Docsity
Docsity

Prépare tes examens
Prépare tes examens

Étudies grâce aux nombreuses ressources disponibles sur Docsity


Obtiens des points à télécharger
Obtiens des points à télécharger

Gagnz des points en aidant d'autres étudiants ou achete-les avec un plan Premium


Guides et conseils
Guides et conseils

Lecture analytique et textes poétiques résistants. Etude sur les pratiques didactiques d’analyse des textes littéraires en classe de troisième, Essai de Littérature

Typologie: Essai

2018/2019

Téléchargé le 14/10/2019

Roxane_Lille
Roxane_Lille 🇫🇷

4.5

(42)

93 documents

1 / 431

Toggle sidebar

Documents connexés


Aperçu partiel du texte

Télécharge Lecture analytique et textes poétiques résistants. Etude sur les pratiques didactiques d’analyse des textes littéraires en classe de troisième et plus Essai au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! Université Lumière Lyon II Ecole doctorale Sciences de l’Education, Psychologie, information et Communication (EPIC 485) Institut des Sciences et des Pratiques d’Education et de Formation (ISPEF) Laboratoire Education Culture Société (ECP) Lecture analytique et textes poétiques résistants Etude sur les pratiques didactiques d’analyse des textes littéraires en classe de troisième Par Séverine Tailhandier Cazorla Sous la direction de Philippe Meirieu Avec la collaboration de Jean-Louis Dufays Thèse de doctorat de Sciences de l’Education Présentée et soutenue le 28 septembre 2015 ii Université Lumière Lyon II Lecture analytique et textes poétiques résistants Etude sur les pratiques didactiques d’analyse des textes littéraires en classe de troisième Présentée par Séverine Tailhandier Cazorla Dirigée par Monsieur le Professeur Philippe Meirieu Avec la collaboration de Monsieur le Professeur Jean-Louis Dufays A été évaluée par un jury composé des personnes suivantes : Philippe Meirieu Jean-Louis Dufays Sylviane Ahr Véronique Boulhol Jean-Charles Chabanne Jean-François Massol v DEUXIEME PARTIE : LA RENCONTRE AVEC LES TEXTES POETIQUES RESISTANTS : UN OPERATEUR DECISIF POUR ACCEDER A LA LECTURE ANALYTIQUE ..................................................................................................................... 199 Chapitre 1 : Des « résistances » à la « résistance littéraire » : typologie des textes ............................................................................................................................................ 199 A) Un degré zéro de la résistance ? ............................................................................ 199 B) Des textes à faible résistance : présentation d’un texte poétique peu résistant ....... 200 C) Des textes à forte résistance : présentation d’un texte théâtral, d’un texte romanesque et d’un texte poétique aux formes de résistances plurielles. ................................... 203 Chapitre 2 : La résistance à l’épreuve de la classe ............................................. 219 A) Les classes : présentation des deux classes de troisième........................................ 219 B) La progression ....................................................................................................... 222 C) La mise en œuvre avec les élèves .......................................................................... 226 D) Les conclusions ..................................................................................................... 264 Chapitre 3 : La rencontre avec les textes poétiques résistants : une expérience précieuse pour les élèves .................................................................................................... 296 A) La rencontre indispensable de zones d’indéterminations poétiques ....................... 296 B) Des dynamiques qui répondent aux zones d’ombre de la lecture analytique ......... 310 CONCLUSION GENERALE : LA LECTURE ANALYTIQUE : UN OBJET DIDACTIQUE ET LITTERAIRE A REVISITER........................................................... 317 Les limites de notre recherche.............................................................................. 318 Vers la construction d'une identité de lecteur... ................................................... 321 Les implications pratiques et théoriques de la recherche ..................................... 328 Les apports de notre recherche en didactique de la lecture et de la littérature ..... 330 BIBLIOGRAPHIE ................................................................................................. 334 GLOSSAIRE .......................................................................................................... 348 ANNEXES ............................................................................................................... 361 1. TABLEAU DE SYNTHESE DES STRATEGIES DE LECTURE REPERTORIEES .............. 362 2. SONDAGE ENSEIGNANTS .................................................................................... 363 vi 3. SONDAGE ELEVES .............................................................................................. 364 4. « FICHE DECOUVERTE » (VECTEUR 1) ................................................................ 365 5.ÉTAPES DE CODAGE ET D'ANALYSE QUALITATIVE DU CONTENU ......................... 366 6. TABLEAUX D’ANALYSES ET DE RESULTATS COMPLEMENTAIRES ..................... 370 7. ETUDES DE TEXTES DE LECTEUR ........................................................................ 385 vii Remerciements J’ai débuté ma thèse peu après avoir couru mon premier marathon, et j’ai toujours dit depuis que le chemin parcouru jusqu’à aujourd’hui lui ressemblait beaucoup. On ne finit un marathon sans croire en soi, mais surtout, sans avoir autour de soi des êtres qui vous aident à croire en vous. La première personne qui a su m’accorder cette confiance fut le professeur Philippe Meirieu, mon directeur de thèse : depuis plus de cinq ans, il a su trouver les mots pour me guider, me remotiver, être présent à chaque fois qu’il semble plus simple de tout abandonner. Cette persévérance, je la dois aussi au professeur Jean-Louis Dufays, qui m’a toujours encouragée, et dont les précieux conseils m’ont permis de gagner en rigueur et en précision dans mon travail. Messieurs, sachez que votre bienveillance restera, pour l’enseignante que je suis, une leçon à ne jamais oublier. Je n’aurais jamais pu arriver si loin sans mes chers élèves, qui furent la première de mes motivations. Ils m’ont eux aussi beaucoup appris durant cette course qui fut finalement aussi un peu la leur. De même, comment ne pas remercier de bien nombreux collègues : ceux qui furent mes enseignants autrefois, et qui m’ont donné gout à la lecture ; ceux qui eurent ne serait-ce que la curiosité de lire mes idées, pour parfois même réfléchir à leur tour ensuite à leurs propres pratiques. Ces marques d’intérêt sont déterminantes tout au long du chemin à parcourir. Je voudrais tout particulièrement remercier M. Jacques Lecavalier, pour ses premiers conseils, Mme Catherine Raclot- Marchois, pour sa confiance de toujours, M. Pierre Alain Chiffre, pour l’intérêt qu’il a depuis longtemps porté à mes travaux. Il y a aussi les proches qui sont toujours là pour vous, à quelque étape que ce soit, pour vous soutenir, vous attendre, comprendre les raisons de vos discours en forme de soliloque, vos fréquentes absences, vos étranges soucis. Merci à mon amie Laura, toujours à mes cotés et prête à m’écouter. Je suis aussi heureuse de pouvoir enfin dire à deux parents bien patients, qu’aujourd’hui leur fille a fini son nébuleux devoir : eux qui m’ont toujours trouvée très studieuse dans mes études commençaient peut-être à se questionner, bien qu’ils m’aient toujours fait confiance, mais sans peut- être savoir combien leur force face aux épreuves de la vie a été pour moi un exemple à suivre ici. Il aura fallu attendre ce 28 septembre 2015, et par là même son soixantième anniversaire, pour offrir à mon père ce cadeau peu ordinaire, en guise de merci. Enfin, il n’est de réussite sans courage, et le cœur en est l’origine, comme le savaient les héros de grands textes classiques. Aussi, à toi qui partages bien plus que ma vie et qui m’a donné la force et l’envie d’arriver jusqu’ici. 3 l'interprétation que le lecteur actif, pluriel, pourra en faire. Elle apparait ainsi comme étant toujours inachevée, amenant à concevoir la notion d'interprétation comme lecture possible, mais toujours relative, d'un texte. Les approches de l’apprentissage à l’école seront en cela bouleversées au milieu des années 1980 avec l'apparition de la lecture méthodique : celle-ci place l'activité de l'élève lecteur comme centrale, faisant de l'enseignant un médiateur qui favorise, par les interactions qu'il saura créer entre le texte et l'élève, et par son étayage, une autonomisation de l'élève face à l'analyse textuelle. Cependant, les confusions qui ont pu se faire entre ces objectifs et des méthodes de lecture notamment liées au courant structuraliste 4 , ont parfois amené à réduire cette forme de lecture à un pur « décorticage » technique dans les pratiques de lecture. De plus, ces brusques changements pédagogiques n'ont souvent pas été bien perçus par les enseignants, ce qui a finalement donné lieu à une réorganisation des Instructions officielles, et à une nouvelle définition des objectifs de cette forme de lecture, alors appelée « lecture analytique ». La lecture analytique, telle qu'elle est décrite dans les Instructions Officielles du Programme de Français pour le collège 5 , affiche des différences marquées avec le modèle lansonien de l'explication de textes. La lecture méthodique ayant été accusée d'engager les élèves dans une approche trop structuraliste des textes, la lecture analytique tient davantage compte de l'héritage des théories de la lecture dans les objectifs qu'elle poursuit : elle inscrit ainsi l'activité du lecteur comme centrale, et réaffirme que l’apprentissage de la lecture ne peut s’accommoder de la seule leçon d'humanités dictée par l'interprétation magistrale et unique de l'enseignant. Il ne s’agit pas pour autant de négliger cette approche essentielle centrée sur les savoirs littéraires, culturels, éthiques, mais il apparait nécessaire de les combiner à l’apprentissage de « méthodes » de lecture. La culture humaniste demeure donc un enjeu central, la « dimension esthétique » des œuvres est plus affirmée, mais surtout, les programmes insistent sur la « compréhension approfondie de soi et du monde » à laquelle doit tendre cet enseignement : une nouvelle approche, qui s'éloigne d'un héritage où l'éthique visait davantage le lecteur « citoyen » (dans la démocratie) que le lecteur « individu » (dans le monde). Autre finalité plus marquée, la nécessité de « développer les compétences de 4 Nous rappelons que le structuralisme est un courant des sciences humaines qui trouve son origine dans le « Cours de linguistique générale » de Ferdinand de Saussure (1916). Il propose d'appréhender toute langue comme un système dans lequel chacun des éléments n'est définissable que par les relations d'équivalence ou d'opposition qu'il entretient avec les autres : cet ensemble de relations forme ainsi une « structure ». Ce modèle linguistique a pour principale méthode l'analyse structurale des textes littéraires. 5Bulletin Officiel n°6, 28 aout 2008. 4 lecture ». Selon les termes définissant cette nouvelle approche des textes, l'apprentissage de la lecture analytique consiste en une « lecture attentive et réfléchie, cherchant à éclairer le sens des textes et à construire chez l'élève des compétences d'analyse et d'interprétation 6 ». On comprend que l'une des finalités de cet enseignement / apprentissage est de rendre l'élève « autonome » dans l'élaboration d'un sens du texte, en lui faisant comprendre pour cela que « le texte veut que quelqu'un l'aide à fonctionner » comme disait Umberto Eco 7 , et que cette coopération, cette interaction avec le texte, et l'interprétation qui en résultera, nécessitent l'acquisition de plusieurs compétences. Autrement dit, il s'agit pour l'élève de savoir mener un projet, partant de la lecture d'un texte, qui engagera tout d'abord certaines « impressions de lecture », qu'il s'agira ensuite d'approfondir, développer, justifier, voire remettre en question... Cette lecture « permet de s'appuyer sur une approche intuitive, sur les réactions spontanées de la classe, pour aller vers une interprétation raisonnée 8 ». Si elle fait écho aux théories internes de la lecture 9 qui exigent du lecteur une analyse du texte, de sa construction, de son écriture, elle se nourrit aussi des théories dites externes 10 , de la réception effective, esthétique de chaque lecteur. Le but est d'élaborer peu à peu, par cette forme de va-et-vient entre identification et distanciation face au texte 11 , une lecture interprétative, une « interprétation raisonnée » lisons-nous dans les Instructions. Autrement dit, l’élève doit pouvoir proposer une lecture structurée 12 , argumentée et personnelle. « En approfondissant ce qui a pu être acquis au cours de l'enseignement primaire, on développe l'aptitude des élèves à s’interroger sur les effets produits par les textes, sur leur sens, leur construction et leur écriture 13 » : la lecture analytique définit donc une posture de l'élève qui en fait un sujet lecteur actif, et dont la « coopération interprétative 14 » est décisive. 6 Ibid, pp. 2-3. 7 ECO, Umberto, Lector in Fabula ou la coopération interprétative dans les textes narratifs. Paris : Grasset, 1979, p. 66. 8Ibid., pp. 2-3. 9 ISER, Wolfgang, L'acte de lecture, théorie de l'effet esthétique (trad). Bruxelles : Mardaga, 1985. ECO, Umberto, 1979. 10 JAUSS, Hans-Robert, Pour une esthétique de la réception, 1978. 11 PICARD, Michel, La lecture comme jeu, 1986. DUFAYS, Jean-Louis, Stéréotype et lecture. Essai sur la réception littéraire, 2e éd. Peter Lang, 2010. 12 Ce qui explique la nécessité de verbaliser par écrit cette lecture interprétative complexe, sous la forme de ce que certains théoriciens (ROUXEL, 1997) et nous-mêmes nommerons un « texte de lecteur ». 13 Bulletin Officiel n°6. 14 ECO, Umberto, Les limites de l'interprétation (trad), Paris : Grasset. 1990. 5 Stratégies et métacognition : un apprentissage complexe La lecture analytique est donc une lecture « holistique 15 » qui se caractérise notamment par la complexité des exigences qu'elle convoque. Dans les années quatre-vingt- dix, les sujets de réflexion sur lesquels portaient les colloques en didactique concernaient fréquemment les questions d'apprentissage ainsi que le rôle de l'enseignant (l’activité de l'élève lecteur, devenue centrale, obligeant cette conversion pédagogique, nécessaire, mais difficile à mettre en place) 16 . La complexité théorique et pratique de cet apprentissage peut ainsi être l’une des raisons pour lesquelles un nombre croissant de chercheurs en didactique de la lecture interroge plus spécifiquement les opérations mentales en jeu dans cette forme de lecture. La problématique est alors de mieux comprendre et définir les processus mentaux que le travail de compréhension, d’interprétation et de construction du sens convoque chez tout lecteur, qu’il soit apprenti ou expert. Ces questionnements ont permis l'émergence de réflexions relatives aux procédures et aux processus en jeu dans les différents types et niveaux de la lecture, de sa forme littérale à sa forme la plus élaborée, et qui engagent à chaque fois une activité cognitive et métacognitive particulière. Plus récemment, l'intérêt s’est aussi porté sur les opérations mentales acquises qui structurent les rapports ou les interactions texte-élève, et que l'on nomme souvent stratégies de lecture. Si nous reprenons la classification de Manon Hébert 17 , qui a répertorié dix-neuf stratégies de lecture dans le cadre de sa recherche doctorale, il existerait quatre modes de lecture, c'est-à-dire quatre types d'interactions texte-lecteur permettant des rapports au texte différents : « la compréhension littérale », « l'engagement esthétique », « l'analyse » et « l'évaluation critique ». Bien que cette approche reste assez générale et qu'elle n'évoque pas d’autres stratégies, plus complexes, nécessaires pour les étapes d'élaboration et de structuration du sens, elle nous aide néanmoins à mieux comprendre la nécessité de questionner les stratégies de lecture en jeu dans la lecture analytique. La place de la métacognition, c’est-à-dire de la représentation que l’élève a des connaissances qu’il possède et de la façon dont il peut les construire et les utiliser, est dès lors essentielle dans cet apprentissage. Cette capacité de l’élève à réfléchir sur ses connaissances, à 15 GIASSON, Jocelyne, Lecture de la théorie à la pratique. Bruxelles : De Boeck, 2003. 16 Lectures méthodiques : quelles conceptions de la lecture ? Pour quels projets ? DUQUESNE, Dominique (dir.), Actes d’études et de recherche, Angers, 1992. 17 Co-élaboration du sens dans les cercles littéraires entre pairs en première secondaire : étude des relations entre les modalités de lecture et de collaboration, Thèse en sciences de l'éducation, 2002. 8 analytique. Ainsi, lorsque l’on consulte les résultats des enquêtes PISA 25 (enquêtes internationales qui évaluent les compétences de lecture des élèves de quinze ans), on s’aperçoit qu’un nombre croissant d’élèves font preuve d’un « bas niveau de compétences » (15,2 % en 2000, 19,7 % en 2009) : cela signifie que ces élèves ne comprennent pas ou comprennent mal ce qu’ils lisent. Ces résultats soulignent que l’apprentissage de la lecture n’est pas sans se heurter à certaines difficultés, comme nous pouvons le constater avec les limites extrinsèques et intrinsèques de l’exercice de la lecture analytique pratiqué au secondaire. Intéressons-nous tout d'abord au profil des élèves de troisième, niveau complexe, caractérisé bien souvent par des habitus 26 de lecture peu diversifiés, et aussi, mal connus. L'enseignement de la lecture interprétative au collège prend une place particulièrement importante, puisqu'il doit, à priori, doter les élèves des automatismes leur permettant, une fois au lycée, d'approfondir des capacités interprétatives acquises 27 , tout en poursuivant et approfondissant leur enseignement d'une culture littéraire, pour tendre à devenir des lecteurs véritablement accompli et autonome. Le niveau de troisième nous intéresse ainsi plus particulièrement 28 , car c'est le niveau de liaison avec l'année de seconde, où un certain nombre de ces automatismes devrait être en place. Or, ce niveau apparait bien plus complexe dès lors que l'on observe la réalité des classes. Tout d'abord, c'est là que l'on constate souvent les plus grands écarts de compétences entre élèves : les différences d'enseignement (activités, choix dans les programmes, formes d'apprentissage selon les enseignants précédents, et les diverses finalités de chacun par cette « liberté » des Instructions ...), de niveau de classe, amènent l'enseignant à devoir travailler avec des élèves qui n'ont la plupart du temps pas du tout le même mode ni le même niveau de lecture, certains n'étant encore qu'au stade de « lecteurs en transition » alors que d'autres sont déjà des « lecteurs confirmés 29 ». Certains élèves ont gardé, voire aggravé des lacunes déjà présentes en sixième 30 . L'enseignant peut, de ce fait, 25 PISA : programme international pour le suivi des acquis des élèves ne compréhension de l’écrit, réalisé par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) dans 57 pays. 26 BOURDIEU, Pierre, Esquisse d’une théorie de la pratique, 1972. 27 « Elle a pour but l'examen méthodique des textes et constitue un travail d'observation des éléments constitutifs de ceux ci, suivi d'un travail d'interprétation. La lecture est une démarche, c'est-à-dire qu'elle peut se réaliser sous la forme d'exercices divers [...]. Ils [les élèves] ont pris l'habitude d'analyser des textes au collège » : Accompagnement des programmes, Français, classes de seconde et premières, p. 82. 28 Comme il intéresse et questionne aussi chercheurs et enseignants (voir numéro 95 de Pratiques), ou par des projets académiques, comme à travers les liaisons troisième/seconde actuellement en Saône et Loire notamment, dirigées par Pierre-Alain Chiffre (I.P.R. Lettres Bourgogne). 29 GIASSON, Jocelyne, Op.cit., p. 30. 30 Séverine de Croix avait observé plusieurs d'entre elles, suite à une recherche-action en didactique de la lecture littéraire: prenant appui sur la typologie des profils de mauvais « compreneurs » élaborée par Van Grunderbeeck et Payette 9 préférer s'en tenir à une « lecture compréhension », plus facile d'accès au plus grand nombre, plutôt que de viser un apprentissage plus complexe, une approche interprétative des textes, telle qu'elle est inscrite dans les programmes 31 . A cela s'ajoutent des problèmes de représentations de cet exercice de lecture, encore plus ancré à ce niveau : pour 80 % des élèves que nous avons pu suivre pendant un année scolaire, juste avant de commencer la démarche, la lecture en classe « ça ser[vai]t à rien, puisqu'on sait déjà lire », ou alors, « ça rev[enait]t à connaitre ses plans par cœur »... Nous sommes bien loin des objectifs métacognitifs prônés par les Instructions. De même, pour la plupart, comme le souligne aussi Jean-Louis Dufays, un texte n'a, de toute façon, qu'un sens, et c'est l'enseignant qui détient et peut connaitre seul ce savoir 32 . De cause à effet, nous verrons par la suite qu'il nous a été permis de constater que les élèves de niveau troisième avaient des habitus très peu diversifiés, avec une utilisation de stratégies à dominante littérales, des inférences peu élaborées, et de grosses difficultés à combiner ces stratégies pour structurer leurs hypothèses et construire une lecture raisonnée. Mais ce constat mitigé n'est-il dû qu’aux capacités des élèves, ou tient-il aussi à l'apprentissage qui leur est fourni ? Qu’en est-il alors des pratiques pédagogiques et des outils didactiques relatifs à cet apprentissage de la lecture ? Une des limites intrinsèques de la lecture analytique provient de la complexité et du flou conceptuel d'Instructions Officielles qui peuvent être perçues comme lacunaires à bien des égards. Nous reviendrons en premier lieu sur la question de la définition des termes : combien de définitions peut-on ainsi donner du terme « d'interprétation raisonnée » par exemple, quand on sait déjà toute la complexité qu'il peut y avoir à définir la seule notion d'interprétation, dans le cadre scolaire, en comparaison avec la notion de compréhension ? Où peut-on lire une véritable volonté de diversifier les approches face au texte, pour montrer la richesse d’une lecture qui s’intéresse aussi aux émotions du lecteur, à sa (2007), elle répertorie : « les élèves trop centrés sur les microprocessus (qui ne sont pas tout a fait automatisés) : ceux-ci ne parviennent pas à dégager l'essentiel du texte », « les élèves [qui] ne saisissent pas les liens sous-jacents : c'est principalement l'inférence qui leur pose problème », « les élèves dont la compréhension est trop globale » , et qui prélèvent quelques indices, s'aident de leurs connaissances et finissent souvent dans le hors-texte », et enfin les élèves qui ont « des difficultés à verbaliser leurs démarches et à justifier leurs propositions par un retour circonscrit au texte. », (article « Comprendre et accompagner les élèves en difficulté de lecture au début du secondaire », Lettre de l'AIRDF, 49, p. 6). 31Bernard Veck et Jean-Marie Fournier, dans un numéro de Pratiques (n° 95) qui fait le point sur la littéraire en 3e/2e et sur les problèmes liés à cet apprentissage, soulignent ainsi : « nous retiendrons […] que la lecture-compréhension domine largement au collège sur la lecture-interprétation ». Et qu'au lycée, « ce sont les résultats de la lecture, non les procédures auxquelles elle a eu recours, qui cherchent à se transmettre » 32 Observation déjà vérifiée par Jean-Louis Dufays, selon laquelle « La représentation dominante de la lecture littéraire en 3e-2e repose sur la croyance dans le sens unique » : « les motivations des élèves sont fortement enracinées dans une lecture consommatrice axée sur l'action, l'émotion et l'illusion référentielle, et dans une conception monosémique de la littérature : pour eux, les textes ont un sens unique qui correspond à la volonté de leur auteur. […] S'ajoute à cela […] une conception de la lecture comme attitude passive, contemplative, soumise à la célébration d'un sens déjà là. » (Op. cit., pp. 31- 52). 10 subjectivité, comme ce peut être le cas en lecture cursive, ou dans l’enseignement de la lecture littéraire en primaire ? Malgré la volonté de se distinguer de la lecture méthodique, le vocabulaire employé dans les textes officiels du collège préconise davantage une lecture objectivante, qui ne propose pas de réfléchir, dans la progression de cet apprentissage, aux apports possibles d’autres modèles de lecture, plus participatifs ou dialectiques, alors que ces modèles ont pris une place aussi importante dans toute la recherche en didactique de la littérature depuis les années 2000, créant ainsi un écart grandissant entre des conceptions de l’enseignement de la lecture littéraire et les prescriptions des instructions officielles. De plus, qu'en est-il de la progression pédagogique de la sixième à la troisième ? Si nous regardons les instructions, nous constatons une forme de « copier-coller » d'un niveau à l'autre, laissant l'enseignant seul gérer cette progression, comme s'il avait en charge les mêmes élèves de la sixième à la troisième.... Quelle évolution dans l'apprentissage, dans l'autonomisation ? Quels objectifs généraux, spécifiques ? Par quels outils didactiques et démarches pédagogiques parvenir à combiner les différents procédés, pour amener à cette construction structurée d'une lecture interprétative ? Ainsi, concernant l'une des étapes de cette construction du sens, à savoir le questionnement premier du texte permettant l'émergence de premières « impressions de lecture », Annie Rouxel souligne qu’ « en vérité, le problème essentiel d'une formation au questionnement des textes est quasiment évacué des textes officiels 33 ». Cela pourrait apparaitre comme une forme de liberté pédagogique laissée à l'enseignant, si l'exercice n'impliquait pas une telle complexité quant aux processus mentaux et stratégies qu'il exige, et si la formation initiale au CAPES préparait les futurs enseignants, en prenant systématiquement en compte ces préoccupations didactiques 34 . L'instabilité diachronique de cette lecture scolaire renforce la complexité intrinsèque de l'exercice lui-même, qui pêche encore par manque d'étayage didactique pour les enseignants, comme ce fut déjà le cas pour la lecture méthodique. Ainsi, comme le disent Dominique Bucheton 35 , ou encore Bénédicte Etienne, « le problème est que relisant toutes ces défenses et illustrations pour y chercher des indications sur les moyens éventuels à mobiliser pour réaliser l'idéal, on reste un peu sur sa faim. […] Peu de visibilité aussi du côté des objectifs d'apprentissage, dont la vulgaire 33 ROUXEL, Annie, Enseigner la lecture littéraire, 1997, p. 109. 34 L'enquête d’Anne-Raymonde de Beaudrap tend à souligner le contraire, au vu des profils enseignants qu'elle a établis suite à son enquête auprès de jeunes professeurs stagiaires. On rappellera de plus que, de toutes les épreuves du Capes de lettres modernes, une seule a une visée didactique, l'épreuve d'oral de didactique du français. 35 Pour Dominique Bucheton, « le problème vient du fait que les “anciennes” théories ne tiennent plus vraiment, que les théories “nouvelles” ne sont pas didactisées suffisamment et qu'elles sont encore […] conflictuelles et insatisfaisantes. On est dans cette espèce de charnière difficile » (Lectures méthodiques : quelles conceptions de la lecture? Pour quels projets?, DUQUESNE, Dominique (dir.), Actes d’études et de recherche du colloque d'Angers, 1992, p. 361). 13 Almasi 1996 ; Marshall, Samgorinsky et Smith 1995). […] En France, Nonnon (1995) a observé le même phénomène au lycée dans des séances […] que les maitres percevaient pourtant comme très réussies [alors qu'ils occupaient] un temps de parole de 70 % environ 44 ». Ces deux types d'interactions peuvent alors conduire à privilégier, au lieu de relier, « méthodes » ou « humanités », savoirs ou savoir-faire, « lecture compréhension », ou « méthodologie d'analyse » visant à vider le texte littéraire de sa substance, pour remplir les espaces de chaque sous-partie d'un plan de lecture proposé par l'enseignant. Nous retrouvons donc ici les dérives précédentes, faisant écho à l'héritage de l'explication de texte pour l'un, à la lecture méthodique pour l'autre... Si nous reprenons les termes d’Anne Raymonde de Beaudrap 45 , au lieu d'un savant mélange de « méthodes » et d' « humanités », permettant une approche plurielle et interprétative des textes, nous nous trouvons face à une dichotomie sclérosante et peu attrayante pour des élèves passifs ou « automates 46 ». Vers une problématique de l'effort interprétatif... Ces dérives ne favorisent donc pas l'apprentissage de l'élève, dans le sens où elles sclérosent l'effort interprétatif de ce dernier, amènent à « un retrait de l'effort » comme dirait Luc Maisonneuve 47 ... Faute de démarches favorisant la zone proximale de développement, mobilisant l'élève face au projet de lecture proposé, au « défi 48 » de lecture, faute d'outils didactiques adaptés, voire, à cause de l'utilisation de certains 49 , on en arrive rapidement à démobiliser l'élève et à aller à rebours des objectifs mêmes de l'exercice. Ainsi, certains supports ou outils didactiques, tels certains manuels scolaires semblent, comme nous l'avons vu, non pas stimuler l’activité interprétative de l'élève, mais contraindre ce dernier, par le cloisonnement des consignes, à une passivité occultant tout apprentissage : « les opérations demandées à l'élève façonnent un lecteur “ hors sujet ” qui s'abstient de projeter dans sa 44 HEBERT, Manon, « L’oral et l'écrit réflexifs », La didactique du français oral au Québec, p. 98. 45 « La culture littéraire au second degré : quand les humanités doivent résister aux méthodes », 7emes rencontres des chercheurs en Didactique de la Littérature, 2008. 46 ETIENNE, Bénédicte, « De la dérive techniciste à la tectonique des textes », Le Français aujourd'hui, n° 175. 47 MAISONNEUVE, Luc, « Du retrait magistral au retrait du texte », Le Pari de la littérature, quelles littératures de l'école au lycée ? Actes des journées d'études de mars 2002 à l'université Stendhal, coord. par BRILLANT-ANNEQUIN Anick. et MASSOL Jean-François., Grenoble, 2005, p. 215. 48 Thierry Hulhoven dit ainsi qu’ « il faut donc essayer de placer la barre juste là où ils auront le sentiment d'avoir relevé un défi » (Lectures méthodiques… DUQUESNE, Dominique (dir.), p. 360). 49 C’est notamment le cas de certains manuels, comme le souligne Luc Maisonneuve : « tous les dispositifs d'apprentissage de la lecture mis en place dans les manuels du corpus évitent la confrontation avec le texte » (Ibidem) ou Annie Rouxel : « Au lieu d'être une aide, [les questions de manuels] provoquent le découragement. […] Les grilles d'analyse sont tout aussi impersonnelles. Symptôme de la dérive techniciste de la lecture méthodique, elles développent des comportements mécaniques et contribuent à un émiettement du texte dans d'interminables repérage » (Op. cit., pp. 107-108). 14 lecture quelque valeur éthique, affective ou sociale […]. La logique de la compréhension qui prévaut dorénavant au collège […] interdit toute initiative au sujet lecteur 50 ». Quant aux pratiques enseignantes, certaines ne semblent que « renforce[r] les routines professionnelles 51 » des enseignants, en proposant une mécanique sans moteur ou finalité didactique 52 . Nous comprenons donc que cet apprentissage exigeant et complexe doit permettre à l'élève de produire une lecture interprétative d'un texte littéraire par un étayage qui favorise l’utilisation de stratégies de lecture plurielles, contribuant à l’élaboration progressive du sens. Pour ce faire, il s'agit de réfléchir aux moyens de ce rapport au texte, aux conditions de cet apprentissage. Cela revient à questionner les outils didactiques qui seront les plus à même de mobiliser les opérations mentales nécessaires, de confronter l'élève au texte, par cet effort interprétatif indispensable à toute lecture dépassant l'approche littérale et optimisant l'autonomisation de l'élève dans son rapport au texte 53 . Si nous avons souligné à la suite d’autres chercheurs l'intérêt possible des vecteurs de l'interaction, nous nous apercevons que le texte littéraire n’a pas été encore vraiment pris en compte. Or, la nature du texte à lire ne peut-elle être un autre type d'outil didactique à même de favoriser l'apprentissage, en fonction de ses caractéristiques intrinsèques ? Certaines des recherches que nous avons mentionnées jusqu’alors s’intéressent davantage aux vecteurs de l'interaction texte-élève, faisant du texte un objet qui ne demande pas à être interrogé quant à ses possibles apports et limites didactiques. Le texte littéraire, objet d'étude, ne peut-il aussi être questionné en tant qu’outil didactique ? On souligne souvent les dérives de « l'utilisation du texte 54 » à des fins purement analytiques, technicistes, mais ne pouvons-nous nous inscrire dans cette autre réflexion qui fait le « pari » de concevoir le texte littéraire tout à la fois comme un outil didactique (et non un pur « contenant à analyse ») ET un objet littéraire à découvrir ? Le défi serait alors d’aller 50 DEMOUGIN, Patrick, « Texte / littéraire : chronique d'un divorce annoncé », Enseigner la littérature, FOURTANIER, Marie-José. et LANGLADE, Gérard (dir.), 2000, p. 223. 51 CEBE, Sylvie et GOIGOUX, Roland, « Pratiques pédagogiques », Lector & Lectrix : apprendre à comprendre les textes narratifs CM1, CM2, 6e, Segpa, 2009. 52 Nous pourrons aussi citer Gérard Langlade : « la lecture des livres du maître de nombreux manuels du second cycle […] se bornent, la plupart du temps, à expliciter, sinon à exposer, une signification. On connaît les dérives d'une telle pratique: les textes en viennent à être occultés […] la lecture devient simple exercice de reconnaissance dans le texte de ce que l'on savait déjà, ce qui conduit à un degré zéro de l'herméneutique littéraire. », « du sens expliqué au sens construit », Lectures méthodiques…, DUQUESNE, Dominique (dir.), p.18. Ou encore COIRAULT, Déborah et DAVID, Jacques, « étude des manuels de 3e au collège », Le français aujourd'hui n° 175. 53 Il s’agit donc de trouver des pistes permettant de dépasser cette dichotomie du « dire » et du « faire », pour faire écho à Philippe Meirieu (La pédagogie entre le dire et le faire, 1995), de la théorisation de cet apprentissage et de sa mise pratique effective et efficace. 54 « Le texte littéraire n'est plus au centre de la pratique scolaire. On ne propose plus d'aborder la littérature par les textes, mais bien de travailler le texte, en particulier dans ses formes littéraires » (DEMOUGIN, Patrick, Op.cit., p. 220). 15 plus loin que cette seule question, qui a déjà été posée, mais de mieux comprendre en quoi le texte littéraire, en fonction de ses caractéristiques génériques 55 , de son accessibilité, de ses contraintes, peut ou non favoriser une approche plus ou moins cognitive et métacognitive des textes, mais aussi l'effort interprétatif, voire le gout de l’énigme… Évolution du texte littéraire dans la lecture scolaire au secondaire De même que l'évolution de l’enseignement de la lecture avait pu créer schismes et tremblements dans les fondements mêmes de la notion de « littérature » (notamment avec la question lecture / littérature et le diptyque humanités / méthodes), l'évolution du texte littéraire dans le cadre scolaire ne s’est elle aussi pas faite sans transformer le statut de ce dernier. Patrick Demougin en fit le sujet d'un article : « Texte / littéraire : chronique d'un divorce annoncé », où il explique : « Le texte se construit d'abord contre la littérature [du fait] qu'il découpe plus qu'il ne tisse […]. La présence de l'école modifie la question : pour d'évidentes raisons dialectiques, elle doit découper. Très tôt elle prélève dans la littérature ce qui se prête au découpage, par exemple les fables […]. Ces prélèvements sont nommés « morceaux choisis » ou « extraits » et sont promis à un bel avenir scolaire. Il n'est pas encore l'heure de penser le « texte littéraire » […]. Les manuels vont développer la lecture à partir des « morceaux choisis », des « extraits » d'anthologie. Le « texte » est perçu, à partir de la deuxième moitié du 19eme, comme une unité de travail scolaire, comme le support de l'activité...». Si la première occurrence de « texte littéraire » n’apparaît qu'en 1947 56 , le couple « texte littéraire » termine sa courte vie commune entre 1980/1990, où l'on passe des textes au Texte, de l'unité de travail scolaire à l'unité d’analyse théorique [...]. Le « texte littéraire » n'est plus au centre de la pratique scolaire. On ne propose plus d'aborder la littérature par les textes, mais bien de travailler le texte, en particulier dans ses formes littéraires 57 ». Patrick Demougin finit en constatant que depuis les années 1990, les manuels se caractérisent par un nombre croissant de questionnaires, à l'inverse du nombre de textes littéraires. « Cette scolarisation de la littérature et des théories du texte ne satisfait aucune des exigences des deux discours en présence [...], et la logique de la compréhension qui prévaut dorénavant au collège interdit toute initiative au sujet lecteur ». Cette « dévitalisation » du 55 Ainsi, pour reprendre le titre d'un ouvrage de l'AIRDF, coordonné par Glais CORDEIRO et David VRYDAGHS, Les genres dans l'enseignement du français : un objet et / ou un outil didactique ? 56 « “Dans le premier cas, le “ texte ” isole, extrait, délimite ; dans le second, l'adjectif “ littéraire ” intègre, associe et rassemble. La théorie scolaire implicite du texte littéraire se trouve construite, mais de manière instable” ». 57 « La didactique de la littérature tient enfin, avec le texte, l’objet d'une transposition qui ne s'alimente plus à la source imprécise de l'histoire littéraire, des auteurs et des œuvres, mais à celle beaucoup plus structurée des sciences du langage et du texte », Ibid., p. 217. 18 ou de ses gouts, de privilégier un genre, ou un type de texte, au détriment d'un autre. Si tant est que d'autres enseignants aient opté pour les mêmes choix, on peut se retrouver en troisième avec des élèves qui auront très peu été au contact de textes poétiques par exemple. Le cadrage national des programmes de collège est donc assez vague : on connait les grandes lignes de lecture de chaque niveau, mais pour l'enseignant devant jongler entre œuvres déjà étudiées, contraintes budgétaires (cout d'un livre à acheter ou faire acheter), pédagogiques, et aspirations personnelles, nous comprenons que cette liste ouverte puisse avoir un caractère paradoxalement frustrant. Une enquête 61 réalisée dans quatre collèges de Saône et Loire en 2010 auprès de vingt professeurs a ainsi permis mettre en évidence quelques caractéristiques relatives à ces choix, ou du moins des points communs 62 . Tout d'abord, il ressort de cette étude que plusieurs enseignants disent choisir leurs œuvres en fonction de leur gout personnel, comme on l'a dit, mais aussi, pour « susciter du plaisir » chez leurs élèves. Or, bien que le « plaisir » de lire soit une notion aussi évidente qu'essentielle, qu'il nous faudra évidemment prendre en compte, quel est le statut de cette notion dans cet apprentissage, et dans ses finalités ? Est-ce le texte qui intrinsèquement doit être objet de plaisir, ou est-ce là où il peut nous mener ? Nous sommes ici dans une forme de relativité maximale, et si nous reprenons les programmes, ainsi que le nombre important de réflexions qui ont été publiées sur la question 63 , nous pouvons nous demander si, dans ce cadre, le « plaisir » nait du rapport intrinsèque au texte, ou de l'aventure interprétative où ce dernier nous mène. Autrement dit, l’origine du plaisir provient-elle du texte en soi, ou de la forme de lecture qui fait naitre cette rencontre et donc, des pratiques pédagogiques inscrites dans le cadre d’un apprentissage? De même, pour aller dans le sens d’Anne-Raymonde de Beaudrap, le fort taux de réponses relatives aux « gouts personnels » et au « plaisir de lire des élèves » nous amène à établir un lien entre les deux réponses : nous comprenons la volonté de l'enseignant de transmettre ce plaisir qu'il ressent à la lecture d'une œuvre, mais ce plaisir est-il transmissible directement, voire, simplement transmissible ? Qu'est-ce qui fait naître ce plaisir, s'il ne subsiste pas dans la seule proposition de lecture ? 61 Voir annexe. 62 La réalisation des questions du sondage a fortement été inspirée des recherches menées par Anne-Raymonde de Beaudrap et que l'on retrouve notamment dans les actes des 7e rencontres des chercheurs en didactique de la littérature de 2006, sous le titre : « La culture littéraire dans le second degré : quand les humanités doivent résister aux méthodes ». 63 DUFAYS, Jean-Louis, 2001 ; ROUXEL, Annie, 1995; De BEAUDRAP, Anne.-Raymonde, 2008 ; etc. 19 Deuxième remarque qui, selon les résultats de l'enquête, s'inscrit comme une conséquence de la première : nous avons pu noter la préférence accordée pour les textes narratifs, et en particulier pour les nouvelles et les contes. Ceux-ci semblent devoir cette sympathie à un schéma narratif clair, une progression thématique efficace, dont se rapproche aussi la fable, un peu plus complexe, mais dont la dimension morale « ouvre des portes » à la réflexion en classe à partir de la lecture. En revanche, si nous poursuivons sur la question des genres, la poésie, que les enseignants apprécient pourtant à titre personnel, est particulièrement délaissée dans les programmations annuelles. Comme le soulignait déjà Marie-Thérèse Denizeau, « la poésie, dégagée de sa fonction éducative, est cependant mal à l'aise à l'école 64 ». Certains enseignants reconnaissent ne pas avoir étudié plus de trois textes poétiques dans l'année, alors qu'ils ont étudié trois œuvres intégrales romanesques et plus de deux pièces de théâtre dans leur intégralité aussi. Lorsqu'il leur fut demandé la raison de ce déséquilibre, dont ils se rendaient d'ailleurs compte par le biais de cette enquête, beaucoup ont répondu qu'ils trouvaient ces textes de manière générale plus difficiles à aborder en lecture analytique, notamment ceux qui se caractérisent par l'ellipse et les figures de style multiples, qu'ils qualifiaient de ce fait d'« hermétiques 65 ». Cette impasse connue et assez fréquente expliquerait-elle aussi, sans la justifier, la faible présence des textes poétiques aux épreuves de Diplôme National du Brevet, voire à l’Epreuve Anticipée de Français ces dernières années 66 ? Ces réponses nous amènent en tout cas à questionner la relation texte-élève en ce qui concerne la « difficulté » non seulement de la lecture interprétative mais aussi de l'objet littéraire, dont les caractéristiques peuvent favoriser ou perturber l'accès au sens. Autrement dit, il s’agit de questionner non seulement les capacités de l'élève, mais aussi les caractéristiques de l'objet littéraire. 64 Le Pari de la littérature, quelles littératures de l'école au lycée ? Actes des journées d'études de mars 2002 à l'université Stendhal, BRILLANT-ANNEQUIN Anick et MASSOL Jean-François (coord.), Grenoble, CRDP, 2005. 65 On se reportera aussi au sondage réalisé par Anne Raymonde de Beaudrap auprès de professeurs (de lycée) sur les œuvres prioritairement enseignées en classe ou conseillées : Molière, Balzac, Zola, Flaubert, Maupassant, Voltaire, Proust et d'autres... mais deux seuls poètes (dont un étudié pour ses romans !) : Hugo et Baudelaire... (Op. cit.). 66 DEBREUILLE, Jean-Yves., Enseigner la poésie ? 20 Vers la nécessité de valoriser les textes poétiques résistants dans l’apprentissage de la lecture analytique Du « retrait de l'effort » au « texte résistant » : hypothèses autour du texte poétique Le choix des textes littéraires dans l'apprentissage de la lecture analytique dépend de plusieurs facteurs : les objectifs de progression séquentielle, le plaisir de lire, la visée de l'étude orientée vers les méthodes et / ou les humanités et donc, le niveau d'accès du texte et la facilité avec laquelle l’enseignant juge que l'élève peut comprendre, au niveau littéral du moins, le contenu textuel. Compte tenu des difficultés de lecture de certains élèves et de l'hétérogénéité des classes, nous pouvons en effet penser qu'il est préférable de choisir des textes dit « faciles d'accès », autrement dit, qui convoquent surtout des stratégies de lecture littérale et qui ne nécessitent pas un nombre élevé d'inférences complexes ou élaborées, pour que l'élève en ait une compréhension minimale. Des variables spatio-temporelles, un cadre d'énonciation et des thématiques assez clairement définies, un lexique peu élaboré facilitent entre autres ce type de compréhension, dont beaucoup d’œuvres de jeunesse peuvent servir d’exemple. C’est d’ailleurs ce qui explique en partie la présence croissante de la littérature de jeunesse en primaire et dans les premiers niveaux de collège. Il s'agit, en apparence en tout cas, de textes qui n’opposent pas de « résistance » à la lecture, ni par manque de données permettant cette compréhension (de « réticence »), ni à l’inverse, par un trop-plein d'informations (une « prolifération 67 »). Si les professeurs interrogés expliquaient en majorité leurs propres choix par l'hétérogénéité trop forte de leurs classes, des écarts trop importants entre « bons lecteurs » et élèves en grande difficulté de lecture, le temps octroyé à chaque étude, ils reconnaissaient aussi que ces mêmes textes n'étaient pas toujours ceux qu'ils auraient choisis du point de vue de leur contenu, ou des stratégies métacognitives qu'ils permettaient de convoquer. En recoupant les réponses relatives aux œuvres et aux textes les plus lus par leurs élèves dans le cadre de la lecture analytique, nous nous sommes ainsi rendu compte que les 67 Nous employons dès à présent le vocabulaire utilisé par Catherine Tauveron bien qu'il s'applique en priorité aux textes narratifs, et plus spécifiquement dans le cadre de l’apprentissage de la lecture en primaire, mais il nous sera d'une grande aide pour la suite de cette recherche (Comprendre et interpréter le littéraire à l'école et au delà, 2001). 23 littéraires, pouvaient être un levier à la lecture interprétative, plus qu'un frein. Comme le dit Annie Rouxel : « les textes littéraires, surtout lorsqu'ils résistent à la compréhension immédiate, se prêtent particulièrement à la formation des lecteurs, la complexité stimulant des démarches heuristiques » 74 (on remarquera d'ailleurs qu’Annie Rouxel emploie elle aussi le verbe « résister » ici). Nous regroupons donc en quelque sorte les interrogations formulées dans l'ouvrage évoqué et celles des chercheurs précitées, en nous demandant si un genre donné, la poésie, avec ses caractéristiques 75 , ne peut « se prêter particulièrement à la formation des lecteurs » (Rouxel) et faire du texte poétique, « un objet ET un outil didactique » (pour reprendre le titre de l'ouvrage). La résistance poétique, les indéterminations et la complexité intrinsèque de certains de ces univers clos, remplis d'incertitudes, ne pourraient-elles stimuler et cultiver le gout de l’énigme dont nous parlions précédemment, et par là mobiliser les élèves, tant d'un point de vue cognitif, que métacognitif ? Ne pouvons- nous voir, dans cette proposition à « plonger dans l'inconnu » du texte, un projet de lecture favorisant l'apprentissage de l'élève, son activité effective, tout au long du cheminement interprétatif ? Que peuvent nous apprendre ces textes poétiques s’ils ne sont pas que ces lieux inconnus, où le lecteur avance sans repère et dans l’incertitude? Valoriser la lecture de textes poétiques résistants dans l'apprentissage de la lecture analytique Nous proposons à présent de clarifier et de synthétiser les pistes de recherche de notre thèse et qui vont motiver notre discours, chacune de ces pistes visant in fine à montrer l’intérêt de valoriser la lecture de textes poétiques résistants dans l’apprentissage de la lecture analytique. Nous avons compris que l’exercice de la lecture analytique était complexe, et nous tenons à présent à redéfinir ici ses objectifs, à les clarifier, voire à prendre un parti pris définitionnel, pour comprendre la pluralité des rapports au texte qu’il doit permettre et qui doivent être mieux explicités et mis en pratique qu’ils ne nous semblent l’être actuellement. Nous avons souligné les inégalités dans les types de textes choisis lors des études de textes au secondaire, notamment dès qu’ils apparaissent complexes, « hermétiques », 74 « Les recherches de Catherine Tauveron et Patrick Demougin, entre autres, ont montré que les potentialités des jeunes élèves restent trop souvent en friches actuellement. Ne pas attendre le lycée pour effectuer le saut qualitatif est un enjeu fort qui repose sur un choix épistémologique et éthique qu'il conviendrait d'aborder en formation » (ROUXEL, Annie, « identité disciplinaire : éclatement ou cohérence », Le Pari de la littérature …, Op.cit., p. 25. 75 Nous reviendrons sur ces caractéristiques qui nous ont amenée à cette valorisation du texte poétique résistant. 24 « résistants » 76 . Nous voudrions souligner les intérêts didactiques de ces textes résistants, comme plusieurs chercheurs l’ont déjà fait, tels Annie Rouxel, Catherine Tauveron, Jean- Louis Dufays. Notre étude aura cependant des objectifs plus précis encore : il s’agira de montrer que les caractéristiques des textes poétiques résistants font de ces textes littéraires des aides, des outils didactiques pour l’apprentissage de la lecture analytique et pour la compréhension de la notion d’interprétation. Si des études sur les textes résistants ont déjà été faites, nous voulons pour notre part cibler les caractéristiques spécifiques du texte poétique résistant, notamment en ce qui concerne les lieux d’indéterminations qui fondent leur caractère résistant, et qui touchent en particulier l’énonciation et la référence. Il s’agit de mieux comprendre en quoi les lieux de résistance de ce type de texte apparaissent comme des obstacles positifs pour l’élève, sur le plan tant cognitif que métacognitif. Nous voulons ainsi aller plus loin, en analysant de manière plus précise les stratégies de lecture qu’ils convoquent, ce qui nous demandera de « lister » un certain nombre d’entre elles, en fonction des types de rapports au texte qu’elles privilégient (expérientiel, culturel textuel, critique) pour avoir une connaissance plus précise de la présence de ces opérations cognitives. C’est une analyse qui nous semble essentielle pour mieux comprendre l’impact de ce type de texte dans le cadre de cet exercice, et la nature de ses influences sur le lecteur. Cette analyse des approches (« modes de lecture ») et des stratégies de lecture nous aidera à mieux comprendre en quoi les textes résistants favorisent une approche plurielle des textes, tant au niveau des modes de lecture que des formes de rapports impliquées et distanciées face texte, lors de toutes les phases d’élaboration du sens. De plus, les lieux d’indéterminations du poème résistant, en favorisant des formes d’implication plurielles du lecteur (affective, argumentative), ont donné lieu à différentes interprétations et à des textes de lecteur pluriels (pluralisation des interprétations), permettant aux élèves de comprendre la possibilité de plusieurs lectures pertinentes d’un même texte littéraire Nous analyserons aussi les degrés d’élaboration de sens (explication, justification, inférences) et la structuration des textes de lecteur des élèves, pour comprendre en quoi le texte poétique résistant participe à l’approfondissement des hypothèses, favorisant ainsi l’effort interprétatif, le dialogue avec le texte, et engageant ainsi une forme de réflexivité supplémentaire. Ce lien entre l’effort interprétatif motivé par le texte résistant et ces 76 BRIOLET, Daniel, Poésie et Enseignement, Thèse d'état soutenue en 1983 ; DEBREUILLE, Jean-Yves (dir.), Enseigner la poésie ?, 1995 ; DUVAL, Isabelle, « La poésie et l'enseignement du français », revue Québec français, n° 135, automne 2004 ; CANVAT, Karl et LEGROS, Georges, « Enseigner la poésie moderne ? », Pratiques n° 93, 1997. 25 approfondissements cognitifs et métacognitifs nous semble en effet devoir être plus approfondi. Pour pouvoir disposer d’une analyse précise à un moment d’élaboration assez poussé, et pour comprendre quels auront été les hypothèses de sens et les rapports au texte qui auront le plus motivé les élèves, nous avons donc choisi d’analyser les verbalisations écrites finales des élèves, c’est-à-dire leurs textes de lecteur. L’intérêt d’une démarche pédagogique permettant de varier les rapports au texte (individuel, en groupe) et de verbaliser par écrit les formes et les justifications de ces rapports sera essentiel. Les caractéristiques et les objectifs de cette démarche seront aussi le fruit d’une analyse critique des instructions officielles de la lecture analytique proposée au collège. Nous soulignerons ainsi non seulement le flou conceptuel qui les caractérise, mais il s’agira aussi de mettre en évidence la prédominance d’une approche encore trop objectivante, qui ne réfléchit ni aux possibles articulations des modèles de lecture prédominant, ni aux intérêts didactiques et pédagogiques de cette articulation. C’est pourquoi nous nous situerons clairement dans un cadre théorique préconisant un apprentissage qui s’inspire du modèle de lecture littéraire pluriel défini par Michel Picard et Jean-Louis Dufays 77 . Nous montrerons par là même la complexité de cette lecture, mais aussi la pluralité et la richesse qu’elle peut proposer, et donc l’importance de mieux comprendre les objectifs de cet exercice 78 , les capacités des élèves. Ces réflexions nous aideront ainsi à mieux souligner l’intérêt didactique du texte poétique résistant pour les objectifs de l’exercice et pour une meilleure compréhension et un développement plus complet des capacités des élèves. Enfin, le niveau de troisième qui a été choisi aura son importance, car les études questionnant l’intérêt des textes résistants portent souvent davantage sur le primaire (Catherine Tauveron) ou le lycée (Annie Rouxel, Jean-Louis Dufays) ; or ce niveau charnière qu’est la troisième semble devoir être pris davantage en compte, interrogé, pour mieux comprendre les attentes du lycée, les désillusions aussi, et questionner ainsi davantage les programmes et les pratiques à mettre en place en troisième, mais aussi, plus largement, durant les quatre années de collège. 77 Dans ce système combinatoire, la place de l’approche analytique sera bien sûr encore marquée, à cause des objectifs inscrits dans les programmes et de ceux qui seront poursuivis ensuite au lycée. Néanmoins, cette approche n’apparaitra pas comme exclusive. 78 Avant d’enseigner explicitement les objectifs de la lecture analytique aux élèves, celui-ci doit aussi être proposé à ceux qui l’enseignent. 28 ces derniers dans cet apprentissage, à les mettre en relation avec les potentiels vectoriels, et avec les objectifs complexes de l'apprentissage en question. Nous serons ainsi mieux à même d'évaluer les intérêts et les limites d'une telle approche des textes poétiques résistants, en reprenant certains des points principaux de notre problématique : effort interprétatif, plaisir de lire, apprentissage, rapport(s) au texte et compréhension de la notion d'interprétation. Comme le dit Philippe Meirieu 85 , « le désir vit de l'énigme ». Le texte poétique résistant, par ses « mystères », ses lieux d’incertitude, pourrait ainsi motiver ce désir, et devenir énigme… Le célèbre poète français René Char disait que « le poème est l'amour du désir demeuré désir », « l'énigme » est d’ailleurs un des termes clés de toute sa poétique. Il n'en fallait pas plus pour faire de l'un de ses poèmes, « Evadné », justement situé dans Fureur et Mystère, le texte à partir duquel engager nos analyses et nos recherches.... Une première partie nous permettra de souligner la complexité intrinsèque et extrinsèque de la lecture analytique, nécessitant de ce fait un apprentissage où les outils didactiques doivent aussi être définis par des formes de contraintes qui paradoxalement permettent de favoriser l’élaboration du sens, par l’effort interprétatif. Nous verrons ainsi en quoi le texte littéraire peut s’inscrire en tant qu’outil didactique essentiel dans cet apprentissage, dès lors que certaines de ses caractéristiques en font un objet résistant. Cela nous amènera à expliquer pourquoi nous voyons plus précisément dans certains textes poétiques des formes de résistance qui en font des objets culturels et didactiques pertinents pour accéder à une lecture analytique renouvelée. Une seconde partie proposera une mise en oeuvre auprès d’élèves de troisième, dans le but de montrer en quoi les textes poétiques résistants sont un opérateur décisif pour accéder à la lecture analytique et ce, en mettant la résistance d’un texte poétique contemporain à l’épreuve des faits, dans le cadre d’une démarche d’apprentissage structurée. Les conclusions des analyses de données nous amèneront à mieux comprendre en quoi la rencontre avec des textes poétiques résistants doit être une expérience indispensable pour les élèves en lecture analytique. 85 Apprendre oui, mais comment ?, Paris, ESF éditeur, 1984, p. 85. 29 Première partie De la prescription de la lecture analytique à l’impératif de la rencontre avec « la résistance littéraire » Chapitre 1 : Lecture et lecture analytique : une histoire complexe marquée par l’ambigüité du « comprendre » Tenter de comprendre pourquoi l’apprentissage de la lecture à l’école peut questionner voire diviser depuis toujours, c’est avant tout peut-être interroger les théories de la lecture et les courants de pensée qui ont pu enrichir et influencer cet apprentissage. C’est aussi interroger les éléments qui divisent ces théories, ainsi que ceux qui les relient ; c’est observer les enjeux de chacun, la place donnée au lecteur, au texte… pour se rendre peu à peu compte que la complexité de la notion même de lecture littéraire vient en partie de sa pluralité : pluralité des objectifs, des définitions données à la notion de compréhension ou d’interprétation, pluralité des positionnements dans la relation entre le texte et son lecteur… C’est à partir de ce constat que nous allons tenter de mieux comprendre la complexité et la pluralité de la lecture littéraire, dans le cadre de son enseignement au secondaire. 30 A) L’ambigüité du couple « comprendre / interpréter » dans la notion de lecture littéraire Des théories de la lecture à la notion de sujet lecteur Retour sur les théories de la lecture Une première approche épistémologique de la lecture permet de constater que les diverses théories de la lecture ont conduit à un foisonnement de concepts instables 86 . Ainsi, les concepts de réception, de lecture, de compréhension, d'interprétation, recouvrent-ils la même activité du lecteur, mettent-ils en jeu les mêmes opérations mentales ? Quelles frontières peut-on dessiner entre eux ? Ces différences, pour peu qu'elles existent et qu'on les identifie, sont-elles d'origine historique ou relèvent-elles de choix délibérés des théoriciens de la lecture ? On constate ainsi souvent que non seulement, les définitions divergent d'un théoricien à l'autre, mais encore qu'un même terme peut se voir investi de significations différentes selon qu'il est appréhendé par un linguiste, un sémiologue ou un historien de la littérature 87 . « Loin d'être une simple question de nomenclature, ce problème terminologique renvoie à des champs théoriques extrêmement complexes et est d'emblée révélateur de la difficile investigation de l'acte de lire 88 ». Nous reviendrons ainsi brièvement sur cette évolution conceptuelle, avant de faire un premier bilan des modèles cognitifs et des conceptions actuelles du texte, de la lecture et du lecteur. Ce flou conceptuel exige dans un premier temps que nous revenions sur quelques uns des grands théoriciens qui ont transformé le champ épistémologique, puis didactique, de la lecture, plaçant notamment l'activité du lecteur comme centrale, et redéfinissant de fait la notion d'interprétation. Hans Robert Jauss, dans Pour une esthétique de la réception 89 fait une critique de l'histoire littéraire en constatant qu'elle s'est toujours contentée de poser son objet à partir de deux instances : le texte et l’auteur. Jauss interroge la notion d'œuvre en soulignant qu'on ne peut définir le livre en soi, mais en fonction du lecteur. C’est ce dernier qui permet au texte 86 ROUXEL, Annie, Enseigner la lecture littéraire, p. 41. 87 Michel Picard soulignait déjà à Reims, en 1984, que le mot « lecture » recevait cinq acceptions. Actuellement, on a tenté de définir une « perspective commune et unificatrice » avec travaux Ecole de Prague et Constance, mais cela n'entraine pas forcément une simplification des définitions. 88 ROUXEL, Annie, Op. cit., p. 41. 89 Pour une esthétique de la réception, Paris, 1975. 33 diachronie 100 ». Comme le dit Michel Tournier, déjà cité par Annie Rouxel : « un livre n'a pas d'auteur, mais un nombre infini d'auteurs 101 ». Dès lors, nous pouvons affirmer avec Jean-Louis Dufays que « deux postulats empruntés à Jan Mukarovsky sont désormais tenus pour incontournables : d’une part, l’œuvre non lue est inachevée, de l’autre, elle est indéterminée, ouverte à une diversité d’interprétations. Sur cette base commune, on voit d’emblée se distinguer deux conceptions de la lecture 102 ». La première de ces conceptions regroupe les théories dites « de l'effet », ou « internes » de la lecture, que Annie Rouxel définit ainsi : « La première affirme que le texte programme par lui-même une lecture qui permet de lever l'indétermination de ses structures [...], les effets du texte seraient inscrits et imposeraient au lecteur un certain mode de réception […]. La pluralité des lectures n'est pas niée, mais elle est définie comme un effet du texte, la résultante logique des possibilités qu'il ménage [...] elle subordonne la réception aux lois du produit 103 ». Comme le dit d'autre part Jean-Louis Dufays, cette première approche, « centrée sur l’effet de lecture produit par le texte, sur les structures immanentes qui contraignent l’activité du lecteur, reste en quelque sorte sous le contrôle de l’autorité textuelle. C’est dans cette perspective de la « coopération interprétative » (Eco, 1985) qu’a été préconisée à l’école la lecture « méthodique », qui serait la lecture « de base », la plus « fidèle » au texte, par opposition aux démarches qui visent plutôt à « utiliser » le texte au départ de codes qui lui sont extérieurs 104 ». Cette autre conception, aussi appelée « théorie de la réception », regroupe les théories « externes » de la lecture : elle met en avant la liberté dont dispose le lecteur pour enrichir le texte de nouveaux contenus, donnant ainsi la priorité à l'activité du lecteur et aux conditionnements historiques. La lecture est étudiée en situation, en tant que réception effective non limitée à l'exécution d'un quelconque programme idéal 105 . Un nouveau modèle 100 ROUXEL, Annie, La lecture et la culture littéraire au cycle des approfondissements. CRDP de l’Académie de Versailles, pp. 19-30. 101 TOURNIER, Michel, Le Vol du Vampire. Notes de lecture, Mercure de France, 1981, pp. 10-11. 102 DUFAYS, Jean-Louis, « La Lecture littéraire au lycée, quelle(s) théorie(s) pour quelle(s) pratique(s) ? », Enseigner la Lecture Littéraire, LANGLADE, Gérard et FOURTANIER, Marie-José (dir.), p. 30. On pourra aussi citer cette synthèse : « les théories de la lecture se sont scindées en deux orientations distinctes : d'un côté, la théorie des effets, des lectures implicites ou modèles (Charles, Riffaterre, Eco) qui continue in fine à donner la prévalence au texte, de l'autre, la théorie des réceptions effectives (Jauss, Chartier, Leenhardt) qui affirme la relativité historique des significations face à la souveraineté du lecteur », Ibid. 103 Ibid, p. 44. Voir aussi ISER Wolfgang, 1985 ; ECO, Umberto, 1985,1991 ; RIFFATERRE, Michel., 1978. 104 DUFAYS, Jean-Louis, Op. cit., p. 31. 105 Voir notamment JAUSS, Hans-Robert, 1978 ; CHARTIER, Roger, 1985. 34 de la formation littéraire a ainsi vu le jour depuis, davantage fondé sur le travail de la lecture, et donc sur le développement d’un savoir-faire, que sur l’acquisition de savoirs et la transmission d’un patrimoine, comme nous avons pu le voir avec l'approche historique précédente. … et de la notion de « sujet-lecteur » Comme le dit Michel Picard, « l'intérêt du chercheur est progressivement passé du texte au lecteur, comme jadis de l'auteur au texte 106 ». Ce lecteur, d'un point de vue théorique, pourra être considéré selon deux approches différentes, qui font écho aux théories de la lecture évoquées : le lecteur modèle d'un côté, et le lecteur réel de l'autre. Ce lecteur modèle défini par Eco peut être défini comme « l'instance capable de restituer l'ensemble des interprétations que le critique aura présentées comme programmées par le texte », mais il reste de ce fait « une projection par laquelle le critique érige en norme son propre mode de réception 107 ». On le trouve aussi chez d'autres théoriciens de l'effet sous les termes de « lecteur virtuel », de « lecteur implicite », « inscrit dans la structure du texte 108 ». D'un autre côté, on trouve le lecteur « réel », proposé par les théories externes de la lecture : « ce n'est plus le texte qui impose ses effets, mais le lecteur qui projette des significations sur le texte 109 ». On parle alors de lecture participative, d'implication du lecteur en tant que sujet qui construit le sens en fonction de sa subjectivité. Geneviève Mathis précise le statut de ce lecteur, mettant en lien Vincent Jouve et Michel Picard : « Le lecteur réel entretient simultanément avec le texte trois niveaux de relation : il résulte de la combinaison de trois instances lectrices : le “ lisant ” est cette part du lecteur piégée par l'illusion référentielle. Le “ lu ” est en relation avec l'inconscient du lecteur qui se lit lui-même au travers de sa lecture. Le “ lectant ”, 106 Ibid., p. 10. Voir aussi Wolfgang ISER : « c'est donc bien l'activité singulière d'actualisation du texte par le lecteur qui intéresse désormais mais c'est également et surtout l'étude des effets de lecture. » […]. « C'en est fini de la conception commode et niaise d'une “ contemplation ” esthétique passive et intuitive » […]. « Désormais, c'est l'interaction entre le sujet et le texte qui suscite l'intérêt des chercheurs et celui des enseignants : « le texte n'est plus à expliquer mais bien à vivre : il s'agit d'en ressentir les effets » (Ibid., pp. 44, 169 puis 131). 107 DUFAYS, Jean-Louis, Stéréotype et Lecture. Essai sur la réception littéraire, p. 2. 108 ISER, Wolfgang, Ibid., p. 72. 109 Jean-Louis Dufays souligne que « toutes les théories externes ne conçoivent pas pour autant la lecture comme un phénomène entièrement subjectif : beaucoup d'entre elles reconnaissent que le lecteur explicite est soumis aux déterminismes idéologiques de son milieu socio-historique ainsi qu'aux lois de l'inconscient et que sa lecture procède ne grande partie de fantasmes et d'habitus dont il n'est pas le maître. Pour plusieurs théoriciens de la réception, le lecteur explicite apparaît […] comme la figure abstraite d'une pratique dominante de la lecture » (Ibid.). 35 enfin, est l'instance de secondarité critique qui s'intéresse à la complexité de l’œuvre 110 ». Le lecteur, qu'il soit « virtuel » ou « réel 111 », apparait depuis les années soixante-dix dans un nouveau rapport avec la notion de lecture, ou plus précisément, avec l'acte de lire, par son activité. Cette question du lien entre texte et lecteur alimente ainsi depuis plusieurs années nombre de recherches en didactique de la lecture et de la littérature. Cela a conduit à inscrire la question du lecteur au cœur de l'apprentissage de la lecture, notamment au secondaire. Le fait de placer l’élève au centre de l’acte de lire a donné encore plus de sens à la nécessité d’un apprentissage. A la question de la lecture de l’élève s’est alors peu à peu substituée celle de son « activité », comme cela se voit, par exemple, dans le titre donné à ces actes de colloque : Parler, lire, écrire dans la classe de littérature : l'activité de l'élève, le travail de l'enseignant, la place de l’œuvre 112 , ou encore comme on l'a vu dans les programmes de français actuels. Le texte littéraire devient le « texte singulier du lecteur 113 » et la lecture se transforme en « trajet de lecture 114 ». Il ne s'agit plus d’être des lecteurs « hommes grenouilles », pour reprendre la métaphore d’Amélie Nothomb 115 , mais des lecteurs qui ont leur mot à dire sur le texte, qui ont du sens à donner à ce texte. Ce sont alors les causes, les natures et les motivations des sens à donner qui vont questionner les recherches, les questions étant de savoir si l’interprétation doit davantage émaner du « lu » ou du « lectant » de tout lecteur, quelle place laisser à la part de subjectivité de tout lecteur dans sa lecture, où se situent les droits du texte, la souveraineté du lecteur, et qui, du texte ou du lecteur, aura pour ainsi dire le dernier mot. La place grandissante du lecteur dans l’acte de lire a ainsi conduit à prendre de plus en plus en compte la part de 110 MATHIS, Geneviève, « Théories de la réception et médiation enseignante », Enseigner la littérature, FOURTANIER, Marie-José et LANGLADE, Gérard (dir.), pp. 131-132. 111 Cette distinction permet d'ailleurs de souligner avec Jean-Louis Dufays certaines limites à apporter à la notion même de sujet lecteur, en demandant non seulement si le sujet dont on parle est un sujet « réel »ou « idéal », et en remettant en cause la part de subjectivité et d'individualité réelle de tout lecteur, aussi membre de communautés discursive interprétative, culturelle... Ces ambiguïtés amènent de fait à préférer utiliser la notion de lecture littéraire, moins ambiguë sur ces points (DUFAYS, Jean-Louis, « Quel enseignement de la lecture et de la littérature à l'heure des compétences? », Pratiques n° 149-150, pp. 227-248). 112 Actes de colloques des 7e rencontres en didactiques, IUFM de Montpellier, 2006. Nous citerons par exemple l'article de Marie-José Fourtanier, Gérard Langlade et Catherine Mazauric, « Dispositifs de lecture et formation des lecteurs ». 113 LANGLADE, Gérard, Le sujet lecteur : lecture subjective et enseignement de la littérature, p. 85. 114 « Baignant dans l'“ infratexte ” commun de mon expérience du monde et des êtres, note Jean BELLEMIN NOEL, je dégage, je recompose, je compose de nouveau un peu comme le fait, en musique la si bien nommée interprétation, au bout du compte je constitue avec et dans ce qu'on appelle une œuvre littéraire ce trajet de lecture qui seul, peut-être, mériterait d'être appelé texte, et qui est tissé par la combinaison fluctuante de la chaîne de ma vie avec la trame des énoncés une fois pour toutes combinés par l'auteur » (Plaisirs de Vampires, 2001, p. 21). 115 Selon Amélie Nothomb, « il y a tant de gens qui poussent la sophistication jusqu'à lire sans lire. Comme des hommes-grenouilles, ils traversent les livres sans prendre une goutte d'eau. Ce sont les lecteurs-grenouilles » (1992, p. 141). 38 celles centrées sur le code 124 . Par exemple, un lecteur expert peut adopter des stratégies d’anticipation du sens quand il lit un texte dont le sujet lui est familier, mais il peut parfois revenir à des stratégies de décodage plus pointues lorsqu’il se retrouve devant un texte ou un passage plus complexe, ou moins familier. Plusieurs études en psychologie cognitive centrées sur les processus mentaux du lecteur, comme nous le verrons ci-dessous, ont montré les nombreux facteurs qui entrent en interaction lors de la compréhension en lecture. On peut ainsi citer les principaux : les étapes de construction progressives d’une représentation mentale du texte par le lecteur (modèle propositionnel), l’effet des structures temporelles, causales et plus ou moins canoniques du récit (grammaires de récit), l’importance des schémas préalables du lecteur (théorie des schémas et des inférences) et la notion d’imagerie. De la lecture littéraire à la notion de lecture plurielle De la lecture littéraire 125 ... Si les propos précédents nous ont permis de mieux comprendre en quoi « la lecture littéraire se présente souvent comme un rapport au texte s'établissant sur le mode de la singularité et de la responsabilité du lecteur 126 », il s'agit cependant de mieux définir celle- ci 127 . D'après Annie Rouxel, la « définition de la lecture littéraire est non simple 128 ». C'est un terme à la fois « banal car il appartient à l'expérience de chacun, complexe car il se dérobe aux définitions et qu'il est aujourd'hui sujet de débats et de polémiques ». La lecture littéraire se caractérise tout d'abord par sa « fragile existence terminologique » car si le terme apparaît « officiellement » en 1984 avec Michel Picard qui lui consacre un colloque à Reims, et s’il est ensuite repris par les didacticiens du colloque de Louvain-la-Neuve 129 , ou en 1996 par Vincent Jouve dans une revue qu'il intitule La lecture littéraire, le terme « se dérobe » par la 124 RUMELHART, David et NORMAN, Don, « Accretion, tuning and restructuring: Three modes of learning », Semantic Factors in Cognition, COTTON et KLATZKY (dir), Erlbaum, 1978. 125Voir aussi l'article de Jean-Louis DUFAYS, « Quel enseignement de la lecture et de la littérature à l'heure des compétences ? » Pratiques n° 149-150, pp. 227-248 : il retrace de manière efficace les origines et l'évolution de cette notion. 126 GERVAIS, Bertrand, Théorie et pratiques de la lecture littéraire, GERVAIS, Bertrand et BOUVET, Rachel (dir.), p. 94. 127 ROUXEL, Annie, « Qu’entend-on par lecture littéraire ? », La lecture et la culture littéraire au cycle des approfondissements, 2002. 128 Ainsi, en 1995, Yves Reuter dit par exemple en substance qu'on peut lire littérairement un texte littéraire et non littérairement un texte non littéraire, et réciproquement. Pour Annie Rouxel: « je désigne par lecture littéraire le fait de lire littérairement un texte littéraire. L'adjectif renvoie à la fois à l'objet et au mode de lecture. [...] c'est la lecture qui confère au texte son caractère littéraire » (Ibid.) 129 Pour une lecture littéraire. 2, Bilan et confrontations : actes du colloque [international sur] "La lecture littéraire en classe de français, quelle didactique pour quels apprentissages ?" DUFAYS, Jean-Louis, GEMENNE, Louis et LEDUR, Dominique (dir.), 1996. 39 pluralité des acceptions que chacun entend lui attribuer 130 . Nous pouvons souligner qu'il n’apparait par exemple pas dans les programmes actuels de l’enseignement du français, ni pour éclairer les explications relatives à la notion de « lecture analytique », ni pour éclairer celles relatives à la lecture cursive… La lecture littéraire est une forme de lecture qui s'inscrit dans un temps particulier, celui de la relecture 131 , et dans un rapport particulier. Celui-ci est complexe, exigeant par les compétences qu'il demande, mais non dénué d'une forme de plaisir 132 , qu'il s'agira là aussi de mieux interroger. Nous pourrions peut-être plus aisément définir la lecture littéraire par ce qu'elle n'est pas. C'est une lecture qui se distingue de la lecture dite fonctionnelle, en raison de « son caractère dialectique 133 ». De même, c'est une « lecture sensible à la forme 134 », qui « diffère à la fois de la lecture courante et de la lecture savante. 135 » en raison de l'investissement qu'elle exige de son lecteur, de sa posture, et du fait qu'elle pose un « problème » de lecture, et qu'elle nécessite dès lors des compétences particulières. La lecture littéraire engage donc un rapport au texte spécifique, « une pratique qui prend appui sur une manière spécifique de penser l'objet texte et l'élaboration de la signification. […] Elle désigne un ensemble de pratiques […], une vision du sujet-lecteur [...] 130 Jean-Louis Dufays fait de Mircea Marghescou « le premier et véritable inventeur de la lecture littéraire », expliquant dans la préface d’un ouvrage de ce dernier : « Mon trouble fut grand lorsqu’en le découvrant, l’année suivante [1995], je me rendis compte que la plupart des thèses que je cherchais à promouvoir et qui étaient en train de s’imposer en cette fin du XXe siècle avaient été formulées avec force et limpidité vingt ans auparavant ». (DUFAYS, Jean-Louis, « L'invention de la lecture littéraire » (Préface), MARGHESCOU, Mircea, Le concept de littérarité. Critique de la métalittérature, 2009, pp. 13-14). 131 C’est une lecture à régime relativement lent, faite parfois de pauses ou de relecture permettant de goûter, de savourer le texte (position que j'assume et qui est loin d'être consensuelle). Certains lecteurs parviennent à capter dans le flux d'une lecture cursive ces éléments formels qui font sens et ouvrent au plaisir du texte, mais cela suppose un entraînement, une attention, une sensibilité au texte (à la fois disponibilité et acuité de lecture). "Ceux qui négligent de relire s'obligent à lire partout la même histoire " disait Barthes dans S/Z, présentant la relecture comme condition d'émergence du pluriel du texte, » (ROUXEL, Annie, Op. cit.). 132 « Caractéristique essentielle, le plaisir esthétique entre dans la définition de la lecture littéraire. C'est un plaisir complexe, métissé du plaisir propre à l'activité de lecteur et du plaisir du texte » (Ibid.). 133 « Je rappellerai que la valeur des textes est d'abord liée au mode de lecture qu'on leur applique et que si la notion de littérature a un sens, celui ci réside donc davantage dans certaines opérations de lecture que dans les traits immanents de la textualité, [et] qu'il est propre au sens commun (encore lui!) de notre temps (j’insiste sur cette contextualisation) de distinguer une lecture non littéraire ou fonctionnelle caractérisée par son unidimensionnalité (univocité- référentialité – priorité au fond- conformité aux lois du genre et aux lois éthiques...) d'une lecture littéraire caractérisée par son caractère dialectique. » (DUFAYS, Jean-Louis, « La lecture littéraire au lycée : quelle(s) théorie(s) pour quelle(s) pratique(s) ? », Enseigner la littérature…, p. 24). 134 ROUXEL, Annie, Op. cit. 135 « La lecture littéraire diffère à la fois de la lecture courante et de la lecture savante. Contrairement à la lecture courante qui vise la saisie informative minimale du texte, la lecture littéraire est un investissement particulier dans le texte[...]. Elle se distingue également de la lecture savante, par le fait qu'elle pose la singularité du lecteur et du texte. C'est du rapport aux théories et méthodologies littéraires qu'il est question ici. [...]. En lecture littéraire, le texte est pris pour lui même, imposant.[...] D'autre part, le point de départ d'une lecture littéraire, est un problème de lecture : on s'y attelle parce que le texte « reste initialement fermé à nos entreprises habituelles de compréhension » (GERVAIS, 1977, 31). Il s'agit dès lors de se forger un projet de lecture au moyen d'une métaphore fondatrice, de trouver une façon de lire le texte qui permette de faire signifier ses zones d'ombre. » (XANTHOS, Nicolas, « La lecture littéraire comme parcours sur l'aire du dire, Prolégomènes à une sémiotique de la réception », BOUVET, Rachel et GERVAIS, Bertrand (dir.), Théorie et pratiques de la lecture littéraire, p. 96.) 40 et suppose la référence à des valeurs et donc une dimension idéologique 136 ». Cette pratique est donc complexe, plurielle. Ce qui la distingue véritablement d'autres formes de lecture, c'est en effet qu'elle n'a pas la même visée ni les mêmes « règles » : elle instaure un rapport au texte qui a une visée interprétative. Ainsi, ce sera en la mettant en relation avec la notion d'interprétation que nous pourrons trouver une manière de définir cette notion. Comme le dit Gervais : « Le seuil de l'interprétation, ce n'est pas autre chose que celui de la lecture littéraire […].Il y a interprétation […] quand l'écart entre ce qui est attendu et ce qui survient est trop grand et qu'il se remarque explicitement comme différence, signe d'une étrangeté, manifestation d'une altérité […]. C'est là le prétexte de l'interprétation. [...]. De même, la lecture littéraire est une relation réglée […]; elle répond par conséquent à des règles qui déterminent souvent quels sont les prétextes à un investissement accru de la part du lecteur, et qui établissent ce qui vaut la peine d'être lu et commenté 137 ». La lecture littéraire peut donc se définir comme une pratique interprétative des textes littéraires, qui du fait de cet « écart » et de ces « règles » dont parlent entre autres Nicolas Xanthos et Bertrand Gervais, engage des compétences de lecture 138 . Le rapport au texte est donc complexe, par sa pluralité, et il s’avère non dénué de difficultés dans l'interaction à créer 139 . Il engage le lecteur à cette pluralité, mais en parallèle, il implique un apprentissage 140 . 136 GERVAIS, Bertrand, Théorie et pratiques de la lecture littéraire, p. 94. 137 Ibid. 138 « C'est une lecture qui engage le lecteur dans une démarche interprétative mettant en jeu culture et activité cognitive » (ROUXEL, Annie, Op. cit.). 139 « La question que nous nous posons est de savoir comment s'opère, entre cet objet du monde et un sujet- lecteur, la relation que nous nommons acte de lecture. Le lecteur qui s'exprime sur sa lecture ne peut en révéler que quelques aspects externes. La relation entre, d'un côté, le lecteur-sujet, et, de l'autre, le livre-objet du monde, nous échappe dans sa spontanéité. Pour la saisir, il faut opérer une sorte de lecture de la lecture » […] 16 « le résultat de la lecture […] est le sens du livre, sens construit linéairement au rythme de la lecture. Mais ce sens n'est pas non plus un sens absolu, […] il est en perpétuelle fuite vers d'autres sens possibles […] Le « dressage » que suppose l'apprentissage de la lecture comprend ces règles minimales qui assurent une certaine homogénéisation des lectures d'un même texte faites par des sujets différents. L'apprentissage de la lecture se fait sur celui de la langue. […] Malheureusement, l'apprentissage de la lecture qui se fait très tôt […] n'est, en aucune façon, une garantie de « savoir lire » la littérature […] on tient pour acquis, à tort, que ce savoir lire va de soi […] L'acte de lecture, tout en étant éminemment singulier et individuel, est l'acte par lequel un lecteur devient collectif, pluriel.» (THERIEN, Gilles, « L'exercice de la lecture littéraire », Théorie et pratiques de la lecture littéraire). 140 « Comme la lecture littéraire joue sur les références du lecteur, sur ses savoirs, elle est le lieu d'un apprentissage. » (ROUXEL, Annie, Op. cit.). 43 La notion de lecture plurielle Le rapport au texte dans la pratique de la lecture littéraire apparait ainsi comme complexe, pluriel, à cause de la relativisation inscrite dans toute lecture interprétative, c'est-à- dire, dans toute proposition d'élaboration de sens par un lecteur 151 . Cette évolution a mené à la notion de lecture plurielle, notion elle aussi complexe car acceptant plusieurs définitions, dont celles que nous proposerons plus loin. C'est Jean-Louis Dufays qui a donné toute son importance à la notion de « lecture plurielle », en faisant notamment un bilan théorique des modèles de lecture dans l’article « Lire au pluriel. Pour une didactique de la diversité des lectures à l'usage des 14 / 15 ans 152 ». Ce bilan permet plus particulièrement de mieux comprendre l'évolution du rapport au texte et la relativisation grandissante dans ce rapport, notamment avec le modèle théorique de déconstruction et de dissémination qui peut caractériser cette approche du texte 153 . Celles-ci n'est cependant pas exclusive ni prédominante, mais elle est un exemple d'une manière de concevoir le texte littéraire comme une entité plurielle. Le tableau de synthèse ci-dessous, qui reprend les points principaux des propos de Jean-Louis Dufays, met en évidence cette pluralité (synchronique et diachronique) dans le rapport au texte. 151 Cela dépend notamment des rapports au texte engagé, des connaissances de ce lecteur, de la part de subjectivité inscrite… 152 DUFAYS, Jean-Louis., « Lire au pluriel. Pour une didactique de la diversité des lectures à l'usage des 14/15 ans », Pratiques n°95, septembre 97, pp. 31-52. 153 La question de la pluralité interprétative est bien un des éléments essentiels entrant dans la définition de la lecture littéraire, mais aussi, dans la lecture de tout art. On citera le colloque international de 2006 intitulé Approche empirique de la pluralité interprétative des récits, organisé par l’Université de Lausanne, où les participants, et notamment Jean-Louis Dufays (« Le pluriel des réceptions effectives. Débats théoriques et enjeux didactiques »), ou encore Christophe Roncevaux (« Du topique à l'isotopie. La pluralité interprétative au service de l'apprentissage de la coopération textuelle dans les cercles de lecture ») témoignaient de l’importance de ce concept dans le cadre de la lecture littéraire. (Colloque international, Institut des sciences sociales et pédagogiques et Association internationale des sociologues de langue française, Approche empirique de la pluralité interprétative des récits, Université de Lausanne, novembre 2006). Pour Jean-Louis Dufays, on pourra se reporter à l’article « Le pluriel des réceptions effectives. Débats théoriques et enjeux didactiques » (La Recherche n° 46, 2007, pp. 71-90). 44 La notion de lecture plurielle chez Jean-Louis Dufays : bilan théorique des modèles de lecture Doctrine des quatre sens et tradition herméneutique: Dufays cite dans son article les modèles de lecture visant à éclairer les dimensions multiples des textes. Ainsi dès l'Antiquité gréco romaine : « Tradition stoïcienne de l'allégorisme » : Essayer de décoder les sens cachés (vs philologie alexandrine : vol d'établir les textes avec exactitude). Il montre la distinction entre lecture littérale / allégorique pendant toute l'Histoire, qui sera formulée au 19 e s. sous forme d'opposition compréhension (littérale) / interprétation (au-delà). Exégèse biblique du Moyen Age (cf Todorov, Symbolisme et Interprétation) Quatre sens complémentaires : sens premier : le sens littéral (ou historique : histoire racontée) Trois sens spirituels ou allégoriques : → le sens typologique (ou allégorique au sens strict) [Nouveau Testament annoncé par l'Ancien] → le sens moral ou tropologique (la portée éthique) → le sens anagogique [évocation des fins dernières de l'humanité] » Les cinq codes distingués dans S/Z Dufays établit ici une seconde distinction entre : « Texte scriptible » : idéal de la pratique littéraire : un texte dont le sens relèverait d'un engendrement inépuisable Il distingue cinq types de codes : → Code proairétique (voix de l'Empirie) : organise les actions des personnages en séquences → Code herméneutique (vois de la Vérité) : déroule la structure des énigmes posées par le texte. → Code des sèmes (voix de la personne) : ensemble des connotations formant champs lexicaux → Codes culturels (voix de la Science) : jugements fondés sur une autorité → Champ symbolique (voix du symbole) : associent au texte significations multivalentes et réversibles. Il s'agit moins d’une typologie systématique qu'un choix fondé sur critères hétérogènes. Ce système s'adresse à des adultes, mais il fut remarqué par les didacticiens car il a « recours à une analyse pas à pas, par petites touches, qui découpe dans le texte des « lexies » déterminées au gré des décisions du lecteur » et que l'on peut « transposer, mutatis mutandis, dans une classe de secondaire ». « Texte lisible » : dans la pratique, genre de texte auxquels la lecture est confrontée, dont le pluriel limité par cadres et codes de la culture dominante. Déconstruction et dissémination Le troisième modèle de lecture met en face à face Derrida (la dissémination) et Paul de Man (Allégories de la lecture). « processus volontaire et systématique de désagrégation de la cohérence textuelle par le lecteur ». Déstabilisation qui peut se faire de deux manières complémentaires : → Déconstruction demanienne : mettre en évidence contradictions entre le sens grammatical, explicite, et le sens rhétorique (implicite). Ex : les questions rhétoriques → Exploiter les potentialités signifiantes de chaque signe, ou mot du texte. Ex : titre « Salut » de Mallarmé. (Derrida et Finas). Barthes et ces derniers apportent de la nouveauté face à l'herméneutique et à l'exégèse médiévale, car « il ne s’agit plus d'ordonner le sens en vue d'une unité ou d'une cohérence ultime, mais au contraire de le désordonner, faire apparaître sa belligérance interne » Avec Vincent Jouve (La lecture) , on passe d 'une lecture centripète à centrifuge dès 1962 . Ainsi, du « paradigme classique, fondé sur la confiance dans le sens des textes et des objets du monde » , on passe au « paradigme moderne et romantique fondé sur l'idée de rupture entre l'homme et son langage et sur le scepticisme par rapport à toute construction de sens stable et cohérente » ( U. Eco, L’œuvre ouverte, pp.15-37). 45 L'évolution historique de l'approche du texte et de la lecture littéraires ont donc permis de poser un regard plus critique sur cet objet, sur cette pratique, et sur la posture du lecteur dans son interaction avec l'objet littéraire. Cette prise de distance heuristique et métacognitive a permis à Jean-Louis Dufays de mettre en évidence « les pluriels du texte » auxquels la lecture peut être soumise. Cela a ainsi souligné l'extrême diversité des approches qui peuvent être faites, la pluralité des objectifs de lecture et des compétences à convoquer, des pratiques à mettre en place, des conceptions de l'objet littéraire, et de la lecture littéraire même. Les « pluriels du texte » Jean-Louis Dufays tente, dans « lire au pluriel », une typologie, par laquelle il interroge les sortes de « diversité » ou de « pluriel » auxquels la lecture peut être soumise Pluriel des niveaux textuels et des composantes génériques Pour tous types de texte, une lecture plurielle peut consister à alterner la prise en compte de ces trois strates rhétoriques : → inventio (dimension idéo) (diégèse) → dispositio (dimension thématico- séquentielle) (narration) → elocutio (dimension langagière) (mise en texte) pluriel des types de texte : narratif, poétique, dramatique, argumentatif pluriel des composantes génériques : réaliste, fantastique, policier.... Exemple : un texte de type narratif peut donc être lu tour à tour aux niveaux de la diégèse (intrigue, personnages, décor, temps raconté...), de la narration (instance narrative, temps de la narration) et de la mise en texte (temps verbaux, progression thématique, champs lexicaux)... Diversité des identités génériques On peut aussi mettre en concurrence les divers types et genres : le lecteur pt lire un texte à la lumière de schémas « architextuels », et certains textes, à l'identité typo ou générique d'apparence brouillée, s'y prêtent d'autant mieux. Le pluriel des phases de la lecture Le lecteur peut choisir de séparer les étapes qui lui permettent de donner sens au texte et privilégier tour à tour : → Le précadrage (contexte et paratexte) → Compréhension locale (s'appuyer sur des portions de texte limitées) → Compréhension globale (cohérence interne de l'ensemble) → Interprétation (faire signifier le texte // référents ou savoirs extérieurs) → Application (appliquer le texte à sa propre situation de lecteur...) On remarquera que l'on retrouve l'opposition des exégètes entre compréhension/ interprétation ; et la dialectique entre particulier/global , interne/externe, originel/actuel , qui est la clé de Pour une herméneutique littéraire de Jauss. Le pluriel des fonctions langagières (Jakobson) → fonction référentielle → fonction conative → fonction expressive → fonction phatique → fonction métalinguistique → fonction poétique Ces fonctions sont néanmoins souvent dénoncées, car non exhaustives. 48 Percevant le texte comme l'expression directe d'une vérité, il ne s'intéresse pas à la manière dont il est écrit (sa facture, sa forme, sa composition, sa “ poéticité ”), mais à la matière qu'il traite, à l'univers qu'il dépeint 160 ». Comme le souligne Jean-Louis Dufays 161 , « les valeurs associées à cette conception de la lecture sont celles de la lisibilité (unité, cohérence), de la conformité aux codes génériques, du rapport à la réalité, de la conformité éthique et de la référentialité ». Ses enjeux didactiques sont la valorisation des réceptions spontanées (notamment des commentaires paraphrastiques), la mise en œuvre des ressources de l'émotion, de l'imagination, de la passion, de la subjectivité, mais aussi la relativisation de la littérature canonique et du sens commun, le travail sur des objets multiples, non propres à la littérature légitimée et la lecture individuelle vue comme lieu d'un « braconnage » intelligent. « Cette lecture participative, loin d'être “ naïve ”, et de diluer l’œuvre dans de vagues références au vécu, est au fondement même de la lecture littéraire. Elle réalise en effet l'indispensable appropriation d'une œuvre par son lecteur dans un double mouvement d'implication et de distance où l'investissement émotionnel, psychologique, moral et esthétique inscrit l 'œuvre dans une expérience singulière 162 ». Mais Jean-Louis Dufays souligne aussi les « limites » de ce rapport au texte, en pointant notamment le fait que cette pratique est beaucoup plus souvent qualifiée d’ordinaire que de littéraire et qu’elle peut alors ne pas être en soi porteuse d'apprentissages 163 . Ce rapport accès sur la subjectivité du lecteur n’en reste pas moins essentiel, tout comme celui privilégiant au contraire le raisonnement critique et une forme de distance face au texte. Objectivation ou lecture distanciée La lecture littéraire peut aussi être en partie définie comme une mise à distance du texte par son lecteur. Pour Jean-Louis Dufays, « mettre le texte à distance, c'est considérer qu'il n'a pas d'autres référents que textuels 164 ». La conception qui se fonde sur la distanciation peut être comparée à la lecture « herméneutique » de Michael Riffaterre, à la lecture 160 DUFAYS, Jean-Louis, Stéréotype et lecture. Essai sur la réception littéraire, pp. 180-184. 161 Ibid., pp. 89-91. 162 JOUVE, Vincent, « La lecture comme retour sur soi », LANGLADE, Gérard et ROUXEL, Annie (dir.), Le sujet lecteur : lecture subjective et enseignement de la littérature, pp. 183-197. 163 DUFAYS, Jean-Louis, Op. cit., p. 89. Nous pourrons aussi faire référence à l’article de Monique Lebrun et Monique Le Pailleur, « De la lecture efférente à la lecture esthétique des récits » (LEBRUN, Monique et PREFONTAINE, Clémentine (dir.), La lecture et l’écriture, Enseignement et apprentissage, 1992). 164 DUFAYS, Jean-Louis, Ibid, p. 185. 49 « pseudo-référentielle » de Karlheinz Stierle, ou encore à la « coopération interprétative » d’Umberto Eco 165 . Elle trouve sa première formulation chez Mircea Marghescou en 1974 166 , qui n'emploie pas comme tel le terme de lecture littéraire mais décrit la manière dont la lecture littérariserait les textes, en recourant à une triple opération : suspension de la valeur anecdotique (ou référentielle) du texte, manifestation de ses valeurs archétypales (ou symboliques), activation maximale de sa polysémie. Selon cette analyse, les différentes opérations dépendent avant tout de la disponibilité et de la volonté du lecteur, et celles-ci assimilent l’effet littéraire à la mise à « distance critique 167 » du texte par le lecteur. On voit dès lors en quoi la lecture littéraire peut aussi être définie par cette mise à distance, cette mise en œuvre d’une lecture méthodique et critique où sont privilégiées l’instance du « lectant » dont parlait Michel Picard 168 et la « coopération interprétative » chère à Umberto Eco 169 . Bertrand Gervais sera ensuite le premier à donner à cette manière de lire le nom de lecture littéraire, en 1993, définissant cette pratique comme le passage d'une « régie de la progression » à « une régie de la compréhension », caractérisée par une exploration de toutes les virtualités du texte. Les valeurs privilégiées ici sont à la fois celles de la polysémie, de la subversion, de la fictionalité affichée, de la transgression et de la poéticité 170 . Cela donne lieu à une valorisation des éléments formels, des intertextes, de l’énonciation, du travail de l’écrivain, du point de vue esthétique sur les textes 171 . 165 ECO, Umberto, Op. cit. 166 Dans Le concept de littérarité, analysant un fait divers apparemment insignifiant (« Sur la Nationale 7, une automobile roulant à 100 à l’heure s’est écrasée contre un platane. Ses quatre occupants ont été tués »), l’auteur mettait en évidence les trois traits qui permettaient à tout lecteur de « littérariser » un tel texte – En premier lieu, la suspension de la fonction anecdotique consiste à refuser de lire ce texte comme un simple fait divers. Ensuite, la manifestation archétypale amène à voir dans chaque signe le symbole d’une réalité profonde, par exemple l’automobile devient la Modernité, le platane devient la Nature, etc. Enfin l’activation maximale de la polysémie a pour effet d’associer à chaque signe le plus grand nombre de symboles possibles (ainsi, automobile renverra à la fois à Modernité, à Vitesse, à Sécurité, à Technologie, à Culture, etc. 167 Ce terme est ici à comprendre avec le sens de lecture objectivante qu’Annie Rouxel lui donne notamment dans Enseigner la lecture littéraire. 168 La lecture comme jeu, 1986. 169 ECO, Umberto, Op. cit. 170 Nous pourrons aussi nous reporter à l’article de Jean-Louis Dufays, « La lecture littéraire, des “ pratiques du terrain ” aux modèles théoriques... » (CHABANNE Jean-Charles (dir.), Parler, lire, écrire dans la classe de littérature : l'activité de l'élève, le travail de l'enseignant, la place de l’œuvre, 2006, p. 36). 171 Nous pouvons mettre en lien cette conception avec certains propos de Catherine Tauveron (Comprendre et interpréter le littéraire à l'école et au delà, 2001), ou encore d’Annie Rouxel, même si chacune, et Rouxel en particulier, a assez radicalement changé de point de vue depuis 1997, étant aujourd’hui plus adepte de la lecture subjective. Ainsi trouvons-nous dans Enseigner la lecture littéraire: « pour être féconde et pleinement goûtée, l'expérience du dépaysement doit être donnée à la conscience. C'est un « exercice » qui requiert un savoir-faire. Que le lecteur en sorte transformé n'altère en rien cette évidence : la distance est nécessaire pour apprécier les effets produits en soi par le texte » (« La lecture comme art de la distance », Enseigner la lecture littéraire, 1995, p. 79). 50 Jean-Louis Dufays apporte néanmoins là aussi certaines limites possibles : « Il me semble cependant que, dans la mesure où ils [les enjeux didactiques de la lecture littéraire] se fondent sur l'arrachement aux pratiques spontanées et le contrôle des émotions subjectives, ils ne suffisent pas à définir une lecture littéraire. D'une part, en effet, dans l'usage ordinaire, l'adjectif « littéraire » véhicule aussi l'idée d'une satisfaction d'ordre psychoaffectif ; est il possible et opportun de l'épurer de cette connotation ? D'autre part, quand elle se fait exclusive, la posture de distanciation n'échappe pas aux accusations d'artifice scolastique et d'élitisme socioculturel et devient, pour beaucoup (Reuter, Baudelot et al, Dumortier, Daunay), la source d'un écart dommageable entre la lecture scolaire et les pratiques sociales de référence. 172 ». Cette mise en garde de Dufays est en effet essentielle, et il apparait que la notion de lecture littéraire ne peut être définie de manière exclusive par une de ces deux approches, car toutes les deux ont leur intérêt dans le rapport entre le texte littéraire et le lecteur. De la distanciation / participation au « va-et-vient dialectique 173 » Une autre approche ne cherche pas à opposer de manière dichotomique les deux précédentes, mais plutôt à montrer leur possible combinaison. Pour Jean-Louis Dufays, « [cette troisième] approche préconisée par Michel Picard (1986) se situe à mi- chemin ou plutôt au-delà des deux conceptions qui viennent d’être opposées dans la mesure où elle les met en tension : pour Michel Picard, tout lecteur est triple : à la fois liseur (instance sensorielle), lu (instance inconsciente, fantasmatique) et lectant (instance intellectuelle, interprétative).[...] Lire littérairement revient dès lors à activer au maximum les tensions axiologiques inéluctables qui tiraillent tout lecteur entre les valeurs liées aux référents (l’unité de sens, la conformité esthétique, la vérité) et les valeurs liées aux formes du message (la polysémie, la subversion, la fictionalité) : est littéraire le lecteur qui oscille sans faire de hiérarchie entre des critères de valeurs à priori contradictoires. S’affiche ainsi un rapport double à la littérature, perçue à la fois comme un lieu de règles et de dérèglements, comme un corpus spécifique et comme une valeur relative. Cette démarche [...] semble aussi correspondre au fonctionnement “ ordinaire ” de la plupart des lectures 174 ». De plus, cette conception de la lecture littéraire pourrait s'inscrire dans le cade d'un apprentissage de la lecture (tel que défini par nous). Elle peut en effet être reliée aux trois temps de l'apprentissage tels qu'ils ont été formalisés par Philippe Meirieu : au va-et-vient 172 DUFAYS, Jean-Louis, « Les lectures littéraires, enjeux et évolution d'un concept », Le Pari de la littérature, quelles littératures de l'école au lycée ?, 2005, pp. 186-191. 173 Voir aussi ROUXEL, Annie, Op. cit., pp. 46-47. 174 DUFAYS, Jean-Louis, Stéréotype et Lecture, p. 185. 53 Comprendre / interpréter un texte littéraire A cette complexité née en partie de cette pluralité s'en ajoute une autre, relative au binôme comprendre / interpréter, soit à l'acte de lecture en lui-même, à son approche cognitive et métacognitive. D'ordre heuristique, elle peut aussi ne pas être sans conséquence didactique. Phases de construction du sens ... Nous proposons ici de revenir tout d'abord de manière synthétique et non exhaustive sur quelques modèles de constructions du sens, afin de souligner la pluralité des approches possibles (ne serait-ce qu'un niveau terminologique), mais aussi un point commun qui peut relier ces approches, à savoir la pluralité des « processus » ou des opérations mentales amenant le lecteur du premier contact avec le texte à la « construction du sens ». Une « construction du sens », qu'il nous faudra de ce fait mieux définir. Chez Jean-Louis Dufays 176 tout d'abord, le modèle proposé se constitue de deux niveaux d'opération (phrastiques et interphrastiques), et de deux degrés de lecture (orientation préalable puis compréhension et interprétation). L'orientation préalable dépend de plusieurs facteurs : la motivation du lecteur (qui amène à privilégier certaines dimensions du texte et à en mettre d'autres à distance) et ses compétences. Cette orientation dépend en partie de la reconnaissance de « contenus familiers » : « le lecteur recherche donc en premier lieu une certaine conformité du texte aux stéréotypes qui forment sa compétence », une « conformité » qu'il relie à la notion « d'horizon d'attente » de Hans Robert Jauss : « l'horizon d'attente, c'est- à-dire, d'après Jauss, l'ensemble des connaissances et des attentes qui conditionnent les lectures à l'échelle collective, et les motivations spécifiques ». La deuxième phase est celle de la compréhension des phrases (qui passe par la perception visuelle et la sémiotisation) 177 . Jean-Louis Dufays souligne, lors de cette étape, que le lecteur n'a d'autre choix que de rattacher les mots a des entités extratextuelles qu'il connait ; « ce n'est qu'ensuite, quand on veut conférer une cohérence d'ensemble au texte, que la dimension mimétique du sens doit 176 Stéréotype et Lecture. Essai sur la réception littéraire. 177 Jean-Louis Dufays revient notamment sur la lecture heuristique de Michel Riffaterre : « la première lecture, heuristique, parcourt la page de haut en bas, du début à la fin du poème. C'est au cours de cette lecture qu'on saisit la signification (non la signifiance), la fonction mimétique des mots ; c'est aussi à ce stade que le lecteur perçoit les incompatibilités ou remarque, par exemple, qu'une certaine expression n'a pas de sens à moins d'être interprétée comme métaphore, ironie, métonymie ou autre. En bref, la première lecture est un procès par lequel on perçoit les agrammaticalités : le lecteur les repère dès qu'un mot engendre une formule qu'il devrait exclure, dès que les conséquences d'un mot sont en contradiction avec ses présupposés (1982, p. 96) ». 54 être abandonnée au profit d'une structure sémantique abstraite qui permettra de faire signifier l'ensemble et de conférer au texte ce que Michel Riffaterre appelle la signifiance ». Suit l'étape de la compréhension du texte global, où il propose d'expliquer la construction des hypothèses de sens 178 en fonction des « stéréotypes » que le lecteur saura mobiliser lors de sa lecture, et plus précisément, de la quantité de ceux-ci, leur pluralité, soulignant que l'appauvrissement d'un texte est lié au fait de le réduire à certains de ces stéréotypes. De fait, une forme de dialectique de la lecture se met en place, et c'est la projection de stéréotypes sur le texte qui rend celui-ci apte à produire des sens inédits », « la combinaison des stéréotypes faisant ainsi du texte un “ évènement” ». Dufays aborde enfin, dans un quatrième chapitre, la question de l'interprétation, ou les « constructions du second degré ». Ce premier modèle, reposant sur une évolution dialectique de la lecture et sur le concept de « stéréotype », peut être comparé avec des modèles cognitifs tels que celui de Jocelyne Giasson : celui-ci est davantage axé sur la notion de processus 179 de lecture et leurs composantes. Giasson, comme Irwin 180 , a synthétisé en cinq catégories les principaux processus qui interagissent de manière non séquentielle et intégrée dans la compréhension en lecture, que ce soit pour comprendre un mot, une phrase, un paragraphe, un texte ou sa propre démarche de lecture. Voici les cinq catégories de processus en interaction dans la compréhension : - Les microprocessus servent à saisir une phrase, comme de reconnaitre les mots, les grouper et savoir repérer l’information importante; - Les processus d’intégration permettent au lecteur d’effectuer des liens entre les propositions, de comprendre le jeu des connecteurs et des anaphores; - Les macroprocessus regroupent l’ensemble des opérations qui organisent la cohérence, comme identifier les idées principales du texte, le résumer, utiliser la structure du texte, en bref, tout ce qui permet de dégager l'essentiel d'un texte et son organisation; 178 Ou « topic » puisqu'il fait référence à ce terme propre à la terminologie d'Umberto Eco : « le topic est une hypothèse dépendant de l'initiative du lecteur qui la formule d'une façon quelque peu rudimentaire, sous forme de question, qui se traduit par la proposition d'un titre provisoire » (édition de 1985), p. 119. 179 Le terme de processus s'entend chez Jocelyne Giasson comme la mise en œuvre des habiletés nécessaires pour aborder le texte, déroulement des activités cognitives. 180 Teaching Reading Comprehension Processes, 1986. 55 - Les processus d’élaboration permettent au lecteur de dépasser la compréhension sémantique de base, d’aller plus loin que le texte en faisant des prédictions, en produisant des images mentales, en réagissant affectivement, en faisant des liens entre ses connaissances antérieures et les informations contenues dans le texte, en raisonnant sur le texte etc.; - Les processus métacognitifs permettent au lecteur de prendre conscience de ses processus de lecture et d’ajuster sa compréhension en fonction des particularités du contexte et de la tâche. Le modèle de Giasson , tout en prenant un cheminement qui fait écho au modèle de Jean-Louis Dufays, inscrit donc plus spécifiquement la notion de « processus » et fait de la compréhension en lecture une opération interactive, en s'attachant à souligner que les composantes principales sont le lecteur, le texte et le contexte 181 . Le lecteur utilise ainsi les informations syntaxiques, sémantiques, rhétoriques et pragmatiques contenues dans un texte, pour appréhender le message proposé par l’auteur et, au-delà des faits et de l’information, pour construire ses propres significations, dans un contexte donné. Comprendre est une activité d’identification et de résolution de problème et qui repose sur l’utilisation de stratégies pour la compréhension des mots, des propositions et la compréhension globale de l’histoire. Enfin, le modèle expliqué par Gilles Thérien 182 peut être évoqué, car tout en synthétisant lui aussi des « états de la lecture » (déchiffrement, interprétation, commentaire, intégration conceptuelle) mais en donnant nettement une place plus importante aux opérations « post interprétatives » si l'on peut dire, il propose une hiérarchie de cinq processus qui nous semblent faire écho aux stratégies de lecture interprétative dont il sera question plus loin. Nous proposons ainsi une synthèse de ces trois modèles, dans le but de souligner cette pluralité des approches terminologiques de la compréhension en lecture, mais surtout, pour souligner la difficulté que l'on peut rencontrer pour définir clairement les frontières entre comprendre et interpréter, mais aussi pour définir chacun de ces deux termes. 181 GIASSON, Jocelyne, La Compréhension en lecture. Nous reviendrons sur ces trois variables plus loin dans notre propos. 182 « L'exercice de la Lecture Littéraire », Théorie et Pratiques de la lecture littéraire, p. 25. 58 « structures » 187 que ce dernier doit convoquer (et donc maitriser). Nous proposons de synthétiser ci-dessous les processus et structures que Giasson mentionne : LE LECTEUR STRUCTURES PROCESSUS Structures cognitives Structures affectives Micro- processus Processus d'intégration Macro- processus Connaissances sur la langue Connaissances sur le monde Processus d'élaboration Processus métacognitifs Selon le degré d'élaboration du sens, le lecteur peut aussi être amené à utiliser des compétences plurielles, qu'il ne maîtrise peut-être pas toujours. Enfin, pour la variable « texte », nous observons avec Giasson qu'un certain nombre de caractéristiques intrinsèques sont à prendre en compte : les critères de classification des textes, l'intention de l'auteur, le genre littéraire, la structure du texte et son contenu. Il apparait surtout que ces critères se combinent. Nous pouvons néanmoins nous demander quels peuvent être les impacts possibles issus des interactions de ces variables. Les caractéristiques spécifiques de l'une des variables peuvent-elles influencer, modifier celles d'une autres ? Par exemple, quel peut être l'impact du genre du texte sur le lecteur? Selon Jean-Yves Boyer, Jean-Paul Dionne et Patricia Raymond, 187 Quelques remarques : pour les structures cognitives, Jocelyne Giasson rappelle : « sans connaissances antérieures, un objet complexe, comme un texte, n'est pas seulement difficile à interpréter ; il est à strictement parler sans signification » (Adams et Bruce, 1982, 23). Elle ajoute que « pour comprendre, le lecteur doit établir des ponts entre le nouveau (le texte) et le connu (ses connaissances antérieures). Ce peut aussi être des expériences (allez au zoo...), mais les vivre ne suffit pas, il faut aussi en parler pour enrichir le bagage des concepts et du vocabulaire. Un lecteur comprend en faisant des schémas mentaux : comme un puzzle, sauf qu'avec un texte, il reste des blancs, des cases qu'il revient au lecteur de combler. En ce qui concerne les structures affectives, et «l’attitude générale face à la lecture » : « en dehors de toute situation concrète de lecture, l'individu possède une attirance, une indifférence ou même une répulsion envers la lecture ». « Les intérêts spécifiques », peuvent eux se développer sans rapport (musique, animaux....) mais ils deviendront un facteur a considérer devant un texte spécifique », ibidem, p. 11. 59 « les différentes structures [génériques] correspondent à des opérations cognitives distinctes susceptibles d'exiger de la part du lecteur l'investissement de ressources cognitives variables. [...] Le type de texte, la difficulté du vocabulaire, le contenu thématique d'un texte influencent de fait la compréhension du lecteur et le temps de lecture 188 ». Pour Karl Canvat 189 , le genre joue un rôle dans l'interprétation du texte littéraire : « le sens d'un texte se construit notamment par les relations qu'il entretient avec les autres textes, c'est-à-dire avec le genre conçu comme « programme de prescriptions positives ou négatives, et de licences qui règlent aussi bien la génération d'un texte que son interprétation (Rastier, Sens et textualité, 16) ». Cette forme d'horizon d'attente que préconstruit le genre, Karl Canvat la nomme « convention ». « Le cadrage générique créé donc une sorte de contexte d'interprétation, […] un « horizon générique 190 ». Néanmoins, pour Canvat, malgré ses caractéristiques intrinsèques, le genre ne « construit » pas le sens, la « coopération interprétative » restant essentielle là aussi 191 . S’il n’y a pas de modification radicale, il y a donc un impact possible. Ainsi, un même texte sera donc nécessairement compris ou « construit » différemment par chaque lecteur, en fonction de ses connaissances, de ses habiletés, du contexte de sa lecture et des caractéristiques du texte. Cela va bien sûr à l'encontre de ce qu'on a pu penser pendant des siècles, à savoir que c'était l'auteur qui donnait le sens au texte et que la tâche du lecteur consistait à décrypter ou à décoder ce sens pré-inscrit. Cette évolution, essentielle et primordiale pour nous, comme pour la plupart des chercheurs actuellement, montre bien la pluralité de la lecture, ou la pluralité des lectures d'un même texte, du fait même de cette pluralité des variables, des possibles de leurs interactions et des compétences qu'elle convoque, en fonction de ceux-ci. Jocelyne Giasson souligne ainsi que l'évolution de la conception de la compréhension en lecture a conduit au passage d'un modèle séquentiel à un modèle global : 188 BOYER, Jean-Yves, DIONNE, Jean-Paul et RAYMOND, Patricia, « L’influence relative de la structure textuelle sur la compréhension en lecture », LEBRUN, Monique et PREFONTAINE, Clémence (dir.), La Lecture et l'écriture, Enseignement et apprentissage, p. 202. 189 « L’interprétation de texte littéraire et cadrage générique », Pratiques n°76, p. 38. 190 CANVAT, Karl, Op. cit., p. 55. 191 Cité par Karl CANVAT (Ibid.) : « On ne peut même pas parler de « sens » en dehors et indépendamment de l'activité pragmatique de lecture, la lecture n'étant pas autre chose que le processus constructeur du sens. De la sorte, la signification du texte est directement fonction de l'interprétation, qui n'est autre que la somme des mouvements coopératifs par lesquels le lecteur actualise le texte » (VIOLI, Patrizia, « du côté du lecteur », Versus n°31 / 32, 1982, p. 5). 60 « Même si la lecture peut être analysée sur le plan des habiletés, la pleine réalisation de chacune de ces habiletés prises séparément ne constitue pas en soi un acte de lecture. En fait, toute habileté est continuellement en interaction avec les autres habiletés dans le processus de lecture […]. Elles jouent un rôle les unes sur les autres, et modifient ces dernières... C'est l'interaction de toutes ces habiletés qui constitue la capacité de conduire une bicyclette. Il en va de même pour la lecture 192 ». On est donc face à un « processus unitaire et holistique » et non face à une « mosaïque d’habiletés isolées » 193 . Des interactions texte / lecteur aux stratégies de lecture Interroger le rapport texte-lecteur dans toute pratique de la lecture, et plus encore dans une lecture littéraire, c'est donc interroger la nature et les caractéristiques des interactions qui construisent ce rapport pluriel et évolutif. Ces interactions et les opérations mentales introduites par elles permettent une mise en relation texte-lecteur. Selon leur nature et leur objectif, elles font évoluer cette relation, jusqu'à un certain degré d'élaboration de sens. Louise Rosenblatt 194 préfère le terme de « transaction », soulignant ainsi que cette mise en relation doit être dynamique, évolutive, pour que se construise le sens. Pour Giasson, « le sens d'un texte ne réside ni dans le lecteur ni dans le texte, mais dans la transaction qui s'établit entre les deux 195 ». Quoi qu'il en soit, le degré d’élaboration dépend de ce qui constitue ces interactions, de leur « nature », c'est-à-dire des processus ou des stratégies de lecture convoqués par le lecteur. Revenons cependant sur la distinction qu’il convient de faire entre processus 196 et stratégies. Les principaux modèles théoriques ont permis de décrire les nombreuses activités mentales, stratégies ou processus, que le lecteur met en œuvre durant la lecture. Les termes de 192 GIASSON, Jocelyne, La compréhension en lecture, pp. 4-5. 193 On pourra aussi lire les propos Jocelyne Giasson : « Par exemple, comprendre l'idée principale d'un texte peut dépendre de la capacité à faire des inférences, de la compréhension des relations de cause à effet et de la quantité des connaissances antérieures du lecteur » (La lecture de la théorie à la pratique, p. 12). 194 Certains auteurs, comme Louise Rosenblatt (1982; 1993) pensent qu’aucune des variables en jeu n’est étanche et indépendante des autres et que, par conséquent, il serait vain de vouloir étudier isolément une seule de ces variables. Nous voilà ici, en fait, devant une autre position épistémologique, une position dite « moniste », selon laquelle l’acte de lecture est considéré comme un tout indissociable où chacune des variables est transformée par l’autre lors de la transaction. Dans le terme transaction, il y a l’idée d’une traversée et d’une transformation que le terme interaction n’a pas. 195 Pour Jocelyne Giasson, « la lecture est un processus transactionnel » (Op ; cit., p. 15). 196 Voir aussi la notion de « schèmes de connaissances » chez Annie Rouxel : en psychologie cognitive, cette expression désigne un ensemble d'opérations mentales mobilisée simultanément ou successivement dans une démarche de connaissance. Ces schèmes, ou scripts, se forment au fil de l'expérience et sont convoqués chaque fois que le lecteur se trouve confronté à une situation qui lui rappelle l'expérience antérieure ». Voir aussi la note 1 : « liée à l'effort d'objectivation du texte, au recul qu'il implique et à l'habitude de la confrontation, la formation de l'esprit critique figure parmi les enjeux de ces apprentissages » (Enseigner la lecture littéraire, p. 16). 63 d'abstraction réfléchissante, laquelle se définit comme le dernier palier de la prise de conscience dans la théorie piagétienne du même nom. Est métacognitif tout raisonnement du sujet qui porte sur le « où, quand, comment, pourquoi » de ses propres stratégies d’apprentissage : la métacognition se rapporte à la connaissance qu'on a de ses propres processus cognitifs, de leurs produits et de tout ce qui y touche. Elle se rapporte, entre autres choses, à l'évaluation active, à la régulation et à l'organisation de ces processus en fonction des objets cognitifs ou des données sur lesquelles ils portent. Nous pouvons ainsi distinguer deux grandes composantes dans la métacognition : la conscience et la connaissance que le lecteur a de ses processus de compréhension et la gestion autonome qu'il en fait 207 . Les connaissances métacognitives (ou le savoir métacognitif) regroupent les connaissances de type déclaratif qui, comme les autres connaissances, peuvent être mémorisées, apprises, utilisées automatiquement ou volontairement, à propos : - de soi-même en tant que lecteur, c'est-à-dire de la conscience que nous avons de nos gouts, de nos habitudes, de nos capacités et de nos connaissances ; - des autres lecteurs en général (ex. : « Je sais que plusieurs élèves survolent le texte avant de le lire ») ; - des tâches (ex. : « Je sais que lire un roman exige du temps ») ; - des stratégies (ex. : « Je sais que, pour lire un texte narratif, je peux m’identifier aux personnages ou anticiper ce qui se passera dans le prochain chapitre »). Le lecteur prend conscience de ces stratégies métacognitives et du déroulement de son activité surtout lorsqu’il rencontre un problème de compréhension qui l’amène, en principe, à adopter des conduites métacognitives, c'est-à-dire des connaissances de type procédural et conditionnel. Celles-ci permettent l'autogestion de la compréhension avant, pendant et après l'acte de lecture, pour planifier, contrôler, réguler et évaluer son déroulement. Nous pouvons donc parler de stratégies métacognitives de contrôle et de régulation de l'action. La bonne compréhension de ce type de stratégies et leur distinction avec les stratégies cognitives apparaitra primordiale, comme nous le verrons lorsque nous aborderons les difficultés 207 GIASSON, Jocelyne, 1990. 64 d'apprentissage en lecture analytique, mais aussi, lorsqu'il sera question de l'intérêt à porter à l'enseignement explicite de cet apprentissage 208 et des stratégies qui le conditionnent. Ces stratégies exigent donc de la part du lecteur la maitrise de compétences 209 , plurielles. Pour Sylvie Cèbe et Roland Goigoux, des compétences spécifiques sont ainsi requises pour la compréhension et ce, de manière « simultanée » 210 , tant au niveau de traitements locaux que généraux. Ces compétences, qu'il s'agit de « maitriser », sont d’après ces auteurs : - « des compétences de décodage (automatisation des procédures d'identification des mots écrits) ; - des compétences linguistiques (syntaxe et lexique) ; - des compétences textuelles (genre textuel, énonciation, ponctuation, cohésion : anaphores, connecteurs, etc.) / référentielles (connaissances « sur le monde », connaissances encyclopédiques sur les univers des textes) ; - des compétences stratégiques (régulation, contrôle et évaluation, par l'élève, de son activité de lecture) ». Annie Rouxel reprend les compétences définies par Umberto Eco et elle souligne que l'une des difficultés relève de leur acquisition, notamment dans le cadre de la lecture littéraire. Elle souligne que « la lecture littéraire présuppose des compétences qu'en même temps elle institue: elle est un lieu de formation, implicite ou explicite. Implicite quand la compétence est construite par le texte lui même et sans que le lecteur y prenne garde; explicite quand elle relève d'un dispositif d'enseignement 211 ». Les compétences que Rouxel définit ensuite sont: - la compétence linguistique (lexique et syntaxe), - la compétence encyclopédique (culture), - la compétence logique : connaissances permettant d'établir relations entre les divers aspects du texte (grammaire de texte et de discours), 208 Voir CEBE, Sylvie et GOIGOUX, Roland, Lector & Lectrix : apprendre à comprendre les textes narratifs CM1, CM2, 6e, Segpa. 209 Voir aussi, pour approfondir la notion de « compétences du lecteur », le chapitre 2 de Jean-Louis Dufays dans Stéréotype et lecture. Essai sur la réception littéraire. 210 CEBE, Sylvie et GOIGOUX, Roland, Op. cit., p. 7. 211 « Qu’entend-on par lecture littéraire ? », La lecture et la culture littéraire au cycle des approfondissements, 2002. 65 - la compétence rhétorique : expérience de la littérature, des savoirs littéraires (des genres, types de textes...), - la compétence idéologique : actualisation du système axiologique du texte (valeurs esthétiques / éthiques). Pour Jocelyne Giasson, les compétences sont là aussi plurielles : elles diffèrent en fonction du « niveau » de l'élève. Plus précisément, elles constituent des « stratégies de lecture ». Nous proposons ci-dessous une synthèse des compétences mises en évidence par Giasson 212 : Cheminement normal Compétence à lire des textes variés Lecteur en difficulté lecteur confirmé stratégies de compréhension plus complexes compréhension plus ou moins grande apprenti stratège stratégies de compréhension de base lecture courante, mais peu de compréhension lecteur en transition lecture courante lecture hésitante lecteur débutant identification correcte des mots lecture approximative apprenti lecteur découverte du principe alphabétique lecture globale de quelques mots lecteur « en émergence » reconnaissance typographique Sur la route de la lecture La pratique de la lecture littéraire est donc une pratique complexe aussi par la nature, la pluralité des stratégies de lecture qu'elle nécessite et qui peuvent être encore plus nombreuses, dès lors qu'on entend inscrire l'élaboration finale de cette construction interprétative de sens dans le cadre de verbalisations écrites (sous la forme d'écrits qu'on peut nommer « textes de lecteur »). En effet, à ces compétences de lecture, notre pratique scolaire ajoute celles de la restitution : reformuler, résumer, justifier, établir des liens, mobiliser ses connaissances grammaticales et littéraires213… L'intérêt grandissant des recherches en didactique pour les interactions et les stratégies de lecture souligne bien l'intérêt qu'il s'agit de 212 « Les étapes de l'évolution en lecture », La lecture de la théorie à la pratique, p. 30. 213 Voir notamment CEBE, Sylvie, GOIGOUX, Roland, PEREZ-BACQUE, Maité et RAGUIDEAU, Charlotte, Lector & Lectrix, Apprendre à comprendre les textes - Collège, Retz, 2012. 68 GIASSON CEBE ET GOIGOUX SYNTHESE PERSONNELLE Inférences logiques Inférences de liaison Inférence de liaison (I.1) Celles-ci découlent nécessairement du texte. Recherche de liens logiques entre les informations du texte. Recherche de liens logiques entre différents éléments d'un même texte. 217 Inférences optionnelles (ou pragmatiques) Inférences interprétatives Inférence interprétative (I.2) Elles se rapportent à une information qui est probablement sous entendue dans la phrase, mais qui n'est pas nécessairement vraie. Recherche de liens entre les informations présentes dans le texte, et les connaissances antérieures des élèves. Création d'une hypothèse de lecture nouvelle née de la mise en relation de connaissances antérieures et d'un élément présent dans le texte. 218 . Inférence optionnelle ou pragmatique (I.3) Création d'une hypothèse de lecture par déduction à un sous-entendu probable d'un terme ou groupe de mots, pas nécessairement vrai, pouvant être issu de l'imaginaire littéraire, d'une réminiscence personnelle, d'un stéréotype culturel 219 … A l'opposé du terme d'inférence, François Quet et Michel Dabène parlent d' « afférence 220 » pour désigner la paraphrase, le résumé, l'explicite, bref, « une lecture de surface ». L'inférence est donc, si l'on file cette image, une plongée dans les strates du texte, dans ses remous, opération qui n'est pas sans provoquer quelques turbulences, quelques « résistances »... La lecture littéraire : compréhension et / ou interprétation ? Ces notions nous amènent alors à préciser l'activité du lecteur dans la pratique de la lecture littéraire, en revenant sur deux notions complexes : la compréhension et l'interprétation. Dans le cadre de la lecture, ces deux termes peuvent apparaitre comme des 217 On peut donner l’exemple d’une inférence créée à partir d'un champ lexical. 218 Ce serait par exemple le cas avec un lecteur comprenant, à la lecture de « demain, dès l'aube... » de Victor Hugo, que le terme « tombe » fait référence à la tombe de sa fille, Léopoldine, décédée le jour de ses noces. Sans cette connaissance biographique, le rapprochement, et donc l'inférence, sont impossibles. 219 Par exemple, proposer une lecture érotique du poème « évadné » de René Char (Fureur et Mystère) suite à l'analyse des sensations décrits, de la présence du féminin, et à la possible symbolique d'objets entrant dans la description du lieu. 220 DABENE, Michel et QUET, François, La compréhension des textes au collège : lire, comprendre, interpréter des textes au collège, 1994, p. 22. 69 synonymes pour certains, comme un « couple infernal 221 » pour d'autres, ou le binôme d'une lecture dialectique. Ce flou définitionnel pose la question suivante : construire du sens, est-ce comprendre ou interpréter un texte littéraire ? Comme le souligne Karl Canvat, « l'herméneutique contemporaine, qui reprend en cela les différentes subtilitates (intelligendi, explicandi, applicandi) de l'herméneutique piétiste des Lumières, distingue trois démarches : la “ compréhension ”, “ l'interprétation ”, et “ l'application ”. Si pour certains théoriciens la “compréhension” est première, il n'en va pas de même pour d'autres 222 ». Cette problématique n'est pas nouvelle : pour les herméneutes, la compréhension est la lecture première, littérale du texte, celle qui se contente des sens dénotés, directement perceptibles. Elle est le mode de lecture ordinaire et quasi exclusif des messages fonctionnels. L'interprétation, quant à elle, vise un au-delà du texte : elle s'appuie sur des textes antérieurs ou des connaissances extérieures pour faire apparaitre des significations qui n'étaient pas décelables du premier coup et qui apparaissent dès lors comme des connotations, des sens seconds, des symboles, voire des sens cachés qu'il revient au lecteur de débusquer 223 . Ce flou définitionnel souligne la complexité et la pluralité de la notion même de lecture littéraire. Mais nous comprenons bien l’importance de cette question, car elle s’inscrit, in fine, dans la problématique des pratiques de la lecture littéraire et dans celle de son enseignement même. S'ils sont inscrits dans un rapport de hiérarchie et d’exclusion (l'interprétation étant un processus second et supérieur à la compréhension 224 ), compréhension et interprétation sont parfois classées comme deux activités successives et différentes 225 . En linguistique, Catherine Kerbrat-Orecchioni oppose ainsi « la compréhension qui est la saisie globalisante et normalisante d'un sens » et « le calcul interprétatif qui se nourrit de conjectures. Il y a du vraisemblable interprétatif, mais point de vérités sémantiques absolues 226 ». Dans une 221 TAUVERON, Catherine, Comprendre et interpréter le littéraire à l'école et au delà, 2001. 222 CANVAT, Karl, « interprétation de texte littéraire et cadrage générique », Pratiques n° 76, Les nouveaux programmes de lycée, décembre 1992. 223 Voir notamment les explications de Jean-Louis Dufays dans Stéréotype et lecture. Essai sur la réception littéraire, p. 32. 224 On pourra aussi se référer aux propos de Vincent Jouve, pour qui, si distinction il y a, elle se jouerait au niveau de la compréhension elle-même. Se plaçant en effet « sur l'axe des valeurs », il oppose deux types de compréhension, la compréhension « immédiate », obtenue « sans effort », fruit d'une « perception on critique » qui, « loin d'éclairer le texte, le dissimule sous les préjugés de l'opinion commune » et la compréhension médiatisée par l'interprétation et réclamant la convocation de savoirs extérieurs » ( Poétique des valeurs, 2001). 225 Avec Michel Riffaterre on serait plus dans un rapport de causalité : interpréter c'est alors opter pour une lecture particulière. Il parle d'une lecture heuristique, première saisie du texte dans son déroulement linéaire, quand la lecture herméneutique, seconde, rétroactive, organise et transforme les éléments rencontrés lors de la lecture initiale : « au fur et à mesure de son avancée au fil du texte, le lecteur se souvient de ce qu'il est en train de lire et modifie la compréhension qu'il en a eue en fonction de ce qu'il est en train de décoder. Tout au long de sa lecture, il réexamine et révise, par comparaison avec tout ce qui précède » (Sémiotique de la poésie, 1983, p.16). 226 KERBRAT-ORECCHIONI, Catherine, L'implicite, Paris, A. Colin, 1986, p. 33. 70 approche sémiotique, Roland Barthes analyse le binôme comprendre / interpréter en termes de singulier / pluriel, la compréhension renvoyant à un sens et l'interprétation à la pluralité des sens possibles : « interpréter un texte, ce n'est pas lui donner un sens (plus ou moins fondé, plus ou moins libre), c'est au contraire apprécier de quel pluriel il est fait 227 ». Pour certains, comme Hans-Georg Gadamer, « l'interprétation n'est pas un acte qui peut occasionnellement s'ajouter à la compréhension : comprendre, c'est toujours interpréter ; en conséquence, l'interprétation est la forme explicite de la compréhension 228 ». Dans la même lignée, nous pourrons aussi citer Paul Ricœur, pour qui « expliquer et comprendre ne constitueraient pas les pôles d'un rapport d'exclusion, mais les moments relatifs d'un processus complexe qu'on peut appeler interprétation 229 ». Pour Jean-Louis Dufays, la lecture littéraire est définie comme un va-et-vient entre compréhension et interprétation, entre une lecture extensive de détente et une lecture intensive de travail. Comprendre ferait néanmoins davantage référence à des processus automatiques et donc indépendants de la volonté consciente du lecteur. Ainsi, Bertrand Gervais, qui situe la compréhension et l’interprétation dans un rapport de succession, avance pour sa part que l'interprétation est d’abord une activité de relecture. Comparée à la lecture fonctionnelle, l’interprétation «est un retour sur le texte, une relecture, une investigation des facteurs qui ont pu jouer un rôle lors de la situation de lecture première 230 ». Pour lui, la compréhension s'exerce sur « la fraction de la saisie du texte qui ne pose aucune difficulté ». Elle varie en fonction de la culture du lecteur, ce qui revient à dire que la transparence n'est pas une propriété du texte mais un effet de lecture. L’interprétation sert quant à elle à résoudre une illisibilité résiduelle et oblige à renouveler ses habitudes interprétatives. Il s'ensuit que la ligne de démarcation entre compréhension et interprétation est fluctuante (« ce qui est à comprendre pour l'un est à interpréter pour l'autre ») mais au bout du compte les deux processus sont en interaction dialectique. Il reste un résidu qui sert justement de prétexte à l'interprétation. Le 227 S/Z, 1970, p. 11. Voir aussi COMPAGNON, Antoine, La seconde main ou le travail de la citation, 1979, p. 73. 228 Vérité et méthode. Les grandes lignes d'une herméneutique philosophique, 1965, p. 21. 229 Du texte à l'action. Essai d'herméneutique II. Rappelons que Paul Ricœur, après les avoir dissociés dans le passé, en disant que « l'interprétation se réfère à une structure intentionnelle de second degré qui suppose qu'un premier sens est constitué » (De l'interprétation, Essai sur Freud, 1965), change de positionnement en 1986, et en fait les phases d'un même processus : « expliquer et comprendre ne constitueraient pas les pôles d'un rapport d'exclusion, mais les moments relatifs d'un processus complexe qu'on peut appeler interprétation »(Du texte à l'action, Essai d'herméneutique, p. 42). 230 GERVAIS, Bertrand, A l'écoute de la lecture, 1993, p. 116. 73 « Lectures interprétatives » / « lectures déviante », ou la nécessaire « prise de risque inférentielle » 236 Cette relativité de la lecture interprétative pose cependant la question des limites de la liberté interprétative qu'elle engage et le risque d'une conception de la lecture littéraire comme ouverture à tous les possibles « délires interprétatifs » 237 . Karl Canvat a insisté sur cette question des limites de l'interprétation, des risques qui résulteraient d’une trop grande liberté accordée au lecteur et d’un trop large « pluriel » attribué au texte 238 . L'activité du lecteur et sa lecture littéraire doivent ainsi être « raisonnée[s] » (pour faire écho aux Instructions de la lecture analytique), notamment par l'emploi des stratégies et des compétences de lecture convoquées adaptées et pertinentes. Dans leur ouvrage La compréhension des textes au collège : lire, comprendre, interpréter des textes au collège, François Quet et Michel Dabène ont justement intitulé un de leurs chapitres « lectures interprétatives ou déviantes ». Ils ont en effet observé, dans le cadre d'une expérimentation en milieu scolaire, que « l'accès aux formes légitimées de la lecture implique une certaine capacité d'objectivation, liée au moins partiellement à des compétences de type linguistique » et qu' « il est permis de penser que le lecteur a de meilleures performances lorsqu'il y a une certaine proximité entre les structures de représentation qui sont les siennes et celles qui permettent de construire une signification “légitime du texte” 239 ». Nous comprenons bien une nouvelle fois ici que l'accès au sens exige l'utilisation de compétences et stratégies pour mieux pallier de possibles faux sens et « construire une signification “ légitime ” du texte ». Il reste néanmoins peut-être à s'entendre sur le terme « légitime » et de ce fait, à convenir des « critères » généraux qui, dans l'acception faite de la notion d’interprétation, peuvent servir à déterminer la validité d'une lecture interprétative. Pour Louise Rosenblatt, « deux grands critères doivent servir à déterminer la validité d'une interprétation, à savoir que 236 On pourra se reporter aussi aux propos de Jean Verrier, dans l’ouvrage dirigé par Catherine Tauveron, Comprendre et interpréter le littéraire à l'école et au delà, et son article « l'illusion de lecture ». 237 Annie Rouxel fait notamment la liste de toutes les « figures de la non distance » qui peuvent amener à ce type de dévoiements interprétatifs, et de « délires interprétatifs » par lequel « le lecteur fait subir une torsion pour qu'il [le texte] entre dans son projet interprétatif » et qui fait que « le texte devient prétexte » (« Les figures de la distance infinie et du délire interprétatif », Enseigner la lecture littéraire, pp. 94-96). 238 « Toutefois, cette accentuation du rôle du lecteur (parfois cautionnée par le fameux « pluriel du texte ») s'est souvent confondue avec une anomie interprétative pour laquelle toutes les lectures se valent et que l'on s'est plu à rapprocher de tels propos d'un Montaigne (« un suffisant lecteur découvre souvent ès écrits d'autruy des perfections autres que celles que l'autheur y a mises et apperceues, et y preste des sens et des visages plus riches »), d'un Rimbaud (« j'ai voulu dire que ça dit, littéralement et dans tous les sens ») ou d'un Valéry (« il n'y a pas de vrai sens d'un texte. Pas d'autorité de l'auteur. Quoi qu'il ait voulu dire, il a écrit ce qu'il a écrit. Une fois publié, le texte est comme un appareil dont chacun peut se servir à sa guise et selon ses moyens ») […] « cela l'amène à parler d'un « relativisme interprétatif.», « Interprétation de texte littéraire et cadrage générique » (Pratiques n°76, Les nouveaux programmes de lycée, 1992). 239 La Compréhension des textes au collège : lire, comprendre, interpréter des textes au collège, p. 24. 74 1) l'interprétation du lecteur ne soit contredite par aucun élément du texte et que 2) on ne projette rien sans pouvoir l'appuyer sur une base verbale 240 ». La notion de justification par le texte apparait comme un moyen de validation essentiel, et rappelle combien doit rester étroit le rapport texte-lecteur dans cette construction d'un sens second. On comprend de plus qu’une hypothèse de lecture peut apparaitre comme valide dès lors que rien dans le texte ne s'y oppose. Cette liberté interprétative, réinscrivant de facto relativité et pluralité, souligne bien une des caractéristiques spécifiques de cette forme de lecture qui ne peut être qualifiée de « vraie » ou « fausse ». En effet, à l'inverse de l'herméneutique scientifique et mathématique 241 , le statut de la lecture est de l'ordre du « vraisemblable », du fait, rappelons- le encore, de la nature d'au moins deux de ses variables, le texte et le lecteur. Ainsi, comme le dit Annie Rouxel, « la nature polysémique du texte littéraire rend plus aléatoire et plus difficile le diagnostic de l'erreur. Elle autorise même à se demander si la notion d'erreur est pertinente en lecture littéraire […] L'erreur n'est donc pas dans le sens élaboré mais dans la valeur qu'on lui attribue » 242 . Cette conception engage le lecteur dans une forme de responsabilité face à sa lecture, parce qu'il en est l'auteur243 : le lecteur est donc celui qui doit être responsable de son interprétation littéraire, de cette seconde lecture, de cette nouvelle écriture 244 . La lecture littéraire prend la forme d'un cheminement interprétatif 245 qui, sans se perdre dans le « délire interprétatif », sans dévoyer à en rompre tout rapport avec le texte, semble attendre, de la part de son lecteur, une « prise de risque ». Comme le disent François Quet et Michel Dabène, « rien ne permet d'affirmer enfin qu'entre « lectures interprétatives » et « lectures déviantes » il y ait une rupture complète : toute interprétation suppose une prise 240 Litterature as exploration. New York : The modern Language Association of American, 1978, p. 115. 241Nous l'avons déjà souligné avec Catherine Kerbrat-Orecchioni (op. cit.) 242 Enseigner la lecture littéraire, pp. 81-82. Nous ajouterons que la nature de l’erreur peut en effet être plurielle (liée à un contre sens, à une approche trop générale…). L’erreur n’est finalement pas ce qu’il s’agit de stigmatiser pour en faire une finalité de la lecture (vrai / faux), il s’agit au contraire de la considérer comme une étape inachevée, plus ou moins grande, dans la lecture et dans l’élaboration du sens. Il s’agit de considérer ainsi ce que l’on peut voir comme une erreur, de lui donner cette valeur « d’avertissement », qui n’a rien d’une fin en soi, mais qui « rappelle » le lecteur pour reconsidérer ou mieux considérer l’hypothèse jusqu’alors établie. 243 Nous pourrons rappeler que le terme « auteur » (auctor, celui qui pousse à agir) ramène par son étymologie à la notion de responsabilité. 244 Nous reviendrons de manière bien plus approfondie par la suite sur cette relation lire-écrire en lecture littéraire. 245 Comme le dit Richard Saint Gelais, « la lecture est le lieu de ce qui n'a pas de lieu. Essaie-t-on de la saisir, c'est toujours autre chose, semble-t-il, qu'on appréhende. D'où le risque parfois, de confondre la lecture avec son amont ou son aval, le texte dans le premier cas, les traces de la lecture dans le second. ». « Tout se passe en effet, à en croire la plupart des études, comme si la lecture était un processus qui allait toujours droit au but […] Bref : ce qui est mis de côté, à peu près systématiquement, c'est ce que j'appellerai les lectures erratiques, celles qui au contraire dérapent, hésitent, se trompent » (« la lecture erratique », Théories de la lecture littéraire, p. 176). 75 de risque inférentielle » 246. Ainsi, cette « prise de risque » n'est-elle pas une des conditions mêmes de toute lecture interprétative, de son apprentissage, du plaisir qui en advient, par l'effort interprétatif qu'elle mobilise chez le lecteur, par la résistance qui peut en être l'origine, dans le texte ? 246 Op. cit., p. 24. 78 même de faire la distinction entre « lecture privée et lecture scolaire 252 ». Comme le dit Yves Reuter dans la définition qu'il donne du terme « rapport », « Dans toute situation d'apprentissage, le sujet apprenant est confronté à des contenus d’enseignement qu'il doit maitriser progressivement. Cette confrontation l'amène à donner du sens, à accorder une valeur aux contenus, c'est-à-dire à supposer notamment leur utilité sociale, leur légitimité dans la situation d'apprentissage, leur pertinence dans la discipline 253 ». Dans le cadre du sondage déjà mentionné réalisé en 2010 auprès de cent cinquante élèves du secondaire, il était aussi question de la vision qu'ont les élèves de la lecture au collège : la grande majorité a déjà eu beaucoup de mal à bien cerner quoi mettre derrière ce terme de « lecture » : est-il question de lecture avec des questions, de lecture orale, écrite... ? « La représentation dominante » de ces élèves de troisième, pour reprendre Jean-Louis Dufays, est celle « d'une croyance en un sens unique 254 ». Leur « conception de la lecture comme attitude passive, contemplative, soumise à la célébration d'un sens déjà là » contribue à « une démythification du fait littéraire 255 » et se trouve à l'origine de deux conséquences : la reproduction d'un schéma de la lecture extrascolaire et donc, la restriction à une lecture purement psychoaffective, aux « éléments passionnels 256 », qui n'incitent pas (et c’est ici, et non dans cette approche qu’est le problème) à convoquer un autre mode de lecture 257 . La seconde conséquence est la création d'une distance, voire d’une forme de rupture dans le 252 DEMOUGIN, Patrick et MASSOL, Jean-François, Lecture privée et lecture scolaire : la question de la littérature à l'école, 1999. 253 Dictionnaire des concepts fondamentaux en didactique, 2007, p. 191. 254 « Les motivations des élèves sont fortement enracinées dans une lecture consommatrice axée sur l'action, l'émotion et l'illusion référentielle, et dans une conception monosémique de la littérature : pour eux, les texte ont un sens unique qui correspond à la volonté de leur auteur. […]S'ajoute à cela […] une conception de la lecture comme attitude passive, contemplative, soumise à la célébration d'un sens déjà là.», (« Lire au pluriel. Pour une didactique de la diversité des lectures à l'usage des 14/15 ans », Pratique n° 95, septembre 97, pp. 31-52). 255 Ibid. 256 Versus les éléments rationnels ; DUFAYS, Jean-Louis, GEMENNE, Louis et LEDUR, Dominique, Pour une lecture littéraire. 2, Bilan et confrontations, 1996. 257 Jack Thomson a fait la « liste des stades de la lecture littéraire chez les adolescents : le stade impulsif et irréfléchi centré sur l'action (où l'on s'intéresse aux personnages et images stéréotypés, aux récits d'actions à rebondissement qui ne nécessitent que des anticipations à court terme ; le stade de l'empathie (qui dénote un intérêt plus grand pour les personnages, leurs sentiments et leurs motivations, les actions signifiantes pour les personnages et les images plus complexes ; le stade de l'analogie (où l'on commence à associer avec soi-même ; le stade de la réflexion (où l'on aime questionner les visions du monde et les thèmes, les subtilités et motivations internes des personnages, les polysémies et les ambiguïtés du texte ; le stade critique (où l'on juge les qualités d'orchestration de l'œuvre dans son ensemble en fonction du contexte de sa production et de sa réception ; le stade conscience (celle de ses propres idéologies et de celles de l'auteur, celle de ses stratégies de lecture). Ses résultats révèlent que la plupart des adolescents, jusqu’à 14-15 ans, restent au niveau des trois premiers stades, soit ceux centrés sur la progression de l’action, l’empathie et les analogies avec soi-même ou, en d’autres mots (Understanding teenagers’ reading. New York, NY : Nichols Publishing, 1987). 79 rapport texte-élève 258 . Ainsi pouvons-nous nous demander, comme Anne Vibert le fait pour la lecture analytique : « Sommes-nous sûrs que la lecture analytique a réussi sa conversion et qu’elle est parvenue à construire un nouveau rapport au texte ? Rien n’est moins sûr, et en tout cas, les différentes enquêtes sur la lecture des jeunes générations font plutôt état d’un échec de l’école à susciter le gout et l’intérêt pour la lecture en général et celle de la littérature en particulier. Ce n’est pas tant la baisse quantitative du nombre de lecteurs qui doit nous arrêter ici […], c’est surtout la vision négative, ou en tout cas contreproductive en ce qui concerne l’incitation à la lecture, qui se dégage de certaines de ces enquêtes 259 ». Vibert cite à titre d’exemple l'enquête de Christian Baudelot à la fin des années 1990 qui faisait apparaitre la lecture au collège et au lycée comme « une pratique sans croyance 260 », ou encore celle d'Octobre, dans son enquête de 2006 sur les loisirs des six / quatorze ans, notant la baisse de l’attachement à la lecture entre l’école et le collège 261 . Les élèves semblent ainsi aborder la lecture scolaire, et plus particulièrement la lecture analytique (c’est-à-dire celle qui s’inscrit dans un apprentissage), de manière plus ou moins négative 262 . Comme le dit Anne-Marie Hubat-Blanc, « les élèves spontanément ne comprennent pas, voire n'acceptent pas que l'étude littéraire requière de leur part un questionnement qui bouscule nécessairement leurs modes spontanés de lire ou d'envisager le réel; cela peut se manifester de deux façons : soit par des attitudes relevant du malentendu et de la méconnaissance des enjeux de la discipline, soit des attitudes de refus, de résistance, voire d'agressivité 263 ». Ainsi, cette vision de la lecture comme une « lecture savante » à laquelle n'aurait accès que l'enseignant reviendrait pour les élèves à n'y associer qu’un seul objectif : savoir ce que l'enseignant comprend d'un texte littéraire... Le rapport des élèves à la lecture littéraire au secondaire se caractérise donc par le faible nombre d'objectifs qu'ils lui attribuent. Du coup, favoriser et enrichir ce rapport apparait parfois comme un véritable « pari de la littérature 264 » pour l'enseignant, dont l'objectif sera de trouver les moyens et démarches pour amener les 258 Les facteurs en cause les plus souvent évoqués sont la crainte, la peur de « se tromper », ou encore l’indifférence face à l’exercice... 259 Faire place au sujet lecteur en classe : quelles voies pour renouveler les approches de la lecture analytique au collège et au lycée ?, pp. 3-4. 260 « Lire au collège et au lycée, de la foi du charbonnier à une pratique sans croyance », Genèse de la croyance littéraire, Actes de la Recherche en sciences sociales, n° 123, Juin 1998. 261 OCTOBRE, Sylvie, « Les loisirs culturels des 6-14 ans », La documentation française, 2004. 262 « Ils savent faire, mais n'aiment pas ça », soulignent Catherine Frier et Marie-Cécile Guernier (« Paroles de lecteurs : et si les usages scolaires empêchaient de pratiquer la lecture ? », GOIGOUX, Roland, NONNON, Elisabeth (coord.), Surmonter les ratés de l’apprentissage de la lecture à l’école et au collège, Repères n° 35, p. 119). 263 Pour une lecture littéraire. 2, Bilan et confrontations, 1996, p. 319. 264 BRILLANT-ANNEQUIN, Anick et MASSOL, Jean-François, Le Pari de la littérature, 2005. 80 élèves à dépasser ces à priori et à permettre à l’élève de s’impliquer de différentes manières dans ce type de lecture. Nous ne pouvons que mentionner le « mais à quoi ça sert puisque je sais déjà lire de toute façon ? » entendu à de nombreuses reprises durant nos enquêtes, mais qui montre bien que les élèves ne portent que peu d'intérêt à la lecture littéraire scolaire, peut- être aussi parce qu’ils n'en voient pas « l'utilité », ou ne comprennent tout simplement pas quels en sont les objectifs, où se trouve leur place, ne cernent pas l’effort interprétatif nécessaire à ce type de lecture particulier. Ces non-dits, ces malentendus, ces clichés peuvent alors créer une forme de cercle vicieux, les élèves en difficulté se démobilisant d’autant plus qu’ils pensent que leurs difficultés face à la lecture est déjà un obstacle insurmontable 265 . C’est entre autre ce qui fait dire à Annie Rouxel que « la littérature “se présente comme un objet d'enseignement problématique pour lequel il faut motiver les élèves” car dixit Barthes c'est “la plus complexe de pratiques signifiantes”, dans la mesure où “elle opère avec des signes tout faits” (Barthes, 1978) 266 ». La question de leur « conscience métacognitive 267 » dans le cadre de cet enseignement se pose alors, et semble pouvoir être mise en rapport non seulement avec leur mobilisation, mais aussi, avec leurs performances en lecture. Pour reprendre les propos de Jean-Louis Dufays et Séverine de Croix, « Goigoux […] a montré que les performances en lecture dépendent également en grande partie des pratiques d'enseignement, lesquelles développent très peu la conscience métacognitive des élèves. Selon lui, ce sont les compétences métacognitives qui, en lecture, différencient le plus nettement les lecteurs experts des lecteurs faibles 268 ». De même, pour Jean-Louis Dufays, « ce décalage est sans nul doute une des causes de la démotivation envers la lecture qui gagne beaucoup d’élèves au fil de leur scolarité, car 265 Comme le disent Sylvie Cèbe, Roland Goigoux et Serge Thomazet, « Enfin on observe que les lecteurs peu efficaces, parce qu.ils s’attendent à ne pas comprendre, étudient moins longtemps le texte que les autres. Lorsqu’on les interroge sur leurs piètres performances, ils incriminent le texte (pas intéressant, trop difficile), leurs faibles capacités (je suis nul en lecture) mais ne citent jamais l’effort qu.ils consacrent (ou plutôt ne consacrent pas) à l’étude : pour eux, tout effort est vain. Là encore, ils s’en remettent au contrôle de l’adulte pour qu’il les aide à se centrer sur l’activité et pourquoi pas qu’il leur donne les bonnes réponses aux questions qu’ils ne se posent pas » (« Enseigner la compréhension. Principes didactiques, exemples de tâches et d’activités », Lire écrire, un plaisir retrouvé, 2004, p. 3). 266 Annie ROUXEL, Enseigner la lecture littéraire, p 13. 267 On pourra se reporter ici à l'article de Sylvie Cèbe et Roland Goigoux qui souligne une nouvelle fois les difficultés multiples liées au déficit de construction des stratégies requises pour comprendre, et à leurs conséquences : « Toutes les difficultés décrites ci-dessus, conjuguées avec l’expérience répétée de l’échec et de la réprobation implicite des adultes, concourent à construire des traits de personnalité qui affectent le fonctionnement et l’apprentissage. Les élèves les moins performants ont d’eux-mêmes une image peu flatteuse, voire négative, s’accordent peu de confiance, se décrivent comme peu autonomes, peu motivés et n’éprouvant que rarement le sentiment de contrôler les évènements et leurs résultats. » (Concevoir un instrument didactique pour améliorer l'enseignement de la compréhension des textes, Institut National de Recherche Pédagogique, n° 35, 2007, p. 193). 268 DUFAYS, Jean-Louis et DE CROIX, Séverine, « Se raconter pour mieux se percevoir comme sujet lecteur », LANGLADE Gérard et ROUXEL Annie (dir.), Le sujet lecteur : lecture subjective et enseignement de la littérature, 2004, pp. 153-165. 83 fortes inégalités entre élèves et des postures ne permettant pas une bonne poursuite des apprentissages au lycée. La classe : un lieu pluriel La classe est le lieu du passage de l’adolescent-lecteur à l’élève-lecteur : ce qu’implique ce changement de lieu (en ce qui concerne le changement de contexte, de posture de lecteur, de texte lu) doit être questionné, pour mieux comprendre les rapports que l’élève peut (/ doit / est aidé à) construire avec le texte. Nous aborderons le terme « classe » sous deux de ses acceptions : le regroupement d'élèves et le lieu dans lequel ces élèves reçoivent les cours. L'objectif est ici de montrer que la pluralité de ce groupe classe et la pluralité des variables ou des facteurs lors d'un cours de lecture, peuvent influencer, l'un comme l'autre, l'apprentissage de la lecture. Pour plus de facilité, nous recentrons quant à nous notre étude sur le niveau troisième. Une classe est un ensemble constitué d'élèves à peu près du même âge et supposé du même niveau. Rien de plus artificiel donc, et cela nous incite à analyser la classe du point de vue de sa pluralité intrinsèque. Cette pluralité est relative (contexte social, niveau de classe, niveau des élèves, nombre moyens d'élèves par classe...). Cette pluralité semble d’autant plus marquée que l’on approche du dernier niveau de collège, c’est-à-dire de la troisième : il n'y a en effet jusque là aucune orientation possible pour les élèves (depuis la loi du collège unique, et la fin de l’orientation dès la quatrième), ce qui peut amener à constater des disparités grandissantes et maximales à ce niveau. Cette pluralité peut avoir un impact sur l'apprentissage scolaire de la lecture. Au niveau social, les élèves n'ont pas le même accès à la culture et au livre en dehors des murs de l’école, et ce « bagage culturel » permis par le cadre extrascolaire joue un rôle important. Au niveau de l'âge et du sexe, aussi, les écarts se creusent, certains ayant pu redoubler avant d’atteindre ce niveau. La question de la maturité est très importante à ce niveau, car elle peut aussi influencer la lecture (en termes de rapport à, de compétences, de compréhension des objectifs...). Au niveau scolaire, enfin, la disparité des compétences en lecture est très marquée : certains élèves sont des lecteurs experts quand d'autres manifestent encore de problèmes de compréhension 279 : problème de compréhension littérale, compréhension « en ilots » dont parle Roland Goigoux, problèmes d’ordre 279 Séverine de Croix signalait ces derniers dans son observation d'élèves pourtant bien plus jeunes, et nous les retrouvons aussi en 3e (Comprendre et accompagner les élèves en difficulté de lecture au début du secondaire. Une recherche-action en didactique de la lecture littéraire, Thèse soutenue en 2010, Louvain La Neuve.) 84 métacognitif, mais aussi problèmes liés à des formes de dyslexie. Plus largement, la pluralité de la classe peut être problématique car elle met en tension des disparités de natures différentes, complexes, non complémentaires et cela rend de fait plus complexe toute approche pédagogique. La classe, contexte de l'apprentissage de la lecture, est aussi le lieu où se déroulent toutes les séances de cours : il s'agit de gérer à la fois l'espace et le relationnel particulier à chaque classe entendue comme regroupement d'élèves. C'est dans un espace clos, étiqueté « scolaire », compte tenu du lieu institutionnel et du public, regroupant élèves et professeurs, que doit se faire l'apprentissage de la lecture analytique. On comprend de nouveau le caractère quelque peu artificiel d'une telle construction, et ce que cela peut impliquer : on est loin du jeune Marcel qui se délectait de lecture solitaire au fond d'un vieux grenier, loin de ces moments de délices que Sartre savourait entre mille livres d'une vieille bibliothèque familiale… Le regroupement d'élèves, souvent en nombre conséquent 280 , et tous les facteurs déjà mentionnés, ne peuvent que jouer dans la « dynamique motivationnelle » de l'élève, et parfois aux dépens de l'apprentissage de la lecture. La relation texte-élève peut rester solitaire, de fait de la lecture silencieuse, mais pour connaitre le niveau de chacun, pour faire réagir les élèves sur leur lecture, l'exploiter, la modifier, l'enseignant a besoin que soient verbalisées lectures et impressions de lectures, qui passe notamment par la formulation orale. Or, le nombre, les personnalités, les différences de niveau, le cadre scolaire, tout ceci ne facilite pas l’expression de chacun, ni l'étayage de l'enseignant. L'apprentissage de la lecture en troisième doit donc s'inscrire dans ce contexte particulier, et ce sera l'un des objectifs de l'enseignant, par la démarche pédagogique qu'il instaurera, de pouvoir l’organiser au mieux 281 . De plus, les différences de niveau permettent-elles un même apprentissage pour tous, les mêmes objectifs ? Le choix des textes littéraires, pour l’enseignant, ne devient-il pas finalement problématique ? 280 On compte en moyenne actuellement entre vint-cinq et trente élèves par classe de troisième en France, établissements publics ou privés. 281 On peut ainsi penser à la démarche proposée par Catherine Tauveron, pour le premier degré, qui fait de l'espace classe un lieu de « jeu », donnant un rôle à chacun, structurant donc la lecture pour permettre qu'aux interactions du binôme texte élèves se greffent celles de l'enseignant et des pairs, et fasse que la variable classe devienne un atout dans cet apprentissage (TAUVERON, Catherine, « la lecture comme jeu 1, à l'école aussi », La lecture et la culture littéraires au cycle des approfondissements, 2002, p. 220). 85 L'évolution de l'enseignement apprentissage de la lecture scolaire au secondaire Rappeler succinctement l'évolution de ce domaine de la discipline du français au cours des dernières décennies aidera à mieux comprendre les problèmes actuels face à l'apprentissage de la lecture analytique. L'explication de textes C'est au début de la III e République que nous allons assister, notamment avec Gustave Lanson 282 , à la mise en place, dans le cadre scolaire, de l'explication de texte. Il s’agit du premier véritable modèle organisateur de l’enseignement littéraire tel que nous le connaissons encore aujourd'hui. Les apprentissages rhétoriques hérités de l'enseignement antérieur sont laissés de côté, mais la dimension axiologique et l’importance de la transmission de valeur restent très affirmées. L'objectif est double : il s'agit de donner accès aux élèves à une culture littéraire qui leur permettra de devenir des citoyens français représentant, par les connaissances acquises, une forme d'élite nationale 283 . Mais il s'agit aussi de faire d'eux les « porteurs de valeurs (esthétiques et éthiques) réputées spécifiques à la francité 284 ». Comme le dit Jean-Louis Dufays, « la littérature a gardé ses valeurs, mais celles-ci ont été mises désormais au service de l’idéal démocratique ». La discipline « français » a ainsi été construite à cette époque à partir de deux axes forts : la langue, et la littérature. Leur enseignement respectif passera donc par l'explication de texte et l'histoire littéraire 285 . La transmission des valeurs humanistes et la conscience de l'avènement de la nation français à travers les monuments de sa littérature vont amener à privilégier les auteurs du XVIIe siècle, véritable « foyer » de cette histoire littéraire. Lire et connaitre les grands auteurs est considéré comme un des moyens les plus sûrs de devenir un citoyen complet en développant à la fois une culture et une exigence éthique et esthétique. Comme le soulignent Jean-Marie Fournier et Bernard Veck, 282 Gustave Lanson fut un historien de la littérature et un critique littéraire français qui encouragea une approche objective et historique des œuvres. Il fut une figure majeure de la réforme du système universitaire français et de la critique littéraire jusqu’au milieu du XXe siècle. 283 VIALA, Paul et ARON, Alain, L'enseignement littéraire, PUF, 2005. 284 DUFAYS, Jean-Louis, « La lecture littéraire, des “ pratiques du terrain ” aux modèles théoriques », CHABANNE, Jean-Charles, (dir.), Parler, lire, écrire dans la classe de littérature : l'activité de l'élève, le travail de l'enseignant, la place de l’œuvre. 285 Voir aussi CHERVEL, André, Histoire de l’enseignement du français du XVIIe au XXe siècle, Paris : Retz, 2006. 88 précisément comme « la construction progressive d'une signification du texte à partir d'hypothèses de lecture et dont la validité est soigneusement vérifiée ». Selon la Commission d'inspection, « lire méthodiquement, c'est choisir ses entrées dans un texte, et construire peu à peu un sens » par « une observation rigoureuse, une mobilisation de savoirs: vocabulaire et outils d'analyse que le professeur veille à faire acquérir, progressivement; la rigueur de l'analyse visant à éviter le double piège de l'impressionnisme superficiel et du formalisme stérile ». C'est « une pratique de classe » avec des « enjeux pédagogiques, et une dimension didactique [qui] met au premier plan de ses préoccupations l'acquisition de démarches, d'outils et de méthodes de lecture […]. Elle vise à leur donner le gout, les instruments et les compétences d'une pratique autonome de lecture 291 ». Ce changement va être compris comme un simple aménagement pour certains et comme un véritable changement pour d'autres, ces derniers questionnant notamment les formes de rupture herméneutique et pédagogique 292 . Il s'agit en tout cas, pour Langlade 293 , de passer d'un sens expliqué à un sens à construire, ce que Michel Descotes explique bien : « La lecture méthodique met […] l'accent sur le processus de construction du sens. Dans le cadre de la classe, elle opère un déplacement […] du sens expliqué par l'enseignant aux élèves au sens produit par les élèves avec l'aide de l'enseignant ». De ce fait, « elle suppose un lecteur actif, participant à la construction du sens 294 ». Concernant les ruptures et déplacements didactiques, selon Gérard Langlade : « Les savoirs généraux sur la littérature, son histoire, ses courants […] perdent momentanément de leur importance au profit des savoirs instrumentaux (méthodologiques et culturels) qui permettent, plus directement, d'améliorer les compétences de lecteur des élèves ; il s'agit, avant tout, en amenant un élève à résoudre les problèmes de lecture et d'interprétation posés par un texte, d'améliorer ses compétences de lecteur, de le doter d'outils nouveaux qu'il pourra investir dans d 'autres lectures 295 ». 291 Ministère de l'éducation nationale, Français, classes de seconde, Première et Terminale, CNDP, 1987, pp. 16- 17. 292 PAGES, Yves, L’Ecole des Lettres n° 4, 1989 / 1990 ; Le Français aujourd'hui n° 90 ; DESCOTES, Michel, Lire méthodiquement des textes, 1995. 293 LANGLADE, Gérard, Op.Cit. p. 16. 294 « Lecture(s) méthodique(s) », Le français aujourd'hui, n° 90, juin 1990, p. 11. Nous pourrons aussi nous reporter aux propos de Michel Descotes, pour qui, « considérée à travers plusieurs documents parus sur sept ou huit ans, la substitution d'un terme à l'autre est compréhensible et s'inscrit dans un projet éducatif plus large: par lecture on implique directement l'élève dans le processus de l'approche des textes, alors que par explication on semble réserver une part plus grande d'initiative au professeur qui fait ou dirige l'explication, maintenant l'élève dans une passivité bien acceptée, sinon souhaitée par celui-ci » (Lecture méthodique, de la construction du sens à la lecture méthodique, Toulouse, CRDP, 1989). 295 LANGLADE, Gérard, Op.Cit. p. 18. 89 Ainsi, finit par souligner Langlade : « Dans la pratique de la classe, dès lors qu'on admet qu'un texte peut avoir plusieurs sens, la relation pédagogique ne peut que se trouver profondément modifiée. L'enseignant n'est plus, comme dans l'explication traditionnelle, celui qui détient et transmet le sens d'un texte mais bien plutôt celui qui rend possible, qui guide, qui accueille et qui exploite des constructions de sens multiples ». Comme le dit le compte rendu de la commission d’inspection de 1987: « c'est à une conversion pédagogique qu'est invité le professeur: […] Il doit concevoir autrement son rôle dans une séance de lecture. […] Il fera procéder à un examen rigoureux du texte lui- même, les élèves n'ayant pas à attendre de lui la révélation d'un sens dont il serait en quelque sorte le dépositaire ». Autrement dit, « La tâche prioritaire de l'enseignant est […] de créer des situations de lecture, d'inventer des dispositifs pédagogiques favorisant aussi bien l'émergence du sens que les acquisitions méthodologiques et culturelles 296 » ce qui l'inscrit dans une approche de type constructiviste, alors que « l'explication de texte (au contraire) relevait d'une pédagogie de l'imprégnation et de l'imitation ». La commission évoque enfin une des raisons scientifiques possibles à ce changement de paradigme : « la connaissance de l'acte de lire, celle du discours littéraire et de ses instruments d'analyse rendent inévitables une approche nouvelle du texte littéraire en classe de français 297 ». Reste à savoir si cette nouvelle approche, qu'elle soit une simple modification ou un réel changement, a bien été comprise et inscrite dans les pratiques de lecture. Il semble que tel n’a pas toujours été le cas. Le terme « méthode » a ainsi tout d'abord parfois pu amener à privilégier la lecture face à la littérature, les « méthodes » face aux « Humanités » pour reprendre Anne Raymonde de Beaudrap, faisant de la lecture un exercice d'application, pour le coup totalement désacralisé, oubliant le sens, l'auteur et tout le reste de la littérature. Autre constat, si ces changements conceptuels, didactiques et pédagogiques ont été intégrés dans les pratiques, les formes de rapport au texte proposées aux élèves ont parfois entrainé certaines dérives. L'empreinte encore fraiche du structuralisme a en effet pu colorer le terme « méthodique » 298 et faire du texte littéraire le prétexte à une forme de dissection 296 Ministère de l'éducation nationale, Français, classes de seconde, Première et Terminale, CNDP, 1987, p. 16. 297 « La lecture méthodique créé pour l'enseignant de français des besoins en formation à la fois nouveau et massifs tant dans les savoirs disciplinaires que dans celui de la didactique et de la pédagogie » (Ibidem.). 298 Qui plus est, les termes mêmes des Instructions concernant la lecture méthodique sont marqués de l'empreinte structuraliste, très en vogue dans les années 1970. On citera par exemple : « observation rigoureuse, vocabulaire et outils d'analyse, rigueur de l'analyse, outils et de méthodes de lecture ». 90 textuelle 299 : l'analyse structurale ne laissait alors plus de place à aucun autre mode de lecture, ces exercices de « dissémination textuelle » écartant toute élaboration de sens par l'activité interprétative de l'élève, devenu apprenti technicien de la surface textuelle. Si l'explication de texte privilégiait à l’excès une « approche culturelle 300 » des textes, la lecture méthodique semble avoir péché par une approche qui, se voulant « interprétative », s'est avérée fortement structuraliste, laissant de côté d’autres approches, ou modes de lecture (culturel, identificatoire...) 301 . C'est notamment pour enrayer certaines de ces dérives 302 dites « technicistes 303 », qu’il fut proposé dès 2000 de remplacer la lecture méthodique par la lecture dite analytique. Ce changement a alors pris effet pour finalement être inscrit dans les programmes du secondaire lycée et collège dès 2006. La lecture analytique Nous comprenons dès lors que de manière tant synchronique que diachronique, cette forme de lecture scolaire a évolué, en cherchant de plus en plus à se démarquer des approches d'influences structuralistes et en tentant de prendre en compte d'autres variables que le texte seul. Pour ce faire, l'activité interprétative du lecteur, son apprentissage, et la « nécessaire conversion pédagogique de l'enseignant » ont alors davantage été questionnés de concert, d’un point de vue tant didactique que pédagogique, tant cognitif que métacognitif. Si la lecture méthodique a ainsi laissé la place à la lecture dite « analytique » pour tendre à ces nouveaux objectifs, nous allons voir, à partir de l’étude plus précise des programmes, qu’elle reste ancrée dans une approche à dominante interne et objectivante 304 . 299 Voir notamment la dissémination textuelle dont parle Jean-Louis Dufays lorsqu'il évoque Jacques Derrida (« Lire au pluriel. Pour une didactique de la diversité des lectures à l'usage des 14 / 15 ans », Pratiques n° 95, septembre 1997, pp. 31-52). 300Jean-Louis Dufays évoque trois approches de la lecture littéraire : l'approche culturelle, interprétative ou axiologique et fantasmagorique des textes, "Culture / compétence / plaisir : la nécessaire alchimie de la lecture littéraire", DUFAYS, Jean-Louis, GEMENNE, Louis et LEDUR, Dominique (dir.), Pour une lecture littéraire. 2, Bilan et confrontations. Bruxelles :De Boeck-Duculot. 301 Voir entre autres GIASSON, Jocelyne., La compréhension en lecture, chap 2 ; table ronde avec BURGOS, Martine, BUCHETON, Dominique et POSKIN, Anne, Pour une lecture littéraire 2, p. 265 ; DEMOUGIN, Patrick, « Texte/littéraire : chronique d'un divorce annoncé », CHABANNE, Jean-Charles (dir.), Enseigner la littérature. 302 BART, Véronique, GRAVIER, Hélène et LEFORT, Marie-Anne : « La lecture analytique évite les excès de certaines lectures « méthodiques » qui, dans leur dérive […] avaient tendance à plaquer des grilles d'analyse trop fermées (analyse de la situation d'énonciation, du schéma actanciel...) Notre priorité est avant tout le sens du texte.(La lecture analytique d'extraits, 10 questions sur la lecture analytique, document récupéré sur le site de l'académie de Nancy Metz, mars 2006, p. 10). 303 ETIENNE, Bénédicte, « De la dérive techniciste à la tectonique des textes » : les transformations de discours face aux dérives, Le français aujourd’hui, n° 175. 304 « La lecture analytique se définit comme une lecture attentive et réfléchie, cherchant à éclairer le sens des textes et à construire chez l’élève des compétences d’analyse et d’interprétation. Elle permet de s’appuyer sur une approche intuitive, sur les réactions spontanées de la classe, pour aller vers une interprétation raisonnée. En approfondissant ce qui a pu être acquis au cours de l’enseignement primaire, on développe l’aptitude des élèves à s’interroger sur les effets produits par
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved