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le Malade Imaginaire, comédie de Molière, Essai de Littérature

Typologie: Essai

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

Yves90
Yves90 🇫🇷

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Télécharge le Malade Imaginaire, comédie de Molière et plus Essai au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! LE MALADE IMAGINAIRE COMÉDIE MÊLÉE DE MUSIQUE ET DE DANSES Corrigée sur l'original de l'auteur, de toutes les fausse additions et suppositions des scènes entières, faites dans les éditions précédentes. Représenté pour la première fois, sur le Théâtre de la Salle du Palais-Royal, le dixième Février 1673 par la Troupe du Roi. MOLIÈRE 1682 Publié par Gwénola, Ernest et Paul Fièvre, Mai 2015 - 1 - E ï HEATRE CLASSIQUE o LE PROLOGUE Après les glorieuses fatigues et les exploits victorieux de notre auguste monarque, il est bien juste que tous ceux qui se mêlent d'écrire travaillent ou à ses louanges, ou à son divertissement. C'est ce qu'ici l'on a voulu faire, et ce prologue est un essai des louanges de ce grand prince, qui donne entrée à la comédie du Malade imaginaire, dont le projet a été fait pour le délasser de ses nobles travaux. La décoration représente un lieu champêtre fort agréable. ÉGLOGUE EN MUSIQUE ET EN DANSE. Flore, Pan, Climène, Daphné, Tircis, Dorilas, deux Zéphirs, troupe de Bergères et de Bergers. FLORE. Quittez, quittez vos troupeaux, Venez Bergers, venez Bergères, Accourez, accourez sous ces tendres ormeaux : Je viens vous annoncer des nouvelles bien chères, 5 Et réjouir tous ces hameaux. Quittez, quittez vos troupeaux, Venez Bergers, venez Bergères, Accourez, accourez, sous ces tendres ormeaux. CLIMÈNE et DAPHNÉ. Berger laissons là tes feux, 10 Voilà Flore qui nous appelle. TIRCIS et DORILAS. Mais au moins dis-moi, cruelle. TIRCIS. Si d'un peu d'amitié tu payeras mes voeux ? DORILAS. Si tu seras sensible à mon ardeur fidèle ? CLIMÈNE et DAPHNÉ. Flore : Terme de la religion des anciens Latins. La déesse des fleurs. [L] Voilà Flore qui nous appelle. - 5 - TIRCIS et DORILAS. 15 Ce n'est qu'un mot, un mot, un seul mot que je veux. TIRCIS. Languirai-je toujours dans ma peine mortelle ? DORILAS. Puis-je espérer qu'un jour tu me rendras heureux ? CLIMÈNE et DAPHNÉ. Voilà Flore qui nous appelle. ENTRÉE de BALLET. Toute la troupe des Bergers et des Bergères va se placer en cadence autour de Flore. CLIMÈNE. Quelle nouvelle parmi nous, 20 Déesse, doit jeter tant de réjouissance ? DAPHNÉ. Nous brûlons d'apprendre de vous Cette nouvelle d'importance. DORILAS. D'ardeur nous en soupirons tous. CLIMÈNE et DAPHNÉ. Nous en mourons d'impatience. FLORE. 25 La voici, silence, silence. Vos voeux sont exaucés, LOUIS est de retour, Il ramène en ces lieux les Plaisirs et l'Amour, Et vous voyez finir vos mortelles alarmes. Par ses vastes exploits son bras voit tout soumis, 30 Il quitte les armes, Faute d'ennemis. TOUS. Ah quelle douce nouvelle ! Qu'elle est grande ! Qu'elle est belle ! Que de plaisirs ! Que de ris ! Que de jeux ! 35 Que de succès heureux ! Et que le Ciel a bien rempli nos voeux ! Ah quelle douce nouvelle ! Qu'elle est grande ! Qu'elle est belle ! - 6 - AUTRE ENTRÉE DE BALLET. Tous les Bergers et Bergères expriment par des danses les transports de leur joie. FLORE. De vos flûtes bocagères 40 Réveillez les plus beaux sons ; LOUIS offre à vos chansons La plus belle des matières. Après cent combats, Où cueille son bras, 45 Une ample victoire : Formez entre vous Cent combats plus doux, Pour chanter sa gloire. TOUS. Formons entre nous 50 Cent combats plus doux, Pour chanter sa gloire. FLORE. Mon jeune amant dans ce bois, Des présents de mon empire Prépare un prix à la voix, 55 Qui saura le mieux nous dire Les vertus et les Exploits Du plus Auguste des Rois. CLIMÈNE. Si Tircis a l'avantage, DAPHNÉ. Si Dorilas est vainqueur CLIMÈNE. 60 À le chérir je m'engage. DAPHNÉ. Je me donne à son ardeur. TIRCIS. Ô très chère espérance ! DORILAS. Ô mot plein de douceur ! - 7 - 110 Ne songez qu'à ses plaisirs. TOUS. Laissons, laissons là sa gloire Ne songeons qu'à ses plaisirs. FLORE. Bien que, pour étaler ses vertus immortelles La force manque à vos esprits. 115 Ne laissez pas tous deux de recevoir le prix. Dans les choses grandes et belles Il suffit d'avoir entrepris. ENTRÉE DE BALLET. Les deux zéphyrs dansent avec deux couronnes de fleurs à la main, qu'ils viennent donner ensuite aux deux bergers. CLIMÈNE et DAPHNÉ, en leur donnant la main. Dans les choses grandes et belles Il suffit d'avoir entrepris. TIRCIS et DORILAS. 120 Ha ! Que d'un doux succès notre audace est suivie ! FLORE et PAN. Ce qu'on fait pour LOUIS, on ne le perd jamais. LES QUATRE AMANTS. Au soin de ses plaisirs donnons-nous désormais. FLORE et PAN. Heureux, heureux, qui peut lui consacrer sa vie. TOUS. Joignons tous dans ces bois 125 Nos flutes et nos voix, Ce jour nous y convie, Et faisons aux échos redire mille fois, LOUIS est le plus grand des rois. Heureux, heureux, qui peut lui consacrer sa vie. - 10 - DERNIÈRE ET GRANDRE ENTRÉE DE BALLET. Faune, Bergers et Bergères tous se mêlent, et il se fait entre eux des jeux de danse, après quoi ils se vont préparer pour la Comédie. - 11 - AUTRE PROLOGUE. PLAINTE DE LA BERGÈRE. 130 Votre plus haut savoir n'est que pure chimère, Vains et peu sages médecins, Vous ne pouvez guérir par vos grands mots Latins La douleur qui me désespère. Votre plus haut savoir n'est que pure chimère. 135 Hélas ! Hélas ! Je n'ose découvrir Mon amoureux martyre, Au Berger pour qui je soupire, Et qui seul peut me secourir. Ne prétendez pas le finir, 140 Ignorants médecins, vous ne sauriez le faire, Votre plus haut savoir n'est que pure chimère. Ces remèdes peu sûrs, dont le simple vulgaire Croit que vous connaissez l'admirable vertu, Pour les maux que je sens n'ont rien de salutaire, 145 Et tout votre caquet ne peut être reçu, Que d'un MALADE IMAGINAIRE. Votre plus haut savoir n'est que pure chimère, Vains et peu sages, etc. Le théâtre change et représente une chambre où est le malade. - 12 - ARGAN, en colère. Ah ! Traîtresse... ! TOINETTE, pour l'interrompre et l'empêcher de crier, se plaint toujours, en disant. Ha ! ARGAN. Il y a... TOINETTE. Ha ! ARGAN. Il y a une heure... TOINETTE. Ha ! ARGAN. Tu m'as laissé... TOINETTE. Ha ! ARGAN. Coquin : terme injurieux qu'on dit à toutes sortes de petites gens qui mènent une vie libertine, friponne, fainéante qui n'ont aucun sentiment d'honnêteté. [F] Tais-toi donc, coquine, que je te querelle. TOINETTE. Çamon, ma foi, j'en suis d'avis, après ce que je me suis fait. ARGAN. Tu m'as fait égosiller, carogne. TOINETTE. Et vous m'avez fait, vous, casser la tête, l'un vaut bien l'autre. Quitte, à quitte, si vous voulez. ARGAN. Quoi, coquine... - 15 - TOINETTE. Si vous querellez, je pleurerai. ARGAN. Me laisser, traîtresse... TOINETTE, toujours pour l'interrompre. Ha ! ARGAN. Chienne, tu veux... TOINETTE. Ha ! ARGAN. Quoi il faudra encore que je n'aie pas le plaisir de la quereller. TOINETTE. Querellez tout votre soûl, je le veux bien. ARGAN. Tu m'en empêches, chienne, en m'interrompant à tous coups. TOINETTE. Si vous avez le plaisir de quereller, il faut bien que de mon côté, j'aie le plaisir de pleurer ; chacun le sien, ce n'est pas trop. Ha ! ARGAN. Allons, il faut en passer par là. Ôte-moi ceci, coquine, ôte-moi ceci. Argan se lève de sa chaise. Mon lavement d'aujourd'hui a-t-il bien opéré ? TOINETTE. Votre lavement ? ARGAN. Oui. Ai-je bien fait de la bile ? - 16 - TOINETTE. Ma foi ! Je ne me mêle point de ces affaires-là : c'est à Monsieur Fleurant à y mettre le nez, puisqu'il en a le profit. ARGAN. Qu'on ait soin de me tenir un bouillon prêt, pour l'autre que je dois tantôt prendre. TOINETTE. Ce Monsieur Fleurant-là et ce Monsieur Purgon s'égayent bien sur votre corps ; ils ont en vous une bonne vache à lait ; et je voudrais bien leur demander quel mal vous avez, pour vous faire tant de remèdes. ARGAN. Taisez-vous, ignorante, ce n'est pas à vous à contrôler les ordonnances de la médecine. Qu'on me fasse venir ma fille Angélique, j'ai à lui dire quelque chose. TOINETTE. La voici qui vient d'elle-même : elle a deviné votre pensée. SCÈNE III. Angélique, Toinette, Argan. ARGAN. Approchez, Angélique, vous venez à propos ; je voulais vous parler. ANGÉLIQUE. Me voilà prête à vous ouïr. ARGAN, courant au bassin. Attendez. Donnez-moi mon bâton. Je vais revenir tout à l'heure. TOINETTE, en le raillant. Allez vite, Monsieur, allez. Monsieur Fleurant nous donne des affaires. - 17 - ANGÉLIQUE. Ne trouves-tu pas, Toinette, qu'il est bien fait de sa personne ? TOINETTE. Assurément. ANGÉLIQUE. Qu'il a l'air le meilleur du monde ? TOINETTE. Sans doute. ANGÉLIQUE. Que ses discours, comme ses actions, ont quelque chose de noble ? TOINETTE. Cela est sûr. ANGÉLIQUE. Qu'on ne peut rien entendre de plus passionné que tout ce qu'il me dit ? TOINETTE. Il est vrai. ANGÉLIQUE. Et qu'il n'est rien de plus fâcheux que la contrainte où l'on me tient, qui bouche tout commerce aux doux empressements de cette mutuelle ardeur que le Ciel nous inspire ? TOINETTE. Vous avez raison. ANGÉLIQUE. Mais, ma pauvre Toinette, crois-tu qu'il m'aime autant qu'il me le dit ? TOINETTE. Eh, eh, ces choses-là parfois sont un peu sujettes à caution. Les grimaces d'amour ressemblent fort à la vérité ; et j'ai vu de grands comédiens là-dessus. - 20 - ANGÉLIQUE. Ah ! Toinette, que dis-tu là ? Hélas ! De la façon qu'il parle, serait-il bien possible qu'il ne me dît pas vrai ? TOINETTE. En tout cas, vous en serez bientôt éclaircie ; et la résolution où il vous écrivit hier, qu'il était de vous faire demander en mariage est une prompte voie à vous faire connaître s'il vous dit vrai, ou non. C'en sera là la bonne preuve. ANGÉLIQUE. Ah ! Toinette, si celui-là me trompe, je ne croirai de ma vie aucun homme. TOINETTE. Voilà votre père qui revient. SCÈNE V. Argan, Angélique, Toinette. ARGAN, se met dans sa chaise. Ô çà, ma fille, je vais vous dire une nouvelle, où peut-être ne vous attendez-vous pas. On vous demande en mariage. Qu'est-ce que cela ? Vous riez. Cela est plaisant, oui, ce mot de mariage. Il n'y a rien de plus drôle pour les jeunes filles. Ah ! Nature, nature ! À ce que je puis voir, ma fille, je n'ai que faire de vous demander si vous voulez bien vous marier. ANGÉLIQUE. Je dois faire, mon père, tout ce qu'il vous plaira de m'ordonner. ARGAN. Je suis bien aise d'avoir une fille si obéissante. La chose est donc conclue, et je vous ai promise. ANGÉLIQUE. C'est à moi, mon père, de suivre aveuglément toutes vos volontés. ARGAN. Aheurter : Se préoccuper fortement d'une opinion dont on ne nous peut détromper. [F] Ma femme, votre belle-mère, avait envie que je vous fisse religieuse, et votre petite soeur Louison aussi, et de tout temps elle a été aheurtée à cela. - 21 - TOINETTE, tout bas. La bonne bête a ses raisons. ARGAN. Elle ne voulait point consentir à ce mariage, mais je l'ai emporté, et ma parole est donnée. ANGÉLIQUE. Ah ! Mon père, que je vous suis obligée de toutes vos bontés. TOINETTE. En vérité, je vous sais bon gré de cela, et voilà l'action la plus sage que vous ayez faite de votre vie. ARGAN. Je n'ai point encore vu la personne ; mais on m'a dit que j'en serais content, et toi aussi. ANGÉLIQUE. Assurément, mon père. ARGAN. Comment l'as-tu vu ? ANGÉLIQUE. Puisque votre consentement m'autorise à vous pouvoir ouvrir mon coeur, je ne feindrai point de vous dire, que le hasard nous a fait connaître il y a six jours, et que la demande qu'on vous a faite est un effet de l'inclination, que dès cette première vue nous avons prise l'un pour l'autre. ARGAN. Ils ne m'ont pas dit cela, mais j'en suis bien aise, et c'est tant mieux que les choses soient de la sorte. Ils disent que c'est un grand jeune garçon bien fait. ANGÉLIQUE. Oui, mon père. ARGAN. De belle taille. - 22 - TOINETTE. Mon Dieu ! Tout doux : vous allez d'abord aux invectives. Est-ce que nous ne pouvons pas raisonner ensemble sans nous emporter ? Là, parlons de sang-froid. Quelle est votre raison, s'il vous plaît, pour un tel mariage ? ARGAN. Ma raison est que, me voyant infirme, et malade comme je suis, je veux me faire un gendre et des alliés médecins, afin de m'appuyer de bons secours contre ma maladie, d'avoir dans ma famille les sources des remèdes qui me sont nécessaires, et d'être à même des consultations, et des ordonnances. TOINETTE. Hé bien ! Voilà dire une raison, et il y a plaisir à se répondre doucement les uns aux autres. Mais, Monsieur, mettez la main à la conscience. Est-ce que vous êtes malade ? ARGAN. Comment, coquine, si je suis malade ? Si je suis malade, impudente ? TOINETTE. Hé bien ! Oui, Monsieur, vous êtes malade, n'ayons point de querelle là-dessus. Oui, vous êtes fort malade, j'en demeure d'accord, et plus malade que vous ne pensez ; voilà qui est fait. Mais votre fille doit épouser un mari pour elle ; et, n'étant point malade, il n'est pas nécessaire de lui donner un médecin. ARGAN. C'est pour moi que je lui donne ce médecin ; et une fille de bon naturel doit être ravie d'épouser ce qui est utile à la santé de son père. TOINETTE. Ma foi, Monsieur, voulez-vous qu'en amie je vous donne un conseil ? ARGAN. Quel est-il ce conseil ? - 25 - TOINETTE. De ne point songer à ce mariage-là. ARGAN. Hé la raison ? TOINETTE. La raison, c'est que votre fille n'y consentira point. ARGAN. Elle n'y consentira point ? TOINETTE. Non. ARGAN. Ma fille ? TOINETTE. Votre fille. Elle vous dira qu'elle n'a que faire de Monsieur Diafoirus, ni de son fils Thomas Diafoirus, ni de tous les Diafoirus du monde. ARGAN. J'en ai affaire, moi, outre que le parti est plus avantageux qu'on ne pense. Monsieur Diafoirus n'a que ce fils-là pour tout héritier ; et de plus, Monsieur Purgon, qui n'a ni femme, ni enfants, lui donne tout son bien, en faveur de ce mariage ; et Monsieur Purgon est un homme qui a huit mille bonnes livres de rente. TOINETTE. Il faut qu'il ait tué bien des gens, pour s'être fait si riche. ARGAN. Huit mille livres de rente sont quelque chose, sans compter le bien du père. TOINETTE. Monsieur, tout cela est bel et bon ; mais j'en reviens toujours là : je vous conseille, entre nous, de lui choisir un autre mari, et elle n'est point faite pour être Madame Diafoirus. - 26 - ARGAN. Et je veux, moi, que cela soit. TOINETTE. Eh fi, ne dites pas cela. ARGAN. Comment, que je ne dise pas cela ? TOINETTE. Hé non ! ARGAN. Et pourquoi ne le dirai-je pas ? TOINETTE. On dira que vous ne songez pas à ce que vous dites. ARGAN. On dira ce qu'on voudra, mais je vous dis que je veux qu'elle exécute la parole que j'ai donnée. TOINETTE. Non, je suis sûre qu'elle ne le fera pas. ARGAN. Je l'y forcerai bien. TOINETTE. Elle ne le fera pas, vous dis-je. ARGAN. Elle le fera, ou je la mettrai dans un couvent. TOINETTE. Vous ? ARGAN. Moi. - 27 - TOINETTE. Doucement, Monsieur : vous ne songez pas que vous êtes malade. ARGAN. Je lui commande absolument de se préparer à prendre le mari que je dis. TOINETTE. Et moi, je lui défends absolument d'en faire rien. ARGAN. Où est-ce donc que nous sommes ? Et quelle audace est-ce là à une coquine de servante, de parler de la sorte devant son maître ? TOINETTE. Quand un maître ne songe pas à ce qu'il fait, une servante bien sensée est en droit de le redresser. ARGAN, court après Toinette. Ah ! Insolente, il faut que je t'assomme. TOINETTE, se sauve de lui. Il est de mon devoir de m'opposer aux choses qui vous peuvent déshonorer. ARGAN, en colère, court après elle autour de sa chaise, son bâton à la main. Viens, viens, que je t'apprenne à parler. TOINETTE, courant et se sauvant du côté de la chaise où n'est pas Argan. Je m'intéresse, comme je dois, à ne vous point laisser faire de folie. ARGAN. Chienne ! TOINETTE. Non, je ne consentirai jamais à ce mariage. - 30 - ARGAN. Pendard : Par exagération, celui, celle qui est digne de pendaison, qui ne vaut rien du tout. [F] Pendarde ! TOINETTE. Je ne veux point qu'elle épouse votre Thomas Diafoirus. ARGAN. Carogne ! TOINETTE. Et elle m'obéira plutôt qu'à vous. ARGAN. Angélique, tu ne veux pas m'arrêter cette coquine-là ? ANGÉLIQUE. Eh, mon père, ne vous faites point malade. ARGAN. Si tu ne me l'arrêtes, je te donnerai ma malédiction. TOINETTE. Et moi je la déshériterai, si elle vous obéit. ARGAN, se jette dans sa chaise, étant las de courir après elle. Ah ! Ah ! Je n'en puis plus. Voilà pour me faire mourir - 31 - SCÈNE VI. Béline, Angélique, Toinette, Argan. ARGAN. Ah ! Ma femme, approchez. BÉLINE. Qu'avez-vous, mon pauvre mari ? ARGAN. Venez-vous-en ici à mon secours ? BÉLINE. Qu'est-ce que c'est donc qu'il y a, mon petit fils ? ARGAN. Mamie. BÉLINE. Mon ami. ARGAN. On vient de me mettre en colère. BÉLINE. Hélas ! Pauvre petit mari. Comment donc, mon ami ? ARGAN. Votre coquine de Toinette est devenue plus insolente que jamais. BÉLINE. Ne vous passionnez donc point. ARGAN. Elle m'a fait enrager, mamie. BÉLINE. Doucement, mon fils. - 32 - TOINETTE, lui mettant rudement un oreiller sur la tête, et puis fuyant. Serein : Humidité fine, pénétrante, généralement peu abondante, qui tombe après le coucher du soleil, ordinairement pendant la saison chaude et sans qu'il y ait de nuages au ciel. [L] Et celui-ci pour vous garder du serein. ARGAN, se lève en colère, et jette tous les oreillers à Toinette. Ah !Coquine, tu veux m'étouffer. BÉLINE. Eh là, eh là ! Qu'est-ce que c'est donc ? ARGAN, tout essoufflé, se jette dans sa chaise. Ah, ah, ah ! Je n'en puis plus. BÉLINE. Pourquoi vous emporter ainsi ? Elle a cru faire bien. ARGAN. Vous ne connaissez pas, mamour, la malice de la pendarde. Ah ! Elle m'a mis tout hors de moi ; et il faudra plus de huit médecines, et de douze lavements, pour réparer tout ceci. BÉLINE. Là, là, mon petit ami, apaisez-vous un peu. ARGAN. Mamie, vous êtes toute ma consolation. BÉLINE. Pauvre petit fils. ARGAN. Pour tâcher de reconnaître l'amour que vous me portez, je veux, mon coeur, comme je vous ai dit, faire mon testament. BÉLINE. Ah ! Mon ami, ne parlons point de cela, je vous prie, je ne saurais souffrir cette pensée ; et le seul mot de testament me fait tressaillir de douleur. ARGAN. Je vous avais dit de parler pour cela à votre notaire. - 35 - BÉLINE. Le voilà là-dedans, que j'ai amené avec moi. ARGAN. Faites-le donc entrer, mamour. BÉLINE. Hélas ! Mon ami, quand on aime bine un mari, on est guère en état de songer à tout cela. SCÈNE VII. Le Notaire, Béline, Argan. Cette scène entière n'est point dans les éditions précédentes de la prose de Monsieur Molière, la voici rétablie sur l'original de l'auteur. ARGAN. Approchez, Monsieur de Bonnefoy, approchez. Prenez un siège, s'il vous plaît. Ma femme m'a dit, Monsieur, que vous étiez fort honnête homme, et tout à fait de ses amis ; et je l'ai chargée de vous parler pour un testament que je veux faire. BÉLINE. Hélas ! Je ne suis point capable de parler de ces choses-là. LE NOTAIRE. Elle m'a, Monsieur, expliqué vos intentions, et le dessein où vous êtes pour elle ; et j'ai à vous dire là-dessus que vous ne sauriez rien donner à votre femme par votre testament. ARGAN. Mais pourquoi ? LE NOTAIRE. La Coutume y résiste. Si vous étiez en pays de Droit écrit, cela se pourrait faire ; mais à Paris, et dans les pays coutumiers, au moins dans la plupart, c'est ce qui ne se peut, et la disposition serait nulle. Tout l'avantage qu'homme et femme conjoints par mariage se peuvent faire l'un à l'autre, c'est un don mutuel entre-vifs ; encore faut-il qu'il n'y ait enfants, soit des deux conjoints, ou de l'un d'eux, lors du décès du premier mourant. - 36 - ARGAN. Voilà une coutume bien impertinente, qu'un mari ne puisse rien laisser à une femme dont il est aimé tendrement, et qui prend de lui tant de soin. J'aurais envie de consulter mon avocat, pour voir comment je pourrais faire. LE NOTAIRE. Ce n'est point à des avocats qu'il faut aller, car ils sont d'ordinaire sévères là-dessus, et s'imaginent que c'est un grand crime, que de disposer en fraude de la loi. Ce sont gens de difficultés, et qui sont ignorants des détours de la conscience. Il y a d'autres personnes à consulter, qui sont bien plus accommodantes ; qui ont des expédients pour passer doucement par-dessus la loi, et rendre juste ce qui n'est pas permis ; qui savent aplanir les difficultés d'une affaire, et trouver des moyens d'éluder la coutume par quelque avantage indirect. Sans cela, où en serions-nous tous les jours ; il faut de la facilité dans les choses, autrement nous ne ferions rien, et je ne donnerais pas un sou de notre métier. ARGAN. Ma femme m'avait bien dit, Monsieur, que vous étiez fort habile, et fort honnête homme. Comment puis-je faire, s'il vous plaît, pour lui donner mon bien, et en frustrer mes enfants ? LE NOTAIRE. Comment vous pouvez faire ? Vous pouvez choisir doucement un ami intime de votre femme, auquel vous donnerez en bonne forme par votre testament tout ce que vous pouvez ; et cet ami ensuite lui rendra tout. Vous pouvez encore contracter un grand nombre d'obligations, non suspectes, au profit de divers créanciers, qui prêteront leur nom à votre femme, et entre les mains de laquelle ils mettront leur déclaration que ce qu'ils en ont fait n'a été que pour lui faire plaisir. Vous pouvez aussi, pendant que vous êtes en vie, mettre entre ses mains de l'argent comptant, ou des billets que vous pourrez avoir, payables au porteur. BÉLINE. Mon Dieu ! Il ne faut point vous tourmenter de tout cela. S'il vient faute de vous, mon fils, je ne veux plus rester au monde. ARGAN. Mamie ! - 37 - SCÈNE VIII. Angélique, Toinette. Cette scène n'est point dans les éditions précédentes de la prose de Monsieur Molière, la voici rétablie sur l'original de l'auteur. TOINETTE. Les voilà avec un notaire, et j'ai ouï parler de testament. Votre belle-mère ne s'endort point, et c'est sans doute quelque conspiration contre vos intérêts, où elle pousse votre père. ANGÉLIQUE. Qu'il dispose de son bien à sa fantaisie, pourvu qu'il ne dispose point de mon coeur. Tu vois, Toinette, les desseins violents que l'on fait sur lui. Ne m'abandonne point, je te prie, dans l'extrémité où je suis. TOINETTE. Moi ? Vous abandonner, j'aimerais mieux mourir. Votre belle-mère a beau me faire sa confidente, et me vouloir jeter dans ses intérêts, je n'ai jamais pu avoir d'inclination pour elle, et j'ai toujours été de votre parti. Laissez-moi faire, j'emploierai toute chose pour vous servir ; mais pour vous servir avec plus d'effet, je veux changer de batterie, couvrir le zèle que j'ai pour vous, et feindre d'entrer dans les sentiments de votre père, et de votre belle-mère. ANGÉLIQUE. Tâche, je t'en conjure, de faire donner avis à Cléante du mariage qu'on a conclu. TOINETTE. Je n'ai personne à employer à cet office, que le vieux usurier Polichinelle, mon amant, et il m'en coûtera pour cela quelques paroles de douceur, que je veux bien dépenser pour vous. Pour aujourd'hui il est trop tard ; mais demain du grand matin, je l'enverrai quérir, et il sera ravi de... BÉLINE. Toinette. TOINETTE. Voilà qu'on m'appelle. Bonsoir. Reposez-vous sur moi. - 40 - PREMIER INTERMÈDE. Polichinelle, dans la nuit, vient pour donner une sérénade à sa maîtresse. Il est interrompu d'abord par des violons, contre lesquels il se met en colère, et ensuite par le Guet, composé de musiciens et de danseurs. POLICHINELLE. Ô amour, amour, amour, amour ! Pauvre Polichinelle, quelle diable de fantaisie t'es-tu allé mettre dans la cervelle ? À quoi t'amuses-tu, misérable insensé que tu es ? Tu quittes le soin de ton négoce, et tu laisses aller tes affaires à l'abandon. Tu ne manges plus, tu ne bois presque plus, tu perds le repos de la nuit ; et tout cela pour qui ? Pour une dragonne, franche dragonne ; une diablesse qui te rembarre, et se moque de tout ce que tu peux lui dire. Mais il n'y a point à raisonner là-dessus : tu le veux, amour ; il faut être fou comme beaucoup d'autres. Cela n'est pas le mieux du monde à un homme de mon âge : mais qu'y faire ? On n'est pas sage quand on veut, et les vieilles cervelles se démontent comme les jeunes. Je viens voir si je ne pourrai point adoucir ma tigresse par une sérénade. Il n'y a rien parfois qui soit si touchant qu'un amant qui vient chanter ses doléances aux gonds et aux verrous de la porte de sa maîtresse. Voici de quoi accompagner ma voix. Ô nuit ! Ô chère nuit ! Porte mes plaintes amoureuses jusque dans le lit de mon inflexible. Il chante ces paroles : Notte e dì v' amo e v' adoro, 150 Cerco' un sì per mio ristoro ; Ma se voi dite di no, Bell' ingrata, io morirò. Fra la speranza S' afflige il cuore, 155 In lontananza Consum a l'hore ; Si dolce inganmo Che mi figura Breve l'affanno 160 Ahi troppo dur, Cosi per tropp' amar languisco e muoro. Notte e dì v' amo e v' adoro, Cerco' un sì per mio ristoro ; - 41 - Mà se voi dite di no, 165 Bell' ingrata, io morirò. Se non dormite, Almen pensate Alle ferite Ch' al cuor mi fate ; 170 Deh almen fingete, Per mio conforto, Se m' uccidete, D' haver il torto : Vostra pietà mi scemerà il martoro. 175 Notte e dì v' amo e vadoro, Cerco un si per mio ristoro, Ma se voi dite di nò, Bell' ingrata, io morirò. UNE VIEILLE se présente à la fenêtre, et répond au seignor Polichinelle en se moquant de lui. Zerbinetti, ch' ogn' hor con finti sguardi, 180 Mentiti desiri, Fallaci sospiri, Accenti Buggiardi, Di fede vi preggiate, Ah che non m' ingannate, 185 Che già sò per prova Ch' in voi non si trova Constanza ne fede : Oh quanto è pazza colei che vi crede ! Quei sguardi languidi 190 Non m' innamorano, Quei sospir fervidi Più non m' infiammano, Vel giuro a fè. Zerbino misero, 195 Del vostro piangere Il mio cor libero Vuol sempre ridere, Credet' a me : Che già so per prova 200 Ch' in voi non si trova Constanza ne fede : Oh ! quanto è pazza colei che vi crede ! Violons. POLICHINELLE. Quelle impertinente harmonie vient interrompre ici ma voix ? Violons. Paix là, taisez-vous, violons. Laissez-moi me plaindre à mon aise des cruautés de mon inexorable. Violons. - 42 - ENTRÉE DE BALLET. Tout le Guet vient, qui cherche Polichinelle dans la nuit. Violons et Danseurs. POLICHINELLE. Qui va là ? Violons et Danseurs. Qui sont les coquins que j'entends ? Violons et Danseurs. Euh ? Violons et Danseurs. Holà, mes laquais, mes gens. Violons et Danseurs. Par la mort. Violons et Danseurs. Par la sang. Violons et Danseurs. J'en jetterai par terre. Violons et Danseurs. Les valets sont nommés assez souvent par le nom de leur pays d'origine. Champagne, Poitevin, Picard, Basque, Breton ! Violons et Danseurs. Mousqueton : petit mousquet aui est plus court ; mais plus gros de calibre que les mousquets ordinaires. Il se tire avec un fusil composé d'un chien et d'un batterie, au lieu que le mousquet s'exécute avec un mèche. [F] Donnez-moi mon mousqueton. Violons et Danseurs. Polichinelle tire un coup de pistolet. Poue. Ils tombent tous et s'enfuient. Polichinelle, en se moquant. Ah, ah, ah, ah, comme je leur ai donné l'épouvante. Voilà de sottes gens d'avoir peur de moi qui ai peur des autres. Ma foi il n'est que de jouer d'adresse en ce monde. Si je n'avais tranché du grand seigneur, et n'avais fait le brave, ils n'auraient pas manqué de me happer. Ah, ah, ah. Les archers se rapprochent, et ayant entendu ce qu'il disait, ils le saisissent au collet. ARCHERS. Nous le tenons, à nous, camarades, à nous, dépêchez, de la lumière. - 45 - BALLET. Tout le Guet vient avec des lanternes. POLICHINELLE. Messieurs, c'est que j'étais ivre. ARCHERS. Non, non, non, point de raison ; Il faut vous apprendre à vivre. 210 En prison, vite, en prison. POLICHINELLE. Messieurs, je ne suis point voleur. ARCHERS. En prison. POLICHINELLE. Je suis un bourgeois de la ville. ARCHERS. En prison. POLICHINELLE. Qu'ai-je fait ? ARCHERS. En prison, vite, en prison. POLICHINELLE. Messieurs, laissez-moi aller. ARCHERS. Non. POLICHINELLE. Je vous prie. ARCHERS. Non. - 46 - POLICHINELLE. Eh ! ARCHERS. Non. POLICHINELLE. De grâce. ARCHERS. Non, non. POLICHINELLE. Messieurs. ARCHERS. Non, non, non. POLICHINELLE. S'il vous plaît. ARCHERS. Non, non. POLICHINELLE. Par charité. ARCHERS. Non, non. POLICHINELLE. Au nom du Ciel ! ARCHERS. Non, non. POLICHINELLE. Miséricorde ! ARCHERS. Non, non, non, point de raison. Il faut vous apprendre à vivre, - 47 - BALLET. Ils dansent tous, en réjouissance de l'argent qu'ils ont reçu. Le théâtre change et représente la même chambre. - 50 - ACTE II SCÈNE I. Toinette, Cléante. TOINETTE. Que demandez-vous, Monsieur ? CLÉANTE. Ce que je demande ? TOINETTE. Céans : Ici dedans, surtout en parlant de la maison où l'on se trouve. [L] Ah, ah, c'est vous ? Quelle surprise ! Que venez-vous faire céans ? CLÉANTE. Savoir ma destinée ; parler à l'aimable Angélique ; consulter les sentiments de son coeur ; et lui demander ses résolutions sur ce mariage fatal, dont on m'a averti. TOINETTE. Oui, mais on ne parle pas comme cela de but en blanc à Angélique ; il faut des mystères ; et l'on vous a dit l'étroite garde où elle est retenue, qu'on ne la laisse ni sortir, ni parler à personne, et que ce ne fut que la curiosité d'une vieille tante qui nous fit accorder la liberté d'aller à cette comédie, qui donna lieu à la naissance de votre passion, et nous nous sommes bien gardé[e]s de parler de cette aventure. CLÉANTE. Aussi ne viens-je pas ici comme Cléante, et sous l'apparence de son amant, mais comme ami de son maître de musique, dont j'ai obtenu le pouvoir de dire qu'il m'envoie à sa place. - 51 - TOINETTE. Voici son père. Retirez-vous un peu, et me laissez lui dire que vous êtes là. SCÈNE II. Argan, Toinette, Cléante. ARGAN. Monsieur Purgon m'a dit de me promener le matin dans ma chambre douze allées, et douze venues ; mais j'ai oublié à lui demander si c'est en long, ou en large. TOINETTE. Monsieur, voilà un... ARGAN. Parle bas, pendarde, tu viens m'ébranler tout le cerveau, et tu ne songes pas qu'il ne faut point parler si haut à des malades. TOINETTE. Je voulais vous dire, Monsieur... ARGAN. Parle bas, te dis-je. TOINETTE. Monsieur... ARGAN. Eh ? TOINETTE. Je vous dis que... ARGAN. Qu'est-ce que tu dis ? TOINETTE, haut. Je dis que voilà un homme qui veut parler à vous. - 52 - ARGAN. Quoi ? Qui vous émeut de la sorte ? ANGÉLIQUE. C'est, mon père, une aventure surprenante qui se rencontre ici. ARGAN. Comment ? ANGÉLIQUE. J'ai songé cette nuit que j'étais dans le plus grand embarras du monde, et qu'une personne faite tout comme Monsieur s'est présentée à moi, à qui j'ai demandé secours, et qui m'est venue tirer de la peine où j'étais ; et ma surprise a été grande de voir inopinément, en arrivant ici, ce que j'ai eu dans l'idée toute la nuit. CLÉANTE. Ce n'est pas être malheureux que d'occuper votre pensée, soit en dormant, soit en veillant, et mon bonheur serait grand sans doute, si vous étiez dans quelque peine, dont vous me jugeassiez digne de vous tirer ; et il n'y a rien que je ne fisse pour... SCÈNE IV. Toinette, Cléante, Angélique, Argan. TOINETTE, par dérision. Ma foi, Monsieur, je suis pour vous maintenant, et je me dédis de tout ce que je disais hier. Voici Monsieur Diafoirus le père, et Monsieur Diafoirus le fils, qui viennent vous rendre visite. Que vous serez bien engendré ! Vous allez voir le garçon le mieux fait du monde, et le plus spirituel. Il n'a dit que deux mots, qui m'ont ravie, et votre fille va être charmée de lui. ARGAN, à Cléante, qui feint de vouloir s'en aller. Ne vous en allez point, Monsieur. C'est que je marie ma fille, et voilà qu'on lui amène son prétendu mari, qu'elle n'a point encore vu. CLÉANTE. C'est m'honorer beaucoup, Monsieur, de vouloir que je sois témoin d'une entrevue si agréable. - 55 - ARGAN. C'est le fils d'un habile médecin, et le mariage se fera dans quatre jours. CLÉANTE. Fort bien. ARGAN. Mandez-le un peu à son maître de musique, afin qu'il se trouve à la noce. CLÉANTE. Je n'y manquerai pas. ARGAN. Je vous y prie aussi. CLÉANTE. Vous me faites beaucoup d'honneur. TOINETTE. Allons qu'on se range, les voici. SCÈNE V. Monsieur Diafoirus, Thomas Diafoirus, Argan, Angélique, Cléante, Toinette. ARGAN, mettant la main à son bonnet sans l'ôter. Monsieur Purgon, Monsieur, m'a défendu de découvrir ma tête. Vous êtes du métier, vous savez les conséquences. MONSIEUR DIAFOIRUS Nous sommes dans toutes nos visites pour porter secours aux malades, et non pour leur porter de l'incommodité. ARGAN. Je reçois, Monsieur. Ils parlent tous deux en même temps, s'interrompent et confondent. MONSIEUR DIAFOIRUS. Nous venons ici, Monsieur... - 56 - ARGAN. Avec beaucoup de joie... MONSIEUR DIAFOIRUS. Mon fils Thomas, et moi. ARGAN. L'honneur que vous me faites. MONSIEUR DIAFOIRUS. Vous témoigner, Monsieur. ARGAN. Et j'aurais souhaité. MONSIEUR DIAFOIRUS. Le ravissement où nous sommes. ARGAN. De pouvoir aller chez vous. MONSIEUR DIAFOIRUS. De la grâce que vous nous faites. ARGAN. Pour vous en assurer. MONSIEUR DIAFOIRUS. De vouloir bien nous recevoir. ARGAN. Mais vous savez, Monsieur. MONSIEUR DIAFOIRUS. Dans l'honneur, Monsieur. ARGAN. Ce que c'est qu'un pauvre malade. MONSIEUR DIAFOIRUS. De votre alliance. - 57 - THOMAS DIAFOIRUS. Appendre : Suspendre quelque chose, ordinairement avec une idée de solennité. Appendre des étendards à la voûte de l'église. [L] Héliotrope : Nom de quelques plantes qui se tournent vers le soleil tant qu'il est sur l'horizon. [L] Mademoiselle, ne plus, ne moins que la statue de Memnon rendait un son harmonieux, lorsqu'elle venait à être éclairée des rayons du soleil : tout de même me sens-je animé d'un doux transport à l'apparition du soleil de vos beautés. Et comme les naturalistes remarquent que la fleur nommée héliotrope tourne sans cesse vers cet astre du jour, aussi mon coeur dores-en-avant tournera-t-il toujours vers les astres resplendissants de vos yeux adorables, ainsi que vers son pôle unique. Souffrez donc, Mademoiselle, que j'appende aujourd'hui à l'autel de vos charmes l'offrande de ce coeur, qui ne respire et n'ambitionne autre gloire, que d'être toute sa vie, Mademoiselle, votre très humble, très obéissant, et très fidèle serviteur et mari. TOINETTE, en le raillant. Voilà ce que c'est que d'étudier, on apprend à dire de belles choses. ARGAN. Eh ! Que dites-vous de cela ? CLÉANTE. Que Monsieur fait merveilles, et que s'il est aussi bon médecin qu'il est bon orateur, il y aura plaisir à être de ses malades. TOINETTE. Assurément. Ce sera quelque chose d'admirable s'il fait d'aussi belles cures qu'il fait de beaux discours. ARGAN. Allons vite ma chaise, et des sièges à tout le monde. Mettez-vous là ; ma fille. Vous voyez, Monsieur, que tout le monde admire Monsieur votre fils, et je vous trouve bien heureux de vous voir un garçon comme cela. MONSIEUR DIAFOIRUS. Licence : Terme universitaire. Degré entre celui de bachelier et celui de docteur. [L] Monsieur, ce n'est pas parce que je suis son père, mais je puis dire que j'ai sujet d'être content de lui, et que tous ceux qui le voient en parlent comme d'un garçon qui n'a point de méchanceté. Il n'a jamais eu l'imagination bien vive, ni ce feu d'esprit qu'on remarque dans quelques-uns, mais c'est par là que j'ai toujours bien auguré de sa judiciaire, qualité requise pour l'exercice de notre art. Lorsqu'il était petit, il n'a jamais été ce qu'on appelle mièvre et éveillé. On le voyait toujours doux, paisible, et taciturne, ne disant jamais mot, et ne jouant jamais à tous ces petits jeux que l'on nomme enfantins. On eut toutes les peines du monde à lui apprendre à lire, et il avait neuf ans, qu'il ne connaissait pas encore ses lettres. Bon, - 60 - disais-je en moi-même, les arbres tardifs sont ceux qui portent les meilleurs fruits. On grave sur le marbre bien plus malaisément que sur le sable ; mais les choses y sont conservées bien plus longtemps, et cette lenteur à comprendre, cette pesanteur d'imagination, est la marque d'un bon jugement à venir. Lorsque je l'envoyai au collège, il trouva de la peine ; mais il se raidissait contre les difficultés, et ses régents se louaient toujours à moi de son assiduité, et de son travail. Enfin, à force de battre le fer, il en est venu glorieusement à avoir ses licences ; et je puis dire sans vanité que depuis deux ans qu'il est sur les bancs, il n'y a point de candidat qui ait fait plus de bruit que lui dans toutes les disputes de notre École. Il s'y est rendu redoutable, et il ne s'y passe point d'acte où il n'aille argumenter à outrance pour la proposition contraire. Il est ferme dans la dispute, fort comme un turc sur ses principes, ne démord jamais de son opinion, et poursuit un raisonnement jusque dans les derniers recoins de la logique. Mais sur toute chose ce qui me plaît en lui, et en quoi il suit mon exemple, c'est qu'il s'attache aveuglément aux opinions de nos anciens, et que jamais il n'a voulu comprendre ni écouter les raisons et les expériences des prétendues découvertes de notre siècle, touchant la circulation du sang, et autres opinions de même farine. THOMAS DIAFOIRUS. Il tire une grande thèse roulée de sa poche, qu'il présente à Angélique. J'ai contre les circulateurs soutenu une thèse, qu'avec la permission de Monsieur, j'ose présenter à Mademoiselle, comme un hommage que je lui dois des prémices de mon esprit. ANGÉLIQUE. Meuble : Se dit aussi au figuré pour tout ce qui peut être quelque utilité ; pour tout ce qui peut procurer quelque avantage. [F] Monsieur, c'est pour moi un meuble inutile, et je ne me connais pas à ces choses-là. TOINETTE. Donnez, donnez, elle est toujours bonne à prendre pour l'image ; cela servira à parer notre chambre. THOMAS DIAFOIRUS. Avec la permission aussi de Monsieur, je vous invite à venir voir l'un de ces jours, pour vous divertir, la dissection d'unefemme, sur quoi je dois raisonner. TOINETTE. Le divertissement sera agréable. Il y en a qui donnent la comédie à leurs maîtresses ; mais donner une dissection est quelque chose de plus galant. - 61 - MONSIEUR DIAFOIRUS. Au reste, pour ce qui est des qualités requises, pour le mariage et la propagation, je vous assure que, selon les règles de nos docteurs, il est tel qu'on le peut souhaiter. Qu'il possède en un degré louable la vertu prolifique et qu'il est du tempérament qu'il faut pour engendrer et procréer des enfants bien conditionnés. ARGAN. N'est-ce pas votre intention, Monsieur, de le pousser à la Cour, et d'y ménager pour lui une charge de médecin ? MONSIEUR DIAFOIRUS. À vous en parler franchement, notre métier auprès des grands ne m'a jamais paru agréable, et j'ai toujours trouvé qu'il valait mieux, pour nous autres, demeurer au public. Le public est commode. Vous n'avez à répondre de vos actions à personne, et pourvu que l'on suive le courant des règles de l'art, on ne se met point en peine de tout ce qui peut arriver. Mais ce qu'il y a de fâcheux auprès des grands, c'est que quand ils viennent à être malades, ils veulent absolument que leurs médecins les guérissent. TOINETTE. Cela est plaisant, et ils sont bien impertinents de vouloir que vous autres Messieurs vous les guérissiez ; vous n'êtes point auprès d'eux pour cela ; vous n'y êtes que pour recevoir vos pensions, et leur ordonner des remèdes, c'est à eux à guérir s'ils peuvent. MONSIEUR DIAFOIRUS. Cela est vrai. On n'est obligé qu'à traiter les gens dans les formes. ARGAN. Monsieur, faites un peu chanter ma fille, devant la compagnie. CLÉANTE. J'attendais vos ordres, Monsieur, et il m'est venu en pensée, pour divertir la compagnie, de chanter avec Mademoiselle, une scène d'un petit opéra qu'on a fait depuis peu. Tenez, voilà votre partie. ANGÉLIQUE. Moi ? - 62 - ANGÉLIQUE. Je ne m'en défends point dans cette peine extrême, 245 Oui, Tircis, je vous aime. CLÉANTE. Ô ! Parole pleine d'appas ! Ai-je bien entendu, hélas ! Redites-la, Philis, que je n'en doute pas. ANGÉLIQUE. Oui, Tircis, je vous aime. CLÉANTE. 250 De grâce encor, Philis. ANGÉLIQUE. Je vous aime. CLÉANTE. Recommencez cent fois, ne vous en lassez pas. ANGÉLIQUE. Je vous aime, je vous aime, Oui, Tircis, je vous aime. CLÉANTE. 255 Dieux, rois, qui sous vos pieds regardez tout le monde, Pouvez-vous comparer votre bonheur au mien ? Mais, Philis, une pensée Vient troubler ce doux transport : Un rival, un rival... ANGÉLIQUE. 260 Ah ! Je le hais plus que la mort, Et sa présence, ainsi qu'à vous, M'est un cruel supplice. CLÉANTE. Mais un père à ses voeux vous veut assujettir. ANGÉLIQUE. Plutôt, plutôt mourir, 265 Que de jamais y consentir ; Plutôt, plutôt mourir, plutôt mourir. CLÉANTE. Et que dit le père à tout cela ? - 65 - ANGÉLIQUE. Il ne dit rien. ARGAN. Voilà un sot père, que ce père-là, de souffrir toutes ces sottises-là sans rien dire. CLÉANTE. Ah ! mon amour... ARGAN. Non, non, en voilà assez. Cette comédie-là est de fort mauvais exemple. Le berger Tircis est un impertinent, et la bergère Philis une impudente, de parler de la sorte devant son père. Montrez-moi ce papier. Ha, ha. Où sont donc les paroles que vous avez dites ? Il n'y a là que de la musique écrite ? CLÉANTE. Est-ce que vous ne savez pas, Monsieur, qu'on a trouvé depuis peu l'invention d'écrire les paroles avec les notes mêmes ? ARGAN. Fort bien. Je suis votre serviteur, Monsieur ; jusqu'au revoir. Nous nous serions bien passés de votre impertinent d'opéra. CLÉANTE. J'ai cru vous divertir. ARGAN. Les sottises ne divertissent point. Ah ! Voici ma femme. - 66 - SCÈNE VI. Béline, Argan, Toinette, Angélique, Monsieur Diafoirus, Thomas Diafoirus ARGAN. Mamour, voilà le fils de Monsieur Diafoirus. THOMAS DIAFOIRUS, commence un compliment qu'il avait étudié, et la mémoire lui manquant, il ne peut le continuer. Madame, c'est avec justice que le Ciel vous a concédé le nom de belle-mère, puisque l'on voit sur votre visage... BÉLINE. Monsieur, je suis ravie d'être venue ici à propos pour avoir l'honneur de vous voir. THOMAS DIAFOIRUS. Puisque l'on voit sur votre visage... Puisque l'on voit sur votre visage... Madame, vous m'avez interrompu dans le milieu de ma période, et cela m'a troublé la mémoire. MONSIEUR DIAFOIRUS. Thomas, réservez cela pour une autre fois. ARGAN. Je voudrais, mamie, que vous eussiez été ici tantôt. TOINETTE. Statue de Memnon : Statue de 14 mètres de haut qui se trouve à Louxor en Egypte qui au lever du soleil "parle" à ses visiteurs. Ah ! Madame, vous avez bien perdu de n'avoir point été au second père, à la statue de Memnon, et à la fleur nommée héliotrope. ARGAN. Allons, ma fille, touchez dans la main de Monsieur, et lui donnez votre foi, comme à votre mari. ANGÉLIQUE. Mon père. ARGAN. Hé bien, mon père ? Qu'est-ce que cela veut dire ? - 67 - BÉLINE. C'est-à-dire que vos pensées ne sont que pour le mariage ; mais vous voulez choisir un époux à votre fantaisie. ANGÉLIQUE. Si mon père ne veut pas me donner un mari qui me plaise, je le conjurerai au moins de ne me point forcer à en épouser un que je ne puisse pas aimer. ARGAN. Messieurs, je vous demande pardon de tout ceci. ANGÉLIQUE. Douaire : biens que le mari assigne à sa femme en se mariant, pour en jouir par usufruit pendant sa viduité, et en laisser la propriété à ses enfants. [F] Chacun a son but en se mariant. Pour moi, qui ne veux un mari que pour l'aimer véritablement, et qui prétends en faire tout l'attachement de ma vie, je vous avoue que j'y cherche quelque précaution. Il y en a d'aucunes qui prennent des maris seulement pour se tirer de la contrainte de leurs parents, et se mettre en état de faire tout ce qu'elles voudront. Il y en a d'autres, Madame, qui font du mariage un commerce de pur intérêt, qui ne se marient que pour gagner des douaires, que pour s'enrichir par la mort de ceux qu'elles épousent, et courent sans scrupule de mari en mari, pour s'approprier leurs dépouilles. Ces personnes-là, à la vérité, n'y cherchent pas tant de façons, et regardent peu la personne. BÉLINE. Je vous trouve aujourd'hui bien raisonnante, et je voudrais bien savoir ce que vous voulez dire par là. ANGÉLIQUE. Moi, Madame, que voudrais-je dire que ce que je dis ? BÉLINE. Vous êtes si sotte, mamie, qu'on ne saurait plus vous souffrir. ANGÉLIQUE. Vous voudriez bien, Madame, m'obliger à vous répondre quelque impertinence ; mais je vous avertis que vous n'aurez pas cet avantage. BÉLINE. Il n'est rien d'égal à votre insolence. - 70 - ANGÉLIQUE. Non, Madame, vous avez beau dire. BÉLINE. Et vous avez un ridicule orgueil, une impertinente présomption qui fait hausser les épaules à tout le monde. ANGÉLIQUE. Tout cela, Madame, ne servira de rien. Je serai sage en dépit de vous ; et pour vous ôter l'espérance de pouvoir réussir dans ce que vous voulez, je vais m'ôter de votre vue. ARGAN. Écoute, il n'y a point de milieu à cela. Choisis d'épouser dans quatre jours, ou Monsieur, ou un couvent. Ne vous mettez pas en peine, je la rangerai bien. BÉLINE. Je suis fâchée de vous quitter, mon fils, mais j'ai une affaire en ville, dont je ne puis me dispenser. Je reviendrai bientôt. ARAGAN. Allez, mamour, et passez chez votre notaire, afin qu'il expédie ce que vous savez. BÉLINE. Adieu, mon petit ami. ARGAN. Adieu, mamie. Voilà une femme qui m'aime... Cela n'est pas croyable. MONSIEUR DIAFOIRUS. Nous allons, Monsieur, prendre congé de vous. ARGAN. Je vous prie, Monsieur, de me dire un peu comment je suis. MONSIEUR DIAFOIRUS, lui tâte le pouls. Allons, Thomas, prenez l'autre bras de Monsieur, pour voir si vous saurez porter un bon jugement de son pouls. Quid dicis ? - 71 - THOMAS DIAFOIRUS. Dico, que le pouls de Monsieur est le pouls d'un homme qui ne se porte point bien. MONSIEUR DIAFOIRUS. Bon. THOMAS DIAFOIRUS. Duriuscule : Terme de plaisanterie. Un peu dur. [L] Qu'il est duriuscule, pour ne pas dire dur. MONSIEUR DIAFOIRUS. Fort bien. THOMAS DIAFOIRUS. Repoussant. MONSIEUR DIAFOIRUS. Bene. THOMAS DIAFOIRUS. Caprisant : Terme de médecine. Pouls caprisant, pouls qui, interrompu au milieu de sa diastole, l'achève ensuite avec précipitation. [L] Et même un peu caprisant. MONSIEUR DIAFOIRUS. Optime. THOMAS DIAFOIRUS. Ce qui marque une intempérie dans le parenchyme splénique, c'est-à-dire la rate. MONSIEUR DIAFOIRUS. Fort bien. ARGAN. Non, Monsieur Purgon dit que c'est mon foie, qui est malade. MONSIEUR DIAFOIRUS. Cholidoque : Le canal cholidoque passant obliquement à l'extrémité inférieure du duodenum, sert à porter la bile du foie aux intestins. [Dict. Dalembert Diderot] Eh oui, qui dit parenchyme, dit l'un et l'autre, à cause de l'étroite sympathie qu'ils ont ensemble, par le moyen du vas breve du pylore, et souvent des méats cholidoques. Il vous ordonne sans doute de manger force rôti ? ARGAN. Non, rien que du bouilli. - 72 - LOUISON. Quoi ? ARGAN. Ne vous ai-je pas recommandé de me venir dire d'abord tout ce que vous voyez ? LOUISON. Oui, mon papa. ARGAN. L'avez-vous fait ? LOUISON. Oui, mon papa. Je vous suis venue dire tout ce que j'ai vu. ARGAN. Et n'avez-vous rien vu aujourd'hui ? LOUISON. Non, mon papa. ARGAN. Non ? LOUISON. Non, mon papa. ARGAN. Assurément ? LOUISON. Assurément. ARGAN. Oh çà ! Je m'en vais vous faire voir quelque chose, moi. Il va prendre une poignée de verges. LOUISON. Ah ! Mon papa. - 75 - ARGAN. Masque : Terme familier d'injure dont on se sert quelquefois pour qualifier une jeune fille, une femme, et lui reprocher sa laideur ou sa malice. [L] Ah, ah, petite masque, vous ne me dites pas que vous avez vu un homme dans la chambre de votre soeur ? LOUISON. Mon papa ! ARGAN. Voici qui vous apprendra à mentir. LOUISON. Ah ! Mon papa, je vous demande pardon. C'est que ma soeur m'avait dit de ne pas vous le dire ; mais je m'en vais vous dire tout. ARGAN. Il faut premièrement que vous ayez le fouet pour avoir menti. Puis après nous verrons au reste. LOUISON. Pardon, mon papa ! ARGAN. Non, non. LOUISON. Mon pauvre papa, ne me donnez pas le fouet ! ARGAN. Vous l'aurez. LOUISON. Au nom de Dieu ! Mon papa, que je ne l'aie pas. ARGAN, la prenant pour la fouetter. Allons, allons. LOUISON. Ah ! Mon papa, vous m'avez blessée. Attendez : je suis morte. Elle contrefait la morte. - 76 - ARGAN. Holà ! Qu'est-ce là ? Louison, Louison. Ah ! Mon Dieu ; Louison. Ah ! Ma fille ! Ah ! Malheureux, ma pauvre fille est morte. Qu'ai-je fait, misérable ? Ah ! Chiennes de verges. La peste soit des verges ! Ah ! Ma pauvre fille, ma pauvre petite Louison. LOUISON. La, la, mon papa, ne pleurez point tant, je ne suis pas morte tout à fait. ARGAN. Voyez-vous la petite rusée ? Oh çà, çà, je vous pardonne pour cette fois-ci, pourvu que vous me disiez bien tout. LOUISON. Ho, oui, mon papa. ARGAN. Prenez-y bien garde au moins, car voilà un petit doigt qui sait tout, qui me dira si vous mentez. LOUISON. Mais, mon papa, ne dites pas à ma soeur que je vous l'ai dit. ARGAN. Non, non. LOUISON. C'est, mon papa, qu'il est venu un homme dans la chambre de ma soeur comme j'y étais. ARGAN. Hé bien ? LOUISON. Je lui ai demandé ce qu'il demandait, et il m'a dit qu'il était son maître à chanter. ARGAN. Hon, hon. Voilà l'affaire. Hé bien ? - 77 - SCÈNE IX. Béralde, Argan. BÉRALDE. Hé bien ! Mon frère, qu'est-ce, comment vous portez-vous ? ARGAN. Ah ! Mon frère, fort mal. BÉRALDE. Comment fort mal ? ARGAN. Oui, je suis dans une faiblesse si grande, que cela n'est pas croyable. BÉRALDE. Voilà qui est fâcheux. ARGAN. Je n'ai pas seulement la force de pouvoir parler. BÉRALDE. J'étais venu ici, mon frère, vous proposer un parti pour ma nièce Angélique. ARGAN, parlant avec emportement, et se levant de sa chaise. Mon frère, ne me parlez point de cette coquine-là. C'est une friponne, une impertinente, une effrontée, que je mettrai dans un couvent avant qu'il soit deux jours. BÉRALDE. Ah ! Voilà qui est bien. Je suis bien aise que la force vous revienne un peu, et que ma visite vous fasse du bien. Oh çà, nous parlerons d'affaires tantôt. Je vous amène ici un divertissement, que j'ai rencontré, qui dissipera votre chagrin, et vous rendra l'âme mieux disposée aux choses que nous avons à dire. Ce sont des Égyptiens, vêtus en Mores, qui font des danses mêlées de chansons, où je suis sûr que vous prendrez plaisir, et cela vaudra bien une ordonnance de Monsieur Purgon. Allons. - 80 - SECOND INTERMÈDE. Le frère du Malade imaginaire lui amène, pour le divertir, plusieurs Egyptiens et Egyptiennes, vêtus en Mores, qui font des danses entremêlées de chansons. PREMIÈRE FEMME MORE. Profitez du printemps De vos beaux ans, 270 Aimable jeunesse ; Profitez du printemps De vos beaux ans, Donnez-vous à la tendresse. Les plaisirs les plus charmants, 275 Sans l'amoureuse flamme, Pour contenter une âme N'ont points d'attraits assez puissants. Profitez du printemps De vos beaux ans, 280 Aimable jeunesse ; Profitez du printemps De vos beaux ans, Donnez-vous à la tendresse. Ne perdez point ces précieux moments : 285 La beauté passe, Le temps l'efface, L'âge de glace Vient à sa place, Qui nous ôte le goût de ces doux passe-temps. 290 Profitez du printemps De vos beaux ans Aimable jeunesse ; Profitez du printemps De vos beaux ans. 295 Donnez-vous à la tendresse. Seconde FEMME MORE. Quand d'aimer on nous presse, À quoi songez-vous ? - 81 - Nos coeurs, dans la jeunesse, N'ont vers la tendresse 300 Qu'un penchant trop doux ; L'amour a pour nous prendre De si doux attraits, Que de soi, sans attendre, On voudrait se rendre 305 À ses premiers traits : Mais tout ce qu'on écoute Des vives douleurs Et des pleurs Qu'il nous coûte 310 Fait qu'on en redoute Toutes les douceurs. TROISIÈME FEMME MORE. Il est doux, à notre âge, D'aimer tendrement Un amant 315 Qui s'engage : Mais s'il est volage, Hélas ! quel tourment ! QUATRIÈME FEMME MORE. L'amant qui se dégage N'est pas le malheur, 320 La douleur Et la rage, C'est que le volage Garde notre coeur. SECONDE FEMME MORE. Quel parti faut-il prendre 325 Pour nos jeunes coeurs ? QUATRIÈME FEMME MORE. Devons-nous nous y rendre Malgré ses rigueurs ? ENSEMBLE. Oui, suivons ses ardeurs, Ses transports, ses caprices, 330 Ses douces langueurs ; S'il a quelques supplices, Il a cent délices Qui charment les coeurs. - 82 - SCÈNE II. Béralde, Toinette. TOINETTE. N'abandonnez pas, s'il vous plaît, les intérêts de votre nièce. BÉRALDE. J'emploierai toutes choses pour lui obtenir ce qu'elle souhaite. TOINETTE. Poste : À sa poste, à sa disposition, à sa convenance (locution vieillie). [L] Il faut absolument empêcher ce mariage extravagant qu'il s'est mis dans la fantaisie, et j'avais songé en moi-même, que ç'aurait été une bonne affaire, de pouvoir introduire ici un médecin à notre poste, pour le dégoûter de son Monsieur Purgon, et lui décrier sa conduite. Mais, comme nous n'avons personne en main pour cela, j'ai résolu de jouer un tour de ma tête. BÉRALDE. Comment ? TOINETTE. C'est une imagination burlesque. Cela sera peut-être plus heureux que sage. Laissez-moi faire : agissez de votre côté. Voici notre homme. - 85 - SCÈNE III. Argan, Béralde. BÉRALDE. Vous voulez bien, mon frère, que je vous demande, avant toute chose, de ne vous point échauffer l'esprit dans notre conversation. ARGAN. Voilà qui est fait. BÉRALDE. De répondre sans nulle aigreur aux choses que je pourrai vous dire. ARGAN. Oui. BÉRALDE. Et de raisonner ensemble, sur les affaires dont nous avons à parler, avec un esprit détaché de toute passion. ARGAN. Mon Dieu ! Oui. Voilà bien du préambule. BÉRALDE. D'où vient, mon frère, qu'ayant le bien que vous avez, et n'ayant d'enfants qu'une fille, car je ne compte pas la petite, d'où vient, dis-je, que vous parlez de la mettre dans un couvent ? ARGAN. D'où vient, mon frère, que je suis maître dans ma famille pour faire ce que bon me semble ? BÉRALDE. Votre femme ne manque pas de vous conseiller de vous défaire ainsi de vos deux filles, et je ne doute point que, par un esprit de charité elle ne fût ravie de les voir toutes deux bonnes religieuses. ARGAN. Oh çà, nous y voici, voilà d'abord la pauvre femme en jeu. C'est elle qui fait tout le mal, et tout le monde lui en veut. - 86 - BÉRALDE. Non, mon frère ; laissons-la là ; c'est une femme qui a les meilleures intentions du monde pour votre famille, et qui est détachée de toute sorte d'intérêt, qui a pour vous une tendresse merveilleuse, et qui montre pour vos enfants une affection et une bonté qui n'est pas concevable : cela est certain. N'en parlons point, et revenons à votre fille. Sur quelle pensée, mon frère, la voulez-vous donner en mariage au fils d'un médecin ? ARGAN. Sur la pensée, mon frère, de me donner un gendre tel qu'il me faut. BÉRALDE. Sortable : Qui est propre, qui convient à la personne, ou aux choses. [F] Ce n'est point là, mon frère, le fait de votre fille, et il se présente un parti plus sortable pour elle. ARGAN. Oui, mais celui-ci, mon frère ; est plus sortable pour moi. BÉRALDE. Mais le mari qu'elle doit prendre doit-il être, mon frère, ou pour elle, ou pour vous ? ARGAN. Il doit être, mon frère, et pour elle, et pour moi, et je veux mettre dans ma famille les gens dont j'ai besoin. BÉRALDE. Par cette raison-là, si votre petite était grande, vous lui donneriez en mariage un apothicaire ? ARGAN. Pourquoi non ? BÉRALDE. Embéguiner : Se dit figurément en choses spirituelles, des mauvais opinions qui nous entêtent, des folles amours qui nous gouvernent, qui maîtrisent notre esprit. [F] Est-il possible que vous serez toujours embéguiné de vos apothicaires et de vos médecins, et que vous vouliez être malade en dépit des gens et de la nature ? ARGAN. Comment l'entendez-vous, mon frère ? - 87 - ARGAN. C'est que vous avez, mon frère, une dent de lait contre lui. Mais enfin venons au fait. Que faire donc quand on est malade ? BÉRALDE. Rien, mon frère. ARGAN. Rien ? BÉRALDE. Rien. Il ne faut que demeurer en repos. La nature, d'elle-même, quand nous la laissons faire, se tire doucement du désordre où elle est tombée. C'est notre inquiétude, c'est notre impatience qui gâte tout, et presque tous les hommes meurent de leurs remèdes, et non pas de leurs maladies. ARGAN. Mais il faut demeurer d'accord, mon frère, qu'on peut aider cette nature par de certaines choses. BÉRALDE. Mon Dieu ! Mon frère, ce sont pures idées, dont nous aimons à nous repaître ; et, de tout temps, il s'est glissé parmi les hommes de belles imaginations, que nous venons à croire, parce qu'elles nous flattent et qu'il serait à souhaiter qu'elles fussent véritables. Lorsqu'un médecin vous parle d'aider, de secourir, de soulager la nature, de lui ôter ce qui lui nuit et lui donner ce qui lui manque, de la rétablir et de la remettre dans une pleine facilité de ses fonctions ; lorsqu'il vous parle de rectifier le sang, de tempérer les entrailles et le cerveau, de dégonfler la rate, de raccommoder la poitrine, de réparer le foie, de fortifier le coeur, de rétablir et conserver la chaleur naturelle, et d'avoir des secrets pour étendre la vie à de longues années ; il vous dit justement le roman de la médecine. Mais quand vous en venez à la vérité et à l'expérience, vous ne trouvez rien de tout cela, et il en est comme de ces beaux songes qui ne vous laissent au réveil que le déplaisir de les avoir crus. ARGAN. C'est-à-dire que toute la science du monde est renfermée dans votre tête, et vous voulez en savoir plus que tous les grands médecins de notre siècle. - 90 - BÉRALDE. Dans les discours et dans les choses, ce sont deux sortes de personnes que vos grands médecins. Entendez-les parler, les plus habiles gens du monde ; voyez-les faire, les plus ignorants de tous les hommes. ARGAN. Hoy ! Vous êtes un grand docteur, à ce que je vois, et je voudrais bien qu'il y eut ici quelqu'un de ces Messieurs pour rembarrer vos raisonnements et rabaisser votre caquet. BÉRALDE. Moi, mon frère, je ne prends point à tâche de combattre la médecine, et chacun à ses périls, et fortune, peut croire tout ce qu'il lui plaît. Ce que j'en dis n'est qu'entre nous, et j'aurais souhaité de pouvoir un peu vous tirer de l'erreur où vous êtes ; et pour vous divertir vous mener voir sur ce chapitre quelqu'une des comédies de Molière. ARGAN. C'est un bon impertinent que votre Molière avec ses comédies, et je le trouve bien plaisant d'aller jouer d'honnêtes gens comme les médecins. BÉRALDE. Ce ne sont point les médecins qu'il joue, mais le ridicule de la médecine. ARGAN. C'est bien à lui à faire de se mêler de contrôler la médecine ; voilà un bon nigaud, un bon impertinent, de se moquer des consultations et des ordonnances, de s'attaquer au corps des médecins, et d'aller mettre sur son théâtre des personnes vénérables comme ces Messieurs-là. BÉRALDE. Que voulez-vous qu'il y mette, que les diverses professions des hommes ? On y met bien tous les jours les princes et les rois, qui sont d'aussi bonne maison que les médecins. ARGAN. Par la mort non de diable, si j'étais que des médecins, je me vengerais de son impertinence ; et quand il sera malade, je le laisserais mourir sans secours. Il aurait beau faire et beau dire, je ne lui ordonnerais pas la moindre petite saignée, le moindre petit lavement, et je lui dirais, crève, crève, cela t'apprendra une autre fois à te jouer à la Faculté." - 91 - BÉRALDE. Vous voilà bien en colère contre lui. ARGAN. Oui, c'est un malavisé, et si les médecins sont sages, ils feront ce que je dis. BÉRALDE. Il sera encore plus sage que vos médecins, car il ne leur demandera point de secours. ARGAN. Tant pis pour lui s'il n'a point recours aux remèdes. BÉRALDE. Il a ses raisons pour n'en point vouloir, et il soutient que cela n'est permis qu'aux gens vigoureux et robustes, et qui ont des forces de reste pour porter les remèdes avec la maladie ; mais que pour lui il n'a justement de la force que pour porter son mal. ARGAN. Les sottes raisons que voilà. Tenez, mon frère, ne parlons point de cet homme-là davantage, car cela m'échauffe la bile, et vous me donneriez mon mal. BÉRALDE. Je le veux bien, mon frère, et pour changer de discours, je vous dirai que, sur une petite répugnance que vous témoigne votre fille, vous ne devez point prendre les résolutions violentes de la mettre dans un couvent. Que, pour le choix d'un gendre, il ne vous faut pas suivre aveuglément la passion qui vous emporte, et qu'on doit sur cette matière s'accommoder un peu à l'inclination d'une fille, puisque c'est pour toute la vie, et que de là dépend tout le bonheur d'un mariage. - 92 - TOINETTE. Il a tort. MONSIEUR PURGON. Et qui devait faire dans des entrailles un effet merveilleux. ARGAN. Mon frère ? MONSIEUR PURGON. Le renvoyer avec mépris ! ARGAN. C'est lui... MONSIEUR PURGON. C'est une action exorbitante. TOINETTE. Cela est vrai. MONSIEUR PURGON. Un attentat énorme contre la médecine. ARGAN. Il est cause... MONSIEUR PURGON. Un crime de lèse-Faculté, qui ne se peut assez punir. TOINETTE. Vous avez raison. MONSIEUR PURGON. Je vous déclare que je romps commerce avec vous. ARGAN. C'est mon frère... - 95 - MONSIEUR PURGON. Que je ne veux plus d'alliance avec vous. TOINETTE. Vous ferez bien. MONSIEUR PURGON. Et que, pour finir toute liaison avec vous, voilà la donation que je faisais à mon neveu, en faveur du mariage. ARGAN. C'est mon frère qui a fait tout le mal. MONSIEUR PURGON. Mépriser mon clystère ? ARGAN. Faites-le venir, je m'en vais le prendre. MONSIEUR PURGON. Je vous aurais tiré d'affaire avant qu'il fût peu. TOINETTE. Il ne le mérite pas. MONSIEUR PURGON. J'allais nettoyer votre corps et en évacuer entièrement les mauvaises humeurs. ARGAN. Ah mon frère ! MONSIEUR PURGON. Et je ne voulais plus qu'une douzaine de médecines, pour vider le fond du sac. TOINETTE. Il est indigne de vos soins. MONSIEUR PURGON. Mais puisque vous n'avez pas voulu guérir par mes mains. - 96 - ARGAN. Ce n'est pas ma faute. MONSIEUR PURGON. Puisque vous vous êtes soustrait de l'obéissance que l'on doit à son médecin. TOINETTE. Cela crie vengeance. MONSIEUR PURGON. Puisque vous vous êtes déclaré rebelle aux remèdes que je vous ordonnais... ARGAN. Hé point du tout. MONSIEUR PURGON. J'ai à vous dire que je vous abandonne à votre mauvaise constitution, à l'intempérie de vos entrailles, à la corruption de votre sang, à l'âcreté de votre bile et à la féculence de vos humeurs. TOINETTE. C'est fort bien fait. ARGAN. Mon Dieu ! MONSIEUR PURGON. Et je veux qu'avant qu'il soit quatre jours vous deveniez dans un état incurable. ARGAN. Ah ! Miséricorde ! MONSIEUR PURGON. Bradypepsie : Terme de médecine. Digestion lente et difficile. [L] Que vous tombiez dans la bradypepsie. ARGAN. Monsieur Purgon ! MONSIEUR PURGON. Dypepsie : Terme de médecine. Difficulté à digérer ; digestion dépravée. [L] De la bradypepsie dans la dyspepsie. - 97 - ARGAN. Ah ! Mon frère, il sait tout mon tempérament et la manière dont il faut me gouverner. BÉRALDE. Il faut vous avouer que vous êtes un homme d'une grande prévention, et que vous voyez les choses avec d'étranges yeux. SCÈNE VII. Toinette, Argan, Béralde. TOINETTE. Monsieur, voilà un médecin qui demande à vous voir. ARGAN. Et quel médecin ? TOINETTE. Un médecin de la médecine. ARGAN. Je te demande qui il est ? TOINETTE. Je ne le connais pas ; mais il me ressemble comme deux gouttes d'eau, et si je n'étais sûre que ma mère était honnête femme, je dirais que ce serait quelque petit frère qu'elle m'aurait donné depuis le trépas de mon père. ARGAN. Fais-le venir. BÉRALDE. Vous êtes servi à souhait. Un médecin vous quitte, un autre se présente. ARGAN. J'ai bien peur que vous ne soyez cause de quelque malheur. - 100 - BÉRALDE. Encore ! Vous en revenez toujours là ? ARGAN. Voyez-vous, j'ai sur le coeur toutes ces maladies-là que je ne connais point, ces... SCÈNE VIII. Toinette, en médecin ; Argan, Béralde. TOINETTE. Monsieur, agréez que je vienne vous rendre visite, et vous offrir mes petits services pour toutes les saignées, et les purgations, dont vous aurez besoin. ARGAN. Monsieur, je vous suis fort obligé. Par ma foi, voilà Toinette elle-même. TOINETTE. Monsieur, je vous prie de m'excuser, j'ai oublié de donner une commission à mon valet, je reviens tout à l'heure. ARGAN. Eh ! Ne diriez-vous pas que c'est effectivement Toinette ? BÉRALDE. Il est vrai que la ressemblance est tout à fait grande. Mais ce n'est pas la première fois qu'on a vu de ces sortes de choses, et les histoires ne sont pleines que de ces jeux de la nature. ARGAN. Pour moi, j'en suis surpris, et... - 101 - SCÈNE IX. Toinette, Argan, Béralde. TOINETTE quitte son habit de médecin si promptement qu'il est difficile de croire que ce soit elle qui a paru en médecin. Que voulez-vous, Monsieur ? ARGAN. Comment ? TOINETTE. Ne m'avez-vous pas appelée ? ARGAN. Moi ? Non. TOINETTE. Corner : Bourdonner, en parlant des oreilles percevant un bruit qui n'a rien de réel. [L] Il faut donc que les oreilles m'aient corné. ARGAN. Demeure un peu ici pour voir comme ce médecin te ressemble. TOINETTE, en sortant, dit : Oui, vraiment, j'ai affaire là-bas, et je l'ai assez vu. ARGAN. Si je ne les voyais tous deux, je croirais que ce n'est qu'un. BÉRALDE. J'ai lu des choses surprenantes de ces sortes de ressemblances, et nous en avons vu de notre temps où tout le monde s'est trompé. ARGAN. Pour moi, j'aurais été trompé à celle-là, et j'aurais juré que c'est la même personne. - 102 - TOINETTE. Justement, le poumon. ARGAN. Il me semble parfois que j'ai un voile devant les yeux. TOINETTE. Le poumon. J'ai quelquefois des maux de coeur. TOINETTE. Le poumon. ARGAN. Je sens parfois des lassitudes par tous les membres. TOINETTE. Le poumon. ARGAN. Et quelquefois il me prend des douleurs dans le ventre, comme si c'était des coliques. TOINETTE. Le poumon. Vous avez appétit à ce que vous mangez ? ARGAN. Oui, Monsieur. TOINETTE. Le poumon. Vous aimez à boire un peu de vin ? ARGAN. Oui, Monsieur. TOINETTE. Le poumon. Il vous prend un petit sommeil après le repas et vous êtes bien aise de dormir ? ARGAN. Oui, Monsieur. - 105 - TOINETTE. Le poumon, le poumon, vous dis-je. Que vous ordonne votre médecin pour votre nourriture ? ARGAN. Il m'ordonne du potage. TOINETTE. Ignorant. ARGAN. De la volaille. TOINETTE. Ignorant. ARGAN. Du veau. TOINETTE. Ignorant. ARGAN. Des bouillons. TOINETTE. Ignorant. ARGAN. Des oeufs frais. TOINETTE. Ignorant. ARGAN. Et le soir de petits pruneaux pour lâcher le ventre. TOINETTE. Ignorant. - 106 - ARGAN. Et surtout de boire mon vin fort trempé. TOINETTE. Oublie : Pâtisserie mince et de forme ronde ; l'oublie est ordinairement roulée en cylindre creux, et on lui donne le nom de plaisir quand elle a la forme d'un cornet. [L] Ignorantus, ignoranta, ignorantum. Il faut boire votre vin pur, et pour épaissir votre sang qui est trop subtil, il faut manger de bon gros boeuf, de bon gros porc, de bon fromage de Hollande, du gruau et du riz, et des marrons et des oublies, pour coller et conglutiner. Votre médecin est une bête. Je veux vous en envoyer un de ma main, et je viendrai vous voir de temps en temps, tandis que je serai en cette ville. ARGAN. Vous m'obligez beaucoup. TOINETTE. Que diantre faites-vous de ce bras-là ? ARGAN. Comment ? TOINETTE. Voilà un bras que je me ferais couper tout à l'heure, si j'étais que de vous. ARGAN. Et pourquoi ? TOINETTE. Ne voyez-vous pas qu'il tire à soi toute la nourriture, et qu'il empêche ce côté-là de profiter ? ARGAN. Oui ; mais j'ai besoin de mon bras. TOINETTE. Vous avez là aussi un oeil droit que je me ferais crever, si j'étais en votre place. ARGAN. Crever un oeil ? - 107 - BÉRALDE. Hé bien ! Oui, mon frère, puisqu'il faut parler à coeur ouvert, c'est votre femme que je veux dire ; et non plus que l'entêtement de la médecine, je ne puis vous souffrir l'entêtement où vous êtes pour elle, et voir que vous donniez tête baissée dans tous les pièges qu'elle vous tend. TOINETTE. Ah ! Monsieur, ne parlez point de Madame, c'est une femme sur laquelle il n'y a rien à dire, une femme sans artifice, et qui aime Monsieur, qui l'aime... On ne peut pas dire cela. ARGAN. Demandez-lui un peu les caresses qu'elle me fait. TOINETTE. Cela est vrai. ARGAN. L'inquiétude que lui donne ma maladie. TOINETTE. Assurément. ARGAN. Et les soins et les peines qu'elle prend autour de moi. TOINETTE. Bec jaune : ou Béjaune. Fig. et familier. Montrer à quelqu'un son béjaune, lui prouver sa sottise, son ignorance. [L] Il est certain. Voulez-vous que je vous convainque, et vous fasse voir tout à l'heure comme Madame aime Monsieur ? Monsieur, souffrez que je lui montre son bec jaune, et le tire d'erreur. ARGAN. Comment ? TOINETTE. Madame s'en va revenir. Mettez-vous tout étendu dans cette chaise, et contrefaites le mort. Vous verrez la douleur où elle sera, quand je lui dirai la nouvelle. - 110 - ARGAN. Je le veux bien. TOINETTE. Oui ; mais ne la laissez pas longtemps dans le désespoir, car elle en pourrait bien mourir. ARGAN. Laisse-moi faire. TOINETTE, à Béralde. Cachez-vous, vous, dans ce coin-là. ARGAN. N'y a-t-il point quelque danger à contrefaire le mort ? TOINETTE. Non, non : quel danger y aurait-il ? Étendez-vous là seulement. Bas. Il y aura plaisir à confondre votre frère. Voici Madame. Tenez-vous bien. SCÈNE XII. Béline, Toinette, Argan, Béralde. TOINETTE, s'écrie. Ah, mon Dieu ! Ah, malheur ! Quel étrange accident ! BÉLINE. Qu'est-ce, Toinette ? TOINETTE. Ah, Madame ! BÉLINE. Qu'y a-t-il ? TOINETTE. Votre mari est mort. - 111 - BÉLINE. Mon mari est mort ? TOINETTE. Hélas oui. Le pauvre défunt est trépassé. BÉLINE. Assurément ? TOINETTE. Assurément. Personne ne sait encore cet accident-là, et je me suis trouvée ici toute seule. Il vient de passer entre mes bras. Tenez, le voilà tout de son long dans cette chaise. BÉLINE. Le Ciel en soit loué ! Me voilà délivrée d'un grand fardeau. Que tu es sotte, Toinette, de t'affliger de cette mort ! TOINETTE. Je pensais, Madame, qu'il fallût pleurer. BÉLINE. Va, va, cela n'en vaut pas la peine. Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre ? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant, sans cesse un lavement, ou une médecine dans le ventre, mouchant, toussant, crachant toujours, sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens, et grondant jour et nuit servantes, et valets. TOINETTE. Voilà une belle oraison funèbre. BÉLINE. Il faut, Toinette, que tu m'aides à exécuter mon dessein, et tu peux croire qu'en me servant ta récompense est sûre. Puisque, par un bonheur, personne n'est encore averti de la chose, portons-le dans son lit, et tenons cette mort cachée, jusqu'à ce que j'aie fait mon affaire. Il y a des papiers, il y a de l'argent, dont je veux me saisir, et il n'est pas juste que j'aie passé sans fruit auprès de lui mes plus belles années. Viens, Toinette, prenons auparavant toutes ses clefs. - 112 - SCÈNE XIV et dernière. Cléante, Angélique, Argan, Toinette, Béralde. CLÉANTE. Qu'avez-vous donc, belle Angélique ? Et quel malheur pleurez-vous ? ANGÉLIQUE. Hélas ! Je pleure tout ce que dans la vie je pouvais perdre de plus cher et de plus précieux. Je pleure la mort de mon père. CLÉANTE. Ô Ciel ! Quel accident ! Quel coup inopiné ! Hélas ! Après la demande que j'avais conjuré votre oncle de lui faire pour moi, je venais me présenter à lui, et tâcher par mes respects et par mes prières de disposer son coeur à vous accorder à mes voeux. ANGÉLIQUE. Ah ! Cléante, ne parlons plus de rien. Laissons là toutes les pensées du mariage. Après la perte de mon père, je ne veux plus être du monde, et j'y renonce pour jamais. Oui, mon père, si j'ai résisté tantôt à vos volontés, je veux suivre du moins une de vos intentions, et réparer par là le chagrin que je m'accuse de vous avoir donné. Souffrez, mon père, que je vous en donne ici ma parole, et que je vous embrasse pour vous témoigner mon ressentiment. ARGAN se lève. Ah ! Ma fille ! ANGÉLIQUE, épouvantée. Ahy ! ARGAN. Viens. N'aie point de peur, je ne suis pas mort. Va, tu es mon vrai sang, ma véritable fille, et je suis ravi d'avoir vu ton bon naturel. ANGÉLIQUE. Ah ! Quelle surprise agréable, mon père ! Puisque par un bonheur extrême le Ciel vous redonne à mes voeux, souffrez qu'ici je me jette à vos pieds pour vous supplier d'une chose. Si vous n'êtes pas favorable au penchant de mon coeur, si vous me refusez Cléante pour époux, je vous conjure au moins, de ne me point forcer d'en épouser un autre. C'est toute la grâce que je vous demande. - 115 - CLÉANTE, se jette à genoux. Eh, Monsieur, laissez-vous toucher à ses prières et aux miennes, et ne vous montrez point contraire aux mutuels empressements d'une si belle inclination. BÉRALDE. Mon frère, pouvez-vous tenir là contre ? TOINETTE. Monsieur, serez-vous insensible à tant d'amour ? ARGAN. Qu'il se fasse médecin, je consens au mariage. Oui, faites-vous médecin, je vous donne ma fille. CLÉANTE. Très volontiers, Monsieur, s'il ne tient qu'à cela pour être votre gendre, je me ferai médecin, apothicaire même, si vous voulez.Ce n'est pas une affaire que cela, et je ferais bien d'autres choses pour obtenir la belle Angélique. BÉRALDE. Mais, mon frère, il me vient une pensée. Faites-vous médecin vous-même. La commodité sera encore plus grande, d'avoir en vous tout ce qu'il vous faut. TOINETTE. Cela est vrai. Voilà le vrai moyen de vous guérir bientôt ; et il n'y a point de maladie si osée, que de se jouer à la personne d'un médecin. ARGAN. Je pense, mon frère, que vous vous moquez de moi : est-ce que je suis en âge d'étudier ? BÉRALDE. Bon, étudier ! Vous êtes assez savant ; et il y en a beaucoup parmi eux, qui ne sont pas plus habiles que vous. ARGAN. Mais il faut savoir bien parler latin, connaître les maladies, et les remèdes qu'il y faut faire. BÉRALDE. En recevant la robe et le bonnet de médecin, vous apprendrez tout cela, et vous serez après plus habile que vous ne voudrez. - 116 - ARGAN. Quoi l'on sait discourir sur les maladies quand on a cet habit-là ? BÉRALDE. Galimatias : discours obscur, et embrouillé, où on ne comprend rien, où les paroles sont mises confusément, et sans ordre ; et où il n'y a rien de naturel. [F] Oui. L'on n'a qu'à parler, avec une robe et un bonnet, tout galimatias devient savant, et toute sottise devient raison. TOINETTE. Tenez, Monsieur, quand il n'y aurait que votre barbe, c'est déjà beaucoup, et la barbe fait plus de la moitié d'un médecin. CLÉANTE. En tout cas, je suis prêt à tout. BÉRALDE. Voulez-vous que l'affaire se fasse tout à l'heure ? ARGAN. Comment tout à l'heure ? BÉRALDE. Oui, et dans votre maison. ARGAN. Dans ma maison ? BÉRALDE. Oui. Je connais une Faculté de mes amies, qui viendra tout à l'heure en faire la cérémonie dans votre salle. Cela ne vous coûtera rien. ARGAN. Mais, moi que dire, que répondre ? BÉRALDE. On vous instruira en deux mots, et l'on vous donnera par écrit ce que vous devez dire. Allez-vous-en vous mettre en habit décent, je vais les envoyer quérir. ARGAN. Allons, voyons cela. - 117 - Boni sensus atque prudentiae, 365 De fortement travaillare A nos bene conservare In tali credito, voga, et honore ; Et prandere gardam à non recevere In nostro docto corpore 370 Quam personas capabiles, Et totas dignas ramplire Has plaças honorabiles. C'est pour cela que nunc convocati estis, Et credo quod trovabitis 375 Dignam matieram medici In sçavanti homine que voici : Lequel in choisis omnibus Dono ad interrogandum, Et à fond examinandum 380 Vostris capacitatibus. PRIMUS DOCTOR. Si mihi licenciam dat Dominus Praeses, Et tanti docti Doctores, Et assistantes illustres, Très sçavanti Bacheliero, 385 Quem estimo et honoro, Domandabo causam et rationem, quare Opium facit dormire ? BACHELIERUS. Mihi à docto Doctore Domandatur causam et rationem, quare 390 Opium facit dormire ? A quoi respondeo, Quia est in eo Virtus dormitiva, Cujus est natura 395 Sensus assoupire. CHORUS. Bene, bene, bene, bene respondere : Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. Bene, bene, respondere. SECUNDUS DOCTOR. 400 Cum permissione Domini Praesidis, Doctissimae Facultatis, Et totius his nostris actis Companiae assistantis, Domandabo tibi, docte Bacheliere, 405 Quae sunt remedia, Quae in maladia Ditte hydropisia Convenit facere. - 120 - BACHELIERUS. Clysterium donare, 410 Postea seignare, Ensuitta purgare. CHORUS. Bene, bene, bene, bene responder. Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. TERTIUS DOCTOR. 415 Si bonum semblatur Domino Praesidi, Doctissimae Facultati Et companiae praesenti, Domandabo tibi, docte Bacheliere, Quae remedia eticis, 420 Pulmonicis, atque asmaticis, Trovas à propos facere. BACHELIERUS. Clysterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. CHORUS. 425 Bene, bene, bene, bene respondere : Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. QUARTUS DOCTOR. Super illas maladias, Doctus Bachelierus dixit maravillas, 430 Mais si non ennuyo Dominum Praesidem, Doctissimam Facultatem, Et totam honorabilem Companiam ecoutantem ; Faciam illi unam quaestionem, 435 Dez hiero maladus unus Tombavit in meas manus : Habet grandam fievram cum redoublamentis Grandam dolorem capitis, Et grandum malum au côté, 440 Cum granda difficultate Et poena de respirare : Veillas mihi dire, Docte Bacheliere, Quid illi facere ? BACHELIERUS. 445 Clysterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare. - 121 - QUINTUS DOCTOR. Mais si maladia Opiniatria 450 Non vult se garire, Quid illi facere ? BACHELIERUS. Clysterium donare, Postea seignare, Ensuitta purgare, reseignere, repurgare, et rechlitterisare. CHORUS. 455 Bene, bene, bene, bene respondere : Dignus, dignus est entrare In nostro docto corpore. PRAESES. Juras gardare statuta Per Facultatem praescripta, 460 Cum sensu et jugeamento ? BACHELIERUS. Juro. PRAESES. Essere, in omnibus Consultationibus, Ancieni aviso, 465 Aut bono, Aut mauvaiso ? BACHELIERUS. Juro. PRAESES. De non jamais te servire De remediis aucunis, 470 Quam de ceux seulement doctae Facultatis ; Maladus dust-il crevare, Et mori de suo malo ? BACHELIERUS. Juro. PRAESES. Ego, cum isto boneto 475 Venerabili et docto, Dono tibi et concedo Virtutem et puissanciam Medicandi, Purgandi, 480 Seignandi, - 122 - DERNIÈRE ENTRÉE DE BALLET. Des médecins, des chirurgiens et des apothicaires, qui sortent tous selon leur rang en cérémonie comme il sont entrés. FIN - 125 - PRIVILÈGE DU ROI. LOUIS, par le Grâce de Dieu, Roi de France et de Navarre : à nos Amés et féaux conseillers, les gens tenants nos Cours de Parlement, Maîtres de Requêtes ordinaires de notre hôtel, grand Conseil, Baillifs, Sénéchaux, Prévôts, leurs lieutenants, et tous autres nos justiciers et officiers qu'il appartiendra.: SALUUT. Notre cher et bien âmé DENIS THIERRY, Marchand Libraire, imprimeur et ancien consul des Marchand à Paris, Nous a fait remontrer, qu'il, qu'il a traité avec la veuve de feu Jean-Baptiste Poclin [sic] de Molière, d'un manuscrit intitulé, Recueil des Oeuvres Posthumes de J.B.P/. de Molière, contenant le Dom Garcie de Navarre, ou le Prince Jaloux, L'impromptu de Versailles ; Dom Juan, ou le Festin de Pierre ; Mélicerte ; Les Amants magnifiques ; Les Comtesse d'Escarbagnas ; et le Malade imaginaire, revu et corrigé et augmenté: lequel recueil il désirerait imprimer, s'il avait nos lettres de permission, sur ce nécessaires ; et pour cet effet il a été conseillé d'avoir recours à nous, et de nous supplier très humblement de lui vouloir accorder. À CES CAUSES, voulant favorablement traiter ledit exposant, Nous lui avons permis et accordé, permettons et accordons, par ces présentes, d'imprimer, ou faire imprimer, vendre et débiter en tous lieux de notre royaume, pays, terres et seigneuries de notre obéissance, ledit REcueil des Oeuvres Posthumes de J.B.P. de Molière, ensemble ou séparément, en telle marge et caractère, et autant de fois que bon lui semblera durant le temps de six années consécutives, à compter du jour que chaque pièce sera achevée d'imprimer pour la première fois. Pendant lequel temps nous faisons très expresses inhibitions, et défenses à toutes personnes, que quelque qualité, ou condition qu'elle soient, imprimeurs, libraires et autres, d'imprimer, faire imprimer , vendre te distribuer ledit livre, sous prétexte d'augmentation, correction, changement de titre, fausse marques, ou autrement, en quelque sorte et manière que ce soit, ni même d'en faire des extraits et abrégés. Et à tous marchands étrangers d'en apporter, ni distribuer en ce Royaume d'autres impressions, que ce celles qui auront été faites du consentement de l'exposant, à peine de trois mille livres d'amende, payables par chacun des contrevenants et applicables un tiers à nous, un tiers à l'Hôpital Général de notre bonne ville de Paris, et l'autre tiers à l'exposant, de confiscation des exemplaires contrefaits, et de tous dépens, dommages et intérêts. À condition qu'il sera mis deux exemplaires desdits livres dans notre Bibliothèque publique, un en celle du Cabinet de nos livres en notre Château du Louvre, et un en celle de notre très cher et féal le Sieur Tellier, Chevalier Chancelier de France avant que de les exposer en vente, à la charge aussi que l'impression en sera faite dans le Royaume, et non ailleurs ; et que lesdits livres seront imprimés sur du beau et bon papier, et de belle impression : Et ce suivant ce qui est porté par le règlement fait pour la Librairie et Imprimerie, au - 126 - mois de juin 1618. Enregistré en notre cour de Parlement de Paris le 9 juillet ensuivant, à peine de nullité des présentes, lesquelles seront registrées dans le registre de la Communauté des Imprimeurs et Libraires de notre bonne Ville de Paris. Si vous mandons et enjoignons, que du contenu d'icelles, vous fassiez jouir pleinement et paisiblement ledit exposant, ou ceux qui auront droit de lui, sans souffrir qu'il leur soit fait, ou donné aucun empêchement. Voulons aussi qu'en mettant au commencement, ou à la fin desdits livres une copie des présentes, ou extrait d'icelles, elles soient tenues pour bine et dûment signifiées, et que foi y soit ajoutée ; et aux copies collationnées par l'un de nos amés et féaux conseillers et secrétaires, comme à l'original. Commandons au premier notre huissier, ou sergent sur ce rquis, de faire de l'exécution d'icelles tous exploits, saisies, et autres nécessaires, sans demander autre permissions, nonobstant toutes oppositions, ou appellations quelconque, Clameur du Haro, Chartes normande, et autres lettres à ce contraires. CAR tel est notre bon plaisir. Donné à Chaville le vingtième jour d'août, l'an de grâce mille six cent quatre-vint deux, et de notre règne le quarantième. Par le Roi en son conseil, LE PETIT. Registré sur le livre de la communauté des libraire et imprimeurs de Paris, le vingt sixième août 1682. Suivant l'arrêt du Parlement du 8 avril 1653 et celui du Conseil privé du Roi, du vingt-septième février 1665. Ledit THIERRY a associé à son privilège, Claude Barbin, et Pierre Trabouillet. Achevé d'imprimer pour la première fois, le dernier jour d'octobre mille six cent quatre-vingt-deux. - 127 -
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