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LA POESIE AMOUREUSE DE G-UTLLAUME APOLLINAIRE ..., Slides de Poésie

13 Andre Rouveyre, Amour et poesie d'Apollinaire, Paris, Seuil,. 1955, P. 231. ILL Cf. la "Chanson du Mal-Aime", Apolliniare, Oeuvres poetiques ...

Typologie: Slides

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Estelle_87 🇫🇷

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Télécharge LA POESIE AMOUREUSE DE G-UTLLAUME APOLLINAIRE ... et plus Slides au format PDF de Poésie sur Docsity uniquement! LA POESIE AMOUREUSE DE GUILLAUME APOLLINAIRE by Maria A. Toplak B.4,, University of Budapest, 1954, A THESIS SUBMITTED IN PARTIAL FULFILMENT OF THE REQUIREMENTS FOR THE DEGREE OF MASTER OF ARTS in the Department of Romance Studies We accept this thesis as conforming to the required standard. THE UNIVERSITY OF BRITISH COLUMBIA April, 1962 In presenting this thesis in partial fulfilment of the requirements for an advanced degree at the University of British Columbia, I agree that the Library shall make it freely available for reference and study. I further agree that permission for extensive copying of this thesis for scholarly purposes may be granted by the Head of my Department or by his representatives, It is understood that copying or publication of this thesis for financial gain shall not be allowed without my written permission, Department of_ Romance Studies The University of British Columbia, Vancouver 8, Canada, Date 5th of April 1962 \ iv en elle qu'il faut peser et analyser les gouttes du breuvage enchanté, De l'oeuvre elle-même, nous avons donc été aux gloses qu'elle a suscitées, puis à la vie de l'auteur, pour revenir vers l'oeuvre qui contient, finalement, toute vérité essen- tielle. Dans 1a première partie de notre étude sur la poésie amoureuse d'Apollinaîre, nous avons d'abord essayé de discerner ce que le poète entend par "amour", mot à la fois précis et vague. Puis nous avons essayé de définir les éléments de la poésie amoureuse d'Apollinaire: romantisme, fantaisie, simpli- cité fraîche des complaintes, tendresse et légendes, passion, érotisme, C'est la seconde partie de notre étude, Nous avons dit que le ton du poète change suivant l'objet de ses amours. Nous avons précisé et commenté cette variété d'accents dans notre Chapitre II: À chaque Muse sa Poésie. Le philosophe Bachelard exprime, dans L'Èeu et les rêves, une thécrie qui nous semble s'appliquer singulièrement à Apollinaire; nous en avons suivi et précisé les contours et les limites dans Ecrit sur l'Eau (Chapitre III). Enfin, nas avons étudié la technique poétique d'Apolli- naire (plus spécialement envisagée dans sa poésie amoureuse ) dans le Chapitre IV: Les Aspects Formmels de la Poésie Amou- reuse d'Apollinaire. Ÿ. Notre dernier chapitre, Héritage d'Apollineire, termine cette étude, IL s'agit évidemment d'un simple aperçu car étrangement nombreux sont les "héritiers" du poète, ceux qui portent ses armoiries au grand jowr ou dans la pénombre, Car les vers d'Apollinaire n'ont pas fini de danser dans l'air du temps, influançant de leur grâce et de leur passion les générations nouvelles, TABLE DES MATIERES Pages AVANT-PPOPOS s.ssssssusesseensssesssessee see l Introduction ....,..,..........s...ssssesee L Chapitre Premier. Les motifs divers de la poésie amoureuse dtApollinaire tuners 10 Chapitre 11. À chaque Muse sa poésie ,......ss.ssssnsrs L8 Chapitre III. Ecrite sur l'eau sas ssesscessttes él Chapitre IV. Les aspects formels de la poésie amoureuse d'Apollinaire enssnessresessens 73 Chapitre V. L'héritage d'Apollinaîire ..........seussre 113 Bibliographie ...sss..seesssessesuseesssetese 116 3 qu'elle n'hésite pas à puîser dans tous les coffres aux tré- sors. Est_elle libre, est-elle esclave? Elle se souvient du passé, elle va vers l'avenir. Chose rare, elle est à la fois bon sens et fantaisie. Et tout ceci définit aussi Guillaume Apollinaire, Notre poète ne jette point en l'air des chô- teaux sans assises, il ne crée point de chansons sans mo- dèles. Il saît qu'il faut profiter des beaux héritages pour édifier son bien propre, Et il y a réussi, Il réclame des mots nouveaux, des thèmes nouveaux. Mais il se défend de vou- loir détruire, Il est novateur avec équilibre et raison, Tout ceci ne nuit pas à la belle originalité de son oeuvre. On l'a ämité. L'a-t-on dépassé? 11 n'y a pas tant de facons de naître et de mourir, Et 11 est dangeureux pour l'honme de se vouloir surhumain ou inhumain, même dans ses vers. Apollinaire fut humain avec une profonde variété, une ardeur sincère, 11 fut aussi artiste et la poésie moderne, au visage parfois douloureux ou déconcerté, ne cesse pas, pour se comprendre, de se mirer dans le fleuve de vie qui est son ouvrage. À cause de L'actualité de son oeuvre, dont on retrouve des reflets plus où moins merqués dans presque toute la poé- sie moderne, et ceci à cause de l'influence toujours gran- dissante de ses vers, il1 nous semble que Guillaume Apolli- naîre reste le maître ès sortilèges des poètes contemporains, INTRODUCTION: CE QUE LE POETE ENTEND PAR AMOUR André Rouveyre, un des meilleurs amis de Guillaume Apollinaire et un excellent commentateur de son oeuvre, a écrit::"Avee une constance inspirée, il a donné sa vie, son coeur et ses chants au mal d'aimer". Cette phrase souligne bien l'importance qu'occupe le thème de l'a- mour dans les vers de ce “poète assassiné", Nous nous proposons donc dans cette étude, d'explorer les di- verses attitudes d'Apolliînaire devant l'amour, telles qu'elles se reflètent dans sa poésie, Le terme "amour" est vague en son essence--il de- mande à être cerné, précisé. Il comporte autant de nu- ances que de diversité--tel dîit amour qui entend désir, ou affection, ou amitié ou haîne. Tel dit amour d'un autre, et éprouve en réalité l'amour de soi-même, .de son reflet dans un regard ou dans un coeur. Qu'était-ce donc que l'emour pour Apoilinaire? Un soir de demi-brume à Londres Un voyou qui ressemblait à Mon amour vint à ma rencontre Et le regard qu'il me jeta Me fit baisser les yeux de honte “Chanson du liMäl-Aimé", Alcools Dans ce poème Apollinaire nous parle de l'amour dont ‘on rougit et que l'on ne peut combattre, l'amour auquel on finit par s'abandonner et dont on aime le goût vénéneux semblable à celui des mauves colchiques. Le colchique couleur de cerne et de lilas Y fleurit tes yeux sont comme cette fleur-là Violätres conme leur cerne et comme cet automme Et ma vie pour tes yeux lentement s'empoisonne “Les Colchiques", Alcools Il y a aussi cet amour tendre qui se retourne avec complaisance vers le passé et qui essaye de conjurer une nouvelle présence de l'aimée par des images dont elle forme le centre. Vous y dansiez petite fille L. denserez-vons, mère-grand? Toutes les cioches sonneront Quand donc reviendrez-vous, Marie? Marie", Alcools Ailleurs nous rencontrons cet amour qui semble par- fois s'enchanter de sa propre “dépossession!" et s'enivrer de brouillard et de mélancolie, comme par exemple dans la flongue séparation du "Pont Mirabeau" ou dans cet adieu: Jtai cueilli ce brin de bruyère L'âäutomne est morte souviens-t-en Nous ne nous verrons plus sur terre Odeur du temps brin de bruyère Et souviens-toi que je t'attends “Chanson du Mal-Aîmé", Alcools Présent aussi est l'amour qui court inévitablement au gouffre des désillusions: L'amour lourd comme un ours privé Danse debout quand nous voulûmes On fondait et façonnait hier Tous les métaux Ge mes paroles ML'Assassin', Poèmes retrouvés En effet nous pensons, “qu'un poème peut être plein d'amour sans y faire la moindre allusion. Un court poème conme fête", par exemple, bien rempli d'une immense et triste tendresse: ‘ Un cor sonnait au fond de mon coeur ténébreux On y chassait les biches de mes souvenirs Et cette torêt qui pousse en moi et où l'on corne Je 1'at portée au boïs / Poèmes retrouvés Enfin citons encore André Rouveyre qui a si bien perçu les liens qui relient l'art d'Apollinaîire À l'amour: "L'art suprême dévore, absorbe, L'amour, ses ardeurs, ses langueurs, son inspiration meurtrière,.son immersion éloquente et pa- radisiaque pour une transmubtation moins périssable que ces 2 promptes agitations* " 10 CHAPITRE I: LES MOTIFS DIVERS DE LA POESIE AMOUREUSE © D'APOLLINAIRE a) Le Romantisme Si nous examinons à présent, non plus ce que Guillaume Apollinaire semble entendre par amour, mais les courants qui dans son oeuvre se confondent dans ce fleuve de feu, nous y remarquons tout d'abord un profond romantisme. Qu'est-ce en effet que lie romantisme? À la fois un mouvement et une tendance, Ce vaste mouvement fut, entre autres choses, une ré- action contre la rigueur,,le formalisme des siècles pré- cédents. Le sentiment, la passion réclamaient leurs droits et la langue, de son côté, reprenait vie et couleur. Vic- tor Hugo mettait “un bonnet rouge au vieux dictionnaire" et proclamait l'égalité entre les mots: "plus de mot:sé- nateur, plus de mot roturier". Apparaissaient alors d'autres thèmes: les jeunes mourants, les fiancées et les spectres dansant sous le clair de lune des cimeti- ères, les saules aux poétiques chevelures, les crânes où buvaient les “jeunes-France", Il y eut aussi 1a ba- taille d'Hernani, le gilet rouge de Théophile Gautier, le poison de Ruy Blas. En bref, au point de vue histo- rique, le romantisme fut une révolution dans le fond comme dans la forme. On salt quels en furent les reven- 11 dications, les soutiens, les adversaires, ceux qui l'i1- lustrèrent où le combattirent. Aujourd'hui, (en partie grêce au Mouvement Romantique)les droits de la passion et la liberté du:style ont conquis un droit de cité litté- raire qui ne saura plus être contesté, Dans une époque marquée par le sentiment tragique de l'isolement de l'in- dividi aux prises avec son destin, le moi n'est plus hafssable, fO insensé, qui crois que je ne suis pas toi" s'écriait Victor Hugo en affirmant ainsi la portée uni- verselle de ses sentiments. T1 est certain que ses joies et ses tristesses d'époux et d'amant, son deuil de père, ses confidences de grand-père éveillent chez les lecteurs les échos qu'il prédisait. Presque tous les romantiques disent "moi", Ils ne se déguisent point comme le Mpré-romantique" Racine sous la tunique d'Hermione ou de Phôdre. Alfred de Vigny, il est vrai, s'entoure de symboles, 11 est Samson trahi par Dali- la, 11 est Moïse, qui meurt dans sa lourde solitude, au seuil de ia terre promise. Maïs, même ici, l'accent per- sonnel et direct ne trompe pas, ne peut pas tromper. C'est peut-être André Billy, contemporain et ami de jeunesse d'Apollinaire et chroniqueur averti de toute 4 Foisson pourri de Salonique Long collier des sommells affreux Bourreau de Podalie Amant Des plaies des ulcères des croûtes Groin de cochon cul de jument Tes richesses garde-les toutes Pour payer tes médicaments “Chanson du Mal-Aimé", Alcools C'est ainsi qu'Apollinaire a emprunté au romantisme le goût des contrastes mêlant le sublime délicat et le grotesque amusant. Que dire des éléments romantiques dans ses sentiments? Nous les trouvons, naturellement dans cette même célèbre Chanson du Mal-Aîmé". L'amour et la haine s'y enlacent étroitement; le poète évoque Annie comme cette femme qui “sortit saoule d'une taverne", "la cicatrice à son cou nu; on sent qu'fl s'en réjouit et qu'il l'a tracée lui-mêmec en rêve. on retrouve de même jei Le goût des teniresses empoisonnées, assez morbide, et cette tendance masochiste à aîmer ce qui vous avilit ou vous torture. Nous voyons ici cette même passion qui che& Apollinaire d'une mani- ère sadique se promène parfois dans les rues iouches avec le costume et les oeillades appropriées à l'endroit. On est amené à penser à Musset qui maudissait pareille- ment Georges Sand et la déguisait volontiers en demi- 15 vampire pour l'insulter dans Les Nuîts. Nous savons aussi que Musset s'enivrait dans les tavernes pour tôcher d'oublier l'oublieuse tout en la rendant responsable de ses chutes et de ses misères. Annie est ici pour Guillaume Apollinaire cette "fenme fatale" qu'était Georges Sand pour Musset. Mais souvent, avec une pirouette, un éclat de rire amer et forcé, Alfred de Musset tente de se débarrasser de ses fantômes. Et notre poète mal-aimé, tout comme le malheureux Musset, essaie de tourner en dérision sa dou- leur et son amour: : Et moi j'ai le coeur aussi gros Qu'un cul de dame dama scène Oh mon amour, je t'aimais trop Et maintenant, j'ai trop de peine i£es sept épées hors du fourreau “Chanson du Mal-Aïmé", Alcools Mais quittons ce chef-d'oeuvre, car tout le romantis- me de notre auteur n'y est pas enclos. Nous retrouverons ce romantisme un peu partout dans l'oeuvre d'Apoliinaire, D'Alcools encore, considérons par exemple ‘La Malson des Morts", Ici les morts et les mortes s'entretiennent de fi- ançailles et font des projets pour l'avenir: Une morte assise sur un banc Près d'un buisson d'épine-vinette Laîssait un étudiant Agenouillé à ses pieds Lui parler de fiançailles 16 Meis un mort rencontre une vivante et la scène se trans: forme : Je vous aime Disait-il Comme Le pigeon aime la colombe Trop tard Répondait la vivante Repoussez repoussez cet amour défendu Je suis mariée Voyez l'anneau qui briile Mes mains tremblent Je pleure et je voudrais mourir Et c'est alors la tentation du suicide pour la vivante et presque le thème d'un ballet romantique: Et le mort disait à le vivante Nous serions si heureux ensemble Sur nous l'eau se renfermera Mais vous pleurez et vos mains tremblent Aucun de nous ne reviendra Comme fit Alfred de Musset dans Les Nuits, Guillaume Apollinaire dialogue avec sa muse dans "La Ceinture", (Poèmes à Lou). Evidemment le ton en est fort différent, mais l'auteur de "Mardoche"--poèms:'dvñt le ton semble préfigurer Apollinaire déjà--aurait apprécié certaines des boutades de Guillaume Apollinaire. En effet "La Ceinture" serait plutôt une parodie, peut-être inconsci- ente, äu'une imitation directe de Musset.Daus le poème l'amour se mêle à l'entretien: 19 humains malgré eux. 11 y fait allusion dans “Marie“ (Alcools): Sais-je où s'en iront tes cheveux Crépus comme mer qui moutonne Sais-je où s'en iront tes cheveux Et tes mains feuilles de l'automne Que jonchent aussi nos avex “Dictes-moi où,an'en quel pays/ Est Flora la belle Romaine...", soupirait déjà Villon en sa "Ballade des Dames du Temps Ja- dis", Cet élément se retrouve dans ce poème à Lou: Ta voix mon souvenir s'éloigne 6 son du cor Ma vie est un beau livre et l'on tourne la page De toi depuis 1longtemps" Et dans ‘“Faction" aussi (Poèmes à Lou): J'espère dans le souvenir ôÔ mon Amour T1 rajeunit 11 embeliit lorsqu'il s'efface Vous vieillirez Amour vous vieillirez un jour Le Souvenir au loin sonne du cor de chasse O0 lente lente nuit 6 mon fusil si lourd De même, en Alcools ‘Cors de Chasse" révêle le même souci de l'auteur: Passons passons puisque tout passe Je me retournerai souvent Les souvenirs sont cors de chasse Dont meurt le bruit parmi le vent Plus loin, c'est un rappel direct du "Lac" de Lamartine que nous rencontrons: Ainsi tout passe, ainsi tout lasse Ainsi nous-mêmes nous passons, Hélas! sans laisser plus de trace 20 Que cette barque où nous glissons Sur cette mer où tout s'efface Dans “fa Lac" le grand romantique exprime cette idée de la fuite inexorable du temps et pour lui la vie est un courant rapide qui nous emporte. Les joies, les malheurs passent avec la même vitesse et Lamartine, se souvenant d'une promenade sur le lac du Bourget avec la fragile El- vire, s'écriait avec la mêm mélancolie désolée qu'Apoll1i- naire: "Ne pourrons-nous jamais sur l'océan des âges/ Jeter l'ancre un seul jour!" Pour Apollinaire c'est le Pont Mirabeau qui évoque la plainte desespéré: L'amour s'en va comme cette eau courante Lamour s'en va G.E. Clänciéèrrréphelle cet aveu d'Apollinaire: "Je n'ai jamais désiré que le présent, quel qu'ii fâût, perdu- rôt... Rien ne détermine plus de mélancolie chez moi que cette fuite du temps. Elle est en désaccord si formel avec mon sentiment, mon identité, qu'elle est la source même de ma poésie", Ainsi, ajoute fort justement le commenta- teur, Guillaume se plaint avec une grâce mélancolique et comme enivrée et enivrante de la fuite des jours". Sentiment éminemment romantique dont son oeuvre garde, on effet, de nombreux échos, Ctest Le Musset de Mimi Pinson, que nous trouvons dans quelques poèmes du Guetteur mélancolique: 21 Vous dont je ne sais pas le nom ô ma voisine Mince comme une abeille 6 fée apparaissant Parfois à la fenêtre et quelquefois glissant I1 s'agit ici du côté "fleur bleue" du romantisme: aspect sentimental et un peu fade en ses marivaudages, Mais le vrai romantisme joue volontiers avec l'idée de la mort: "Mes chers amis, quand je mourrai,/ Plantez un saule au cimetière"... chante Alfred de Musset dans “Le Saule" et Lamartine soupire: "Aux regards d'un mu- rant le soleil est si beau." Cette mort, il est de bon ton parfois de vouloir la précipiter. Apollinaire publie dans Le Guetteur mélanco- lique, le "“Suicidé", que l'on peut rapprocher du "Ly- risches Intermezzo" d'Henri Heiïne: Am Kreuzweg wird begraben, Wer selber sich brachte um; Dort wachst eîine blaue Blume, Die Armesunderblum', Am Kreuzweg stand ich und seufzte; Die Nacht war kait und stumm, Im Mondschein bewegte sich langsam Die Armesunderblum!. Buch der Lieder Au carrefour sont enterrés ceux qui ont péri par le sulcide Une fleur bleus s'épanouit là, On la nomme la fleur de l'ême dammée... Je m'arrêbai eu carrefour et je soupirai Aux rayons de la lune se balançait lentement La fleur de l'ême damnée. 24 méconnaître aucunement 1es mérites des chefs-d'oeuvre: vé- ritables du passé". Ceux-ci en effet trouvaient en lui écho et reflet. 25 b.) La Fantaisie Une autre caractéristique de la poésie amoureuse d'Apollineire est la fantaisie, Cet élément d'art et de style est également assez romantique, lui aussi, et Al- fred de Musset l'utilise souvent, Cependant. elle a, chez äpoilinaire, un ton nouveau et bien persomel, Pour le moment nous ne parlerons que de la fantaisie dans les pensées et dans les sentiments et non point de cette fantaisie dans la forme dont témoignent, par exemple, les Calligrammes. Mais nous connaissons les charmants poèmes mystificateurs de Louise Lalanne: Le chevrefeuille est pour ia belle Qui n'a rien cru Et j'irai cueillir les airelles Eustucru Cette Louise Lalanne, qui donna des poèmes et des ar- ticles aux Marges avec succès n'était autre que Guillaume Apollinaire, secondé sans doute de Marie Laurencin. L'accent de fantaisie dans la plainte amoureuse, nous le retrouvons dans la "Blanche Neige", (d'Alcools). Le cuisinier piume les oïes Ah} tombe neige Tombe et que n'ai-je Ma bien-aimée entre mes bras Et aussi dans cette étrange "photographie" de Çalligremmes: 26 Ton sourire m'attire comme Pourraiîit m'attirer une fleur Photographie tu es le champignon brun De la forêt Qu'est sa beauté Dans IL y a se trouve, ironique en sa fantaisie, un poème où le coeur de la bien-aimée est comparé à Carcassonne, la viile aux épais ramparts que maintes affiches nous recom- mandent de voir avant de mourir: Ville presque morte, Ô Gité, Qui languis au soleil d'été Toi dont le nom putride étonne Tu symbolises la très Bonne La très Douce sans vanité Qui n'a jamais compris personne, La toujours Belle qui se tait, L'Adorable que je couronne Toujours penchée exquisement,*, J'ai vu ses lèvres d'anémone Mais point son geur, à la très Bonne Je n'ai jamais vu Carcassonne. Ces vers furent écrits pour une brune Linda de seize ans sur une carte postale représentant 1e cité en question. L'in- téressée, inquiète de recevoir cette missive et quelques autres, toujours sur cartes postales, écrivit à un ami commun: "Croyez- vous vraiment qu'il ait cette affection pour moi, Cela m'en- nuierait, car il serait à plainôre, le pauvre garçon. Non 29 c.} La Simplicité fraîche La simplicité fraîche, si souvent accompagné d'un accent de romance populaire est important aussi dans cette poésie, Depuis ces ritournelles de Louise Lalanne que nous avons déjà évoquées Apollinaire a écrit des quantités de délicieux poèmes à chanter! dont bien des successeurs se souviendront, Francis Carco en tête. Que de vers aux gen- tils refraiîins, gracieux comme des bouquets de violettes aux éventaires, Considérons à cet égard "Marie" (Alcools): Les brebis s'en vont dans la neîge Flocons de laine et ceux d'argent Des soldats passent et que nl'ai-je Un coeur à moi ce coeur changeant Changeant et puis encor que sais-je Le Loreley" dt Henri Heine peigne ses cheveux d'or sous la tempête. Chez Apollinaire elle gémit mélodieusement: Mon amant est parti pour un pays lointäin Faiîites-moi donc mourir puisque je n'aime rien Mon coeur me fait si mal depuis qu'il n'est plus 1è Mon coeur me fit si mal du jour où il s'en alla La Loreley", Alcools Et c'est une chanson aussi que ce poème à Lou, une sorte &finvitation au voyage" originale: Douce, douce est ma peine Ce soir je t'aime à peine Mon coeur fini l'hiver T1 vient é'enfer Du feu du fer NO Lou ma très chérie" 30 Entre de longs poèmes grandioses, amers où hautains se blotissent ces petites chansons que Guillaume fait, lui aussi, parfois avec ses grandes douleurs, C'est du sein d'un cata- clysme', la guerre, qu'il envoie à Madeleine ces vers char- mants dont la simplicité d'accent naîve souligne tout le drame : C'est une nuit d'orage Le tonnerre fait rage La mitrailleuse aussi Mais je suis bien ici Je pense à vous ma fée De raisins noirs coiffée "C'est une nuit d'orage" Un autre poème à Madeleine rappelle les Chansons des rues et des bois de Victor Hugo par son rythme allègre et fleuri, par ses grâces un peu banales: Tu m'ouvriras tes bras et puis Tu me répéteras je t'aime Ainsi vont les jours et les nuits Amour bleu comme est le coeur même J'espère une lettre de toi Dans “Stavelot" (Le Guetteur mélancolique} la chanson est plus nuancée: S'en est allée 1'amante Au village voisin malgré la pluie Sans son amant s'en est allée l'amante Pour danser avec un autre que lui Les femmes mentent mentent Très connu est le penchant marqué qu'avait Guillaume äpoilinaire pour la poésie de circonstance et pour les 31 messages versifiés et dans presque tous ses poèmes épisto- laires la forme de la chanson ou Ge la chansonnette et la fantaisie délicate ou débridée se donnent libre cours, Nous en avons cité quelques fragments. Et ne peut-on inclure par- mi les chansons et les Lettres d'amour celle-ci qu'il adressa un jour de guerre à cette France pour laquelle il allait doné ner sa vie avec un courage tranquille, eyant goûté avec elle les multiples émotions nées des batailles tout en poursui- vant parallèlement les tourments de ses amours moins idéales: O0 France, France ma patrie Tu m'as donné Ma fringante coquetterie Je voudrais être la plus belle C France, France si chérie Je veux t'honorer, ma patrie Par ma belle coquetterie "O France, France ma patrie", Poèmes Inédits “Le voyageur" (Alcools) peut se ranger aussi dans cette même catégorie, Fernand Fleuret, à qui le poème est dédié, a rapporté que "Le Voyageur" était une de ces "chansons farcies" et "complaintes populaires sans queue ni tête" qu'Apollinaire et lui-même s'amusatent à improviser en marchant dans la rue, lorsqu'ils sortalent de la Bibliothèque Nationale; ce poème aurait ainsi été composé entre la Rue de Richelieu et la rue Notre-Dame de Lorette où se trouvait la banque d'Albert de 34 ces ressassées, lui inspire de belles invocations, Prenons par exemple ce poëme à Lou: Mais mon cri va vers toi mon Lou Tu es ma paix et mon printemps Tu es ma Lou chérie le bonheur que j'attends C'est pour notre bonheur que je me prépare à la mort MCtest l'hiver!" Souvent, la tendresse se fait candeur et enfance. L'a- mante devient une petite fille, elle se déguise ainsi et le poète a le sentiment de la mieux capter, de la posséder par une sorte de traitrise charmante, Cette tenèresse en fin de compte n'est pas sens danger ni pièges: Je t'ai prise contre ma poitrine comme une colombe Qu'une petite fille étouffe sans le savoir et il ajoute dans ce même très beau poème, "L'Amour! (Poèmes à Lou), le dedain et l'espérence: J'ai eu à moi ma disposition Ton orgueil même Ün autre poème commence ainsi: "Lou est'une enfant'"--et encore dans "Tierce rime pour votre âme" (T1 y a), nous trou- vons ce vers: "Votre âme est une enfant que je voudrais bercer,." 11 paraît done finalement que cette tendresse exprimée en vocables séduisants--les uns dans leurs conventions, les autres dans Leur nouveauté--68t; souvent pour le poète une arme dont il se sert pour mieux réduire celle qu'il aime. 35 Renforçant cet élément de tendresse chez notre poëte il 7 a cette autre disposition de son tempérament poétique qui le porte à transformer les êtres en légendes. Cette tendance est peut-être plus sensible dans ses contes ou dans ses ro- mans, mais elle existe aussi en ses poèmes. Philippe Sou- pauit dit à cet égard: “Ltambition dt'Apollinaire le poussait plutôt à créer des légendes que des caractères." Mupa accor= dait sa sympathie aux êtres comme il la donnait aux objets, à ceux qui lui paraissaient étranges et nouveaux, "--pour- suit Soupault et i1 ajoute: “Lorsque, par extraordinaire, un de ses héros ne stéloigne pas délibérément äu quotidien, 11 est aussitôt châtié et la vie se charge alors de 18 re- jeter dans le domaine de l'étrange." . Etant donné cette tournure d'imagination, il serait sur- prenant que Guillaume Apollinaire ne transformât point presque inconsciemment 1es femmes aimées en femmes rêvées--c'est d'ailleurs un réflexe presque inévitable chez tout artiste et peut-être simplement chez tout être humain doué de sen- sibilité. Mais dans les vers d'Apollinaire, Linda, Marie, Madeleine, Lou et Jacqueline se transfigurent étrangement, Dans "Chevaux de frise" (Calligrammes), Madeleine devient une princesse d'Orient vers laquelle se précipitent des mé- taphores dignes du Cantiques des Cantiques. "La jolie rousse", 36 la future épouse, est une flamme, un reflet en promenade, Linda s'assied sous les tilleuis d'une ville allemande et prend le visage mélancolique du passé, Lou devient une ms mésange Ses yeux c'était tes jolis yeux Son plumage ta chevelure "La Mésange", Poèmes à Lou Et 11 l'a tracé aussi sous la forme d'une ‘rose atroce" et dtune "Démone-enfant" (Poèmes à Lou), "Ma Lou je coucherai,.." Elle est également la "comtesse alouettel' des légendes dans “Le ciel étoilé"! (Poèmes à Lou): © crueille alouette au coeur de vautour Vous mentîtes encore au poète crédule Lou est une étoiles et la fée Oriande écrit son nom sur le ciel nu, Cette amante est "la belle qui dort" ("Stavelot", Le Guetteur mélancolique) et le poète est un roi "qui n'est pas sûr d'avoir du pain!" Ainsi se déguisent le poète et ses amours. André Billy dit à ce sujet: "L'influence du Moyen-Age, teinté de symbolisme et de surréalisme avant la lettre se fait sentir dans son oeuvre. Apollinaire garda toujours du goût pour le celtisme et pour tout ce que ce 12 mot sous-entend de féérique et de merveilleux." 39 Cerceaux rouges roulaient sous mon regard dément Et je mourais encore en entendent ton rire L'accent ou du moîns le sens de ces vers est passionné, et pourtant faux: le poète n'arrive pas à croire à son mal- heur,. Croit-il au moîns à son amour dans ces vers des “Poèmes retrouvés", parus le 3 septembre 1923 dans Les Nou- velles Littéraires: Si tu vois des blessés Dis-leur que ma seule blessure est celle que tu as faité â:mon coeur Si tu penses parfois songe que ma pensée est tou- jours avec toi Et que je t'adore Ces vers sont jolis, mais sans grande émotion, IL y a du mad- rigal et il faut convenir que Guillaume Apollinaire madriga- lise souvent avec talent dans ses vers amoureux. Les quatre vers suivants des Poèmes à Lou expriment un sentiment plus fort, mais est-ce la forme ou le choix des mots? Ils nous semblent bien près d'être prosaiques: Sans nouvelles de toi je suis désespéré Que fais-tu je voudrais une lettre demain Le jour s'est assombri qu'il devienne doré Et tristement ma Lou je te baise la main Apollinaire était-il vraiment "désespéré" d'être sans noœ- velles? Oui, et nous le savons puisque le silence de son amie lui donne des idées de suicide, Cependant, comme ces vers nous laissent calmes! I1 y a bien plus de passion exprimée dans le poème Lo “C'est l'hiver" des Poèmes à Lou dont nous avons déjà parlé et dans ces vers étranges: C'est pour notre bonheur que je me prépare à la mort C'est pour notre bonheur que dans la vie j'espère - encor C'est pour notre bonheur que luttent les armées Le poème “senglot" de I1 y a est aussi émouvant: Mon pauvre coeur mon coeur brisé Pareli au coeur de tous les hommes Est mort d'amour ou c'est tout comme Est mort d'amour et le voici Arrachez donc le vôtre aussi énnvosssssssssmerosseuesseus Laissons tout aux morts Et cachons nos sangilots Dans "Refus de la colombe", cette passion, sobrement expri- mée, rejoint la cruauté: Si la colombe poignardée Saigne encore de ses refus J'en plume les ailes l'idée Et le poème que tu fus Calligrammes Toutefois c'est encore du recueil des Poèmes à Lou, (‘mes “" écrivait Apollinaire à meilleurs poèmes depuis la guerre, Louise peure-Favier) > qu'il faut retirer les vifs accents, le brûlure du style qui haussent parfois le poète au-dessus de lui-même et l'écartent en tœt cas du sentiment un peu conventionnel et du style parfois mièvre et joli de certains vers d'amour. Rien de tel dans "Je t'adore mon Lou"! où l'image ul de Lou se reflète en tout objet: Mes songes te ressemblent Je regarde ta photo bu es l'univers entier J'allume une aliumette et vois ta chevelure Tu es pour moi la vie cependant qu'elle dure Et tu es l'avenir et mon éternité Mèlée de joie et d'inquiétude, d'extase et d'enfantillages, de torture et de patience, telle est la passion du poête dans presque tous les poèmes à Lou. Uk Je voudrais que tu sois la nuît pour nous aîmer dans ces ténèbres Je voudrais que tu sois ma vie pour être par toi seule Le célèbre poème où Apollinaire invoque avec une sensualité intense et calme sa "Jolie bizarre enfant chérie" est un chef- d'oeuvre dans ce genre, Le rythme d'incantation, le leitmotiv, et la nouveauté des métaphores le rendent inoubliable: Jolie bizarre enfant chérie Je goûte ta bouche, ta bouche sorbet à la rose Je la.goûte doucement Comme un.Khalife attendant avec mépris les croisés Tout en vouant À Lou ces ardeurs, Apollinaire ne négligeait point Madeleine, sa fiancée et les poèmes secrets adressés à elle sort'aussi vibrants d'érotique amour, parfois assez bi- zarrement exprimés: Ma bouche aura des ardeurs de géhenne snsrnseo sense snns essor eus Mon amour ma bouche sera une armée contre toi Une armée pleine de disparates Variée comme un enchanteur qui sait varier ses métamorphoses “Quatrième poème secret", Poèmes à Madeleine L'évoquée est un "jardin d'été", comme l'était Lou: Les fruits de ta poitrine mûrissent pour moi leur douceur O mon verger parfumé "Le onzième poème secret" va plus loin encore dans l'érotisme ‘sans ajouter de nuance nouvelle à l'égard du génie du poète, sinon ce souci du foyer et des enfants, souci qui commençait LS à être le sien mais qui semble inattendu à la fin d'un tel poème: Je t'adore Architecte et toi adore le bâtisseur du Sur lequel comme sur celui d'Avignon tout le rpnes dansera en rond Nous-mêmes 6 Madeleine nos enfants aussi et aussi nos petits-enfants Jusqu'à la fin des siècles Les deux meilleurs poèmes nous semblent être les "Neuf portes de ton corps" et "Le deuxième poème secret". Le ton presque religieux des vers et des strophes, le lent déroulement du cantique amoureux en font deux chefs-d'oeuvre. Ici, 1e poète est sincère et plus à l'aise que dans certains de ses autres poèmes érotiques si souvent remplis de grâces sentimentales. L'érotisme d'Apollinaire est donc rarement liberti- nage grossier où plaisanterie vulgaire. Ses accords de mu- sique et de tendre complainte, son accent très souvent pro- fondément mystique lui communiquent une beauté, une pureté qui sont celles de L'art achevé. Du reste pourquoi nous évertuer à défendre ici Apolli- naire? N'a-t-i1 pas déjà répondu à toutes 1es critiques qu'on pourrait lui adresser À ce sujet dans son poème à Lou, “Parce que tu m'as parlé de vice": Tu m'as parlé de vice en ta lettre d'hier Le vice n'entre pas dans les amours sublimes enroronenres ns mens seven sense nesee Qu'importe qu'essouflés muets bouches ouvertes Ainsi que deux canons tombés de leur affût Lé Brisés de trop s'aimer nos corps restent inertes Notre amour restera bien toujours ce qu'ii fut Ennoblissons mon coeur l'imagination La pauvre humanité bien souvent n'en a guère Le vice en tout cela n'est qu'une illusion Qui ne trompe jamais que les mes vulgaires L9 Linda Tinde Nilda India Indal Lnida C'est un amour imaginatif, un amour 'précursean-" des amours à venir et sans doute assez littéraire en ses réminis- cences, mais déjà l'on retrouve ici presque tout Apollinaire et l'essentiel de ses vers amoureux. Ici nous le voyons jouant avec le nom de l'aimée: _L'ombre de la très douce est évoquée ici Indolente et jouant un air dolent aussi Nocturne ou lied mineur qui fait pâmer son âme Dans l'ombre où ses longs doigts font mourir une gamme âu piano qui geint comme une pauvre femme Ces acrostiches annoncent ceux, très nombreux, qu'il fera plus tard pour Lou. Le poème “Carcassonne, déjà cité plus haut, contient de l'ironie, du romantisme et semble rappeller un peu Baudelaire: La Très Douce... la toujours Belle ... L'Adorable... la Très Bonne... "Ville presque morte", 11 y a L'on se souvient des vers baudelairiens: Que diras-tu ce soir, pauvre âme solitaire, Que diras-tu mon coeur, coeur autrefois flébri À la très belle, à la très bonne, à la très chère Dont le regard divin t'a soudain refleuri Les Fleurs du Mal, XLIV Dans "Lorsque vous partirez", (11 y a) cette "Madone au 50 nonchaloir" rappelle "Le Balcon" de Baudelaire par Le rythme de cette strophe au leitmotiv mélodieux: Madone au nonchaloiîr, lorsque vous partirez, Tout parlera de vous, même La feuille morte, Sauf vous qui femme et mobile comme la porte Avant le premier soir de danse m'oublierez, Madone au nonchaloir, lorsque vous partirez, Il existe beaucoup de réminiscences symbolistes aussi dans fTierce rime pour votre âme", Il y a: Votre ême est un parfum subtil dans une armoire, Votre ême est un baiser que je n'aurai jamais, Votre âme est un lac bleu que nul autan ne moire; Comment ne pas se souvenir ici de ces vers de Verlaine:*"Yotre ême est un: paysage choisi/ Que vont charmant masques et ber- gamasques?"“Et n'oublions pas Aïbert Samaîn qui a écrit: "Mon Êême est une infante en robe de parade..." Enfin l'ombre de Ronsard et celle de Corneille se profilent sur les "Adieux" (Il y a). Ronsard a écrit son célèbre ‘ sonnet pour Hélène: “Quand vous serez bien vieille, 8 soir, à la chandelle," Et Corneille a insinué à “celle qui le trouvait trop vieux" (c'était la Marquise du Parc}: "Souvenez-vous qu'à mon âge/ Vous ne vaudrez guère mieux..." De même, Apollinaire déclare: Lorsque grâce aux printemps vous ne serez plus belle, Vieillotte.grosse ou maigre avec des yeux méchants, Mère gigogne grave en qui rien ne rappelle La fille aux traits d'infante immortelle en mes chants. “Vous serez au foyer une vieille accroupie""“disait Ronsard, Et voici maintenant chez Guillaume un écho d'orgueil cor- 51 nélien: Il reviendra parfois dans votre âme quiète Un souvenir de moi différent d'aujourd'hui Car le temps glorieux donne aux plus laids poètes La beauté qu'ils cherchaient cependant que par lui "adieux", Il y a Et Corneille terminait de la même façon $es fières suppli- cations: Songez-y, belle marquise, Quoiqu'un grison fasse effroi, 11 vaut bien qu'on le courtisèse Quand il est fait comme moi. Mais celle que Guillaume appelait "Linda la zézéyante" disparaît dans les brumes des souvenirs: le règne d'Annie Playden est arrivé. Celle-ci était la gouvernante anglaise de la jeune Gabrielle de Milhau. Apollinaire était engagé comme précepteur pour cette même élève. Il tomba très vite amoureux d'Annie, fut sens doute encouragé au début, mis ses façons, parfois un peu brutales, choquèrent quelque peu les principes puritains de la jeune Anglaise. Repoussé et dé- pité, le poète prend des vacances et parcourt l'Allemagne et l'äautriche, Il écrit "L'Elegie du Voyageur aux pisds blessés" (ri ya) où l'on rencontre quelques altusions amères: Bu bois tu n'as point vu de faunes; Des nymphes tu n'eus pas l'aumône D'un iris bleu, d'un iris jaune. 11 rencontre en France, s'éprend d'Yvonne, sa jeune voi- sine de la rue de Naples à qui il adresse des épîtres rimées. 5k Mon beau navire & ma mémoire Avons-nous assez navigué Dans une onde mauvaise à boire Avons-nous a556Z divagué De la belle aube au triste soir La haîne et l'amour se rencontrent en son coeur et au cours de cette promenade en eau noire, c'est l'oraison funèbre d'Annie: Adieux faux amour confondu Avec la femme qui s'éloigne Avec celle que j'ai perdue L'année dernière en Allemagne Et que je ne reverrai plus Mais les tombes d'amour les plus profondes, 1es mieux creu- sées laissent place quelquefois à l'espoir d'un fantôme. Com- ment croire que tout est fini: Mais en vérité je l'attends âvec mon coeur avec mon âme Et sur le pont des Reviertten Si jamais revient cette femme Je lui dirai Je suis content Grêces soient rendues à la cruelle Annie pour avoir été le catalyseur de ce chef-d'oeuvre! Mais nous l'avons vu déjà, le coeur d'Apollinaire re- naissait assez aisément de ses cendres, et voici qu'en 1907 “au miraculeux mois de mai", comme chante Henri Heine, Apolli- naîre rencontre le peintre Marie Laurencin. Picasso, grand ami de Guillaume, est à l'origine de la rencontre, qui eut lieu chez 1e #myrchand de tableaux Clovis Sagot. Guillaume devient amoureux de Marie et prépare avec elle la mystification des poèmes de Louise Lalanne, parus dans la revue Les Marges en 55 mars 1909. ‘Marie, écrit André Rouveyre, avait partagé sa vie d'artiste alors qu'elle se formait, se déterminait, alors que itincendie Apollinaire couvait et se précisait à Paris... Après Marie, les autres fermes, ce n'était, ne devait plus ètre, ne serait jamais piu$ rien de comparable," Les accents de ses poèmes pour Marie sont en effet très particuliers. Nous avons examiné déjà l'érotisme du poête qui se manifeste surtout à l'égard de Lou et de Madeleine. Il y porte le goût de la coercition, du sarcasme, voire du saccage. Rien de semblable dans le cas de Marie, "I] y mottait en sommeil, dit A, Rouveyre, tout ce qu'il avait d'impératif, de correcteur, de violent parfois dans son caractère et dans sa vie." En effet, ces vers ne comportent nulle trace de ressen- timent, de rancoeur, même après la rupture. Apollinaire garde une certaine pudeur en ses évocations et les poèmes en géné- ral reflètent plus de mélancolique sensibilité que de regrets luxurieux ou de cris charnels, Pour apprécier cela on n'a qu'à relire les courtes pièces de son Vitam impendere emori. L'amour ici est fait surtout de tendresse, Il nous montre un côté affectueux et semi-idyliique, qui aussi fait partie du tempérament d'Apollinaire. Le poète indique cependant le drame obscur de leurs âmes souffrant d'un malentendu perpétuel: 56 Tu n'as pas surpris mon secret Déjàäite cortbgses lavance Mais il nous reste le regret De n'être pas de connivence Vitam impendere amori Nous trouvons dans le mème recueil la discrète allusion à la grande place tenue par l'ombre aimée: Dans le crépuscule fané Où plusieurs samows se bousculent Ton souvenir gît enchaîné Loin de nos ombres qui reculent cosonsonsenssn nes cesse La chaîne s'use maille à maille Ton souvenir riant de nous Stenfuit l'entends-tu qui nous raille Et je retombe à tes genoux C'est à Marie Laurencin encore que le poète consacre les strophes mélodieuses et graves du “Pont Mirabeau" (Alcooïs). Rien de charnel dans ce désespoir; le coeur pourtant est dé- chiré et la rupture s'éternise, évoquant les adieux de ceux qui s'aiment malgré tout ce qui ls sépare, de ceux qui sé -sé- parent cent fois et reviennent sur leurs pas pour un dernier regard: Les maîns dans les mains restons face à face Tandis que sous Le pont de nos bras passe Des éternels regards l'onde si lasse Poème si humain dans sa faiblesse sensible, Marie Laurencin s'était mriée, éloignée. Apoliinaire semble espérer, et cette fois avec un peu de rancune et une 59 Tu diras 11 m'aimait et t'enorgueilleras Âlions ouvre ton coeur Ti m'as ouvert tes bras "Train militaire!", Poèmes à Lou I1 médite pour cette Lou infernale des supplices dignes de l'Orient et puis se lamente avec une simplicité assez émouvante: O ma Lou tes grands yeux étaient mes seuls copains Ntai-je pas tout perdu puisque mon Lou m'oublis "Ma Lou je coucherai", Poèmes à Lou Nous avons égrené déjà avec le poète enwûté les étran- ges litanies charnelies qu'il consacre à Lou,li est certain qu'une vaste distance sépare cette qualité d'amour de celle qu'il donnait à Marie, | Mais Madeleine Pagès déjà répondait à ses lettres et bientôt elle allait devenir sa fiancée. Plus proche de l'offrande à Lou que d'aucune autre off- rande les vers qui s'envolent vers Madeleine, vers sentimen- taux sans doute mais surtout sensuels, Poursuivi par l'ombre de la mort, le poète se jette vers La vie avec plus d'en- thousiasme, plus d'ardeur encore, I1 avait demandé à Lou l'empreinte de son doigt pour lui offrir une bague faite "dans un métai d'effroi," présent habi- tuel des soldats, Madeleine aussi aura sa bague: Vous m'attendez ayant aux doigts De pauvres bagues en aluminium pâle comme l'absence Et tendre comme le souvenir Métal de notre amour métal semblable à l'aube "A Madeleine", Poèmes à Madeleine Nous avons vu comment ‘Les neuf portes de ton corps" et tous les autres “poèmes secrets" reflètent une passion érotique, aussi vive que les litanies psalmodiées pour la ‘'jolle bizarre enfant chérie", La ton peut nous étonner en partie car Lou était la maît- resse habile et parfois cynique, tandis que Madeleine est la fiancée, Or, il en exalte intensément et sans retenue Les grâces secrètes, Il semble la préparer de manière tant soit peu effrayante aux fêtes de Ja chair: Toi dont je répanärai le sang grâce à l'amour Ô m vierge qui allumes la lampe Ouis le cri terrible de la tempête qui te secoue mon beau vaisseau “Le troisième poème secret", Poèmes à Madeleine Cependant, Madeleine n'est pas, elle, la "rose atroce", elle est "lt'oiseau bleu‘ et sans doute puisqu'elle est bien plus innocente que Lou, elle apparaît au poète un peu comme sa création: Madeleine mon cher ouvrage Que j'ai fait naître brusquement Votre deuxième naissance “A Madeleine", Poèmes à Madeieine 61 Et le poète, reconnaissant lui-même, ajoute avec queique orgueil: Et j'admire mon ouvrage Evidemment il faut tenir compte de la situation du poète à cette époque de sa vie: isolé, n'ayant eu de Lou que quel- ques étreintes prolongées par un jeu de l'imagination, ii dé- ‘tourne vers Madeleine le même exercice cérébral et sensuel. Mais voilà que le ton change, s'adoucit après son retour d'Oran où il est allé rendre visite à la famille de Madeleine, Puis très vite c'est la blessure et les trépanations. Made- leîne n'a droit encore qu'à quelques lettres désenchantées dont la dernière date du 22 novenbre 1916. La revue l'Evantail publie en mrs 1918 "La Jolie Rousse", poême inspiré par Jaqueline Kolb, la jeune femme que Guillaume épousera le 2 mai 1918 à Sint-Thomas-d'Aquin! Voici que vient l'été la saison violente Et ma jeunesse est morte ainsi que 1e printemps O Soleii c'est 1e temps de la Raison ardente Bt j'attends Pour la suivre toujours la forme noble et douce Qu'elle prend afin que je l'aime seulement Elie vient et m'attire ainsi qu'un fer l'aimant Elle a l'aspect charmant D'une adorable rousse Calligrammes Ce poëme qui est le testament poétique de l'auteur est aussi, semble-t-il, son testament amoureux, Il n'y a plus ici ni sen- sibilité ingénue, ni combat, ni menace, ni cris voluptueux, ni doutes mélancoliques. A travers tant d'amours diverses, Apoili- _Chapitre TIT: ECRITE SUR L'EAU André Rouveyre écrit ces lignes: "Pour Apollinaire, qui avait passé son enfance et sa jeunesse aux bords de 1a Médi- terranée, l'eau, les grandes étendues d'eau... âevaient res- ter permanentes dans le théâtre de sa mémoire, de son imagi- nation, de sa pensée." Il est certain qu'on peut retrouver dans ia poésie dtApollinaire, eb singulièrement dans ses vers d'amour l'influence de l'eau, de la mer ou des fleuves. Ceci nous semble s'accorder d'une manière intéressante avec les théories bien connues que le philosophe Gaston Bachelard a développées dans son L'Eau et les rêves.” fLes forces ima- ginatives de notre esprit, dit Bachelard, se développent sur deux axes très différents.,..On pourrait distinguer deux îima- ginations: une imagination qui donne vie à la cause formelle et une imagination qui donne vie à le cause matérielle."Et Le philosophe ajoute plus loin qu'il y a des tpoètes de l'eaut, et il exmplique:"l'être voué à l'eau est un être de vertige. Il meurt à chaque minute. Sans cesse quelque chose de sa sub- stance stécroule, .." ous voyons combien Apoilinaîre se trouve défini par ces phrases. I1 a sans cesse cette douloureuse certitude que l'on ne se baîgne point deux fois dans le même fleuve, sentiment 65. que Bachelard:appèlie fort bien "lthéraclitisme." En effet» qui mieux qu'Apollinaîire eut la douloureuse sensation d'être entraîné par un f1ob changeant sans cesse? Qui subit davan- tage la fascination des eaux? La Méditerranée ensoleillée, puis Paris et la Seine seront souvent évoqués dans ses vers et à cet égard on n'a qu'à penser à l'émouvante complainte du Pont Mirabeau". Le Rhin aussi l'avait attiré et enchanté de ses fééries romantiques et de ses ruisseaux et sources. Revoyons donc à ce sujet ses poèmes d'amour. Nous voyons les flots bleus de la Méditerranée rouler sous les étoiles: Au bord de la mélancolie Ce fiot méditerranéen Que jamais jamais on n'oublie “Rèveries sur ta venue", Poèmes à Lou Et voici ls Rhin: Le Rhin qi coule un train qui roule “Un soir d'été", Rhénanes “Elegie" dans Rhénanes reprend le thème et le développe sur un autre rythme: "La maison du Rhin était si romanesque"... Dans “Mille regrets" (Rhénanes) nous lisons: Bonsoir la compagnie J'entends un bruit de rame Dans la nuit sur le Rhin et 1e coucou chanter 66 Chez Apollinaire c'est Le fleuve qui crée une atmosphère de nostalgie, de pittoresque. Le poète se promène avec ses amours sur les rives du fleuve. Il embrasse sa bien-aîmée et les di- vinités des eaux troubles glissent autour d'eux, la nuit tombée: La nuit arrive tout à coup Comme l'amour dans ces ruines Du Rhin läsbas sortent le cou Des niebelungs et des ondines Crépuscule", Rhénanes Le fleuve est plein de reflets fascinants: Pique une tête pour pêcher les perles du fieuve Dit vert qui est bleu et jaunit qu'il neige ou pleuve Dans l'eau d'acier ton ombre te précédera Les vents chantent Jouhé les cors cornént Trara "Plongeon", Rhénanes Et les bacs du Rhin vont et viennent “passent la vie et le tré- pas”, comme les gondoles de Venise. Le visage de la Vierge triomphe des divinités sombres et néfastes et se reflète aux eaux du fleuve: Et c'est la Vierge la plus douce du royaume Elle-vécut au bord du Rhin pieusement “La Vierge à la fleur de haricot à Cologne" Ce Rhin hanté de lumière et d'ombre, nous le trouvons magnifié par toutes ses sorcelleries dans ie poème de la "Lo- reley", La “Lore en folie" est condamnée à devenir "Une nonne .vêtue de noir et blanc", mais elle demande la grâce de monter sur les rochers pour se mirer une fois encore dans le fleuve 69 Le poème "Lul de Faltenin', Alcools, est plein de sirènes terribles qui dansent à 1a rencontre des flots: Sirènes j'ai rampé væs vos Grottes tiriez aux mers la langue En dansant devant leurs chevaux Mais Alcooïs renferme aussi des "Rhénanes". La première, que nous pouvons joindre à celles que nous avons évoquées, est souvent citée à juste titre: Le Rhin, le Rhin est ivre où les vignes se mirent Tout l'or des nuits tombe en tremblant s'y refléter La voix chante toujours à en râle-mourir Ces fées aux cheveux verts qui incantent l'été Mon verre s'est brisé comme un éclat de rire “Nuit Rhénane'" Ainsi, le vieux fleuve répand toujours ses orages tumul- tueux chargés des présences de l'au-delà, mais la Seine à présent accompagne la vie du poète. Souvent il flâne sw les rives avec la mélancolie pour compagnie: Je passais au bord de 1a Seine Un livre ancien sous la bras Le fleuve est pareil à ma peine IL s'écoule et ne tarit pas Quand done finira la semaine Marie", Alcooïs C'est ici le long fleuve symbole, comparé à L'inguérissable chagrin, c'est aussi la Seine des bouquinistes, 1a vieille amie des promeneurs curieux. Mais déjà elle a changé d'aspect lorsqu'elle coule sous le pont Mirabeau, Les amants se con- 79 templient, l'eau glisse et 1e plus calme désespoir s'installe entre eux. André Rouveyre en fait un inoubliable commentaire. Nous ne pouvons mieux faire que d'en rappeler un passage: "Le Pont Mirabeau avait été, à n'en pas douter un term-pleiîn fa- milier À leurs ambulances d'emoureux illuminés et comblés, La réincarnation des amants face à face et superposés, impliquée à l'assise du pont complice, cela forme une sorte de forte- rèsse féérique... où les deux êtres humains, cramponnés là, ne sont plus guère séparés du matériel construit. Ils s'y trouvent identifiés." Les amants essaient, par ce que Rouveyre nomme un “mimé- tisme de rappel," une mimique significative invitant ieur geste d'aujourd'hui à réintegrer en lui les gestes anciens. Mais leur amour glisse au flot de l'éternelle perdition mal- gré ce pauvre effort pour conjurer le destin, Les Poèmes divers nous offrent, pour clore ce chapitre sur l'eau et les rêves amoureux d'Apollinaire, un ravissant poème insensé (en apparence seulement): Languissez languissez blanc chapeau d'Ophélie Vous flotterez encore entre les nénuphars: Et passant au bord du lac iss Hamiets blafards Sur la flûte joueront les airs de la folie “L'image d'Ophélie se forme à la moindre occesion, écrit Bachelard, Elle est une image fondamentale de la rêverie des # S8UX. Et le philosophe nous rappelle que, pour certains rê- 7 veurs, l'eau est le cosmos de la mort. "'L'ophélisationt est alors substancielle, l'eau est nocturne. Près d'elle tout in- cline à la mort." C'est bien, en effet, le sentiment que nous communique 1e poème d'Apollinaire si nous continuons à le lire: Vous cherrez chez les morts sur le sombre gazon Qu'éclaire tristement une face d'Hécate Quand trop simple chapeau du rocher de Leucate Tombera des Saphos la froide déraison Et voïci le toquet panaché des sirènes L'eau qui stagne ici dans ce paysage inexorable est donc bien empoisonnée et, mieux que toutes celles qui nous ont paru gémir ou luire dans cette oeuvre, elle semble nous inviter, à la suite de son beau fardeau, Ophélie, au désespoir et à 1a mort. “Lieau mélancolisante commande des oeuvres entières comme celles de Rodenbach, de Poe,"” écrit Bachelard. Cette ‘eau mélancolisante," nous la retrouvons souvent mêèlée aux vers d'amour d'Apollinaire, ‘ “La mort est en elle... l'eau emporte au loin. L'eau passe comme les jours..." dit Bachelard et il termine un paragraphe concernant ce “complexe d'Ophélie'! par une phrase qui pourrait servir de commentaire à certains des vers évo- qués ici: “On ne se guérit jamais d'avoir rêvé près d'une eau dormante." 7h empruntée à l'érudition et qui tire son effet de son caractère étrange, tout art de réminiscence et de propéthie, de liberti- nage, la préférence donnée "aux formes qui s'envolent plutôt qu'à celles qui pèsent", le relâchement de la règle, la quête des moyens nouveaux de plaire, l'abandon aux mots, 1e mépris de l'achêvement, la recherche du changement, Baroques aussi les personnages pittoresques chers à Apoïlinaire, baroque en- fin le mauvais goût qu'Apoilinaire tenta de réhabiliter. Et Marcel Raymond affirme: "Le baroquisme littéraire en France est un art qui s'ignore: quand il ne s'ignore pas, il se veut volontiers fmodernet ou il se complaîtidans l'irrégulier." ce sont 1è des constatations intéressantes et précieuses, mais toute classification est évidemment difficile lorsqu'il s'agit d'un poète aussi varié qu'Apollinaire. En tout cas, c'est bien ici avant l'examen de la technique d'Apollinaire qu'il convient de signaler son goît du baroque. Car si le romantisme" du poète peut être considéré comme une tendance plutôt sentimentale, son “baroquismæ" se rapporte avant tout à la technique; non pas au fond mais à la forme. 75 a.) La Versification Lorsque Apollinaire commence à écrire, la versification & déjà été fort assowlie et partiellement "libérée," Sur le vers classique, un peu rigide, avec ses rimes riches, ses césures, son déroulement immuable, ses règles-frontières (interdiction de l'hiatus, interdiction de faire rimer un pluriel avec un singulier, etc.), la révolte romantique a passé. Rappelons à ce propos ce vers de Hugo: "J'ai disloqué/ ce grand niais/ d'alexandrin", où la coupe ternaire du vers montre qu'il est en effet muni de deux césures {L/L4/h} et non plus avec la cowpe médiane qui est celle de l'alexandrin classique. Assoup- lissement du vers, certes, mais certaines règles subsistent et Hugo lui-même change L'orthographée:. d'un mot plutôt que de faire rimer pluriel et singulier. On reste aussi quelque peu scandalisé par l'hiatus, sans doute involontaire, d'Alfred de Musset: "Ah! folle que tu es,/ Comme je t'aimerais demain, si tu vivais." La révolution est donc loin d'être totale. Certaines disciplinent s'imposent encore. Viemnent les symbolistes, Ceux-là recherchent la musique et pour l'obtenir, se per- mettent des libertés nouvelles. Les hiatus sont rares, on ne trouve guère d'e muet non élidé, mais déjà les singuliers 76 riment parfois avec les pluriels. Le vers repousse tout à fait les tyranniques césures. Ii se permet d'être impair et de boiter parfois avec une grâce touchante, "De 1a musique avant toute chose/ Et pour cela préfère l'Impair", écrit Verlaine et il ajoute, d'une manière tant soit peu humoristique: "Prends l'éloquence et tords-luli son cou". Que fera donc Apollinaire de ces rythmes et de ces innovations? Il est parfois, il faut l'avouer, quant à son art, plus classique que symboliste., Dans maints pôèmes de jeunesse i1 suit d'assez près les règles de la prosodie traditionnelle. On nta qu'à lire par exemple certaines pièces du Bestiaire et du Guetteur mélancolique. On trouve des rimes féminines enlacées aux rimes masculines suivant parfaitement la règle de l'alternance. La césure est régulière dans la plupart de ses vers avec pourtant quelques souplesses. De même,,t#8ge souvent l'agencement des rimes n'offre aucune hardiesse, Même dans une pièce tirée d'Alcooïs, "Merlin et la vieille femme", recueil: qui-contient quelques-uns de ses poèmes Les plus osés, nous trouvons des hiatus, des coupes assouplies, mais rien de pévolté. Beaucoup de ses poèmes relèvent ainsi des novateurs qui l'ont précédé, sans beaucoup de hardiesses nouvelles. Mais plus nombreux encore sont ceux où 11 innove. Au point de vue de la seule versification, ce sont des en- jambements hardis, 7 AU petit bois de citromnier s'enamourèrent D'amour que nous aimons les dernières venues Les villages lointains sont comme lewrs paupières Et parmi les citrons leurs coeurs sont suspendus Et, auparavant, dans 1e même poème, le mot giroflées rime avec Paraciet. Mais la libération est parfois plus intense encore et les vers sans rimes sont fréquents dans cette oeuvre, Beaucowp de poèmes à Lou, à Madeleine sont des incantations où manque l'écho habituel entre le dernier mot de chaque vers. Prenons, par exemple, ‘Le septième poème secret" (Poèmes à Madeleine) Je t'adore mon amour Entends chanter ô Madeleine pêmée Entends chanter et rechanter Le rossignol caché Le froid revient 1e froid terrible Sous les toiles tentes Et je t'écris mon poème que je chante en l'écrivant Et je t'écris © uché par terre le froid revient le froid sans feu Car on n'a pas de bois Je t'adore mon amour je suis heureux par toi Sont-ce vraiment des vers libérés de toute atiache à la poésie traditionnelle? Non, car un faible écho traverse encore ces strophes: pamée, rechanter, caché, bois, toi. Mais quelle différence déjà avec d'autres strophes à rimes croisées et embrassées. Ces assonances lointaines, assourdies, nous les retrouvons ici: "Le troisième poème secret" (Poèmes à Madeleine): 0 Fée qui te transformes selon ma wilonté en panthère où en cavale 80 Toi qui es selon mon désir une divinité ou bien un ange Toi qui es si je le veux la princesse visrge et iéintaïne ou la femme srdente ou la reine cruelle Toi qui es aussi quand je désire m soeur exquise ou l'adorable esclave Toi qui es le lys à Madeleine aux beaux cheveux et toi qui es la rose Toi qui es Le geyser toi qui es la sagesse toi qui es la folie ou l'espoir aux yeux graves Toi qui es L'univers tout ontier J'ai soif de tes méta- morphoses Même les faibles échos présents dans Le morceau précédent s'éteignent dans bien des vers. lei, nous les percevons à peine: "Ctest" (Poèmes à Lou) C'est la réalité des photos qui sont sur mon coeur que je veux Cette réalité seule elle seule et rien d'autre Mon coeur le répète sans cesse comme une bouche d'orateur et le redit À chaque battement Toutes les autres images du monde sont fausses Elles n'ont pas d'autre apparence que celle des fantômes Le monde singulier qui m'entoure métallique végétal souterrain O vie qui aspire le soleil matinal Cet univers singuiièrement orné d'artifices Autre, fausses, fantômes, mails c'est peu de chose. Peut-être même Apollinaire n'a-t-il pas cherché ces derniers "rappels", T1 était assez musicien (au point de vue poétique) pour les trouver sans les chercher, Même dans "Zone" (Alcools), ce poème de fin d'amour si discuté et si écouté, nous retrouvons les rimes ou les assonances habituelles et ceci dès le debut: 81 À La Fin tu es las de ce monde ancien Bergère 6 tour Eiffel le troupeau des ponts bêle ce matin Tu en as assez de vivre dans l'antiquité grecque et romaine Ici même les automobiles ont l'air d'être anciennes La religion seule est restée toute nevue la rellglon Est restée simple comme les hangars de Port-Avistron 11 faut signaler ici qe le poète, dès les premières épreuves d'Aïtools, supprime de ses vers tout signe de ponctuation, IL s'en explique ainsi: “Pour ce qui concerne la ponctuation, je ne l'ai supprimée que parce qu'elle m'a paru inutile et elle l'est en effet, Le rythme même, et la œupe des vers, voilà la véritable ponctuation et il n'en est pas besoin d'une autre," D'après André Billy l'enregistrement qu'Apollihaire a fait en 191} pour les archives de la Parole révèle chez Apoliinaire une diction qui, en effet, isole chaque vers pour mettre en valeur son unité rythmique, Libération dans la versification donc, mais sans jamais nuire à l'incantation, à la musique qui produit l'eniw fitement, l'effet magique cherché par le poème dans l'esthétique d'Apolli- naire, 8L, sert pour décrire le paysage brumeux d'Automne", Quelques Rhénanes'!, "Les Femmes" et beaucoup de poèmes à Lou comme, en effet, bien des poèmes de tous ses recueils sont écrits en alexandräns. Perfois, Îl mêle cet alexandrin à d'autres mètres, La ville est métallique et c'est la sale étoile Noyée dans tes yeux bleus Quand les tramways roulaient jaïillissaient des feux pâles Sur des oiseaux galeux Et tout ce qui tremblait dans tes yeux de mes songes Qu'un seul homme buvait Sous les feux de gaz roux comme la fausse oronge O vêtue ton bras se lovait ‘ “Un soir", Alcools Parfois les vers de 1 syllabes sont, comme dans "La Loreley", mêlés aux alexandrins: l'effet produit est assez fascinant: À Bacharach il y avait une sorcière blonde (1) Qui laissait mourir d'amour tous les hommes à la ronde(ill) cons nnes nes oser n seen eme seen asssesesorenss Je suis lasse de vivre et mes yeux sont maudits (22) Ceux qui m'ont regardée évêque en ont péri (12) Le décasyllabe eut-il les faveurs d'Apollinaire? Assez peu, semble-t-il, et surtout lorsqu'il est utilisé seul. "Le Pont Mirabeau" (Alcools) nous montre comment le poète l'em- ploie avec ä'autres rythmes pour faire ce chef-d'oeuvre de musique désespéree: Passent les jours et passent les semaines (10) Wi temps passé { h) Ni les amours reviennent { 6) Sous le pont Mirabeau coule la Seine (10) RTE œofù Or SN ET 85 Mais bien des poèmes, nous l'avons vu, sont en vers libérés, où forcément la musique subsiste. Pourquoi? Et comment? Ctest qu'Apollineire y garde des cadences secrètes comme il y garde souvent de lointaines assonances. Voyons "L'Amour le dédain et l'espérence" (Poèmes à Lou): J'ai bien cru prendre toute ta beauté/et je n'ai eu que ton corps Le corps hélas n'a pas l'éternité Et c'est en vain maintenant que j'essaie/ d'étreiînäre ton "esprit I1 fuit il me fuit de toutes parts/comme un noeud de coulseuvres qui se dénoue Et tes beaux bras sur l'horizon lointain/ sont des ser- pents couleur d'aurore qui se lovent en signe d'adieu Je reste confus je demeure confondu Le corps ne va pas sans âme Et comment pourrais-je espérer rejoindre ton corps @e naguère puisque ton âme était si éloignée de moi Et que le corps a rejoint l'âme Comment font tous les corps vivants O toi que je n'ai possédé que morte Voilà un eri absolument poignent et la poésie est là toute vi- vante, elle. Mais pourtant ce ne sont point ici des vers, au premier regard. Et cependant la musique, le mouvement du style nous amènent irrésistiblemnt à cette "chute" mélodieuse, Regardons de plus près. Le première phrase est faite d'un décasyllabe et d'un vers de 7. La deuxième est aussi un vers de 10 syliabes,. La troisième est un vers de lh syllabes. La quatrième se compose d'un décasyllabe et d'un vers de 6 syllabes. La cinquième, 9 syllabes plus 11 syllabes; la sixième, vers de 10, puis de & syllabes; la septième, 10 86 syllabes. La huitième, 12 syllabes; la neuvième, 7 syllabes, La dixième, 8 syllabes, plus 8, plus 12. La onzième comme la douzième sont des octosyllabes et la pièce finit par un vers de dix syllabes, Il y a donc un rythme intérieur à la fois très souple et très sûr dans ce poème apparemment non versifié. Ainsi pro- cède presque toujours Apollinaire et c'est pour cela que l'en- chantement subsiste. Sa virtuosité le rendait d'ailleurs ca- pable de transmuer en poème n'importe quelle prose, de can- tinuer en vers une conversation, un article commencés, une lettre même, En réalité, Îl savait mettre en musique ou or- chestrer la plus prosaîque des données, Ætait-1l musicien par ailleurs. Le savoir serait intéressant, Louise Faure- Favier, une grande amie d'Apoilinaire a justement écrit un articie intitulé “Apollinaire et la masi que”, Elle y dit, ‘Guillaume Apoilinaire ne cachaïit pas son ignorance de l'art musical, qui ne l'intéressait que dans ses rapports avec la poésie." A l'appui de cette affirmation, elle raconte une anecdote amusante. Lors d'un concenrt donné À la salle Ga- veau en 1917, Apollinaire , rencontré à l'entrtacte, avoue qu'il a fait un poëme pendant que les musiciens stes- crimaient." A la fin du concert ses amis sont surpris de ne point retrouver le poète. C'est qu'en effet, il n'avait pas 89 le hasard", Et André Gide dans sa conférence au Vieux Colombier en 1913 citait à ce propos un passage d'une lettre de Mallarmé sur la possibilité de faire passer dans l'aspect même de la phrase quelque chose de l'acte qu'elle décrit. Apollinaire semble s'être intéressé vers l'âge de dix-huit ans, ainsi que l'indiquent quelques notes de ses cahiers de jeu- nesse, aux écritures idégraphiques, en particulier, aux carac- tères chinois et cunéiformes,Les futuristes, Marinetti en tête, proclamaient alors les “mots en liberté", Enfin, toute l'évolu- tion de la peinture, brisant les idées admises, l'incitait à échapper aux classifications traditionnelles des arts et de leurs procédés pour parvenir à un art de synthèse qui serait un jour l'Art unique, . Calligrarmes fut accueiili avec enthousiasme par les re- vues d'avant-garde et avec une certaine réserve par ailleurs. Apollinaire écrivit alors à André Billy, lequel avait formulé dans L'Oeuvre lors de la publication du recueil en 1918, quel- ques réticences, une lettre qui éclaire son esthétique: ‘En ce qui concerne le reproche d'être un destructeur, je le repousse formellement car je n'ai jamais détruit, mis au contraire, essayé de construire, Le vers classique était battu en brèche avant moi, qui m'en suis souvent servi, si souvent que j'ai donné uns nouvelle vie aux vers de huit pieds,,. quant aux 90 calligrammes, î1s sont une idéalisation de la poésie vers- libriste et une précision typographique à l'époque où la ty- pographie termine brillamment sa çarrière à l'aurore des moyens nouveaux de reproduction que sont le cinéma et le phono- graphe." Mais toutes les innovations typographiques du poète ne se trouvent pas dans Calligrammes. "La Colombe poignardée" et "Le Jet d'eau", par exemple, représentent d'assez émouvantes réussites dans ce domain. Apollinaire s'amuse parfois à "dessi- ner ses poèmes" et d'autres recueils, les Roèmes à Lou par exemple, sont ornés de cette manière. Et si nous ne trœvons guère de poèmes à forme fixe chez Apollinaire, nous y découv- rons maints acrostiches. Considérons le suivant, basé sur “Lou: La nuit descend On y pressent Un long un long destin de sang "si je mourais là-bas..." L'esprit de fantaisie gamine d'Apollinaire le portait à ces dessins, à ces acrostiches, et sans doute contribuent-ils après tout à rendre son oeuvre plus vivante et plus humaine, 91 d.) Vocabulaire Etudions à présent le vocabulaire d'Apollinaîre, au moîns dans ses poèmes d'amour, et reprenons pour cela cette ‘Chanson du Mal-Aimé" déjà tant de fois citée. Tous les mots, depuis les plus simples, les plus usités jusqu'aux plus rares, aux mots d'argot, aux mots orduriers, enrichissent ce poème et concourent à sa bigarrure, Noms de pays évocateurs et sonores, noms des mers et des peuples, noms des déesses et des dieux, créent un pittoresque géographique et légendaire. Londres, Le mer Rouge, les Hébreux, le Pharaon, l'Egypte, les blancs ruisseaux de Chanaan, auxquels on peut adÿoindre: le grand Pan, Ulysse, Jé- sus-Christ, le Sultan, Barrabas, Belzébuth, Salonique, les ton- neaux des Danaïdes, les satyres, les égypans, les feux follets, Luitpold, le vieux roi, la licorne et le capricorne. Mots sa- vants, obscurs, difficiles, se pressent en ces vers auprès d'autres vocables d'une naiveté presque enfantine: le bois joli, les sites ingénus, les poules qui caguètent, les grenouilles humides. Souvent ces mots coexistent, entremêlent l'érudition et la chanson populaire, I1 naît de ce mélange un effet de va- riété, de surprise. Peut-être est-ce en partie à cause des contrastes surprenants de cette langue que Georges Duhamel écrivait ôn 1913 à propos d'Alcooïs: !IL est venu échouer dans
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