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Lecture comparative dans la poésie de Prévert et d'al-Sayyab ..., Slides de Poésie

Nous avons par ailleurs choisi Jacques Prévert car il est l'un ... Dans le poème Chanson dans le sang, Prévert imagine la terre composée de mares de sang ...

Typologie: Slides

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Télécharge Lecture comparative dans la poésie de Prévert et d'al-Sayyab ... et plus Slides au format PDF de Poésie sur Docsity uniquement! 186 Lecture comparative dans la poésie de Prévert et d’al-Sayyab قراءة مقارنة في شعر بريفير والسياب Dr. Sidad ANWAR MOHAMMED سداد أنور محمد. د Towards a Comparative Reading in Prévert and Al-Sayyab’s Poetry Abstract Comparative literature is one of the important research topics in finding new relations and results that other types of studies do not allow. The present research is a comparative study between two contemporary poets : Al-Sayyab and Prévert. The reason for accomplishing this research is Al-Sayyab’s reading for the western literature. Moreover, the study sheds a light on translational criticism. It tackles the lives of the two writers and their points of similarities and differences. Prévert and Al-Sayyab’s are two modern poets. The first employed his daily routines to express reality, specially the events of the two world wars. The second’s pain, on the other hand, was the starting point to express others’ suffering. As far as their themes are concerned, rain has a distinct role in their writing that showed bitterness of life as well as hope for a brighter future. This study finds a new relation that connects the two writers. It is translation. Although Al-Sayyab is famous of his modern poetry, he is unknown to readers as a translator. He translated poems for many writers. Jacques Prévert was one of them. He translated hispoem, which is entitled “Forenoon Sleep”. Since only poets can translate poetry, Al-Sayyab’s translation for Prévert’spoem met the content not the form. It had no relation with the French text because Al-Sayyab substituted even the title with a new one that relates to the content. The translation was like the modern Arabic poetry and it had the poetic style peculiar to Al- Sayyab. It is true that translation is a rewriting for the original text, keeping its sense. Translation for Al-Sayyab, however, is more like a creation than mere transferring from the origin. 187 This study concludes that Prévert and Al-Sayyab are two poles of modern poetry. The first participated in the emergence of Surrealism while the second was a pioneer of modern blank verse in Iraq and Arabic world. As both witnessed the wars and crisis of the twentieth century, they had a revolutionary thought rejecting injustice and looking for freedom and independence. If Prévert is known for his simplicity in writing, Al-Sayyab’s poetry is distinguished by rigorous language and long- feet poems. Introduction Le XX e siècle a connu une série de changements et d'événements qui ne se limitent pas à la situation politique et sociale, mais au-delà pour inclure tous les aspects de la vie, y compris la littérature. Celle-ci a joué un rôle primordial dans le transfert et la documentation des événements, mais aussi dans le développement d'une nouvelle pensée libérale par une succession des courants littéraires qui ont prévalu au cours de cette période. La poésie, qui est le sujet de notre présente étude, a été libérée de l’ancienne règle de versification et s’achemine vers la fiction réaliste pour assujettir au rêve des peuples dans la libération et le salut. Le Surréalisme est venu ainsi pour améliorer le présent critique et peindre une image d'un avenir radieux. Prévert et al-Sayyab sont deux poètes engagés, connus par leur esprit révolutionnaire et ont exprimé, chacun de sa part, leur rejet de l'injustice et de la persécution dans cette période. Leur position n’était pas seulement thématique mais a provoqué un changement radical dans l’écriture poétique. Prévert s'est tourné vers tout ce qui est familier et quotidien et dépeint la réalité avec précision en inscrivant sa solidarité avec le peuple. Al-Sayyab a libéré la forme du poème de ses restrictions pour être un symbole de la liberté. À la question « Pourquoi al-Sayyab ? », on pourra répondre que Bader Shakir al-Sayyab est un des pionniers du vers libre en Irak et un des poètes arabes les plus influencés par la littérature occidentale, notamment française et anglaise. Al-Sayyab explique ainsi : « par Ali Mahmoud Taha et Ahmed Hassan El-Zayat dans leurs traductions de Lamartine, Alfred de Vigny, Alfred de Musset et les poètes anglais Pierce et Shelly, j’ai été impressionné par la 190 pauvreté rime avec aimé : « Dans la plus fastueuse des misères/ mon père et ma mère/ apprirent à vivre à cet enfant (…) Et j’écoute en souriant l’enfant de mon vivant/ l’enfant heureux aimé … » 2 . L'enfance d’al-Sayyab est marquée par un événement qui a imprégné toute sa vie celui de la mort de sa mère à l'âge de six ans et le remariage de son père. Il a grandi avec l’absence de sa mère, un défaut impossible à surmonter : À croire qu’un enfant, près de dormir,/ n’en finit pas de divaguer/ en pensant à sa mère : il y a un an,/ il se réveillait/ en ne la trouvait plus !/ Alors/ comme il s’entête à questionner/ on lui répond : « Après-demain, elle revient ! »./ Elle reviendra, c’est sûr,/ même si les amis chuchotent qu’elle est là-bas,/ au flanc de la colline où elle dort du sommeil des tombes. 3 Prévert n’a fait que des études primaires car il ne s’habitue pas aux contraintes de l’école. Il fait donc « Le cancre » : il dit non au professeur mais dit oui à la vie et commence à travailler comme vendeur aux marchés. En quittant la première étude, Prévert a dû rejoindre l'armée : il est recruté en 1918, lors de la Première Guerre mondiale et quand la guerre cesse, il achève son service militaire au Moyen-Orient au sein de l'armée d'occupation en Syrie. La même année, il s’installe en Turquie, « c’est alors qu’il fait la connaissance (en 1920, précisément) d’Yves Tanguy à Saint- Nicolas-de-Port, et de Marcel Duhamel à Constantinople » 4 . Or, cette amitié ne s’est pas passée inaperçue. Elle était à la base du contact avec les surréalistes. « En 1924, ils louent une maison 54, rue du Château à Montparnasse, où ils reçoivent les surréalistes. Ils adhèrent même au groupe pour un temps et Jacques Prévert collabore à des pamphlets et à des manifestes. Mais à la fin de l’été 1928, il est exclu du groupe » 5 . Ce mouvement a veillé à la naissance de sa vocation poétique, et en dépit de sa séparation rapide, reste sa nourrice éternelle. Si Prévert a dû quitter l’école très tôt, al-Sayyab et en dépit de son enfance difficile, continue ses études. Il s’installe à Bagdad en 1943, entre à l’Ecole normale supérieure et choisit de se spécialiser d’abord dans la langue 2 Jacques Prévert, La pluie et le beau temps, Paris, Gallimard, 1955, p. 236. 3 Sayyab, Le Golf et le fleuve (poèmes traduits de l’arabe et présentés par André Miquel), Paris, Sindbad, 1977, p. 56. 4 Jacques Bens : Jacques Prévert in Encyclopoedia Universalis, Paris, Encyclopoedia Universalis, 2000, p.965. 5 Christine Mortelier, Lire aujourd’hui Paroles de Jacques Prévert, Paris, Hachette, 1976, pp. 5-6. 191 arabe qu’il étudie pendant deux ans, puis en 1945, il décide de passer à la succursale de la langue anglaise d’où il sera diplômé en 1948. L’apprentissage d’une langue étrangère ouvre de nouveaux horizons devant le jeune poète. Cette période connaît un changement dans l’écriture poétique d’al-Sayyab pour le vers libre dont le premier poème est écrit en 1946 intitulé « Hal kāna hubban ? » ( Était-ce de l'amour ? ). La vie de Prévert tourne mal. En 1948, à la suite d’un grave accident, Jacques Prévert s’installe à Saint-Paul-de-Vence. C’est là qu’il écrit la plupart des livres qui vont suivre : Spectacles (1951), Grand Bal du printemps, La Pluie et le beau temps (1955). De retour à Paris en (1955), il se consacre surtout à des collages, dont il compose le volume Fatras (1965). Enfin, il se retire dans le Cotentin où il meurt, le 12 avril 1977, après une longue maladie. Amoureux de Paris, de ses quartiers, de ses jardins, de ses oiseaux, de la Seine que ses œuvres regorgent : « Qui est la/ Toujours là dans la ville/ Et qui pourtant sans cesse arrive/ Et qui pourtant sans cesse s’en va/ C’est un fleuve répond un enfant/ un devineur de devinettes/ Et puis l’œil brillant il ajoute/ Et le fleuve s’appelle la Seine/ Quand la ville s’appelle Paris» 6 . En 1961, la santé d’al-Sayyab commence à se détériorer et il souffre de tuberculose. Ses déplacements entre Bagdad, Beyrouth, Paris et Londres pour bénéficier de traitements s’avèrent vains. Il se rend finalement au Koweït pour recevoir un traitement à l'hôpital Amiri. Il mourra à l'hôpital le 24 Décembre 1964 à l’âge de 38 ans. Son corps est transféré à Basra et on le ramène au village (Djaykoûr) un jour d'hiver froid et pluvieux. « Poète avant-gardiste, il est la référence incontestée de la poésie irakienne contemporaine (Fleurs fanées, 1947 ; Fleurs et Mythes, 1948 ; Mythes, 1950 ; Le Chant de la pluie, 1960 ; Le Temple englouti, 1962 ; Iqbal 1965 ; La Cithare du vent, 1971 ; Orages, 1972 ; Les Cadeaux, 1974) » 7 . Eternel étranger dont le regard reste fixé à son village d’enfance (Djaykoûr) et son fleuve (Buwayb) que, malgré qu’il ait quitté très tôt comme sa mère l’a quitté ainsi, il reste dans sa mémoire jusqu’à sa mort : « Jaykur, si vous voulez seulement entendre/ si vous le voulez juste être là/ si vous souhaitez seulement donner naissance à une âme,/ même une, âme rabougrie avorté,/ que les voyageurs puissent contempler une étoile/ pour éclairer la nuit/ Pour ceux qui n'ont pas un chemin (…) Et mon âme a été enlevée/ et le train a ]sifflé[/ Larmes reflué à mes yeux,/ un nuage me levant/ Le train a 6 Jacques Prévert, Choses et autres, Paris, Gallimard, 1972, p. 206. 7 Larousse : dictionnaire mondial des littératures, http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Sayyab/176863 (consulté le 12/10/2013) 192 commencé à bouger/ O soleil de mes jours, est-il un retour? Jaykur, dormir dans l'obscurité de mes années» 8 . 2.1. L’engagement Il est vrai que la naissance de Prévert au début du XX e siècle devait faire de lui un témoin de son temps. S’il n’a pas connu personnellement la Première Guerre mondiale car il était trop jeune pour la faire, il a vécu en revanche de près la Seconde. Or, il a refugié en zone libre pour échapper à la mobilisation. S’il n’est pas amené à y participer directement, cela ne signifie pas pour autant qu'il ne se soucie pas de ce qui se passe autour de lui, d'autant que les événements du XX e siècle étaient émouvants. Mais on perçoit déjà l’esprit engagé de l'écrivain. Les répercussions de la mobilité sociale attirent le jeune poète. « En 1932, une passionnée de théâtre militant fonde le groupe d’Octobre. Jacques Prévert est vite enthousiasmé par la chaleur de ces interprètes et se met à écrire des textes, poèmes pour chœurs parlés, ou saynètes impromptues, à leur intention. L’aventure dure jusqu’en 1936, marquée en 1933 par la participation aux Olympiades théâtrales de Moscou, et en 1936 par de nombreuses représentations dans les usines en grève » 9 . Bien que Prévert n’ait pas une participation directe, sa poésie était le partage d’une émotion et d’un message. En effet, Prévert est le poète qui a su parler de son temps. Par un style de refus et un esprit de contestation. Il dénonce toutes les formes d'oppression, d'exploitation, condamnant l'Église, la police, l'armée. Il critique aussi la famille, le couple, l'aveuglement des professeurs, les hommes politiques, les prêtres, toute forme d'autoritarisme. Quant à la guerre, il la qualifie par la «connerie» 10 . La guerre n'apporte que destruction et cruauté. C'est ainsi que son humanisme s'exprime à travers cette capacité d'indignation, cette force du refus qui appelle à la révolte et annonce la révolution des pauvres et des soumis. L’engagement d’al-Sayyab est directe : il rejoint le Parti communiste et la période de 1945 à 1955 voit son exclusion de l'enseignement et son 8 Badr Chakir al-Sayyab,Traduit par Adnan Haydar et Michael Beard à partir de la collection de l'auteur Unshudat al-Matar (1960), Banipal Magazine de Banipal n ° 9, été 1999. 9 Jacques Bens : Jacques Prévert, op.cit., p. 236. 10 Jacques Prévert, Paroles, Paris, Gallimard, 1949, p. 217. 195 l'harmonie qui font de la pensée et de l'émotion flambée en eux afin transmissibles. Asatir fait allusion à l'évolution thématique éminent romantique politique dans la poésie d’al-Sayyab avec quelques morceaux contenant le commentaire social et politique. Or « les années 1950 ont vu une infusion de subtilités dans la poésie d’al-Sayyab qui a enrichi son expression et le symbolisme de ses écrits, tout en redoublant de commentaires idéologiques déguisés. Le contenu de ses travaux est de plus en plus politique grâce à son habileté à manier l'expression indirecte. Il écrit sur la lutte des Arabes contre le « monde moderne », alors qu’ils sont aux prises avec l'occupation, l'exploitation, et une envie de révolution, d'indépendance et d'autonomie. Ces travaux ont été recueillis et publiés sous le titre Unshudat al-matar (Cantique de la pluie) en 1960. Parce qu'il a brillamment réussi à capter le mythe traditionnel en tant que cadre pour le commentaire social moderne, les travaux de cette collection sont considérés comme étant parmi ses meilleurs écrits » 18 . S’il est vrai que Prévert a quitté le surréalisme très tôt, il demeure comme le qualifie Jean Queval, « le plus pur des surréalistes : d’abord par ce sens du « dépaysement » que très naturellement il introduisit dans sa poésie (…) mais aussi par la rigueur de sa morale (de sa contre-morale) car il ne manifesta aucun goût pour les appartenances (…) il voulut aimer seulement les élus de son propre choix, et n’entendit rien aux alliances et aux sectes » 19 . Quant à al-Sayyab, il est, avec Nâzik al-Malâ'ika, à l'origine d'une révolution poétique dans le monde arabe qui fit éclater le vers traditionnel au profit de nouvelles recherches métriques et du « vers libre ». Prévert tirait ses thèmes de la vie quotidienne. L'inspiration pour ses poèmes vient des endroits fréquentés au quotidien, tels que les marchés, les trottoirs, les cafés, les parcs, le bord des rivières, etc. Cette approche adoptée par Prévert signale un changement majeur dans la poésie. Après avoir atteint les plus hauts niveaux de difficulté et de complexité décrits par l’hermétisme, la poésie, avec Prévert, descend de son piédestal pour devenir l'expression de simples sujets de la vie sous toutes ses facettes. La poésie de Prévert éveille des sentiments directs et simples. Il compte sur l’évidence de ses sens et de ses sentiments instinctifs. La nature et le monde animal constituent les meilleurs amis du poète où l’on peut saisir la fraternité du poète avec les 18 Badr Shakir al-Sayyab : critical introduction, op.cit. 19Jean Queval, Le Nouveau dictionnaire des auteurs, Paris, Robert Laffont, 1994, p.2585. 196 bêtes et surtout l’oiseau qui, pour le poète, constitue le symbole de toute liberté joyeuse : Quand l'oiseau arrive s'il arrive observer le plus profond silence attendre que l'oiseau entre dans la cage et quand il est entré fermer doucement la porte avec le pinceau puis effacer un à un tous les barreaux en ayant soin de ne toucher aucune des plumes de l'oiseau Alors vous arrachez tout doucement une des plumes de l'oiseau et vous écrivez votre nom dans un coin du tableau 20 . Quant à al-Sayyab, il est « éloignée de l’afféterie abstraite et sous- tendue par une chatoyante éloquence, son inspiration visionnaire utilise tout le lexique à sa convenance et glane, dans les mythes, les légendes, les éléments de la vie quotidienne, une provende d’amour et d’absolu » 21 . Peut- être ce genre d'écriture lui donne-t-il la sécurité et la liberté qu’il n’a pas vécu, tout comme la vie de Prévert a eu un impact significatif sur sa poésie qui a traduit la souffrance des pauvres et de la classe ouvrière opprimée, la laideur de la guerre et la douleur des personnes souffrant de la faim et des violences, des femmes et des enfants à l’agonie. Quant aux souffrances endurées par al-Sayyab, elle eurent une influence déterminante sur ses écrits : « sa vie fut une série de tragédies à commencer par la mort de sa mère (...) et le remariage de son père, sa laideur et le refus des femmes, son échec dans la politique, sa pauvreté et sa maladie… Il connut des déceptions multiples marquèrent sa poésie (...) Mais al-Sayyab fut tel le cygne de A. Musset dont les tourments de l’âme ont nourri le cœur de ses lecteurs » 22 . Car pour lui le poème naît de la souffrance et des souvenirs. Or, le passé ne se revitalise que s’il est détruit : Si le passé doit faire retour sur nous, qu'il soit détruit : car les choses 20 Jacques Prévert, Paroles, op.cit., p.165. 21Bernard Moussali , Le Nouveau dictionnaire des auteurs, Paris, Robert Laffont, 1994, p.2880. 22 Dr. Antonus Boutros, op. cit., p. 207. (traduit par le chercheur) 197 ne croissent et ne lèvent que sur leurs cendres consumées jetées à tous les vents de l'horizon... ! 23 Ainsi pourrait-il rejoindre sa mère éternellement : Alors je m'en irai par les chemins du rêve alors je marcherai vers l'ultime rencontre et celle qui viendra sera encore ma mère! 24 II La pluie chez Prévert et al-Sayyab Oh Barbara Il pleut sans cesse sur Brest Comme il pleuvait avant Mais ce n'est plus pareil et tout est abimé 25 (Barbara, Prévert) Buwayb .. Buwayb Vingt ans sont passés, on disait des siècles Et aujourd’hui, quand la nuit tombe Et je me couche dans le lit (…) Je me sens le sang et les larmes comme la pluie 26 (Le fleuve et la mort, al-Sayyab) La pluie porte de multiples significations chez les deux poètes. Outre le sens propre qui désigne l’eau qui tombe du ciel, elle comprend des significations symboliques et devient une expression de l’état d’âme. En 1955, Prévert publie un recueil intitulé La Pluie et le beau temps et le recueil le plus célèbre d’al-Sayyab est Le Cantique de la pluie paru en 1960. Bien que les deux auteurs 23 Bader Shakir al-Sayyab, Le poème et la chimère (traduit par René R. Khawam), www.jehat.com (consulté le 12/7/2014). 24 Ibid. 25 Jacques Prévert, Paroles, op. cit., p. 217. 26 Bader Shakir al-Sayyab, Recueil Bader Shakir al-Sayyab, op. cit., pp. 104-105. (traduit par le chercheur) 200 Pour Prévert, si la pluie reste intrinsèquement la même, la différence réside dans sa forme : « Pluie de fer/ De feu d’acier de sang » 34 . Ici, la pluie se transforme de sa substance fluide et transparente pour devenir fer, acier et sang exprimant ainsi l’ardeur de la guerre ; cette métaphore est souvent utilisée pour des faits semblables car les plombs tombent comme la pluie. Chez al-Sayyab la pluie est un mauvais présage et l’émettrice de la douleur (sais-tu la tristesse montant de la pluie ? 35 ). Elle est l’expression de sa souffrance et devient un état d’âme, dans la mesure où le poète lui prête ses sentiments (les gouttières sanglotant sous la charge 36 ). La répétition verbale de la pluie augmente la tristesse et l’angoisse jusqu’à point où la pluie devient synonyme de la mort : « Sans fin, tels le sang versé, les affamées, l’amour, les enfants, les morts : ainsi la pluie » 37 . Or, le malheur d’al-Sayyab a des dimensions universelles. Bien que la pluie soit l’expresse de la tristesse et de l’angoisse du poète, elle exprime également la souffrance du peuple affamé et au lieu d’apporter la grâce elle aggrave la famine : « Depuis notre enfance, le ciel/ se couvre en hiver,/ et tombe la pluie,/ et chaque année, quand l’herbe naît nous avons faim./ Pas d’année qui ne passe sans Faim en Irak » 38 car les corbeaux et les sauterelles mangent tous et ne laissent rien. Ou encore le cas du pêcheur dans un jour pluvieux quand la pluie ruine ses filets et augmente sa famine ( A croire qu’un pêcheur triste rassemble ses filets et, maudissant le sort et l’eau 39 ). La pluie, expression de la tristesse, de la pauvreté et de la faim chez al-Sayyab, ne deviendra pourvoyeur de grâce et le signe de la disparition des douleurs et des déceptions que quand l’image de la pluie se mêle à celle de la mère tendre : « Dans chaque goutte de pluie/ rouge ou jaune, des pétales de fleurs/ Chaque larme des nus et affamés,/ Chaque goutte de sang versé par les esclaves,/ devient un sourire attente d'une nouvelle bouche,/ ou une rose de mamelon de la succion/ offert à la lèvre du nouveau-né/ dans le monde d’une nouvelle aube/ qui offrira la vie/ La pluie continuera ... » 40 . 34 Ibid. 35 Sayyab, Le Golf et le fleuve, op. cit., p. 56. 36 Ibid. 37 Ibid. 38 Ibid., p.58. 39 Ibid, p. 56. 40 Bader Shakir al-Sayyab, Recueil Bader Shakir al-Sayyab, op.cit., p. 123. (traduit par le chercheur). 201 En effet, les deux poètes ont utilisé la pluie pour des représentations symboliques, car la pluie revêt aussi une dimension psychologique importante. Elle peut provoquer un sentiment de peur et une sensation d’humidité et d’inconfort (d’où les gens préfèrent naturellement se mettre à l'abri) comme le rappelle le verset de la Surat Les Femmes : « Nul grief contre vous, si vous posez vos armes lorsque vous êtes gênés par la pluie ou (lorsque vous êtes) malades » 41 Dans ce verset, Dieu associe la gêne causée par la pluie à la maladie ; ainsi le soldat a le droit de déposer ses armes lors de la prière s’il est affecté par la pluie ou la maladie car les deux l’alourdissent. La pluie et la maladie sont ainsi rapprochées. L’association de la maladie à la pluie dans ce contexte montre que la pluie est source de gêne et d’inconfort. Par ailleurs, le proverbe populaire irakien qui dit « le mouillé n’a pas peur de la pluie » montre que la pluie évoque un réflexe psychologique équivalent aux dangers des guerres, des crises et des catastrophes menaçant les collectivités. En effet, le facteur psychologique et le sentiment d’instabilité sont inhérents à la pluie ou à la guerre. Or, sur le papier, disparaît la sensation d’humidité et se tourne vers l’imperceptible mais le poids de la pluie reste fort grâce à la répétition. Outre que la répétition exprime l’impact de la pluie et son dommage, elle enregistre une belle chanson que les enfants répètent dans les jours pluvieux. 2.2. La pluie et le sang Les deux poètes se rejoignent quand ils comparent le sang à la pluie. Ainsi, dans le poème Rain Song, Prévert remplace les gouttelettes d’eau par le sang et la mort : « It’s raining/ blood and death » 42 . Le sang occupe, en effet, une grande place dans la poésie de Prévert et constitue un thème important dans lequel le poète décrit les aspects du bien et du mal dominant sur la terre. Dans le poème Chanson dans le sang, Prévert imagine la terre composée de mares de sang engendrées par les guerres, les massacres, les crimes, la destruction et les accidents mais il évoque aussi le sang qui accompagne l’arrivée du nouveau-né. Prévert associe en outre le sang versé à la rotation de la terre ; le sang ne remplace pas seulement l’eau mais devient une source de vie comme l’eau donne la vie et assure la continuité de la 41 Le Coran, Transcription et traduction par Dr. G. h. Abolqsemi Fakhri, Qom, Ansariyan, 2011, p. 128. 42 Jacques Prévert, Choses et autres, op.cit, p. 222. 202 rotation. Ce qui distingue le sang et le rend interférent à l’eau est la continuité car le sang ainsi que l’eau, est la source de la vie et la raison de son maintien. De même, le sang se transforme en yaourt blanc lumineux comme une robe de mariée : « sang caillé comme le lait/ comme le lait quand il tourne/ quand il tourne comme la terre/ (…) la terre qui tourne avec les mariages » 43 . Ce changement spontané du rouge au blanc est un signe qui ouvre de nouveaux horizons d’espoir, d’optimisme, de sérénité et de pureté. Al-Sayyab fait le même rapprochement de façon plus précise quand il fait référence au sang comme équivalent de l’eau : « les sangs sont jumeaux de la pluie » 44 . L’angoisse que produit la pluie est le résultat du « sang versé » mais « chaque goutte de sang versé des esclaves est une question d’une nouvelle vie remplie d’espoir et d’optimisme » 45 . D’où l’appel : « pleuvait pleuvait/ quoique feu/ et fructueux fructueux/ quoique serpent » 46 car ce sera une source de bien plus tard. L’analogie de la pluie et du sang et son utilisation comme une image poétique est inspirée par la pensée religieuse : « Le sang est universellement considéré comme le véhicule de la vie, est-il dit en mode biblique. Parfois même, il est pris pour le principe de la génération. C’est selon une tradition chaldéenne, le sang divin qui, mêlé à la terre, donna la vie aux êtres. (…) Dans l’ancien Cambodge ; l’effusion du sang au cours de joutes ou de sacrifices donnait la fertilité, l’abondance, le bonheur ; elle présageait la pluie. (…) Le sang – mêlé à l’eau – qui coule de la plaie du Christ, recueilli dans le Graal, est par excellence le breuvage d’immortalité » 47 . Ces connotations multiples, qui sont associées au sang, sont utilisées par les poètes comme un treillis pour augmenter la profondeur du sens et permettre la construction d’une double signification des images illustrant la réalité et ouvrant de nouveaux horizons d’espoir et d’optimisme. 43 Jacques Prévert, Paroles, op.cit., pp. 107-108. 44 Bader Shakir al-Sayyab, Recueil Bader Shakir al-Sayyab, op.cit., p. 93.(traduit par le chercheur) 45 Ibid., p. 124. 46 Ibid., p. 98. 47 Jean Chevalier et Alain Gheerbrant, Dictionnaire des symboles, Paris, Robert Laffont, 1982, p.976. 205 et thèmes, on apprend qu’al-Sayyab est aussi traducteur de Prévert. En effet, bien que réputé pour ses recueils poétiques (Fleurs fanées, 1947 ; Fleurs et Mythes, 1948 ; Mythes, 1950 ; Le Chant de la pluie, 1960 ; Le Temple englouti, 1962 ; Iqbal 1965 ; La Cithare du vent, 1971 ; Orages, 1972 ; Les Cadeaux, 1974), al-Sayyab est aussi traducteur. En 1955, il publie un ouvrage intitulé « Poèmes choisis du monde moderne». Le livre contient dix-neuf poèmes traduits de poètes du monde entier comme TS Elliot, Ezra Pound, Edith Sitwell, Stephen Spender, John Fletcher et C. Day Lewis et d'autres poètes espagnols, grecs, chiliens, italiens, français, belges, portoricains, vénézuéliens, turcs et indiens. En effet, al-Sayyab était tourné vers de la littérature du monde, que ce soit à travers ses lectures personnelles ou ses années d’étude à l’École normale supérieure ce qui lui a permis d’offrir la traduction d’une vingtaine de poèmes du monde entier dont deux issus de la poésie française : un d’Arthur Rimbaud (Le poète à sept ans) et l’autre de Jacques Prévert (La grasse matinée). 1.3 Le poème La grasse matinée54 La grasse matinée, est un poème plus long que la plupart des poèmes de Prévert, bien qu’il ne soit pas aussi long que Tentative de description d’un dîner de têtes. Ce poème, appartenant à la poésie libre, commence et se termine par la même strophe composée de quatre vers de longueur différente, qui ne sont assujettis ni à certaines mesures ni aux rimes. Le poème relate l’histoire d'un homme affamé, privé de nourriture depuis trois jours. Il rase les vitrines des magasins exposant toutes sortes d’aliments, du café, des boissons chaudes et multitudes de pâtisseries françaises. Mais l’homme ne pouvant supporter cette situation plus longtemps, tue quelqu’un de son quartier pour lui voler deux francs ne valant que le prix de deux tranches de pain beurré et un café. Le poème vise à dénoncer une société laissant un homme errer pendant trois jours et trois nuits sans manger jusqu’à se rendre responsable d’un crime causé par la faim. Prévert utilise plusieurs procédés pour exprimer son indignation. Un style ironique domine le poème. Le titre, La 54 Voir le poème et sa traduction dans annexe II. 206 grasse matinée, vient de l’expression « faire la grasse matinée » qui signifie se lever tard ce qui est une forme de dérision car les événements du poème se déroulent très tôt, à six heures du matin, et la matinée de cet homme affamé n’a rien de gras. C’est en outre de la faim que s’imprègnent les images dès les premiers mots les rendant obsessionnelles. Le petit bruit de l’œuf cassé sur un étain, fréquent dans les bistros parisiens, constitue le point de départ. Alors qu’il est affamé, de multiples sortes de nourritures s’exposent au vagabond dans la vitrine des magasins : « ces pâtés ces bouteilles ces conserves » 55 ; mais leur accéder lui est impossible : « Poissons morts protégés par les boîtes/ boîtes protégés par les vitres/ vitres protégés par les flics … » 56 . Lorsqu’il aperçoit un bistro avec café-crème et croissants chauds, une confusion le gagne : « un brouillard de mots/ sardines à manger/ œuf dur café-crème/ café arrosé rhum … ». A force de se répéter les mêmes mots, il transforme irrésistiblement le café-crème en café-crème arrosé de sang. Finalement, le crime, commis très tôt le matin, ne rapportera à cet homme que deux francs, soit le prix d’un café et de deux tartines beurrées ne pouvant même pas satisfaire la faim des trois derniers jours. Bien que le poème s’inspire de ce fait divers, le crime même n’occupe que quatre lignes dans le poème : Un homme très estimé dans son quartier A été égorgé en plein jour L’assassin le vagabond lui a volé Deux francs En effet, il apparaît évident que le poème se veut une critique de la situation sociale plutôt qu’une analyse du criminel lui-même : une société qui laisse un homme errer pendant trois jours et trois nuits dans les rues sans manger est responsable de ce crime de la faim. Prévert semble se faire un devoir de dénoncer la société en évoquant la faim et en la dépeignant strictement. Il entend ainsi s’engager ouvertement. Le choix de traduire ce poème participe de cet engagement. 2.3 La traduction d’al-Sayyab 55 Jacques Prévert, Paroles, op.cit., p. 86. 56 Ibid. 207 Le titre du poème La grasse matinée qui vient de l’expression « faire la grasse matinée » signifiant se lever tard, a été traduit par al-Sayyab en « La clé du crime ». En effet, al-Sayyab n'a pas traduit le poème de Prévert de manière conformiste ou par la transposition (en proses) mais à travers la poésie. Si nous essayions de faire correspondre les versets un à un, il serait difficile d’avoir un résultat. En effet, al-Sayyab a écrit un poème semblable à celui de Prévert en substance mais il se révèle différent dans la forme et la composition. C'est peut-être ce qui explique la traduction du titre La grasse matinée par « La clé du crime » qui est bien le sujet du poème mais pas son véritable titre. Si nous nous attardons sur les quatre premiers versets qui ouvrent et ferment le poème, nous constatons qu’al-Sayyab les transpose en six versets : Il est terrible le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim Dur terrible, ،لبط س١٘ت Dur terrible le son doux لبط س١٘ت رٌه اٌظٛد اٌشل١ك D’un œuf bouilli dans l’eau, quand deux mains l’écrase ِٓ ث١ؼخ غ١ٍذ ثّبء، ؽ١ٓ رؾـّٙب ٠ذاْ Sur un comptoir de tôle. Et il est le plus difficile de tout ٚ٘ٛ أس٘ت . ػٍٝ خٛاْ ِٓ طف١ؼ ِب ٠ىْٛ S’il remue revient إرا رشدد ٠غزؼبد Dans la mémoire d’un affamé sans nourriture. . فٟ ثبي ؿبٚ دْٚ صاد Al-Sayyab répète, dans le deuxième vers, le mot « terrible » (qui figure dans le premier vers) et ajoute le mot « dur » inexistant dans le texte de Prévert. Il ajoute encore « quand deux mains l’écrase » à « l’œuf dur cassé sur un comptoir » qui n'est pas non plus dans le texte original. Il intensifie le mot « terrible » dans le troisième vers par « plus terrible » en lui accordant un sens superlatif afin d’amplifier son poids, et ajoute également « sans nourriture » à «L'Homme qui a faim » pour augmenter la gravité de la 210 lui donner le caractère de la poésie arabe moderne. Or écrire le poème dans un nouveau style peut apparaître comme une créativité, ce dont al-Sayyab n’est pas loin. Dans sa critique de l’ensemble des poèmes du monde moderne traduits par al-Sayyab, le critique Abda Wazen souligne « l’adaptation et la prise des libertés d’al-Sayyab dans les traductions des poèmes en particulier les non-anglais ». Selon lui, outre qu’al-Sayyab a modifié certains titres, son intervention a aussi touché la structure ainsi que le contenu des textes. Wazen justifie la posture d’al-Sayyab par sa passion pour la poésie arabe et son aisance dans la langue arabe. Ainsi certaines traductions ne paraissent- elles pas comme des exercices de poésie révélant la vigueur d’al-Sayyab et sa capacité à formuler de nouveaux poèmes à partir d’autres textes, ajoute Wazen. Il est intéressant de noter – ajoute Wazen –qu’« al-Sayyab a traduit un poème en prose du poète français Jacques Prévert par une langue arabe stricte et bien mesurée ce qui l’éloigne de l’univers de son auteur » 59 . 3.3 Influence et impact Al-Sayyab est initié à la poésie occidentale et par conséquent, influencé par elle comme nous avons pu le démontrer précédemment. La traduction est la première étape nous permettant d’étudier cette influence et de nous demander si Prévert a influencé l’écriture d’al-Sayyab ? La réponse à une telle question doit nous amener à étudier plus généralement l’influence de la poésie occidentale sur la poésie arabe à travers notamment l’adaptation du vers libre. En effet, pour le vers libre, l’influence de la poésie occidentale sur la poésie arabe est évidente notamment chez des poètes comme Nâzik al- Malâ’ika et al-Sayyab qui en sont les initiateurs dans le monde arabe. Toutefois, bien que la poésie occidentale ait une influence considérable sur la poésie arabe, on ne relève pas, dans cette étude, d’impact direct illustré par une citation ou imitation. On perçoit néanmoins des similitudes dans les sujets traités. En effet, la situation du monde arabe dans la première moitié du XX e siècle, similaire en certains points à celle de l’Occident, conduit à l’émergence de sujets communs. Ainsi, le poème Le détective d’al-Sayyab traite du même sujet que le poème de Prévert La 59 Abda Wazen, Bader Shakir al-Sayyab … traducteur ?, Liban, Le quotidien Al-Hayat, N° 13173 en 04/02/1999. 211 Grasse matinée à savoir la faim, la recherche de la nourriture et les moyens de l’obtenir y compris les moyens illégaux ou inacceptables. Dans le poème de Prévert, l’homme affamé assassine pour assouvir sa faim et dans celui d’al-Sayyab, le détective est obligé d’occuper ce poste, si médiocre qu’il soit, pour gagner sa vie. L’homme affamé a volé deux francs pour deux tranches de pain et un café alors que le détective est obligé de faire ce métier pour « une poignée de blé » 60 . Or, ni les deux tranches de pain ni la poignée de blé ne parviennent à combler la faim des deux protagonistes car l’homme est toujours prisonnier de son destin ce qui est un des sujets fréquents de la littérature. Ainsi, la faim exerce un facteur psychologique qui ne peut être sous-estimé. Dans les deux textes, les poètes décrivent clairement la faim et ses effets sur l’être humain. Prévert écrit ainsi : « Il est terrible/ le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain/ il est terrible ce bruit / quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim » 61 , tandis qu’al-Sayyab exprime sa mélancolie et son mépris : « Rien que l’horreur et l’angoisse excédant au destin/ grave détermination » 62 . Malgré la convergence des idées et des sujets, dans les deux poèmes, nous ne trouvons ni vocabulaire, ni strophes similaires voire identiques. Cependant, ce qui rapproche les deux poèmes, ce sont l’âme surréaliste et le vers libre. Il semblerait qu’à travers ses lectures personnelles ou ses travaux de traduction de la poésie occidentale, al-Sayyab ait été affecté par ce nouveau type de poésie. Le romantisme dominant la poésie arabe de cette période, les écrits d’al-Sayyab présentent une nouvelle approche car certains de ses poèmes contiennent des aspects surréalistes tel le poème Mirage (Al- Sarab). « Mirage » est un court poème qui a pour sujet la situation difficile de la société et de l’individu. Le poète imagine la société comme une caravane subissant d’innombrables violations et dont il ne reste que des cadavres, se dirigeant vers l’abîme. Même la faible lumière provenant de l’étoile pour éclairer la route est menacée de disparaître. Le rêve se transforme en mirage, l’amour devient impossible. Pour décrire cette situation critique, al-Sayyab a recours à l’association des contraires : une étoile mourante, des lèvres assoiffées, un regard affolé, un poing géant, une chanson triste, une page 60 Bader Shakir al-Sayyab, Recueil Bader Shakir al-Sayyab, op.cit., p. 24. 61 Jacques Prévert, Paroles, op. cit., p. 85. 62 Bader Shakir al-Sayyab, Recueil Bader Shakir al-Sayyab, op.cit., p. 24. 212 froide, un escalier du feu, le vide terrible, le masque de l’existence, les ténèbres de l’abîme, ne rêvez pas. L’utilisation d’un tel style était fréquente dans la poésie occidentale du XIX e siècle. Il est vrai que la poésie occidentale a une influence directe non seulement sur l’écriture d’al-Sayyab mais sur la poésie arabe du vingtième siècle en général. Le fait qui a provoqué une révolution qui a envahi la poésie arabe, non seulement en terme de sujet mais aussi la forme et la versification. Outre l’intégration du mythe dans l’écriture poétique, il y a le symbole, l’emploi de l’histoire et du patrimoine, le mystère, l'installation et la musique d'harmonie, pas une mélodie monotone, le dessin des images poétiques nouvelles, l'adoption d'abstraction intellectuelle et de la composition plutôt que la domination lyrique et directe, la répétition, l'ironie dramatique, le monologue, l'utilisation du vocabulaire dialectal, le système des sections, et l'unité organique du poème. Conclusion La production littéraire de Prévert et d’al-Sayyab est le résultat d’événements qui ont bouleversé le monde entier. Le thème de la pluie, récurrent chez les deux poètes, vient exprimer tantôt la réalité amère, tantôt l’espérance en un avenir dominé par l’espoir et l’optimisme. Bien qu’il y ait une convergence dans l’utilisation du mot « pluie » en termes de sens ou de technique (la répétition), cela ne signifie pas nécessairement qu’il y ait une convergence quant à son impact ou à son influence. La pluie conserve, dans la vie d’al- Sayyab comme dans celle de Prévert, un pouvoir particulier reflété dans leurs écrits, d’autant que la situation critique que représentent les guerres, la famine et l’autorité, a poussé les deux poètes à recourir à la métaphore et à l’adoption de la pluie faut de pouvoir envisager la réalité et l’avenir. Il est vrai que la traduction par al-Sayyab des poèmes du monde moderne d’un côté, et ses travaux sur la poésie occidentale de l’autre, le fait disqualifié sur une nouvelle tendance dans ses écrits représentée par l’adoption du vers libre et font paraître l’influence occidentale sur la poésie arabe surtout que la poésie occidentale, notamment la française, connaît au XIX e siècle une grande révolution de renouvellement. Ainsi, les mouvements poétiques se poursuivent 215 Références arabes : 1. Dr. Antonus Boutros, Bader Shakir al-Sayyab : poète de la douleur, Liban, La nouvelle société de livre, sans année de publication. 2. Dr. Najim Abdullah Kazem, Dispose d’influence occidentale dans la littérature arabe moderne, Bagdad, Dar Al-Mamoun, , 2013. 3. Bader Shakir al-Sayyab, Recueil Bader Shakir al-Sayyab, Beyrouth, Dar al-Aouda, 2005. 4. Bader Shakir al-Sayyab (traduit par), Poèmes choisis du monde moderne, Bagdad, sans maison d’édition, 1955. 5. Abda Wazen, Bader Shakir al-Sayyab … traducteur ?, Liban, Le quotidien Al-Hayat, N° 13173 en 04/02/1999. Sitographie : 1. Kadhim Al-Ali, al-Sayyab : Poète et traducteur censuré, www.translationdirectory.com/article556.htm 2. Badr Shakir al-Sayyab : critical introduction, http://www.humboldt.edu/~me2(23/11/2013) 3. Bader Shakir al-Sayyab, Le poème et la chimère (traduit par René R. Khawam), www.jehat.com. 4. Larousse : dictionnaire mondial des littératures, http://www.larousse.fr/encyclopedie/litterature/Sayyab/176863 Annexe Annexe I Rain Song Rain rain rain rain Il pleut des cats il pleut des dogs il pleut des boys et des girls il pleut des reines et des putains des chiens savants des chats rouquins Rain rain rain rain green green green green green frog frog green It’s raining napalm bombs and baïonnettes It’s raining blood and death Il flotte il flotte tout time tout l’temps Rain rain rain rain et pluie et pluie 216 et puis et puis Et puis love dream Smile et sunshine de time en temps 64 Annexe II La grasse matinée Il est terrible le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim elle est terrible aussi la tête de l'homme la tête de l'homme qui a faim quand il se regarde à six heures du matin dans la glace du grand magasin une tête couleur de poussière ce n'est pas sa tête pourtant qu'il regarde dans la vitrine de chez Potin il s'en fout de sa tête l'homme il n'y pense pas il songe il imagine une autre tête une tête de veau par exemple avec une sauce de vinaigre ou une tête de n'importe quoi qui se mange et il remue doucement la mâchoire doucement et il grince des dents doucement car le monde se paye sa tête et il ne peut rien contre ce monde et il compte sur ses doigts un deux trois un deux trois cela fait trois jours qu'il n'a pas mangé et il a beau se répéter depuis trois jours Ça ne peut pas durer ça dure trois jours trois nuits sans manger et derrière ce vitres ces pâtés ces bouteilles ces conserves poissons morts protégés par les boîtes boîtes protégées par les vitres vitres protégées par les flics flics protégés par la crainte que de barricades pour six malheureuses sardines.. Un peu plus loin le bistrot café-crème et croissants chauds l'homme titube et dans l'intérieur de sa tête un brouillard de mots un brouillard de mots sardines à manger 64 Jacques Prévert, Choses et autres, op. cit., p. 202. 217 œuf dur café-crème café arrosé rhum café-crème café-crème café-crime arrosé sang !... Un homme très estimé dans son quartier a été égorgé en plein jour l'assassin le vagabond lui a volé deux francs soit un café arrosé zéro franc soixante-dix deux tartines beurrées et vingt-cinq centimes pour le pourboire du garçon Il est terrible le petit bruit de l'œuf dur cassé sur un comptoir d'étain il est terrible ce bruit quand il remue dans la mémoire de l'homme qui a faim 65 . الجريمة مفتاح س١٘ت، لبط اٌشل١ك اٌظٛد رٌه س١٘ت لبط ٠ذاْ رؾـّٙب ؽ١ٓ ثّبء، غ١ٍذ ث١ؼخ ِٓ ٠ىْٛ ِب أس٘ت ٚ٘ٛ. طف١ؼ ِٓ خٛاْ ػٍٝ ٠غزؼبد رشدد، إرا .صاد دْٚ ؿبٚ ثبي فٟ إٌّىج١ٓ ث١ٓ ؽٍّزٗ اٌزٞ اٌشأط ٚس١٘ت اٌّمٍز١ٓ ٠غ١ً صاد ثال اٌـبٚٞ أخبدع أ١ٔك، ؽبٔٛد شجبن فٟ االطجبػ ثىشح فٟ ٕ٘بن ف١شٜ ران ١ٌظ ٌىٓ األسع، ثٍْٛ سأعب ٠ىْٛ ِب ٘ٛ، ثشأعٗ ؟ ؿؼبَ ثال ٚ٘ٛ اٌجششٞ، اٌىبئٓ ساط ٌذ٠ٗ اٌخ١بي فٟ ٠شعُ ٚ٘ٛ .. ٠ؾٍُ ٚ٘ٛ .. ٠فىش ال ٚ٘ٛ ٠ىْٛ وأْ عٛاٖ، سأعب : ٠غزز٠ٗ سأعب .. سػ ثبٌزٛاثً ٌؼغً سأعب سر١ت، ثؾء فٟ ٠ٚذ٠ش، ٚساػ .. ثؾء فٟ فى١ٗ اٌشؽ١ت فبٌىْٛ ثبألعٕبْ، ٠ظش ساػ، ؽ١ش ٚأٚطذ، ػمت، ػٍٝ سأعب أداسٖ ٠ذ٠ٗ ػٍٝ ٠ؼذ إرْ، فٙٛ،. ػ١ٍٗ اٌخالص عجً ..صالصخ ؽزٝ ٚاؽذح ٘ٓ ...صالصخ ؽزٝ ٚاؽذ ِٓ صالصخ، – عٛع ِٓ ٠ئٓ ٚ٘ٛ – األ٠بَ ِٓ ِشد ٠ىْٛ ٌٓ رٌه ثأْ ٠مٛي أْ اٌجالدح ِٚٓ .وبْ ثبٌفؼً، ألٔٗ، ! ٠ىْٛ ٌٓ رٌه ٚإْ صالصخ أ٠بَ .. ثبٌفؼً 65 Jacques Prévert, Paroles, op.cit., pp. 85-87.
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