifs, tous bien armés, sept pièces de canon et quatre mortiers 1 . » Le 28, il annonce l’arrivée prochaine de six cents hommes sous le frère du duc de Gordon, et, le 30, celle de cinq mille Écossais du Nord 2 . Un état précis des forces du prince, annexé à la dépêche du 3 novembre, porte le total de l’infanterie à huit mille huit cent vingt-cinq hommes, celui de la cavalerie à cinq cent soixante-six, soit neuf mille trois cent quatre-vingt-onze combattants pour le tout. Il paraît qu’à cette date les contingents de Gordon n’étaient pas encore arrivés, et que les cinq mille insulaires annoncés devaient, en tout cas, être réduits à trois mille 3 . Enfin, au moment d’entrer en 1 Artillerie prise aux Anglais après la bataille de Preston-Pans. Ce parc improvisé, d’après un témoignage contemporain, porté à 13 pièces de canon après l’arrivée de l’artillerie amenée de France sur le vaisseau qui suivit d’Éguilles, avait une assez imposante apparence. (Account of tke Young Pretender’s operations, faisant partie des Journals and Memoirs of the Young Pretender’s expedition in 1745, dans Lockhart Papers, t. II.) 2 Ce dénombrement est tiré de la dépêche de d’Éguilles à d’Argenson, datée d’Édimbourg, 27-30 octobre 1745. 3 Voici cette pièce importante. « État aussi détaillé que j’ay pu l’avoir: 1° des troupes que nous avons; et 2° de celles que nous attendons. [1°] INFANTERIE. Duc d’Hattol ..............................................................2,027 hommes. Duc de Perth ..............................................................406 — Les trois Magdonels ...................................................1,851 — Les Camerons ............................................................752 — Les Stuards .................................................................360 — Les Cordons de Glanbuchet ........................................302 — (Ils n’étaient d’abord que 200.) Les Mackintosh ..........................................................563 — Les Phrœsers ..............................................................619 — Les Mephersons .........................................................630 — Les Magreger .............................................................205 — Les 2 Mekennons .......................................................480 — Les Robinsons ............................................................280 — Le duc de Gordon .......................................................350 — Total infanterie ...........................................................8,825 hommes. CAVALERIE. Gardes commandés par le comte Elcho ............... 120 hommes. Les gentilshommes venus avec lord Pistligo ........ 130 — Leurs domestiques formant une compagnie de .... 70 — 264 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES ajoutet-il, le 31, à sa longue dépêche fermée la veille, « celui que les Espagnols avaient envoyé a été pris, celui que le prince Charles-Édouard a levé dans le pays est consumé. Il compte, à la vérité, d’en trouver en Angleterre dès qu’il y aura mis le pied, et c’est ce qui le détermine à avancer sa marche; mais en attendant, l’armée n’est point payée. On a trouvé heureusement 26,000 livres à emprunter, moyennant une lettre de change sur M. de Montmartel. Je n’ai point hésité à tirer sur lui et à gagner par là cinq à six jours 1 . » Le bruit courut un instant à Édimbourg que les six mille Français dont d’Éguilles avait pu annoncer le rassemblement 2 étaient descendus à Peterhead, au nord de Montrose, avec lord Marishall à leur tète. « Cela ne nous parait pas encore bien croyable, » écrivait immédiatement l’ambassadeur, le 4 novembre, « mais si ce général et ces hommes sont réellement partis de France, vous pouvez les compter en Écosse. Ce serait un grand coup qu’ils fussent arrivés avant notre départ et que par là ils pussent nous joindre 3 . » Il n’en était rien cependant: il s’agissait seulement des deux vaisseaux partis à la suite de d’Éguilles, qui venaient d’aborder à Stonehaven, mais dont l’arrivée prouvait au moins la liberté du passage 4 . Ainsi, par les premières dépèches de l’ambassadeur, la cour de France était exactement informée de la situation de l’Écosse et de la nécessité de hâter le débarquement, sous peine de le voir devenir inefficace. Mais il ne suffisait pas de prodiguer, dans une correspondance soigneusement chiffrée, le détail des effectifs, le nombre des canons, des fusils et des sabres distribués à l’armée de l’existence de laquelle on doutait encore à Versailles. Il fallait faire parvenir à leur destination ces dépêches que le ministère français était si soucieux de tenir entre les mains avant de rien confier aux hasards d’une descente. Dès sa première audience avec le prince,d’Éguilles avait pu apprendre le départ d’un envoyé spécial, Kelly, l’un des sept officiers de la Doutelle, expédié le jour même de la bataille de 1 D’Éguilles à d’Argenson, Édimbourg, 31 octobre 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 2 Voir ci-dessus 3 D’Éguilles à d’Argenson, Edimbourg, 4 novembre 1745. (Ibid., id.) 4 Le 26 et le 27 octobre. (Le docteur Colvill au duc d’Athol, Jacobite corr. 102, 104. Cf. dépêches de d’Éguilles du 3 et du 7 novembre.) EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 265 Preston-Pans pour en porter la nouvelle à Louis XV 1 . L’arrivée de d’Éguilles et l’heureux effet de son débarquement décidèrent immédiatement Charles-Édouard à faire partir un nouvel émissaire. Le P. Gordon se mit en route, le 28 octobre, porteur de la lettre de Charles-Édouard à Louis XV, d’une autre de Sheridan à d’Argenson, et chargé en outre de présenter à la cour de France l’exposé des projets du prince: mais, allant s’embarquer à Dumfries, sur la côte occidentale, il avait à contourner toute l’Écosse avant d’atteindre un port et de songer à remplir sa mission 2 . C’est à la voie de la Hollande, qui lui avait été indiquée à son départ de Versailles, puis à un troisième courrier, que d’Éguilles, au courant de ces deux missions antérieures, confia successivement ses dépêches. L’abbé de la Ville, chargé d’affaires de France à la Haye, avait reçu les ordres nécessaires pour se servir de l’intermédiaire de marchands de Rotterdam 3 . La dépêche des 27-30 octobre, si explicite déjà, suivit ainsi que celle du 31 cette route convenue. Celle du 3 novembre, qui donnait l’état complet de l’armée, fut confiée avec une dernière lettre 4 du 7 à sir James Stuart 5 , que Charles-Édouard, quelques jours après le départ de Gordon, prit le parti d’envoyer en France, muni d’une créance spéciale 6 . Le billet du 4, qui contenait la nouvelle prématurée du débarquement de lord Marishall, envoyé à tout hasard à la côte 7 , fut sans doute remis à l’un des navires qui abordèrent plus tard 1 Départ de Kelly, le 2 octobre. (Browne, History of the Highlands, t. III.) Porteur de plusieurs dépêches qu’il fut obligé de brûler en Hollande, comme on le verra plus loin. 2 Départ de Gordon,le 28 octobre. (Id.) Porteur des lettres de Charles-Édouard à Louis XV et de Sheridan à d’Argenson du 26 octobre, publiées et citées plus haut. Voir ci-dessous. 3 D’Argenson à l’abbé de la Ville, 24 octobre 1745.—Le comte d’Argenson à l’abbé de la Ville, 25 octobre 1745. (Arch. Aff. étr., Corr. pol., Hollande.) 4 Voir ces quatre dépêches. 5 Départ de Stuart, le 7 novembre. (Voir la dépêche.) Porteur des dépêches de d’Éguilles du 3 au 7 novembre, et de nouvelles lettres du prince et de Sheridan, du 5 novembre. 6 Voir cette dépêche. 7 Accusé de réception de toutes ces dépêches dans la dépêche de d’Argenson à d’Éguilles, datée de Versailles, 23 décembre 1745, la seule qui parvint jamais à d’Éguilles pendant toute sa mission. (D’Éguilles à d’Argenson. Inverness, 5 avril 1746.) 266 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES dans ces parages, et parvint ainsi en France par cette voie détournée. Stuart, prêt à partir le 3 novembre, retenu par les vents contraires jusqu’au 7, pouvait annoncer à la cour de France que l’armée était à la veille de s’ébranler, et Charles-Édouard dans l’intention de marcher sur Londres. Le renseignement était d’une valeur facile à saisir, au cas où le ministère français eût été décidé à faire concorder mathématiquement une descente sur la côte d’Essex ou de Kent avec le mouvement de l’armée écossaise. On conçoit avec quelle anxiété d’Éguilles et Charles-Édouard devaient attendre le résultat de sa traversée. (Sera continué.) GERMAIN LEFÈVRE-PONTALIS, Membre du Groupe d’histoire et de diplomatie. (continued page 423) EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 425 mœurs des compagnons qui l’entouraient devaient en effet le surprendre et le dérouter au plus haut degré. Ne parlant pas l’anglais 1 , et comprenant encore moins le gaélique, il se trouvait hors d’état de correspondre avec tout ce qui ne formait pas l’entourage immédiat de Charles-Édouard. Le costume et la tactique des clans, le mode d’attaque des montagnards, les marches et contremarches dans un pays impraticable, stérile et presque désert, et surtout cette plaie invétérée des armées écossaises, la désertion en masse au lendemain des victoires, tout cet ensemble d’habitudes était fait pour choquer et pour irriter le tempérament d’un Français du XVIII e siècle. Les soldats dont il partageait la vie et dont l’étude relevait de sa mission d’informateur présentaient en effet des originalités d’allure particulièrement étranges, et leur nature réservait bien des surprises, à leurs ennemis comme à leurs propres chefs. Leur équipement seul constituait déjà un étonnant anachronisme avec les pratiques les plus usuelles de l’art militaire, tel que l’entendaient, sur le continent, les troupes d’un Frédéric II ou d’un Maurice de Saxe. Pour uniforme, ils portaient le traditionnel costume, dont, en réalité, les descriptions qui sont dans toutes les mémoires, et qu’on pourrait croire tenir de la légende ou du roman, n’exagèrent aucun détail 2 . En fait d’armes, le fusil, devenu d’un usage universel, avait partout remplacé l’arc et les flèches, encore employés, moins d’un siècle auparavant, par les bandes de Montrose. Depuis longtemps, on ne fabriquait plus de claymores, mais l’arme blanche demeurait toujours l’arme nationale par excellence, l’arme chère aux clans et, dans sa transformation moderne en sabre bien trempé, tout aussi redoutable que la lourde épée à deux tranchants, reléguée désormais dans le domaine des ballades et des héroïques traditions. Un pistolet était attribué, par surcroît, aux hommes de la première file, choisis parmi les personnages les plus considérables du clan, qui seuls avaient droit à ce signe distinctif de leur rang. Mais la particularité la plus frappante, celle qui plus que toute autre imposait à cet armement sa marque de personnalité propre, était l’emploi d’un engin défensif, qui, depuis l’adoption de la poudre de guerre, semblait réservé aux peuplades sauvages de l’Asie ou du Nouveau-Monde. Le bouclier classique, la targe ronde en bois recouverte de peaux de bètes, 1 Lord Strathallan au duc d’Athol. Perth, 24 octobre 1745. (Jacob, corr., 93.) D’Éguilles à Bachaumont. Aberdeen, 8 juin 1746. (Revue rétrospective, I. c.) 2 Voir l’estampe contemporaine, datée de 1743, qui figure comme pièce jointe à la dépêche de M. de Bussy, du 31 mai 1743. (Arch. Aff, étr., Corr. Pol., Angleterre.) 426 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES faisait encore partie, dans les régiments de Charles-Édouard, du bagage régulier de chaque homme. « Ils sont faits avec des planches, couvertes de trois ou quatre peaux de chèvres sauvages clouées contre le bois l’une sur l’autre: ils ont environ trois pieds de diamètre, pèsent jusqu’à trente livres,et se portent attachés au bras gauche 1 . » Telle est la propre description,qu’en a laissée d’Éguilles lui-même, sans différence notable avec celle que, quatre siècles plus tôt, Froissart en donnait dans ses Chroniques 2 . La stratégie que comportait cette tenue de guerre n’était pas moins en dehors de toutes les notions reçues. Ces montagnards vêtus de tartan et pourvus de boucliers ne connaissaient encore, en fait de tactique, que la charge à pied, furieuse et imprévoyante, qui leur assurait la victoire au premier choc ou bien les livrait, épuisés et rompus par la violence même de leur effort, à l’adversaire capable de dominer l’effroi de leur brusque et terrifiant contact. Le fusil jeté à terre après la première décharge, la course à l’ennemi commençait, le bouclier au bras gauche, le sabre nu à la main, arme simple et terrible dans la lutte corps à corps qui s’improvisait aussitôt sur toute la longueur du rang, et qui faisait autant de victimes que de duels engagés. Ils osaient se jeter ainsi, non seulement infanterie contre infanterie, mais, intrépidité qui dépasse la vraisemblance, infanterie contre cavalerie, attaquant toujours les premiers, et la manœuvre de la targe différant seule, selon qu’il s’agissait de frapper le fantassin ou l’homme à cheval. Ainsi abordée subitement, toute troupe en ligne qui n’avait pas subi de préparation spéciale était condamnée à une dislocation immédiate, suivie de la déroute des survivants, celle-ci définitive et sans ralliement possible. Telle se maintenait avec une vitalité singulière, dans les montagnes d’Écosse, au milieu du XVIII e siècle, la tactique nationale des populations d’origine celtique dont les clans des Hautes-Terres représentaient, à cette époque, la descendance la plus directe et la plus pure de tout alliage étranger. Il n’y a ni exagération ni emphase à comparer, à ce propos, les défaites que ce mode d’attaque héréditaire chez les tribus gaéliques infligea aux généraux anglais, pendant cette campagne, sur les bruyères de Preston-Pans et de Falkirk, avec les désastres légendaires qu’une simplicité d’assaut toute pareille avait fait subir aux légions romaines, sur les champs de bataille historiques de l’Allia, de la Trébie et de Trasimène. 1 Mémoire de d’Éguilles au roi. 2 Froissart, Chroniques, livre 1 er , par. 53, et variantes. (Ed. Siméon Luce, t. 1, n. 112, 344.) EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 427 L’esprit qui animait ces troupes répondait à leur apparence extérieure, qui en traduisait les principaux traits. Les montagnards des clans, dont se composaient presque en entier les bataillons écossais, offraient bien, dans toute leur vigueur primitive, les formes de caractère si persistantes de la race dont ils étaient demeurés, malgré toutes les vicissitudes et toutes les conquêtes, l’expression la plus tenace et la plus fidèle. Mélange de paresse fataliste et d’action furieuse, de résignation passive et d’audace illimitée, les qualités et les défauts d’un peuple de cette souche en font nécessairement, de toutes les nations, la plus guerrière et la moins militaire à la fois. Tel était l’état moral de l’armée du dernier Stuart. Les hommes qui la composaient étaient doués de qualités qui défiaient l’imagination. Ils possédaient tous, au plus haut point, ce mépris infini du danger devant lequel, aux époques les plus diverses et dans les lieux du monde les plus différents, on voit toujours le courage anglais, fait de notion exacte du péril à braver, demeurer sans défense et subir une espèce d’affolement. La qualité militaire la plus opposée en apparence, la solidité dans la retraite, cette armée, par un cumul extraordinaire de dispositions natives, la présentait à un degré identique: endurcissement à la fatigue, à la faim, obéissance aux marches sans but dans la neige, à travers les montagnes, on pouvait avec elle compter sur l’impossible, tant la capacité de résistance de cette infanterie incomparable échappait à l’analyse. Tous ces dons cependant demeuraient stériles. L’insouciance dans le succès, qui faisait de la désertion en foule après le combat une coutume nationale et religieusement observée, rendait indisponible, au lendemain d’une bataille, l’armée victorieuse la veille, et cela, au moment même où la poursuite appuyée à propos doit achever la déroute de l’ennemi. L’héréditaire obstination de leur tempérament et d’incompréhensibles accès d’humeur rendaient ces soldats sans pareils, à de certains moments décisifs, incapables d’action, quelle que fût l’importance de l’intérêt engagé. Une haine de clan, un passe-droit involontaire, un présage survenu, suffisaient, à l’instant le plus critique, pour paralyser les plus braves. Enfin un chef capable de les connaître pouvait tout en espérer comme valeur et, comme inégalité, tout en craindre. Les mêmes hommes qui avaient chargé à pied et mis en fuite deux régiments de dragons à Preston- Pans 1 , qui à Falkirk, avec leur bouclier de peau de chèvre et de bois, leurs sabres et leurs pistolets, sans leurs fusils qu’ils avaient jetés et ne retrouvaient plus 2 , avaient culbuté en trois minutes 1 les 1 Récits de la bataille de Preston-Pans dans Home, dans Waverley. 2 Détail donné par d’Éguilles dans sa relation de la bataille de Falkirk. 430 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES son mémoire au roi: « Londres, la fière Londres n’était plus qu’à trente lieues de nous, lorsqu’une division dont je dois taire les causes fit perdre à notre armée toute son activité et nous obligea de rebrousser chemin vers l’Écosse 1 . » Une seconde fois encore, lord George Murray, par son intervention, fut appelé à imposer une de ces résolutions de prudence exigées par les circonstances, à la réalité desquelles le prince refusait de se rendre: ce fut après la victoire infructueuse de Falkirk, « cette même victoire qui fit déserter en vingt-quatre heures les trois quarts de l’armée chargée du butin fait sur les Anglais 2 », et à la suite de laquelle, dans le conseil de guerre tenu à Falkirk même, Murray présenta à Charles- Édouard 3 une adresse des chefs de clan demandant à se replier vers le Nord 4 . Le ressentiment du prince s’en irrita jusqu’au soupçon, et sous cette impression outrageante on voit l’ambassadeur revenir sur ses défiances injurieuses. « Je crains, » va-t-il jusqu’à dire, « que le lord George Murray ne nous vende. Je ne puis eu détailler ici les raisons, n’ayant point le temps de les chiffrer et ne voulant point les exposer à l’interception, mais je veillerai et le ferai veiller: le prince partage toutes mes craintes sur cet article, et il prendra ses précautions 5 . Une rancune sans fondement n’excusait pas ces imputations de Charles-Édouard sur « l’âme et le conseil de son parti 6 », qui ne faisait pas étalage de son dévouement, mais le prouvait par des actes, au risque de son crédit. Également froid et brave, rude jusqu’à la brutalité dans ses conseils 7 , se battant au besoin au premier rang de son clan 8 , Murray était peut-être le seul 1 Mémoire de d’Éguilles au roi. 2 Mémoire de d’Éguilles au roi. 3 Déposition de John Hay, dans Home, History of the rebellion, appendice XL. 4 Texte dans Home, History of the rebellion, appendice XXXIX. 5 D’Éguilles à d’Argenson, Blair-Alhol, 20 février 1746. 6 Mémoire de d’Éguilles au roi. 7 A Derby, le 16 décembre 1745, dans la chambre de la maison où il avait pris ses quartiers, Charles-Édouard mettait sa toque, quand Murray entra brusquement tout armé, disant sans ménagement «qu’il commençait à être temps de voir ce qu’on allait faire»—«high time to think what they were to do». Déposition de John Hay, dans Home, History of the rebellion, appendice XXXII. 8 Témoignage du contemporain, rédacteur du récit intitulé: Ac- count of events at Inverness and Culloden. A Culloden «il part le premier et se retire le dernier»—«he went one with the first and came not off till the last». (Account of events at Inverness and EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 431 homme de toute l’Écosse qui, dans toutes les phases de cette campagne, ne perdit nulle part la conscience de la situation, et en sachant avoir le courage de n’en désespérer jamais. C’est lui qui, dans les derniers jours de la guerre, écrivant à son frère devant leur château d’Athol, repris par les Anglais, et dont il dirigeait en personne le siège 1 , envoyait à son aîné ce billet laconique, qui perdrait à être traduit: «If we get the castle, i hope you will excuse our demolishing it. Adieu 2 .» Plus étendus sont les portraits que d’Éguilles a tracés des Écossaises, qui n’étaient pas les auxiliaires les moins dévouées du prince 3 . Lady Mackintosh, lady Seaforth et lady Mackensie, dont les maris s’étaient déclarés pour la maison de Hanovre, avaient soulevé leurs clans et armé leurs parents pour la cause jacobite. Anne Farquharson, mariée au laird de Mackintosh, qui, par un destin bizarre, se trouva fait prisonnier au firth de Dornoch, presque sous les yeux de sa femme, était la plus ardente. «Elle aimait éperdument son mari qu’elle espéra longtemps de gagner au prince,» écrit d’Éguilles dans un curieux mémoire; «mais ayant appris qu’il s’était enfin engagé, avec le président 4 , à servir la maison de Hanovre, elle ne voulut plus le voir. L’intrépide lady, un pistolet d’une main et de l’argent de l’autre, parcourt le pays, menace, donne, promet et, en moins de quinze jours, ramasse 600 hommes. Elle en avait envoyé la moitié à Falkirk, qui y arriva la veille de la bataille. Elle avait retenu l’autre moitié pour se garder de son mari et de Loudown 5 , qui, à Inverness, n’étaient qu’à trois Culloden, partie des Journals and memoirs of the young Pretender’s expedition in 1745, dans Lockhart Papers, t. II.)— Témoignage de d’Éguilles même, dans sa relation de la bataille de Falkirk: «Milord Georges Murray, qui commandait la droite, et dont le prince a principalement suivi les avis dans la disposition de son armée, s’est battu a pied comme un lion, à la tête des montagnards, et, après le prince, il est celui qui mérite le plus d’être loué.» (Relation de la bataille de Falkirk, par d’Éguilles.) 1 Account of the young Pretender’s operations, partie des Journals and memoirs, dans Lockhart Papers, t. II. 2 Lord George Murray au duc d’Athol, siège de Blair, 24 mars 1746. (Jacobite corr., 235.) 3 Mémoire de d’Éguilles à d’Argenson, daté de Findorn, 6 avril 1746. intitulé: Nouvelles. (Rev. rétr., 1. c.) 4 Forbes de Culloden, président de la Session d’Écosse, dont l’influence empêcha l’adhésion formelle de lord Lovat au début du soulèvement. 5 Lord Loudon, le principal chef du parti hanovrien dans le nord 432 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES lieues de son château 1 . Le prince logea chez elle, à son passage. Elle lui présenta toute sa petite armée qu’elle avait rassemblée, et, après avoir parlé aux soldats de ce qu’ils devaient à la situation, aux droits et aux vertus de leur prince, elle jura très catégoriquement de casser la tête au premier qui s’en tournerait, après avoir, à ses yeux, brûlé sa maison et chassé sa famille. Elle n’a pas vingt-deux ans.» Venait ensuite Barbe Gordon, femme de Mackensie de Ferbarn. «Celle-ci n’a pas banni son mari, mais, malgré lui, elle a vendu ses diamants et sa vaisselle pour lever des hommes. Elle en a ramassé 150 des plus braves du pays, qu’elle a joints à ceux de milady Seaforth.» Lady Seaforth, fille de lord Galloway, venait d’envoyer 400 montagnards et en promettait 200 encore. «Quoiqu’elle paraisse moins vive et moins courageuse,» remarque d’Éguilles, «on assure que son zèle égale celui des deux autres.» Et il termine ainsi cette revue insolite: «En général, toutes les femmes jeunes et jolies sont jacobites, et ne le sont, la plupart, que depuis l’arrivée du prince 2 .» IV Invasion de l’Angleterre.—D’Éguilles accompagne l’armée écossaise. Ses avis sur la coïncidence nécessaire d’un débarquement avec la marche vers Londres.—Traité secret de Fontainebleau. Les premières dépêches de d’Éguilles renfermaient, comme il a été possible de s’en rendre compte, des explications suffisamment éloquentes sur la nécessité d’un prompt envoi de secours, sans la coopération desquels le plan de campagne de Charles-Édouard devait, de son aveu même, encourir un échec inévitable 3 . «Ils sont perdus, même en gagnant des batailles, si les Français ne débarquent point;» telle était, brièvement formulée, son appréciation sur la situation, au moment où l’armée écossaise allait quitter Edimbourg. Le 14 novembre, à leur départ de Dalkeith 4 , les 7,000 hommes de l’Écosse, après le président Forbes de Culloden. 1 Moy Hall, où Charles-Édouard séjourna quelque temps avant la prise d’Inverness. 2 Toutes ces citations sont extraites du mémoire de d’Éguilles, intitulé: Nouvelles, et cité ci-dessus. 3 D’Éguilles a d’Argenson. Edimbourg, 3 novembre 1745. 4 Sur ces faits d’ordre général et ces dates, voy. Browne, History of the Highlands, t. III. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 435 adoptée, passant par le Cumberland, le Westmoreland et le Lancashire, le long de la côte opposée à la France et à la Hollande, en augmentait encore les périls et rendait tout service de courriers impossible à organiser. D’Éguilles, à son départ d’Édimbourg, n’avait même pas encore reçu la réponse insignifiante de d’Argenson à ses dépêches écrites de Dunkerque, qui ne lui parvint que deux mois plus tard 1 . D’autre part, les avis répétés qu’il adressait lui-même au ministre, de Moffat et de Carlisle 2 , sur la nécessité absolue d’un envoi de secours, ne devaient parvenir à Versailles qu’au milieu de février, à une époque où ils se trouvaient entièrement inutiles 3 . L’extrait suivant de la dépêche que l’ambassadeur écrivait de Carlisle est d’ailleurs instructif à citer: «Un homme qui nous apportait d’Écosse toutes nos lettres, se trouvant en danger d’être pris, les a jetées dans le Forth, de sorte que je n’ai encore reçu aucune de vos dépêches, ce qui me met dans le plus grand embarras 4 . La difficulté de vous envoyer les miennes est infinie, la crainte que l’abbé de la Ville ne soit plus en Hollande l’augmente encore 5 . Enfin j’ai fait chercher un catholique zélé à tout 1 Réponse de d’Argenson accusant réception des dépêches de d’Éguilles, écrites de Dunkerque, réponse datée du 20 octobre 1745, et à l’arrivée de laquelle d’Éguilles fait allusion dans sa dépêche écrite d’Inverness, le 5 avril 1746. Elle ne put parvenir à d’Éguilles, au plus tôt, que par lord John Drummond, débarqué à Montrose en décembre, comme on le verra plus loin. 2 Cité ci-dessus, comme opinion de d’Éguilles. 3 Le 12 février 1746, date inscrite sur le déchiffrement des dépêches de d’Éguilles écrites de Moffat, 17 novembre, et de Carlisle, 28 novembre 1745. L’original ne se retrouve pas. Malgré cette mention, il faut remarquer que la correspondance de d’Argenson avec d’Éguilles ne renferme pas, formulé dans le texte, un accusé normal de réception de ces deux dépêches expédiées simultanément. 4 La perte de ce courrier ne devait, en fait, priver l’ambassadeur d’aucune nouvelle, puisque la premiire dépêche que lui écrivit d’Argenson, le 20 octobre 1745, fut reçue par lui, comme on le voit par sa dépêche d’Inverness du 5 avril 1746. 5 Crainte mal fondée. Le poste de la Haye continuait à être occupé par M. Chiquet, chargé du soin de la correspondance depuis le départ de l’abbé de la Ville, qui avait eu lieu le 6 novembre 1745. Chiquet avait reçu les instructions nécessaires pour assurer l’arrivée des avis d’Écosse et d’Angleterre: les relations officielles avec les États généraux ne furent interrompues 436 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES entreprendre et je l’ai trouvé, il va traverser avec mes lettres 80 lieues de pays ennemis et noliser un vaisseau pour le mener en droiture en France; il tâchera de revenir à travers les mêmes dangers, et ce sera peut-être le seul moyen que je pourrai vous fournir de longtemps pour m’envoyer les ordres du roi 1 .» C’est dans ces conditions, avec une seule armée devant lui— celle de Wade une fois annulée par la distance,—mais avec une insuffisance forcée de communications avec la France, que Charles-Édouard entreprit sa marche sur Londres, s’avança comme on sait jusqu’à Derby, à 30 lieues de la capitale, attendant à chaque étape la nouvelle de l’arrivée des Français sur la côte d’Essex ou de Kent, et, rebroussant enfin chemin, repassa en Écosse sans avoir pu provoquer en sa faveur aucun soulèvement effectif dans ces provinces anglaises de Lancashire, de Cheshire, de Staffordshire, que les rapports des émissaires jacobites présentaient comme une sorte de Pologne britannique prête à monter à cheval au premier signal 2 . Le 2 décembre l’armée avait quitté Carliste, le 30 elle y repassait en sens inverse, en bon ordre, mais définitivement en retraite. La correspondance de l’ambassadeur 3 interrompue pendant ce mois tout entier, ne donne aucun renseignement sur cette invasion qui paraîtrait fabuleuse, si elle n’avait été exécutée. D’Éguilles exerçait le commandement en chef de l’artillerie qu’il garda jusqu’à la bataille de Falkirk, et fut assez heureux, pendant la retraite, pour ne pas perdre un seul des 13 canons et des 82 chariots qu’il avait à manier 4 . Le seul récit qu’il ait tracé de la campagne, dans une courte dépêche écrite de Dumfries, en rentrant en Écosse 5 , contient seulement quelques détails sur le combat de qu’après la défaite finale de Charles-Édouard. 1 D’Éguilles à d’Argenson. Carlisle, 28 novembre 1745. 2 Voir sur les dispositions de ces comtés le rapport sur l’état des provinces d’Angleterre, du 3 novembre 1743, déjà cité. 3 D’Éguilles n’écrivit aucune dépêche entre celle envoyée de Carlisle, le 28 novembre 1745, quatre jours avant le départ pour l’Angleterre, et celle expédiée de Dumfries, le 2 janvier 1746, trois jours après la rentrée en Écosse. Il n’y a pas trace de dépêche perdue pendant cet intervalle. 4 Ce commandement est attribué à d’Éguilles dans un Mémoire anonyme sur le rôle de d’Éguilles en Écosse, sans titre. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc., Angleterre, 83.) 5 Dépêche de d’Éguilles à d’Argenson, datée de Dumfries, 2 janvier 1746. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 437 Clifton, livré le 28 décembre, où lord George Murray, avec l’arrière-garde, avait repoussé la cavalerie du duc de Cumberland 1 . Quant aux raisons qui firent adopter la retraite dans le conseil de guerre de Derby, quant aux chances d’une continuation de la marche sur Londres, il ne s’en explique qu’avec la plus grande réserve, en ces termes mêmes: «Je croyois que le danger de combattre tes trois armées réunies n’étoit pas si grand; le prince n’en trouvoit d’aucun côté 2 .» Aucune allusion non plus à la discussion du plan d’invasion du pays de Galles, que d’Éguilles même, en cas d’échec, avait conseillé au prince 3 , projet éventuel qui fut sans doute abandonné en route, mais dont il est néanmoins curieux de constater l’existence. «En cas de malheur, nous tâcherions de gagner les montagnes de Galles, pays inaccessible à une armée régulière, où le prince Charles-Édouard trouvera à armer, à ce qu’il dit, plus de 1,000 hommes 4 . D’ailleurs cette province étant voisine de la mer, nous serons à portée d’y recevoir de France et d’Espagne des armes et de l’argent et d’attendre en sûreté un débarquement des troupes, fût-il différé jusqu’au commencement du printemps. Alors nous descendrions avec une armée plus forte que celle d’aujourd’hui, et nous pourrions achever la révolution 5 .» La pauvreté de ce récit ne peut être expliquée que par la crainte qu’exprimait d’Éguilles. «Comme cette lettre ne va pas à la mer à travers des mains bien sûres, et qu’on ne peut me donner le temps de la chiffrer, je ne puis vous y rendre un compte détaillé de bien des choses 6 .» C’est ici qu’il convient d’examiner de près—et les dates ne peuvent avoir trop d’importance en un cas pareil—ce que le gouvernement de Louis XV s’était résolu à tenter pour appuyer ce mouvement offensif, qui perdait toute importance et tout sérieux s’il ne devait pas être secondé. Le parti jacobite avait à la cour de France, où l’on a déjà pu les 1 Troupes engagées: du côté des Écossais, l’arrière-garde, 700 à 800 hommes au plus; du côté des Anglais, toute la cavalerie de Wade et de Cumberland et 2,000 fantassins montés sur des chevaux de paysans. Hors de combat: plus de 100 Anglais tués, 8 Écossais tués dont un capitaine, et 7 blessés. (Ibid., id.) 2 Ibid., id. 3 D’Éguilles à d’Argenson. Carlisle, 28 novembre 1745. 4 Sur la situation du pays de Galles, voir le rapport sur l’état des provinces d’Angleterre, du 3 novembre 1743, déjà cité. 5 D’Éguilles à d’Argenson. Carlisle, 28 novembre 1745. 6 D’Éguilles à d’Argenson. Dumfries, 2 janvier 1746. 440 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES recrues des troupes que le roi lui envoye 1 . Le texte du projet de traité avec Jacques VIII, demeuré à l’état d’ébauche, mais instructif à consulter, montre assez clairement quelle était la pensée directrice de cette alliance. Après mention des engagements antérieurs du roi de France envers la maison de Hanovre, les préliminaires débutaient ainsi: «Aussitôt que l’Écosse, l’un des royaumes qui depuis l’avènement de la maison Stuart à la couronne d’Angleterre composent la monarchie Britannique, est venue à rappeler, reconnaître et proclamer pour régner sur elle le roi Jacques VIII, S. M. T. C, respectivement à ce royaume, est libre desdits engagements; en conséquence, elle a consenti à la proposition que ce prince lui a faite d’une allianee qui, procurant à la nation écossaise, si anciennement amie et alliée de la France, les secours de S. M. T. C, lui assure le maintien de son roi légitime sur le trône 2 .» Le premier article indiquait comme objet de l’alliance «le maintien de S. M. Écossaise dans la possession de son royaume», et «l’entier recouvrement de ce qui pourrait ne lui en être pas encore soumis 3 », puis, comme promesse de secours, «le nombre de troupes et la quantité de toutes sortes d’attirails militaires dont S. M. T. C. et S. M. Écossaise conviendront 4 ». L’avant-dernier, le plus significatif, était ainsi conçu: «En même temps que le roi d’Écosse promet au Roi Très Chrétien de ne lui point proposer de reconnaître pour le présent en lui d’autre titre que celui de roi d’Écosse, S. M. T. C. lui promet de sa part de le reconnaître pour roi de toute la Grande-Bretagne, dans le cas où elle verrait que cela serait selon les vœux de la nation et particulièrement du parlement d’Angleterre 5 ». Avec Charles-Édouard, simple régent d’Écosse, le traité définitif n’a pas besoin de ces précautions 6 . Il débutait ainsi, par la constatation d’un fait: «Le prince Charles-Édouard, de la maison 1 L’original de ce traité, demeuré ignoré jusqu’ici, est aux Archives des Affaires étrangères. Une copie certifiée authentique par O’Bryen, remise à Jacques III, a été trouvée dans les Stuart Papers recueillis à Rome et publiée par M. Browne dans les pièces justificatives de l’History of the Highlands. (T. III, p. j. 16 et 15.) 2 Projet de traité avec Jacques VIII, roi d’Écosse, préliminaires. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 3 Id., art. I. 4 Id., art. 11. 5 Id., art. IV. 6 Le projet de traité avec Charles-Édouard et le traité définitif ne diffèrent que par la rédaction des préliminaires. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 441 royale de Stuart, ayant été proclamé dans Édimbourg en qualité de régent du royaume d’Écosse, et étant ainsi que S. M. T. C. en guerre avec le roi George, électeur de Hanovre 1 .» Par contre, les engagements étaient plus fermes, «S. M. s’engage à l’aider, pour cet effet, en tout ce qui sera praticable 2 ,» portait l’article II. Et l’article suivant: «Dans cette vue, S. M. accorde dès à présent au prince royal Charles-Édouard Stuart un corps de troupes, tant de ses régiments irlandais qu’autres pour agir sous les ordres dudit prince 3 .» Une stipulation moins ambiguë concernait le traité de commerce dont Charles-Édouard s’engageait à hâter la conclusion entre la France «et les États qui sont ou seront soumis à sa régence ou par la suite à sa domination 4 ». Enfin un article secret, qui ne semble ajouté que pour donner une importance factice au traité, obligeait le prince à donner aux officiers des troupes de secours les facilités nécessaires pour faire des levées et des recrues 5 . Il est assez singulier de constater que d’Argenson, dans ses Mémoires, où il parle avec tant d’ouverture de l’affaire d’Angleterre, ne fait pas la moindre allusion à cet engagement. Par contre, il insiste avec une certaine inquiétude sur l’étendue des promesses faites à Charles-Édouard, en vue de l’expédition manquée de l’année précédente. «Le pire de tout cela est que ce prince a certainement des lettres du roi pour l’engager à venir en France et à y faire l’expédition de mars 1744, et que ces lettres promettent de le soutenir toujours 6 .» Il est certain que sans remonter si haut, les promesses que le ministre s’était laissé aller à faire dans les instructions qu’il avait rédigées pour M. de Châteaubrun, deux mois auparavant, étaient beaucoup plus explicites. «Quand le prince de Galles sera arrivé en Écosse et y aura commencé sa révolution,» disait-il alors, «il peut compter sur toutes les troupes qui lui seront nécessaires et qui se trouvent justement en Flandre à portée d’être embarquées promptement 7 .» Quant au traité qui venait d’être signé, et qui peut prendre dans 1 Traité avec Charles-Édouard, régent d’Écosse,préliminaires. (Browne, History of the Highlands, t. III. p. j. 16.) 2 Id., art. II. 3 Id., art. III. 4 Id., art. V. 5 Id., article secret. 6 Journal de d’Argenson, 1 er décembre 1748, dans Journal et Mémoires de d’Argenson, t. V, p. 298. 7 Instruclion de Châteaubrun, 23 juillet 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 442 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES l’histoire le nom de traité de Fontainebleau, l’estimation de sa valeur réelle était cette appréciation assez naïve qu’on lit encore en marge d’un des projets ébauchés: «Projet pour une espèce de traité que l’on estimait nécessaire afin que les troupes que l’on pourrait envoyer dans la Grande-Bretagne au secours de la maison Stuart fussent assurées des traitements conformes aux lois de la guerre, si elles tombaient entre les mains ennemies 1 .» Un mémoire inédit, dans lequel le célèbre abbé de Mably traitait la même question, peut dans un meilleur style lui servir de commentaire. «Le parti du prince Édouard», disait l’auteur, dont les Archives des Affaires étrangères ont recueilli cette œuvre ignorée, «est aujourd’hui assez puissant en Écosse pour que la France puisse s’en promettre de grands avantages. Elle peut se proposer deux objets: l’un d’occuper les Anglais chez eux pendant qu’on videra l’affaire d’Allemagne; l’autre de causer en effet un démembrement dans la GrandeBretagne. Le premier objet n’est pas assez grand, le second peut paraître chimérique..… Quand le dessein de séparer l’Écosse de l’Angleterre offrirait des difficultés presque insurmontables, je crois qu’il faudrait y viser… Je sens que la négociation que je propose pourrait révolter le Prétendant, aussi doit-elle être présentée avec adresse et avec de certains préparatifs, mais il me semble qu’il y a mille choses excellentes à représenter à ce prince. Il faut lui faire sentir que la politique lui ordonne de préférer un établissement durable pour sa maison à un avantage plus grand en lui-même, mais passager. Il faut surtout ne pas oublier de redire cent fois au Prétendant que la voie la plus sûre de soulever les Anglais contre la maison de Hanovre, c’est le fait qu’il veut se cantonner en Écosse.… Mais je veux que la France par ma négociation ne réussisse point à séparer l’Écosse de l’Angleterre, ne serait-ce pas toujours un grand avantage pour elle que d’avoir appris à ces deux royaumes à se haïr, et dans la suite ne pourrait-on pas en profiter quand on aurait intérêt de causer quelque révolution dans la Grande-Bretagne 2 ?» La signature d’un traité avec Jacques III ou son fils, reconnus roi de la Grande-Bretagne, aurait comporté une obligation de la part du roi de France à envoyer une armée d’opération sur le sol anglais et, d’un autre côté, à envoyer directement des secours au prince 1 3Projet de traité avec Jacques VIII, roi d’Écosse (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 2 1Mémoire de l’abbé Mably, intitulé: Réflexions sur les affaires d’Écosse, daté du 13 décembre 1745. (Arch. Aff, étr., Mém. et Doc, Angleterre, vol. 79.) EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 445 la mesure de leur valeur. L’envoi direct de secours en Écosse, depuis la certitude acquise de l’arrivée de d’Éguilles, était devenu beaucoup plus aisé. Aventurée avec tant d’incertitude alors qu’il fallait risquer une descente à main armée, comme l’avait fait l’ambassadeur, l’expédition d’un convoi convenablement escorté se réduisait à une traversée, depuis que les ports de la côte orientale, Peterhead, Stonehaven, Montrose, Aberdeen, se trouvaient aux mains des jacobites écossais et prêts à servir de quais de débarquement. On a déjà vu l’arrivée successive, et du reste du convoi que d’Éguilles avait précédé, et d’un autre parti quelque temps après de Dunkerque, tous deux parvenus l’un après l’autre à Stonehaven et à Peterhead, avant que Charles-Édouard eût quitté l’Écosse. Le traité de Fontainebleau vint hâter le départ du premier corps de troupes destiné à combattre une armée anglaise sur le sol même du Royaume-Uni, où le drapeau français n’avait pas été déployé depuis la Boyne. Lord John Drummond, frère cadet du duc de Perth, était depuis quelque temps déjà désigné pour le commander 1 . Il reçut alors la commission officielle de commandant des troupes destinées à passer en Angleterre 2 , et, comme d’Éguilles, une instruction écrite 3 . Il devait, dès son arrivée, notifier sa qualité au commandant des troupes hollandaises de Wade, et si, malgré les assurances données à l’abbé de la Ville, cet officier décidait à combattre une armée régulière opérant sous drapeau français, il devait se refuser à tout échange de prisonniers. On lui remettait un chiffre pour correspondre avec le comte d’Argenson, ministre de la guerrre 4 . L’effectif embarqué se composait de quatre cents hommes environ du régiment Royal- 1 Note relative à l’envoi de lord John Drummond, remise par O’Bryen à d’Argenson, portant en tête: Remis après le traité à conclure avec le roi d’Écosse. (Arch. Aff. étr., Mèm. et Doc, Angleterre, 79.) 2 Commission de lord John Drummond, du 28 octobre 1745. Publiée par M. Browne dans les pièces justificatives de l’History of the Highlands (t. III, p. j. 20). 3 Instruction de lord John Drummond, datée du 28 octobre 1745, intitulée: Instruction du Roy au sieur comte de Drummond, brigadier d’infanterie, colonel du régiment Royal-Écossois, allant commander les troupes de Sa Majesté qui doivent passer dans la Grande-Bretagne pour y faire la guerre au roy d’Angleterre, électeur d’Hannover. Signé: Louis, et: de Voyer d’Argenson. Publiée par M. Browne (Ibid., p. j. 19). 4 Instruction de lord John Drummond. 446 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES Écossais, d’un peu plus de deux cents hommes des piquets de la brigade irlandaise, où Lally figurait en volontaire 1 , et de six pièces d’artillerie de terre 2 . Le tout était chargé sur deux navires, la Renommée, de 150 tonneaux, de douze canons de 4 et de 3, nouvellement frétée, et l’Espérance, revenue de Montrose avec les dépêches de d’Éguilles 3 ; la frégate la Fine était désignée pour servir d’escorte 4 . Ce convoi mit à la voile le 26 novembre et prit terre en Écosse le 7 décembre 5 , jour où Charles-Édouard entrait à Preston, à moitié chemin de Lancastre à Manchester. Le débarquement devait se faire entre Edimbourg et Berwick 6 , mais les nouvelles que l’on reçut à Dunkerque pendant les préparatifs firent sans doute préférer Montrose. La Renommée, entrée dans la rade la première et seule, mit ses canons à terre et prit un sloop de guerre anglais 7 , le Hazard, renommé pour sa marche, qui fut débaptisé et prit le nom de Prince-Charles 8 . Ce fut le seul combat naval de toute cette campagne. La nouvelle en parvint à Charles- Édouard, avec une certaine rapidité, huit jours plus tard, à Derby 9 . Ce petit corps, avant de rejoindre le gros de l’armée écossaise, contribua au succès que lord Lewis Gordon remporta le 31 décembre sur lord Loudon devant Aberdeen 10 , sans pouvoir toutefois anéantir les forces que le gouvernement hanovrien continuait à conserver dans l’extrême nord de l’Écosse. Depuis le mois d’août, des préparatifs pour l’envoi éventuel 1 Ces chiffres, d’après les dépêches de d’Éguilles au comte d’Aunay, de Blair Athol, 20 février, et de d’Éguilles à d’Argenson, d’Inverness, 5 avril 1746. 2 Journal du chevalier de Rosmadec, capitaine de vaisseau, commandant de la Fine. (Arch. Marine, Campagnes, 1746.) 3 Traités d’affrètement des navires la Renommée et l’Espérance, passés à Dunkerque, le 12 novembre 1745. (Arch. Marine, Campagnes, 1746.) 4 Journal du chevalier de Rosmadec. 5 Ibid. 6 Instruction de lord John Drummond. 7 Journal du chevalier de Rosmadec. Le récit de cette prise a donné lieu à plusieurs versions entre lesquelles ce document peut faire foi. 8 Browne, History of the Highlands, t. III. 9 Ibid., id. 10 Ibid., id. EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 447 d’un corps d’armée de six mille hommes se faisaient, comme on s’en souvient, à Dunkerque 1 . Le ministère français, assailli de plans de toute sorte présentés par les agents du Prétendant, les classait de son mieux et ne retenait que les plus praticables. Dès l’époque du départ de d’Éguilles, une note de lord Clancarty, remise à d’Argenson par lord Marishall, indiquait comme point de débarquement préféré par les jacobites anglais la baie de Maldon, cette large rade que l’embouchure de la Blackwater échancre sur la côte d’Essex immédiatement au nord de l’estuaire de la Tamise 2 . Sir James Cotton, ministre du roi George, et secrètement dévoué au parti des Stuarts, avait lui-même conseillé le choix de cet atterrissement, l’année précédente 3 . Outre ce projet auquel la mission de Clancarty donnait une sorte de caractère officiel et dont d’Éguilles avait pu être averti avant son départ, les propositions les plus diverses affluaient dans les bureaux de la Marine et des Affaires étrangères. L’initiative privée se donnait libre carrière. Un Irlandais émettait l’idée d’un débarquement à Londres même ou dans les environs, sur la rive de la Tamise 4 . Un Français, Grossin de Gélacy, demandait la direction d’une expédition qu’il voulait préparer sur les côtes de Saintonge avec l’intention d’aborder à la côte du canal de Bristol, entre Clamorgan et Glocester 5 . D’autres étaient plus sérieusement conçus 6 . D’Héguerty, en même temps qu’il organisait des levées en Suède conseillait un envoi de troupes en Irlande, sa patrie. Son 1 Voir ci-dessus. 2 Mémoire de lord Clancarty, remis par lord Marishall, 20 août 1745, déjà cité. 3 Mémoire anonyme intitulé: Projet par Dunkerque, du 1 er novembre 1743. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 83.) 4 L’existence de ce projet, qui ne parait pas avoir été conservé, résulte de la critique à laquelle il donne lieu dans le mémoire de M. de Bussy intitulé: Observations sur le projet de faire débarquer des troupes à Londres, du 31 octobre 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 83.) 5 Mémoire de Grossin de Gélacy sur un projet de descente, sans titre, du 17 novembre 1745, et lettre d’envoi à d’Argenson. (Ibid., 79.) 6 La lettre d’envoi de ce mémoire porte en marge cette note de d’Argenson: «Je ne répondrai plus à de pareilles lettres.» (Ibid., id.) 450 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES mouvement beaucoup plus comme une diversion que comme une coopération à la marche du prince sur Londres, et qu’il devait souhaiter surtout que cette diversion servit seulement à assurer à Charles-Édouard un établissement en Écosse. Quoi qu’il soit, en cette fin d’octobre, les contingents s’accumulent peu à peu sur la cote; le principe de la descente était résolu, et, à Boulogne comme à Calais, les cent cinquante bateaux nécessaires se réunissaient un à un; on dépensait 500,000 francs par mois 1 , et Maurepas refusant de donner ses trois frégates 2 , on frétait des corsaires 3 . Le duc de Richelieu était désigné pour prendre la direction de l’expédition, comme Maurice de Saxe l’année précédente 4 . C’était lui sans doute que désignait d’Argenson, répondant à l’envoi du plan de d’Héguerty, quand il parlait de celui à qui ce flambeau devait être plus utile qu’à lui-même 5 . Enfin le duc d’York, le prince Henri Stuart, second fils de Jacques III, arrivait d’Avignon, envoyé de Rome par son père 6 , et il était question de lui confier le commandement nominal des troupes 7 . Le 24 octobre, le jour de la signature du traité, il passait près de Fontainebleau et s’installait à Bagneux, sous le nom de comte d’Albany 8 . Il se faisait immédiatement renseigner par Sempill et Balhaldie, alors à demeure à Calais 9 , où lord Clancarty, très expert des choses de la marine 10 , lord Marishall, Lally même, pendant les délais imposés à 1 Traces de leur réunion dans le Mémoire concernant les dépenses à l’occasion de l’Angleterre, du 14 janvier 1746. (Arch. Mar., Camp., 1746.) 2 Mémoire officiel de Maurepas, cité ci-dessus. 3 Traités d’affrètement pour 24 navires, du 12 novembre au 20 décembre. (Arch. Mar., Camp., 1746.) 4 Lord Sempill à Jacques III, 15 novembre. Pièces justificatives de Browne, History of the Highlands. (T. III, p. j. 3.) 5 Observations de d’Argenson sur le Mémoire de d’Héguerty, citées ci-dessus. 6 Lettres du duc d’York à Louis XV et à d’Argenson, d’Avignon, 27 septembre 1745. (Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 7 Lord Sempill à Jacques III, Fontainebleau, 19 octobre. (Browne, l. c.) 8 O’Bryen à d’Argenson, Mémoire, 24 octobre. (Arch. aff. étr., I. c.) 9 Lord Sempill à Jacques III, 15 novembre. (Browne, l. c.) Cf. Balhaldie à Jacques III. (Id., p. j. 12, 13, 17, 18, 23.) 10 Le maréchal de Richelieu à d’Argenson, Boulogne, 2 janvier EN ÉCOSSE AUPRÈS DE CHARLES-ÉDOUARD. 451 son impatience, prenaient la direction des opérations 1 , le ministère français ayant définitivement écarté le duc d’Ormond 2 . Le fait est que Maurepas, qui commençait à donner ses ordres, avait besoin d’être suppléé; il ne semblait guère se faire une idée exacte de la nécessité de se hâter. Il comptait employer l’armateur Walsh, qui venait de ramener d’Écosse le navire qui avait servi au passage de Charles-Édouard, et sur l’annonce de l’absence de celui-ci, il écrivait à d’Argenson: «J’aurais besoin de savoir si l’exécution de ce projet est extrêmement pressée, parce que M. Houelche, dont je compte me servir, demanderait à faire un tour chez lui de quinze jours. Je vous supplie donc de me mander si je dois le laisser partir 3 .» Tandis que les préparatifs se continuaient de la sorte dans les ports du Pas-de-Calais, masqués par ceux qui avaient lieu à Ostende et à Dunkerque pour l’envoi des secours spéciaux destinés à la côte d’Écosse, l’on vit successivement arriver les courriers de Charles-Édouard, chargés de représenter à la cour de France l’état réel de la situation en Écosse, et porteurs des dépêches par lesquelles d’Éguilles renseignait si exactement le ministre sur les forces de l’armée écossaise, que d’Argenson s’était montré si soucieux de connaître. On se rappelle qu’en arrivant à Edimbourg, à la fin d’octobre, d’Éguilles avait pu apprendre le départ de Kelly, expédié dès le succès de Preston-Pans, et avait vu partir sous ses yeux, pendant son court séjour, Gordon et sir James Stewart, ce dernier chargé des informations les plus importantes. Tous les trois arrivaient successivement en France par la Hollande, un mois environ après leur départ particulier, Kelly dans les premiers jours de novembre 4 , Gordon au milieu du mois 5 . Stuart au 1746. (Arch. Aff. étr., l. c, 80.) 1 Lord Sempill à Jacques III, 2 novembre. (Browne, l. c.) 2 «Pour le duc d’Ormond, la décrépitude doit le dispenser du voyage.» Note de d’Argenson sur une lettre d’O’Bryen, du 12 août. (Arch. Aff. étr., l. c, 79.) 3 Lettre de Maurepas à d’Argenson, de Passy, 16 octobre 1745, citée ci-dessus. Elle porte en têle, de la main de d’Argenson: «Je lui ai répondu verbalement à Passy le 18.» 4 Départ de Kelly, le 2 octobre. (Voir-ci-dessus.) Arrivée, le 12 novembre. (Lettre d’O’Bryen à d’Argenson, de Paris, 12 novembre. Arch. Aff. étr., Mém. et Doc, Angleterre, 79.) 5 Départ de Gordon, 28 octobre. (Voir ci-dessus.) Arrivée, quelques jours avant le 23 novembre. (Lettre du duc d’York à Louis XV, de Bagneux, 25 novembre. Ibid., id.) 452 G. LEFÈVRE-PONTALIS.—LA MISSION DU MARQUIS D’ÉGUlLLES commencement de décembre 1 . Kelly, arrêté en Hollande et obligé de détruire ses dépêches, n’avait sauvé que sa lettre de créance 2 , mais était à même de donner au gouvernement français les renseignements nécessaires 3 . Gordon, dont le départ était postérieur d’un mois entier, qui avait connu l’arrivée de d’Éguilles, la prise de Montrose, le soulèvement de Peterhead, d’Aberdeen, et pouvait garantir la réalité du projet de marche sur Londres, était porteur d’un rapport assez raisonnablement conçu, où, malgré l’exagération avec laquelle les dispositions des comtés anglais étaient dépeintes, il donnait un compte assez exact des ressources de Charles-Édouard 4 . L’arrivée de Stuart, le 6 décembre, vint compléter ces notions; il apportait les dépêches de d’Éguilles contenant l’état des troupes du prince, qui complétaient celles que d’Argenson devait avoir déjà reçues par la Hollande, et pouvait annoncer que l’armée, à la veille de s’ébranler le jour de son départ, était déjà en route pour Carlisle et le Lancashire, à l’abri de la poursuite de Wade et n’ayant plus devant elle que le duc de Cumberland 5 . Ces messagers successifs étaient bien faits pour accélérer le passage. Le duc d’York, second fils de Jacques III, venu de Rome à Paris dans les derniers jours d’octobre, au moment où se signait le traité de Fontainebleau, centralisait leurs informations. De Bagneux où il avait pris ses quartiers, il adressait au roi, dès leur arrivée, d’abord Kelly, le 13 novembre 6 , puis Gordon, le 25 1 , 1 Départ de Stuart, le 7 novembre. (Voir ci-dessus.) Arrivée, le 6 décembre. (Lettre d’O’Bryen à d’Argenson, de Versailles (?), 6 décembre. Ibid., id.) 2 Lettre d’O’Bryen à d’Argenson, du 12 novembre, citée ci- dessus. 3 Kelly parait cependant avoir préservé la lettre de Charles- Édouard à son père Jacques III, écrite de Pinkie, le soir de la bataille de Preston-Pans, lettre qui est insérée .dans l’Histoire de Charles-Édouard de M. Pichot. 4 Porteur des lettres de Charles-Édouard à Louis XV et de Sheridan à d’Argenson, d’Edimbourg, 26 octobre, et, en outre, chargé de présenter un rapport. Cette relation, jointe à la lettre du duc d’York à Louis XV du 25 novembre, est publiée par M. Browne, dans les pièces justificatives de l’History of the Highlands. (T. III, p. j. 23 et 24.) 5 Porteur des dépèches de d’Éguilles des 3, 7 novembre, de son mémoire sur l’armée, des lettres de Charles-Édouard a Louis XV et de Sheridan à d’Argenson, d’Edimbourg, 5 novembre. 6 Lettre du duc d’York à Louis XV, de Bagneux, 15 novembre,
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