Docsity
Docsity

Prépare tes examens
Prépare tes examens

Étudies grâce aux nombreuses ressources disponibles sur Docsity


Obtiens des points à télécharger
Obtiens des points à télécharger

Gagnz des points en aidant d'autres étudiants ou achete-les avec un plan Premium


Guides et conseils
Guides et conseils

Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du ..., Schémas de Droit

dévolution successorale » et Paris, 2004, « Code civil, les défis d'un nouveau siècle ». Pour ce qui concerne le droit des.

Typologie: Schémas

2021/2022

Téléchargé le 08/06/2022

Rene_Toulon
Rene_Toulon 🇫🇷

4.3

(37)

182 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du ... et plus Schémas au format PDF de Droit sur Docsity uniquement! T h ès e d e D o ct o ra t / d éc em b re 2 0 1 2 Université Panthéon-Assas Thèse de doctorat en droit soutenue le lundi 17 décembre 2012 Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code civil Guillaume PARIS Sous la direction de Monsieur le Professeur Michel Grimaldi Membres du jury : Monsieur le Professeur Michel GRIMALDI, directeur de thèse Monsieur le Professeur Marc NICOD, rapporteur Monsieur le Professeur Bernard VAREILLE, rapporteur Monsieur le Professeur Yves LEQUETTE Maître Jean-François SAGAUT PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 2 - Avertissement La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 5 - Abstract: The statutory reversion right is the right under which a person inherits assets which were returned free of charge to the deceased who died leaving no descendants. It is an old institution which primary basis is, traditionally, the preservation of assets in the family. Established in Roman law, applied in old French law, statutory reversion was inserted in extremis in the Napoleonic code (the French civil code) next to the conventional reversion right which can be stipulated by the two parties within the framework of a transfer contract inter vivos. Out of the three cases provided in 1804, two were removed by the law of January 3, 1972. But it was not until December 3, 2001 that was established, in article 757-3 of the Civil Code, a new statutory reversion right in favour of the brothers and sisters, who, as a consequence of the reform, were superseded by the spouse in the transfer under intestate succession. Then the law of June 23, 2006 established, in turn, in article 738-2 of the Civil Code, a statutory reversion right in favour of the father and mother who had just lost their qualification of rightful heirs. In both cases, we can notice that the establishment of the statutory reversion right constitutes a counterpart, on one hand according to the exclusion for transfer by the spouse, on the other hand, the loss of the benefit of reservation: a particular role for the statutory reversion right. If the bases of the new texts are not easily highlighted, their innovative schemes also raise numerous difficulties of application and interpretation. Formerly, statutory reversion established transmission of property by inheritance according to its origin from which a duality in terms of inheritance resulted. Nowadays, statutory reversion only establishes transmission of property by inheritance of a portion of goods, taking into account its origin, and this raises some doubt as to whether it shall constitute, in all cases, an anomalous succession implying duality in terms of inheritance. This results in uncertainties which lead to wonder if it is possible to derogate from the statutory reversion and how this could be done. Beyond variation by agreement, the modification and even the repeal of texts must be considered. Keywords: statutory reversion right, article 757-3 of the Civil Code, article 738-2 of the Civil Code. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 6 - Principales abréviations Alinéa : al. Article : art. Assemblée nationale : AN Avril : avr. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambre criminelle) : Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambre civil) : Bull. civ. Bulletin officiel des impôts : BOI Chapitre : chap. Chronique : chron. Circulaire : Circ. Code des assurances : C. assur. Code civil : C. civ. Code de commerce : C. com. Code général des impôts : CGI Code pénal : C. pén. Conclusion : concl. Confer : cf. Conseil d’Etat : CE Contre : c/ Cour d’appel : CA Cour de cassation : Cass. Dalloz périodique : DP Dalloz (Recueil) : D. Décembre : déc. Doctrine : doctr. Droit de la famille : Dr. Famille Droit fiscal : Dr. fiscal Droit et patrimoine : Dr. et patr. Edition : éd. Fascicule : fasc. Février : févr. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 7 - Gazette du palais : Gaz. Pal. Grands arrêts – Jurisprudence civile : GAJ civ. Ibidem : ibid. Infra : infra Instruction : instr. Janvier : janv. Juillet : juill. Juris-Classeur (Encyclopédie) : J.-Cl. Juris-Classeur Périodique Edition générale : JCP G Juris-Classeur Périodique Edition notariale et immobilière : JCP N Jurisprudence : jurispr. Loi : L. Loi de finances et Loi de finances rectificative : L. fin. et L. fin. rect. Novembre : nov. Numéro : n° Octobre : oct. Page : p. Petites affiches (les) : LPA Rapport : rapp. Recueil Sirey : S. Répertoire du notariat Defrénois : Defrénois Réponse ministérielle : rép. min. Revue fiscale notariale : RFN Revue trimestrielle de droit civil : RTD civ. Septembre : sept. Sommaire : somm. Suivant : s. Supra : supra. Tome : t. Tribunal civil : T. civ. Tribunal de grande instance : TGI Voir : V. Volume : vol. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 10 - § 2. Conditions tenant à la personne du bénéficiaire _________________________ 122 Section 2. Difficultés relatives au bénéficiaire du retour ________________________ 123 § 1. Interrogations relatives à l’article 738-2 : les limites du domaine d’application quant aux bénéficiaires ________________________________________________ 123 A. La question de la prise en compte des ascendants privilégiés sans distinction _ 124 1. Une réponse théorique affirmative ________________________________ 124 2. La mise en œuvre de l’article 738-2 dans la succession de l’adopté simple _ 126 B. la question de la prise en compte des ascendants ordinaires _______________ 127 1. L’hypothèse de la restauration du droit de retour de l’ascendant donateur __ 128 2. L’hypothèse de la simple adjonction des ascendants ordinaires au dispositif existant _______________________________________________________ 130 C. la question de la prise en compte des collatéraux privilégiés ______________ 130 § 2. Difficulté propre à l’article 757-3 : la discrimination entre collatéraux privilégiés __________________________________________________________________ 131 § 3. Difficulté commune à l’article 757-3 et 738-2 : le concours de droits de retour 133 A. Le concours résolu entre les articles 757-3 et 368-1 _____________________ 133 1. la résolution du concours _______________________________________ 134 2. La mise en œuvre de la solution __________________________________ 136 B. Le concours à résoudre dans le cas de l’article 738-2 ____________________ 137 Section 3. Difficultés soulevées en présence du conjoint survivant ________________ 140 § 1. Difficulté commune aux deux textes : l’opposition entre la réserve du conjoint et le droit de retour _______________________________________________________ 140 A. La difficulté soulevée par le Professeur Goubeaux______________________ 141 B. la contestation de la difficulté dans le cadre de l’article 757-3 ____________ 142 C. la constatation de la difficulté dans le cadre de l’article 738-2_____________ 146 § 2. Difficulté propre à l’article 738-2 : l’exercice du droit de retour en présence du conjoint survivant ____________________________________________________ 151 A. Les arguments contre ____________________________________________ 152 B. Les arguments pour ______________________________________________ 153 Chapitre 2. Difficultés concernant les conditions relatives aux biens ________________ 155 Section 1. Difficultés et limites du retour en nature ____________________________ 156 § 1. La conception de l’exigence du retour en nature ________________________ 157 A. L’exigence d’une stricte identité____________________________________ 157 B. L’exigence d’un retour en nature par opposition au retour par équivalent ____ 160 § 2. La question de l’admission de la subrogation réelle dans les nouveaux cas de retour __________________________________________________________________ 162 A. notion et domaine de la subrogation réelle ____________________________ 163 B. La subrogation réelle mise à l’épreuve des nouveaux cas de retour _________ 165 1. La mise à l’épreuve de l’article 757-3 ______________________________ 165 2. La mise à l’épreuve de l’article 738-2 ______________________________ 170 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 11 - § 3. L’exercice du retour légal sur des biens fongibles _______________________ 173 A. l’exercice du retour légal sur des deniers _____________________________ 173 B. L’exercice du retour sur des valeurs mobilières ________________________ 175 Section 2. L’exercice du droit de retour légal sur un bien objet du droit viager au logement du conjoint survivant ___________________________________________________ 180 § 1. La primauté du droit viager dans le cadre de l’article 757-3 _______________ 182 § 2. La conciliation des deux droits dans l’hypothèse de l’article 738-2 __________ 185 Titre II. Les difficultés relatives aux effets du retour légal ___________________________ 186 Chapitre 1. Difficultés concernant le montant du retour ___________________________ 187 Section 1. L’indivision et le spectre de la licitation ____________________________ 188 Section 2. La détermination in abstracto du montant du retour de l’article 738-2 _____ 191 § 1. L’exposé des deux thèses en présence ________________________________ 192 A. La thèse du quart du bien _________________________________________ 192 B La thèse du quart de la succession ___________________________________ 194 § 2. Le choix d’une interprétation _______________________________________ 197 A. La mise en œuvre liquidative des deux thèses _________________________ 197 B. La formulation d’un choix ________________________________________ 207 Section 3. La détermination in concreto du montant du retour légal. _______________ 209 § 1. L’exercice du retour en présence d’une donation complexe ________________ 209 A. le cas de la donation-partage conjonctive ou cumulative _________________ 210 B. le cas de la donation avec charge ___________________________________ 213 C. le cas de la donation-partage avec soulte _____________________________ 215 § 2. Le problème de la valorisation ______________________________________ 218 A. l’estimation du bien objet du retour _________________________________ 218 B. La valorisation du droit de retour lui-même ___________________________ 220 1. La prise en compte des changements de valeur entre le décès et le partage _ 220 2. La prise en compte des changements de valeur imputables à l’activité du défunt ? _______________________________________________________ 224 a. Regard sur le droit antérieur ___________________________________ 224 b. Solution actuelle ____________________________________________ 225 Chapitre 2. Difficultés relatives à la nature du retour _____________________________ 230 Section 1. Une nature successorale inchangée ________________________________ 231 § 1. Manifestations et effets de la nature successorale du retour légal ___________ 231 A. Manifestations de la nature successorale du retour ______________________ 231 B. Principaux effets en résultant ______________________________________ 232 C. Intérêt de la qualification _________________________________________ 234 § 2. Confrontation aux nouveaux cas de retour _____________________________ 235 Section 2. Une nature modifiée : de la succession anomale à la succession ordinaire __ 237 § 1. Manifestations du caractère anomal du retour légal ______________________ 237 § 2. Confrontation aux nouveaux cas de retour _____________________________ 240 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 12 - A. L’article 757-3, une succession anomale ? ____________________________ 240 B. L’article 738-2, une succession anomale ? ____________________________ 245 Chapitre conclusif sur la tentation de déroger au retour légal ______________________ 248 Deuxième Partie : la dérogation au droit de retour légal ___________________ 251 Première sous-partie : l’éviction du retour légal ____________________________ 253 Titre I. L’éviction à l’initiative du gratifié défunt __________________________________ 254 Chapitre 1. Le droit de retour légal et l’ordre public successoral ____________________ 254 Section 1. Propos introductifs sur la délicate notion d’ordre public _______________ 255 § 1. L’obscurité d’une notion évolutive ___________________________________ 255 § 2. Les particularités de l’ordre public successoral _________________________ 257 Section 2. Le droit de retour historiquement étranger à l’ordre public _____________ 259 Section 3. Le retour légal, nouvelle composante de l’ordre public ? _______________ 263 § 1. L’article 757-3 et l’ordre public _____________________________________ 263 § 2. L’article 738-2 et l’ordre public _____________________________________ 265 A. Recherche d’une méthode de détermination de l’ordre public _____________ 265 B. Application de la méthode à l’article 738-2 ___________________________ 268 1. Les indices textuels ____________________________________________ 268 2. L’étude du contexte ____________________________________________ 269 3. Le point de vue logique _________________________________________ 271 Chapitre 2. Les moyens de l’éviction par le gratifié défunt ________________________ 273 Section 1. L’éviction du retour en nature ____________________________________ 275 § 1. L’utilisation des actes à titre gratuit __________________________________ 275 § 2. L’utilisation des actes à titre onéreux _________________________________ 279 A. Le recours au droit des sociétés ____________________________________ 279 1. Intérêts et limites de l’apport en société ____________________________ 279 2. Intérêts et limites des clauses de continuation de société _______________ 282 B. Le recours complémentaire à la clause de tontine _______________________ 284 Section 2. L’éviction du retour en valeur ____________________________________ 288 § 1. La communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au survivant : un moyen radical _______________________________________________________ 289 § 2. L’assurance-vie combinée à d’autres moyens : une efficacité relative ________ 291 A. L’assurance-vie face au droit des successions _________________________ 292 B. L’assurance-vie face au retour légal en valeur _________________________ 295 1. Un mécanisme relativement efficace _______________________________ 295 2. Un mécanisme peu critiquable ___________________________________ 296 Titre II. L’éviction à l’initiative du donateur _____________________________________ 299 Chapitre 1. La renonciation au droit de retour légal ______________________________ 299 Section 1. La prohibition des pactes sur succession future : les enseignements du passé 300 § 1. Les arguments des juges du fond ____________________________________ 301 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 15 - Introduction 1.- « Dans le fait, les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n’ont rien ; d’où il suit que l’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose et qu’aucun d’eux n’a rien de trop ».1 A travers cette citation de Rousseau, il est exprimé l’idée qu’il est nécessaire à la formation du contrat social, outre qu’il existe une législation sanctionnée par le pouvoir de contrainte de l’état, que la loi se développe dans un contexte de relative égalité économique. Autrement dit, pour qu’une législation soit appliquée, pour que l’on ne ressente pas trop l’irrépressible besoin d’y déroger ou de l’abroger, il est nécessaire que les citoyens y adhérent. Pour qu’ils y adhérent, il est impératif que la loi assure un minimum d’égalité économique et non un égalitarisme forcené. Même si la loi a parfois tendance à être utile aux possédants, ce qui était le cas du Code civil dont il a été dit qu’il était un code de propriétaires, il est bon qu’elle veille à ne pas engendrer trop d’inégalités. Il s’agit d’un équilibre législatif à trouver, équilibre nécessaire à la pérennité de la loi. S’agissant du droit de retour légal, comme du droit des successions en général, il ne fait aucun doute que la loi est plus utile à ceux qui possèdent qu’à ceux qui n’ont rien dans la mesure où son rôle en ces matières est d’organiser la transmission des biens au décès. Plus particulièrement, le droit de retour légal est le droit en vertu duquel une personne succède à des biens qui avaient été remis gratuitement au défunt décédé sans postérité. Par son fondement traditionnel de conservation des biens dans la famille, le retour légal n’est évidemment pas mû par le désir d’assurer à chacun quelque chose. Pour autant, il n’est pas question de contester ce fondement traditionnel qui conserve aujourd’hui encore une grande importance au regard de l’utilisation du retour conventionnel. Simplement, en étudiant les nouveaux cas de retour dont les objectifs premiers semblent être d’atténuer les effets des réformes 1 Rousseau, Du Contrat Social, livre I, chap. IX, note. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 16 - récentes, se posera la question de savoir si le retour légal est le meilleur moyen de réaliser cet exercice difficile d’équilibre législatif. Si tel n’est pas le cas, la loi prêtera le flanc à la critique, risquera de devenir lettre morte, encouragera la dérogation à ses dispositions et justifiera peut-être son abrogation. Une première approche du retour légal (section 1), l’analyse de l’intérêt pratique de l’institution (section 2) et l’étude du contexte des réformes récentes dont les deux nouveaux cas de retour sont issus (section 3) permettront de dessiner les grandes lignes qui guideront notre travail (section 4). Section 1. Première approche du retour légal 2.- Le droit de retour est celui en vertu duquel une chose échappe aux règles successorales ordinaires pour revenir à la personne de qui le de cujus la tenait, ou parfois aux descendants de cette personne. Lorsqu’on le qualifie de légal, il peut être défini comme une vocation héréditaire atypique encore nommée droit de succession anomale.2 3.- Cette définition appelle deux remarques liminaires. La première est une évidence. Le droit de retour légal trouve sa source dans la loi aux articles 368-1, 738- 2 et 757-3 du Code civil ce qui permet de le distinguer du droit de retour d’origine conventionnelle qui peut être stipulé librement par les parties à une donation, dont la validité est reconnue par l’article 951 du Code civil et dont le régime est organisé à l’article 952. Autre différence, le retour conventionnel n’est pas soumis aux conditions du retour légal. Par exemple, il est possible de prévoir le retour du bien au donateur en cas de prédécès du donataire seul, c'est-à-dire sans se préoccuper du point de savoir s’il a une descendance. Par ailleurs, le retour conventionnel produit l’effet d’une condition résolutoire ce qui en assure l’efficacité : le donateur est certain de retrouver le bien donné libre de toute charge. Les éventuelles aliénations consenties par le donataire seront-elles-même remises en cause. Ce n’est que l’application du droit commun de la condition résolutoire. 2 Définition tirée du Vocabulaire juridique publié sous la direction du Professeur Cornu, 6ème éd. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 17 - La seconde est que le droit de retour légal, contrairement au droit de retour conventionnel est un droit de succession. Plus particulièrement, il constitue un cas de succession anomale qui déroge au principe de l’unité de la succession selon lequel la loi ne considère ni l’origine ni la nature des biens pour en régler la dévolution. Ainsi la succession ne forme-t-elle pas une seule masse dévolue selon le principe de l’ordre et du degré. Le retour légal revient à isoler des biens présents au jour du décès ceux que le de cujus avait reçus à titre gratuit du bénéficiaire du droit de retour. De ce caractère successoral découlent plusieurs conséquences : par exemple, le bénéficiaire du retour doit être apte à succéder, il recueille les biens en respectant les charges éventuellement consenties par le donataire et il contribue au passif de succession. 4.- Un rapide panorama historique de l’institution permet de constater que trois cas de retour légal étaient prévus par le Code civil de 1804 : celui de l’ascendant donateur, celui des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel et celui de la famille adoptive dans la succession de l’adopté. Les deux premiers furent supprimés par la loi du 3 janvier 1972. Depuis lors, nous avions donc à faire à une institution en sommeil. Il fallut attendre la loi du 3 décembre 2001 pour que le droit de retour soit instauré au bénéfice des frères et sœurs qui, du fait de la réforme, se trouvaient primés par le conjoint dans la dévolution ab intestat. Puis la loi du 23 juin 2006 instaura à son tour un droit de retour au profit des père et mère qui venaient de perdre leur qualité d’héritier réservataire. Dans ces deux cas, on observe que l’instauration du droit de retour vient atténuer l’effet d’une réforme successorale ce qui est une justification assez originale. 5.- Dès 1804, il était déjà difficile d’expliquer cette exception au droit commun des successions, d’autant plus que le retour conventionnel était admis, lui- aussi. En réalité, deux raisons pouvaient expliquer l’existence du retour légal : la première était toute pragmatique. Il s’agissait d’instaurer un droit ab intestat aux effets moins rigoureux que le droit de réversion de droit romain de façon à assurer la sécurité juridique des tiers. La seconde raison se comprend aisément au regard des piliers autour desquels le Code Napoléon a été édifié : la famille et la propriété. Le droit de retour légal était un moyen de protection de la famille contre les libéralités, ces actes d’appauvrissement sans contrepartie regardés avec défiance par le législateur : que l’on donne à son fils, passe encore, mais que l’on donne à son fils PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 20 - D’abord, il ne faut pas exagérer la portée du retour conventionnel. En effet, il ne faut pas omettre de préciser que le retour conventionnel connaît certaines limites.10 Par exemple, il ne peut bénéficier qu’au donateur et à lui seul ce qui exclut qu’il puisse concurrencer le droit de retour légal de l’article 757-3. En outre et particulièrement dans le cadre de l’article 738-2, il convient de rappeler que le retour conventionnel rend le retour légal sans objet mais ne l’annihile pas complètement en ce sens que si le bénéficiaire du retour conventionnel y renonce, le retour légal demeure, comme un garde-fou. Ensuite, il faut rappeler qu’outre les conditions assez restrictives tenant au bénéficiaire du retour et à la situation de famille du défunt, le retour légal suppose d’autres conditions tenant aux biens : le bien objet du retour doit avoir été transmis au défunt à titre gratuit par ses ascendants et il doit, en principe, se retrouver en nature au décès. Ces deux conditions vont dans le sens d’une extension du champ d’application de l’institution au regard des statistiques. A ce sujet trois observations statistiques doivent être relevées. Premièrement, l’INSEE indiquait qu’en 2004, en France, parmi les ménages dont les enfants ont quitté le domicile familial, plus de un sur huit leur a fait une donation. Par ailleurs, toutes générations confondues, un individu sur cinq a reçu un héritage et cette proportion double pour les individus ayant perdu leurs deux parents.11 Voilà qui atteste de la vitalité des transmissions patrimoniales entre générations. Or, ces transmissions sont à la base du retour légal. Deuxièmement, il résulte du rapport parlementaire Huyghe n° 3122 qu’en 2000, une succession était composée en moyenne d’immeubles à concurrence de 44 %, de liquidités pour environ 28% et de valeurs mobilières pour 20%.12 Cette donnée concernant les successions est plutôt favorable à l’article 757-3 en ce que les successions contiennent donc souvent des biens susceptibles de se retrouver en nature au décès de celui à qui ils ont été transmis. Troisièmement, il résulte du même rapport que sur les 511.000 donations enregistrées en 2000, plus de la moitié étaient des dons manuels. Ce dernier constat est important. D’abord parce que les donations de sommes d’argent empruntent 10 Sur ces limites, V. infra. 11 « Transmission intergénérationnelle dans l’enquête patrimoine 2004 : donations, héritages et aides » INSEE Résultats, n ° 52, Société – juillet 2006. 12 Les chiffres retenus sont arrondis et forment une moyenne. Les valeurs varient en fonction de l’importance de la succession : les petites successions (moins de 26.526 euros) sont composées en grande majorité de liquidité (70%) alors que les successions plus importantes (de 53.052 à 99.396) sont composées en majorité d’immeubles (50%). PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 21 - souvent cette forme, ensuite parce que l’article 738-2 s’applique certainement aux dons manuels puisqu’il peut s’exercer en valeur à défaut de pouvoir s’exercer en nature, enfin parce qu’en matière de don manuel, le retour légal subit moins facilement la concurrence du retour conventionnel qui, en l’espèce, suppose la preuve de l’existence d’un pacte adjoint.13 Ajoutons que l’extension du domaine de l’article 757-3 aux biens reçus des ascendants ordinaires pour tenir compte de l’innovation que constitue la donation- partage transgénérationnelle est également un signe de la vigueur que le législateur entend donner à l’institution du retour légal. Enfin, et même si elles ne constituent pas l’essentiel des donations, il faut admettre que le retour légal s’applique aussi en cas de donation déguisée ou indirecte, deux cas dans lesquels il ne risque pas de souffrir de la concurrence du retour conventionnel.14 8.- Au total, il faut reconnaître que le retour légal est nécessairement appelé à s’appliquer de façon limitée en raison des circonstances personnelles qu’il présuppose. Mais il ne faut pas le considérer pour autant comme une institution vouée à l’inexistence puisqu’elle repose également sur les transmissions à titre gratuit dont on a vu qu’elles étaient importantes et encouragées dans un but d’anticipation successorale pour ce qui concerne particulièrement les mutations entre vifs. Par ailleurs, l’ombre que le retour conventionnel peut faire au retour légal ne doit pas être exagérée, pour importante qu’elle soit. L’inexistence n’est décidément pas le substantif qui convient le mieux à un droit que le législateur semble avoir voulu élever au rang de substitut de réserve, entendant s’appliquer « dans tous les cas » aux termes de l’article 738-2. A présent, pour mieux comprendre les textes qui nous retiennent, il paraît indispensable d’exposer le contexte des réformes récentes desquelles ils sont issus. 13 L’article 757-3 pourrait aussi s’appliquer aux dons manuels à condition d’admettre l’exercice du retour lorsque c’est une somme d’argent qui a été donnée et à condition de faire jouer la subrogation réelle. Cf. infra. 14 Toutefois dans ces cas là il faut que le bénéficiaire du retour puisse prouver l’existence de la donation indirecte ou déguisée et il faut qu’il y ait intérêt en considération du risque fiscal de requalification dont il devra supporter une partie. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 22 - Section 3. Le contexte des réformes récentes dont les deux nouveaux cas de retour légal sont issus A presque cinq ans d’intervalle, le contexte était nécessairement différent. En 2001, l’article 757-3 fut instauré par une loi dont l’objet était justifié en grande partie par la nécessaire réforme des droits du conjoint survivant (§1). En 2006, la loi ayant engendré l’article 738-2 avait un objet plus large : il s’agissait de réformer en profondeur le droit des successions et libéralités (§2). § 1. Le contexte de l’article 757-3 : la nécessaire réforme des droits du conjoint survivant La loi du 3 décembre 2001 constitue le point d’aboutissement de la promotion du conjoint survivant dans la dévolution légale. Cette dernière promotion fut telle que le législateur, tiraillé entre diverses aspirations, dut la contrebalancer par différentes mesures au rang desquelles se trouve le droit de retour de l’article 757-3. Le besoin de réformer les droits ab intestat du conjoint survivant n’était pas nouveau : la grande rigueur du Code Napoléon (A) a poussé le législateur, par touches successives, à promouvoir le conjoint survivant dans la dévolution légale (B) jusqu’à la réforme du 23 juin 2001 (C). A. La rigueur du Code Napoléon 9.- En effet, on se souvient qu’en 1804, le conjoint n’héritait qu’à défaut de parent au degré successible. Comme les parents pouvaient hériter jusqu’au douzième degré, le conjoint n’héritait presque jamais. Il était même exclu de la dévolution par un enfant naturel. Autre marque de sa faiblesse au plan successoral, le conjoint était qualifié de successeur irrégulier, c'est-à-dire n’ayant pas la saisine. Pour appréhender les biens successoraux, il fallait qu’il se soumette à la procédure de l’envoi en possession. Voilà le signe d’une certaine défiance à son égard : il fallait contrôler le titre de ce successeur de tout dernier rang, il fallait vérifier que personne d’autre ne puisse avoir vocation à hériter du défunt. Deux raisons expliquaient cette rigueur. La première était que la dévolution ab intestat dans le Code Napoléon reposait sur le devoir de famille. La succession était sensée assurer la cohésion familiale. Les PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 25 - légale du conjoint est d’un quart en usufruit ; en présence des parents du défunt, de l’un d’eux ou de ses frères et sœurs, le conjoint a droit à la moitié de la succession en usufruit. C’est dans ce dernier exemple, que le constat est le plus frappant. Les parents du défunt ou ses frères et sœurs ont vocation à recueillir toute la succession au décès du conjoint. Ce qui au début du XIXème apparaissait comme un progrès ressemblait à l’aube du XXIème a un système archaïque, source de conflit. 12.- Il est vrai que le système du démembrement de propriété, encore très imprégné des justifications successorales du Code Napoléon que sont le devoir de famille et la conservation des biens dans la famille, ne correspondait plus à la société actuelle. Comme le soulignent les travaux parlementaires de la loi de 2001, la part prépondérante prise dans les patrimoines par les biens acquis pendant le mariage rend moins prégnant le besoin de conservation des biens dans la famille.18 Par ailleurs, dans une société comme la nôtre où la consommation prime l’épargne et la conservation des biens, il est à noter le rôle important du conjoint afin d’assurer la vie de la famille. Pour cette collaboration économique, le conjoint survivant mérite une récompense qui peut se traduire par une augmentation de ses droits ab intestat.19 En outre et comme cela avait été précédemment invoqué à l’appui des réformes précédentes, la priorité donnée à la famille par le sang dans la dévolution légale n’est pas en phase avec la tendance actuelle au resserrement de la cellule familiale autour du couple et des enfants, ce que l’on appelle la famille ménage. 13.- D’autres arguments, nouveaux ceux-ci, ont été apportés au débat. Il était question de tenir compte du souci, devenu primordial, de la protection du conjoint survivant. Il était aussi question de tenir compte de la place que le conjoint occupait auprès du défunt et de justifier alors la dévolution par « une logique de l’affection et non plus par une logique du sang ».20 Ainsi le conjoint passerait avant les frères et sœurs dans l’affection présumée du défunt notamment en raison de l’éloignement 18 Cet argument avait été également invoqué lors des réformes précédentes. 19 C’est notamment un des arguments envisagé par Madame Ioanna Kondyli dans sa thèse précitée pour justifier l’accès du conjoint survivant au clan des réservataires. Elle écrit que « la participation du conjoint au partage de la réserve héréditaire peut également apparaître comme conséquence de son mérite personnel, à savoir comme récompense de sa collaboration à la constitution, à l’augmentation ou, même, au maintien du patrimoine de l’époux prédécédé ». n° 368 et 369. 20 Cf. Rapport N° 2910 par Monsieur A. Vidaliès, député. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 26 - géographique qui peut les séparer et de la multiplication des familles recomposées qui font que les collatéraux peuvent être moins proches les uns des autres car issus de parents différents. Par ailleurs, le système du démembrement peut être à l’origine de difficultés. Ces difficultés dont certaines sont propres au régime du démembrement pourront se ressentir de part et d’autre. Si l’usufruitier peut retirer les fruits des biens successoraux, ce n’est qu’à la condition que ces biens soient frugifères. Si les biens ne sont pas frugifères et s’il est en quête de revenus, il ne pourra vendre les biens en question sans l’accord du nu- propriétaire. Et si tant est que les biens soient source de revenus, c’est cette fois-ci le nu-propriétaire qui risque de voir le bien se déprécier du fait d’un usufruitier plus soucieux de consommer les fruits que de conserver la substance du bien. Cette situation est d’autant plus probable lorsque le conjoint se trouve en face d’enfants qui ne sont pas les siens ou en face des collatéraux du défunt. Ce d’autant plus que dans ces deux cas, il y a fort à parier que l’écart d’âge entre l’usufruitier et le nu-propriétaire soit faible de sorte que le nu-propriétaire subit le risque de ne jamais voir la pleine propriété se reconstituer sur sa tête. Certes, la pleine propriété se reconstituera-t-elle sur la tête de ses héritiers mais cela n’est sans doute pas de nature à apaiser les relations entre usufruitier et nu-propriétaire. Dans le même sens, comme le remarquent les travaux parlementaires, le démembrement oblige les héritiers à entretenir des relations pérennes après le décès quand bien même ils n’auraient eu avant aucune relation ou des relations difficiles. 14.- A rebours, certains jugeaient la promotion du conjoint comme inutile voir dangereuse. Inutile, car ils faisaient valoir qu’il ne s’agit là que de la dévolution légale à laquelle le défunt peut déroger en améliorant sensiblement la situation de son conjoint survivant. Pour cela il utilisera les outils mis à sa disposition par le droit des régimes matrimoniaux ou des libéralités. Ceci est vrai et la multiplication des changements de régime matrimonial pour celui de la communauté universelle avec attribution intégrale au dernier vivant et l’importance des donations entre époux ne leur donnent pas tort. On peut toutefois objecter que ces mécanismes, souvent utilisés à des fins fiscales, ne le sont pas par la majorité des couples mariés mais par les plus fortunés seulement. On relèvera aussi que la dévolution légale a beau être supplétive de PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 27 - volonté, encore faut-il que le défunt ait eu le temps de prendre ses dispositions. Tel ne sera pas le cas si le défunt est décédé jeune ou accidentellement. Enfin on peut retourner contre ceux qui l’invoquèrent l’argument de l’inutilité : le développement considérable des libéralités entres époux ne va-t-il pas dans le sens d’une augmentation de la vocation ab intestat du conjoint puisque généralement ces libéralités octroient au conjoint plus que sa vocation légale ? Certains arguèrent de la multiplication des divorces pour justifier de l’inutilité de la promotion du conjoint. Le divorce est le signe de la dissolubilité du lien de mariage et donc la preuve de la non-intégration du conjoint à la famille de son époux. En plus d’intégrer un nouveau membre qui ne le mérite pas à la famille lignage, stable et unie par des liens indissoluble de sang, on a reproché à la promotion du conjoint survivant de détourner l’institution du divorce en ce qu’elle inciterait le de cujus à divorcer pour priver son conjoint des nouveaux droits que la loi lui accorde. Mais l’argument n’est pas convaincant. D’une part, ce n’est pas parce que le défunt a divorcé et s’est remarié que le second conjoint mérite moins que le premier la protection de la loi au plan successoral. D’autre part, si le de cujus entend priver son conjoint de ses nouveaux droit ab intestat, libre à lui de l’exhéréder. Par ailleurs, s’il entend priver son conjoint du nouveau droit à réserve que la loi lui offre, nous savons qu’il existe des moyens de limiter la portée de la réserve, comme l’assurance-vie ou la tontine. D’autres encore, assez manichéens dans leur démarche, jugeaient cette promotion dangereuse et opposaient le bon conjoint qui avait partagé avec le défunt les bons comme les mauvais moments de la vie au mauvais conjoint, âpre au gain et « généralement plus jeune ».21 On tombe ici dans des arguments passionnels. S’agissant de ce mauvais conjoint, on peut espérer que le défunt ait pris des dispositions visant à limiter sa vocation successorale.22 A la limite le droit pénal peut venir sanctionner l’abus de faiblesse.23 21 G. Goubeaux ; Réforme des successions : l’inquiétant concours entre collatéraux privilégiés et conjoint survivant ( A propos de l’article 757-3 du Code civil). Pourquoi faire simple ? …Defrénois art. n° 37519. 22 En effet le conjoint bénéficiant d’un droit à réserve depuis 2001, le défunt ne peut plus l’exhéréder. 23 Sur ce point, Cass. Crim. 15 novembre 2005, n° 04-86.051, Simone B., ép. H. (pourvoi c/ C.A Paris, 12ème Ch. 13 sept. 2004) : Juris-Data n° 2005-031532 (abus de faiblesse retenu contre une personne qui a fait modifier en sa faveur des dispositions testamentaires établies au profit d’autres bénéficiaires.) ; Cass. Crim. 21 octobre 2008, n° 08-81.126, « Vu l’article 223-15-2 du code pénal ; Attendu qu’au sens, constitue un acte gravement préjudiciable pour une personne vulnérable, celui de disposer de ses biens par testament en faveur d’une personne l’ayant conduite à cette disposition ». V. aussi : C.A Versailles, 9 mars 2005, n° 04/ 00214 : (abus de faiblesse retenu contre la personne qui a obtenu du défunt la souscritpion d’un contrat d’assurance-vie à son profit.) PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 30 - 18.- Le premier objectif est la simplification. Il vise d’abord la gestion de la succession afin que : « le délai qui sépare le décès du partage ne soit plus une période d’insécurité juridique, source d’attentisme et de dépréciation du patrimoine. »28 C’est ainsi que les règles de l’indivision ont été assouplies pour permettre aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis d’effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis. C’est à ces mêmes conditions qu’un mandat général d’administration peut être donné à l’un des indivisaires ou à un tiers afin d’éviter les réunions conflictuelles récurrentes et l’immobilisme qui souvent en résulte. Le principe en la matière n’est plus l’unanimité. La simplification atteint aussi le règlement de la succession dans deux domaines notamment : l’option et le partage. Tout d’abord, l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire a été repensée pour être plus attractive. Dans le même temps, cette branche de l’option a été simplifiée comme en témoigne la possibilité ouverte à l’héritier, désormais propriétaire et en quelque sorte administrateur de la succession, de vendre amiablement les biens successoraux qu’il n’entend pas conserver.29 Cette simplification est importante lorsque l’on se souvient que jadis, l’héritier bénéficiaire ne pouvait vendre un immeuble successoral qu’aux enchères publiques et après avoir obtenu une autorisation judiciaire. Même la vente de meubles nécessitait le recours à la vente aux enchères publiques, source de frais supplémentaires.30 Ensuite, la simplification se manifeste aussi dans le droit du partage lorsqu’en présence d’incapables ou d’absents, le partage amiable ne nécessite plus une homologation judiciaire. Tenant compte du coût, de la lourdeur et du peu d’attention que les tribunaux accordaient à l’homologation, la loi y substitue une simple approbation. De même il est désormais possible d’éviter la procédure du partage judiciaire en présence d’un héritier taisant.31 19.- Le deuxième objectif qui n’est pas sans lien avec le précédent est l’accélération du règlement successoral. L’exemple le plus frappant est celui de la réforme de l’option qui, de ce point de vue, recèle deux innovations capitales : d’une 28 V. Exposé des motifs du projet de loi n° 2427 portant réforme des successions et libéralités présenté par M. Pascal Clément. 29 Art. 792 al. 2. 30 Art 806 ancien pour les immeubles et 805 ancien pour les meubles. 31 Art. 837 al.2. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 31 - part, si l’héritier ne peut être contraint à opter avant l’expiration d’un délai de quatre mois suivant le décès, il peut être sommé de prendre parti à l’issue de ce délai 32 et d’autre part, la faculté d’option se prescrit par dix ans à compter de l’ouverture de la succession là où, avant la réforme, elle se prescrivait par trente ans. Notons également que d’autres délais de prescription ont été raccourcis comme celui de l’action en réduction ou de l’action en complément de part qui se substitue à l’action en rescision pour lésion pour les partages postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. 20.- Le troisième grand objectif de la loi concerne davantage le droit des libéralités. Il s’agit de « donner plus de liberté pour organier sa succession ».33 L’exposé des motifs indique qu’il est désormais nécessaire de mieux respecter la volonté de celui qui souhaite transmettre son patrimoine, en particulier lorsque l’ensemble des héritiers s’accordent avec cette volonté. L’idée est en même temps d’accroître la liberté de disposer du défunt et de donner plus de place au consensus familial. Accroître la liberté de disposer à titre gratuit atteint nécessairement la réserve. C’est ainsi que celle des ascendants fut supprimée. Nous y reviendrons. Par ailleurs la possibilité d’une renonciation anticipée à l’action en réduction, l’apparition des libéralités graduelles et résiduelles au bénéfice de toute personne et non plus qu’en faveur des descendants et des collatéraux, ou encore l’élargissement considérable du domaine d’application des libéralités-partages à tous les héritiers présomptifs et même aux héritiers de générations différentes font la place belle aux pactes de famille. La libéralisation du droit des libéralités permet alors de relever tous les défis visés plus haut : la prise en compte de l’évolution démographique et des situations particulières comme la présence d’un enfant handicapé mais aussi la question de la transmission d’entreprise. 21.- Voilà rapidement évoqués les trois grands objectifs de la loi de 2006. Il en reste deux autres. Ils sont tous les deux essentiels. Le premier répond à un besoin particulier : assurer la continuité de l’entreprise. Le second irrigue à la fois le droit des successions et le droit des libéralités, il s’agit de sécuriser l’héritier tout autant que le gratifié. 32 Art. 771. 33 L’exposé des motifs le place d’ailleurs en première position. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 32 - 22.- La protection de l’entreprise d’abord. Il n’est pas question ici de transmission d’entreprise. La transmission sera facilitée par les outils que l’on a exposés juste avant au titre des nouvelles libéralités. L’idée ici est de faire en sorte que l’entreprise survive au défunt en l’absence de toute transmission organisée. Plusieurs dispositions révèlent cet objectif. Tout d’abord, pour ce qui concerne l’option successorale, la loi précise opportunément que les opérations courantes nécessaires à la continuation à court terme de l’activité de l’entreprise sont réputées être des actes d’administration provisoire qui peuvent être accomplis sans emporter acceptation de la succession. 34 Grâce à cette disposition « la gestion de l’entreprise ne sera pas suspendue du fait d’héritiers qui, soucieux de conserver leur option, resteraient inertes. »35 Ensuite, le maintien dans l’indivision possible jusque là pour les entreprises agricoles est étendu aux entreprises commerciales, artisanales ou libérales et même aux entreprises exploitées sous forme sociale. Par ailleurs, le maintien dans l’indivision, comme l’attribution préférentielle de telles entreprises, ne supposent plus que l’utilité en soit la survie ou la constitution d’une unité économique.36 Enfin, sans vouloir organiser la transmission de l’entreprise de son vivant, le chef d’entreprise peut vouloir confier la gestion de son entreprise et plus généralement de ses biens à un mandataire posthume, sous réserve que cela soit justifié dans l’acte à peine de nullité par un intérêt sérieux et légitime. Il est même prévu que la durée du mandat, en principe de deux ans prorogeables, peut être portée à cinq ans prorogeables lorsqu’il est question de gérer des biens professionnels.37 23.- Le dernier objectif moins apparent mais tout aussi important que les autres est la sécurité. La sécurité est en premier lieu celle de l’héritier ab intestat. Elle recoupe d’ailleurs d’autres objectifs de la loi. Elle se manifeste dans le cadre du passif, de l’option et également du partage. Quant au passif, la loi offre au juge la possibilité de décharger l’héritier acceptant purement et simplement la succession de 34 Art. 784 al. 4 35 M. Grimaldi, D. 2006, n°37, p. 2551 et s. « Présentation de la loi du 23 juin 2006 portant réforme du droit des successions et libéralité ». De même, la mise en œuvre de décisions d’administration ou de disposition engagées par le défunt et nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise pourra être engagée sans risque aux termes de l’article 784 al. 5 36 Art. 821 et 831. 37 Art. 812-1-1 al. 1 et 2 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 35 - A y regarder plus attentivement, on se rend compte qu’au-delà des innovations importantes et souhaitées46, la loi atteint principalement deux piliers du droit des successions : le principe de la succession à la personne et l’ordre public successoral. 26.- Notre système successoral s’oppose par principe au système anglo-saxon de la succession aux biens. On a coutume de l’exprimer par l’adage « le mort saisit le vif ». La formule implique d’une part, d’exercer dès le décès les droits dont le défunt était titulaire, c’est l’objet de la saisine et, d’autre part, de supporter les dettes du défunt, c’est le mécanisme de l’obligation ultra-vires qui impose à l’héritier acceptant de supporter sur son patrimoine les dettes du défunt par l’effet d’une fusion des patrimoines. Dans ces deux domaines, il est frappant de constater les effets de la loi de 2006. Si la saisine demeure, force est de constater qu’elle est en partie entravée par le mandat à effet posthume qui permet au défunt de priver ses héritiers de la gestion de tout ou partie de la succession.47 Au plan de l’obligation au passif, au-delà de la réforme substantielle de l’acceptation à concurrence de l’actif net destinée à la rendre plus attractive et donc plus sécurisante pour l’héritier, sans revenir sur la faculté offerte au juge de décharger un héritier acceptant pur et simple d’une dette inconnue dont il a été question plus haut, il convient de relever une autre innovation. Tout de suite après avoir réaffirmé le principe de l’obligation ultra vires, la loi ajoute que l’hériter n’est tenu des legs de sommes d’argent qu’à concurrence de l’actif net, là où avant il en répondait sur son patrimoine. Là encore, la protection de l’héritier prend le dessus parce qu’il a sans doute été jugé choquant que l’on puisse faire des libéralités sur le patrimoine de ses héritiers. Dans les deux cas envisagés on peut souligner l’impact des enjeux de la loi : la protection de l’entreprise en permettant à l’exploitant d’organiser la gestion pérenne de celle-ci après son décès d’une part48 et la recherche du dynamisme économique passant par la faveur accordée aux générations les plus jeunes d’autre part. 46 On pense notamment aux libéralités graduelles et résiduelles ainsi qu’aux évolutions favorables à la donation-partage, souhaitées par le notariat et une grande partie de la doctrine. 47 Toutefois, la validité même de ce mandat est subordonnée à la justification dans l’acte d’un intérêt légitime et sérieux précisément motivé au regard de la personne de l’héritier ou de la consistance du patrimoine. Par ailleurs la question de savoir si ce genre de mandat dessaisit l’héritier est discutée et se trouve sans doute relativisée par le fait que l’héritier conserve toujours la possibilité de mettre fin au mandat en vendant les biens aux termes de l’article 812-4, 5°. Ce dernier point a été confirmé récemment par la Cour de cassation : Cass. 1ère civ. 12 mai 2010, n° 09-10.556, Bull, I, n° 117. 48 C’est en effet en grande partie pour le chef d’entreprise que ce mandat à effet posthume a été pensé. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 36 - 27.- Le deuxième pilier auquel la loi s’attaque est celui de l’ordre public successoral et elle l’attaque sur tous les fronts mais sans le supprimer pour autant ce qui tendrait à prouver que l’ordre public conserve en notre matière successorale une utilité. Le vent du libéralisme et de l’innovation qui a soufflé sur le droit des libéralités atteint d’abord le vieux principe de la prohibition des substitutions en dehors de la ligne directe et de la ligne collatérale. Si la volonté du défunt y gagne, l’institution, telle qu’elle est réglementée, souffre la même critique que précédemment à savoir créer des situations de mainmorte.49 De ce point de vue, la libéralité résiduelle est sans doute plus raisonnable. Là encore l’innovation a été justifiée notamment par la protection des enfants handicapés. Le second coup a été porté à la prohibition des pactes sur succession future par la création des libéralités-partages transgénérationelles qui impliquent que les héritiers de rang intermédiaire consentent à ce que leurs enfants soient allotis à leur place dans le partage anticipé. Mais encore, l’apparition de la renonciation anticipée à l’action en réduction est une autre dérogation flagrante à cette prohibition.50 Ici aussi on voit poindre la volonté de favoriser les pactes de famille et avec eux les générations les plus jeunes ou les personnes les plus vulnérables. Le dernier assaut a été donné contre la réserve héréditaire. Le signe le plus marquant de cette offensive a été la perte de la qualité de réservataire par les ascendants. Par ailleurs, la réserve a été « fongibilisée » sauf à ce que le gratifié choisisse d’exécuter la réduction en nature par exemple parce qu’il n’a pas les moyens de payer l’indemnité de réduction. Ce faisant, la réserve perd un de ses fondements traditionnels : la conservation des biens dans la famille. Un auteur a fait remarquer qu’elle devenait alors plus difficile à défendre dans son principe car dit-il : « Le combat pour conserver un bien où la famille s’enracine a une autre allure que la réclamation d’un chèque. »51 Par ailleurs, on peut également relever que si le mandat à effet posthume porte atteinte à la saisine, il porte aussi atteinte au droit de l’héritier réservataire de recueillir sa réserve libre de charge. 49 D’ailleurs, « l’offre de loi » de Messieurs Carbonnier, Catala et de Saint-Affrique avait prévu dans ce cas une obligation de conservation en valeur. 50 Il s’agit d’ailleurs plus d’une dérogation à la prohibition des pactes sur succession future que d’une atteinte portée à la réserve elle-même. La renonciation ne porte en effet que sur l’action en réduction. Toutefois, elle peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve. 51 Cf. M. Grimaldi, Dalloz 2006, n°37, p. 2551 et s, art. Précité. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 37 - 28.- Au final, on pourrait regretter avec le Professeur Catala que des brèches aient été ouvertes dans notre bel ordre successoral. Cependant on pourrait aussi prendre la défense de la loi qui essaye de tenir compte de la complexité des situations particulières en écornant quelque peu les institutions traditionnelles. On pourrait aussi constater avec le Professeur Grimaldi le déclin des solidarités familiales et la montée en puissance de l’individualisme qu’impliquent les atteintes portées à la réserve et à l’obligation au passif. Mais alors on ne peut s’empêcher de penser que la loi est le reflet de la société. Toutefois, il faut admettre que dans la société comme dans la loi la solidarité demeure, différente. Le changement réside en ce que, dans la loi, la solidarité d’aujourd’hui semble être, paradoxalement, une solidarité à sens unique dont le but est de favoriser les jeunes générations. Section 4. Problématique et annonce de plan 29.- Au regard de l’intérêt pratique du retour légal qui a été rappelé, dans le contexte de libéralisation et de contractualisation du droit des libéralités et des successions que l’on connaît, une question paraît incontournable : face aux nouveaux cas de retour légal dont les régimes juridiques, on le verra, diffèrent sensiblement par rapport aux schémas traditionnels, dans quelle mesure est-il possible d’y déroger ? 30.- La réponse à la question que l’on vient de poser suppose d’examiner le régime légal du retour avant d’envisager la dérogation au droit de retour légal. L’étude du régime légal des articles 757-3 et 738-2 du Code civil (Première partie) permettra de mettre en évidence les aspirations parfois contradictoires des textes ainsi que les difficultés qu’ils impliquent tant au plan théorique de leurs fondements, qu’au plan pratique de leurs mises en œuvre. Après avoir déterminé s’il est souhaitable de déroger au droit de retour légal, il s’agira de savoir s’il est possible juridiquement de déroger aux deux textes en question et, dans l’affirmative, de savoir comment il est possible d’y déroger. La question de la dérogation au droit de retour légal sera donc posée plus particulièrement dans un second temps (Seconde partie). PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 40 - Chapitre 1. Le déclin d’une institution ancienne Voyons comment cette institution ancienne maintenue en 1804 (Section 1), solidement ancrée dans notre droit, est devenue une institution marginalisée à compter de 1972 (Section 2). Section 1. Une institution ancienne maintenue en 1804 Comme souvent, l’institution trouve sa source dans le droit romain et l’ancien droit (§1). Elle a ensuite subi les foudres du droit intermédiaire (§2) avant de renaître sous la forme de trois cas de retour légal dans le Code civil (§3). § 1. Le droit romain et l’ancien droit 33.- Le droit romain permit dans un premier temps au pater familias qui avait constitué sa fille en dot, dot dite « profectice », d’obtenir la restitution de celle-ci en cas de prédécès de sa fille au cours de son mariage. Cette restitution était exprimée par la formule : « Dos a patre profecta ad patrem revertitur. » La dot « profectice » devait selon les textes retourner dans la famille d’où elle était provenue. Cet usage fut par la suite étendu aux ascendants paternels constituant en dot leur petite fille. Puis il profita au père ou à l’ascendant paternel qui a fourni au fils de famille une dot anténuptiale. Toutefois il semble que le droit de retour ainsi entendu ne fut pas reconnu à la mère et aux ascendants maternels. Le droit de retour ou de réversion de l’époque romaine n’était pas un droit de succession. Ainsi, était-il possible de l’exercer tout en renonçant à la succession. Mais encore, lorsque le bien rentrait par ce moyen dans le patrimoine du donateur, il y rentrait libre de toutes charges éventuellement consenties par le bénéficiaire de la donation, comme s’il n’en était jamais sorti. Le retour opérait rétroactivement. 34.- L’ancien droit sera, comme chacun sait, imprégné de droit romain dans les pays de droit écrit correspondant grosso modo au sud de la France. On retrouve en effet dans ces pays un droit de retour semblable au droit de réversion du droit romain. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 41 - On considérait alors les donations comme frappées d’une condition résolutoire les anéantissant rétroactivement en cas de prédécès du donataire. Cette condition pouvait être expressément prévue par les parties à la donation ou résulter de la loi qui, dans le silence des parties, organisait le retour du bien donné libre de toute charge. Dans ce dernier cas, on observe que le droit de retour institué par la loi produisait les effets d’un mécanisme conventionnel : la condition résolutoire. Aussi, en comparant les effets du droit de retour légal de cette époque et les effets de la condition résolutoire, on s’aperçoit qu’ils sont identiques : la condition résolutoire, lorsqu’elle est réalisée, emporte anéantissement rétroactif d’un contrat valablement formé. Les parties sont remises dans l’état qui était le leur avant la conclusion du contrat, lequel est censé n’avoir jamais existé. Ainsi les droits et charges qui ont pu être consentis par le donataire sont eux-mêmes anéantis, ce qui explique pourquoi le bien rentre alors libre dans le patrimoine du donateur. Dans les pays de droit écrit, la loi considérait ce droit de retour comme une condition résolutoire tacite c'est-à-dire sous-entendue dans toutes les donations en l’absence de manifestation de volonté des parties. Le fondement du retour semblait donc être la volonté présumée du donateur. La nature conventionnelle du droit de retour, avec les conséquences rigoureuses qui s’en suivent, avait évidemment pour conséquence qu’elle amputait le droit de disposer du donataire. Dans ces conditions, les tiers n’étaient pas enclins à contracter avec le donataire puisqu’ils savaient leurs droits menacés par la réalisation de la condition. Au-delà de l’atteinte au droit de disposer, on peut également considérer que c’était le crédit du donataire qui s’en trouvait diminué. Notamment, le bien objet du retour échappait au droit de gage des créanciers du défunt puisqu’il ne faisait pas partie de sa succession et réintégrait le patrimoine du donateur aussitôt après le décès. Cela alors même que le droit de propriété du donataire résultait d’une donation irrévocable, ayant un caractère perpétuel. En conséquence, les auteurs déniaient aux descendants le droit d’aliéner le bien donné mais faisaient tout de même des distinctions entre les aliénations volontaires prohibées et les aliénations nécessaires permises. Par exemple, un même bien donné PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 42 - ne pouvait être hypothéqué par le donataire mais pouvait valablement être atteint par l’hypothèque de la femme mariée.54 Il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur cette question de la limitation des droits du bénéficiaire d’une disposition consentie sous condition résolutoire car elle se retrouve aujourd’hui encore pour tout type d’obligation sous condition résolutoire. Cela explique sans doute la faible utilisation de telles conditions en pratique sauf en notre matière.55 Enfin, sur ce point, certains auteurs au rang desquels on peut compter Pothier voyaient dans le droit de retour des pays de droit écrit une interprétation maladroite des textes du droit romain.56 En effet, à l’époque classique du moins, le droit de réversion romain s’appliquait aux biens dotaux soumis à un régime particulier de protection qui les rendait inaliénables. Le droit de retour appliqué à de tels biens n’était donc pas une contrainte pour le donataire puisque de toute façon il ne pouvait pas disposer librement de ces biens. Alors que le droit de retour de l’ancien droit dans les pays de droit écrit frappait d’une certaine inaliénabilité de fait des biens qui ne l’étaient pas en principe. 35.- Dans les pays de coutume la nature du retour était toute différente et son origine plus incertaine. On en trouve trace chez Beaumanoir à la suite d’un arrêt de la Curia Regis57 de 1268.58 Mais ce n’est qu’en 1580 que la Nouvelle Coutume de PARIS, que l’on a pu considérer comme reflétant le droit commun coutumier, consacra de façon certaine en son article 313 un droit de retour qui était selon ce texte un véritable droit de succession. L’article en question disposait : « Toutefois, les ascendants succèdent aux choses par eux données à leurs descendants décédés sans enfant ni descendant d’eux ». L’emploi du verbe « succéder » ne faisait pas de doute sur le caractère successoral de ce droit de retour. Pour justifier cette nature successorale, on peut 54 F. Soleil, « De l’exercice du droit de retour légal quand les biens donnés ne se retrouvent plus en nature dans la succession. » Thèse pour le doctorat, édition Domat Montchrestien, 1931. 55 Cf. infra pour ce qui est de l’application courante du droit de retour conventionnel aujourd’hui, en dépit de ses effets rigoureux. 56 Pothier, « Traité des donations », éditions Bugnet, t. VIII, p. 81 et 419. 57 Jusqu'à la fin du XIIIème siècle, la Curia Régis ou Cour du Roi est une assemblée rassemblant les vassaux du Roi qui le conseillent en matière politique, judiciaire et financière. 58 Beaumanoir, Ch. XIV. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 45 - A. Le droit de retour légal de l’ascendant donateur 37.- Il est ici question du cas de retour légal qui était amené à fonctionner le plus en pratique pour la raison que la situation qu’il vise - donation à un descendant - est courante et parce que les autres cas ne concernaient que des situations particulières. Ajoutons qu’aujourd’hui encore, le droit de retour de l’ascendant donateur est susceptible de s’appliquer. En effet, le troisième alinéa de l’article 14 de la loi du 3 janvier 1972 qui a supprimé ce cas de retour prévoit que les donations consenties avant son entrée en vigueur restent soumises au droit de retour de l’article 747 ancien du Code civil. Cet article disposait que : « Les ascendants succèdent, à l’exclusion de tous autres, aux choses par eux données à leurs enfants ou descendants décédés sans postérité, lorsque les objets donnés se retrouvent en nature dans la succession.» D’une part, il résulte de cette disposition que le droit de retour de l’ascendant donateur, comme les autres droits de retour légaux, a une nature successorale. Il est bien question de « succéder » à certains biens. D’autre part, il est intéressant de noter que l’institution ne repose que sur un seul texte, l’article 747 ancien, lequel renferme et les conditions de mise en œuvre et les effets du droit de retour légal. Les effets sont ceux d’une succession anomale. Il conviendra de les exposer plus loin.61 S’agissant de l’article 747 ancien, la question de ses conditions d’application sera abordée à présent. La question de savoir s’il était possible de déroger à ce droit sera abordée dans la seconde partie de ce travail. Classiquement, il convient de distinguer les conditions tenant aux personnes (1) de celles tenant aux biens objet du droit de retour (2). 1. Conditions tenant aux personnes Envisageons dans un premier temps les conditions relatives au défunt avant d’exposer celles relatives aux bénéficiaires. 61 V. infra, p. 239 et s. sur la question de savoir si les nouveaux cas de retour constituent de vraies successions anomales. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 46 - 38.- Pour sa mise en œuvre, le droit de retour légal de l’ascendant donateur supposait que le défunt décède sans postérité. La présence d’un descendant faisait obstacle au droit de retour sauf si ce descendant se trouvait exclu de la succession par l’effet de l’indignité ou de la renonciation. Dans ces cas tout se passait comme s’il n’y avait pas de descendant 39.- Il faut ajouter que l’absence de postérité s’apprécie au décès du de cujus. Peu importe donc que le descendant du défunt décède à son tour sans postérité en laissant pour lui succéder le bénéficiaire du droit de retour. Le droit est définitivement perdu s’il existe un descendant au décès du de cujus. L’hypothèse est celle du grand-père survivant à son fils et à son petit-fils décédé sans postérité. Le droit de retour du grand-père est perdu dès le décès de son fils. C’est là une différence par rapport au retour conventionnel qui peut prévoir sa mise en œuvre en cas de prédécès du donataire et de ses descendants assurant ainsi davantage la conservation des biens dans la famille. 40.- Après avoir posé la condition d’absence de postérité et après avoir précisé l’époque à laquelle cette condition s’apprécie, encore faut-il s’entendre sur la notion de postérité. La question de savoir s’il faut inclure l’enfant adoptif, l’enfant naturel, ou pire l’enfant adultérin dans la notion de postérité faisant obstacle au droit de retour de l’ascendant donateur a fait débat. 62 Le débat était celui de savoir si l’on devait reconnaître les mêmes effets successoraux à la filiation légitime et à la filiation adoptive ou naturelle. En ce qui concerne la filiation adoptive, le débat fut doctrinal. Certains enseignaient que l’enfant adopté simple ne faisait pas obstacle au droit de retour de l’article 747 du Code civil.63 D’autres exprimaient l’opinion inverse.64 Aujourd’hui et depuis la loi du 11 juillet 1966 la solution est donnée par l’article 368, devenu 367, 62 Ces termes sont aujourd’hui inexacts mais définissent clairement les situations qu’ils visent. Par ailleurs, le débat n’a plus qu’une utilité historique étant donné qu’aujourd’hui, selon l’article 733 du Code civil, la loi ne distingue pas selon les modes d’établissement de la filiation pour déterminer les parents appelés à succéder. 63 Baudry Lacantinerie et Wahl, t. 1, numéro 710, soutenus en cela par la jurisprudence notamment : Req. 14 février 1855 : DP 1855, 1, 225 et req. 20 oct. 1903 : D. 1903, 1, 576. 64 Ripert et Boulanger , Traité de droit civil d’après le traité de Planiol, t. 4, 1959, n° 1783 ; Colin et Capitant, Cours élémentaire de droit civil français t. 3, 10ème éd., 1950, n° 990. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 47 - du Code civil qui indique qu’au plan civil65 l’adopté simple a les mêmes droits successoraux que tout enfant. En ce qui concerne la filiation naturelle, un arrêt de la Chambre Civile de la Cour de cassation du 9 août 1854 se trouve à l’origine du débat en affirmant qu’il fallait interpréter les mots « sans postérité » comme signifiant sans postérité légitime.66 Pour l’enfant naturel simple, cette solution est dénuée de toute portée depuis la loi du 3 janvier 1972 assimilant les enfants légitimes et les enfants naturels simples au plan successoral. Il va donc de soi que l’enfant naturel fait obstacle au droit de retour de l’ascendant donateur. Pour l’enfant adultérin, si l’on peut encore l’appeler ainsi pour plus de clarté, il semble que la question ne se soit jamais posée. Avant 1972, il est certain que l’on pouvait opposer à cet enfant sa qualité d’enfant naturel et qui plus est adultérin en application de la jurisprudence de 1854, de sorte qu’il ne faisait pas obstacle au droit de retour. Mais après 1972, la jurisprudence en question étant devenue caduque compte tenu de l’égalité des filiations légitimes et naturelles, il semble logique de soutenir que l’enfant adultérin faisait obstacle au droit de retour légal de l’article 747 du Code civil : c’est bien un descendant. D’ailleurs, dans la succession ordinaire, si l’enfant adultérin pâtissait de sa condition en présence des enfants légitimes et du conjoint bafoué par l’adultère aux termes des anciens articles 759 et 760 du Code civil, sa vocation successorale n’était pas affectée lorsqu’il était en présence d’un ascendant. 41.- Le bénéficiaire quant à lui est clairement défini par le texte : il s’agit de l’ascendant et plus précisément de tout ascendant qu’il soit privilégié ou ordinaire. Ne sont pas uniquement visés les père et mère comme dans l’actuel article 738-2. Encore faut-il que cet ascendant ait fait une donation au profit du de cujus. Logiquement, le droit de retour exclut que son bénéficiaire ait disposé au profit du défunt au moyen d’une libéralité à cause de mort et cela pour deux raisons : d’une part le bénéficiaire du droit de retour doit survivre au défunt pour l’exercer, et d’autre part, l’ascendant donateur est le seul bénéficiaire de ce droit à la différence de ce qui 65 Au plan fiscal en effet, l’enfant adopté simple est considéré comme un étranger sauf s’il s’agit de l’enfant du conjoint. 66 Cass. civ. 9 août 1854 : D. 1854, 1, 265. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 50 - également l’interprétation stricte des exceptions légales qui admettaient que le retour puisse porter sur autre chose que sur le bien lui-même. Selon la première hypothèse visée par le texte, le bénéficiaire du droit de retour pouvait exercer son droit sur le prix qui peut encore être dû. En réalité, l’objet du retour dans ce cas est la créance de prix lorsque celui-ci n’a pas été encaissé. Ainsi en est-il lorsque, par exemple, le défunt décède avant le terme stipulé au contrat pour le paiement du prix. La deuxième hypothèse est celle de l’action en reprise que pouvait exercer le donataire prédécédé. Pour illustrer ces actions en reprise on peut citer l’action résolutoire de l’article 1184 du Code civil, l’action en nullité, l’action en rescision pour lésion, l’action en révocation des donations ou les reprises matrimoniales. Dans ces cas, le but est de faire réintégrer au patrimoine du défunt le bien en question pour que le droit de retour puisse être exercé. A ce sujet, notons que certains auteurs69 justifiaient le retour de la créance de prix par le fait qu’elle s’accompagne de l’action résolutoire de l’article 1184 du Code civil. L’argument était que si le prix est encore dû, c’est qu’il y a eu défaut de paiement. L’aliénation n’est pas parfaite et le vendeur dispose de l’action résolutoire qui tend à faire revenir le bien aliéné en nature dans le patrimoine de l’aliénateur défunt. Le droit de retour sur la créance de prix existerait parce que l’action résolutoire la conforte. La conséquence de cette démonstration un peu spécieuse était que des deux exceptions il n’y en avait plus qu’une seule et que cette exception n’en était pas vraiment une puisque son effet était de retrouver le bien en nature. Cette démarche ne convainc pas. En effet, le retour portant sur la créance de prix ne peut se résumer au seul cas du défaut de paiement du débiteur, notamment en cas de paiement à terme. Le même exemple prouve, ce que nous savions déjà, que le prix peut être encore dû alors que la vente est parfaite. Ajoutons que l’action en reprise, action réelle, peut, dans le cas de reprise matrimoniale notamment, déboucher sur une reprise en équivalent. Telle sera le cas de la créance de récompense. Il faut en conclure que le second alinéa vise deux hypothèses différentes qui constituent bien deux exceptions au principe du retour en nature. La loi permet donc expressément, 69 Baudry-Lacantinerie, Précis de Droit Civil t. 3 p.333 ; Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. XIII p.527 ; Demantes et Colmet de Santerre, Code civil, t. 3 n° 56 ; Planiol et Ripert, Traité pratique de Droit Civil français t. IV n° 162 et s. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 51 - dans certains cas, à l’ascendant donateur d’exercer son droit de retour sur un équivalent. 44.- Certains ont alors pu penser, confortés par une jurisprudence favorable aux bénéficiaires du retour, qu’il ne fallait pas s’en tenir à la lettre du texte et voir dans le second alinéa de l’article 747 l’application d’un principe plus général. C’est la deuxième thèse, celle dite de la théorie de la subrogation. Cette thèse se recommande d’une certaine bienveillance à l’égard des ascendants donateurs. Les auteurs favorables à celle-ci faisaient valoir, non sans raison, que le retour en nature limite fortement les possibilités de retour puisque d’un côté il ne rend pas le bien inaliénable alors que d’un autre côté une aliénation l’anéantit. D’autres auteurs ont mis en exergue ce caractère bienveillant. Ainsi, Mourlon écrivait-il : « Si nous ne voulons point nous résigner aux plus injustes conséquences, il faut nous garder de cet asservissement aveugle qui tue la pensée de la loi sous sa lettre judaïquement appliquée. Nous le devons d’autant plus que le droit que l’article 747 consacre est si plein d’équité qu’on ne saurait le contester sans inhumanité. »70 L’idée sous-jacente est celle de justice. Il ne serait pas juste que l’ascendant donateur ne puisse pas exercer son droit de retour alors que le bien donné n’existe plus en nature mais qu’il a été remplacé par d’autres biens. Toutefois et de première part, il convient de ne pas oublier l’argument porté au soutien de la théorie restrictive selon lequel le retour en nature serait source de paix juridique en ce qu’il éviterait de prouver l’origine indirecte d’un bien et éviterait les procès. Mais de seconde part, il ne faudrait pas que le souhait de limiter les litiges se fasse au détriment de la paix des familles. C’est pourquoi certains auteurs, au rang desquels figurent Aubry et Rau, ont trouvé souhaitable d’admettre le jeu de la subrogation réelle pour l’application de l’article 747 du Code civil.71 C’est admettre que le principe du retour en nature est renversé ou, à tout le moins, égalé par un autre principe : le retour en équivalent en application de la subrogation réelle. Mais ces deux auteurs, conscients du risque d’une extension sans limite du retour, ont cantonné 70 V. Mourlon, Répétition écrite sur le Code civil, t. II, n° 116 et s. 71 Aubry et Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariae, 5ème éd., t. IX, p. 508, § 608. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 52 - la subrogation au premier degré c'est-à-dire grosso modo à l’échange en matière immobilière et à l’emploi en matière de deniers. Ils excluaient le remploi. Peut être aurait-on pu admettre la subrogation au deuxième degré ou le remploi moyennant une déclaration d’origine de deniers dans l’acte d’acquisition du bien subrogé, un peu comme l’on fait une déclaration de remploi en matière de régimes matrimoniaux. Si cela est évidemment très concevable pour les immeubles, la question est plus délicate pour les meubles. En matière mobilière, il est surtout question de donations de deniers et de valeurs mobilières. Si les deniers donnés ont été employés, la subrogation au premier degré s’applique. Si, en revanche, les deniers donnés n’ont pas été employés ou investis, la jurisprudence a admis que le retour s’exerçait, à due concurrence, sur les deniers existants dans la succession.72 Dans ce cas, il n’est pas nécessaire de prouver que les deniers existants sont ceux là mêmes qui avaient été donnés. Une telle recherche serait d’ailleurs vaine en raison de la fongibilité de l’argent. Certaines juridictions du fond semblent avoir été favorables à la subrogation en matière de retour, acceptant ainsi que le bénéficiaire du retour puisse exercer son droit sur toute sorte de biens substitués dans le patrimoine du défunt au bien qu’il avait donné, faisant par là une application de la subrogation plus large que celle d’Aubry et Rau. Par exemple, la Cour d’appel de Lyon a admis que le retour puisse porter sur le bien acquis en remploi du prix d’aliénation du bien initialement donné.73 Certains auteurs favorables à cette jurisprudence ont essayé de la systématiser en y voyant une application de la théorie générale de la subrogation réelle, plus exactement de la subrogation universelle. Il y a subrogation universelle lorsque, dans une universalité de fait constituée de biens ayant la même origine et étant soumis au même régime, un bien nouveau prend la place d’un bien ancien. Ce qui compte alors c’est la valeur du bien. Comme le disait Demogue, « la subrogation universelle est celle qui se produit soit pour maintenir la valeur d’un patrimoine d’affectation soit pour sauvegarder le droit de celui dont le patrimoine est placé momentanément entre les mains d’un autre ». Ce faisant, il essayait de systématiser le mécanisme de la 72 Trib.Civ. Lyon 22 janvier 1895, Pandectes française 1896, 2, 225 ; M. Grimaldi Droit Civil Successions 6ème éditions n° 257. 73 Lyon 24 août 1871 : S. 1872, 2, 121. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 55 - Précisons tout d’abord qu’avant cette date, le principe cardinal du droit de la famille était la hiérarchie des filiations, principe selon lequel la filiation légitime conférait plus de droits que la filiation naturelle. Ce principe recevait notamment application en matière successorale. D’une part, l’enfant naturel non adultérin, ne venait à la succession que de ses père et mère à l’exclusion de tout autre ascendant et y avait des droits inférieurs à ceux d’un enfant légitime. D’autre part, ne pouvaient hériter de lui en l’absence de descendant que ses père et mère et ou ses frères et sœurs naturels. Ainsi, les frères et sœurs légitimes étaient, au plan successoral, totalement étrangers vis-à-vis de leur frère naturel. Ils ne pouvaient hériter de lui tout comme lui ne pouvait venir à leur succession. Cette solution n’était pas dénuée de toute logique puisque avant 1972 l’enfant naturel restait en dehors de la seule famille ayant foi aux yeux de la loi : la famille légitime. 47.- On comprend mieux alors le sens de l’article 766 ancien. Il constituait un tempérament, une contrepartie à l’exclusion des frères et sœurs légitimes de la succession ordinaire de l’enfant naturel. Il permettait aux frères et sœurs légitimes de prétendre, sans aucun concours avec les frères et sœurs naturels du défunt, aux biens que ce dernier avait reçus de ses père et mère à titre gratuit, que ce soit au moyen d’une disposition entre vifs ou à cause de mort. Il est à noter que les mêmes conditions d’exercice du retour se retrouvaient ici : absence de descendance, existence en nature dans la succession de biens reçus à titre gratuit de l’auteur commun. Comme à propos de l’article 747 ancien, remarquons au sujet de cette dernière condition que le même tempérament existait s’agissant de l’exercice possible du retour sur les actions en reprise et sur le prix du bien aliéné restant dû. Dernière condition, les père et mère de l’enfant naturel devaient être prédécédés. A défaut, c’était eux qui recueillaient la succession. L’article 766 ancien instaurait donc véritablement un droit de retour légal fondé sur la conservation des biens dans la famille, plus précisément sur la conservation des biens dans la famille légitime. En cela, ce texte faisait partie de l’arsenal juridique déployé pour protéger la famille perçue comme supérieure. En effet, en l’absence d’un tel droit, et dans l’hypothèse visée par le texte, tous les biens du défunt auraient été dévolus aux frères et sœurs naturels. Le risque n’était donc pas PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 56 - tant que les biens sortent de la famille, il était davantage que les biens échappent à la famille légitime. La conservation dans la famille était entendue ici très strictement. Deux fondements pouvaient justifier ce cas de retour au profit des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel : le premier, plus apparent, était la contrepartie de leur exclusion de la succession ordinaire ; le second, plus profond, était la conservation des biens dans la famille légitime et donc la protection de cette dernière. 48.- Ainsi, se trouve achevée la rapide présentation de ce deuxième cas de retour légal tel qu’il existait dans le Code Napoléon. Nous ne nous attarderons pas ici sur le troisième cas de retour qui figurait aux articles 358 et 359 du Code Napoléon. La raison en est que ce troisième cas de retour figure aujourd’hui encore, sous réserve de quelques modifications, dans le Code civil à l’article 368-1. Il s’agit du droit de retour des familles adoptives et par le sang dans la succession de l’enfant adopté simple, cas de retour qui, dans le Code Napoléon, ne concernait que les familles adoptives avant d’être étendu à la famille par le sang.77 Si ce cas ne fait pas ici l’objet de développements plus importants, c’est que sa destinée ne fut pas la même que celle des deux autres précédemment évoqués. Ceux-ci furent supprimés par la loi du 3 janvier 1972, alors que celui-là fut maintenu. Dès lors, il est temps de s’intéresser aux raisons qui ont rendu marginale cette institution ancienne du droit de retour légal. Section 2. Une institution marginalisée Des trois cas de retour légal prévus en 1804, deux ont disparu en 1972 (§1) alors que le troisième a été maintenu (§2). § 1. La disparition de deux cas de retour Il convient d’envisager, d’abord la disparition du droit de retour des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel (A) avant celle du droit de retour de l’ascendant donateur (B). 77 En vertu d’une loi du 11 juillet 1966. T h ès e d e D o ct o ra t / d éc em b re 2 0 1 2 Université Panthéon-Assas Thèse de doctorat en droit soutenue le lundi 17 décembre 2012 Les droits de retour légaux des articles 738-2 et 757-3 du Code civil Guillaume PARIS Sous la direction de Monsieur le Professeur Michel Grimaldi Membres du jury : Monsieur le Professeur Michel GRIMALDI, directeur de thèse Monsieur le Professeur Marc NICOD, rapporteur Monsieur le Professeur Bernard VAREILLE, rapporteur Monsieur le Professeur Yves LEQUETTE Maître Jean-François SAGAUT PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 2 - Avertissement La Faculté n’entend donner aucune approbation ni improbation aux opinions émises dans cette thèse ; ces opinions doivent être considérées comme propres à leur auteur. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 5 - Abstract: The statutory reversion right is the right under which a person inherits assets which were returned free of charge to the deceased who died leaving no descendants. It is an old institution which primary basis is, traditionally, the preservation of assets in the family. Established in Roman law, applied in old French law, statutory reversion was inserted in extremis in the Napoleonic code (the French civil code) next to the conventional reversion right which can be stipulated by the two parties within the framework of a transfer contract inter vivos. Out of the three cases provided in 1804, two were removed by the law of January 3, 1972. But it was not until December 3, 2001 that was established, in article 757-3 of the Civil Code, a new statutory reversion right in favour of the brothers and sisters, who, as a consequence of the reform, were superseded by the spouse in the transfer under intestate succession. Then the law of June 23, 2006 established, in turn, in article 738-2 of the Civil Code, a statutory reversion right in favour of the father and mother who had just lost their qualification of rightful heirs. In both cases, we can notice that the establishment of the statutory reversion right constitutes a counterpart, on one hand according to the exclusion for transfer by the spouse, on the other hand, the loss of the benefit of reservation: a particular role for the statutory reversion right. If the bases of the new texts are not easily highlighted, their innovative schemes also raise numerous difficulties of application and interpretation. Formerly, statutory reversion established transmission of property by inheritance according to its origin from which a duality in terms of inheritance resulted. Nowadays, statutory reversion only establishes transmission of property by inheritance of a portion of goods, taking into account its origin, and this raises some doubt as to whether it shall constitute, in all cases, an anomalous succession implying duality in terms of inheritance. This results in uncertainties which lead to wonder if it is possible to derogate from the statutory reversion and how this could be done. Beyond variation by agreement, the modification and even the repeal of texts must be considered. Keywords: statutory reversion right, article 757-3 of the Civil Code, article 738-2 of the Civil Code. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 6 - Principales abréviations Alinéa : al. Article : art. Assemblée nationale : AN Avril : avr. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambre criminelle) : Bull. crim. Bulletin des arrêts de la Cour de cassation (Chambre civil) : Bull. civ. Bulletin officiel des impôts : BOI Chapitre : chap. Chronique : chron. Circulaire : Circ. Code des assurances : C. assur. Code civil : C. civ. Code de commerce : C. com. Code général des impôts : CGI Code pénal : C. pén. Conclusion : concl. Confer : cf. Conseil d’Etat : CE Contre : c/ Cour d’appel : CA Cour de cassation : Cass. Dalloz périodique : DP Dalloz (Recueil) : D. Décembre : déc. Doctrine : doctr. Droit de la famille : Dr. Famille Droit fiscal : Dr. fiscal Droit et patrimoine : Dr. et patr. Edition : éd. Fascicule : fasc. Février : févr. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 7 - Gazette du palais : Gaz. Pal. Grands arrêts – Jurisprudence civile : GAJ civ. Ibidem : ibid. Infra : infra Instruction : instr. Janvier : janv. Juillet : juill. Juris-Classeur (Encyclopédie) : J.-Cl. Juris-Classeur Périodique Edition générale : JCP G Juris-Classeur Périodique Edition notariale et immobilière : JCP N Jurisprudence : jurispr. Loi : L. Loi de finances et Loi de finances rectificative : L. fin. et L. fin. rect. Novembre : nov. Numéro : n° Octobre : oct. Page : p. Petites affiches (les) : LPA Rapport : rapp. Recueil Sirey : S. Répertoire du notariat Defrénois : Defrénois Réponse ministérielle : rép. min. Revue fiscale notariale : RFN Revue trimestrielle de droit civil : RTD civ. Septembre : sept. Sommaire : somm. Suivant : s. Supra : supra. Tome : t. Tribunal civil : T. civ. Tribunal de grande instance : TGI Voir : V. Volume : vol. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 10 - § 2. Conditions tenant à la personne du bénéficiaire _________________________ 122 Section 2. Difficultés relatives au bénéficiaire du retour ________________________ 123 § 1. Interrogations relatives à l’article 738-2 : les limites du domaine d’application quant aux bénéficiaires ________________________________________________ 123 A. La question de la prise en compte des ascendants privilégiés sans distinction _ 124 1. Une réponse théorique affirmative ________________________________ 124 2. La mise en œuvre de l’article 738-2 dans la succession de l’adopté simple _ 126 B. la question de la prise en compte des ascendants ordinaires _______________ 127 1. L’hypothèse de la restauration du droit de retour de l’ascendant donateur __ 128 2. L’hypothèse de la simple adjonction des ascendants ordinaires au dispositif existant _______________________________________________________ 130 C. la question de la prise en compte des collatéraux privilégiés ______________ 130 § 2. Difficulté propre à l’article 757-3 : la discrimination entre collatéraux privilégiés __________________________________________________________________ 131 § 3. Difficulté commune à l’article 757-3 et 738-2 : le concours de droits de retour 133 A. Le concours résolu entre les articles 757-3 et 368-1 _____________________ 133 1. la résolution du concours _______________________________________ 134 2. La mise en œuvre de la solution __________________________________ 136 B. Le concours à résoudre dans le cas de l’article 738-2 ____________________ 137 Section 3. Difficultés soulevées en présence du conjoint survivant ________________ 140 § 1. Difficulté commune aux deux textes : l’opposition entre la réserve du conjoint et le droit de retour _______________________________________________________ 140 A. La difficulté soulevée par le Professeur Goubeaux______________________ 141 B. la contestation de la difficulté dans le cadre de l’article 757-3 ____________ 142 C. la constatation de la difficulté dans le cadre de l’article 738-2_____________ 146 § 2. Difficulté propre à l’article 738-2 : l’exercice du droit de retour en présence du conjoint survivant ____________________________________________________ 151 A. Les arguments contre ____________________________________________ 152 B. Les arguments pour ______________________________________________ 153 Chapitre 2. Difficultés concernant les conditions relatives aux biens ________________ 155 Section 1. Difficultés et limites du retour en nature ____________________________ 156 § 1. La conception de l’exigence du retour en nature ________________________ 157 A. L’exigence d’une stricte identité____________________________________ 157 B. L’exigence d’un retour en nature par opposition au retour par équivalent ____ 160 § 2. La question de l’admission de la subrogation réelle dans les nouveaux cas de retour __________________________________________________________________ 162 A. notion et domaine de la subrogation réelle ____________________________ 163 B. La subrogation réelle mise à l’épreuve des nouveaux cas de retour _________ 165 1. La mise à l’épreuve de l’article 757-3 ______________________________ 165 2. La mise à l’épreuve de l’article 738-2 ______________________________ 170 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 11 - § 3. L’exercice du retour légal sur des biens fongibles _______________________ 173 A. l’exercice du retour légal sur des deniers _____________________________ 173 B. L’exercice du retour sur des valeurs mobilières ________________________ 175 Section 2. L’exercice du droit de retour légal sur un bien objet du droit viager au logement du conjoint survivant ___________________________________________________ 180 § 1. La primauté du droit viager dans le cadre de l’article 757-3 _______________ 182 § 2. La conciliation des deux droits dans l’hypothèse de l’article 738-2 __________ 185 Titre II. Les difficultés relatives aux effets du retour légal ___________________________ 186 Chapitre 1. Difficultés concernant le montant du retour ___________________________ 187 Section 1. L’indivision et le spectre de la licitation ____________________________ 188 Section 2. La détermination in abstracto du montant du retour de l’article 738-2 _____ 191 § 1. L’exposé des deux thèses en présence ________________________________ 192 A. La thèse du quart du bien _________________________________________ 192 B La thèse du quart de la succession ___________________________________ 194 § 2. Le choix d’une interprétation _______________________________________ 197 A. La mise en œuvre liquidative des deux thèses _________________________ 197 B. La formulation d’un choix ________________________________________ 207 Section 3. La détermination in concreto du montant du retour légal. _______________ 209 § 1. L’exercice du retour en présence d’une donation complexe ________________ 209 A. le cas de la donation-partage conjonctive ou cumulative _________________ 210 B. le cas de la donation avec charge ___________________________________ 213 C. le cas de la donation-partage avec soulte _____________________________ 215 § 2. Le problème de la valorisation ______________________________________ 218 A. l’estimation du bien objet du retour _________________________________ 218 B. La valorisation du droit de retour lui-même ___________________________ 220 1. La prise en compte des changements de valeur entre le décès et le partage _ 220 2. La prise en compte des changements de valeur imputables à l’activité du défunt ? _______________________________________________________ 224 a. Regard sur le droit antérieur ___________________________________ 224 b. Solution actuelle ____________________________________________ 225 Chapitre 2. Difficultés relatives à la nature du retour _____________________________ 230 Section 1. Une nature successorale inchangée ________________________________ 231 § 1. Manifestations et effets de la nature successorale du retour légal ___________ 231 A. Manifestations de la nature successorale du retour ______________________ 231 B. Principaux effets en résultant ______________________________________ 232 C. Intérêt de la qualification _________________________________________ 234 § 2. Confrontation aux nouveaux cas de retour _____________________________ 235 Section 2. Une nature modifiée : de la succession anomale à la succession ordinaire __ 237 § 1. Manifestations du caractère anomal du retour légal ______________________ 237 § 2. Confrontation aux nouveaux cas de retour _____________________________ 240 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 12 - A. L’article 757-3, une succession anomale ? ____________________________ 240 B. L’article 738-2, une succession anomale ? ____________________________ 245 Chapitre conclusif sur la tentation de déroger au retour légal ______________________ 248 Deuxième Partie : la dérogation au droit de retour légal ___________________ 251 Première sous-partie : l’éviction du retour légal ____________________________ 253 Titre I. L’éviction à l’initiative du gratifié défunt __________________________________ 254 Chapitre 1. Le droit de retour légal et l’ordre public successoral ____________________ 254 Section 1. Propos introductifs sur la délicate notion d’ordre public _______________ 255 § 1. L’obscurité d’une notion évolutive ___________________________________ 255 § 2. Les particularités de l’ordre public successoral _________________________ 257 Section 2. Le droit de retour historiquement étranger à l’ordre public _____________ 259 Section 3. Le retour légal, nouvelle composante de l’ordre public ? _______________ 263 § 1. L’article 757-3 et l’ordre public _____________________________________ 263 § 2. L’article 738-2 et l’ordre public _____________________________________ 265 A. Recherche d’une méthode de détermination de l’ordre public _____________ 265 B. Application de la méthode à l’article 738-2 ___________________________ 268 1. Les indices textuels ____________________________________________ 268 2. L’étude du contexte ____________________________________________ 269 3. Le point de vue logique _________________________________________ 271 Chapitre 2. Les moyens de l’éviction par le gratifié défunt ________________________ 273 Section 1. L’éviction du retour en nature ____________________________________ 275 § 1. L’utilisation des actes à titre gratuit __________________________________ 275 § 2. L’utilisation des actes à titre onéreux _________________________________ 279 A. Le recours au droit des sociétés ____________________________________ 279 1. Intérêts et limites de l’apport en société ____________________________ 279 2. Intérêts et limites des clauses de continuation de société _______________ 282 B. Le recours complémentaire à la clause de tontine _______________________ 284 Section 2. L’éviction du retour en valeur ____________________________________ 288 § 1. La communauté universelle avec clause d’attribution intégrale au survivant : un moyen radical _______________________________________________________ 289 § 2. L’assurance-vie combinée à d’autres moyens : une efficacité relative ________ 291 A. L’assurance-vie face au droit des successions _________________________ 292 B. L’assurance-vie face au retour légal en valeur _________________________ 295 1. Un mécanisme relativement efficace _______________________________ 295 2. Un mécanisme peu critiquable ___________________________________ 296 Titre II. L’éviction à l’initiative du donateur _____________________________________ 299 Chapitre 1. La renonciation au droit de retour légal ______________________________ 299 Section 1. La prohibition des pactes sur succession future : les enseignements du passé 300 § 1. Les arguments des juges du fond ____________________________________ 301 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 15 - Introduction 1.- « Dans le fait, les lois sont toujours utiles à ceux qui possèdent et nuisibles à ceux qui n’ont rien ; d’où il suit que l’état social n’est avantageux aux hommes qu’autant qu’ils ont tous quelque chose et qu’aucun d’eux n’a rien de trop ».1 A travers cette citation de Rousseau, il est exprimé l’idée qu’il est nécessaire à la formation du contrat social, outre qu’il existe une législation sanctionnée par le pouvoir de contrainte de l’état, que la loi se développe dans un contexte de relative égalité économique. Autrement dit, pour qu’une législation soit appliquée, pour que l’on ne ressente pas trop l’irrépressible besoin d’y déroger ou de l’abroger, il est nécessaire que les citoyens y adhérent. Pour qu’ils y adhérent, il est impératif que la loi assure un minimum d’égalité économique et non un égalitarisme forcené. Même si la loi a parfois tendance à être utile aux possédants, ce qui était le cas du Code civil dont il a été dit qu’il était un code de propriétaires, il est bon qu’elle veille à ne pas engendrer trop d’inégalités. Il s’agit d’un équilibre législatif à trouver, équilibre nécessaire à la pérennité de la loi. S’agissant du droit de retour légal, comme du droit des successions en général, il ne fait aucun doute que la loi est plus utile à ceux qui possèdent qu’à ceux qui n’ont rien dans la mesure où son rôle en ces matières est d’organiser la transmission des biens au décès. Plus particulièrement, le droit de retour légal est le droit en vertu duquel une personne succède à des biens qui avaient été remis gratuitement au défunt décédé sans postérité. Par son fondement traditionnel de conservation des biens dans la famille, le retour légal n’est évidemment pas mû par le désir d’assurer à chacun quelque chose. Pour autant, il n’est pas question de contester ce fondement traditionnel qui conserve aujourd’hui encore une grande importance au regard de l’utilisation du retour conventionnel. Simplement, en étudiant les nouveaux cas de retour dont les objectifs premiers semblent être d’atténuer les effets des réformes 1 Rousseau, Du Contrat Social, livre I, chap. IX, note. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 16 - récentes, se posera la question de savoir si le retour légal est le meilleur moyen de réaliser cet exercice difficile d’équilibre législatif. Si tel n’est pas le cas, la loi prêtera le flanc à la critique, risquera de devenir lettre morte, encouragera la dérogation à ses dispositions et justifiera peut-être son abrogation. Une première approche du retour légal (section 1), l’analyse de l’intérêt pratique de l’institution (section 2) et l’étude du contexte des réformes récentes dont les deux nouveaux cas de retour sont issus (section 3) permettront de dessiner les grandes lignes qui guideront notre travail (section 4). Section 1. Première approche du retour légal 2.- Le droit de retour est celui en vertu duquel une chose échappe aux règles successorales ordinaires pour revenir à la personne de qui le de cujus la tenait, ou parfois aux descendants de cette personne. Lorsqu’on le qualifie de légal, il peut être défini comme une vocation héréditaire atypique encore nommée droit de succession anomale.2 3.- Cette définition appelle deux remarques liminaires. La première est une évidence. Le droit de retour légal trouve sa source dans la loi aux articles 368-1, 738- 2 et 757-3 du Code civil ce qui permet de le distinguer du droit de retour d’origine conventionnelle qui peut être stipulé librement par les parties à une donation, dont la validité est reconnue par l’article 951 du Code civil et dont le régime est organisé à l’article 952. Autre différence, le retour conventionnel n’est pas soumis aux conditions du retour légal. Par exemple, il est possible de prévoir le retour du bien au donateur en cas de prédécès du donataire seul, c'est-à-dire sans se préoccuper du point de savoir s’il a une descendance. Par ailleurs, le retour conventionnel produit l’effet d’une condition résolutoire ce qui en assure l’efficacité : le donateur est certain de retrouver le bien donné libre de toute charge. Les éventuelles aliénations consenties par le donataire seront-elles-même remises en cause. Ce n’est que l’application du droit commun de la condition résolutoire. 2 Définition tirée du Vocabulaire juridique publié sous la direction du Professeur Cornu, 6ème éd. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 17 - La seconde est que le droit de retour légal, contrairement au droit de retour conventionnel est un droit de succession. Plus particulièrement, il constitue un cas de succession anomale qui déroge au principe de l’unité de la succession selon lequel la loi ne considère ni l’origine ni la nature des biens pour en régler la dévolution. Ainsi la succession ne forme-t-elle pas une seule masse dévolue selon le principe de l’ordre et du degré. Le retour légal revient à isoler des biens présents au jour du décès ceux que le de cujus avait reçus à titre gratuit du bénéficiaire du droit de retour. De ce caractère successoral découlent plusieurs conséquences : par exemple, le bénéficiaire du retour doit être apte à succéder, il recueille les biens en respectant les charges éventuellement consenties par le donataire et il contribue au passif de succession. 4.- Un rapide panorama historique de l’institution permet de constater que trois cas de retour légal étaient prévus par le Code civil de 1804 : celui de l’ascendant donateur, celui des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel et celui de la famille adoptive dans la succession de l’adopté. Les deux premiers furent supprimés par la loi du 3 janvier 1972. Depuis lors, nous avions donc à faire à une institution en sommeil. Il fallut attendre la loi du 3 décembre 2001 pour que le droit de retour soit instauré au bénéfice des frères et sœurs qui, du fait de la réforme, se trouvaient primés par le conjoint dans la dévolution ab intestat. Puis la loi du 23 juin 2006 instaura à son tour un droit de retour au profit des père et mère qui venaient de perdre leur qualité d’héritier réservataire. Dans ces deux cas, on observe que l’instauration du droit de retour vient atténuer l’effet d’une réforme successorale ce qui est une justification assez originale. 5.- Dès 1804, il était déjà difficile d’expliquer cette exception au droit commun des successions, d’autant plus que le retour conventionnel était admis, lui- aussi. En réalité, deux raisons pouvaient expliquer l’existence du retour légal : la première était toute pragmatique. Il s’agissait d’instaurer un droit ab intestat aux effets moins rigoureux que le droit de réversion de droit romain de façon à assurer la sécurité juridique des tiers. La seconde raison se comprend aisément au regard des piliers autour desquels le Code Napoléon a été édifié : la famille et la propriété. Le droit de retour légal était un moyen de protection de la famille contre les libéralités, ces actes d’appauvrissement sans contrepartie regardés avec défiance par le législateur : que l’on donne à son fils, passe encore, mais que l’on donne à son fils PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 20 - D’abord, il ne faut pas exagérer la portée du retour conventionnel. En effet, il ne faut pas omettre de préciser que le retour conventionnel connaît certaines limites.10 Par exemple, il ne peut bénéficier qu’au donateur et à lui seul ce qui exclut qu’il puisse concurrencer le droit de retour légal de l’article 757-3. En outre et particulièrement dans le cadre de l’article 738-2, il convient de rappeler que le retour conventionnel rend le retour légal sans objet mais ne l’annihile pas complètement en ce sens que si le bénéficiaire du retour conventionnel y renonce, le retour légal demeure, comme un garde-fou. Ensuite, il faut rappeler qu’outre les conditions assez restrictives tenant au bénéficiaire du retour et à la situation de famille du défunt, le retour légal suppose d’autres conditions tenant aux biens : le bien objet du retour doit avoir été transmis au défunt à titre gratuit par ses ascendants et il doit, en principe, se retrouver en nature au décès. Ces deux conditions vont dans le sens d’une extension du champ d’application de l’institution au regard des statistiques. A ce sujet trois observations statistiques doivent être relevées. Premièrement, l’INSEE indiquait qu’en 2004, en France, parmi les ménages dont les enfants ont quitté le domicile familial, plus de un sur huit leur a fait une donation. Par ailleurs, toutes générations confondues, un individu sur cinq a reçu un héritage et cette proportion double pour les individus ayant perdu leurs deux parents.11 Voilà qui atteste de la vitalité des transmissions patrimoniales entre générations. Or, ces transmissions sont à la base du retour légal. Deuxièmement, il résulte du rapport parlementaire Huyghe n° 3122 qu’en 2000, une succession était composée en moyenne d’immeubles à concurrence de 44 %, de liquidités pour environ 28% et de valeurs mobilières pour 20%.12 Cette donnée concernant les successions est plutôt favorable à l’article 757-3 en ce que les successions contiennent donc souvent des biens susceptibles de se retrouver en nature au décès de celui à qui ils ont été transmis. Troisièmement, il résulte du même rapport que sur les 511.000 donations enregistrées en 2000, plus de la moitié étaient des dons manuels. Ce dernier constat est important. D’abord parce que les donations de sommes d’argent empruntent 10 Sur ces limites, V. infra. 11 « Transmission intergénérationnelle dans l’enquête patrimoine 2004 : donations, héritages et aides » INSEE Résultats, n ° 52, Société – juillet 2006. 12 Les chiffres retenus sont arrondis et forment une moyenne. Les valeurs varient en fonction de l’importance de la succession : les petites successions (moins de 26.526 euros) sont composées en grande majorité de liquidité (70%) alors que les successions plus importantes (de 53.052 à 99.396) sont composées en majorité d’immeubles (50%). PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 21 - souvent cette forme, ensuite parce que l’article 738-2 s’applique certainement aux dons manuels puisqu’il peut s’exercer en valeur à défaut de pouvoir s’exercer en nature, enfin parce qu’en matière de don manuel, le retour légal subit moins facilement la concurrence du retour conventionnel qui, en l’espèce, suppose la preuve de l’existence d’un pacte adjoint.13 Ajoutons que l’extension du domaine de l’article 757-3 aux biens reçus des ascendants ordinaires pour tenir compte de l’innovation que constitue la donation- partage transgénérationnelle est également un signe de la vigueur que le législateur entend donner à l’institution du retour légal. Enfin, et même si elles ne constituent pas l’essentiel des donations, il faut admettre que le retour légal s’applique aussi en cas de donation déguisée ou indirecte, deux cas dans lesquels il ne risque pas de souffrir de la concurrence du retour conventionnel.14 8.- Au total, il faut reconnaître que le retour légal est nécessairement appelé à s’appliquer de façon limitée en raison des circonstances personnelles qu’il présuppose. Mais il ne faut pas le considérer pour autant comme une institution vouée à l’inexistence puisqu’elle repose également sur les transmissions à titre gratuit dont on a vu qu’elles étaient importantes et encouragées dans un but d’anticipation successorale pour ce qui concerne particulièrement les mutations entre vifs. Par ailleurs, l’ombre que le retour conventionnel peut faire au retour légal ne doit pas être exagérée, pour importante qu’elle soit. L’inexistence n’est décidément pas le substantif qui convient le mieux à un droit que le législateur semble avoir voulu élever au rang de substitut de réserve, entendant s’appliquer « dans tous les cas » aux termes de l’article 738-2. A présent, pour mieux comprendre les textes qui nous retiennent, il paraît indispensable d’exposer le contexte des réformes récentes desquelles ils sont issus. 13 L’article 757-3 pourrait aussi s’appliquer aux dons manuels à condition d’admettre l’exercice du retour lorsque c’est une somme d’argent qui a été donnée et à condition de faire jouer la subrogation réelle. Cf. infra. 14 Toutefois dans ces cas là il faut que le bénéficiaire du retour puisse prouver l’existence de la donation indirecte ou déguisée et il faut qu’il y ait intérêt en considération du risque fiscal de requalification dont il devra supporter une partie. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 22 - Section 3. Le contexte des réformes récentes dont les deux nouveaux cas de retour légal sont issus A presque cinq ans d’intervalle, le contexte était nécessairement différent. En 2001, l’article 757-3 fut instauré par une loi dont l’objet était justifié en grande partie par la nécessaire réforme des droits du conjoint survivant (§1). En 2006, la loi ayant engendré l’article 738-2 avait un objet plus large : il s’agissait de réformer en profondeur le droit des successions et libéralités (§2). § 1. Le contexte de l’article 757-3 : la nécessaire réforme des droits du conjoint survivant La loi du 3 décembre 2001 constitue le point d’aboutissement de la promotion du conjoint survivant dans la dévolution légale. Cette dernière promotion fut telle que le législateur, tiraillé entre diverses aspirations, dut la contrebalancer par différentes mesures au rang desquelles se trouve le droit de retour de l’article 757-3. Le besoin de réformer les droits ab intestat du conjoint survivant n’était pas nouveau : la grande rigueur du Code Napoléon (A) a poussé le législateur, par touches successives, à promouvoir le conjoint survivant dans la dévolution légale (B) jusqu’à la réforme du 23 juin 2001 (C). A. La rigueur du Code Napoléon 9.- En effet, on se souvient qu’en 1804, le conjoint n’héritait qu’à défaut de parent au degré successible. Comme les parents pouvaient hériter jusqu’au douzième degré, le conjoint n’héritait presque jamais. Il était même exclu de la dévolution par un enfant naturel. Autre marque de sa faiblesse au plan successoral, le conjoint était qualifié de successeur irrégulier, c'est-à-dire n’ayant pas la saisine. Pour appréhender les biens successoraux, il fallait qu’il se soumette à la procédure de l’envoi en possession. Voilà le signe d’une certaine défiance à son égard : il fallait contrôler le titre de ce successeur de tout dernier rang, il fallait vérifier que personne d’autre ne puisse avoir vocation à hériter du défunt. Deux raisons expliquaient cette rigueur. La première était que la dévolution ab intestat dans le Code Napoléon reposait sur le devoir de famille. La succession était sensée assurer la cohésion familiale. Les PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 25 - légale du conjoint est d’un quart en usufruit ; en présence des parents du défunt, de l’un d’eux ou de ses frères et sœurs, le conjoint a droit à la moitié de la succession en usufruit. C’est dans ce dernier exemple, que le constat est le plus frappant. Les parents du défunt ou ses frères et sœurs ont vocation à recueillir toute la succession au décès du conjoint. Ce qui au début du XIXème apparaissait comme un progrès ressemblait à l’aube du XXIème a un système archaïque, source de conflit. 12.- Il est vrai que le système du démembrement de propriété, encore très imprégné des justifications successorales du Code Napoléon que sont le devoir de famille et la conservation des biens dans la famille, ne correspondait plus à la société actuelle. Comme le soulignent les travaux parlementaires de la loi de 2001, la part prépondérante prise dans les patrimoines par les biens acquis pendant le mariage rend moins prégnant le besoin de conservation des biens dans la famille.18 Par ailleurs, dans une société comme la nôtre où la consommation prime l’épargne et la conservation des biens, il est à noter le rôle important du conjoint afin d’assurer la vie de la famille. Pour cette collaboration économique, le conjoint survivant mérite une récompense qui peut se traduire par une augmentation de ses droits ab intestat.19 En outre et comme cela avait été précédemment invoqué à l’appui des réformes précédentes, la priorité donnée à la famille par le sang dans la dévolution légale n’est pas en phase avec la tendance actuelle au resserrement de la cellule familiale autour du couple et des enfants, ce que l’on appelle la famille ménage. 13.- D’autres arguments, nouveaux ceux-ci, ont été apportés au débat. Il était question de tenir compte du souci, devenu primordial, de la protection du conjoint survivant. Il était aussi question de tenir compte de la place que le conjoint occupait auprès du défunt et de justifier alors la dévolution par « une logique de l’affection et non plus par une logique du sang ».20 Ainsi le conjoint passerait avant les frères et sœurs dans l’affection présumée du défunt notamment en raison de l’éloignement 18 Cet argument avait été également invoqué lors des réformes précédentes. 19 C’est notamment un des arguments envisagé par Madame Ioanna Kondyli dans sa thèse précitée pour justifier l’accès du conjoint survivant au clan des réservataires. Elle écrit que « la participation du conjoint au partage de la réserve héréditaire peut également apparaître comme conséquence de son mérite personnel, à savoir comme récompense de sa collaboration à la constitution, à l’augmentation ou, même, au maintien du patrimoine de l’époux prédécédé ». n° 368 et 369. 20 Cf. Rapport N° 2910 par Monsieur A. Vidaliès, député. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 26 - géographique qui peut les séparer et de la multiplication des familles recomposées qui font que les collatéraux peuvent être moins proches les uns des autres car issus de parents différents. Par ailleurs, le système du démembrement peut être à l’origine de difficultés. Ces difficultés dont certaines sont propres au régime du démembrement pourront se ressentir de part et d’autre. Si l’usufruitier peut retirer les fruits des biens successoraux, ce n’est qu’à la condition que ces biens soient frugifères. Si les biens ne sont pas frugifères et s’il est en quête de revenus, il ne pourra vendre les biens en question sans l’accord du nu- propriétaire. Et si tant est que les biens soient source de revenus, c’est cette fois-ci le nu-propriétaire qui risque de voir le bien se déprécier du fait d’un usufruitier plus soucieux de consommer les fruits que de conserver la substance du bien. Cette situation est d’autant plus probable lorsque le conjoint se trouve en face d’enfants qui ne sont pas les siens ou en face des collatéraux du défunt. Ce d’autant plus que dans ces deux cas, il y a fort à parier que l’écart d’âge entre l’usufruitier et le nu-propriétaire soit faible de sorte que le nu-propriétaire subit le risque de ne jamais voir la pleine propriété se reconstituer sur sa tête. Certes, la pleine propriété se reconstituera-t-elle sur la tête de ses héritiers mais cela n’est sans doute pas de nature à apaiser les relations entre usufruitier et nu-propriétaire. Dans le même sens, comme le remarquent les travaux parlementaires, le démembrement oblige les héritiers à entretenir des relations pérennes après le décès quand bien même ils n’auraient eu avant aucune relation ou des relations difficiles. 14.- A rebours, certains jugeaient la promotion du conjoint comme inutile voir dangereuse. Inutile, car ils faisaient valoir qu’il ne s’agit là que de la dévolution légale à laquelle le défunt peut déroger en améliorant sensiblement la situation de son conjoint survivant. Pour cela il utilisera les outils mis à sa disposition par le droit des régimes matrimoniaux ou des libéralités. Ceci est vrai et la multiplication des changements de régime matrimonial pour celui de la communauté universelle avec attribution intégrale au dernier vivant et l’importance des donations entre époux ne leur donnent pas tort. On peut toutefois objecter que ces mécanismes, souvent utilisés à des fins fiscales, ne le sont pas par la majorité des couples mariés mais par les plus fortunés seulement. On relèvera aussi que la dévolution légale a beau être supplétive de PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 27 - volonté, encore faut-il que le défunt ait eu le temps de prendre ses dispositions. Tel ne sera pas le cas si le défunt est décédé jeune ou accidentellement. Enfin on peut retourner contre ceux qui l’invoquèrent l’argument de l’inutilité : le développement considérable des libéralités entres époux ne va-t-il pas dans le sens d’une augmentation de la vocation ab intestat du conjoint puisque généralement ces libéralités octroient au conjoint plus que sa vocation légale ? Certains arguèrent de la multiplication des divorces pour justifier de l’inutilité de la promotion du conjoint. Le divorce est le signe de la dissolubilité du lien de mariage et donc la preuve de la non-intégration du conjoint à la famille de son époux. En plus d’intégrer un nouveau membre qui ne le mérite pas à la famille lignage, stable et unie par des liens indissoluble de sang, on a reproché à la promotion du conjoint survivant de détourner l’institution du divorce en ce qu’elle inciterait le de cujus à divorcer pour priver son conjoint des nouveaux droits que la loi lui accorde. Mais l’argument n’est pas convaincant. D’une part, ce n’est pas parce que le défunt a divorcé et s’est remarié que le second conjoint mérite moins que le premier la protection de la loi au plan successoral. D’autre part, si le de cujus entend priver son conjoint de ses nouveaux droit ab intestat, libre à lui de l’exhéréder. Par ailleurs, s’il entend priver son conjoint du nouveau droit à réserve que la loi lui offre, nous savons qu’il existe des moyens de limiter la portée de la réserve, comme l’assurance-vie ou la tontine. D’autres encore, assez manichéens dans leur démarche, jugeaient cette promotion dangereuse et opposaient le bon conjoint qui avait partagé avec le défunt les bons comme les mauvais moments de la vie au mauvais conjoint, âpre au gain et « généralement plus jeune ».21 On tombe ici dans des arguments passionnels. S’agissant de ce mauvais conjoint, on peut espérer que le défunt ait pris des dispositions visant à limiter sa vocation successorale.22 A la limite le droit pénal peut venir sanctionner l’abus de faiblesse.23 21 G. Goubeaux ; Réforme des successions : l’inquiétant concours entre collatéraux privilégiés et conjoint survivant ( A propos de l’article 757-3 du Code civil). Pourquoi faire simple ? …Defrénois art. n° 37519. 22 En effet le conjoint bénéficiant d’un droit à réserve depuis 2001, le défunt ne peut plus l’exhéréder. 23 Sur ce point, Cass. Crim. 15 novembre 2005, n° 04-86.051, Simone B., ép. H. (pourvoi c/ C.A Paris, 12ème Ch. 13 sept. 2004) : Juris-Data n° 2005-031532 (abus de faiblesse retenu contre une personne qui a fait modifier en sa faveur des dispositions testamentaires établies au profit d’autres bénéficiaires.) ; Cass. Crim. 21 octobre 2008, n° 08-81.126, « Vu l’article 223-15-2 du code pénal ; Attendu qu’au sens, constitue un acte gravement préjudiciable pour une personne vulnérable, celui de disposer de ses biens par testament en faveur d’une personne l’ayant conduite à cette disposition ». V. aussi : C.A Versailles, 9 mars 2005, n° 04/ 00214 : (abus de faiblesse retenu contre la personne qui a obtenu du défunt la souscritpion d’un contrat d’assurance-vie à son profit.) PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 30 - 18.- Le premier objectif est la simplification. Il vise d’abord la gestion de la succession afin que : « le délai qui sépare le décès du partage ne soit plus une période d’insécurité juridique, source d’attentisme et de dépréciation du patrimoine. »28 C’est ainsi que les règles de l’indivision ont été assouplies pour permettre aux indivisaires titulaires d’au moins deux tiers des droits indivis d’effectuer les actes d’administration relatifs aux biens indivis. C’est à ces mêmes conditions qu’un mandat général d’administration peut être donné à l’un des indivisaires ou à un tiers afin d’éviter les réunions conflictuelles récurrentes et l’immobilisme qui souvent en résulte. Le principe en la matière n’est plus l’unanimité. La simplification atteint aussi le règlement de la succession dans deux domaines notamment : l’option et le partage. Tout d’abord, l’ancienne acceptation sous bénéfice d’inventaire a été repensée pour être plus attractive. Dans le même temps, cette branche de l’option a été simplifiée comme en témoigne la possibilité ouverte à l’héritier, désormais propriétaire et en quelque sorte administrateur de la succession, de vendre amiablement les biens successoraux qu’il n’entend pas conserver.29 Cette simplification est importante lorsque l’on se souvient que jadis, l’héritier bénéficiaire ne pouvait vendre un immeuble successoral qu’aux enchères publiques et après avoir obtenu une autorisation judiciaire. Même la vente de meubles nécessitait le recours à la vente aux enchères publiques, source de frais supplémentaires.30 Ensuite, la simplification se manifeste aussi dans le droit du partage lorsqu’en présence d’incapables ou d’absents, le partage amiable ne nécessite plus une homologation judiciaire. Tenant compte du coût, de la lourdeur et du peu d’attention que les tribunaux accordaient à l’homologation, la loi y substitue une simple approbation. De même il est désormais possible d’éviter la procédure du partage judiciaire en présence d’un héritier taisant.31 19.- Le deuxième objectif qui n’est pas sans lien avec le précédent est l’accélération du règlement successoral. L’exemple le plus frappant est celui de la réforme de l’option qui, de ce point de vue, recèle deux innovations capitales : d’une 28 V. Exposé des motifs du projet de loi n° 2427 portant réforme des successions et libéralités présenté par M. Pascal Clément. 29 Art. 792 al. 2. 30 Art 806 ancien pour les immeubles et 805 ancien pour les meubles. 31 Art. 837 al.2. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 31 - part, si l’héritier ne peut être contraint à opter avant l’expiration d’un délai de quatre mois suivant le décès, il peut être sommé de prendre parti à l’issue de ce délai 32 et d’autre part, la faculté d’option se prescrit par dix ans à compter de l’ouverture de la succession là où, avant la réforme, elle se prescrivait par trente ans. Notons également que d’autres délais de prescription ont été raccourcis comme celui de l’action en réduction ou de l’action en complément de part qui se substitue à l’action en rescision pour lésion pour les partages postérieurs à l’entrée en vigueur de la loi. 20.- Le troisième grand objectif de la loi concerne davantage le droit des libéralités. Il s’agit de « donner plus de liberté pour organier sa succession ».33 L’exposé des motifs indique qu’il est désormais nécessaire de mieux respecter la volonté de celui qui souhaite transmettre son patrimoine, en particulier lorsque l’ensemble des héritiers s’accordent avec cette volonté. L’idée est en même temps d’accroître la liberté de disposer du défunt et de donner plus de place au consensus familial. Accroître la liberté de disposer à titre gratuit atteint nécessairement la réserve. C’est ainsi que celle des ascendants fut supprimée. Nous y reviendrons. Par ailleurs la possibilité d’une renonciation anticipée à l’action en réduction, l’apparition des libéralités graduelles et résiduelles au bénéfice de toute personne et non plus qu’en faveur des descendants et des collatéraux, ou encore l’élargissement considérable du domaine d’application des libéralités-partages à tous les héritiers présomptifs et même aux héritiers de générations différentes font la place belle aux pactes de famille. La libéralisation du droit des libéralités permet alors de relever tous les défis visés plus haut : la prise en compte de l’évolution démographique et des situations particulières comme la présence d’un enfant handicapé mais aussi la question de la transmission d’entreprise. 21.- Voilà rapidement évoqués les trois grands objectifs de la loi de 2006. Il en reste deux autres. Ils sont tous les deux essentiels. Le premier répond à un besoin particulier : assurer la continuité de l’entreprise. Le second irrigue à la fois le droit des successions et le droit des libéralités, il s’agit de sécuriser l’héritier tout autant que le gratifié. 32 Art. 771. 33 L’exposé des motifs le place d’ailleurs en première position. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 32 - 22.- La protection de l’entreprise d’abord. Il n’est pas question ici de transmission d’entreprise. La transmission sera facilitée par les outils que l’on a exposés juste avant au titre des nouvelles libéralités. L’idée ici est de faire en sorte que l’entreprise survive au défunt en l’absence de toute transmission organisée. Plusieurs dispositions révèlent cet objectif. Tout d’abord, pour ce qui concerne l’option successorale, la loi précise opportunément que les opérations courantes nécessaires à la continuation à court terme de l’activité de l’entreprise sont réputées être des actes d’administration provisoire qui peuvent être accomplis sans emporter acceptation de la succession. 34 Grâce à cette disposition « la gestion de l’entreprise ne sera pas suspendue du fait d’héritiers qui, soucieux de conserver leur option, resteraient inertes. »35 Ensuite, le maintien dans l’indivision possible jusque là pour les entreprises agricoles est étendu aux entreprises commerciales, artisanales ou libérales et même aux entreprises exploitées sous forme sociale. Par ailleurs, le maintien dans l’indivision, comme l’attribution préférentielle de telles entreprises, ne supposent plus que l’utilité en soit la survie ou la constitution d’une unité économique.36 Enfin, sans vouloir organiser la transmission de l’entreprise de son vivant, le chef d’entreprise peut vouloir confier la gestion de son entreprise et plus généralement de ses biens à un mandataire posthume, sous réserve que cela soit justifié dans l’acte à peine de nullité par un intérêt sérieux et légitime. Il est même prévu que la durée du mandat, en principe de deux ans prorogeables, peut être portée à cinq ans prorogeables lorsqu’il est question de gérer des biens professionnels.37 23.- Le dernier objectif moins apparent mais tout aussi important que les autres est la sécurité. La sécurité est en premier lieu celle de l’héritier ab intestat. Elle recoupe d’ailleurs d’autres objectifs de la loi. Elle se manifeste dans le cadre du passif, de l’option et également du partage. Quant au passif, la loi offre au juge la possibilité de décharger l’héritier acceptant purement et simplement la succession de 34 Art. 784 al. 4 35 M. Grimaldi, D. 2006, n°37, p. 2551 et s. « Présentation de la loi du 23 juin 2006 portant réforme du droit des successions et libéralité ». De même, la mise en œuvre de décisions d’administration ou de disposition engagées par le défunt et nécessaires au bon fonctionnement de l’entreprise pourra être engagée sans risque aux termes de l’article 784 al. 5 36 Art. 821 et 831. 37 Art. 812-1-1 al. 1 et 2 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 35 - A y regarder plus attentivement, on se rend compte qu’au-delà des innovations importantes et souhaitées46, la loi atteint principalement deux piliers du droit des successions : le principe de la succession à la personne et l’ordre public successoral. 26.- Notre système successoral s’oppose par principe au système anglo-saxon de la succession aux biens. On a coutume de l’exprimer par l’adage « le mort saisit le vif ». La formule implique d’une part, d’exercer dès le décès les droits dont le défunt était titulaire, c’est l’objet de la saisine et, d’autre part, de supporter les dettes du défunt, c’est le mécanisme de l’obligation ultra-vires qui impose à l’héritier acceptant de supporter sur son patrimoine les dettes du défunt par l’effet d’une fusion des patrimoines. Dans ces deux domaines, il est frappant de constater les effets de la loi de 2006. Si la saisine demeure, force est de constater qu’elle est en partie entravée par le mandat à effet posthume qui permet au défunt de priver ses héritiers de la gestion de tout ou partie de la succession.47 Au plan de l’obligation au passif, au-delà de la réforme substantielle de l’acceptation à concurrence de l’actif net destinée à la rendre plus attractive et donc plus sécurisante pour l’héritier, sans revenir sur la faculté offerte au juge de décharger un héritier acceptant pur et simple d’une dette inconnue dont il a été question plus haut, il convient de relever une autre innovation. Tout de suite après avoir réaffirmé le principe de l’obligation ultra vires, la loi ajoute que l’hériter n’est tenu des legs de sommes d’argent qu’à concurrence de l’actif net, là où avant il en répondait sur son patrimoine. Là encore, la protection de l’héritier prend le dessus parce qu’il a sans doute été jugé choquant que l’on puisse faire des libéralités sur le patrimoine de ses héritiers. Dans les deux cas envisagés on peut souligner l’impact des enjeux de la loi : la protection de l’entreprise en permettant à l’exploitant d’organiser la gestion pérenne de celle-ci après son décès d’une part48 et la recherche du dynamisme économique passant par la faveur accordée aux générations les plus jeunes d’autre part. 46 On pense notamment aux libéralités graduelles et résiduelles ainsi qu’aux évolutions favorables à la donation-partage, souhaitées par le notariat et une grande partie de la doctrine. 47 Toutefois, la validité même de ce mandat est subordonnée à la justification dans l’acte d’un intérêt légitime et sérieux précisément motivé au regard de la personne de l’héritier ou de la consistance du patrimoine. Par ailleurs la question de savoir si ce genre de mandat dessaisit l’héritier est discutée et se trouve sans doute relativisée par le fait que l’héritier conserve toujours la possibilité de mettre fin au mandat en vendant les biens aux termes de l’article 812-4, 5°. Ce dernier point a été confirmé récemment par la Cour de cassation : Cass. 1ère civ. 12 mai 2010, n° 09-10.556, Bull, I, n° 117. 48 C’est en effet en grande partie pour le chef d’entreprise que ce mandat à effet posthume a été pensé. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 36 - 27.- Le deuxième pilier auquel la loi s’attaque est celui de l’ordre public successoral et elle l’attaque sur tous les fronts mais sans le supprimer pour autant ce qui tendrait à prouver que l’ordre public conserve en notre matière successorale une utilité. Le vent du libéralisme et de l’innovation qui a soufflé sur le droit des libéralités atteint d’abord le vieux principe de la prohibition des substitutions en dehors de la ligne directe et de la ligne collatérale. Si la volonté du défunt y gagne, l’institution, telle qu’elle est réglementée, souffre la même critique que précédemment à savoir créer des situations de mainmorte.49 De ce point de vue, la libéralité résiduelle est sans doute plus raisonnable. Là encore l’innovation a été justifiée notamment par la protection des enfants handicapés. Le second coup a été porté à la prohibition des pactes sur succession future par la création des libéralités-partages transgénérationelles qui impliquent que les héritiers de rang intermédiaire consentent à ce que leurs enfants soient allotis à leur place dans le partage anticipé. Mais encore, l’apparition de la renonciation anticipée à l’action en réduction est une autre dérogation flagrante à cette prohibition.50 Ici aussi on voit poindre la volonté de favoriser les pactes de famille et avec eux les générations les plus jeunes ou les personnes les plus vulnérables. Le dernier assaut a été donné contre la réserve héréditaire. Le signe le plus marquant de cette offensive a été la perte de la qualité de réservataire par les ascendants. Par ailleurs, la réserve a été « fongibilisée » sauf à ce que le gratifié choisisse d’exécuter la réduction en nature par exemple parce qu’il n’a pas les moyens de payer l’indemnité de réduction. Ce faisant, la réserve perd un de ses fondements traditionnels : la conservation des biens dans la famille. Un auteur a fait remarquer qu’elle devenait alors plus difficile à défendre dans son principe car dit-il : « Le combat pour conserver un bien où la famille s’enracine a une autre allure que la réclamation d’un chèque. »51 Par ailleurs, on peut également relever que si le mandat à effet posthume porte atteinte à la saisine, il porte aussi atteinte au droit de l’héritier réservataire de recueillir sa réserve libre de charge. 49 D’ailleurs, « l’offre de loi » de Messieurs Carbonnier, Catala et de Saint-Affrique avait prévu dans ce cas une obligation de conservation en valeur. 50 Il s’agit d’ailleurs plus d’une dérogation à la prohibition des pactes sur succession future que d’une atteinte portée à la réserve elle-même. La renonciation ne porte en effet que sur l’action en réduction. Toutefois, elle peut viser une atteinte portant sur la totalité de la réserve. 51 Cf. M. Grimaldi, Dalloz 2006, n°37, p. 2551 et s, art. Précité. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 37 - 28.- Au final, on pourrait regretter avec le Professeur Catala que des brèches aient été ouvertes dans notre bel ordre successoral. Cependant on pourrait aussi prendre la défense de la loi qui essaye de tenir compte de la complexité des situations particulières en écornant quelque peu les institutions traditionnelles. On pourrait aussi constater avec le Professeur Grimaldi le déclin des solidarités familiales et la montée en puissance de l’individualisme qu’impliquent les atteintes portées à la réserve et à l’obligation au passif. Mais alors on ne peut s’empêcher de penser que la loi est le reflet de la société. Toutefois, il faut admettre que dans la société comme dans la loi la solidarité demeure, différente. Le changement réside en ce que, dans la loi, la solidarité d’aujourd’hui semble être, paradoxalement, une solidarité à sens unique dont le but est de favoriser les jeunes générations. Section 4. Problématique et annonce de plan 29.- Au regard de l’intérêt pratique du retour légal qui a été rappelé, dans le contexte de libéralisation et de contractualisation du droit des libéralités et des successions que l’on connaît, une question paraît incontournable : face aux nouveaux cas de retour légal dont les régimes juridiques, on le verra, diffèrent sensiblement par rapport aux schémas traditionnels, dans quelle mesure est-il possible d’y déroger ? 30.- La réponse à la question que l’on vient de poser suppose d’examiner le régime légal du retour avant d’envisager la dérogation au droit de retour légal. L’étude du régime légal des articles 757-3 et 738-2 du Code civil (Première partie) permettra de mettre en évidence les aspirations parfois contradictoires des textes ainsi que les difficultés qu’ils impliquent tant au plan théorique de leurs fondements, qu’au plan pratique de leurs mises en œuvre. Après avoir déterminé s’il est souhaitable de déroger au droit de retour légal, il s’agira de savoir s’il est possible juridiquement de déroger aux deux textes en question et, dans l’affirmative, de savoir comment il est possible d’y déroger. La question de la dérogation au droit de retour légal sera donc posée plus particulièrement dans un second temps (Seconde partie). PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 40 - Chapitre 1. Le déclin d’une institution ancienne Voyons comment cette institution ancienne maintenue en 1804 (Section 1), solidement ancrée dans notre droit, est devenue une institution marginalisée à compter de 1972 (Section 2). Section 1. Une institution ancienne maintenue en 1804 Comme souvent, l’institution trouve sa source dans le droit romain et l’ancien droit (§1). Elle a ensuite subi les foudres du droit intermédiaire (§2) avant de renaître sous la forme de trois cas de retour légal dans le Code civil (§3). § 1. Le droit romain et l’ancien droit 33.- Le droit romain permit dans un premier temps au pater familias qui avait constitué sa fille en dot, dot dite « profectice », d’obtenir la restitution de celle-ci en cas de prédécès de sa fille au cours de son mariage. Cette restitution était exprimée par la formule : « Dos a patre profecta ad patrem revertitur. » La dot « profectice » devait selon les textes retourner dans la famille d’où elle était provenue. Cet usage fut par la suite étendu aux ascendants paternels constituant en dot leur petite fille. Puis il profita au père ou à l’ascendant paternel qui a fourni au fils de famille une dot anténuptiale. Toutefois il semble que le droit de retour ainsi entendu ne fut pas reconnu à la mère et aux ascendants maternels. Le droit de retour ou de réversion de l’époque romaine n’était pas un droit de succession. Ainsi, était-il possible de l’exercer tout en renonçant à la succession. Mais encore, lorsque le bien rentrait par ce moyen dans le patrimoine du donateur, il y rentrait libre de toutes charges éventuellement consenties par le bénéficiaire de la donation, comme s’il n’en était jamais sorti. Le retour opérait rétroactivement. 34.- L’ancien droit sera, comme chacun sait, imprégné de droit romain dans les pays de droit écrit correspondant grosso modo au sud de la France. On retrouve en effet dans ces pays un droit de retour semblable au droit de réversion du droit romain. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 41 - On considérait alors les donations comme frappées d’une condition résolutoire les anéantissant rétroactivement en cas de prédécès du donataire. Cette condition pouvait être expressément prévue par les parties à la donation ou résulter de la loi qui, dans le silence des parties, organisait le retour du bien donné libre de toute charge. Dans ce dernier cas, on observe que le droit de retour institué par la loi produisait les effets d’un mécanisme conventionnel : la condition résolutoire. Aussi, en comparant les effets du droit de retour légal de cette époque et les effets de la condition résolutoire, on s’aperçoit qu’ils sont identiques : la condition résolutoire, lorsqu’elle est réalisée, emporte anéantissement rétroactif d’un contrat valablement formé. Les parties sont remises dans l’état qui était le leur avant la conclusion du contrat, lequel est censé n’avoir jamais existé. Ainsi les droits et charges qui ont pu être consentis par le donataire sont eux-mêmes anéantis, ce qui explique pourquoi le bien rentre alors libre dans le patrimoine du donateur. Dans les pays de droit écrit, la loi considérait ce droit de retour comme une condition résolutoire tacite c'est-à-dire sous-entendue dans toutes les donations en l’absence de manifestation de volonté des parties. Le fondement du retour semblait donc être la volonté présumée du donateur. La nature conventionnelle du droit de retour, avec les conséquences rigoureuses qui s’en suivent, avait évidemment pour conséquence qu’elle amputait le droit de disposer du donataire. Dans ces conditions, les tiers n’étaient pas enclins à contracter avec le donataire puisqu’ils savaient leurs droits menacés par la réalisation de la condition. Au-delà de l’atteinte au droit de disposer, on peut également considérer que c’était le crédit du donataire qui s’en trouvait diminué. Notamment, le bien objet du retour échappait au droit de gage des créanciers du défunt puisqu’il ne faisait pas partie de sa succession et réintégrait le patrimoine du donateur aussitôt après le décès. Cela alors même que le droit de propriété du donataire résultait d’une donation irrévocable, ayant un caractère perpétuel. En conséquence, les auteurs déniaient aux descendants le droit d’aliéner le bien donné mais faisaient tout de même des distinctions entre les aliénations volontaires prohibées et les aliénations nécessaires permises. Par exemple, un même bien donné PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 42 - ne pouvait être hypothéqué par le donataire mais pouvait valablement être atteint par l’hypothèque de la femme mariée.54 Il n’est pas nécessaire de s’étendre davantage sur cette question de la limitation des droits du bénéficiaire d’une disposition consentie sous condition résolutoire car elle se retrouve aujourd’hui encore pour tout type d’obligation sous condition résolutoire. Cela explique sans doute la faible utilisation de telles conditions en pratique sauf en notre matière.55 Enfin, sur ce point, certains auteurs au rang desquels on peut compter Pothier voyaient dans le droit de retour des pays de droit écrit une interprétation maladroite des textes du droit romain.56 En effet, à l’époque classique du moins, le droit de réversion romain s’appliquait aux biens dotaux soumis à un régime particulier de protection qui les rendait inaliénables. Le droit de retour appliqué à de tels biens n’était donc pas une contrainte pour le donataire puisque de toute façon il ne pouvait pas disposer librement de ces biens. Alors que le droit de retour de l’ancien droit dans les pays de droit écrit frappait d’une certaine inaliénabilité de fait des biens qui ne l’étaient pas en principe. 35.- Dans les pays de coutume la nature du retour était toute différente et son origine plus incertaine. On en trouve trace chez Beaumanoir à la suite d’un arrêt de la Curia Regis57 de 1268.58 Mais ce n’est qu’en 1580 que la Nouvelle Coutume de PARIS, que l’on a pu considérer comme reflétant le droit commun coutumier, consacra de façon certaine en son article 313 un droit de retour qui était selon ce texte un véritable droit de succession. L’article en question disposait : « Toutefois, les ascendants succèdent aux choses par eux données à leurs descendants décédés sans enfant ni descendant d’eux ». L’emploi du verbe « succéder » ne faisait pas de doute sur le caractère successoral de ce droit de retour. Pour justifier cette nature successorale, on peut 54 F. Soleil, « De l’exercice du droit de retour légal quand les biens donnés ne se retrouvent plus en nature dans la succession. » Thèse pour le doctorat, édition Domat Montchrestien, 1931. 55 Cf. infra pour ce qui est de l’application courante du droit de retour conventionnel aujourd’hui, en dépit de ses effets rigoureux. 56 Pothier, « Traité des donations », éditions Bugnet, t. VIII, p. 81 et 419. 57 Jusqu'à la fin du XIIIème siècle, la Curia Régis ou Cour du Roi est une assemblée rassemblant les vassaux du Roi qui le conseillent en matière politique, judiciaire et financière. 58 Beaumanoir, Ch. XIV. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 45 - A. Le droit de retour légal de l’ascendant donateur 37.- Il est ici question du cas de retour légal qui était amené à fonctionner le plus en pratique pour la raison que la situation qu’il vise - donation à un descendant - est courante et parce que les autres cas ne concernaient que des situations particulières. Ajoutons qu’aujourd’hui encore, le droit de retour de l’ascendant donateur est susceptible de s’appliquer. En effet, le troisième alinéa de l’article 14 de la loi du 3 janvier 1972 qui a supprimé ce cas de retour prévoit que les donations consenties avant son entrée en vigueur restent soumises au droit de retour de l’article 747 ancien du Code civil. Cet article disposait que : « Les ascendants succèdent, à l’exclusion de tous autres, aux choses par eux données à leurs enfants ou descendants décédés sans postérité, lorsque les objets donnés se retrouvent en nature dans la succession.» D’une part, il résulte de cette disposition que le droit de retour de l’ascendant donateur, comme les autres droits de retour légaux, a une nature successorale. Il est bien question de « succéder » à certains biens. D’autre part, il est intéressant de noter que l’institution ne repose que sur un seul texte, l’article 747 ancien, lequel renferme et les conditions de mise en œuvre et les effets du droit de retour légal. Les effets sont ceux d’une succession anomale. Il conviendra de les exposer plus loin.61 S’agissant de l’article 747 ancien, la question de ses conditions d’application sera abordée à présent. La question de savoir s’il était possible de déroger à ce droit sera abordée dans la seconde partie de ce travail. Classiquement, il convient de distinguer les conditions tenant aux personnes (1) de celles tenant aux biens objet du droit de retour (2). 1. Conditions tenant aux personnes Envisageons dans un premier temps les conditions relatives au défunt avant d’exposer celles relatives aux bénéficiaires. 61 V. infra, p. 239 et s. sur la question de savoir si les nouveaux cas de retour constituent de vraies successions anomales. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 46 - 38.- Pour sa mise en œuvre, le droit de retour légal de l’ascendant donateur supposait que le défunt décède sans postérité. La présence d’un descendant faisait obstacle au droit de retour sauf si ce descendant se trouvait exclu de la succession par l’effet de l’indignité ou de la renonciation. Dans ces cas tout se passait comme s’il n’y avait pas de descendant 39.- Il faut ajouter que l’absence de postérité s’apprécie au décès du de cujus. Peu importe donc que le descendant du défunt décède à son tour sans postérité en laissant pour lui succéder le bénéficiaire du droit de retour. Le droit est définitivement perdu s’il existe un descendant au décès du de cujus. L’hypothèse est celle du grand-père survivant à son fils et à son petit-fils décédé sans postérité. Le droit de retour du grand-père est perdu dès le décès de son fils. C’est là une différence par rapport au retour conventionnel qui peut prévoir sa mise en œuvre en cas de prédécès du donataire et de ses descendants assurant ainsi davantage la conservation des biens dans la famille. 40.- Après avoir posé la condition d’absence de postérité et après avoir précisé l’époque à laquelle cette condition s’apprécie, encore faut-il s’entendre sur la notion de postérité. La question de savoir s’il faut inclure l’enfant adoptif, l’enfant naturel, ou pire l’enfant adultérin dans la notion de postérité faisant obstacle au droit de retour de l’ascendant donateur a fait débat. 62 Le débat était celui de savoir si l’on devait reconnaître les mêmes effets successoraux à la filiation légitime et à la filiation adoptive ou naturelle. En ce qui concerne la filiation adoptive, le débat fut doctrinal. Certains enseignaient que l’enfant adopté simple ne faisait pas obstacle au droit de retour de l’article 747 du Code civil.63 D’autres exprimaient l’opinion inverse.64 Aujourd’hui et depuis la loi du 11 juillet 1966 la solution est donnée par l’article 368, devenu 367, 62 Ces termes sont aujourd’hui inexacts mais définissent clairement les situations qu’ils visent. Par ailleurs, le débat n’a plus qu’une utilité historique étant donné qu’aujourd’hui, selon l’article 733 du Code civil, la loi ne distingue pas selon les modes d’établissement de la filiation pour déterminer les parents appelés à succéder. 63 Baudry Lacantinerie et Wahl, t. 1, numéro 710, soutenus en cela par la jurisprudence notamment : Req. 14 février 1855 : DP 1855, 1, 225 et req. 20 oct. 1903 : D. 1903, 1, 576. 64 Ripert et Boulanger , Traité de droit civil d’après le traité de Planiol, t. 4, 1959, n° 1783 ; Colin et Capitant, Cours élémentaire de droit civil français t. 3, 10ème éd., 1950, n° 990. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 47 - du Code civil qui indique qu’au plan civil65 l’adopté simple a les mêmes droits successoraux que tout enfant. En ce qui concerne la filiation naturelle, un arrêt de la Chambre Civile de la Cour de cassation du 9 août 1854 se trouve à l’origine du débat en affirmant qu’il fallait interpréter les mots « sans postérité » comme signifiant sans postérité légitime.66 Pour l’enfant naturel simple, cette solution est dénuée de toute portée depuis la loi du 3 janvier 1972 assimilant les enfants légitimes et les enfants naturels simples au plan successoral. Il va donc de soi que l’enfant naturel fait obstacle au droit de retour de l’ascendant donateur. Pour l’enfant adultérin, si l’on peut encore l’appeler ainsi pour plus de clarté, il semble que la question ne se soit jamais posée. Avant 1972, il est certain que l’on pouvait opposer à cet enfant sa qualité d’enfant naturel et qui plus est adultérin en application de la jurisprudence de 1854, de sorte qu’il ne faisait pas obstacle au droit de retour. Mais après 1972, la jurisprudence en question étant devenue caduque compte tenu de l’égalité des filiations légitimes et naturelles, il semble logique de soutenir que l’enfant adultérin faisait obstacle au droit de retour légal de l’article 747 du Code civil : c’est bien un descendant. D’ailleurs, dans la succession ordinaire, si l’enfant adultérin pâtissait de sa condition en présence des enfants légitimes et du conjoint bafoué par l’adultère aux termes des anciens articles 759 et 760 du Code civil, sa vocation successorale n’était pas affectée lorsqu’il était en présence d’un ascendant. 41.- Le bénéficiaire quant à lui est clairement défini par le texte : il s’agit de l’ascendant et plus précisément de tout ascendant qu’il soit privilégié ou ordinaire. Ne sont pas uniquement visés les père et mère comme dans l’actuel article 738-2. Encore faut-il que cet ascendant ait fait une donation au profit du de cujus. Logiquement, le droit de retour exclut que son bénéficiaire ait disposé au profit du défunt au moyen d’une libéralité à cause de mort et cela pour deux raisons : d’une part le bénéficiaire du droit de retour doit survivre au défunt pour l’exercer, et d’autre part, l’ascendant donateur est le seul bénéficiaire de ce droit à la différence de ce qui 65 Au plan fiscal en effet, l’enfant adopté simple est considéré comme un étranger sauf s’il s’agit de l’enfant du conjoint. 66 Cass. civ. 9 août 1854 : D. 1854, 1, 265. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 50 - également l’interprétation stricte des exceptions légales qui admettaient que le retour puisse porter sur autre chose que sur le bien lui-même. Selon la première hypothèse visée par le texte, le bénéficiaire du droit de retour pouvait exercer son droit sur le prix qui peut encore être dû. En réalité, l’objet du retour dans ce cas est la créance de prix lorsque celui-ci n’a pas été encaissé. Ainsi en est-il lorsque, par exemple, le défunt décède avant le terme stipulé au contrat pour le paiement du prix. La deuxième hypothèse est celle de l’action en reprise que pouvait exercer le donataire prédécédé. Pour illustrer ces actions en reprise on peut citer l’action résolutoire de l’article 1184 du Code civil, l’action en nullité, l’action en rescision pour lésion, l’action en révocation des donations ou les reprises matrimoniales. Dans ces cas, le but est de faire réintégrer au patrimoine du défunt le bien en question pour que le droit de retour puisse être exercé. A ce sujet, notons que certains auteurs69 justifiaient le retour de la créance de prix par le fait qu’elle s’accompagne de l’action résolutoire de l’article 1184 du Code civil. L’argument était que si le prix est encore dû, c’est qu’il y a eu défaut de paiement. L’aliénation n’est pas parfaite et le vendeur dispose de l’action résolutoire qui tend à faire revenir le bien aliéné en nature dans le patrimoine de l’aliénateur défunt. Le droit de retour sur la créance de prix existerait parce que l’action résolutoire la conforte. La conséquence de cette démonstration un peu spécieuse était que des deux exceptions il n’y en avait plus qu’une seule et que cette exception n’en était pas vraiment une puisque son effet était de retrouver le bien en nature. Cette démarche ne convainc pas. En effet, le retour portant sur la créance de prix ne peut se résumer au seul cas du défaut de paiement du débiteur, notamment en cas de paiement à terme. Le même exemple prouve, ce que nous savions déjà, que le prix peut être encore dû alors que la vente est parfaite. Ajoutons que l’action en reprise, action réelle, peut, dans le cas de reprise matrimoniale notamment, déboucher sur une reprise en équivalent. Telle sera le cas de la créance de récompense. Il faut en conclure que le second alinéa vise deux hypothèses différentes qui constituent bien deux exceptions au principe du retour en nature. La loi permet donc expressément, 69 Baudry-Lacantinerie, Précis de Droit Civil t. 3 p.333 ; Demolombe, Cours de Code Napoléon, t. XIII p.527 ; Demantes et Colmet de Santerre, Code civil, t. 3 n° 56 ; Planiol et Ripert, Traité pratique de Droit Civil français t. IV n° 162 et s. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 51 - dans certains cas, à l’ascendant donateur d’exercer son droit de retour sur un équivalent. 44.- Certains ont alors pu penser, confortés par une jurisprudence favorable aux bénéficiaires du retour, qu’il ne fallait pas s’en tenir à la lettre du texte et voir dans le second alinéa de l’article 747 l’application d’un principe plus général. C’est la deuxième thèse, celle dite de la théorie de la subrogation. Cette thèse se recommande d’une certaine bienveillance à l’égard des ascendants donateurs. Les auteurs favorables à celle-ci faisaient valoir, non sans raison, que le retour en nature limite fortement les possibilités de retour puisque d’un côté il ne rend pas le bien inaliénable alors que d’un autre côté une aliénation l’anéantit. D’autres auteurs ont mis en exergue ce caractère bienveillant. Ainsi, Mourlon écrivait-il : « Si nous ne voulons point nous résigner aux plus injustes conséquences, il faut nous garder de cet asservissement aveugle qui tue la pensée de la loi sous sa lettre judaïquement appliquée. Nous le devons d’autant plus que le droit que l’article 747 consacre est si plein d’équité qu’on ne saurait le contester sans inhumanité. »70 L’idée sous-jacente est celle de justice. Il ne serait pas juste que l’ascendant donateur ne puisse pas exercer son droit de retour alors que le bien donné n’existe plus en nature mais qu’il a été remplacé par d’autres biens. Toutefois et de première part, il convient de ne pas oublier l’argument porté au soutien de la théorie restrictive selon lequel le retour en nature serait source de paix juridique en ce qu’il éviterait de prouver l’origine indirecte d’un bien et éviterait les procès. Mais de seconde part, il ne faudrait pas que le souhait de limiter les litiges se fasse au détriment de la paix des familles. C’est pourquoi certains auteurs, au rang desquels figurent Aubry et Rau, ont trouvé souhaitable d’admettre le jeu de la subrogation réelle pour l’application de l’article 747 du Code civil.71 C’est admettre que le principe du retour en nature est renversé ou, à tout le moins, égalé par un autre principe : le retour en équivalent en application de la subrogation réelle. Mais ces deux auteurs, conscients du risque d’une extension sans limite du retour, ont cantonné 70 V. Mourlon, Répétition écrite sur le Code civil, t. II, n° 116 et s. 71 Aubry et Rau, Cours de droit civil français d’après la méthode de Zachariae, 5ème éd., t. IX, p. 508, § 608. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 52 - la subrogation au premier degré c'est-à-dire grosso modo à l’échange en matière immobilière et à l’emploi en matière de deniers. Ils excluaient le remploi. Peut être aurait-on pu admettre la subrogation au deuxième degré ou le remploi moyennant une déclaration d’origine de deniers dans l’acte d’acquisition du bien subrogé, un peu comme l’on fait une déclaration de remploi en matière de régimes matrimoniaux. Si cela est évidemment très concevable pour les immeubles, la question est plus délicate pour les meubles. En matière mobilière, il est surtout question de donations de deniers et de valeurs mobilières. Si les deniers donnés ont été employés, la subrogation au premier degré s’applique. Si, en revanche, les deniers donnés n’ont pas été employés ou investis, la jurisprudence a admis que le retour s’exerçait, à due concurrence, sur les deniers existants dans la succession.72 Dans ce cas, il n’est pas nécessaire de prouver que les deniers existants sont ceux là mêmes qui avaient été donnés. Une telle recherche serait d’ailleurs vaine en raison de la fongibilité de l’argent. Certaines juridictions du fond semblent avoir été favorables à la subrogation en matière de retour, acceptant ainsi que le bénéficiaire du retour puisse exercer son droit sur toute sorte de biens substitués dans le patrimoine du défunt au bien qu’il avait donné, faisant par là une application de la subrogation plus large que celle d’Aubry et Rau. Par exemple, la Cour d’appel de Lyon a admis que le retour puisse porter sur le bien acquis en remploi du prix d’aliénation du bien initialement donné.73 Certains auteurs favorables à cette jurisprudence ont essayé de la systématiser en y voyant une application de la théorie générale de la subrogation réelle, plus exactement de la subrogation universelle. Il y a subrogation universelle lorsque, dans une universalité de fait constituée de biens ayant la même origine et étant soumis au même régime, un bien nouveau prend la place d’un bien ancien. Ce qui compte alors c’est la valeur du bien. Comme le disait Demogue, « la subrogation universelle est celle qui se produit soit pour maintenir la valeur d’un patrimoine d’affectation soit pour sauvegarder le droit de celui dont le patrimoine est placé momentanément entre les mains d’un autre ». Ce faisant, il essayait de systématiser le mécanisme de la 72 Trib.Civ. Lyon 22 janvier 1895, Pandectes française 1896, 2, 225 ; M. Grimaldi Droit Civil Successions 6ème éditions n° 257. 73 Lyon 24 août 1871 : S. 1872, 2, 121. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 55 - Précisons tout d’abord qu’avant cette date, le principe cardinal du droit de la famille était la hiérarchie des filiations, principe selon lequel la filiation légitime conférait plus de droits que la filiation naturelle. Ce principe recevait notamment application en matière successorale. D’une part, l’enfant naturel non adultérin, ne venait à la succession que de ses père et mère à l’exclusion de tout autre ascendant et y avait des droits inférieurs à ceux d’un enfant légitime. D’autre part, ne pouvaient hériter de lui en l’absence de descendant que ses père et mère et ou ses frères et sœurs naturels. Ainsi, les frères et sœurs légitimes étaient, au plan successoral, totalement étrangers vis-à-vis de leur frère naturel. Ils ne pouvaient hériter de lui tout comme lui ne pouvait venir à leur succession. Cette solution n’était pas dénuée de toute logique puisque avant 1972 l’enfant naturel restait en dehors de la seule famille ayant foi aux yeux de la loi : la famille légitime. 47.- On comprend mieux alors le sens de l’article 766 ancien. Il constituait un tempérament, une contrepartie à l’exclusion des frères et sœurs légitimes de la succession ordinaire de l’enfant naturel. Il permettait aux frères et sœurs légitimes de prétendre, sans aucun concours avec les frères et sœurs naturels du défunt, aux biens que ce dernier avait reçus de ses père et mère à titre gratuit, que ce soit au moyen d’une disposition entre vifs ou à cause de mort. Il est à noter que les mêmes conditions d’exercice du retour se retrouvaient ici : absence de descendance, existence en nature dans la succession de biens reçus à titre gratuit de l’auteur commun. Comme à propos de l’article 747 ancien, remarquons au sujet de cette dernière condition que le même tempérament existait s’agissant de l’exercice possible du retour sur les actions en reprise et sur le prix du bien aliéné restant dû. Dernière condition, les père et mère de l’enfant naturel devaient être prédécédés. A défaut, c’était eux qui recueillaient la succession. L’article 766 ancien instaurait donc véritablement un droit de retour légal fondé sur la conservation des biens dans la famille, plus précisément sur la conservation des biens dans la famille légitime. En cela, ce texte faisait partie de l’arsenal juridique déployé pour protéger la famille perçue comme supérieure. En effet, en l’absence d’un tel droit, et dans l’hypothèse visée par le texte, tous les biens du défunt auraient été dévolus aux frères et sœurs naturels. Le risque n’était donc pas PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 56 - tant que les biens sortent de la famille, il était davantage que les biens échappent à la famille légitime. La conservation dans la famille était entendue ici très strictement. Deux fondements pouvaient justifier ce cas de retour au profit des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel : le premier, plus apparent, était la contrepartie de leur exclusion de la succession ordinaire ; le second, plus profond, était la conservation des biens dans la famille légitime et donc la protection de cette dernière. 48.- Ainsi, se trouve achevée la rapide présentation de ce deuxième cas de retour légal tel qu’il existait dans le Code Napoléon. Nous ne nous attarderons pas ici sur le troisième cas de retour qui figurait aux articles 358 et 359 du Code Napoléon. La raison en est que ce troisième cas de retour figure aujourd’hui encore, sous réserve de quelques modifications, dans le Code civil à l’article 368-1. Il s’agit du droit de retour des familles adoptives et par le sang dans la succession de l’enfant adopté simple, cas de retour qui, dans le Code Napoléon, ne concernait que les familles adoptives avant d’être étendu à la famille par le sang.77 Si ce cas ne fait pas ici l’objet de développements plus importants, c’est que sa destinée ne fut pas la même que celle des deux autres précédemment évoqués. Ceux-ci furent supprimés par la loi du 3 janvier 1972, alors que celui-là fut maintenu. Dès lors, il est temps de s’intéresser aux raisons qui ont rendu marginale cette institution ancienne du droit de retour légal. Section 2. Une institution marginalisée Des trois cas de retour légal prévus en 1804, deux ont disparu en 1972 (§1) alors que le troisième a été maintenu (§2). § 1. La disparition de deux cas de retour Il convient d’envisager, d’abord la disparition du droit de retour des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel (A) avant celle du droit de retour de l’ascendant donateur (B). 77 En vertu d’une loi du 11 juillet 1966. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 57 - A. La disparition du droit de retour des frères et sœurs légitimes 49.- Dès lors que la loi de 1972 portant réforme de la filiation avait supprimé toute infériorité de la filiation naturelle par rapport à la filiation légitime et dès lors que les mêmes effets successoraux étaient reconnus aux deux filiations, le principal fondement du droit de retour de l’ancien article 766 tombait de lui-même. Ce fondement était, rappelons le, la contrepartie de l’exclusion des frères et sœurs légitimes de la succession ordinaire de l’enfant naturel. L’enfant naturel héritant à partir de 1972 de l’enfant légitime et inversement, le droit de retour ne se justifiait plus. L’avantage qu’il conférait, à savoir une vocation successorale sans concours, n’était plus nécessaire pour contrebalancer une exclusion qui n’existait plus. On se souvient que ce cas de retour pouvait aussi se justifier par la protection de la famille légitime en assurant la conservation des biens en question en son sein. Une telle protection vis-à-vis de l’enfant naturel n’avait plus de sens. Les biens seront conservés dans la famille, entendue moins strictement, au moyen des règles de la dévolution légale. La raison de la suppression de ce cas de retour était une raison de bon sens : là où la contrepartie que constituait le retour légal n’était plus nécessaire, le droit de retour fut supprimé. Si la disparition de ce droit de retour semblait s’imposer avec évidence, tel ne fut pas le cas de la suppression de l’ancien droit de retour de l’ascendant donateur. B. La disparition du droit de retour de l’ascendant donateur 50.- C’est également la loi du 3 janvier 1972 qui supprima le droit de retour de l’ascendant donateur qui en pratique trouvait le plus à s’appliquer. Cette suppression, contrairement à la précédente, ne relevait pas de l’évidence et fut fort discutée. D’ailleurs, le nouveau principe de l’égalité des filiations aurait pu fort bien s’accommoder de ce cas de retour. Schématiquement, trois arguments étaient alors invoqués pour en justifier la suppression. Le premier n’est pas fort convaincant, les deux autres sont plus sérieux. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 60 - A. Les raisons du maintien. 55.- Pour comprendre les raisons qui expliquent la longévité assez remarquable de ce cas de retour, il est nécessaire de relever les conditions dans lesquelles il entend s’appliquer, conditions dont la principale diffère assez peu de celle exigée par l’ancien article 357 pour ce qui concernait la succession de l’adopté que l’on ne nommait pas encore « adopté simple ». 56.- Historiquement, l’adoption était connue du droit romain qui la favorisa notamment pour des raisons mystiques84. L’ancien droit n’encouragea pas la création de cette filiation fictive qui heurtait le principe cardinal de la conservation des biens dans la famille. Le droit intermédiaire, dans son souci de dislocation des fortunes d’ancien régime, était idéologiquement plus favorable à l’adoption. C’est surtout sous la pression de Bonaparte, obnubilé par ses désirs dynastiques, que le Code Napoléon restaura le contrat d’adoption. L’adoption de 1804, celle qui ouvrait droit au retour légal de l’article 357 était au fond assez proche de l’adoption simple d’aujourd’hui. C’était, disait-on, une adoption bourgeoise qui servait de « consolidation des ménages stériles et de carrière de secours pour les enfants de père et mère pauvres ».85 Elle ne produisait que des effets patrimoniaux. Si l’on voyait cette adoption comme un moyen d’élévation sociale pour l’adopté, il eu été injuste que l’adoption fut, au décès sans descendance de l’adopté, un moyen d’enrichissement pour des étrangers. Il était normal que les biens transmis au défunt par l’adoptant lui reviennent, à lui ou à sa famille. Pour conclure ce bref rappel historique, soulignons le peu de succès de l’adoption version 1804 dont les effets étaient limités et les conditions strictes.86 Par la suite trois grandes étapes ont marqué le droit de l’adoption. Première étape, conséquence de la première guerre mondiale, une loi du 19 juin 1928 permit l’adoption des mineurs orphelins. Deuxième étape, un décret-loi du 29 juillet 1939 instaura, à côté du contrat d’adoption à effet patrimonial, la légitimation adoptive, portant sur des enfants de moins de 5 ans, qui leur conférait la qualité d’enfant légitime. Troisième étape, la loi du 11 juillet 1966 créa la distinction que l’on connaît 84 Elle permettait au pater familias, à défaut de postérité légitime, d’assurer la continuité du culte domestique. 85 Déclaration de Berlier lors de la discussion du Code civil Malaurie et Fulchiron, n° 1401, note 9. 86 On ne pouvait adopter que des majeurs. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 61 - aujourd’hui entre l’adoption plénière, héritière de la légitimation adoptive et l’adoption simple, héritière du contrat d’adoption du Code Napoléon.87 57.- Pour en revenir à l’article 368-1, il faut donc noter que ce texte n’entre en jeu que lorsqu’une personne adoptée simple décède sans postérité. C’est dans cette condition de départ, un défunt adopté simple, que se trouve la justification de l’utilité intemporelle de l’institution. L’adoption simple, contrairement à l’adoption plénière, dote l’adopté d’une seconde famille, dite adoptive, sans pour autant rompre les liens qui l’unissent à sa famille par le sang. Une des conséquences les plus saillantes de cela est que l’adopté simple conserve dans sa famille par le sang tous ses droits successoraux et acquiert les mêmes dans sa famille adoptive.88 Réciproquement, lorsque l’adopté simple décède sans enfant, ses deux familles viennent à sa succession. La succession ordinaire, celle qui pour faire simple se compose des acquêts réalisés par le défunt, est dévolue aux deux familles en application du système dit de la fente successorale prévu à l’article 368-1 alinéa 2 du Code civil. Ainsi, les acquêts du défunt sont partagés par moitié entre la famille par le sang et la famille adoptive. La dévolution au sein de chaque famille se fait en application du droit commun des successions par ordre et par degré. Là se trouve la justification la plus classique du droit de retour : la conservation des biens dans la famille. La présence des deux familles et le système de la fente font courir le risque, en l’absence de droit de retour, que les biens de la famille adoptive échus au défunt à titre gratuit qui se retrouvent dans sa succession en nature, reviennent à la famille par le sang ou inversement. Grâce au retour légal, la famille de laquelle le bien provient est certaine de le retrouver sans avoir à subir d’indivision avec l’autre famille parce qu’il lui sera dévolu en dehors de la succession ordinaire, en vertu d’un droit de retour dont elle-seule bénéficie. Pour la même raison, aucune indemnité ne sera due à l’autre famille en dépit de ce prélèvement. Il ne s’agit pas d’une attribution préférentielle. 87 La loi de 1966 a également assoupli les conditions de l’adoption et a contribué à rendre l’adoption inattaquable. D’autres réformes de moindre importance ont suivi : loi du 22 décembre 1976, loi du 5 juillet 1996, loi du 6 février 2001 et du 4 juillet 2005 qui sont essentiellement des lois de procédure. 88 Notamment, l’adopté simple est réservataire dans la succession de l’adoptant. Cependant, il n’a pas cette qualité dans la succession des ascendants des ses parents adoptifs. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 62 - A dessein, le bénéficiaire du droit de retour a été désigné plus haut sous le terme de famille adoptive ou de famille par le sang. Ceci pour souligner que le bénéficiaire du retour n’est pas ici seulement celui qui a disposé entre vifs au profit du défunt. Ce peut être en effet l’adoptant ou les parents par le sang. Mais le bénéficiaire peut également être un descendant du disposant si celui-ci est décédé, par exemple un frère du défunt adopté. Dans ce cas, le bien en question peut être entré à titre gratuit dans le patrimoine de l’adopté simple en vertu d’une disposition entre vifs ou à cause de mort. Cela renforce la justification apportée plus haut : c’est bien dans la famille qu’il s’agit de conserver le bien. On glisse là vers les conditions du retour de l’article 368-1 dont il faut observer qu’elles ont évolué depuis 1804. B. L’évolution des conditions d’application Schématiquement, l’évolution du droit de retour de l’adoptant a connu deux mouvements justifiés bien que contradictoires : le premier a étendu son champ d’application, le second l’a réduit. 58.- Le premier mouvement résulte de la loi du 11 juillet 1966. A l’origine, le Code Napoléon n’envisageait le droit de retour dans la succession de l’adopté qu’au profit de l’adoptant ou en cas de décès de celui-ci au profit de ses descendants légitimes, naturels ou adoptifs.89 Dans un souci de réciprocité, la loi de 1966 a reconnu un droit identique à la famille par le sang de l’adopté décédé sans postérité. C’est ainsi qu’à partir de 1966, l’article 368-1 précise que : « les biens que l’adopté avait reçus à titre gratuit de ses père et mère retournent pareillement à ces derniers ou à leurs descendants. » 59.- Le second mouvement a réduit le champ d’application de l’article 368-1 et cela en deux temps. Dans un premier temps, la même loi du 11 juillet 1966, a limité l’exercice du droit de retour à la seule succession de l’adopté donataire ou héritier du disposant. Auparavant la loi permettait que l’adoptant qui n’avait pu exercer son droit de retour 89 Ancien article 358 et 359 du Code civil. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 65 - Les sénateurs, peut-être plus mesurés que les députés, ou plus représentatifs de la France rurale, ont mis l’accent sur la nécessité de revaloriser les droits du conjoint survivant sans pour autant écarter la famille par le sang. A ce titre le rapport numéro 3282 de Monsieur le député Vidaliès est très intéressant lorsqu’il présente les souhaits du Sénat dans l’hypothèse où le défunt ne laisserait pour lui succéder que son conjoint et un frère. Il relève ceci : « Dans cette hypothèse, des biens, par exemple des terres, pourraient passer aux frères et sœurs du conjoint qui en auraient hérité de son époux, et échapper ainsi à la famille qui les détenait initialement […].» Plus loin dans le même rapport, il est précisé que : « Le rapporteur pour le Sénat a indiqué que les sénateurs souhaitaient, avant tout, que les biens transmis par héritage ou donation n’échappent pas à la famille du prédécédé, en l’absence de descendant ou d’ascendant.» Il résulte de tout cela qu’après quelques débats, tout le monde était d’accord sur le principe de revaloriser les droits du conjoint pour les raisons rappelées plus haut. De même tout le monde était d’accord pour éviter les successions remontantes jugées antiéconomiques parce que les héritages doivent désormais aller vers ceux qui en ont le plus besoin et notamment les jeunes générations pour s’installer dans la vie. Ainsi, que le conjoint prime les ascendants ordinaires ne semblait pas poser de problème. Après tout, ceux-ci sont membres du troisième ordre successoral. Par ailleurs en ce qui concerne ces ascendants ordinaires, la loi a compensé leur éviction, lorsqu’ils sont dans le besoin, par une créance alimentaire contre la succession sous la condition que le conjoint recueille toute la succession ou les trois quart. Mais que le conjoint exclut, en l’absence de descendant et d’ascendant privilégié, les collatéraux privilégiés sans que ceux-ci ne viennent en concours avec lui était une disposition plus audacieuse qui avait la faveur de l’Assemblée nationale. En effet dans cette hypothèse le risque de succession remontante n’existe pas. Mais le risque de sortie des biens, et notamment des biens issus de la famille du défunt, vers la famille du conjoint est évident. Gommer ainsi de la dévolution légale les collatéraux privilégiés, c'est-à-dire dans notre cas les derniers représentants de la PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 66 - famille du défunt, c’est nier que la conservation des biens dans la famille puisse encore de nos jours fonder le droit successoral.95 Or précisément, les sénateurs ont rappelé qu’il existe des biens pour lesquels il est important qu’ils restent dans la famille d’où ils viennent. L’exemple cité dans les travaux parlementaires, celui des terres, est particulièrement révélateur. On pense alors tout de suite à ces familles rurales qui, petit à petit, sur des générations, constituent leur exploitation familiale. Ces familles sont attachées à la terre. Or la terre, plus que l’argent ou des valeurs mobilières, peut être qualifiée de familiale. C’est donc avant tout pour ces familles là que l’article 757-3 a été instauré. Comme le dit un auteur : « Pour ces familles bourguignonnes, champenoises, bordelaises ou beauceronnes, attachées à leur patrimoine terrien, et à l’histoire de leurs origines, la primauté sans faille du conjoint dans la dévolution des biens de famille aurait été perçue comme une seconde révolution. »96 62.- Dès lors, la solution semblait aller de soi : s’il s’agissait d’assurer la conservation des biens dans la famille, la solution était l’instauration d’un nouveau droit de retour légal. Telle fut la solution choisie par le législateur. Voyons comment elle se présente. L’article 757-3 tel qu’issu de la loi du 3 décembre 2001 dispose : « Par dérogation à l’article 757-2, en cas de prédécès des père et mère les biens que le défunt avait reçus d’eux par succession ou donation et qui se retrouvent en nature dans la succession, sont en l’absence de descendants, dévolus pour moitié aux frères et sœurs du défunt ou à leurs descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission.» A première vue, ce droit présente les principales caractéristiques d’une succession anomale : il ne s’applique qu’en l’absence de descendant et il oblige à distinguer parmi les biens successoraux ceux qui proviennent de la famille par le sang du défunt. Il organise donc une dévolution particulière en fonction de l’origine de certains biens dès lors que ces biens se retrouvent en nature dans la succession. 95 Dans l’hypothèse où le défunt ne laisse que son conjoint et des collatéraux, en l’absence d’ascendant privilégié et de descendant, ceux-ci sont bien les derniers représentants de la famille souche du défunt. En effet, même s’il existe des ascendants ordinaires, ceux-ci sont exclus de la dévolution, ce qui se justifie pleinement par la lutte contre les successions remontantes. 96 S. Ferré-André, « Des droits impératifs et supplétifs du conjoint survivant dans la loi du 3 décembre 2001 (Analyse raisonnée de quelques difficultés)». Defrénois 2002, art. 37572, n° 32. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 67 - La spécificité de ce nouveau droit de retour ne tient pas à ce que le bénéficiaire n’est pas appelé à la succession ordinaire. En effet, l’ancien droit de retour des frères et sœurs légitimes de l’enfant naturel désignait comme bénéficiaires des personnes qui n’héritaient pas du défunt dans la succession ordinaire. En réalité la première des curiosités de ce cas de retour, au-delà des questions qui peuvent se poser sur sa véritable nature, est qu’au premier abord il ne produit pas le résultat escompté, à savoir la conservation des biens dans la famille. En effet, les biens que l’on peut qualifier par simplification « de famille », sont dévolus pour moitié au conjoint et pour moitié aux collatéraux privilégiés. Ce résultat pour le moins troublant sera l’occasion, plus loin, de porter un regard critique sur l’origine de ce nouveau droit de retour. Est-il au final celui que l’on a voulu créer au départ ? A quoi est due cette nouvelle figure du retour légal ? Etait-ce la seule solution ? 97 Pour l’heure, il est temps de se pencher sur l’autre nouveau cas de retour créé par la loi du 23 juin 2006. Section 2. Le nouveau droit de retour des père et mère 63.- Une des manifestations les plus criantes de la libéralisation du droit des libéralités, du recul de l’ordre public successoral, ou encore du déclin des solidarités familiales est la suppression de la réserve héréditaire des ascendants. L’évocation de l’abrogation de la réserve des ascendants (§1), permettra d’éclairer ce qui paraît en être la conséquence : l’instauration de l’article 738-2 (§2). A titre liminaire, relevons que la disposition en cause a été moins débattue que la précédente, ce qui ne fait pas nécessairement d’elle une disposition plus justifiée et mieux fondée, comme nous aurons l’occasion de le constater plus avant. 97 Cf. Infra. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 70 - Relevons en dernier lieu que le rapporteur de la commission des lois appuyait son argumentation sur le fait que : « de toute façon les ascendants sont protégés par l’obligation alimentaire prévue par le Code civil ». Cet argument paraît incorrect. D’une part, la créance alimentaire contre la succession n’est ouverte qu’aux ascendants ordinaires lorsque le conjoint recueille la totalité ou les trois quart de la succession. D’autre part, si le défunt n’avait pas ou plus de frère et sœur, ou s’il laisse un conjoint sans enfant, aucune obligation alimentaire ne protège ses parents ainsi qu’il résulte de la combinaison des articles 205 et 206 du Code civil. Autant dire, mais nous y reviendrons106, qu’il n’était pas évident d’abroger la réserve de tous les ascendants, même si la question n’a pas donné lieu à débat. D’ailleurs, « l’offre de loi » proposée pour modifier le droit des libéralités ne supprimait pas la réserve des ascendants et si elle l’avait fait, il n’est pas certain que cela aurait entraîné les mêmes conséquences, à savoir l’instauration d’un droit de retour légal. § 2. Conséquence : l’instauration de l’article 738-2 66.- Le législateur aurait pu s’en tenir à une abrogation pure et simple de la réserve des ascendants. A lire le Professeur Catala cela aurait même été préférable : « Lorsque l’on porte un tel coup à une tradition séculaire, il conviendrait de le faire sans remords, comme faisait jadis les Jacobins. »107 Il faut croire que le législateur de 2006 a été pris de remords. A moins, comme le fait remarquer le Professeur Grimaldi, qu’il ne s’agisse de l’application à l’art législatif du principe de précaution.108 Il semble que le principe de contrebalancer la réserve des ascendants par autre chose n’ait jamais été discuté. Pas plus d’ailleurs que le principe de la suppression de la réserve. Pour s’en convaincre, il suffit de citer les propos de Monsieur le garde des Sceaux devant la commission des lois le 17 janvier 2006 : « Si l’Assemblée nationale souhaite supprimer la réserve des ascendants, le Gouvernement ne s’y opposera pas, à condition que soit créé un droit de retour légal à leur profit…». Lors des débats parlementaires, le rapporteur de la commission des lois précise sur le même ton de 106 Cf. infra p. 107 et s. 107 V. P. Catala, « Prospective et perspective en droit successoral », JCP N, n° 26, 29 juin 2007, 1206. 108 Cf. M. Grimaldi, Dalloz 2006, n°37, 2551 et s., art. précité. L’auteur remarque que certaines grandes innovations de la loi sont assorties de contrepoids. Ainsi en est-il de la possibilité en cas d’insolvabilité du gratifié de poursuivre la réduction en nature (Art. 924-4) ou encore de la possibilité de révoquer la renonciation à l’action en réduction. (Art. 930-3). PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 71 - l’évidence que : « toutefois la suppression de cette réserve s’accompagnera corrélativement de la mise en place d’un droit de retour systématique…».109 C’était par amendement que l’on avait abrogé la réserve des ascendants, c’est par amendement que le nouveau droit de retour légal fut créé.110 Amendement qui, selon son exposé sommaire, assure « une coordination » avec la suppression de la réserve des ascendants. Il prévoyait que : « Lorsque les père et mère ou l’un d’eux survivent au défunt et que celui-ci n’a pas de postérité, ils peuvent dans tous les cas exercer un droit de retour, à concurrence des quotes-parts fixées au premier alinéa de l’article 738, sur les biens que le défunt avait reçus d’eux par donation. La valeur de la portion des biens soumise au droit de retour s’impute en priorité sur les droits successoraux des père et mère. Lorsque le droit de retour ne peut s’exercer en nature, il s’exécute en valeur. » Il est intéressant de noter que le texte est identique à celui de l’actuel article 738-2 à ceci près que la loi ajoute à la fin du troisième alinéa que lorsque le retour s’exécute en valeur, ce n’est que dans la limite de l’actif successoral.111 67.- Si l’on devait trouver des explications à l’absence de débat sur la question, on pourrait en proposer deux. D’abord, on relèverait que, contrairement aux circonstances qui entouraient la création du droit de retour de l’article 757-3, il y avait ici un consensus sur la suppression de la réserve des ascendants et sur la nécessité, par précaution ou par souci de solidarité, d’atténuer l’effet de cette abrogation. C’est ainsi que Monsieur Huyghe a précisé que cette mise en place d’un droit de retour était corrélative à la suppression de la réserve et que son application devait être systématique. Ailleurs, on a utilisé l’adjectif automatique pour qualifier ce nouveau cas de retour. Ensuite, on pourrait aussi invoquer la complexité du texte qui a dû échapper en grande partie au législateur comme en témoigne la rédaction ambiguë des dispositions relatives à l’assiette de ce nouveau droit. Parfois la complexité ne résulte pas que de la maladresse rédactionnelle du législateur. Elle est inévitable lorsqu’il 109 Propos tenus lors de la troisième séance du mardi 21 février 2006. 110 Amendement n° 233 Rect., présenté par Monsieur S. Huyghe au nom de la Commission des Lois. 111 Ajout voté à la suite d’un amendement n° 101, présenté par Monsieur de Richemont au nom de la commission des lois (Séance du 17 mai 2006). PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 72 - s’agit de tempérer ce droit de retour dont on ne veut pas qu’il tourne à l’avantage des ascendants en prescrivant son imputation sur les droits successoraux ordinaires des père et mère qui, eux, sont maintenus.112 Parce qu’un droit de retour légal est traditionnellement un avantage conféré à des successeurs dits anomaux, certains ne manqueront pas de regretter la dénaturation de l’institution dont il faut se demander au regard de l’histoire, encore une fois, ce qui aujourd’hui peut bien la fonder.113 Ce sera l’objet du titre second. Titre II. Evolution des fondements de l’institution 68.- Le fondement est la valeur, la référence de base, souvent associée à d’autres, sur laquelle repose une règle et qui en éclaire l’esprit, c'est-à-dire l’idée qui l’anime et qui a vocation à guider son interprétation.114 Cette définition suffit à justifier les développements qui suivent tant il est vrai qu’il est impossible d’interpréter un texte de loi sans en percevoir les aspirations fondamentales. Là encore, l’histoire sera précieuse, d’abord pour présenter ce qui a fondé l’institution du retour pendant des siècles et plus particulièrement celle du retour légal pendant au moins deux siècles. Ensuite, l’étude de l’histoire sera le moyen de constater, qu’hier comme aujourd’hui, la question des fondements du retour légal a pu être discutée. Après avoir confronté les nouveaux cas de retour légal à ce que l’on qualifiera, pour simplifier, d’anciens fondements ou fondements classiques (Chapitre 1), il apparaîtra opportun de rechercher des fondements nouveaux (Chapitre 2). Toutefois, il est important de relever, comme le fait la définition ci-dessus, qu’un fondement est souvent associé à d’autres pour soutenir une règle. De cela nous pouvons tirer deux enseignements à titre liminaire : d’une part, rechercher des fondements nouveaux ne signifie pas que les fondements anciens aient totalement disparu. Il faut peut-être juste les conforter. D’autre part, il est plus délicat de rechercher de nouveaux fondements à une règle qui pendant des siècles ne semble avoir reposé que sur un seul. 112 Toutefois, nous verrons plus loin que parfois les parents peuvent trouver avantage à la mise en œuvre du retour légal. 113 Ceci n’est qu’un exemple parmi d’autres de la dénaturation de l’institution. 114 Définition tirée du Vocabulaire juridique publié sous la direction de Gérard Cornu, 6ème édition mise à jour. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 75 - Au plan logique, il est exposé que le droit de retour légal peut se justifier, comme le reste de la dévolution, par la volonté présumée du défunt conforme à ses affections présumées. Ce qui perturbe la dévolution légale dans notre cas ne pourrait s’expliquer que par la volonté du donateur. Par ailleurs, l’auteur explique que si ce droit de retour légal à base contractuelle emprunte les effets d’un réel droit de succession, c’est aussi le résultat de la volonté présumée. Ainsi, le fait que le retour légal ne s’applique que si le donataire n’a pas disposé du bien, attesterait de la sagesse de la volonté présumée du donateur qui n’est pas censé avoir voulu porter atteinte au crédit du gratifié. 120 Lorsqu’il en appelle à l’histoire, l’auteur tend à rapprocher le retour légal du retour conventionnel. Pour ce faire il expose d’une part que même dans les pays de droit écrit où prévalait un retour légal fondé sur une condition résolutoire tacite, certains parlements avaient atténué, ça et là, la rigueur du jeu de la condition résolutoire. Il prétend, d’autre part, en analysant Dumoulin, que dans les pays de coutume, le droit de retour de nature successorale n’était pas hermétique à l’idée de volonté présumée. Il cite également un certain nombre de juristes en ce sens. Et lorsqu’il remarque que Pothier a clairement distingué les deux droits de retour au XVIIIème, il observe qu’il ne faut pas exagérer cette classification parce qu’à l’époque la prohibition des pactes sur succession future n’existait pas et donc écrit-il : « Il n’était pas besoin, pour autoriser les conventions restrictives du droit de retour, de faire apparaître la nature contractuelle de cette succession anomale. » Enfin, en analysant la jurisprudence de son temps, le Professeur Gaudemet y trouve des indices tangibles de ce caractère conventionnel présumé du retour légal. Ainsi, la règle prétorienne qui veut que le descendant naturel ne soit pas compté comme un descendant faisant obstacle au retour légal ne peut se comprendre, d’après lui, que par la volonté présumée du donateur. A ce sujet il cite opportunément un arrêt d’où il résulte que : « L’ascendant n’a pas compris dans sa volonté bienfaisante cet enfant naturel qui lui est légalement étranger ; […] par conséquent, la cause de sa libéralité est bien défaillie par le prédécès de son enfant donataire ; or ce sont là les deux considérations principales et essentielles qui ont fait introduire le retour successoral. »121 120 L’auteur soutient également le même raisonnement à propos de l’obligation ultra-vires à laquelle est tenu le successeur anomal. 121 Cass. civ. 9 août 1854 : S. 1854. I. 564. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 76 - Pour séduisant que soit ce raisonnement, il faut avouer qu’il a fait l’objet de critiques ce qui en limite la portée. Par ailleurs, il semble que ce fondement tiré de l’interprétation de la volonté présumée du donateur ne soit pas adapté au retour légal, hier comme aujourd’hui. B. Les limites et les inadaptations 72.- Les limites du raisonnement tiennent au contexte et aux critiques qui peuvent lui être opposées. Le contexte est une affaire délicate opposant la rigueur juridique incontestée de la Cour de cassation, à l’inopportunité pratique de la solution. Or, il apparaît que le raisonnement du Professeur Gaudemet, comme d’autres, est orienté dans le seul but de sauver de la nullité une clause répandue, d’un intérêt pratique certain.122 Autrement-dit, le raisonnement apparaît quelque peu contingent. 73.- Au-delà, les critiques n’ont pas manqué.123 Si l’on s’en tient à la logique du raisonnement deux critiques principales peuvent être formulées. La première est que l’on ne voit pas pourquoi la volonté présumée du donateur donnerait une base contractuelle à la succession anomale alors que les affections présumées, et donc la volonté présumée du défunt, que la loi prend en compte pour régler la dévolution ordinaire, sont impuissantes à donner la même base à la succession ordinaire. L’idée est ici que seule la loi est à l’origine de la dévolution successorale, ordinaire comme anomale. Certes, elle est inspirée par des considérations d’équité, d’affection, de devoirs familiaux, mais c’est elle qui s’exprime et non la volonté présumée du défunt ou du donataire. La seconde critique tient au fait que l’argumentation prend trop en compte l’intention présumée du donateur sans se soucier de la volonté du défunt qui peut le priver de tout droit de retour en disposant du bien. Cela reviendrait à présumer que l’intention du donateur ait été de succéder éventuellement aux biens en qualité de successeur anomal ce qui est curieux même si le Professeur Gaudemet l’a justifié en 122 Il le reconnaît d’ailleurs lui-même lorsqu’il dit en substance qu’à l’époque de Pothier il n’était pas besoin de faire sa démonstration pour autoriser les conventions restrictives au droit de retour légal. 123 Pour le détail de ces critiques, voir le rapport du Conseiller Roulier et les conclusions de l’Avocat Général Baudouin sous Ch. Réunies, 2 juillet 1903 : D. 1903. 1. 353. Voir également Baudry-Lacantinerie et Wahl, I, n° 670 et 492. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 77 - précisant que l’intention présumée du donateur était de donner « son maximum d’efficacité économique » à la donation et de « conférer au bénéficiaire un droit aussi ferme et aussi stable que possible ».124 Inversement, si l’on prend en compte la volonté du défunt, on est confronté, là aussi, à des interprétations incertaines : en l’absence de retour conventionnel stipulé, le donateur ne peut-il pas espérer tacitement que, s’il meurt ab intestat, ses biens soient dévolus en application du droit commun ? On peut le soutenir si l’on se base sur sa volonté présumée. De même, si le défunt n’a pas disposé des biens en question, faut-il absolument en déduire qu’il a eu la volonté implicite d’assurer l’exercice d’un droit de retour légal ? Pas nécessairement. De multiples raisons peuvent expliquer que le bien se retrouve à l’ouverture de la succession. Au total on voit bien les incertitudes qu’engendre l’utilisation de la volonté présumée. Or un fondement se doit d’être solide. Enfin, différents auteurs n’ont pas manqué de souligner le caractère très subsidiaire de ce fondement. Ainsi, le Conseiller Roulier écrivit-il en 1903 : « Il ne faudrait donc pas donner à ce motif (la volonté présumée) une importance telle qu’il deviendrait la cause déterminante du retour légal : car il n’a dans notre droit moderne qu’un intérêt secondaire. On le mentionne à l’état de souvenir et pour ne rien omettre.»125 D’autres, s’ils soulignent que le droit de retour légal répond avec assez de vraisemblance aux volontés présumées du donateur lors de la donation et du gratifié au moment de son décès, précisent tout de suite après que cette remarque est une simple indication sur les mobiles qui ont guidé les rédacteurs du Code Napoléon. Ils ajoutent qu’il faut se garder de donner plus de valeur « ici qu’en tout autre matière successorale à l’idée d’intention, de volonté sous-entendue, et surtout pour mettre à la base de la succession anomale l’idée d’une convention tacite qui la rapprocherait du retour conventionnel ».126 On touche là à l’inadaptation du fondement, inadaptation qui se vérifie, aujourd’hui comme hier. 74.- Face aux anciens cas de retour légal, le fondement de la volonté présumée paraît inadapté. En effet, si la volonté doit être prise en compte comme fondement du retour, c’est du retour conventionnel qu’il s’agit où la loi fait respecter, en allant 124 Ce qui tendrait à expliquer pourquoi ce droit fondé sur la volonté présumée du donateur produit des effets successoraux et non l’effet plus radical d’une condition résolutoire. V. E. Gaudemet, précité, p. 762. 125 Rapport du Conseiller Roulier et les conclusions de l’Avocat Général Baudouin sous Ch. Réunies, 2 juillet 1903 : D. 1903. 1. 353. 126 Planiol et Ripert, Traité théorique de droit civil avec le concours de Maury et Vialleton, 1928, n°164, p. 202 et 203. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 80 - était ému au point de faire consacrer ce droit dans la loi. Et plus précisément, il s’en était ému en ces termes : « Il est injuste que les ascendants se voient exclus par des collatéraux de rentrer même dans les biens dont ils s’étaient dépouillés en faveur de leur descendant prédécédé.» On peut encore citer Tronchet qui, insista sur la nécessité du retour légal « pour détruire un inconvénient de la loi du 17 Nivôse, dont les dispositions faisaient craindre que ce que l’on donnât à ses enfants ne passât dans une autre ligne ».132 Un auteur ajoute que seule l’idée d’équité pouvait justifier le retour légal du Code civil. Pour ce faire il constate qu’après la révolution les bases du droit successoral d’ancien régime et également du droit de retour qu’étaient la volonté d’assurer la continuité des patrimoines et l’intérêt des familles ont été abolies. Il rappelle aussi que le Code a fait œuvre de compromis en consacrant une dévolution successorale basée sur l’affection présumée et le respect de la volonté du défunt. Il en conclut que si le retour s’exerce sur le bien existant en nature à l’ouverture de la succession c’est la marque de la reconnaissance qui liait le donataire au donateur, reconnaissance toute emprunte d’équité. C’est l’équité qui justifie que l’on perturbe les affections présumées. En revanche, l’équité n’est pas toute puissante et elle cède devant la volonté du défunt qui a disposé du bien.133 Dans le même ordre d’idée, Planiol et Ripert remarquèrent que dans les circonstances particulières du retour légal où la dévolution héréditaire la plus normale, celle en ligne descendante, ne peut avoir lieu, « le législateur a recherché le mode de dévolution le plus rationnel et a jugé que la considération de l’origine des biens l’emportait de beaucoup en équité et en raison sur le simple lien de parenté, base de la transmission héréditaire normale ».134 77.- Notons pour finir que ce sentiment d’équité semble avoir influencé le législateur moderne. C’était patent en 2001. L’argument essentiel était alors qu’il n’aurait pas été juste et équitable de laisser de côté la famille par le sang au seul bénéfice du conjoint. Dans une moindre mesure, en l’absence de débat sur le sujet, le même sentiment irrigue la loi de 2006 lorsqu’elle instaure l’article 738-2. 132 Fenet, Recueil complet des travaux préparatoires du Code civil, t. XII, p.24 133 F. Soleil, ibidem, p. 44 et 45. 134 Planiol et Ripert, précité, p. 202 PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 81 - On le constate, l’équité a pu être invoquée à différentes périodes pour justifier le retour légal. Ceci étant, il semble que ce fondement ne soit pas assez solide. B. Les faiblesses de l’argument 78.- La faiblesse de l’argument se ressent d’abord à l’absence de développement théorique conséquent consacré à la question. Personne n’a jamais soutenu que l’équité soit le fondement principal du retour légal. L’équité peut se définir comme un principe qui commande de traiter également des choses égales et, par glissement, elle consiste en un effort pour rétablir l’égalité en traitant inégalement des choses inégales. C’est encore une modification, une atténuation apportée à la loi en considération de circonstances particulières.135 En cela elle correspond à la fonction de la succession anomale que constitue le droit de retour légal : corriger les effets de la dévolution légale ordinaire dans un cas particulier, celui du prédécès du donataire sans descendance, en permettant à une personne de succéder par priorité à un bien particulier en tenant compte de l’origine de ce bien. Mais à cela, il pouvait être rétorqué au législateur de 1804 qu’il semble curieux, après avoir posé à l’article 732 ancien un principe d’unité de la succession, de vouloir distinguer certains biens pour en régler différemment la dévolution. Est-ce vraiment équitable que le donateur reçoive parfois en plus de ses droits successoraux ordinaires une part de la succession sur laquelle il a des droits exclusifs ?136 On ne peut dès lors s’empêcher de penser que l’équité n’est pas le fondement profond du retour légal, il n’en est qu’un fondement superficiel. Cette impression est confortée lorsque l’on sait que l’équité peut aussi se définir comme un sentiment de justice. A ce sujet, le vocabulaire juridique précise qu’en ce sens l’équité est « une référence toujours suspecte d’arbitraire en raison de son caractère subjectif et pourtant irréductible ». A ce propos, relevons que dans l’arrêt Roux contre Ménard, il a été précisément reproché au droit de retour légal son manque d’équité face au conjoint survivant. Cela souligne la part de subjectivité que renferme la notion d’équité. Au 135 Définitions tirées du Vocabulaire juridique publié sous la direction de Gérard Cornu. 136 L’argument ne valait pas dans le cadre de l’article 766 ancien puisque les bénéficiaires du retour légal étaient privés de tout droit dans la succession ordinaire de leur collatéral naturel. Il ne valait pas non plus dans le cas où l’ascendant donateur de l’article 747 ancien était un ascendant ordinaire, en présence d’ascendants privilégiés. Mais il valait dans le cas le plus fréquent. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 82 - gré des évolutions de la société la notion d’équité change. Ce qui paraissait équitable en 1804 ne l’était déjà plus à la fin du XIXème. Peut-on baser une institution si ancienne que le retour légal sur une notion si mouvante et si subjective? La notion paraît trop fuyante pour former un fondement solide. 79.- Et s’il est un peu plus difficile de réfuter le fondement face aux nouveaux cas de retour parce que les dérogations à la loi nouvelle qu’ils instaurent semblent inspirées essentiellement par cette idée d’équité et à plus juste titre137, il n’en reste pas moins que le fondement demeure subjectif. Comment réagir face à un conjoint survivant auquel la loi reconnaît des droits importants ? Faut-il considérer encore une fois que le retour légal, institution voulue équitable, se révélerait inique lorsqu’elle prétendrait s’opposer au droit du conjoint et notamment à ses droits de subsistance ? Si ce fondement doit être jugé, au moins jusqu’en 2001, comme superficiel, c’est qu’il en cache un autre, plus profond, plus stable, et applicable sans discussion à tous les anciens cas de retour. Ce fondement retenu par la totalité de la doctrine est la conservation des biens dans la famille. Section 2. Le fondement retenu Sans hésitation, l’objectif de conservation des biens dans la famille a été le fondement longtemps incontesté du retour légal (§1). Cependant la législation récente donne l’impression qu’il s’y adapte assez mal. Il conviendra donc de rechercher dans quelle mesure ce fondement est encore valable aujourd’hui (§2). § 1. Le fondement longtemps incontesté 80.- Lorsque le conseiller Roulier rappelait en 1903 les cinq causes dans lesquelles le droit de retour légal de l’ancien article 747 trouvait son origine, il énonçait en dernier lieu la conservation des biens dans la famille. Il n’en reste pas moins que ce fondement est le moins contestable pour au moins deux raisons. 137 Cf. infra les développements sur la recherche de fondements nouveaux. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 85 - l’argument vaut aussi pour les autres fondements envisagés. Ainsi, par exemple, la volonté présumée du donateur cède-t-elle devant la volonté exprimée du défunt. La deuxième est que la loi permettait et permet toujours au donateur d’empêcher, en droit ou en fait, le donataire de disposer du bien donné soit en stipulant une clause d’inaliénabilité, soit en stipulant un droit de retour conventionnel. La troisième est que la conservation des biens dans la famille et partant le retour légal ne sont pas par principe d’ordre public et cela pour deux raisons : d’une part, la dévolution successorale anomale que constitue le retour légal est régie par ses propres règles qui ne contiennent pas de réserve héréditaire et d’autre part, l’objectif de conservation des biens dans la famille ne permet pas, à lui seul, d’ériger la règle à laquelle il sert de base en règle d’ordre public.141 Pour ces deux raisons il est normal que le retour légal ne soit que supplétif de volonté. Ajoutons qu’il aurait été choquant de qualifier d’ordre public un droit anomal, venant s’ajouter aux droits successoraux de son bénéficiaire.142 Cela aurait eu pour effet de diminuer considérablement la liberté testamentaire. Il résulte de ce qui précède que ce fondement familial de conservation des biens était parfaitement légitime même avec ses limites. Mieux, il était le seul fondement unanimement admis du retour légal. Au regard des nouveaux cas de retour, il convient de se demander si, aujourd’hui encore, la conservation des biens dans la famille peut servir de base au retour légal. § 2. Un fondement encore valable ? 83.- Un fondement encore valable ? La question, elle-même, semble tendancieuse en ce qu’elle insinue que ce qui fut incontesté pendant de longues années pourrait devenir à présent un fondement contestable (A). Et, force est de constater qu’à première vue les deux nouveaux cas de retour créés en 2001 et 2006 ne satisfont pas, ou alors imparfaitement, cet objectif de conservation des biens dans la famille. Pourtant, à mieux y regarder, il semble bien que, pour l’un d’entre eux du moins, la conservation des biens dans la famille ne soit pas si étrangère à l’apparition du texte. L’idée constituerait un fondement sous-jacent (B). 141 Notons toutefois que la conservation des biens dans la famille est un des fondements de la réserve héréditaire mais il n’est pas le seul. On peut y ajouter le devoir de famille ou la solidarité familiale. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 86 - A. un fondement contestable Le fondement de la conservation des biens dans la famille est à première vue contestable tant pour ce qui concerne l’article 757-3 que l’article 738-2. 84.- Comme il a été exposé plus haut, l’article 757-3 doit son existence à la volonté sénatoriale d’assurer la promotion du conjoint survivant tout en tenant compte de la famille par le sang. Notamment, il s’agissait de faire en sorte que les biens transmis au défunt à titre gratuit par sa famille reviennent à ses frères et sœurs ou à défaut à ses neveux et nièces, lorsqu’il ne laisse ni descendant ni ascendant privilégié pour lui succéder. L’objectif étant la conservation des biens dans la famille, la solution toute trouvée était l’instauration d’un droit de retour légal correspondant à cette hypothèse. Cependant, de prime abord, l’article 757-3 du Code civil, censé incarner cette volonté législative, donne l’impression d’un résultat en demi-teinte. En effet, selon cet article, les biens dits par simplification « de famille », sont dévolus pour moitié au conjoint et pour moitié aux collatéraux. Si de tels biens se retrouvent en nature dans la succession, une indivision naîtra immanquablement entre eux dès le décès. Naturellement, s’il existe plusieurs « biens de famille » ou si le bien en question est aisément divisible, la situation n’est guère problématique puisqu’un partage en nature sera facilement envisageable. Mais dans la majorité des cas, faute de pluralité de biens, c’est une indivision durable entre les collatéraux et le conjoint qui en naîtra. Cette conséquence est inévitable eu égard au type de biens susceptibles de retour. Quels sont les biens pour lesquels il sera relativement aisé de faire la preuve de leur origine ? Il s’agira d’immeubles donnés ou reçus par succession. Pour ce qui concerne les meubles, il sera beaucoup plus difficile de faire la preuve de leur origine. Ainsi, compte tenu de la constitution des patrimoines, bien souvent, un seul immeuble dans la succession entrera dans le champ d’application de l’article 757-3. Cette immeuble appartiendra alors en indivision à concurrence de moitié chacun aux 142 L’argument vaut uniquement lorsque le bénéficiaire du retour était aussi un héritier réservataire et à l’époque où le droit PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 87 - collatéraux et au conjoint. Il est alors possible d’en conclure sans mauvais jeu de mots que si l’objectif de ce texte était la conservation des biens dans la famille, force est de constater qu’il n’est qu’à moitié rempli. Dans la majorité des cas, ce n’est donc pas à la conservation des biens que le texte aboutira mais à la conservation d’une partie de la richesse familiale. On remarquera également que l’une des raisons en faveur de l’augmentation des droits du conjoint était de mettre fin à l’usufruit légal de ce dernier. Usufruit légal auquel il était reproché de créer entre le conjoint et les autres héritiers une relation durable qui risquait de ne pas être paisible. Or, créer une indivision entre ces mêmes personnes n’est pas plus propice à la paix des familles. Comme bien souvent l’indivision ne portera que sur un seul bien, une des seules issues possibles pour mettre fin à l’indivision sera la licitation. Il n’est qu’à imaginer les querelles à venir lorsque le conjoint souhaitera vendre sa quote-part indivise par exemple pour dégager des liquidités. Si les frères et sœurs n’ont pas les moyens de racheter la quote-part du conjoint, il y a fort à parier que le bien sera licité au profit d’un tiers acquéreur. Dans cette hypothèse qui n’est pas un cas d’école, l’objectif de conservation des biens dans la famille est loin d’être atteint. Le texte précipite alors le bien hors de la famille. 85.- Le même reproche peut être formulé à l’encontre de l’article 738-2. Ce prétendu droit de retour143, n’apparaît pas comme le moyen le plus efficace d’assurer la conservation des biens dans la famille, loin s’en faut. Plusieurs raisons s’opposent en effet à ce fondement. D’abord, lorsque le texte fixe l’assiette du droit, il renvoie assez maladroitement aux quotes-parts fixées au premier alinéa de l’article 738. Sans entrer pour l’instant dans les problèmes d’interprétation du texte, il faut noter que la loi admet une nouvelle fois que le retour puisse ne porter que sur une « quote-part » des biens en question. 144 De même, lorsque dans le deuxième alinéa, le texte pose une règle de non- cumul des droits légaux et du droit de retour, il prévoit l’imputation de la valeur de la « portion des biens » soumise au droit de retour sur les droits ab intestat ordinaires. de retour légal constituait sans aucun doute une véritable succession anomale obéissant à ses règles propres. 143 Contrairement à l’article 757-3, l’article 738-2 emploie expressément le mot « droit de retour » pour qualifier le droit qu’il crée au profit des père et mère. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 90 - Le troisième et dernier indice de ce que la conservation des biens dans la famille est au moins un fondement sous-jacent du droit de retour de l’article 757-3 tient aux bénéficiaires de ce droit. Le texte précise que la moitié des biens en cause est dévolue « aux frères et sœurs du défunt ou à leur descendants, eux-mêmes descendants du ou des parents prédécédés à l’origine de la transmission ». Autrement dit, seul les frères et sœurs germains peuvent se prévaloir dans tous les cas du droit de retour. Les utérins et les consanguins ne pourront s’en prévaloir que si l’auteur de la libéralité appartient à la branche maternelle pour les premiers, paternelle pour les seconds. Cela fait immanquablement penser à la maxime « Paterna paternis, materna maternis » et cela manifeste clairement l’intention d’assurer la conservation des biens dans la famille et même dans le lignage, c'est-à- dire dans la famille de laquelle ils proviennent.151 Cette manifestation est frappante lorsque l’on constate, toutes autres conditions étant par ailleurs réunies, qu’en présence d’un frère utérin, celui-ci sera privé de tout droit ab intestat par la présence du conjoint dès lors que le donateur était le père du défunt. Monsieur Leveneur ajoute que c’est là « la révélation éclatante du fondement de cette succession anomale : il ne s’agit pas d’équilibrer des vocations abstraites entre le ménage et le lignage, mais, par le retour de biens dans la branche maternelle ou paternelle d’où ils proviennent, d’assurer leur maintien dans cette famille bien précise ». Pour achever sa démonstration, le Professeur Leveneur souligne l’importance pratique de l’idée de conservation des biens dans les familles ainsi qu’en témoigne l’utilisation courante des pactes de préférence dans les partages ou les donations- partages. Il insiste également sur l’utilité, notamment économique, d’un tel droit de retour ayant pour fondement la conservation des biens dans la famille. Ainsi dans les sociétés familiales, la cohésion du groupe dirigeant ne sera pas trop mise à mal par l’intrusion du conjoint du défunt. Enfin, il termine en constatant qu’en l’absence d’un tel droit les nouvelles règles de dévolution auraient eu dans certains cas pour conséquence de favoriser la transmission des biens familiaux aux collatéraux du conjoint plutôt qu’aux frères et sœurs du défunt ce qui serait inexplicable voir absurde. 151 A ce sujet, voir L. Leveneur, ibidem, n°6, p. 192 et aussi S. Ferré-André, « Des droits supplétifs et impératifs du conjoint survivant dans la loi du 3 décembre 2001 », Defrénois 2002, art. 37572, n°32. Ces deux auteurs considèrent également que ce texte conserve une certaine idée de la fente entre collatéraux de l’ancien article 752. Toutefois, le mécanisme de la fente, contrairement à celui du retour légal, ne se préoccupe pas de l’origine des biens. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 91 - Aux termes de ces développements, l’idée de conservation des biens dans la famille apparaît en effet comme un fondement sérieux du retour légal actuel. Toutefois, la mise en œuvre que le texte fait de cette idée, en limitant le retour au profit des collatéraux à la moitié des biens en question, limite du même coup la portée du fondement.152 De fondement sérieux, il doit être rétrogradé au rang de fondement sous-jacent. Inexistant dans le cadre de l’article 738-2 et sous-jacent dans celui de l’article 757-3, le fondement tiré de la conservation des biens dans la famille doit être complété par de nouveaux fondements qu’il convient de rechercher à présent. Chapitre 2. La recherche de fondements nouveaux 88.- Au regard des fondements traditionnels, il vient d’être constaté que le droit de retour de l’article 738-2, n’est pas facilement justifiable. Tandis que celui de l’article 757-3 semble s’appuyer quelque peu sur le fondement de la conservation des biens dans la famille. Il ne faut pas s’en étonner outre mesure étant donné que les textes nouveaux innovent techniquement par rapport au droit de retour légal traditionnel. Il est normal que ce qui justifiait jadis l’institution ne soit plus en phase avec elle aujourd’hui. Il convient donc de trouver un fondement au premier et de renforcer le fondement du second. Dans cette recherche une première idée commune aux deux textes s’impose avec évidence : le retour légal serait source de compensation ou de contrepartie (Section 1). Deux autres idées paraissent être à la base du texte de l’article 738-2 : celle de maintien d’une certaine solidarité familiale ou, plus certainement, celle de conservation de la richesse familiale (Section 2). On pourrait même voir dans le droit de retour des père et mère, une sorte de rempart contre l’ingratitude. Naturellement, les fondements nouveaux qui vont être proposés ne sont pas incontestables. Mais souvenons nous qu’un texte est en général basé sur plusieurs fondements, souvent intrinsèquement critiquables, mais qui, ensemble, donnent un sens à la disposition en question. Rappelons aussi que les textes législatifs récents sont souvent le fruit de compromis et ne sont pas, de ce fait, à l’abri de contradictions. Il serait donc vain de vouloir trouver un unique fondement à ces textes compliqués au plan technique. 152 Cf. infra pour ce qui concerne la critique de cette idée de conservation des biens dans la famille dans le cadre de 757-3. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 92 - Section 1. Le retour légal, source de compensation 89.- L’idée que le retour légal serait désormais le moyen de compenser la perte d’un droit successoral par un membre de la famille du défunt se retrouve dans les deux nouveaux textes. Cette aspiration patente a été révélée par les travaux parlementaires. S’agissant de la genèse de l’article 757-3, rappelons simplement qu’il est le fruit de la sagesse sénatoriale, consciente de la nécessité de revaloriser les droits du conjoint survivant sans pour autant écarter la famille par le sang. C’est ainsi que les sénateurs ont souhaité, avant tout, que les biens transmis par héritage ou donation n’échappent pas à la famille du prédécédé en l’absence de descendant ou d’ascendant. Comme il a déjà été dit, le texte est le résultat d’un compromis scellé au sein d’une commission mixte paritaire, compromis dont l’objet a été, en réalité, d’atténuer pour les collatéraux privilégiés l’effet de leur éviction de la dévolution légale par le conjoint. S’agissant de l’article 738-2, Monsieur le garde des Sceaux affirmait devant la commission des lois le 17 janvier 2006 que : « Si l’Assemblée nationale souhaite supprimer la réserve des ascendants, le Gouvernement ne s’y opposera pas, à condition que soit créé un droit de retour légal à leur profit… ». Nous avons relevé plus haut qu’un double constat ressortait de cette phrase. D’une part, personne n’a contesté le principe de la suppression de la réserve. D’autre part, personne n’a discuté le besoin d’assortir cette suppression de la condition que soit créé un droit de retour légal. Ici, le débat n’a pas fait rage. En 2001 comme en 2006 le constat est le même : au travers des articles 757-3 et 738-2, le législateur, porté par des aspirations contraires, a eu la volonté de compenser, d’atténuer l’éviction des frères et sœurs du défunt de la dévolution ab intestat par le conjoint (§1), puis l’abrogation de la réserve de ses parents (§2). Il est alors nécessaire d’apprécier cette idée afin de rechercher si elle peut constituer un fondement sérieux. § 1. L’atténuation de la promotion du conjoint survivant PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 95 - un droit de retour sur les biens de famille dans leur entier. Mais c’était oublier que dans certains cas ces biens familiaux pouvaient représenter une part importante de la succession qui risquait alors d’échapper au conjoint. Il a donc fallu à nouveau transiger pour arriver à la solution que l’on connaît. Solution qui maintient la primauté du conjoint et qui permet de ne pas laisser totalement de côté les collatéraux privilégiés. Au fond, cette solution reprend les idées du Sénat en les réduisant au maximum : la première idée est l’instauration d’un droit de retour ; la seconde est l’application à ce mécanisme de la quote-part que les sénateurs souhaitaient accorder au départ aux collatéraux sur l’universalité des biens du défunt, soit la moitié. Sur les biens de famille au moins, les frères et sœurs recevront ce que les parents auraient reçu s’ils avaient survécu. Ce rappel de la discussion parlementaire aura permis de constater que le fondement premier du texte était bien le besoin de compenser l’éviction des collatéraux privilégiés de la dévolution ab intestat. Il conviendra de se demander plus loin si d’autres solutions plus simples et plus en phase avec le second objectif affiché de la conservation des biens dans la famille n’étaient pas envisageables. 92.- Deux observations pour conclure. Première observation, pour ce qui concerne l’article 757-3, la compensation qu’il représente a été discutée. Elle n’allait pas de soi alors que personne ne contestait sérieusement le besoin de revaloriser les droits du conjoint. Autrement dit, il a fallu argumenter sur l’intérêt du texte. Il en résulte deux conséquences : d’une part, on distingue quelque peu les fondements ayant servi de base au texte que sont la conservation des biens ou de la richesse dans la famille et la compensation. D’autre part, l’esprit de la loi exprimé par son titre étant l’augmentation des droits du conjoint159, on peut comprendre que la compensation soit plus faible que ce que les fondements auraient permis d’espérer. En revanche la compensation de l’article 738-2 s’est imposée comme une évidence dès le début de la discussion parlementaire alors que personne n’a contesté la suppression de la réserve des ascendants. Il en résulte, là aussi, deux conséquences : d’une part, le texte ayant moins fait débat, il est plus délicat de lui trouver un fondement autre que la compensation et d’autre part, il convient maintenant d’apprécier le bien-fondé de l’abrogation de l’institution de la réserve 159 Cf. N. Molfessis « Le titre des lois » in mélanges en l’honneur du Professeur Pierre Catala, éd. Juris-classeur 2001. PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 96 - pour déterminer la portée de la compensation mise en place par le texte. Si les arguments avancés plus haut pour justifier la suppression de la réserve des ascendants sont acceptables sans contestation possible, il faudra reconnaître une portée moindre à la compensation que si le principe de la suppression était contesté. En un mot, la réserve des ascendants devait-elle disparaître ? C’est à cette question qu’il sera répondu à présent. §2. L’atténuation de l’abrogation de la réserve des ascendants 93.- Les arguments qui ont eu raison de la réserve des ascendants ont déjà été présentés.160 Il s’agira ici de s’interroger sur cette abrogation. Mais avant de condamner ou défendre la réserve des ascendants il est indispensable de s’arrêter brièvement sur son histoire et ses fondements (A). Ensuite il sera important de rechercher les autres arguments invoqués à l’encontre de la réserve des ascendants, arguments qui auraient pu entraîner l’abrogation de la réserve des ascendants sans remords (B). Cette solution étant sans doute trop tranchée pour le législateur, il conviendra, dans un troisième temps, de rechercher si d’autres arguments ne pouvaient pas militer en faveur du maintien de l’institution. Ce raisonnement permettra d’apprécier ce qui est présenté comme une atténuation afin de déterminer la portée de cette atténuation et partant celle du fondement de la contrepartie, bref il sera question des remords que le législateur aurait pu éprouver à la suite de l’abrogation (C). A. Histoire et fondements de la réserve des ascendants On ne peut prétendre exposer les fondements d’une institution aussi ancienne sans présenter rapidement ses origines. La réserve héréditaire du Code civil (3) se trouve à la croisée du droit romain (1) et de l’ancien droit (2). 160 Cf. p. 69 et s. Rappelons rapidement que trois raisons principales étaient invoquées : l’accroissement de la liberté de disposer, la nécessité démographique et économique de lutter contre les successions remontantes et la composition actuelle PARIS Guillaume| Thèse de doctorat | décembre 2012 - 97 - 1. La légitime de droit romain 94.- En droit romain la succession était par principe testamentaire. Il revenait à chacun de disposer à sa guise de ses biens pour le jour de son décès. Ce n’était que dans le cas très exceptionnel où le défunt était décédé ab intestat que la loi organisait la dévolution des biens mais cette dévolution n’était pas impérative. Dans le même temps, le droit romain était conscient des possibles excès de cette liberté testamentaire absolue. C’est ainsi qu’en se basant sur des considérations patrimoniales et familiales, les juristes romains ont limité la volonté du testateur en utilisant deux techniques. La première technique était formelle et reposait sur le caractère public du testament. Il s’agissait de l’exhérédation. Elle consistait à exiger du pater familias souhaitant exhéréder ses proches parents une manifestation claire et publique de volonté. Par exemple, à l’époque classique, les fils devaient être exhérédés nominativement et individuellement.161 Les clauses d’exhérédation étant devenues de style dans les testaments et la publicité des formalités ayant disparue, cette technique s’est montrée rapidement insuffisante. C’est à la suite de scandales causés par des exhérédations régulières en la forme qu’est apparue une autre technique. Cette seconde technique était substantielle. Elle imposait au défunt de laisser une part de sa succession à ses proches parents. Dans un premier temps, à la fin de la République, le Tribunal des Centumvirs annula des testaments après avoir été saisi par des parents exhérédés réclamant l’hérédité par l’action en pétition d’hérédité. La cause de la nullité était la folie présumée du défunt qui avait, sans cause, exhérédé ses parents. Dans un second temps, la technique judiciaire fut normalisée par des rescrits impériaux et devint la « querela inofficiosi testamenti ». Au fondement de la folie, trop infâmant, fut substitué celui du manque de piété, « du manquement aux devoirs essentiels imposés par la morale familiale ».162 Cette action bénéficiait alors aux descendants et ascendants exhérédés en leur qualité de proche parent et leur permettait de faire tomber le testament dès lors qu’ils des patrimoines formés en grande partie d’acquêts qui, en présence d’un conjoint, rend plus contestable la réserve des ascendants. 161 A la différence des filles et petits-fils qui pouvaient être exhérédés globalement. 162 L’expression est de P.Ourliac et J. de Malafosse, Histoire du Droit Privé, t. 3 le Droit Familial, 1968, p. 328.
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved