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Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didactiques en contexte universitaire, Essai de Littérature

Typologie: Essai

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

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Télécharge Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didactiques en contexte universitaire et plus Essai au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! HAL Id: tel-01024380 https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-01024380 Submitted on 16 Jul 2014 HAL is a multi-disciplinary open access archive for the deposit and dissemination of sci- entific research documents, whether they are pub- lished or not. The documents may come from teaching and research institutions in France or abroad, or from public or private research centers. L’archive ouverte pluridisciplinaire HAL, est destinée au dépôt et à la diffusion de documents scientifiques de niveau recherche, publiés ou non, émanant des établissements d’enseignement et de recherche français ou étrangers, des laboratoires publics ou privés. Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didactiques en contexte universitaire Nadia Maillard To cite this version: Nadia Maillard. Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didac- tiques en contexte universitaire. Linguistique. Université d’Angers, 2013. Français. ￿tel-01024380￿ VUE re ns nantes nam ASE A der angers Nadia MAILLARD Mémoire présenté en vue de l'obtention du grade de Docteur de l'Université d'Angers sous le label de L'Université Nantes Angers Le Mans École doctorale : CE/ Cognition, éducation, interaction Discipline : Sciences du langage (7** section) Spécialité : FLE Unité de recherche : LPPL UPRES EA 4638 Soutenue le : décembre 2013 Le texte littéraire francophone, passeur de langues et de cultures. Interactions didactiques en contexte universitaire JURY Rapporieurs : Chine CHAULET-ACHOUR Professeur à Univers de Cergy Pontiss FRANCINE CICUREL, Professeurs à l'Universté Paris li — Sorbonne nouvelle Examinateurs : Juten KILANGA, Professeur à l'Université d'Angers Direcince de Tnèse : Dallas MORSLY, Professeurs émérite à l'Université d'Angers Remerciements Mes remerciements vont à ma famille, mes amis, mes collègues, et à tous ceux qui m’ont aidée à faire aboutir ce travail. Et tout spécialement à : - Dalila : pour m’avoir encouragée à me lancer dans cette entreprise insensée, pour ton accompagnement, ton regard pertinent, tes encouragements. Merci aussi pour m’avoir fait découvrir l’Algérie lors d’une première mission, inoubliable, à Chlef... - Olivier : pour ta patience et ton attention sans faille ; - Maman : pour tes écoutes et réécoutes de ce corpus sans fin, pour tes lectures et relectures de ces centaines de pages pendant cet été studieux ; - Zélie, Achille et Alphonse ... pour qui je n’ai pas toujours été aussi disponible que je l’aurais souhaité pendant toutes ces années ; - Violaine : grâce à moi tu peux envisager avec confiance une reconversion dans le coaching de thésards en détresse ; - Marie-Françoise : sans toi, ce sujet de thèse n’aurait jamais vu le jour ; - Marité et Diana : pour leur aide indispensable dans la rédaction du résumé en anglais ; - tous les enseignants et les étudiants qui ont accepté que j’enregistre leur cours, m’ont accordé des entretiens, ont répondu à mes questionnaires et dont la collaboration m’a été si précieuse. J’adresse également mes remerciements à C. Chaulet-Achour, F. Cicurel, J. Kilanga qui ont accepté de participer au jury de cette thèse. Leurs travaux ont été pour moi une source d’inspiration pour ce travail. 4 RÉSUMÉ - ABSTRACT L’association littérature / interculturel est l’un des axes majeurs du retour du texte littéraire dans l’enseignement du FLE. Elle s’accompagne d’un intérêt particulier pour les littératures francophones qui semblent plus à même de tenir ce rôle de passeur de langues et de cultures attribué au texte littéraire. Ce travail au carrefour de la didactique des langues et de la littérature et de l’analyse du discours en interaction analyse les dynamiques (inter)culturelles qui se développent, de manière effective, lorsque des textes littéraires sont lus et commentés dans la classe de langue. Nous avons mené une enquête ethnographique dans différents contextes : notre corpus se constitue de cours enregistrés dans deux centres de langues universitaires en France ainsi qu’au sein de la licence de français de l’université Alger 2. Nous avons utilisé les outils de la linguistique interactionnelle et nous nous sommes tout particulièrement intéressée aux positionnements et stratégies identitaires, à la circulation des codes mobilisés / construits pour lire le texte, à la négociation du sens du texte, aux mouvement de décontextualisation et recontextualisation, à la circulation et la reconfiguration des représentations dans les échanges. Les analyses effectuées nous ont permis de mettre en évidence quelques-unes des modalités de la mise en relation entre «soi» et l’autre / les autres suscitées par la lecture des textes littéraires. Elles témoignent aussi de tensions, relatives au statut ambigu de la littérature dans les contextes envisagés, et aux difficultés rencontrées pour concilier les objectifs parfois contradictoires assignés à l’étude des textes. Mots clés: enseignement / apprentissage des langues, didactique du texte littéraire, interactions en classe de langue / interculturel / lecture / réception des textes littéraires The association of literature and interculturality is one of the major axes of what has been called « back to the text » in language teaching. It’s accompanied by a special interest in francophone literature, which seems to be able to function as a bridge between languages and culture. This thesis, positioned at the crossroads of language and literature didactics and interactional discourse analyses, explores the intercultural dynamics that develop when literary texts are read and commented in the classroom. We have set up an ethnographic inquiry in different contexts: courses were recorded in two university language centers in Angers (France) and in the French degree program of the University of Alger 2 (Algeria). The tools of interactional discourse analysis frame our study. We’re particularly interested in identity positioning strategies, in the circulation of both shifting and constructed codes in text readings, in the negotiation of meaning, in decontextualization and recontextualization shifts, and in the circulation and reconfiguration of representations in classroom interaction. Our analyses have helped to shed light on some of the modalities used in relating the “self” to the “other” or “others” that are brought up when reading literary texts. They also reveal the tension that’s linked to the context- related and ambiguous status of literature and to the difficulties of reconciling the various goals assigned to the study of literary texts. Key words : foreign language learning and teaching / literary text didactic / language classroom interactions / intercultural studies / Reading / reception of literature 5 SOMMAIRE VOLUME 1 Introduction p. 20 PARTIE 1 : ANALYSER LES DYNAMIQUES (INTER)CULTURELLES DANS LES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE, UN CADRE THÉORIQUE PLURIEL          p. 24 Chapitre 1 : Des interactions en classe de langue p. 25 1. L’analyse des interactions : les principes de l’analyse interactionnelle p. 25 1.1. Le contexte d’émergence de notre champ de recherche p. 25 1.1.1. La notion d’interaction p. 25 1.1.2. La «mouvance interactionniste» p. 26 1.1.3. Ses ancrages disciplinaires p. 27 1.1.4. Notre positionnement : l’analyse du discours en interaction p. 32 1.2. L’approche interactionniste p. 33 1.2.1. Au-delà des divergences p. 33 1.2.2. Convergences p. 36 a. La notion d’interaction p. 36 b. Une nouvelle conception de la communication p. 37 c. L’intégration du sujet parlant dans la communication : dialogisme, polyphonie p. 40 d. Nouvelle conceptions social / sujet p. 43 e. L’élaboration du sens p. 46 f. Des principes méthodologiques communs : une démarche empirique, plurielle et syncrétique p. 47 2. Des interactions didactiques en classe de langue p. 48 2.1. Quel regard sur les échanges langagiers en classe (de langue) ? p. 48 2.2. Caractéristiques typologiques des échanges langagiers en classe p. 51 2.2.1. Un discours artificiel, ou bien naturel ? p. 51 2.2.2. Dimension contractuelle, asymétrique, rituelle p. 52 2.2.3. Organisation de la parole et de la communication p. 56 2.2.4. Planifié / émergent p. 59 2.3. La classe de langue : des interactions exo / interlingues p. 59 2.3.1. La communication exolingue / interlingue : un essai de définition p. 61 2.3.2. Particularité de la communication interlingue dans la classe de langue p. 62 3. Interagir « autour » du texte littéraire en classe de langue p. 66 3.1. Quelques croisements p. 66 3.1.1. Le texte littéraire : l’interaction représentée p. 66 3.1.2. Texte littéraire / interactions : homologies p. 68 sommaire 6 1.1.4. La question des limites de l’interprétation p. 139 1.2. Chassés croisés : littérature, culture(s) p. 140 1.2.1. Littérature, culture, civilisation p. 140 1.2.2. Littérature, interculturel p. 143 1.3. Du côté du lecteur : lecture, culture(s), interculturel p. 144 1.3.1. Lecture et compétences du lecteur p. 144 a. La dimension culturelle des compétences du lecteur p. 145 b. Décodage des implicites et / ou lieu de formation p. 150 1.3.2. Lecture, culture : la question de l’horizon d’attente p. 152 a. La lecture : une pratique culturellement déterminée p. 152 b. Codes de l’énonciation vs codes de la réception p. 154 1.3.3. D’un contexte à l’autre : variation des réceptions p. 154 1.3.4. Découverte de l’autre et reconfiguration de soi : la lecture, espace de négociation identitaire p. 158 a. L’engagement du sujet lecteur p. 159 b. De soi à l’autre … de l’autre à soi p. 160 c. Lire : « élaborer / réélaborer les schémas d’expérience et les identités » p. 162 d. Entre deux cultures p. 164 2. Lire le texte littéraire en classe de langue p. 165 2.1. Une lecture en langue étrangère p. 165 2.2. Une lecture en classe p. 168 2.2.1. Littérature / enseignement : des liens indissolubles p. 169 a. Définir ce qu’est la littérature, et comment on la lit p. 169 b. Le texte littéraire, passeur de langue(s), passeur de culture(s) p. 170 2.2.2. Quelques caractéristiques de la lecture en classe p. 172 a. Les signes extérieurs p. 173 b. Un lieu de contrainte p. 174 c. Une lecture finalisée p. 174 d. Qui se réalise dans et par des activités p. 175 e. Une lecture collective, socialisée p. 176 f. Un carrefour de représentations p. 177 g. La place de l’enseignant, médiateur et / ou archilecteur p. 178 h. Un sujet lecteur à l’épreuve p. 178 Conclusion du chapitre p. 179 Chapitre 4 : Le texte littéraire passeur de langues et de cultures en classe de FLE, le discours des méthodologies p. 181 1. La place du texte littéraire dans les courants méthodologiques : une des sources des répertoires didactiques des enseignants p. 181 1.1. La place du texte littéraire dans les courants méthodologiques p. 181 1.2. Les données examinées p. 182 sommaire 9 1.3. FLE / FLS p. 184 1.3.1. Une étude difficile à mener dans le domaine du FLS p. 184 1.3.2. Glissements FLE / FLM / FLS p. 186 2. Un rappel : jusqu’aux approches communicatives, le texte littéraire, entre civilisation et culture p. 188 2.1. Le texte littéraire « sacralisé » : la méthode dite traditionnelle p. 188 2.2. Remises en cause et permanences : méthodes directes et actives p. 192 2.2.1. Remises en cause p. 192 2.2.2. Et permanences p. 196 2.2.3. Conclusion p. 198 2.3. Les méthodes audio visuelles et le « purgatoire » du texte littéraire p. 200 2.3.1. La littérature en exil : les raisons d’une exclusion p. 201 2.3.2. Civilisation et littérature, entre tradition et modernité, l’exemple de la revue Le Français dans le monde p. 203 2.3.3. Dans les manuels p. 205 a. Les niveaux supérieurs : permanence de l’approche traditionnelle p. 205 b. Les premiers niveaux : une « double marginalisation » p. 206 3. Des approches communicatives à aujourd’hui : le renouveau p. 207 3.1. Les approches communicatives : une réhabilitation ambigüe p. 208 3.1.1. Des réflexions sur le niveau 2 aux approches communicatives p. 208 3.1.2. Une réhabilitation du texte littéraire p. 209 a. Le texte littéraire comme document authentique : une approche thématique et culturelle p. 211 b. Éclectisme p. 211 3.2. Depuis les années quatre-vingt-dix : un renouvellement des approches p. 213 3.2.1. Les années quatre-vingt-dix : vitalité des recherches relatives à la didactique du texte littéraire p. 214 a. Un foisonnement de publications p. 214 b. La thématisation d’un retour du littéraire p. 217 3.2.2. Les principales lignes de force de ce renouvellement p. 219 a. Les « entailles » du texte p. 221 b. Grammaire et typologie des textes p. 222 c. La communication littéraire p. 222 d. « Ouvrir l’éventail » (Gruca) p. 224 e. Intertextualité, transcodage et traductions p. 226 f. Le fait littéraire, l’histoire littéraire p. 226 g. De la lecture à l’écriture p. 227 h. La dimension culturelle et interculturelle du texte p. 228 3.2.3. Depuis 2000 : nouvelles recherches et progressive autonomisation ? p. 228 3.2.4. L’avènement de la perspective actionnelle : quelle place pour le texte littéraire p. 230 a. CECR et perspective actionnelle p. 231 sommaire 10 b. Le texte littéraire dans le CECR p. 232 c. Une approche actionnelle du texte littéraire p. 234 Conclusion du chapitre p. 237 Chapitre 5 : Le texte littéraire «lieu emblématique de l’interculturel» en classe de FLE ? p. 238 1. L’association texte littéraire / interculturel : émergence p. 238 1.1. Prémisses p. 239 1.2. Quatre ouvrages fondateurs p. 241 1.2.1. COLLÈS L. (1994) Littérature comparée et reconnaissance interculturelle, B r u x e l l e s , D e B o e c k / D u c u l o t , « F o r m a t i o n continuée». p. 242 1.2.2. ABDALLAH PRETCEILLE M. et PORCHER L. (1996) Éducation et communication i n t e r c u l t u r e l l e , « É d u c a t i o n e t f o r m a t i o n » , P a r i s , PUF. p. 244 1.2.3. SÉOUD A. (1997) Pour une didactique de la littérature, «LAL», Hatier / Didier p. 246 1.2.4. DE CARLO M. (1998) L’Interculturel, «Didactique des langues étrangères»,CLE International p. 250 2. Depuis les années 2000 p. 252 2.1. Les différentes facettes de l’approche (inter)culturelle des textes littéraires p. 253 2.1.1. Une approche ethnographique ou anthropologique du texte littéraire p. 254 2.1.2. Les universels singuliers p. 255 2.1.3. Donner à lire la rencontre entre soi et l’autre p. 257 2.1.4. Le sujet lecteur et ses identités p. 259 2.1.5. (Re)construction identitaire ? p. 262 2.2. Quels corpus ? Une place spécifique dévolue aux littératures «francophones» p. 263 2.2.1. Quelle(s) littérature(s) francophone(s) ? p. 264 2.2.2. Pourquoi cet intérêt particulier pour les littératures francophones ? p. 265 3. Quelques points d’achoppement p. 269 3.1. La conception de la culture et de l'interculturel p. 269 3.1.1. Les présupposés culturalistes p. 269 3.1.2. Des catégorisations problématiques p. 270 3.1.3. Quelle place pour les métissages ? p. 271 3.1.4. L’interculturel : face à face et regard sur l’autre p. 271 3.1.5. Prendre conscience de son identité propre ? p. 272 3.2. Le rôle dévolu au texte p. 273 3.2.1. Un pourvoyeur d’information ? p. 273 3.2.2. Le texte littéraire francophone : altérisé et exotisé ? p. 273 3.2.3. Le texte littéraire, par-delà le bien et le mal ? p. 274 4. Quelles interactions «autour» du texte ? p. 275 4.1. Des interactions mises au second plan ? p. 275 sommaire 11 d. Échanges / interventions / séquences : un exemple des difficultés de segmentation p. 360 e. Les séquences : principales composantes de l’interaction p. 366 2.3. L’interaction didactique : une structuration spécifique p. 368 2.3.1. Le modèle Ashile p. 369 2.3.2. Le modèle de Bouchard : les activités didactiques p. 370 2.3.3. La séquence didactique p. 371 2.4. Le bornage des unités p. 372 2.5. Arpentage du corpus p. 374 2.5.1. L’exemple de Cunégonde-J4 p. 374 2.5.2. Une proposition d’arpentage du corpus p. 379 Conclusion du chapitre p. 379 VOLUME 2 Chapitre 8 : Le texte littéraire en classe de langue : d’un contexte à l’autre p. 381 1. En France : le Celfe et le Cidef, deux centres de langues universitaires p. 381 1.1. L’enseignement du français aux étudiants en mobilité p. 381 1.1.1. Des étudiants en mobilité dans les universités françaises p. 381 a. Internationalisation de l’enseignement supérieur p. 381 b. Deux grands types de mobilités p. 382 c. Le choix de la France P. 383 1.1.2. Etudiants en mobilité et cours de langue p. 384 a. Caractéristiques p. 384 b. Le Français sur Objectif Universitaire p. 385 c. Enjeux des enseignements littéraires p. 388 1.2. Celfe et Cidef : deux centres de langue p. 388 1.2.1. Offre de formation p. 388 1.2.2. La littérature au Celfe, au Cidef : place et finalités p. 391 a. Présence dans l’offre de formation du Cidef p. 391 b. L’offre de formation du Celfe p. 393 c. Présence occasionnelle p. 394 d. Commentaires p. 395 2. En Algérie : la licence de français de l’université Alger 2-Bouzaréah p. 396 2.1. Le français en Algérie p. 397 2.1.1. Situation sociolingusitique du français en Algérie : un bref rappel p. 397 2.1.2. Francisation / arabisation : des enjeux complexes et passionnés p. 399 a. Francisation / arabisation p. 399 b. Enjeux p. 401 2.2. Enseigner / étudier la littérature de langue française en Algérie p. 404 2.2.1. Dans les anciennes colonies : quelques enjeux communs p. 404 sommaire 14 a. Place problématique de la dimension culturelle et interculturelle p. 404 b. Littératures nationales (ou régionales) en français ? p. 405 2.2.2. Le programme de la licence de français en Algérie p. 406 2.2.3. Langue versus littérature p. 407 2.2.4. Quel corpus ? littératures algériennes, maghrébines, francophones ? p. 409 2.2.5. Les dimensions (inter)culturelles p. 412 2.2.6. Les difficultés : enseignement universitaire en crise p. 413 Conclusion du chapitre p. 416 PARTIE 4 : ANALYSE DES DONNÉES p. 418 Préambule : Dynamiques et enjeux interculturels de la lecture thématisés par un enseignant : Germinie Lacerteux et Bel Ami (9p) p. 419 1. Présentation de l'extrait : «Le bal populaire et la papier peint à grosses fleurs» (La Cousine Bette-K) p. 427 2. Lecture du texte, catégorisation de soi / de l'autre p. 420 3. Des difficultés d'ordre culturel p. 420 4. Des stratégies interculturelles pour construire les codes p. 422 5. Des enjeux interculturels plus complexes p. 423 6. Des enjeux spécifiques liés au contexte : les maîtresses de Bel ami et les grosses fleurs de la tapisserie p. 424 Chapitre 9 : Le texte littéraire dans le répertoire didactique des enseignants : un passeur de langues et de cultures ? p. 426 1. Celfe et Cidef : analyse des questionnaires et des entretiens menés avec les enseignants p. 426 1.1. Profils des enseignants p. 426 1.2. Quel corpus ? p. 428 1.2.1. Les œuvres citées p. 430 1.2.2. La sélection : modalités p. 431 a. Un choix peu contraint p. 431 b. Les œuvres p. 431 c. De la bibliothèque intérieure … au corpus scolaire p. 432 d. Recyclage p. 433 e. Les manuels : une ressource parmi d’autres p. 433 f. Transmission, réseau p. 434 1.2.3. La sélection : critères p. 435 a. Simplicité p. 435 b. Proximité p. 435 c. Actualité p. 435 d. Un au-delà du texte p. 436 e. Représentativité p. 437 sommaire 15 1.3. Quels objectifs pour les textes littéraires en classe de FLE ? p. 437 1.3.1. Des objectifs multiples et variables p. 437 1.3.2. Les différents types d’objectifs p. 437 a. Linguistiques p. 438 b. Compréhension / production p. 439 c.Genres / thèmes p. 440 d. Littéraires ? p. 441 1.3.3.Dimensions(inter) culturelles p. 441 a. La prise en compte de difficultés culturelles p. 441 b. Place variable selon les enseignants p. 443 c. Approche anthropologique p. 443 d. D’une culture à l’autre : comparaisons p. 445 e. L’implication du sujet lecteur p. 447 f. Dialogue interculturel au sein de la classe p. 448 1.4. Les littératures francophones p. 448 1.4.1. Présence des littératures francophones p. 448 1.4.2. Objectifs p. 449 1.5. Lieux de tensions p. 452 1.5.1. Statut du texte littéraire dans la classe de langue : entre minoration et renouveau p. 452 1.5.2. Rapport au texte littéraire : un sentiment d’illégitimité ? p. 454 1.5.3. Dans la classe de langue ; un statut ambigu, problématique p. 456 a. Quelles spécificités ? p. 456 b. Des objectifs problématiques, des textes instrumentalisés ? p. 457 1.5.4. Des échanges difficiles en classe de langue p. 458 2. Licence de français de l’Université d’Alger : analyse des entretiens menés avec les enseignantes p. 459 2.1. Profil des enseignantes p. 459 2.1.1. Répertoires pluriilingues et pluriculturels p. 460 a. Répertoires plurilingues p. 460 b. Répertoires pluriculturels p. 460 2.1.2. Formation scolaire et universitaire p. 465 2.1.3. Profils de lectrices p. 468 2.2. Regards sur la licence de français p. 473 2.2.1. Les difficultés des étudiants p. 473 a. Difficultés d’ordre linguistique et méthodologique p. 473 b. Difficultés d’ordre culturel p. 478 2.2.2. Le texte littéraire à l’université : objectifs, enjeux, corpus p. 481 a. Les objectifs assignés aux cours p. 481 b. Retour sur soi, ouverture aux autres : quel corpus ? p. 485 c. Tabous, débats : la dimension axiologique p. 486 d. Obstacles et limites p. 490 sommaire 16 3.3.3. Les codes : moyens ou fin de la lecture ? p. 560 3.3.4. Quels codes mobiliser / construire ? planifications, négociations, tensions p. 560 3. Des objectifs en tension! ! ! ! ! ! ! ! ! ! ! p. 560 3.1. Séquences d’ouverture / de clôture : des entrées variées dans les textes! p. 561 ! 3.1.1. Les enjeux des séquences d’ouverture et de clôture! ! ! ! p. 561 ! 3.1.2. Exemple d’un cours de littérature : Une Femme-A1! ! ! ! p. 562 ! Extrait : «Séquence d’ouverture» (Une Femme-A1)!! ! ! ! ! p. 562 ! Extrait : «Séquence de clôture» (Une Femme-A1)! ! ! ! ! ! p. 566 ! 3.1.3. Un regard transversal sur les séquences d’ouverture du corpus! ! p. 567 ! ! a. Diversité des objectifs! ! ! ! ! ! ! ! ! p. 568 ! ! b. Ruptures versus continuités! ! ! ! ! ! ! ! p. 569 3.2. Exemples de négociation et de redéfinition des objectifs ! ! ! ! p. 570 ! 3.2.1. La Cousine Bette-K! ! ! ! ! ! ! ! ! p. 570 ! Extrait : «Ce caractère qui ressemble à celui des Corses» (La Cousine Bette-K)! p. 570 ! 3.2.2. La Vie Carnaval-B! ! ! ! ! ! ! ! ! p. 573 ! Extrait : «Ici on est en cours de langue» (La Vie carnaval-B5)! ! ! ! p. 573 ! 3.2.3. Le Silence de la mer-I! ! ! ! ! ! ! ! ! p. 575 ! Extrait : «Vous entendrez des termes un peu compliqués» (Le Silence de la mer-I1)p. 576 ! Extrait : «Il appelle ça la qualification différentielle» (Le Silence de la mer-I1)! p. 577 4. Négociation des codes, pluralité des interprétations et gestion de la polysémie p. 578 4.1. Les négociations dans les interactions «autour» des textes littéraires p. 570 4.1.1. Les négociateurs p. 579 4.1.2. L'objet des négociations p. 580 4.1.3. Un état initial «de désaccord ou du moins de non-accord» p. 580 4.1.4. La recherche d'un accord p. 581 4.1.5. Négociations implicites / explicites p. 582 4.1.6. Quelques variables p. 582 a. Les représentations des enseignants p. 582 b. Les propositions et contre-propositions p. 583 c. Le moment / l'activité p. 583 ! 4.2. Dynamique des échanges et négociation des codes lors de la lecture du texte : quelques exemples p. 583 Extrait : «Il va crever» (Germinal-L) p. 583 Extrait : «Nedjma c'est l'étoile» (Nedjma-M) p. 586 Extrait : «Kateb Yacine pédophile ?» (Nedjma-M) p. 589 Conclusion du chapitre p. 607 Chapitre 12 : Mobilisation / construction des codes et dynamiques interculturelles p. 593 1. Réagencements contextuels et dynamiques interculturelles p. 593 1.1. Les réagencements contextuels p. 594 1.1.1. Déficit contextuel en classe de langue p. 594 sommaire 19 1.1.2. Régencements contextuels et lecture du texte littéraire p. 595 1.2. Les différents types de contextes : «récits de vie», «cadre de la ficiton» et «contexte social» p. 596 1.2.1. Contexte récit de vie p. 596 Extrait : «Les choses sexuelles» (Une Femme-A2) p. 597 1.2.2. Contexte cadre de la fiction p. 598 Extrait : «Une soupente» (Le Silence de la mer-I1) p. 598 1.2.3. Contexte social p. 599 Extrait : «C’est comme en coupe du monde» (La Figuier enchanté-M) p. 599 1.3. Multiplicité des univers de référence p. 600 1.3.1. Monde de la langue p. 601 Extrait : «Un chien sans maître» (La Vie carnaval-S4) p. 601 1.3.2. Monde du texte p. 603 Extrait : «Les vrais Brésilliens» (La Vie carnaval-S1) p. 603 1.3.3. Monde fictionnel p. 604 Extrait : «La banlieue» (La Cousine Bette-B) p. 604 1.3.4. Monde de la classe p. 604 Extrait : «La poésie romantique arabe» (Le Lac-K) p. 605 1.3.5. Monde extérieur p. 605 Extrait : «Carnaval : dans la vie des Guadeloupéens, dans la vie des Français» (La Vie carnaval-B5) p. 606 1.3.6. Monde des œuvres p. 607 Extrait : «Les films de cette époque-là» (Une Femme-A1) p. 608 Extrait : «les films sur la seconde guerre mondiale» (Le Silence de la mer-I1) p. 608 1.4. Circulation entre les contextes et dynamiques interculturelles p. 609 Extrait : «La diphtérie à l’époque on en mourait» (Une Femme-A2) : différence monde du texte / monde extérieur » p. 610 Extrait : «En Algérie ça se passe comme ça» (La Figuier enchanté-M) : similitude monde du texte / monde extérieur p. 610 Extrait : «Nous sommes un peu le monde ici» (La Vie Carnaval-B3) : similitudes monde du texte / monde de la classe puis monde du texte / monde extérieur p. 613 2. Stéréotypes et représentations p. 615 2.1. Des stéréotypes pour comprendre le texte p. 615 2.1.1. Un ensemble de références partagées p. 615 Extrait : «En tant que mère» (La Vie Carnaval-B3) p. 615 Extrait : « Dégingandé » (Le Silence de la mer-I1) p. 616 2.1.2. Stéréotypes et réagencements contextuels p. 617 2.1.3. Représentations stéréotypes et « blancs » du texte p. 619 Extrait : « Je suis sûre qu’elle a de gros seins » (La Vie carnaval-S1) p. 619 2.1.4. À rebours des représentations stéréotypées p. 619 Extrait : « Je ne vois pas la guerre » (Le Silence de la mer-I1) p. 620 2.1.5. Représentations de référence et représentations d’usage p. 620 sommaire 20 Extrait : « Sans caricaturer le peuple allemand » (Le Silence de la mer-I1) p. 621 2.2. Stéréotypes, représentations et place du sujet lecteur p. 621 Extrait : « Nous on s’est pas défendu de manière sauvage » (Nedjma-M) p. 622 3. L’interculturel : embûches, tensions p. 626 3.1. Difficulté à repérer les implicites et à se décentrer p. 626 Extrait : « Paris, ville nouvelle » (Une Femme-A3) p. 627 Extrait : « Elle avait le temps de se marier » (Une Femme-A2) p. 637 Extrait : « C’est pas un peu malsain ? » (Nedjma-M) p. 638 3.2. Le choix du bon contexte p. 639 Extrait : « Maika Domrane » (Le Lac-K) p. 630 3.3. Dynamiques centrifuges / centripètes p. 632 3.3.1. Dynamiques centrifuges interrompues p. 632 Extrait : « La croix, c’est un talisman comme la main de Fatma » (Le Vallon-B) p. 652 Extrait : « C’est pas l’intérêt du cours » (Le Figuier enchanté-M) p. 634 3.3.2. Dynamiques centrifuges acceptées p. 635 Extrait : « L’enterrement d’Aimé Césaire » (La Vie carnaval-B3) p. 635 Extrait : « Les feuilles mortes » (Le Lac-K) p. 637 Extrait : « Branchés Saint Valentin » (Le Lac-K) p. 639 Conclusion du chapitre p. 642 Conclusion p.643 Bibliographie p.650 Index des notions p.693 Index des noms p.702 VOLUME 3 : ANNEXES Table des annexes p. 2 Tableau général de présentation du corpus p. 5 Présentation des formations p. 13 Transcription et arpentage des données p. 52 Conventions de transcription p. 299 Entretiens et questionnaires p. 301 sommaire 21 riches. Nous avons aussi considéré qu’un public de jeunes adultes aurait déjà une certaine expérience sociale témoignerait d’une relative maturité dans la réception des textes. Dans ces deux contextes, les données révèlent des tensions relatives aux objectifs, multiples, parfois contradictoires associés aux textes littéraires. Les dimensions (inter)culturelles auxquelles nous nous intéressons de manière privilégiée sont, en effet, dans l’un comme dans l’autre cas, susceptibles de se retrouver en tension avec d’autres finalités - linguistiques et / ou littéraires - qui peuvent être assignées aux textes littéraires. Notre travail se subdivise en quatre parties. Nous avons exposé dans un premier temps le cadre théorique nécessaire pour mener à bien l’analyse des dynamiques (inter)culturelles qui apparaissent à l’occasion de la lecture collective d’un texte littéraire en classe de langue. Ce cadre théorique est nécessairement pluriel puisqu’il emprunte à la fois à l’analyse des interactions didactique (chapitre 1) et aux recherches sur la communication interculturelle (chapitre 2). Dans la seconde partie, nous nous interrogeons sur la manière dont le texte littéraire est susceptible d’être envisagé comme un passeur (inter)culturel en classe de langue. Nous définissons tout d’abord (chapitre 3) la conception de la lecture qui est la nôtre tout au long de ce travail, conception qui s’ancre dans les théories de la réception littéraire et donne une place centrale aux interactions texte / lecteur. Nous proposons ensuite un retour historique sur la place du texte littéraire dans l’enseignement des langues du point de vue spécifique des liens textes / cultures. D’abord emblèmes d’une culture humaniste, puis documents authentiques qui émanent d’une culture donnée et en rendent compte, les textes sont ensuite envisagés comme les «lieux emblématiques de l’interculturel» (Abdallah-Pretceille et Porcher 1996 : 162). Nous examinons de manière plus spécifique la naissance et la diffusion de cette dernière conception, qui met notamment l’accent sur le rôle des littératures francophones ; nous dégageons les différentes facettes ainsi que certaines des limites de cette approche de la littérature (chapitre 5). Dans la troisième partie, nous définissons tout d’abord les principes méthodologiques propres à la démarche ethnographique adoptée et nous rendons compte de la manière dont notre corpus a été constitué (chapitre 6). Nous revenons ensuite sur les principes qui ont guidé la transcription et l’arpentage des données ainsi recueillies (chapitre 7). Nous examinons enfin les contextes où nous avons mené notre recherche et nous dégageons, pour chacun d’entre eux, les enjeux spécifiques liés à la présence de textes littéraires dans les formations (chapitre 8). Enfin, dans la quatrième partie, nous présentons l’analyse de nos données. Dans un premier chapitre (chapitre 9), ce sont les entretiens et les questionnaires recueillis auprès des enseignants qui retiennent notre attention. Quels discours tiennent-ils sur leurs pratiques relatives aux textes littéraires, les objectifs qu’ils leur assignent, les introduction 24 corpus qu’ils sélectionnent ? Comment envisagent-ils les dynamiques (inter)culturelles que la lecture des textes peut initier dans les classes ? Les trois chapitres suivants sont quant à eux consacrés à l’analyse des dynamiques interculturelles qui se manifestent dans les interactions de notre corpus. Tout d’abord (chapitre 10) ce sont les positionnements identitaires des interactants «autour» du texte littéraire, qui retiennent notre attention. Puis (chapitre 11) nous nous intéressons à la dimension culturelle des codes (du texte, du lecteur) mobilisés / construits dans les interactions qui constituent notre corpus. Nous regardons aussi comment, dans les négociations relatives à ces codes, un espace plus ou moins grand peut être donné au pôle de la réception et aux sujets lecteurs. Nous étudions ensuite (chapitre 12) les dynamiques (inter)culturelles qui peuvent s’établir dans les échanges : en quoi la compréhension et l’interprétation des textes est-elle l’occasion d’opérer de multiples décontextualisations et recontextualisations qui mettent en relation - entre autres - monde du texte et monde du lecteur ? Comment représentations et stéréotypes circulent-ils et se reconstruisent-ils dans ces interactions ? Et quelles sont les résistances les limites, les tensions observables lorsque s’initient de telles dynamiques interculturelle ? Nous espérons ainsi que les questionnements que ce travail soulève fourniront de nouveaux éléments de réflexion sur : - la réception des textes littéraires en contexte éducatif et l’analyse des discours (et notamment des discours-en-interaction) que peuvent susciter ces textes ; - le texte littéraire en classe de FLE / FLS et les méthodologies d’enseignement de la littérature dans ces contextes ; - la place et les formes de l’interculturel en classe de langue - et plus spécifiquement les dynamiques interculturelles qui se manifestent dans les échanges didactiques. introduction 25 - PARTIE 1 ANALYSER LES DYNAMIQUES (INTER)CULTURELLES DANS LES INTERACTIONS EN CLASSE DE LANGUE : UN CADRE THÉORIQUE PLURIEL L’objet de cette première partie est de délimiter le cadre théorique dans lequel prend place notre travail et d’exposer les outils conceptuels nécessaires pour mener à bien notre recherche. Cet ancrage est résolument pluriel : il emprunte à l’analyse du discours en interaction, aux théories de la réception littéraire, à la didactique des langues/cultures, domaines qui sont tous eux-mêmes, de surcroît, aux confins de différents champs disciplinaires. Notre travail s’inscrit dans le domaine de l’analyse des interactions (chapitre 1) : il nous a semblé nécessaire de commencer par faire le point sur cette «mouvance» (origines, positionnements épistémologiques, enjeux). Nous examinons ensuite les spécificités des interactions didactiques interlingues telles que celles qui constituent notre corpus. Nous pourrons ainsi dégager les spécificités du type particulier d’interactions auxquelles nous nous intéressons dans ce présent travail, des interactions didactiques «autour» de textes littéraires. Comment notre propre étude se positionne-t-elle parmi les travaux qui se sont déjà intéressés à ce type d’échanges ? Et quelles en sont les particularités ? Envisager le texte littéraire comme un «passeur (inter)culturel» implique de définir ce que l’on entend par culture(s) et interculturel (chapitre 2). Dans un premier temps, nous évoquerons différentes conceptions de la culture et préciserons celles que nous ferons nôtre ici. Nous serons aussi amenée à parcourir le champ de l’interculturel, afin de déterminer comment peuvent être pensés ces contacts, ces dynamiques que nous souhaitons observer à l’occasion de la lecture de textes littéraires. Nous reviendrons aussi sur l’étude des représentations, et celle des positionnements et stratégies identitaires, qui nous semblent être deux manières privilégiées d’étudier les dynamiques interculturelles dans les échanges suscités par les textes littéraires. partie 1 - chapitre 1 26 période sur les campus américains, d’autres traditions scientifiques, d’autres champs disciplinaires avaient déjà été précurseurs en la matière. On peut penser aux travaux de la sociologie allemande (M. Weber, G. Simmel), à ceux de L. Vygotsky ou bien encore de M. Bakhtine (cf. infra) qui, eux aussi, ont pointé la place centrale de l’interaction dans toute communication humaine. 1.1.3. Ses ancrages disciplinaires Les ancrages disciplinaires des études interactionnistes sont, avons-nous dit, pluriels. On distingue généralement (cf. par ex. C. Kerbrat-Orecchioni ou V. Traverso) plusieurs «cercles» dans lesquels elles se sont développées. Le premier est lié aux recherches menées dans les domaines de la psychiatrie et de la psychologie8, notamment par les chercheurs de l’école de Palo Alto. La figure centrale est ici celle de G. Bateson, «maître à penser de toutes une génération de penseurs qui ont véritablement fondé l’analyse des interactions» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 58). Il a participé à différents projets de recherche interdisciplinaires9 (ou les a initiés) dans des domaines variés (anthropologie, biologie, psychologie) autour de questions liées à la communication sous toutes ses formes (humaine autant qu’animale) et est à l‘origine en 1959 de la création du Mental Research Institute, où il a été rejoint, entre autres, par P. Watzlavick. Les chercheurs du MRI s’intéressent, initialement dans un but thérapeutique, aux difficultés de relations dans le couple et la famille, aux troubles schizophréniques.10 Influencés par le courant cybernétique, ils en viennent à développer une approche systémique de la communication, ne considérant plus leurs patients comme des individus isolés mais comme partie prenante d’un système de communication dont les dysfonctionnements sont à l’origine des troubles qu’ils développent. Ils envisagent ainsi les troubles psychiatriques dans une perpective interactionniste, marqués en cela par les travaux de H. Stack Sullivan qui décrit la psychiatrie comme l’étude des relations interpersonnelles. À côté de ce «courant psy» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 58), on identifie un second cercle de travaux qui s’inscrivent dans le vaste domaine de l’ethnologie, de la sociologie et / ou de l’anthropologie. On peut ici mentionner : partie 1 - chapitre 1 29 8 Pourraient aussi être mentionnés ici, même s’ils se rattachent à d’autres traditions scientifiques, les travaux de L. Vygotsky ou J. Bruner qui mettent en lumière l’importance des interactions entre le jeune enfant et son environnement dans son développement cognitif et langagier. 9 Il a publié avec M. Mead - qui fut sa première femme - une étude consacrée aux interactions entre mère et enfants dans la société balinaise. Il a ensuite participé aux célèbres conférences Macy qui ont vu se rencontrer, de 1942 à 1953, un groupe interdisciplinaire de chercheurs (mathématiciens, logiciens, anthropologues, sociologues ou encore psychologues) autour de questions liées à la communication. 10 Les travaux menés sur les schizophrènes conduisent notamment les chercheurs de l’école de Palo Alto à formuler (1956) la théorie du double bind (double contrainte) : ils voient l’une des causes de la schizophrénie dans les injonctions paradoxales (du type : «sois grand mon petit») auxquelles leur environnement peut les soumettre. Ils s’intéressent par la suite à la formulation de ce type d’exigences contradictoires dans la communication quotidienne. - L’interactionnisme symbolique : ce courant, influencé par les travaux de la sociologie allemande (G. Simmel, M. Weber) a été porté par G.H. Mead et ses élèves, notamment H. Blumer, au sein du département de sociologie de l’université de Chicago dès la fin des années trente. Au coeur de ces travaux se trouve l’idée (constructiviste) que les individus contribuent à donner un sens à la réalité sociale plus qu’ils ne la subissent. Ce sens est (co) construit à travers les interactions, les échanges communicatifs, verbaux et non verbaux, dans lesquels les acteurs sociaux sont impliqués. L’interprétation des faits sociaux se joue ainsi dans et par les interactions inter-individuelles. C’est ce que synthétisent ces trois propositions formulées par H. Blumer, qui explicitent les postulats de l’interactionnisme symbolique : «1. Les humains agissent à l’égard des choses en fonction du sens interprétatif que ces choses ont pour eux. 2. Ce sens est dérivé ou provient des interactions que chacun a avec autrui. 3. C’est dans un processus d’interprétation mis en œuvre par chacun dans le traitement des objets rencontrés que ce sens est manipulé et modifié.» (Blumer, Symbolic interactionnisme, 1969, cité par Queiroz et Zlotowksi 1994 : 31-32) Sur le plan méthodologique, l’école de Chicago marque aussi une véritable rupture épistémologique : elle développe une approche compréhensive des faits sociaux11, une véritable écologie urbaine et de fait accorde une place centrale aux données empiriques, au travail de terrain. La place du chercheur est elle aussi repensée, puisqu’il s’agit pour lui de saisir le sens que les acteurs attribuent aux situations et non de leur en attribuer un de manière extérieure. L’observation participante (cf. infra chap. 6, pp. 299-314) est essentielle pour appréhender les activités de communication verbale et non verbale d’une communauté. - L’ethnographie de la communication dont les initiateurs sont D. Hymes et J. Gumperz.12 Leurs travaux s’en réclamant ont pour objectif : «de décrire l’utilisation du langage dans la vie sociale, et plus précisément de dégager l’ensemble des normes qui sous-tendent le fonctionnement des interactions dans une société donnée.» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 59) Les données contextuelles, sociales et culturelles déterminent les pratiques individuelles : ces faits de langue doivent donc être étudiés dans leur contexte naturel (dont le modèle SPEAKING établi par D. Hymes permet de dégager les caractéristiques pertinentes). Une partie des recherches menées dans le domaine de l’ethnographie de la communication a une dimension comparative : c’est en mettant en regard les différences entre les pratiques communicatives de plusieurs communautés ethnolinguistiques et / ou sociolinguistiques qu’on en saisit les spécificités. Elles s’intéressent aussi (par exemple J. Gumperz) à ce que peuvent mettre en évidence les contacts entre des locuteurs dont les normes discursives ne sont pas les mêmes. Lorsqu’ils sont amenés à interagir, quels choix partie 1 - chapitre 1 30 11 Les thèmes de recherches de prédilection des chercheurs qui y sont affiliés ont trait à la sociologie urbaine, aux questions d’immigration, de minorités raciales et ethniques, de déviances sociales. 12 Gumperz et Hymes (1972) et initialement : Goffman, Ervin Tripp, Sacks, Hall, Labov... de langue(s) ou de variété(s) de langues opèrent ils ? Quels sont les malentendus, les problèmes de communication que ces appartenances différentes peuvent occasionner ? Des études de ce type sont par exemple menées dans le contexte scolaire nord-américain et mettent en évidence le fait qu’une partie des difficultés que peuvent rencontrer les élèves noirs américains ou indiens est imputable aux différences entre les normes communicatives en vigueur à l’école et celles qui ont cours au sein de leurs communautés d’origine (C. Cazden ou J. Gumperz par ex.). Les travaux de D. Hymes aboutissent quant à eux à la formulation d’une notion qui jouera ensuite un rôle central dans le domaine de la didactique des langues, celle de compétence communicative (là où N. Chomsky envisage une compétence linguistique qui pose le langage comme une structure universelle). La maîtrise grammaticale d’une langue est insuffisante : pour être réellement compétent et s’exprimer de manière appropriée, un locuteur doit être capable de s’adapter aux règles linguistiques, sociolinguistiques et interactionnelles définies pour un contexte donné. - L’ethnométhodologie : les instigateurs (H. Garfinkel, H. Sacks, E. Schegloff) de cette discipline, dont le nom a été forgé par analogie avec les termes ethnobotanique ou ethnoscience, l’envisagent comme une science des ethnométhodes, à savoir des «(procédures, savoirs et savoir-faire) qu’utilisent les membres d’une société donnée pour gérer adéquatement l’ensemble des problèmes communicatifs qu’ils ont à résoudre dans la vie quotidienne» (1990 : 61). Pour les ethnométhodologues, les normes qui régissent les comportements sociaux sont en permanence (re) construites et (re) définies dans et par les échanges du quotidien : «La vie en société apparaît alors comme un “accomplissement continu”, comme un travail permanent pour construire son identité sociale, pour rendre intelligible l’ensemble de ses comportements, et se faire admettre comme membre habilité de cette société.» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 63) C’est ce que montre l’exemple, analysé par H. Garfinkel (1967), d’une transsexuelle, Agnès. Née avec le physique d’un homme, elle a subi de nombreuses opérations pour que son apparence physique coïncide avec son identité profonde (féminine). H. Garfinkel s’intéresse aux comportements et attitudes qu’elle adopte au quotidien pour accomplir son «être femme» : pour se définir (et être définie) comme telle. La situation singulière qui est la sienne (où rien ne va de soi) rend visible ce qui d’ordinaire passe inaperçu : le fait que toute identité (ici, celle d’un genre sexuel) est le produit d’un travail continu. - L’analyse conversationnelle est la «branche» de l’ethnométhodologie qui s’intéresse à la description du «déroulement des conversations quotidiennes en situation naturelle» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 64). Elle consiste en une véritable grammaire des conversations, s’efforçant d’en dégager la construction séquentielle d’un point de vue micro sociologique. L’analyse des échanges langagiers qu’elle effectue met en évidence le fait que l’ordre social se construit dans et par les interactions menées entre les sujets (et n’est pas une donnée a priori). partie 1 - chapitre 1 31 interpersonnelle dans les divers types de sociétés humaines» (Kerbrat-Orecchioni 2009 : 11). Enfin, les travaux interactionnistes menés dans le champ universitaire français se caractérisent par une plus grande proximité avec la linguistique - et notamment ses sous domaines qui accordent une importance toute particulière au contexte dans lequel les échanges se déroulent (cf. supra : linguistique énonciative, analyse du discours, sociolinguistique). 1.1.4. Notre positionnement : l’analyse du discours en interaction Dans cet ensemble de travaux à la fois très large et très divers, où nous situons-nous ? Notre travail, s’il se nourrit de ces apports variés (ceux de la psychologie sociale par exemple pour aborder la question de l’identité), s’ancre néanmoins dans ce « versant linguistique » de l’analyse des interactions (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 42). Nous accorderons une place centrale aux interactions verbales, en considérant la communication comme : «une forme particulière d’interaction dans laquelle les moyens utilisés pour provoquer la réaction du partenaire sont des significations constituées au moyen de codes dont le principal est la langue, qui est placée au centre du dispositif de communication.» (Bange 1992 : 11) Et c’est à travers l’étude de marqueurs linguistiques (comme les jeux énonciatifs, la nominalisation, les modalisations - cf. infra) que nous analyserons la manière dont la lecture de textes littéraires en classe de langue suscite des médiations culturelles et interculturelles. Notre travail s’inscrira ainsi dans une approche qui relève de l’analyse de discours en interaction au sens où l’entend C. Kerbrat-Orecchioni. Elle définit l’objet d’étude de l’A.D.I. comme «le vaste ensemble des pratiques discursives qui se déroulent en contexte interactif» (Kerbrat-Orecchioni 2009 : 7 et 2009 : 14). Elle en souligne les «liens étroits» avec «ce que l’on appelle classiquement l’analyse des discours» : s’il possède des traits propres, le discours-en-interaction «ne peut sans artifice être décrit comme un objet autonome par rapport aux autres formes de discours». Elle en souligne aussi les différences avec l’analyse conversationnelle (ou analyse des conversations), qui, d’inspiration anglo-saxonne, s’intéresse à l’étude des ethnométhodes de la conversation quotidienne, initiée par O. Sacks ou E. Schegloff. et passe à côté de questions qui sont pour nous centrales «la question de la signification et de l’interprétation» (Kerbrat-Orecchioni 2009 : 6). Comme nous l’aborderons ultérieurement, notre travail est aussi marqué par le contexte spécifique auquel nous nous intéressons, qui l’ancre du côté des interactions didactiques. partie 1 - chapitre 1 34 1.2. L’approche interactionniste : grands principes Nous voudrions à présent synthétiser les grands principes (théoriques et méthodologiques) qui, au-delà des divergences, fondent les études des interactions et constituent donc autant de postulats qui cadrent notre propre recherche. 1.2.1. Au-delà des divergences ... Bien évidemment, ainsi réunis, ces travaux qui composent la mouvance interactionniste ne forment pas un ensemble homogène. Ils concernent des disciplines fort différentes qui abordent la question des interactions avec les problématiques et les méthodologies qui leur sont propres. Dans son ouvrage, C. Kerbrat-Orecchioni liste quelques-uns de ces «points de divergences» : - les finalités de ces travaux sont variables : certains sont purement descriptifs, d’autres ont des visées plus pratiques dans les domaines thérapeutique ou diplomatique par exemple (1990 : 67) ; - le «degré de théorisation ambitionné» (ibid.) n’y est pas nécessairement identique : les uns pratiquent une «observation naturaliste pure», s’intéressant de manière large à «ce qui se passe» dans l’interaction et à ce que les interactants « font ensemble» d’autres ont pour objet de dégager des régularités et de mettre à jour une «grammaire des conversations » ; - on peut les répartir sur un axe qui va d’approches micro, attentives aux plus petits détails à des approches qui prennent en compte de larges réseaux d’interactions (histoire conversationnelle par exemple, cf. infra chap. 7, pp. 357-362) ; - le contexte est lui aussi pris en compte de manière variable : «alors que certains travaux conversationnalistes s’intéressent plus à la mécanique interne de la conversation et ne prennent en compte que les éléments du contextes actualisés dans l’échange verbal, d’autres mettent au contraire l’accent sur l’importance des déterminations situationnelles» (1990 : 69) ; - enfin, à la suite de C. Kerbrat-Orecchioni, on peut noter que, si la plupart de ces travaux prennent appui sur des données pleinement authentiques (recueil de conversation spontanées15), d’autres (elle cite l’exemple d’E. Goffman) les considèrent de manière plus désinvolte, n’hésitent pas à avoir recours à des exemples fabriqués, du moment où ils sont vraisemblables.16 C’est à ce titre, d’ailleurs, que les dialogues des textes littéraires sont régulièrement sollicités dans les travaux interactionnistes. partie 1 - chapitre 1 35 15 Même si la réflexion sur la place de l’observateur amène bien évidemment à nuancer ce que peuvent être des données «pleinement authentiques» et des conversations «spontanées» ! 16 Nous expliciterons dans la partie centrale les choix que nous avons effectués par rapport à ces différents positionnements. Nous pouvons dès à présent mentionner que nous avons choisi de travailler avec des données authentiques, et d’analyser des séquences pédagogiques pour mettre en évidence la manière dont le texte littéraire - et les choix didactiques des enseignants s’y référant - contribuaient à faire émerger des dynamiques (inter)culturelles. 1.2.2. Convergences Au-delà de ces différences, de grandes lignes de force se dégagent de ces approches interactionnistes. La notion d’interaction implique une nouvelle perspective épistémologique : nouvelle définition de la communication, nouvelles méthodologies d’enquête, nouveaux objets et problématiques de recherche. Nous revenons dans les pages qui suivent, de manière synthétique, sur les points qui nous ont paru plus particulièrement pertinents au vu de notre objet d’étude - nous reviendrons de manière plus détaillée sur certains d’entre eux lorsqu’il s’agira de les mettre en oeuvre pour l’analyse de notre corpus. a. La notion d’interaction Il convient tout d’abord de s’entendre sur la notion d’interaction elle-même. Issue à l’origine du domaine de la biologie, des sciences de la nature, elle fait référence à un système d’influence mutuelle, qui implique dans un processus d’échange et d’influences mutuelles plusieurs êtres vivants (mutualisme ou parasitisme par exemple). À ce titre, elle met au premier plan «les processus de communication et d’information, les principes de causalité circulaire et de rétroaction, la prise en compte du contexte et de la dynamique propre à chaque système» (Marc et Picard 1989 : 12). Appliquée à la communication humaine, elle peut être définie comme : «toute action conjointe, conflictuelle et / ou coopérative mettant en présence deux ou plus de deux acteurs» : «/Ce terme/ couvre aussi bien les échanges conversationnels que les transactions financières, les jeux amoureux que les matchs de boxe. En un sens, toute action entreprise par un individu, quelle qu’en soit la nature s’inscrit dans un cadre social, une situation impliquant la présence, plus ou moins active, d’autres individus. Dans la mesure où toute action est soumise à des contraintes et à des règles, les actions entreprises par des sujets qui sont en contact sont nécessairement des actions conjointes et relèvent donc de l’interaction.» (Vion 2000 : 17 et sq) On voit ici que R. Vion envisage le terme dans son sens le plus large, puisque sa définition le conduit à conclure que «tout comportement humain, quel qu’il soit, procède de l’interaction» (2000 : 18). Pour notre part, nous nous intéresserons ici de manière plus spécifique aux interactions verbales, désignation qui exprime, pour reprendre les termes de P. Bange, «la volonté de marquer /.../ que l’objet de la recherche est l’emploi de la langue dans la communication» (Bange 1987 : IX). On distinguera aussi à la suite d’E. Goffman l’interaction - qui renvoie de manière générale à «l’influence réciproque que les participants exercent sur leurs actions respectives lorsqu’ils sont en présence physique immédiate les uns des autres» (Goffman 1973 : 23) et une interaction - qui correspond à «l’ensemble de l’interaction qui se produit en une occasion quelconque quand les membres d’une communauté se trouvent en présence continue les uns des autres ; le terme “une rencontre” pouvant aussi convenir». partie 1 - chapitre 1 36 Pour certains chercheurs, la simple co-présence suffit pour initier une interaction. Nous nous intéresserons pour notre part à des interactions qui impliquent aussi l’engagement des interactants, leur focalisation vers un objet commun : «Pour qu’il y ait échange communicatif, il ne suffit pas que deux locuteurs (ou plus) parlent alternativement ; encore faut-il qu’ils se parlent, c’est-à-dire qu’ils soient “engagés” dans l’échange, et qu’ils produisent des signes de cet engagement mutuel.» (Kerbrat-Orecchioni, 1990 : 17-18) Une intersynchronisation : le modèle orchestral La communication multimodale doit être envisagée comme un tout, dont les différentes composantes (verbales, paraverbales, non-verbales) sont en étroite interaction, comme l’illustre la célèbre analyse menée par R. Birdwhistell de la «scène de la cigarette», dont les participants semblent engagés «dans un ballet parfaitement mis au point» (Winkin 2001 : 75). Pour développer cette question de l’intersynchronisation, les interactionnistes ont utilisé plusieurs analogies, souvent empruntées à la musique. Y. Winkin utilise la métaphore de l’orchestre : la communication peut être envisagée comme un «orchestre culturel» sans chef ni partition, où «chacun joue en s’accordant sur l’autre». Dans un autre domaine, P. Bange (1992) emprunte à M. Weber celle de deux cyclistes amenés à se croiser et qui par observation de l’autre, anticipation sur la direction qu’il va prendre, correction de sa propre trajectoire ... évitent la collision. Cette métaphore souligne la dimension systémique de la communication, chacun des éléments (coup d’archet du violoniste...) pouvant être considéré comme une partie d’un tout, dont les différentes composantes sont en interdépendance les unes par rapport aux autres. Elle fait aussi apparaître le travail conjoint par lequel, sans cesse, les membres de l’orchestre se mettent au diapason les uns des autres, s’accordent les uns aux autres. Une des propriétés de toute interaction est ici la coordination des conduites, qui vise à rendre mutuellement accessible le sens des actions et des comportements. Les linguistes emploient généralement le terme de coopération pour rendre compte de cette coordination mutuelle - coordination qui est nécessaire pour que la communication puisse advenir «dès lors qu’on entre en interaction, et qu’on prétend y rester, on ne peut pas ne pas coopérer» (Kerbrat- Orecchioni 1992 : 152-153), P. Grice (1979) a schématisé ce principe de coopération qui caractérise les actions sous forme de ses quatre maximes - maxime de qualité («parlez de façon véridique») - maxime de quantité («parlez dans la mesure de ce qui est nécessaire») - maxime de pertinence («parlez à propos») - maxime de modalité («parlez clairement»). partie 1 - chapitre 1 39 c. L’intégration du sujet parlant dans la communication : dialogisme, polyphonie Cette remise en cause du schéma traditionnel de la communication s’origine en partie dans les travaux relatifs à l’analyse de l’énonciation. Certes, ceux-ci ne sont pas systématiquement associés à une perspective interactionnelle. Comme le remarque C. Kerbrat Orecchioni, la linguistique de l’énonciation, comme la pragmatique, est longtemps restée «confinée dans une perspective fondamentalement monologale, et une conception trop unilatérale de la communication», se focalisant sur le «repérage dans l’énoncé des traces de son énonciation, souvent réduite à son énonciateur» (Kerbrat-Orecchioni 1986 : 15).17 Néanmoins, l’énonciation est «nécessairement, et fondamentalement prise dans l’interdiscours» (Maingueneau 2002 : 231). E. Benveniste lui-même qui définit l’énonciation comme la «mise en fonctionnement de la langue par un acte individuel d’utilisation» (Benveniste 1974 : 80) souligne aussi sa dimension intersubjective : même lorsque le «moi locuteur est le seul à parler », « le moi écouteur reste néanmoins présent ; sa présence est nécessaire et suffisante pour rendre signifiante l’énonciation du moi locuteur» (1974 : 85-86). Il nous a donc semblé important de revenir ici sur ces questions relatives à l’énonciation, cela d’autant plus qu’elles s’avèreront être des outils d’analyse particulièrement pertinents au vu de notre objet de recherche. C’est principalement à partir des travaux menés par le cercle de Bakhtine18 que l’étude de la polyphonie énonciative s’est développée dans le domaine linguistique. Ceux-ci mettent en évidence le dialogisme propre à tout discours : «L'orientation dialogique est /.../ un phénomène caractéristique de tout discours /.../ Le discours rencontre le discours d’autrui sur tous les chemins qui mènent vers son objet, et il ne peut pas ne pas entrer avec lui en interaction vive et intense.» (Bakhtine in Todorov 1979 : 98) Le terme de dialogisme renvoie de manière large «aux relations que tout énoncé entretient avec les énoncés produits antérieurement ainsi qu’avec les énoncés à venir que pourraient produire ses destinataires». (Maingueneau 2002 : 175). La notion connexe de partie 1 - chapitre 1 40 17 Elle fait d’ailleurs «amende honorable» pour avoir adopté elle-même cette perspective monologale dans son ouvrage sur l’énonciation (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 10). Néanmoins, elle distingue bien dans cet ouvrage, deux conceptions de l’énonciation : - l’une restreinte : «recherche des procédés linguistiques (shifters, modalisateurs, termes évaluatifs etc.) par lesquels le locuteur imprime sa marque à l’énoncé, s’inscrit dans le message (implicitement ou explicitement) et se situe par rapport à lui (problème de la distance énonciative» (Kerbrat-Orecchioni 2009: 36) ; - l’autre plus étendue qui se propose «de décrire les relations qui se tissent entre l’énoncé et les différents éléments constitutifs du cadre énonciatif» (Kerbrat-Orecchioni 2009: 34). C’est bien entendu dans cette seconde perspective que nous nous situons. 18 De manière plus large : les travaux menés par le cercle de Bakhtine contribuent à renverser la perspective adoptée sur ces questions, et signent la fin de l’énonciation monologue, acte individuel et gouverné par une conscience individuelle. polyphonie désigne de manière très générale «la présence dans un énoncé ou un discours de ”voix” distinctes de celle de l’auteur de l'énoncé» (Moeschler et Auchlin 2005 : 144). Toute production peut être considérée comme dialogique, et ce même si elle est monologale (= produite par un seul locuteur) «dans la mesure où elle est déterminée par un ensemble de productions antérieures, se présente nécessairement comme une parole adressée, répond à des attentes, implique des efforts d’adaptation et d’anticipation et peut s’intégrer dans le circuit du dire et du commentaire» (Vion 2000 : 31). On peut néanmoins, comme le souligne D. Maingueneau, envisager une gamme de discours qui présentent cette caractéristique de manière plus ou moins accentuée, «selon le degré de présence du discours d’autrui et selon les différentes manières de le représenter que permet la langue» (Maingueneau 2002 : 176). Dans une telle perspective, les discours didactiques - tels ceux qui constituent notre corpus - peuvent être considérés, par leur essence même, comme des discours fortement dialogiques. Ce dialogisme peut être repéré à deux niveaux (Bres 2005 : 52-53)19 : - au niveau interdiscursif, lorsque le locuteur «rencontre les discours précédemment tenus par d’autres sur ce même objet, discours avec lesquels il ne peut manquer d’entrer en interaction». Cela correspond à l’interdiscursivité généralisée que les travaux du cercle de Bakhtine ont contribué à mettre en avant : - au niveau interlocutif lorsqu’il «s'adresse à un interlocuteur sur la compréhension- réponse duquel il ne cesse d'anticiper». On s’intéresse ici aux traces linguistiques qui témoignent de la co-construction du message par le locuteur et l’interlocuteur et du fait que les messages sont le résultat d’un travail de co-construction mené par au moins deux interlocuteurs. Les travaux de J. Authiez-Revuz établissent quant à eux une typologie sur un autre plan, et dégagent deux formes d’hétérogénéité discursive : - celle qui est constitutive de tout discours et «se cache ou se masque derrière les mots, les constructions syntaxiques, les reformulations ou les réécritures non dites des discours seconds» (Maingueneau 2002 : 176-77). - celle qui est «montrée» (Authier-Revuz 1982 : 118), et concerne les discours qui montrent explicitement qu’ils sont traversés par d’autres discours : «la représentation qu’un discours donne en lui-même de son rapport à l’autre, la place qu’il lui fait, explicitement, en désignant dans la chaîne, au moyen d’un ensemble de marques partie 1 - chapitre 1 41 19 Cf. aussi S. Moirand qui distingue le dialogisme intertextuel et le dialogisme interactionnel (Moirand 1990 : 75). Le premier fait explicitement référence «à des discours antérieurs, des discours sources ou des discours premiers», le second «aux discours que l’on prête aux destinataires (ou surdestinataires)». contextes plus vastes dont la connaissance renverserait ou modifierait notre compréhension d’items particuliers.» (Bateson 1971, cité par Winkin 2001: 127) Il peut être vu comme préexistant à la communication et la déterminant, ou bien comme construit dans et par les échanges eux-mêmes. Nous nous situons dans une perspective qui pose « l’importance du contexte » et reconnaît que «l’activité langagière est un phénomène social à double titre : elle est déterminée par le contexte social, et c’est en soi une pratique sociale» (Maingueneau 2002 : 136). En outre, toute interrogation sur la dimension culturelle des échanges nous ramène à la définition du contexte (cf. infra chap. 2, pp. 85-91). De la subjectivité à l’intersubjectivité : sujet social Cette place accordée au contexte, à la dimension sociale affecte la conception du sujet. » Est battue en brèche la «théorie mentaliste» (Vion 2000 : 21) selon laquelle la communication «se trouve appréhendée comme l’expression individuelle d’une volonté consciente».23 Des travaux comme ceux du cercle de Bakhtine «/inversent/ la vapeur» entre intérieur et extérieur. entre expression et activité mentale, On pose que c’est la première qui modèle la seconde : «Le centre nerveux de toute énonciation, de toute expression, n’est pas intérieur, mais extérieur : il est situé dans le milieu social qui entoure l’individu.» (Bakhtine cité par Vion 2000 : 26) Tout un pan des sciences humaines (E. Goffman, G.-H. Mead, l’école de Chicago, A. Schütz et la phénoménologie) met en évidence la dimension sociale du moi et fait passer au second plan sa dimension psychologique. Le «soi» n’est plus une substance singulière mais une structure sociale qui résulte des interactions, de l’interrelation entre sujets. La communication est prise en compte dans sa dimension intersubjective : «Les sciences humaines semblent désormais travailler avec un sujet social ou avec un individu socialisé et n’opèrent donc plus à partir du sujet “psychologique” ou “individuel”. L’interaction constitue dès lors une dimension permanente de l’humain de sorte qu’un individu, une institution, une communauté, une culture s’élaborent à travers une interactivité incessante, qui sans s’y limiter, implique l’ordre du langage.» (Vion 2000 : 19) partie 1 - chapitre 1 44 23 V. Rivière file la métaphore de l’orchestre et évoque au sujet de cette représentation de la communication un membre de l’orchestre qui se contenterait d’élaborer sa partition «dans sa tête avant de la jouer, sans forcément tenir compte de ses pairs» - ce solipsisme mettrait en péril le principe même de la communication. e. L’élaboration du sens Le sens du message : produit d’un travail conjoint Autre changement d’importance dont sont porteurs les travaux interactionnistes : la manière de concevoir le «sens» du message et sa circulation. L’interaction verbale «ne saurait être réduite à la stricte transmission et réception d’une information» (Vasseur 2005 : 155). Le sens n’est plus extérieur à l’interaction elle-même, attendant d’être «/extrait/ de l’enveloppe signifiante où il se trouverait sagement enclos» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 28). Il n’est pas non plus projet et produit de L1, et sa compréhension n’est plus simple restitution d’un message encodé au préalable. Certes, bien évidemment, des règles linguistiques «préexistent à l’échange et le sens ne naît pas ex nihilo, mais la clé qui permet de décoder le message est, en partie du moins, construite dans le déroulement de l’interaction» (ibid.) et naît de ce « travail collaboratif » (ibid.) dans lequel sont engagés les interlocuteurs. Il doit être reconstruit «au terme d’un calcul interprétatif complexe» (ibid.). «L'interaction pouvant alors être définie comme le lieu d’une activité de production du sens, activité qui implique la mise en oeuvre de négociations explicites ou implicites, qui peuvent aboutir, ou échouer.» (Kerbrat-Orecchioni 1990 : 28-29) Est ici battue en brèche une conception classique du langage qui se bornerait à représenter passivement le monde, à être un simple outil de communication véhiculant une expérience qui existerait en dehors de lui. Au contraire, le langage est vu comme participant activement à la construction de significations, qui n’existent pas en dehors de lui, ni en dehors du travail mutuel des sujets engagés dans la communication. De la même manière, il n’est pas non plus projet du seul locuteur qui le mûrit en son for intérieur : «L’élaboration verbale du sens /.../ n’est pas une simple “mise en mots“, même si les premiers contacts dans la langue étrangère tendent à entretenir cette conception du langage comme transparent et homologique de la réalité évoquée, unité par unité.» (Vasseur 2005 : 155) Ces conceptions interactionnistes postulent qu’il n’y a pas de «message tout fait X. Il se forme dans le processus de communication entre A et B. Ensuite il n’est pas transmis par l’un à l’autre, mais construit entre eux, comme un pont idéologique, il est construit dans le processus de leur interaction» (Todorov cité par Maingueneau 1991 : 154). On peut rapprocher cela des travaux de M. Bakhtine, pour qui la compréhension est une forme de dialogue : elle «n’est pas dans le mot ni dans l’âme du locuteur, non plus que dans l’âme de l’interlocuteur /.../ elle est à l’énonciation ce que la réplique est à la réplique dans le dialogue. Comprendre, c’est opposer à la parole du locuteur une contre- parole» (Bakhtine 1977 : 146 - 64). partie 1 - chapitre 1 45 Intercompréhension et contextualisation Les travaux interactionnistes mettent en évidence que le travail d’interprétation que doivent accomplir les interactants ne porte pas seulement sur des significations linguistiques. Ils doivent aussi interpréter de manière pertinente la situation et l’activité qu’ils sont en train d’accomplir de manière conjointe. «Cette interprétation constitue l’occupation constante des interactants qui confrontent, comparent, ajustent leurs discours dans une co-interprétation qui se forme tout au long du dialogue.» (Vasseur 2005 : 155) Ce processus d’intercompréhension est particulièrement important dans le cas d‘interactions interlingues comme celles de notre corpus (cf. infra p. 59-61) ; il s’effectue par de nombreux moyens, notamment via le travail que J. Gumperz a nommé contextualisation (1989). Il implique aussi que la communication est le lieu où circule, se co-construit de manière incessante un ensemble de représentations - de soi, de l’autre, du contexte. Ces éléments participent notamment à la constitution de ce que M.-T. Vasseur nomme « imaginaire dialogique » (2005) : «cet ensemble d’“idées“ que chacun de nous se fait intuitivement quant au fonctionnement de son interlocuteur dans le dialogue qu’ils construisent ensemble» et qui englobe : «- l’image que chaque locuteur se fait de l’autre - l’image qu’il se fait de la tâche - l’image qu’il se fait de la situation - enfin l’image qu’il se fait de ce que l’on peut faire avec le langage.» (Vasseur 2005 : 106) Pour conclure et synthétiser notre propos, nous pouvons revenir sur cette définition de l’interaction donnée par M. Cambra Giné : l’interaction est «événement communicatif mutuellement construit par les acteurs». De plus : «par l’interaction chacun apprend et produit des conduites sociales acceptées par la communauté et attribue un sens culturel aux pratiques langagières. Les interactants sont co responsables de la construction et la négociation du sens ; ils se font une représentation de la situation de développement des attentes quant au type d’interaction à laquelle ils participent , aux finalités des interlocuteurs, à leurs rôles interactionnels et leur positionnements sociaux respectifs.» (Cambra Giné 2003 : 69) Ainsi, dès à présent nous pouvons retenir quelques-uns des points qui, dans ces travaux interactionnistes, seront particulièrement utiles à nos travaux : - la conception de la construction du sens comme un travail conjoint - et la place donnée à la négociation du sens, puisque toute interaction « autour » de textes littéraires consiste à co-construire le sens de ce texte ; - le déterminisme réciproque du social / et du sujet, qui se définissent mutuellement, dans et par l’interaction - ce qui implique de rejeter une définition de la culture (et de l’identité culturelle) comme des éléments pré-définis de manière immuable ; partie 1 - chapitre 1 46 aussi passé d’une attention quasi exclusivement portée à la pratique enseignante27 à la prise en considération de la dynamique des échanges entre l’enseignant et les apprenants, entre les apprenants eux-mêmes. Bref, la classe y est envisagée comme «un lieu socialisé, où s’établit un échange actif entre des partenaires ayant leur place dans l’interaction» (Cicurel 2002a). L’oral et les interactions langagières dans la classe peuvent néanmoins être abordées de différentes manières. Si l’on se réfère à la classification établie par E. Nonnon (1999), ainsi qu’à celle de J.-F. Halté (2008 : 67 sq.) qui reprend et complète la précédente, on voit que l’on peut dégager trois grands types d’approches : - La première envisage la classe - et les échanges qui y ont cours - comme un espace où se (co)construit la réalité sociale. Pour E. Nonnon, ce « premier contexte de questionnement » est : «celui du fonctionnement de la classe et de l’école comme un lieu social où la circulation de la parole est inséparable des représentations réciproques, des relations de pouvoir, des habitus et des appartenances culturelles : il correspond à la dimension identitaire, relationnelle, sociale de l’enseignement. Le terme oral signifie ici l’ensemble des interactions verbales par lesquelles se mettent en place la communauté scolaire, les rapports au savoir et les contrats didactiques, les relations d’identification, d’affiliation ou de rejet, c’est-à-dire l’ensemble des conditions qui rendent possibles les apprentissages spécifiques.» (Nonnon 1999 : 91 ) L’établissement scolaire et la classe sont ici considérés comme des institutions sociales : on s’intéresse à «la communication-en-général» et aux «apprentissages incidents» (Halté 2008 : 67). Les travaux qui se rattachent à ce type d’approche s’ancrent plutôt du côté de l’ethnographie de la communication, de la micro-sociologie. Il s’agit ainsi d’envisager la classe «comme lieu de parole et de socialisation» (Cicurel 2002a : 4) - et de voir ce qui en fait, à ce titre, la spécificité. C’est en ce sens que V. Bigot parle ici d’une approche «typologique» (2002 : 67) des approches des échanges langagiers dans la classe : les travaux qui s’inscrivent dans ce premier ensemble essaient de comprendre ce qui caractérise les discours et interactions produits dans la classe, en ayant notamment recours à «une démarche comparative qui consiste à comparer ce qui se passe dans la classe à ce qui se passe dans d’autres situations (ibid.). - La seconde approche se situe au niveau «des apprentissages de toutes disciplines» et l’oral y est invoqué «comme un médiateur privilégié de la construction de connaissances et de démarches intellectuelles» (Nonnon 1999 : 90). La perspective qui domine ici est celle de questions liées à l’acquisition apprentissage - et les travaux sont plutôt le fait de psycholinguistes et de psychologues. On s’intéresse au rôle de l’oral et des échanges langagiers dans la structuration des apprentissages (V. Rivière parle de l’oral «pour partie 1 - chapitre 1 49 27 Par exemple la grille de Flanders. apprendre» 2006 : 68), au «rôle de la verbalisation et des interactions dans la construction des savoirs et savoir-faire» (Halté 2008 : 68).28 - Au troisième niveau, la question de l’oral «renvoie à l‘acquisition de compétences langagières spécifiques». On se place ici sur le terrain d’une didactique de l’oral (d’un « oral à apprendre » pour reprendre la formule de Rivière 2006 : 68). Il s’agit à la fois d’analyser les spécificités de genres oraux, et de modéliser leur apprentissage à travers des démarches d’enseignement. J.-F. Halté évoque ici des préoccupations relatives aux «savoirs linguistiques et discursifs spécifiques» à l’oral (2008 : 69). On peut prendre comme exemple des travaux comme ceux de B. Schneuwly et J. Dolz (1998), qui s’intéressent aux genres du débat ou de l’exposé oral. Nous laisserons ici de côté la troisième position, qui ne correspond pas à nos propres questionnements, même si on observe dans notre corpus que le travail mené autour des textes littéraires est effectivement pour certains enseignants l’occasion de travailler des genres oraux, comme le débat collectif ou plus nettement encore l’exposé29. Notre travail s’ancre de manière évidente dans le premier ensemble de travaux. En effet, nous souhaitons étudier la dynamique des échanges conduits autour du texte littéraire en classe de langue, afin d’y examiner comment, à l’occasion de cette lecture collective, circulent des savoirs et des représentations sur la culture (les cultures) des apprenants, la culture (les cultures) mises en textes, et se construisent les positionnements identitaires des apprenants (et de l’enseignant). La seconde perspective correspond aussi à certaines de nos interrogations, puisque les échanges menés autour de l’oeuvre sont aussi le lieu dans lequel / par lequel se (co) partie 1 - chapitre 1 50 28 Dans la cartographie des différents travaux relatifs aux interactions verbales en classe de langue qu’elle établit, V. Bigot montre que les frontières entre la première et la seconde perspective peuvent être moins nettes qu’il n’y paraît au premier abord : ainsi, dans le premier type de questionnement, la question de la transmission de savoir et de savoir-faire est présente, attendu qu’elle «constitue l’enjeu premier de la communication didactique, et, partant, joue un rôle fondamental dans son développement» (Bigot 2002 : 53). Cependant, «ni l’évaluation des modes de transmission, ni la compréhension des modes d’appropriation dans l’interaction» (ibid.) n’y sont réellement questionnés. Par ailleurs, il s’agit aussi d’un partage des champs de recherche entre différentes équipes et traditions universitaires : elle oppose ainsi d’une part une approche acquisitionniste, développée en Suisse, qui se situe dans un positionnement ethnométhodologique affirmé, et manifeste une «grande prudence» vis-à-vis de toute théorisation forte, et d’autre part une approche discursive- interactionnelle, qui s’est développée en France, mais aussi au Canada, et réunit des travaux plus divers, qui trouvent leur ancrage du côté de la linguistique et de l’analyse du discours (par ex. : Cicurel 1985, Germain 1993, Dabène 1984, Boissat 1991). Il reste que, comme elle l’observe, certains travaux, ceux de L. Gajo et L. Mondada par exemple, se situent bien à la confluence de ces deux approches distinguées par E. Nonnon - comme on le voit lorsqu’ils écrivent : «nous aimerions décrire le territoire scolaire par rapport à ses principes récurrents, à des spécificités /../ il devrait permettre d’une part de revenir de façon plus nuancée sur la question de la plasticité contextuelle et de la variété des contextes à l’école, et, d’autre part, de mieux comprendre le positionnement des élèves et des enseignants dans les interactions en classe» (Gajo et Mondada 2000, cités par Bigot 2002 : 54). 29 Cela apparaît clairement dans la séquence de cours de P-Isabelle que nous avons suivie : chaque étude d’un roman ou d’une oeuvre littéraire est l’occasion de plusieurs exposés, dont la méthodologie a été posée en amont des cours. construit sa signification, et se (co) construisent des savoirs et des représentations - dont certains sont en lien avec la culture sous toutes ses formes, comme nous l’avons précédemment évoqué. Il n’en reste pas moins que notre objet premier n’est pas de comprendre et d’évaluer quels sont les savoirs (sur le texte, la littérature, la culture...) acquis dans et par l’interaction - ni quels sont les modes de cette acquisition. Nous verrons aussi que certains des échanges que nous avons recueillis sont le lieu de négociations relatives à la nature même de ce qui doit en être l’objet d’acquisition : ces cours ont-ils pour visée des savoirs ou des savoir-faire sur la langue ? Sur la littérature ? Sur la culture ? Nous retrouverons dans la dynamique même des échanges les tensions propres au traitement du texte littéraire en classe de FLE que nous allons évoquer, avec une perspective méthodologique, dans la deuxième partie de notre travail. 2.2. Caractéristiques typologiques des échanges langagiers en classe Nous allons ici essayer de relever les principales caractéristiques de ce type particulier que sont les interactions en classe - et plus particulièrement en classe de langue. V. Bigot (2002) précise que la typologie que l’on peut établir est à mettre en rapport avec trois variables : - tout d’abord la dimension didactique des discours : on tient ici une dimension transversale qui a trait au point commun de tous les discours de classe, dont la finalité première est la transmission de savoirs et savoir-faire ; - ensuite, une variable conséquente est la matière enseignée : à cet égard, notre corpus s’inscrit dans le domaine des interactions propres aux classes de langue, et ressortit aux travaux menés sur la communication exo / interlingue ; il renvoie aussi aux spécificités des interactions qui visent à commenter un texte littéraire ; - enfin, un troisième pôle est ici celui du contexte propre et de ses spécificités : nous avons ainsi recueilli des données dans deux contextes différents ; deux centres de langue universitaires versus une université, un contexte homoglotte où le français est langue étrangère pour des apprenants versus un contexte où le français est langue seconde. 2.2.1. Un discours artificiel, ou bien naturel ? La distinction qui a été faite pendant longtemps entre interactions en contexte scolaire / et non scolaire était celle entre discours artificiels versus naturels, distinction qui est aujourd’hui considérée comme obsolète. L’accent a été mis sur le fait que toutes les interactions - à l’instar des interactions didactiques - voyaient peser sur elle un certain nombre de contraintes - ce que met en évidence D. Coste, dans un article où il s’interroge justement sur «les discours naturels de la classe» : «Tout lieu social comporte ses normes, toute pratique institutionnalisée fait appel à des routines, toute communication sociale obéit à des rituels. Prise dans l’institution partie 1 - chapitre 1 51 peut même demander aux étudiants de le ratifier). Il peut aussi, à certains moments, s’avérer nécessaire de le redéfinir, voire de le renégocier, lorsqu’il est enfreint, mal compris, contesté. Ainsi, une partie du contrat préexiste à l’interaction de classe, et naît des attentes et des représentations réciproques que le contexte fait naître.34 Mais il est aussi forgé au cours de l’histoire interactionnelle, dans la dynamique des échanges et l’accomplissement local des rôles. Un des clauses récurrentes des contrats établis dans une classe de langue concerne le statut que peut y prendre la langue maternelle (contrat codique). Dans notre corpus, on voit ainsi une enseignante, P-Jennifer, rappeler à plusieurs reprises le bannissement de cette langue de la classe. À l’ouverture de la séquence, elle signifie par exemple aux apprenants qu’ils ne devront en aucun cas annoter l’exemplaire du livre étudié dans une autre langue que le français. Et dans la séquence suivante, on la voit être obligée de rappeler cette règle, lorsqu’une étudiante, qui ne parvient pas à trouver un mot en français (un terme pour qualifier le personnage de la nouvelle), propose son équivalent en chinois. Néanmoins, on voit que cette règle est de facto assouplie, P-Jennifer étant amenée à accepter la collaboration qui se met en place entre les étudiants pour aider E-An à trouver le mot juste en français : 590 E-An parce que c’est tout à fait in- l’inverse donc ++ elle est *[ ʧœ ]* (éclat de rire général) 591 P-Jennifer alors en français + elle est comment ↑ 592 E-Tatiana (rires) non 593 E-An c’est hmm 594 E-Mi Sook capricieuse 595 E-An non 596 P-Jennifer capricieuse ↑ 597 E-Tatiana quelqu’un a compris le chinois qu’est-ce qu’il voulait dire + peut être que vous avez solution parce qu’elle comprend elle comprend quand même (plus bas) elles comprennent *[ ʧœ ]* ++ 598 P-Jennifer (ton agacé) en français / essayez d’expliquer / OUI elle a changé / enfin elle a changé ↓ / oui d’accord mai::s ++ 599 E-An pour exemple / par exemple / quand les gens/ quand les gens traitent les gens riches euh 600 E-Mi Sook &AH oui ↑ / on a déjà appris ça / euh 601 E-Tatiana c’est pas discrimination c’est ça ↑ 602 E-An euh / communication dans cours communication 603 P-Jennifer alors Nous observerons aussi, en lien plus spécifique avec notre problématique, que le contrat fixant les objectifs assignés à la lecture du texte littéraire est à certaines occasions le lieu de nombreuses négociations / redéfinitions : lorsque par exemple, dans le cours de P- Béatrice, la finalité qu’elle assigne au texte littéraire (travail du lexique, de champs lexicaux) partie 1 - chapitre 1 54 34 «Une part majeure sinon la totalité de la définition de la relation enseignant / apprenant est en effet préconstruite et tenue pour acquise par les partenaires avant même que ceux-ci ne s’engagent dans une interaction-classe. Ils sont liés par un contrat de devoir et de droits réciproques qui suscite chez l’un comme chez les autre un certain nombre d’attentes et de représentations» (Boissat 1991 : 263). semble aller à l’encontre des attentes des élèves eux-mêmes, on assiste de la part des étudiants à une tentative (vaine) d’en renégocier les termes (cf. chap. 10 pour des analyses plus détaillées de ces négociations). Autre caractéristique, la communication en classe est, par définition asymétrique. M. Cambra Giné évoque : «une interaction asymétrique ou inégalitaire où un participant fort, détenteur du savoir et du pouvoir, est investi de droits et d’obligations professionnelles, où les rapports de place sont institutionnellement et culturellement établis, les élèves n’ayant pas certains droits, comme par exemple celui de prendre l’initiative des activités, des ouvertures, ni des clôtures.» (Cambra Giné 2003 : 70) Les relations qui s’établissent entre les participants sont inégales ; leurs statuts et rôles y sont bien différenciés. Comme le rappellent D. Moore et D.-L. Simon, le contrat didactique «fixe certains droits et obligations. Il positionne les acteurs sur un axe expert-non expert, selon une distribution surtout verticale du savoir, qui ordonne les orientations des prises de parole et le contrôle du discours» (Moore et Simon 2002 : 123). Il y a aussi une relative symétrie entre les apprenants eux-mêmes. Cette asymétrie des compétences reste néanmoins à relativiser dans la classe de langue où la grande diversité des thèmes abordés fait que les apprenants peuvent, dans certains domaines de compétence, se révéler plus performants que l’enseignant lui-même. C’est notamment le cas des échanges menés «autour» des textes littéraires. On peut penser au cas (qui ne se présente pas dans notre propre corpus) où un étudiant aguerri à l’analyse littéraire se trouverait face à un enseignant de langue lui-même plutôt mal à l’aise face à ce type de texte. Mais les enseignants peuvent aussi ne pas connaître très bien l’univers dans lequel se déroule le texte ; l’encyclopédie de l’enseignant-lecteur s’avérer moins fournie, ou moins adaptée que celle de l’étudiant lecteur, ce qui donne lieu à d’éventuels renversements des rôles d’expert et de non-experts. Nous verrons plus précisément dans notre corpus que la lecture de textes littéraires francophones, qui se déroulent dans des contextes souvent peu familiers à des enseignants «hexagonaux», provoquent fréquemment de telles redistributions. Une autre notion est nécessaire pour décrire les spécificités de la classe de langue (et de tout autre classe) : celle de rituel. La communication en classe de langue, si elle est naturelle, n’en est pas moins extrêmement ritualisée (Coste 1984) et présente un certain nombre d’éléments invariants. Les échanges qui s’y déroulent sont en partie codifiés, routinisés et le cours peut être vu comme un scénario dont les interactants connaissent une grande partie du script : «Pour définir comme “classe” une rencontre entre des personnes ayant pour objet l’apprentissage d’une L2, des rituels particuliers semblent nécessaires, qui séparent cet événement du cours normal des autres événements : par exemple des comportements stéréotypés spéciaux en ouverture et en clôture de la rencontre, des dispositions spatiales constantes ou du moins récurrentes, l”usage systématique de certaines routines interactives, la présence d’une étiquette pour définir tel ou tel événement communicationnel.» (Pallotti 2002 : 175) partie 1 - chapitre 1 55 Ces caractéristiques de la classe (visée didactique, dimension rituelle, asymétrie) se manifestent ainsi à différents niveaux. - L’organisation spatiale de la classe, tout d’abord : même si la disposition des tables et des chaises peut varier, il n’en reste pas moins que la place occupée par l’enseignant reste souvent «une zone qui concentre la direction des regards et des échanges et renforce le caractère hiérarchique des relations» (Cambra Giné 2003 : 74). Les places respectives des uns et des autres dans la classe sont relativement fixes, traduisent (et déterminent) celles qui sont occupées dans l’interaction. Tout changement de place est généralement codifié, et correspond à une finalité (nouvelle phase dans une activité, qui modifie elle aussi le cadre participatif : passage d’un étudiant au tableau par exemple). À l’exception des cours donnés par P-Annie, dans lesquels les apprenants travaillent en petits groupes parmi lesquels circule l’enseignante, nous avons ainsi observé des classes dans laquelle la disposition spatiale restait frontale (l’enseignant à côté du tableau, face à ses étudiants) - faisant écho à une circulation de la parole où dominait souvent celle du maître. - On observe aussi que le contrat didactique (au sens large) se marque aussi par une clôture spatiale rituelle de la classe : le cours se déroule le plus souvent portes closes, dans un espace ainsi précisément circonscrit. On pourra ainsi se reporter dans notre corpus à toutes les séquences parenthétiques initiées par une ouverture intempestive de la porte de la salle de classe (courant d’air, personne se trompant de salle) dont on voit bien qu’elles marquent bien la nécessité d’une réparation par rapport à un ordre symbolique établi (excuses, humour). - Cette relative fixité se retrouve aussi sur le plan temporel. Les rencontres entre l’enseignant et les élèves ne sont pas ponctuelles et se font généralement à heures fixes, selon un planning régulier et prédéterminé, qui est souvent rappelé à plusieurs reprises aux cours des échanges (rappel de la périodicité des cours lors de la première séance, du prochain «rendez-vous» dans chaque séquence de clôture). 2.2.3. Organisation de la parole et de la communication La manière dont la parole et la communication s’organisent dans la classe sont elles aussi très caractéristiques. Le cadre participatif, qui renvoie aux rapports de place, à la spécificités des rôles interactionnels des participants, mais aussi aux modes de circulation de la parole, est fortement déterminé par le contexte de la classe35. partie 1 - chapitre 1 56 35 On distingue ainsi habituellement (Cambra Giné 2003 : 72) : - le cadre de participation qui renvoie à «la façon dont s’organise la scène de l’interlocution, aussi bien par rapport à la prise de parole et les transitions, que le comportement des interlocuteurs et les rôles communicatifs qu’ils assument dans la gestion de l’interaction» ; - et les rôles interlocutifs qui «sont plus mobiles et peuvent varier selon les configurations interlocutives particulières qui se nouent et se dénouent au fil de la classe, et font partie du contexte localement construit. Qui regarde qui ? qui écoute qui, qui s’adresse à qui, quand, comment, pour combien de temps ? Qui prend ou cède l’initiative d’entrer en scène ?». On observe donc que l’enseignant transmet des savoirs, gère le déroulement de l’interaction (notamment en ouvrant, clôturant les échanges, en distribuant la parole), expose la planification des activités (annonce ce qui va être fait, fait référence à ce qui a été fait), hiérarchise les informations, se fait comprendre et fait comprendre, évalue, maintient l’attention des étudiants. L’interactant étudiant voit lui aussi certains rôles lui échoir de manière préférentielle : «il se doit de produire du langage, de montrer qu’il sait parler, qu’il a acquis des connaissances langagières, et qu’il les teste dans son activité discursive. il lui incombe de se soumettre aux règles du rituel pédagogique sous peine de «sanctions» (Lauga-Hamid dans Dabène 1990 : 56) L’organisation globale des interactions didactiques est soumise à des régularités repérables. Contrairement à ce qui est de mise dans d’autres contextes, l’ouverture et la clôture ne sont pas laissées à l’appréciation des interactants, elle ne sont pas (ou très peu) négociables. La parole de l’enseignant a valeur performative pour décréter que le cours commence ou est terminé, bien qu’elle soit aussi contrainte par le planning de la formation, cadre temporel qui détermine le début et la fin de chaque cours. La structure tout entière de l’interaction est elle aussi en partie prévisible - s’y succèdent différents types de séquences pour la description desquelles différents modèles hiérarchiques de l’analyse du discours didactique - que nous examinerons ultérieurement - ont été proposés. Au-delà de leur variété, ils visent à mettre à jour la structure sous-jacente de tout cours. 2.2.4. Planifié / émergent Cette structuration des interactions didactiques est en grande partie prédéterminée : le cours se déroule en effet selon un scénario «prémédité unilatéralement par l’enseignant», et «élaboré dans un cadre de réflexion didactique plus ou moins rigide» (Bigot 2002 : 81). Celui-ci est relatif à de larges unités (organisation macro d’une séquence), comme à de plus petites (déroulement interne d’une activité), et concerne l’organisation tant structurelle (telle activité avant telle autre) qu’interactionnelle (travail en petits groupes puis reprise collective par ex.). Le chercheur a la possibilité d’en prendre connaissance : - dans l’interaction elle-même, via des commentaires métacommunicatifs ou didactiques de l’enseignant (annonce faite en début de cours de ce que sera son déroulement, éclaircissements apportés sur les activités effectuées, en train ou à venir). Sur ce plan, les interactions didactiques se caractérisent par l’exhibition de leur organisation, la verbalisation de ce caractère prémédité, et de nombreuses marques de bornages explicites y sont repérables. - par des données complémentaires recueillies en amont (fiches de préparation du cours) ou en aval (explications données lors d’un entretien d’auto-confrontation par ex.) partie 1 - chapitre 1 59 Néanmoins, les interactions didactiques ne sont pas complètement subordonnées à un modèle qui fixe une fois pour toute leur structure. Leur organisation varie grandement selon les cours, les activités etc.... Et tout ne relève pas non plus de la mise en oeuvre d’un scénario défini au préalable. La dynamique propre des échanges instaure du jeu dans ce qui avait été initialement prévu, des marges de liberté se dégagent, des «déritualisations»40 (Moore et Lee-Simon 2002) et une part «d’improvisation» (Cambra Giné 2003 : 71) sont toujours possibles : «On prête volontiers à l’enseignant des intentions planificatrices – il sait où il va, il suit un programme – mais à le suivre dans la confrontation constante avec le dire de l’autre, on découvre qu’il a aussi recours à la ruse, à la nécessité d’inventer sur le champ, de faire avec, d’imaginer des solutions dans l’immédiateté de l’échange.» (Cicurel 2011b : 149) Comme R. Vion le met en évidence, les stratégies interactionnelles mises en oeuvre «sur le terrain en fonction de la dynamique particulière des échanges» et les «lignes d’action conjointes effectivement constatées par l’analyste une fois l’interaction achevée /.../ ne sauraient correspondre aux buts préalablement poursuivis ni à la conscience que les sujets ont de ce qui vient de se passer» (Vion 2000 : 196). Toute interaction dans la classe se construit donc dans la tension entre - une part planifiée, qui correspond au scénario tel que l’enseignant l’a construit au préalable ; - une part émergente, qui renvoie à ces réajustements, ces réorientations qui surviennent dans le hic et nunc de l’interaction (Cicurel 2005) Pour conclure, nous reprendrons à notre compte cette définition à la fois claire, synthétique et complète que M. Cambra Giné donne des échanges en classe de langue étrangère : «Une classe de LE peut être définie comme une interaction complémentaire (bien qu'elle puisse avoir des épisodes symétriques), à la fois coopérative et compétitive, avec des finalités externes importantes (comme le succès dans l’apprentissage et la gratification symbolique et sociale que cela suppose), avec des finalités internes telles que l’intercompréhension et la qualité des liens et, finalement, de nature plus ou moins formelle. Une classe de LE diffère donc d’une conversation par son caractère spécialisé, asymétrique et institutionnalisé, par un degré moindre d’imprévisibilité, par ses rapports de place fixés et prédéfinis, par son organisation hiérarchique, par son caractère formel, par des règles contractuelles, implicites et explicites et, enfin, par une double finalité essentiellement externe : un objectif de communication et le but d’acquérir, par ce biais, une compétence en langue cible (la communication étant mise au service de cette dernière finalité.» (Cambra Giné 2003 : 70) partie 1 - chapitre 1 60 40 Des moments de « déritualisation » au cours desquels un ou des apprenants peuvent intervenir, selon leur propre dynamique, curiosité et motivation d’apprentissage, à l’intérieur de la programmation et de la visée d’enseignement et influer sur son cours (Coste 2002). 2.3. La classe de langue : des interactions exo / interlingues Autre caractère propre aux interactions qui constituent notre corpus, elles présentent un caractère exo / interlingue, sur lequel nous revenons à présent. 2.3.1. La communication exolingue / interlingue : un essai de définition Toutes les interactions réunies dans notre corpus se déroulent entre des interactants dont une partie (voire tous) n’a pas le français pour langue maternelle. R. Porquier qualifie d’«exolingue» (1984) ce type de situation41 qui présente les caractéristiques suivantes : « - Les participants ne peuvent ou ne veulent communiquer dans une langue maternelle commune (...) ; - les participants sont conscients de cet état de chose; - la communication exolingue est structurée pragmatiquement et formellement par cet état de choses et donc par la conscience et les représentations qu'en ont les participants; - les participants sont, à divers degrés, conscients de cette spécificité de la situation et y adaptent leur comportement et leurs conduites langagières.» (Porquier, 1984, pp. 18-19). Les très nombreuses études relatives aux mécanismes des communications exolingues (Porquier 1984, et De Pietro 1988 etc. ...) ont contribué à mettre en évidence les conséquences des divergences entre les répertoires linguistiques des interactants, les difficultés qui en découlent, les différentes stratégies conversationnelles qui sont mises en place pour que l’échange puisse se dérouler : «Dans une interaction exolingue, les participants peuvent se sentir plus ou moins impliqués dans une entreprise de réduction de l’asymétrie linguistique, et cette éventuelle implication se manifeste par des comportements plus ou moins typés d’enseignement- apprentissage. Les séquences dans lesquelles on repère ce type de comportement ont été dénommées SPA (séquences potentiellement acquisitionnelles) par De Pietro, Matthey & Py (1989), et elles présupposent un processus de bifocalisation (Bange, 1992) sur la forme et sur le contenu.» (Bronckart 2005 : 145) Néanmoins, l’adjectif exolingue, qu’il qualifie une situation, une conversation, une interaction, n’est pas sans poser un certain nombre de problèmes. Le locuteur est vu comme «quittant une langue pour en utiliser, en apprendre une autre» (Vasseur 2005 : 69), dans un mouvement «externe, exogène entre deux entités indépendantes» (Vasseur 2005 : 70). Ce terme s’avère porteur d’une représentation de la communication qui serait, par défaut, monolingue et ne rend pas compte de «l’inévitable circulation des langues qui innervent tout naturellement le dialogue» (ibid.). Pour ces raisons, à la suite de M.-T. Vasseur, nous préférerons donc la dénomination d’interlingue à celle d’exolingue : le préfixe inter insiste sur les «entrecroisements de partie 1 - chapitre 1 61 41 NB : dans les travaux de R. Porquier, «exolingue» désigne d’abord un type de communication - celle qui «s’établit par le langage par des moyens autres qu’une langue maternelle éventuellement commune aux participants » (Porquier 1984 : 18-19) - puis une forme de situation. thématique et le niveau métalinguistique (Bange 1992) : de nombreux glissements se produisent ainsi au sein de la classe de langue, du topic vers le cadre et réciproquement.44 Dans une conversation entre locuteurs partageant la même langue 1, les participants se focalisent généralement sur l’objet thématique ; en revanche, dans le cas des échanges de la classe de langue, la focalisation se fait aussi - et parfois prioritairement - sur le code. Les interlocuteurs le font non seulement pour parer à «l’éventuelle apparition de problèmes de réalisation de la coordination des activités de communication» (Bange 1992 : 56) mais aussi parce que l’objet même de leurs échanges est l’acquisition d’une langue 2.45 On peut même parler de trifocalisation des échanges en classe de langue, au cours desquels le déroulement et la structuration de l’interaction elle-même se trouvent fréquemment thématisés (Cicurel 1994). L’enseignant régule sans cesse les échanges ; il exhibe la structuration du cours, rend manifeste la planification des activités, et si nécessaire leur dé / replanification. - La classe de langue se caractérise enfin par une grande diversité des thèmes et des contextes qui peuvent être convoqués dans la classe. Tout d’abord, les thèmes abordés peuvent être très nombreux, et ne pas respecter le «devoir de réserve» qui pourrait être de mise dans une situation publique comme celle de la classe. F. Cicurel (1993 citée par Bigot 2002 : 71) montre ainsi qu’un apprenant peut se voir demander «combien de chemises» il utilise par jour - sans que sa face soit mise à mal. En effet : «même lorsqu’il semble que la focalisation soit explicitement sur le fond, il y a comme une focalisation latente sur la forme qui atténue la force des énoncés et leur enlève leur sérieux.» (ibid.) Cette diversité thématique ressortit aussi à ce que F. Cicurel nomme le «double cadrage» ou le «double cadre de l’expérience» qui prévaut au sein de la classe de langue. En effet, si l'on considère la classe comme le «cadre primaire» au sens goffmanien (= lieu naturel où des sujets sociaux sont en interaction), on voit que la classe de langue s’ouvre à partie 1 - chapitre 1 64 44 F. Cicurel souligne ainsi qu’à côté de glissements de la focalisation du contenu vers le code, on trouve aussi des mouvements inverses : « le fait qu’on travaille sur une matière qui est un moyen de communication se manifeste par la fréquence de glissements d’échanges portant sur la forme vers des échanges dont le contenu n’est plus le code mais autre chose, comme l’opinion de la personne qui parle, des remarques humoristiques sur ce qui vient d’être dit, des réactions spontanées» (Cicurel 1990 : 41). 45 Ces séquences latérales focalisées sur le code, l’ajustement réciproque du sens, ont été qualifiées de SPA (séquence potentiellement acquisitionnelles) par certains chercheurs (De Pietro Matthey et Py 1989). Ces échanges «où le natif, à l’occasion d’un obstacle, le plus souvent lexical, guide le non natif, sinon dans son processus d’acquisition, du moins dans la production et la compréhension au cours même de l’interaction donnée» (Trévise 1992 : 97) sont envisagés comme potentiellement acquisitionnels et constituent du moins des «observables linguistiques» (De Pietro Matthey et Py 1989) de l’acquisition en cours . Nous ne reviendrons cependant pas ici sur les procédés discursifs qui caractérisent ces SPA (demande de clarification, répétitions et reformulation, foreigner talk etc...) car ils ne rentrent pas directement dans notre propos. de nombreux autres univers - une «réalité projetée» qui correspond au cadre secondaire (Cicurel 2001, 2002b). Enseignant et apprenants sont amenés à configurer d’autres mondes, parfois fictionnels (Coste 2002) pour faire comprendre un mot, expliquer une règle de grammaire... Cette pluralité des contextes trouve en partie son origine dans le déficit contextuel propre à la classe de langue : elle permet d’«inventer un nouveau décor» pour que la langue / culture entre dans la classe (Cicurel 2002b : 180).46 «Sans cette opération pragmatique qui consiste à configurer un monde autre, parfois fictionnel, le discours didactique en classe de langue tendrait vers son pôle “ langue “. En l’absence de ces contextes imaginés, on apprendrait comme dans une méthode traditionnelle ; par listes de mots ou par règles grammaticales.» (Cicurel 2002b 184) C’est en outre dans ce travail de (re) contextualisation que se manifestent les contacts de cultures dans la classe, les glissements d’un univers culturel à un autre. Il nous a amené à faire du contexte (et de la contextualisation) dans la classe une des «portes d’entrée» pour étudier les dynamiques interculturelles qui y sont à l’oeuvre. Il est aussi le lieu où se manifestent la subjectivité, l’expérience personnelle des interactants (enseignants ou étudiants) où circulent leurs représentations, plus ou moins stéréotypées. - Les discours de la classe de langue se caractérisent aussi par une grande complexité énonciative. R. Porquier y voit un «emboîtement complexe de réseaux discursifs et énonciatifs» (1984 : 113). Cette polyphonie s’explique notamment par la focalisation sur le code qui y prévaut : le discours de l’autre y est en effet constamment «repris, décontextualisé, rapporté, reformulé, recontextualisé, réparé» : «Le discours rapporté, les procédés autonymiques, le métadiscours, les reprises, les reformulations et les réparations sont le produit de cette hétérogénéité permanente de l’interaction de la classe de langue.» (Cambra Giné 2003 : 94) Elle renvoie de manière plus large à la présence de «sources énonciatives» diverses qui sont identifiables «derrière le discours didactique» : «Ces sources énonciatives proviennent de lieux d’énonciation différents et d’énonciateurs fluctuants : les fragments métalinguistiques sont à rapporter à un locuteur savant et à la norme langagière, les fragments prescriptifs à une place d’autorité et à l’institution, les fragments “personnels“ peuvent renvoyer à la relation interpersonnelle des interactants et à leur vécu (voir Porquier 1984). ainsi, des énonciateurs absents ou cachés alimentent la parole des interactants.» (Cicurel et Blondel 1996 : 78) La prise de parole des apprenants et des enseignants dans la classe se caractérise à cet égard par un «double niveau énonciatif». 47 À un premier niveau, ils s’expriment en tant qu’apprenant ou enseignant. À un second niveau peut affleurer, de manière diverse selon la nature de la séquence envisagée et sa dynamique propre, leur je-personne. Comme partie 1 - chapitre 1 65 46 Et ce notamment dans un environnement alloglotte, lorsque la présence de la langue/culture étrangère est assez lointaine. 47 Par ex. : Trévise (1979), Dabène (1984b), Lauga Hamid (1990 : 56-57), De Pietro (2002 : 59). l’observe M.-C. Lauga-Hamid, dans la classe, «le sujet qui apprend une langue étrangère s’exprime plus en tant qu’apprenant qu’en tant que personne» et «l’écart entre le Sujet Apprenant Sa et le Sujet Personne SP soit SA-SP, se réduit presque toujours dans le sens SP-SA» (Lauga-Hamid 1990 : 56)48. Néanmoins, le mouvement inverse est aussi observable : enseignant et étudiants devenant alors «des individus réagissant de façon personnelle au déroulement des échanges» (Dabène 1990 : 41). Cette polyphonie énonciative se manifeste aussi lorsque sont convoqués dans la classe des univers fictionnels, dans lesquels les apprenants sont amenés à endosser (et à simuler) des identités fictives - ce qui peut se produire à l’occasion d’un jeu de rôles, mais tout aussi bien d’une explication lexicale ou grammaticale. L. Dabène prend ainsi pour exemple une séquence où une enseignante joue sur deux niveaux énonciatifs : «Dans la première énonciation, l’enseignante est dans sa peau d’enseignante ; elle donne une définition, elle introduit une situation-exemple, indiquant qu’elle a recours à la fiction par l’utilisation de si /.../ dans la seconde énonciation, enchâssée dans la première, le professeur devient une femme mariée exigeant un gros diamant.» (Dabène 1990 : 52) 3. Interagir « autour » du texte littéraire en classe de langue Dans ce dernier point de notre chapitre, nous revenons sur le type particulier d’interactions auquel notre travail s’intéresse : des interactions didactiques qui ont un objet bien spécifique, la compréhension et l’interprétation d’un texte littéraire. Il nous a semblé nécessaire de faire le point sur les liens (multiples) existants entre la lecture littéraire et l’analyse des interactions. Si les travaux relatifs à la lecture littéraire utilisent fréquemment, comme nous le verrons, l’image de l’interaction pour décrire les rapports entre le texte et ses lecteurs, les interactions qui ont effectivement lieu lors de la lecture collective d’un texte littéraire dans une classe ont été moins souvent l’objet de l’attention des chercheurs. 3.1. Quelques croisements 3.1.1. Le texte littéraire : l’interaction représentée Le plus souvent, c’est comme réservoir d’exemples que le texte littéraire est sollicité dans les travaux interactionnistes. Dialogues romanesques, échanges théâtraux voisinent ainsi avec des conversations authentiques recueillies dans les médias ou le quotidien et servent à illustrer le mode de fonctionnement des interactions. Bien évidemment, ces interactions littéraires ne sont pas «authentiques». Elles ne retranscrivent pas (le plus partie 1 - chapitre 1 66 48 A. Trévise (1979) évoque la présence simultanée de deux énonciations : la première, où apprenants et enseignants sont les véritables énonciateurs, la seconde où ils sont des simulateurs. 3.2. Lecture du texte littéraire et analyse d’interactions, balayage d’un champ d’études Mais existe-t-il des études qui prennent précisément pour objet des interactions se déroulant autour de textes littéraires ? 3.2.1. Le domaine de l’analyse d’interactions didactiques En examinant quelques travaux récents dans le domaine de l’analyse des interactions didactiques, il nous est apparu qu’un certain nombre d’entre eux se sont intéressés à des séquences où l’enseignant propose aux étudiants la lecture (sous des modalités variées) d’un texte littéraire. Sans prétendre fournir une liste exhaustive, on peut relever quelques exemples parmi de récentes recherches doctorales s’inscrivant dans ce champ : - dans le corpus étudié par J. Aguilar Rio (2010), l’une des enseignantes observées, Candence, consacre un cours d’anglais langue étrangère à la lecture d’un poème de Robert Louis Stevenson «From a railway carriage» ; - J. Costa (2010), qui s’intéresse à la question de la revitalisation linguistique (à travers l’exemple de l’occitan et du scot) recueille un cours où une enseignante fait travailler ses élèves sur «Lament for a lost dinner ticket» de Margaret Hamilton54; - la thèse de N. Cherrad (2008), quant à elle, s’intéresse à la dimension métalinguistique des échanges en classe de langue. Elle a enregistré plusieurs cours de licence de français à l’université de Constantine, dont des cours de littérature55; - V. Delorme (2010), dans sa thèse consacrée à la question des contextes dans la classe de langue, inscrit dans son corpus un cours portant sur un extrait du roman de Zola, Thérèse Raquin.56 Néanmoins, la présence du texte littéraire dans ces interactions nous semble être, le plus souvent, le fait du hasard : lors de la constitution du corpus ont été enregistrées des séquences où, de manière fortuite, le cours portait (selon des modalités et avec des objectifs variés) sur un texte littéraire. Néanmoins, la spécificité du document qui suscite les échanges partie 1 - chapitre 1 69 54 Extrait de corpus présenté et commenté lors de la journée d’étude «Pluri-L» du 14 juin 2009 à Angers. 55 Cf. notre bibliographie pour les références précises des thèses. 56 Ce cours s’intègre dans le corpus de référence «IDaP» recueilli en 2002-2003 dans le cadre des travaux du DILTEC à Paris III (groupe « Discours d’enseignement et interactions »). Il est à cet égard utilisé dans différents travaux. Il est par exemple repris par L. Fillietaz dans l’article «Mise en discours de l’agir et formation des enseignants. Quelques réflexions issues des théories de l’action» (Cicurel et Bigot : 2005). n’y est pas réellement prise en considération,57 même lorsque, comme dans le corpus recueilli par J. Costa, le texte propose justement tout un jeu entre différentes langues et registres de langues qui sont commentés dans la classe - et n’entre pas en compte dans la problématique de la recherche elle-même. D’autres travaux prennent cependant en compte de manière plus explicite la nature même de l’objet des échanges et accordent une attention particulière au fait que ceux-ci se déroulent à l’occasion d’une activité (expliquer et ou commenter un texte littéraire) et portent sur un objet (le texte littéraire) spécifique. Sans nullement prétendre à l’exhaustivité, nous revenons sur quelques-uns de ces travaux, qui ont balisé notre propre cheminement vers la formulation de notre problématique de recherche. 1/ C. Kramsch s’intéresse par exemple à ces croisements entre analyse des interactions et lecture de textes littéraires. Dans Interaction et discours en classe de langue, elle présente une «typologie d’activités et de pratiques pédagogiques pour l’apprentissage du discours interactif» (1991, IV). Certaines de ses propositions portent sur des textes littéraires, et un développement leur est spécifiquement consacré dans la partie intitulée «négociation du sens d’un discours écrit.» Après avoir souligné que les approches communicatives (qui sont contemporaines du moment où elle écrit l’ouvrage) ont fait passer le texte littéraire au second plan, derrière les textes authentiques, elle met en avant leur spécificité. En effet, les textes non littéraires «sont bien souvent des textes d’information unidimensionnels à un seul niveau d’interprétation, et offrent par eux-mêmes peu matière à interaction entre l’auteur et le lecteur, ou entre les lecteurs d’une classe de langue». En revanche, «un texte littéraire choisi pour son impact affectif, la densité de son discours et ses différents niveaux d’interprétation - ce que H. Widdowson (1981) appelle sa réalité au-delà du réalisme semble être particulièrement propre à activer l’imagination, la créativité et l’engagement discursif des élèves, s’il est enseigné dans un esprit d’interaction» (ibid.). Dans le prolongement de ce premier ouvrage, Context and Culture in Language teaching, publié en 1993, C. Kramsch se focalise sur l’enseignement du texte littéraire pendant tout un chapitre («Teaching the literary text» pp.130-176). Nous reviendrons de manière plus précise sur ses propositions didactiques dans notre chapitre 4. Nous nous contenterons de souligner ici qu’elle y met l’accent sur une «pédagogie du dialogue, qui puisse susciter et valoriser la diversité et la différence» (Kramsch 1993 : 131). Néanmoins, les travaux de C. Kramsch, s’ils soulignent l’importance de la dynamique des échanges que fait naître la lecture du texte littéraire, sont avant tout consacrés à la description d’activités pédagogiques : les quelques échanges qui sont transcrits, dans l’un et partie 1 - chapitre 1 70 57 On pourrait nuancer notre propos au sujet de la recherche de N. Cherrad : un certain nombre d’histogrammes distinguent les activités métalinguistiques et les pratiques de décontextualisation observées d’une part en cours de littérature et d’autre part en cours de linguistique. Cependant elle ne commente pas les différences relevées en fonction de l’objet du cours. De surcroît, elle ne s’intéresse pas nécessairement à des cours où sont expliqués et commentés collectivement des textes littéraires : la majeure partie de son corpus est constituée de développements magistraux des enseignants (sur un mouvement littéraire, un auteur etc...). l’autre ouvrage, sont plutôt proposés en guise d’illustration, et ne constituent pas un véritable corpus qui serait minutieusement analysé. 2/ Leçons de conversation de S. Pekarek (1999) est l’un des ouvrages de référence dans le domaine de l’analyse des interactions en classe de langue. Son auteur y étudie les dynamiques interactives dans la classe de langue, à partir d’un corpus composé de cours de conversation recueillis en Suisse alémanique, dans des cours de langue 2 au lycée, dont certains prennent appui sur un texte littéraire. Et elle envisage bien la nature de ce support comme l’une des variables susceptibles d’être pertinentes à analyser. En effet, ses analyses mettent en évidence le fait que les «profils interactionnels» des trois types de cours enregistrés diffèrent fortement. Un «fort contraste» est repérable entre les discussions de littérature d’une part et celles d’actualité et les débats d’autre part. Elle observe notamment que celles-ci «montrent des conditions socio-interactionnelles très favorables au développement des compétences discursives» alors que : «les discussions de littérature s’avèrent pour partie peu profitables sur ce plan. Les schémas de déroulement figés qui caractérisent ces activités sont sans doute partiellement dus à leur double objectif éducatif, orienté à la fois vers l’acquisition langagière et vers la formation littéraire.» (Pekarek 1999 : 179) Néanmoins, ces conditions interactionnelles sont susceptibles d’être optimisées - même si ce n’est pas le «coeur» de sa problématique, S. Pekarek souligne en effet «qu’il s’est pourtant avéré qu’une logique localement co-construite de l’interaction est particulièrement apte à favoriser aussi bien l’acquisition langagière que la sensibilisation à la littérature» (1999 : 179) et que se dessine sur ce point «un important potentiel d’optimisation des leçons de conversations». Les pistes qu’elle dessine aux pages 180-187 de son ouvrage sont autant de sources possibles pour repenser la dynamique des échanges lorsqu’un texte littéraire est donné à lire en classe de langue. 3/ De manière ponctuelle, on mentionnera aussi l’article de Y. Vrhovac «Lire un conte en français en Croatie. Pour une approche interactionnelle» (Vrhovac 2005). Elle s’ y intéresse en effet «dans le cadre d’une étude sur la lecture de textes littéraires en dehors de la classe et sans la présence de l’enseignant par des apprenants adolescents croates /.../ au comportement verbal des apprenants et de l’enseignant au cours de l’interprétation de ces textes en classe» ( Vrhovac 2005 : 87). Elle analyse les données recueillies et montre que si on y retrouve les «traits marquants d’une interaction didactique» (Vrhovac 2005 : 95), se manifeste aussi dans les échanges une dimension conversationnelle : «Il apparaît que dans certaines séquences dominent un intérêt réel pour le texte et l’envie d’exprimer ce que l’on ressent. Les jeunes lecteurs ont pris position et donné leur opinion sur le contenu du conte et ses personnages, sur le public pour lequel il est écrit et sur le message. Une interaction entre le texte et le lecteur s’est produite sans qu’il y ait nécessairement médiation du professeur.» (ibid.) partie 1 - chapitre 1 71 connaissances à partir de textes de littérature ou d’idées» (Terwagne Vanhulle et Lafontaine 2006 : 7). Ces travaux (parmi lesquels on peut citer ceux de S. Terwagne S. Vanhulle et A. Lafontaine, ou encore de M. Hébert60) prennent généralement appui sur la conception de la lecture comme «transaction» établie par L. Rosenblatt. Ils sont d’inspiration socio constructiviste et, dans la lignée de L. Vygotsky, envisagent les interactions entre lecteurs comme un moyen de favoriser «à la fois la construction collective de significations et l’intériorisation par chaque élève de stratégies fines d’interprétations» (Terwagne et al. 2006 : IV).61 Dans le contexte français, l’inscription dans les Instructions officielles de 2002 de la notion de «débat interprétatif» a contribué à l’intérêt pour ce type de questionnement et à la production de nombreux travaux adoptant cette perspective (et souvent menés, d’ailleurs, dans le cadre des I.U.F.M.).62 La pratique des débats interprétatifs, qui naît elle aussi du partie 1 - chapitre 1 74 60 M. Hébert (2003) Co élaboration du sens dans les cercles littéraires entre pairs en première secondaire : étude des relations entre les modalités de lecture et de collaboration» : des cercles de lecture entre pairs, les différents types de collaboration et les types d’interaction, thèse soutenue sous la direction de N. Van Grunderbeeck, Montréal, Université de Montréal. 61 «En nous fondant sur le paradigme transactionnel issu de L. Rosenblatt (1938) et sur le paradigme socio-constructiviste issu de L. Vygostsky (1931), nous proposons notamment d'envisager les «discussions littéraires» comme creuset pour le développement de compétences élaborées de compréhension en lecture.» (Vanhulle 1998) 62 Pour mention, quelques travaux qui s’inscrivent dans le champ de la didactique de la littérature et dont le corpus d’étude est, pour tout ou partie, composé d’interactions suscitées par la lecture de textes littéraires dans la classe : a/ La thèse de P. Sève (sous la direction de C. Tauveron) soutenue en 2009 s’intitule Avoir lu et savoir lire la littérature. Influence de «répertoires diversement construits sur la réception d’un même récit dans trois communautés interprétatives. Il étudie l’influence des lectures précédemment effectuées lors de la lecture en classe d’un roman de F. Reynaud (Taïga Pocket Jeunesse 2005). b/ S. Dardaillon (sous la direction de V. Castellotti) a soutenu en 2009 une thèse intitulée Les albums de Béatrice Poncelet à la croisée des genres. Elle s’y intéresse à la réception par les enfants d’une oeuvre de littérature de jeunesse exigeante, celle de B. Poncelet. c/ V. Boiron (sous la direction de L. Danon-Boileau) a travaillé sur des «interactions adulte-texte- enfants» à l’école maternelle. Sa thèse pour le doctorat d’état s’intitule : Construire une méthodologie interprétative des albums à l’école maternelle : analyse des modalités de compréhension dialoguée et d’élaboration conjointe d’interprétations. Conduites et mouvements interprétatifs au cours de relectures d'albums et de reprises narratives dialoguées. Elle s’inscrit clairement dans une perspective socio constructiviste en posant d’emblée l’hypothèse que «les échanges langagiers permettent aux enfants pré-lecteurs de construire une méthodologie dialoguée d'interprétation des récits écrits et illustrés : cette coopération interprétative trouve son efficacité grâce au co-étayage par l'adulte et les pairs». d/ E. Bedoin (sous la direction de C. Tauveron) s’est attachée dans Lire le texte, lire le monde. Du jeu interprétatif en littérature et en science à «délimiter les points de convergence et de divergence qui se dessinent entre débat littéraire et débat scientifique : comment s’y orchestre le jeu des possibles, s’y problématisent les images du monde et se constituent des communautés interprétatives scolaires». e/ Y. Brenas (sous la direction de D. Bucheton) a travaillé sur la construction de nouvelles positions de lecture chez des lycéens de seconde. Sa thèse est intitulée Quand la conception du langage se métamorphose ... Ou des indispensables re-positionnements dans la «classe de littérature» en seconde d'un lecteur-scripteur face à un texte «littéraire». renouvellement de la conception de la lecture littéraire et de l’accent mis sur le pôle des lecteurs, permet en effet de prendre en compte les compétences des lecteurs, de les impliquer dans le projet de lecture, et d’initier : «une discussion plus ouverte qui suppose l’abandon de l’argument d’autorité et du monopole d’interprétation du maitre, favorise les confrontations, incite à une hiérarchisation des possibles, organise une réflexion sur la compréhension et les limites de l’interprétation par la construction collective d’outils interprétatifs.» (Dabène et Quet 1999 : 115) L’analyse des débats interprétatifs peut aussi amener à convoquer les outils théoriques relatifs aux postures de lecture et à identifier la manière dont différentes postures de lecture se succèdent et se combinent dans les échanges autour de textes littéraires, c’est-à-dire, comme nous le verrons plus précisément dans le chapitre 3 : «des modes de lire intégrés, devenus non conscients, construits dans l’histoire de lecture de chaque sujet, convoqués en fonction de la tâche de lecture du contexte et des enjeux, ainsi que de la spécificité du texte.» (Bucheton 1999 : 138) 3/ Un autre ensemble de travaux, dont les frontières avec le précédent sont parfois difficiles à définir car leurs problématiques s’entrecroisent, gravite autour de questions liées aux gestes professionnels et à l’agir enseignant. Certaines de ces recherches, qui prennent appui sur les cadres théoriques développés par A. Jorro ou D. Bucheton63 s’intéressent en effet plus spécifiquement aux gestes professionnels développés par l’enseignant lors des activités de compréhension et d’interprétation de textes littéraires et s’appuient donc elles aussi sur des corpus d’interactions recueillis dans les classes.64 Parmi eux, on pourra noter ici la recherche menée par J.-L. Dufays, qui a donné lieu à plusieurs publications (par ex. Dufays 2005, Dufays et Ronveaux 2006, Marlair et Dufays 2008), et s’intéresse aux gestes professionnels mis en oeuvre dans des leçons de littérature partie 1 - chapitre 1 75 63 Par ex. : Jorro, 2002, Bucheton 2005. On peut aussi mentionner le programme de recherche conduit par l’équipe ALFA-LIRDEF au sein de l’ IUFM de Montpellier, dont l’un des programmes de recherche, conduit par J.-C. Chabanne, s’intitule Littérature, activité des élèves, gestes professionnels des enseignants , expérience esthétique des élèves (2011) 64 Parmi les travaux en lien avec la question des gestes professionnels dans la classe de littérature, on pourra par exemple mentionner les thèses de : a/ H. Croce-Spinelli qui a soutenu une thèse en sciences de l’éducation sous la direction d’A. Jorro, intitulée : Gestes professionnels de l'enseignant et processus interprétatifs des élèves (2007). Elle y étudie les «gestes professionnels de l'enseignant de littérature qui conduit des débats littéraires successifs avec un groupe d'élèves de cycle 3» (Croce-Spinelli 2006). Elle prend appui sur les transcriptions de débats interprétatifs, conduits par deux enseignants à propos de L’Enfant-océan de J.-C. Mourlevat. b/ C. Dupuy dont la thèse, Le Français tel qu’on l’enseigne. Étude des gestes professionnels de maîtres faisant lire un texte de littérature jeunesse au cycle 3 (2009), menée sous la direction de D. Bucheton et R. Etienne, s’intéresse à «l’observation attentive des pratiques ordinaires des enseignants» et aux «tâches doxiques» qu’ils mettent en place à l’occasion de la lecture de la nouvelle «Archimémé» de B. Friot (Milan 1997). dans le cadre secondaire belge. Il s’appuie sur des transcriptions des cours (ainsi que sur des entretiens avec les enseignants) et analyse la pratique enseignante autour des textes littéraires. Ainsi, que l’entrée adoptée soit celle des cercles de lecture et / ou des débats interprétatifs et / ou des gestes professionnels associés à la lecture de textes littéraires, ces travaux examinent avec la plus grande attention les échanges qui ont lieu dans la classe, en tant que creuset dans lequel et par lequel se construit la compréhension et l’interprétation des textes. Néanmoins, même si certains d’entre eux ont été des sources d’inspiration pour mener notre propre recherche, celle-ci n’est pas dans leur filiation immédiate : ils présentent en effet un certain nombre de différences par rapport à notre propre questionnement. 1/ On remarquera tout d’abord qu’ils s’ancrent dans le domaine des sciences de l’éducation plutôt que dans celui des sciences du langage. L’approche des échanges menés autour des textes - notamment en ce qui concerne les cercles de lecture est plutôt de nature socio-constructiviste, comme en témoignent les fréquentes références à J. Bruner ou L. Vygotsky. Ils sollicitent assez peu (au contraire de notre propre travail) les travaux dont l’ancrage théorique est clairement celui de l’analyse des discours en interaction.65 2/ En outre, les échanges in situ sont parfois pour ces chercheurs un observable parmi d’autres lorsqu’on veut avoir accès à la manière dont le texte est reçu par les élèves ou les étudiants. Les chercheurs organisent des entretiens individuels ou collectifs, incitent à produire des suites ou des pastiches du texte lu, analysent des carnets de lecteur, enregistrent des «comités de lecture» (Lebrun 2007) etc... Et, pour beaucoup, la dimension proprement interactive des conversations autour du texte n’est pas nécessairement toujours prise en compte. La recherche de «traces» de lecture est souvent prioritaire par rapport à l’analyse de la construction dynamique et mouvante de l’interprétation du texte dans et par les échanges. 3/ Enfin, ces recherches sont le plus souvent menées dans un cadre scolaire (maternelle, primaire, collège, lycée) et concernent l’enseignement de la littérature de jeunesse, auprès d’élèves qui ont majoritairement le français pour langue première, ce qui peut notamment s’expliquer par l’implantation de la plupart de ces travaux au sein des IUFM. partie 1 - chapitre 1 76 65 La référence à C. Kerbrat-Orecchioni n’est par exemple pas systématique dans ces travaux, qui analysent pourtant des corpus d’interactions orales recueillies dans des classes. Les thèses de S. Dardaillon (2009) et de P. Sève (2009), par exemple, ne mentionnent dans leur bibliographie aucun titre de cet auteur dont les travaux font pourtant référence dans le domaine de l’analyse des discours en interaction. Il ne faut néanmoins pas généraliser : C. Tauveron s’appuie par exemple explicitement sur C. Kerbrat-Orecchioni lorsqu’elle analyse les modalités de négociation du sens dans les débats menés en classe autour de textes littéraires. caractéristiques des interactions didactiques exolingues que nous avons précédemment soulignées : - les voix du texte (de l’auteur, du narrateur, des différents personnages) se tissent de manière complexe avec celles des interactants : le texte va être repris, cité, reformulé pour être analysé, commenté dans des échanges dont le dialogisme et la polyphonie sont particulièrement accentué ; - elles sont particulièrement particulièrement propices à des «démultiplications» identitaires et énonciatives : le texte littéraire est susceptible de solliciter l’engagement du je-personne des apprenants, de donner l’occasion aux sujets lecteurs de s’exprimer et / ou de leur faire expérimenter les multiples identifications que peut susciter la lecture d’une fiction ; - les contextes de l’interaction se trouvent eux aussi démultipliés par l’introduction d’un contexte supplémentaire, celui du texte, qui doit être reconstruit dans les échanges : - ces interactions peuvent aussi être envisagées comme de larges négociations portant sur le sens du texte : s’y donne à lire un travail conjoint qui porte sur la (co) construction du sens du texte. * * * * * Pour conclure, nous avons exposé dans ce premier chapitre en quoi notre travail s’ancrait dans le domaine de l’analyse des interactions : nous avons tout d’abord rappelé le contexte d’émergence de notre champ de recherche et les caractéristiques de l’approche interactionniste. Au-delà de la grande diversité des travaux s’ancrant dans ce domaine, nous avons insisté sur les éléments desquels notre travail était redevable : une conception revisité de la communication et une démarche épistémologique empirique plurielle et syncrétique. Nous avons ensuite essayé d’identifier les principales caractéristiques des interactions que nous avons été amenée à étudier dans le cadre de notre recherche. On peut en effet les considérer comme des interactions didactiques de type exo / interlingues : à ce titre, elles présentent les spécificités suivantes : une dissymétrie renforcée, la co présence de deux ou plusieurs langues, l’utilisation de la langue comme objet et moyen d’apprentissage, une bifocalisation sur le contenu et la forme des énoncés, une grande diversité des thèmes et des contextes susceptibles d’être sollicités, une grande complexité énonciative. Une autre caractéristique propre aux interactions qui constituent notre corpus a en revanche été beaucoup moins étudiée dans les travaux interactionnistes : le fait qu’elles aient pour objet le commentaire de textes littéraires. Nous avons essayé de montrer le caractère spécifique de notre recherche, et des interactions sur lesquelles elle porte. Nous avons ainsi défini ces dernières comme des interactions «autour» du texte littéraire, qui témoignent d’enjeux éducatifs complexes, voire contradictoires, et dans lesquelles on peut observer la démultiplication des voix et contextes. partie 1 - chapitre 1 79 Cependant, l’aspect qui retient spécifiquement notre attention dans le cadre de cette recherche est la dimension (inter)culturelle de ces interactions « autour » du texte littéraire : c’est le point sur lequel nous nous proposons de revenir de manière plus approfondie dans le chapitre 2 de notre travail. partie 1 - chapitre 1 80 CHAPITRE 2 : DYNAMIQUES (INTER)CULTURELLES DANS LES INTERACTIONS La question de l’interculturel se trouve au coeur de notre travail. La lecture littéraire y est envisagée dans la classe de langue, à la fois comme : - lieu d’une rencontre interculturelle entre le texte et son lecteur, éventuellement entre les lecteurs apprenants qui échangent au sein de la classe - et éventuellement lieu de construction de compétences (inter)culturelles (celles-ci pouvant être conçues de différentes manières). Le présent chapitre s’ancre donc dans le domaine des études interculturelles et fait le point sur les notions opératoires dans ce champ pour étudier, comme c’est notre objectif, en quoi le texte littéraire est susceptible d’être le médiateur et / ou le déclencheur de contacts entre cultures dans la classe de langue. Parmi les multiples notions envisageables, ce sont celles de culture, de représentation et d’identité qui attireront de manière plus spécifique notre attention. 1. Culture, cultures68 1.1. Culture(s), civilisation(s) Il nous a semblé qu’un rappel des différentes acceptions de culture et civilisation, et des relations que les deux notions entretenaient, était indispensable. En effet, elles sont souvent convoquées pour évoquer la présence du texte littéraire dans l’enseignement des langues : de nombreux travaux auxquels nous nous référerons les emploient, pas toujours avec les mêmes significations, jouant de ces délimitations parfois difficiles à tracer entre les deux. 1.1.1. Culture cultivée / anthropologique Sans retracer exhaustivement l’histoire, complexe et entrelacée, des deux concepts, on peut tout d’abord revenir sur les significations de culture qui sont pertinentes au vu de nos propres interrogations et exposer, parmi les multiples acceptions du terme, celles que nous retiendrons plus particulièrement. R. Wiliams donne de ce «mot fourre-tout» la définition suivante, qui met à jour trois grandes manières d’envisager la culture : «Il existe trois grandes catégories dans la définition de la culture. Tout d’abord, le domaine de “l’idéal” de certaines valeurs universelles, dans lesquelles la culture est un état de perfectionnement humain ou un processus y conduisant. Ensuite, il y a le domaine “documentaire” dans lequel la culture constitue l’ensemble des productions partie 1 - chapitre 2 81 68 Cf. Porcher (1996). configuration d e s c o m p o r t e m e n t s a p p r i s e t d e l e u r s r é s u l t a t s d o n t l e s éléments composants sont partagés et transmis p société donnée (R. Linton) ar les membres d’une systèmes implicites et explicites d e s c o m p o r t e m e n t s appris et transmis par symboles, y compris leur solidification en artefacts const i tuent le sceau distinctif des groupes humains (C. Klukohn) Cette présentation nous permet de mettre en évidence quelques-unes des spécificités de la définition anthropologique (ou sociologique) de la culture et de pointer le véritable renversement de perspective qu’elle opère en regard des définitions classiques du terme. - La culture y est nécessairement envisagée sur un plan collectif. Là où l’homme cultivé est pensé avant tout comme un individu72, la culture anthropologique s’intéresse aux membres d’une «société», d’une «communauté», d’un «ensemble social»; - Elle est descriptive et non plus normative : une forme de continuité est posée entre les cultures «primitives» et les autres.73 Dans cette perspective, tous les peuples, quel que soit leur niveau de développement (maîtrise ou non de l’écrit par exemple) ont une culture : les anthropologues s’interdisent de hiérarchiser les sociétés, et, plus encore, de penser qu’il existe des peuples sans culture : désormais, «parler de peuples incultes», «sans civilisation», de peuples «naturels», c’est parler de choses qui n’existent pas» (Mauss, L’Année sociologique, 1901 cité par Cuche 2001 : 25). - Les productions de l’esprit (artistiques, scientifiques, intellectuelles) - c’est-à-dire la culture au sens 2/ - ne sont qu’un aspect de la culture au sens anthropologique. «Selon les disciplines, “culture” peut aussi s’entendre selon une conception restreinte, pour ne désigner que les productions symboliques (langues, idées, coutumes, mythes etc...), ou selon une conception élargie, qui inclut aussi les aspects matériels (outils, habitats, habitudes vestimentaires ou culinaires etc...).» (Amossy 2002 : 129) Cette définition englobe de fait tous les aspects de la vie en société et renvoie donc, beaucoup plus largement, à tout ce qui fait sortir l’homme de l’état de «nature» et caractérise sa vie en société, comme l’établit C. Lévi-Strauss : «Il y a donc là deux grands ordres de fait, l’un grâce auquel nous tenons à l’animalité par tout ce que nous sommes, du fait même de notre naissance et des caractéristiques que nous ont léguées nos parents et nos ancêtres, lesquelles relèvent de la biologie, de la psychologie quelquefois ; et d’autre part, tout cet univers artificiel qui est celui dans lequel nous vivons en tant que membres d’une société.» (Charbonnier 1972 : 180 ) partie 1 - chapitre 2 84 72 Même s’il incarne un modèle propre à une communauté. 73 Certains anthropologues - comme E.Tylor par exemple - considèrent néanmoins différents stades dans le développement des cultures. - Elle est enfin pensée comme un système organisé, un tout complexe, une structure - les éléments qui la composent devant être envisagés comme en relation les uns avec les autres et non comme une collection disparate de traits caractéristiques. 1.1.2. Culture et civilisation Après ce rapide tour d’horizon du concept de culture, qui nous a permis d’en repérer les principales acceptions, il nous a semblé qu’un rappel des relations qu’il entretenait avec celui de civilisation était indispensable. En effet, ces deux termes sont voisins et leur histoire les a souvent rapprochés, que ce soit pour les assimiler l’un à l’autre ou bien pour les différencier. Civilisation apparaît au XVIIIe siècle, sous la plume de Mirabeau père qui dans L’Ami des hommes ou traité de la population parle en 1756 des «ressorts de la civilisation» et du «luxe d’une fausse civilisation»74. À l’origine, le terme est employé au singulier et renvoie à l’«ensemble des caractères communs aux vastes sociétés les plus cultivées, les plus évoluées de la terre, ensemble des acquisitions des sociétés humaines» (Le Nouveau Petit Robert). Le modèle auquel il renvoie se veut universaliste, mais, de fait, il correspond à celui de la société française des Lumières, qui y voit «avec satisfaction son propre portrait» (Braudel 1987 : 34)75. La civilisation ne peut, de fait, concerner que quelques sociétés, jugées parmi les plus «avancées», et renvoie nécessairement à une hiérarchie entre des peuples : certaines sociétés y auraient accès, d’autres non. Elle correspond ainsi pour F. Braudel à «l’idée propre au XVIIIe siècle d’une civilisation confondue avec le progrès en soi et qui serait réservée à quelques peuples privilégiés» (ibid.). Civilisation, dans ce sens universaliste, peut être opposée à culture dans son sens particulier. C’est cette opposition que l’on retrouve dans cette citation de M.-A. Lahbabi : «La culture nationale peut se définir comme la concrétisation du génie d’un peuple dans son travail, sa vision du monde et ses comportements, tandis que la civilisation serait, pouvons-nous dire, l’objectivation des génies de tous les peuples dans leurs efforts conjugués au cours de l’histoire humaine, un patrimoine humain, un patrimoine commun.» (cité par Fichou 1979 : 26) Civilisation peut au contraire être utilisée comme un quasi synonyme de culture dans son sens 1/. Puis au siècle suivant, le terme passe au pluriel et désigne dès lors «l’ensemble des caractères que présente la vie collective d’un groupe ou d’une époque». En ce sens, elle est quasiment synonyme de culture 3/ (Braudel 1987 : 34). Mais, selon les contextes, les deux termes peuvent aussi être opposés : partie 1 - chapitre 2 85 74 «L’ami des hommes a employé ce mot pour sociabilité. Voyez ce mot. La religion est sans contredit le premier et le plus utile frein de l’humanité ; c’est le premier ressort de la civilisation ; elle nous prêche et nous rappelle sans cesse la confraternité, elle adoucit notre coeur» (Trevoux, Dictionnaire universel, 1771, cité par De Carlo 1998 : 15). 75 C’est cette civilisation qui est dénoncée par la bourgeoisie allemande au XIXe siècle, qui revendique face à elle, par réaction, une culture (Kultur) proprement allemande, nationale, comme l’analyse N. Elias dans La Civilisation des moeurs (1973). - on trouve ainsi une nuance entre civilisation 2/, culture 3/ : le premier terme désigne généralement des groupes humains plus larges, et dont l’histoire est plus durablement inscrite dans le temps que le second. Une civilisation est plus vaste, plus pérenne qu’une culture, circonscrite dans le temps et dans l’espace. La culture au sens 2/ peut aussi être envisagée comme partie de la civilisation : elle désigne alors, plus spécifiquement, les productions intellectuelles, artistiques ou scientifiques d’une civilisation donnée. De manière exactement inverse, la culture peut aussi être envisagée dans son sens anthropologique, et a alors des connotations plus pratiques, plus quotidiennes, que civilisation. Dans le cadre de l’enseignement/apprentissage des langues, c’est, selon D. Coste et R. Galisson, à la culture 3/ «que l’on se réfère le plus souvent parce que la culture “ensemble de caractéristiques propres à une société donnée” se trouve directement impliquée dans chaque système linguistique, mais c’est encore au terme “civilisation” (qui ne satisfait pourtant presque personne) qu’on a généralement recours pour dénoter culture 3/» (Coste et Galisson 1976 : 137). Nous reviendrons sur ces emplois lorsque nous évoquerons le statut du texte littéraire dans l’histoire de l’enseignement des langues. Pour notre part, afin d’éviter ces confusions, nous prendrons appui sur les distinctions opératoires (et désormais très classiques elles aussi dans le domaine de la didactique du FLE) entre culture anthropologique («ordinaire» chez R. Galisson, «patrimoniale» chez L. Porcher) et culture «cultivée» («savante» ou «institutionnelle») dont A. Gohard-Radenkovic synthétise ainsi les différences (2004a : 126-127)76 : culture anthropologique culture cultivée transversale élitaire tacite et implicite explicite et codifiée non valorisante valorisante et distinctive La première opposition renvoie au fait que la culture anthropologique concerne le plus grand nombre, l’ensemble d’un groupe humain donné ; la culture cultivée est en revanche réservée à une élite, un nombre restreint. La seconde concerne le mode d’acquisition de ces cultures : la première se fait de manière inconsciente, sans volonté propre ; la seconde fait le plus souvent l’objet d’un apprentissage explicite (scolarisation, lieux culturels). Enfin, la partie 1 - chapitre 2 86 76 On retrouve cette définition bipartite, entre autres, dans l’entrée «culture» du Dictionnaire du littéraire, sous la plume de R. Amossy : «Globalement on peut distinguer : 1/ une acception élitiste du terme (mais qui en est l’usage courant), où “culture” désigne l’ensemble des connaissances qui distinguent l’homme cultivé de l’être inculte, à savoir un patrimoine philosophique,artistique et littéraire” 2/ une conception non-hérarchique héritée de l’ethnologie où le terme de culture désigne l’ensemble des systèmes symboliques transmissibles dans et par une collectivité quelle qu’elle soit, les sociétés primitives y compris» (Amossy 2002 : 129). «Cette notion de “logique métisse“ a connu beaucoup de succès, mais elle a souvent été galvaudée. C’est une notion ambiguë. Elle repose sur des fondements biologiques : pour métisser il faut d’abord isoler des lignées pures. Raisonner ainsi dans le domaine culturel est dangereux dans la mesure où cela induit un paradoxe : le métissage reproduit ce que l’on veut dénoncer.» (Amselle 2006 : sp) Il préfère donc employer la notion de branchement qui est une notion plus neutre : «L’identité se définit par le fait de se brancher sur un réseau qui existe déjà. Vous avez à disposition un éventail de labels identitaires et vous piochez dedans pour vous fabriquer une identité. Il existe alors une grande latitude dans le choix des items identitaires que vous allez recombiner pour vous constituer une identité propre.» (ibid.) Dans ses travaux, M. Abdallah-Pretceille propose d’ailleurs d’utiliser le terme de «culturalité» plutôt que celui de culture pour rendre compte de cette nouvelle perpective : «Le concept de culture est devenu inopérant pour rendre compte des mutations actuelles. La notion de culturalité permet, par contre, de concevoir les phénomènes culturels à partir des dynamiques, des transformations, des métissages et des manipulations. La notion de “culturalité” renvoie au fait que les cultures sont de plus en plus mouvantes, labiles, tigrées et alvéolaires. Ce sont des fragments qu’il convient d’apprendre à repérer et à analyser.» (Abdallah-Pretceille 2003 : 16) Sans reprendre systématiquement ce terme de culturalité, nous souscrirons clairement dans notre recherche à cette «pensée complexe /.../ qui suit les chemins de traverse, les interstices, les diagonales de la communication et de la culture, qui marque le passage d’une analyse en termes de structures et d’états à celle de processus complexes et aléatoires» (ibid.). Les analyses des interactions constituant notre corpus s’inscriront quant à elles directement dans cette conception dynamique et processuelle de la culture et des identités. Nous nous y intéresserons en effet à la manière dont les appartenances culturelles des étudiants et de leurs enseignants sont convoquées, (co) construites, (re)définies, aux stratégies identitaires déployées au cours des échanges, et non à la manière dont des appartenances culturelles prédéterminées conditionneraient les lectures et les interprétations des textes. 1.2.2. La culture dans (et par) les interactions Pour mener à bien cette étude, il nous faut à présent nécessairement mener une réflexion sur le lien entre interaction et culture. Comment «penser» la culture dans les interactions ? Comment y observer et y analyser ces dynamiques interculturelles ? a. Quelle approche de la culture dans les travaux interactionnistes ? Tout d’abord, quelle attention portent les analyses d’interaction à la «culture», qui y apparaît souvent comme à la fois omniprésente et insaisissable ? Dans les nombreux travaux relatifs à l’analyse des interactions lus dans le cadre de notre recherche, la culture est fréquemment évoquée, sans jamais pourtant être toujours définie de manière précise : qu’on l’envisage comme un élément qui détermine tel ou tel comportement communicatif, ou qu’on s’intéresse aux effets provoqués par la mise en contact de cultures différentes, elle est souvent une «donnée» qui n’est pas réellement partie 1 - chapitre 2 89 interrogée. En témoigne par exemple l’absence significative du terme lui-même dans l’index des ouvrages de C. Kerbrat-Orecchioni (1990, 1992 et 1994), qui comportent pourtant une entrée «interculturel». C’est sous l’angle de la variation des normes des comportements communicatifs d’une culture à l’autre (i.e. la dimension ethnolinguistique de la communication, J.-C. Beacco 2004b : 262) que la dimension culturelle des interactions semble le plus couramment traitée. Les règles qui régissent l’alternance des tours de parole, la conception de la politesse, la réalisation de différents actes de parole (réparation / compliment par exemple), les comportements paraverbaux et non verbaux, l’ouverture et clôture des interactions (etc.) ne sont pas universelles Elles «varient ainsi sensiblement d’une société à l’autre, ainsi du reste qu’à l’intérieur d’une même société, selon l’âge, le sexe, l’origine sociale ou géographique des locuteurs (et bien sûr leur personnalité propre)» (Kerbrat-Orecchioni 1999 : 40) et sont déterminées par l’inscription des interactants dans une communauté discursive (speech community). Or c’est très souvent l’appartenance à une culture donnée qui sert à délimiter une communauté discursive. C’est par exemple le cas chez V. Traverso : «Tout comportement interactionnel est susceptible de varier selon les cultures, qu’il s’agisse des comportements paraverbaux (le rythme d’élocution, l’intensité des voix, la prosodie etc.) des comportements non-verbaux (la distance interpersonnelle, la fréquence des contacts physiques, des gestes, les types de postures et de mimiques, les contacts oculaires) ou des comportements verbaux. Parmi ceux-ci les variations concernent tant les aspects de la mécanique interactionnelle (la durée des silences et les pauses, la tolérance aux chevauchements de parole, la fréquence des régulateurs, etc.) que les productions discursives elles-mêmes, les rituels et la réalisation des actes de langage qui ont fait l’objet d’un grand nombre d’études.» (Traverso 1999 : 92) C. Kerbrat-Orecchioni intitule quant à elle le dernier volume de la somme qu’elle consacre aux interactions verbales «Variations culturelles et échanges rituels». Elle y développe une théorie contrastive des conversations, faisant la distinction entre contrastivité «externe» (qu’elle définit comme «variations observables entre différentes cultures») et contrastivité «interne» («variations entre différentes «sous-cultures» se côtoyant au sein d’une même société») (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 7).80 Elle y distingue trois grandes manières différentes d’étudier les variations culturelles au sein de la communication : - La première consiste à «décrire, à partir d’observations empiriques, systématiques et contrôlées» (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 10) les caractéristiques de fonctionnement propre à telle ou telle communauté discursive. Cette observation s’accompagne quasi partie 1 - chapitre 2 90 80 On peut penser que la fortune de cette approche des variations culturelles des règles communicationnelles tire sa source dans l’histoire même de la discipline. Ce sont des chercheurs comme D. Hymes ou J. Gumperz qui, dans le champ de l’ethnographie de la communication, connexe à celui de l’analyse des interactions, ont «attiré l’attention sur l’ampleur des variations qui affectent la façon dont les différentes sociétés humaines conçoivent et organisent les échanges communicatifs» et ont «mis au centre de ses préoccupations la description systématique de ces variations» (Kerbrat- Orecchioni 1994 : 7-8). mais aussi : probablement sa ré-acclimatation dans des domaines comme celui de la communication professionnelle. automatiquement d’un volet comparatif, qui permet, en mettant en regard deux manières différentes de communiquer, de faire apparaître leurs spécificités propres. V. Traverso parle ici d’une «approche intra-culturelle», qui décrit les comportements communicatifs au sein de deux cultures différentes de manière à les comparer et à dégager le style, l’ethos communicatif propre à chacune (Traverso 1999 : 93). - La seconde prend appui sur «l’étude du vocabulaire,et des expressions en usage dans la société envisagée» et en dégage «les représentations en vigueur dans cette communauté, en ce qui concerne en particulier le rôle de la parole et le fonctionnement de la communication» (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 10). Cette démarche ethnosémantique va s’intéresser à certains mots, certaines expressions figées ou proverbes qui disent quelque chose des règles associées à la circulation de la parole, des normes de communication dans une société donnée. Là encore, même si C. Kerbrat-Orecchioni ne le dit pas explicitement, on peut avoir recours à une démarche comparée. - Enfin, la troisième se situe sur un plan un peu différent. Elle consiste à «observer ce qui se passe lorsque se trouvent en présence deux individus n’ayant pas intériorisé les mêmes normes communicatives» (Kerbrat-Orecchioni 1994 : 11). Ces études se situent sur le plan de la cross cultural communication et postulent que cette situation de contact est susceptible de donner lieu à des ratées, des malentendus, et donc de faire apparaître, par un effet de loupe, les normes propres aux communautés dont relèvent les individus en présence. Cette étude de conversations interculturelles, comme le remarque V. Traverso, «repose sur l’idée que les différences existant dans les comportements interactionnels d’individus appartenant à des cultures différentes sont observables lors de leurs rencontres où elles risquent, dans bien des cas de donner lieu à des malentendus culturels» (Traverso 1999 : 92). On voit donc qu’au-delà de la variété de ces trois approches, l’objectif visé est toujours de mettre en évidence les spécificités propres à une communauté discursive - et que celle-ci se définit de manière privilégiée par l’appartenance à une «culture» ou à une «sous culture», une certaine imprécision étant de mise quant à la délimitation de l’un ou de l’autre de ces ensembles. b. Une définition discursive, processuelle et interactive de la culture Cette approche ethnolinguistique, dont nous venons de rappeler les principes, ne correspond pas exactement à notre propre positionnement.81 partie 1 - chapitre 2 91 81 Même si le corpus que nous avons recueilli pourrait se prêter de fait à une telle lecture : on peut relever une certaine variété de comportements communicatifs entre les étudiants observés en Algérie et ceux observés en France. Sur un autre plan, les règles qui régissent les comportements verbaux et non verbaux font parfois l’objet de commentaires - par exemple à l’occasion de la lecture collective d’Une Femme, la question des usages linguistiques propres à une génération est thématisée lorsque l’expression «tomber enceinte», utilisée par la mère de la narratrice, est expliquée. interculturelle86 comme l’une des composantes de la compétence de communication. Le conseil de l’Europe - via le CECR ou bien le Livre blanc sur le dialogue interculturel - a lui aussi largement contribué à la diffusion des problématiques et des questionnements liés à l’interculturel. Néanmoins, cette large diffusion ne va pas sans «affaiblissements et réductions» de sa portée (Blanchet et Coste 2010 : 8). De récents travaux comme ceux de F. Dervin ou de P. Blanchet portent un regard critique sur le champ des études interculturelles, en soulignant leur caractère relativement hétéroclite. F. Dervin pointe ainsi que «la littérature sur l’interculturel est disparate, éparpillée et souvent contradictoire dans les approches proposées» (Dervin 2009b : 3). Un certain nombre de positionnements adoptés dans le domaine semblent pour le moins sujets à discussion - voire à caution : - une fréquente essentialisation des cultures envisagées, présentées comme des objets à connaître, réifiées sous la forme d’une somme de croyances, de pratiques, de références .... F. Laplantine (Je nous les autres 1999, cité par Dervin 2012 : 33) dénonce une démarche qui repose sur des postulats culturalistes et «croit mordicus qu’il existe des essences humaines résolument distinctes les unes des autres» ; - l’alignement des cultures sur des ensembles nationaux - ou plus large (Occident / Orient ...) ; - une «rencontre» entre les cultures pensée sur le mode d’une opposition frontale, duelle (culture source versus culture cible) ; - un effacement des individus, envisagés avant tout comme des «porteurs» ou des «représentants» d’une culture donnée ; - la présence de ce que P. Blanchet nomme un interculturel «angélique», et J. Demorgon un interculturel «de bonne volonté», qui en «réduit la portée à une simple attente de relations humaines harmonieuses malgré les différences culturelles et linguistiques» (Blanchet et Coste 2010 : 9). J. Demorgon revient en ces mots sur ces impasses, appelant de ses voeux une vision renouvelée de l’interculturel - qu’il nomme interculturalité : «L’affichage d’une critique de l’interculturel nous a paru nécessaire pour marquer un point de non retour. il fallait absolument quitter cette exclusivité accordée à l’interculturel de "bonne volonté". Il fallait sortir de cette essentialisation des cultures, bien visibles dans l’expression tellement idéalisante de dialogue des cultures /.../ le véritable objet n’est pas tant l’interculturel que l’interculturation /.../ tout cela conduit à rétablir clairement "les humains entre eux" comme producteur de leurs stratégies et de leurs cultures. Seule l‘interculturation permet cette perspective de synthèse, en englobant ses acteurs, ses objectifs ses processus, ses résultats.» (Demorgon 2005 : 197) partie 1 - chapitre 2 94 86 Beacco et Byram définissent la compétence interculturelle comme un «ensemble de savoirs, de savoir faire, de savoir être et d’attitudes permettant, à des degrés divers, de reconnaître, de comprendre, d’interpéter ou d’accepter d’autres modes de vie et de pensée que ceux de sa culture d’origine. Elle est le fondement d’une compréhension entre les humains qui ne se réduit pas au langage» (Beacco et Byram 2007 : 126). On retrouve chez F. Dervin une opposition semblable entre ce qu’il nomme interculturel «solide» (i.e. ces positions qui développent l’idée de dialogues des cultures, à partir de conceptions essentialistes, culturalistes) et interculturel «liquide»87 : «L’interculturel liquide prend en compte de nombreux facteurs d’interaction et refuse surtout l’équation quasi-systématique entre discours et actes, donc entre descriptions "internes" ou "externes" des cultures ou de leurs "représentants" comme "preuves" ou arguments véri-conditionnels (cf. Eriksen, 2001). En effet, l’approche propose que toute interaction est obligatoirement une mise en scène discursive, énonciative et dialogique et une construction entre interlocuteurs et "tiers". Ainsi, tenter de définir les frontières entre les cultures ou leurs caractéristiques pour faire rencontrer des Autres semble être une erreur simplificatrice pour analyser l’interculturel.» (Dervin 2012 : 34) Dans la continuité de la définition de «culture» que nous avons précédemment exposée, c’est bien entendu du côté de l’«interculturel liquide» que nous situerons ce travail, ce qui impliquera : 1/ de considérer que toute relation est interculturelle, car elle implique toujours la rencontre d’une altérité : «Dès qu’il y a relation il y a altérité et, de fait, interculturalité /.../ la complexité culturelle de chacun, traversée d’éléments collectifs et singuliers, fait de chaque rencontre une rencontre interculturelle.» (Auger 2007 : 13) Cette interculturalité est nécessairement plurielle et complexe, notamment si l’on s’inscrit dans un cadre qui définit les compétences plurilingues et pluriculturelles des individus. «L’utilité d’une approche interculturelle (telle qu’elle est conçue par les chercheurs français : Abdallah-Pretceille, Zarate, Porcher entre autres) est que la rencontre avec l’autre ne consiste plus à le réduire à son appartenance culturelle (entendre nationale "elle est française... alors, c’est normal qu’elle réagisse de cette façon") par une sorte de déterminisme culturel mais, de discerner toute rencontre, qu’elle soit intra- ou inter-, comme une rencontre de l’hétérogénéité. Il ne s’agit plus de connaître l’autre mais de le RE-connaître dans sa diversité.» (Dervin 2004) Est ainsi mis au premier rang le sujet singulier «acteur, dans ses interprétations, ses perceptions». Cette approche s’intéresse «à la production de la culture par le sujet lui- même» (Abdallah-Pretceille 1999 : 54). 2/ de poser la «rencontre des cultures» avant tout comme un ensemble de processus interactionnels situés. Nous nous intéresserons ainsi, pour reprendre les mots de P. Blanchet, aux «modalités» et aux «effets concrets» «des rencontres interindividuelles de et partie 1 - chapitre 2 95 87 NB F. Dervin pointe aussi un autre approche, «janusienne»», de l’interculturel qui fournit «des discours qui sont à la fois solides et liquides sur l’interculturel» : «À notre connaissance, cette approche n’a pas été identifiée par d’autres chercheurs auparavant. Donnons un bref exemple de ces discours sur l’interculturel : le chercheur nous prévient (pour se protéger ?) que chaque individu est multiple ou divers mais d’un autre côté il a recours à des éléments solides et/ou solidifiant ou bien, il remet en question des discours stéréotypés sur le soi et l’autre et les substitue par ce qui lui semble être plus proche de la réalité – donc par d’autres généralisations – ce qui mène à des discours tout à fait contradictoires.» (Dervin 2012 : 35) dans l’altérité, altérité irréductible dans sa totalité à cause de la pluralité infinie des phénomènes humains et sociaux» (Blanchet et Coste 2010 : 11). Si des chercheurs comme J. Demorgon proposent des formulations telles que «relations interculturelles» ou «interculturation» pour évoquer de tels processus, nous garderons pour notre part le terme «interculturel». Notre positionnement est cependant clairement le même, celui d’un «interculturel liquide», tel que le définit F. Dervin. Nous emploierons ainsi fréquemment les syntagmes «dynamiques culturelles et interculturelles» et «dynamiques (inter)culturelles» pour renvoyer à ces processus interactionnels situés. 2. Représentations et stéréotypes : circulation et reconfiguration dans les interactions Les dynamiques (inter)culturelles qui sont au coeur de nos préoccupations se lisent, entre autres, dans la circulation et la reconfiguration des représentations au sein des échanges langagiers. Cette notion (ainsi que les notions voisines d’images ou de stéréotypes) est d’ailleurs fréquemment sollicitée dans les écrits portant sur les dimensions interculturelles de la communication (et de l’enseignement).88 Nous consacrerons donc la présente section à la présentation de la définition du concept de représentation sur laquelle nous prendrons appui dans la suite de notre travail, une définition qui met l’accent sur sa dimension discursive, dynamique et processuelle. Nous soulignerons les liens entre représentations, culture et interculturel. Nous nous intéresserons enfin aux représentations qui circulent dans les interactions «autour» du texte littéraire. 2.1. Un essai de définition 2.1.1. La notion de représentation Le mot représentation, qui est entré dans la langue française au XIIIe siècle, vient du latin repraesentare : «rendre présent», «mettre sous les yeux de quelqu’un». Il renvoie à l’acte d’offrir au regard ou à l’esprit d’autrui un objet (dont la nature peut être très variable) et à l’objet lui-même ainsi représenté : à la fois au processus et au produit. Les objets sur lesquels portent les représentations peuvent être extrêmement divers. D. Jodelet souligne la grande diversité de l’objet de la représentation : «Il peut être aussi bien une personne, une chose, un événement matériel, psychique ou social, un phénomène naturel, une idée, une théorie, etc. ; il peut être aussi bien réel qu'imaginaire ou mythique, mais il est toujours requis.» (Jodelet 1991 : 37) Dès l’origine, la notion implique une dimension sociale et dialogique. Une représentation théâtrale, par exemple, est donnée devant et pour des spectateurs. La représentation doit aussi être envisagée comme un processus dynamique. Le metteur en partie 1 - chapitre 2 96 88 Par ex. : De Carlo 1998, Moore éd. 2001, Zarate 1986 et 1993.
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