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LES NUITS & POÈMES DIVERS, Examens de Littérature

Dès l'adolescence, Alfred de Musset fréquente le Cénacle de Charles Nodier. ... avaient déjà été créées, de même que les Nuits ou l'émouvant Souvenir,.

Typologie: Examens

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

DanieleFR
DanieleFR 🇫🇷

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Télécharge LES NUITS & POÈMES DIVERS et plus Examens au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! ALFRED DE MUSSET LES NUITS & POÈMES DIVERS Portrait de Musset par Charles Landelle 2 PRÉSENTATION Louis Charles Alfred de Musset-Pathay est né le 11 décembre 1810 à Paris, dans une famille très cultivée et aimante. Son père est un haut fonctionnaire et un homme de lettres. Alfred a un frère et une sœur. L'héritage intellectuel et littéraire de la famille est important, puisque le grand- père était poète, et le père spécialiste de Rousseau, un élément qui influencera l'écriture de Musset. Alfred de Musset entre au collège Henri IV à 9 ans, en 1819. Jusqu'en 1829, il étudie la médecine, le droit et la peinture, puis abandonne ses études par amour pour la littérature. Dès l'adolescence, Alfred de Musset fréquente le Cénacle de Charles Nodier. Il se lie d'amitié avec Sainte-Beuve et Vigny, tout en gardant ses distances avec Victor Hugo. Musset s'essaie à plusieurs disciplines, dont la musique, avant de se rabattre sur la littérature, en raison de dons évidents pour l'écriture. Il fait publier les Contes d'Espagne et d'Italie. A cette même période, sa réputation se fait à travers Paris : anticonformiste, provocateur, doué pour la littérature et au tempérament de dandy. En avril 1832, Musset est accablé par le décès de son père. Il se réfugie dans une carrière littéraire, en commençant par le théâtre. Après un échec retentissant, il laissera ce genre de côté jusqu'en 1847. Toutefois, il garde un certain amour pour le théâtre et continue de publier des pièces dans La Revue des Deux Mondes. Il publie aussi un conte oriental, Namouna. Musset voyage en Italie en novembre 1833, accompagné de George Sand. Cela lui inspire Lorenzaccio en 1834, chef-d'œuvre du drame romantique. En 1834, après une période de maladie, il publie la suite de son « Spectacle dans un fauteuil », qui comprend Les Caprices de Marianne, Fantasio (1834), On ne badine pas avec l'amour (1834), La Nuit vénitienne, Un caprice, Il ne faut jurer de rien... Parallèlement, Musset écrit des nouvelles et une autobiographie à peine voilée, La Confession d'un enfant du siècle. De 1835 à 1837, Musset écrit Les Nuits, chef d'œuvre lyrique du romantisme français. Elles font suite à sa rupture définitive avec George Sand. Il tombe ensuite amoureux de Caroline Jaubert, qui restera longtemps dans sa vie, y compris au travers d'une longue correspondance. En réalité, Musset va rencontrer et fréquenter de nombreuses femmes : Pauline Garcia, Rachel, Melle Despréaux, Louise Colet... Le 24 avril 1845, Musset est nommé chevalier de la Légion d'honneur aux côtés de Balzac. Il intègre l'Académie française sept ans plus tard, en 1852. La santé d'Alfred de Musset est de plus en plus fragile, car il est atteint d'une malformation cardiaque et est devenu alcoolique et débauché. A bout de forces, il décède le 2 mai 1857. Son œuvre nous est parvenue grâce notamment au rôle important de son frère Paul, qui a écrit des biographies, récupéré et fait rééditer plusieurs des œuvres de son frère, dont Les Caprices de Marianne ou La Mouche. Alfred de Musset a véritablement été l'enfant de son siècle. En intitulant l'un de ses poèmes Tristesse ou en contant la mort du désabusé Rolla, Musset n'a pas seulement exprimé sa souffrance, mais aussi celle de tous ces jeunes gens qu'on a excité avec des rêves de révolutions ou de gloire militaire, mais qui, en vérité, n'ont rien vécu d'autre que la réalité la plus plate. Plus que tout autre romantique, Musset a incarné l'effronterie et la fantaisie de la jeunesse. A vingt ans, il composait des pièces telle Venise ou cette Ballade à la lune dont on ne savait pas s'il s'agissait d'une œuvre du romantisme le plus pur ou, au contraire, d'une simple parodie. Mais bien rapidement le désenchantement s'est mêlé à la vivacité, et l'alcool, les mésaventures amoureuses et la maladie ont miné l'inspiration du poète. Pendant un temps encore, Musset réussit à faire de la douleur sa thématique préférée – il proclama avant Baudelaire une véritable esthétique de la souffrance, faisant même dire à sa Muse dans La Nuit de décembre que « les plus désespérés sont les 5 LA NUIT DE MAI Ce poème a été composé en mai 1835. La Muse s'y fait pressante comme si elle voulait forcer le poète à l'inspiration et, en effet, alors que Musset n'avait presque rien écrit dans les premiers mois de 1835, la seconde moitié de l'année fut très féconde. D'autre part, la Muse proclame ici la beauté de la souffrance (pensons aux célèbres vers : Les plus désespérés sont les chants les plus beaux, / Et j'en sais d'immortels qui sont de purs sanglots.), affirmation caractéristique de la pensée de Musset. LA MUSE Poète, prends ton luth et me donne un baiser; La fleur de l'églantier sent ses bourgeons éclore, Le printemps naît ce soir; les vents vont s'embraser; Et la bergeronnette, en attendant l'aurore, Aux premiers buissons verts commence à se poser. Poète, prends ton luth, et me donne un baiser. LE POÈTE Comme il fait noir dans la vallée ! J'ai cru qu'une forme voilée Flottait là-bas sur la forêt. Elle sortait de la prairie; Son pied rasait l'herbe fleurie; C'est une étrange rêverie; Elle s'efface et disparaît. LA MUSE Poète, prends ton luth; la nuit, sur la pelouse, Balance le zéphyr dans son voile odorant. La rose, vierge encor, se referme jalouse Sur le frelon nacré qu'elle enivre en mourant. Écoute ! tout se tait; songe à ta bien-aimée. Ce soir, sous les tilleuls, à la sombre ramée Le rayon du couchant laisse un adieu plus doux. Ce soir, tout va fleurir : l'immortelle nature Se remplit de parfums, d'amour et de murmure, Comme le lit joyeux de deux jeunes époux. LE POÈTE Pourquoi mon cœur bat-il si vite ? Qu'ai-je donc en moi qui s'agite Dont je me sens épouvanté ? Ne frappe-t-on pas à ma porte ? Pourquoi ma lampe à demi morte M'éblouit-elle de clarté ? Dieu puissant ! tout mon corps frissonne. 6 Qui vient ? qui m'appelle ? – Personne. Je suis seul; c'est l'heure qui sonne; O solitude ! ô pauvreté ! LA MUSE Poète, prends ton luth; le vin de la jeunesse Fermente cette nuit dans les veines de Dieu. Mon sein est inquiet; la volupté l'oppresse, Et les vents altérés m'ont mis la lèvre en feu. O paresseux enfant ! regarde, je suis belle. Notre premier baiser, ne t'en souviens-tu pas, Quand je te vis si pâle au toucher de mon aile, Et que, les yeux en pleurs, tu tombas dans mes bras ? Ah ! je t'ai consolé d'une amère souffrance Hélas ! bien jeune encor, tu te mourais d'amour. Console-moi ce soir, je me meurs d'espérance; J'ai besoin de prier pour vivre jusqu'au jour. LE POÈTE Est-ce toi dont la voix m'appelle, O ma pauvre Muse ! est-ce toi ? O ma fleur ! ô mon immortelle ! Seul être pudique et fidèle Où vive encor l'amour de moi ! Oui, te voilà, c'est toi, ma blonde, C'est toi, ma maîtresse et ma sœur ! Et je sens, dans la nuit profonde, De ta robe d'or qui m'inonde Les rayons glisser dans mon cœur. LA MUSE Poète, prends ton luth; c'est moi, ton immortelle, Qui t'ai vu cette nuit triste et silencieux, Et qui, comme un oiseau que sa couvée appelle, Pour pleurer avec toi descends du haut des cieux. Viens, tu souffres, ami. Quelque ennui solitaire Te ronge, quelque chose a gémi dans ton cœur; Quelque amour t'est venu, comme on en voit sur terre, Une ombre de plaisir, un semblant de bonheur. Viens, chantons devant Dieu; chantons dans tes pensées, Dans tes plaisirs perdus, dans tes peines passées; Partons, dans un baiser, pour un monde inconnu. Éveillons au hasard les échos de ta vie, Parlons-nous de bonheur, de gloire et de folie, Et que ce soit un rêve, et le premier venu. Inventons quelque part les lieux où l'on oublie; Partons, nous sommes seuls, l'univers est à nous. Voici la verte Écosse et la brune Italie, Et la Grèce, ma mère, où le miel est si doux, Argos, et Ptéléon, ville des hécatombes, 7 Et Messa la divine, agréable aux colombes; Et le front chevelu du Pélion changeant; Et le bleu Titarèse, et le golfe d'argent Qui montre dans ses eaux, où le cygne se mire, La blanche Oloossone à la blanche Camyre. Dis-moi, quel songe d'or nos chants vont-ils bercer ? D'où vont venir les pleurs que nous allons verser ? Ce matin, quand le jour a frappé ta paupière, Quel séraphin pensif, courbé sur ton chevet, Secouait des lilas dans sa robe légère, Et te contait tout bas les amours qu'il rêvait ? Chanterons-nous l'espoir, la tristesse ou la joie ? Tremperons-nous de sang les bataillons d'acier ? Suspendrons-nous l'amant sur l'échelle de soie ? Jetterons-nous au vent l'écume du coursier ? Dirons-nous quelle main, dans les lampes sans nombre De la maison céleste, allume nuit et jour L'huile sainte de vie et d'éternel amour ? Crierons-nous à Tarquin: « Il est temps, voici l'ombre ! » Descendrons-nous cueillir la perle au fond des mers ? Mènerons-nous la chèvre aux ébéniers amers ? Montrerons-nous le ciel à la Mélancolie ? Suivrons-nous le chasseur sur les monts escarpés ? La biche le regarde; elle pleure et supplie; Sa bruyère l'attend; ses faons sont nouveau-nés; Il se baisse, il l'égorge, il jette à la curée Sur les chiens en sueur son cœur encor vivant. Peindrons-nous une vierge à la joue empourprée, S'en allant à la messe, un page la suivant, Et d'un regard distrait, à côté de sa mère, Sur la lèvre entrouverte oubliant sa prière ? Elle écoute en tremblant, dans l'écho du pilier, Résonner l'éperon d'un hardi cavalier. Dirons-nous aux héros des vieux temps de la France De monter tout armés aux créneaux de leurs tours, Et de ressusciter la naïve romance Que leur gloire oubliée apprit aux troubadours ? Vêtirons-nous de blanc une molle élégie ? L'homme de Waterloo nous dira-t-il sa vie, Et ce qu'il a fauché du troupeau des humains Avant que l'envoyé de la nuit éternelle Vînt sur son tertre vert l'abattre d'un coup d'aile, Et sur son cœur de fer lui croiser les deux mains ? Clouerons-nous au poteau d'une satire altière Le nom sept fois vendu d'un pâle pamphlétaire, Qui, poussé par la faim, du fond de son oubli, S'en vient, tout grelottant d'envie et d'impuissance, Sur le front du génie insulter l'espérance, Et mordre le laurier que son souffle a sali ? Prends ton luth ! prends ton luth ! je ne peux plus me taire; Mon aile me soulève au souffle du printemps. 10 LA NUIT DE DÉCEMBRE Cette œuvre a été publiée pour la première fois en décembre 1835, dans La Revue des Deux Mondes. Le frère qu'évoque continuellement le poème est naturellement le double de Musset lui- même. Remarquons au passage que ce frère est chaque fois caractérisé par un objet pouvant symboliser une partie de la vie du poète. LE POÈTE Du temps que j'étais écolier, Je restais un soir à veiller Dans notre salle solitaire. Devant ma table vint s'asseoir Un pauvre enfant vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Son visage était triste et beau A la lueur de mon flambeau, Dans mon livre ouvert il vint lire. II pencha son front sur ma main, Et resta jusqu'au lendemain, Pensif, avec un doux sourire. Comme j'allais avoir quinze ans, Je marchais un jour, à pas lents, Dans un bois, sur une bruyère. Au pied d'un arbre vint s'asseoir, Un jeune homme vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Je lui demandai mon chemin; Il tenait un luth d'une main, De l'autre un bouquet d'églantine. Il me fit un salut d'ami, Et, se détournant à demi, Me montra du doigt la colline. A l'âge où l'on croit à l'amour, J'étais seul dans ma chambre un jour, Pleurant ma première misère. Au coin de mon feu vint s'asseoir Un étranger vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il était morne et soucieux; D'une main il montrait les cieux, Et de l'autre il tenait un glaive. De ma peine il semblait souffrir, Mais il ne poussa qu'un soupir, Et s'évanouit comme un rêve. A l'âge où l'on est libertin, Pour boire un toast en un festin, Un jour je soulevai mon verre. 11 En face de moi vint s'asseoir Un convive vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Il secouait sous son manteau Un haillon de pourpre en lambeau, Sur sa tête un myrte stérile. Son bras maigre cherchait le mien, Et mon verre, en touchant le sien, Se brisa dans ma main débile. Un an après, il était nuit; J'étais à genoux près du lit Où venait de mourir mon père. Au chevet du lit vint s'asseoir Un orphelin vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Ses yeux étaient noyés de pleurs; Comme les anges de douleurs, Il était couronné d'épine; Son luth à terre était gisant, Sa pourpre de couleur de sang, Et son glaive dans sa poitrine. Je m'en suis si bien souvenu, Que je l'ai toujours reconnu A tous les instants de ma vie. C'est une étrange vision, Et cependant, ange ou démon, J'ai vu partout cette ombre amie. Lorsque plus tard, las de souffrir, Pour renaître ou pour en finir, J'ai voulu m'exiler de France; Lorsqu'impatient de marcher, J'ai voulu partir, et chercher Les vestiges d'une espérance; A Pise, au pied de l'Apennin; A Cologne, en face du Rhin; A Nice, au penchant des vallées; A Florence, au fond des palais; A Brigues, dans les vieux chalets; Au sein des Alpes désolées; A Gênes, sous les citronniers; A Vevay, sous les verts pommiers; Au Havre, devant l'Atlantique; A Venise, à l'affreux Lido, Où vient sur l'herbe d'un tombeau Mourir la pâle Adriatique; Partout où, sous ces vastes cieux, J'ai lassé mon cœur et mes yeux, Saignant d'une éternelle plaie; 12 Partout où le boiteux Ennui, Traînant ma fatigue après lui, M'a promené sur une claie; Partout où, sans cesse altéré De la soif d'un monde ignoré, J'ai suivi l'ombre de mes songes; Partout où, sans avoir vécu, J'ai revu ce que j'avais vu, La face humaine et ses mensonges; Partout où, le long des chemins, J'ai posé mon front dans mes mains, Et sangloté comme une femme; Partout où j'ai, comme un mouton, Qui laisse sa laine au buisson, Senti se dénuer mon âme; Partout où j'ai voulu dormir, Partout où j'ai voulu mourir, Partout où j'ai touché la terre, Sur ma route est venu s'asseoir Un malheureux vêtu de noir, Qui me ressemblait comme un frère. Qui donc es-tu, toi que dans cette vie Je vois toujours sur mon chemin ? Je ne puis croire, à ta mélancolie, Que tu sois mon mauvais Destin. Ton doux sourire a trop de patience, Tes larmes ont trop de pitié. En te voyant, j'aime la Providence. Ta douleur même est sœur de ma souffrance; Elle ressemble à l'Amitié. Qui donc es-tu ? - Tu n'es pas mon bon ange, Jamais tu ne viens m'avertir. Tu vois mes maux (c'est une chose étrange !) Et tu me regardes souffrir. Depuis vingt ans tu marches dans ma voie, Et je ne saurais t'appeler. Qui donc es-tu, si c'est Dieu qui t'envoie ? Tu me souris sans partager ma joie, Tu me plains sans me consoler ! Ce soir encor je t'ai vu m'apparaître. C'était par une triste nuit. L'aile des vents battait à ma fenêtre; J'étais seul, courbé sur mon lit. J'y regardais une place chérie, Tiède encor d'un baiser brûlant; Et je songeais comme la femme oublie, Et je sentais un lambeau de ma vie Qui se déchirait lentement. 15 LA NUIT D’AOÛT Ce poème a été publié pour la première fois dans l'édition d'août 1836 de La Revue des Deux Mondes. Cette pièce a été composée pendant une période où Musset préférait les joies de la vie réelle au travail poétique, et c'est justement cela que la Muse reproche ici à l'écrivain. LA MUSE Depuis que le soleil, dans l'horizon immense, A franchi le Cancer sur son axe enflammé, Le bonheur m'a quittée, et j'attends en silence L'heure où m'appellera mon ami bien-aimé. Hélas ! depuis longtemps sa demeure est déserte; Des beaux jours d'autrefois rien n'y semble vivant. Seule, je viens encor, de mon voile couverte, Poser mon front brûlant sur sa porte entrouverte, Comme une veuve en pleurs au tombeau d'un enfant. LE POÈTE Salut à ma fidèle amie ! Salut, ma gloire et mon amour ! La meilleure et la plus chérie Est celle qu'on trouve au retour. L'opinion et l'avarice Viennent un temps de m'emporter. Salut, ma mère et ma nourrice ! Salut, salut, consolatrice ! Ouvre tes bras, je viens chanter. LA MUSE Pourquoi, cœur altéré, cœur lassé d'espérance, T'enfuis-tu si souvent pour revenir si tard ? Que t'en vas-tu chercher, sinon quelque hasard ? Et que rapportes-tu, sinon quelque souffrance ? Que fais-tu loin de moi, quand j'attends jusqu'au jour ? Tu suis un pâle éclair dans une nuit profonde. Il ne te restera de tes plaisirs du monde Qu'un impuissant mépris pour notre honnête amour. Ton cabinet d'étude est vide quand j'arrive; Tandis qu'à ce balcon, inquiète et pensive, Je regarde en rêvant les murs de ton jardin, Tu te livres dans l'ombre à ton mauvais destin. Quelque fière beauté te retient dans sa chaîne, Et tu laisses mourir cette pauvre verveine Dont les derniers rameaux, en des temps plus heureux, Devaient être arrosés des larmes de tes yeux. Cette triste verdure est mon vivant symbole; Ami, de ton oubli nous mourrons toutes deux, 16 Et son parfum léger, comme l'oiseau qui vole, Avec mon souvenir s'enfuira dans les cieux. LE POÈTE Quand j'ai passé par la prairie, J'ai vu, ce soir, dans le sentier, Une fleur tremblante et flétrie, Une pâle fleur d'églantier. Un bourgeon vert à côté d'elle Se balançait sur l'arbrisseau; Je vis poindre une fleur nouvelle; La plus jeune était la plus belle L'homme est ainsi, toujours nouveau. LA MUSE Hélas ! toujours un homme, hélas ! toujours des larmes ! Toujours les pieds poudreux et la sueur au front ! Toujours d'affreux combats et de sanglantes armes; Le cœur a beau mentir, la blessure est au fond. Hélas ! par tous pays, toujours la même vie Convoiter, regretter, prendre et tendre la main; Toujours mêmes acteurs et même comédie, Et, quoi qu'ait inventé l'humaine hypocrisie, Rien de vrai là-dessous que le squelette humain. Hélas ! mon bien-aimé, vous n'êtes plus poète. Rien ne réveille plus votre lyre muette; Vous vous noyez le cœur dans un rêve inconstant; Et vous ne savez pas que l'amour de la femme Change et dissipe en peurs les trésors de votre âme, Et que Dieu compte plus les larmes que le sang. LE POÈTE Quand j'ai traversé la vallée, Un oiseau chantait sur son nid. Ses petits, sa chère couvée, Venaient de mourir dans la nuit. Cependant il chantait l'aurore; O ma Muse, ne pleurez pas ! A qui perd tout, Dieu reste encore, Dieu là-haut, l'espoir ici-bas. LA MUSE Et que trouveras-tu, le jour où la misère Te ramènera seul au paternel foyer ? Quand tes tremblantes mains essuieront la poussière De ce pauvre réduit que tu crois oublier, De quel front viendras-tu, dans ta propre demeure, Chercher un peu de calme et d'hospitalité ? Une voix sera là pour crier à toute heure Qu'as-tu fait de ta vie et de ta liberté ? 17 Crois-tu donc qu'on oublie autant qu'on le souhaite ? Crois-tu qu'en te cherchant tu te retrouveras ? De ton cœur ou de toi lequel est le poète ? C'est ton cœur, et ton cœur ne te répondra pas. L'amour l'aura brisé; les passions funestes L'auront rendu de pierre au contact des méchants; Tu n'en sentiras plus que d'effroyables restes, Qui remueront encor, comme ceux des serpents. O ciel ! qui t'aidera ? que ferai-je moi-même, Quand celui qui peut tout défendra que je t'aime, Et quand mes ailes d'or, frémissant malgré moi, M'emporteront à lui pour me sauver de toi ? Pauvre enfant ! nos amours n'étaient pas menacées, Quand dans les bois d'Auteuil, perdu dans tes pensées, Sous les verts marronniers et les peupliers blancs, Je t'agaçais le soir en détours nonchalants. Ah ! j'étais jeune alors et nymphe, et les dryades Entrouvraient pour me voir l'écorce des bouleaux, Et les pleurs qui coulaient durant nos promenades Tombaient, purs comme l'or, dans le cristal des eaux. Qu'as-tu fait, mon amant, des jours de ta jeunesse ? Qui m'a cueilli mon fruit sur mon arbre enchanté ? Hélas ! ta joue en fleur plaisait à la déesse Qui porte dans ses mains la force et la santé. De tes yeux insensés les larmes l'ont pâlie; Ainsi que ta beauté, tu perdras ta vertu. Et moi qui t'aimerai comme une unique amie, Quand les dieux irrités m'ôteront ton génie, Si je tombe des cieux, que me répondras-tu ? LE POÈTE Puisque l'oiseau des bois voltige et chante encore Sur la branche où ses veufs sont brisés dans le nid; Puisque la fleur des champs entrouverte à l'aurore, Voyant sur la pelouse une autre fleur éclore, S'incline sans murmure et tombe avec la nuit; Puisqu'au fond des forêts, sous les toits de verdure, On entend le bois mort craquer dans le sentier, Et puisqu'en traversant l'immortelle nature, L'homme n'a su trouver de science qui dure, Que de marcher toujours et toujours oublier; Puisque, jusqu'aux rochers, tout se change en poussière; Puisque tout meurt ce soir pour revivre demain; Puisque c'est un engrais que le meurtre et la guerre; Puisque sur une tombe on voit sortir de terre Le brin d'herbe sacré qui nous donne le pain; O Muse ! que m'importe ou la mort ou la vie ? J'aime, et je veux pâlir; j'aime, et je veux souffrir; J'aime, et pour un baiser je donne mon génie; 20 LA MUSE Avant de me dire ta peine, O poète ! en es-tu guéri ? Songe qu'il t'en faut aujourd'hui Parler sans amour et sans haine. S'il te souvient que j'ai reçu Le doux nom de consolatrice, Ne fais pas de moi la complice Des passions qui t'ont perdu. LE POÈTE Je suis si bien guéri de cette maladie, Que j'en doute parfois lorsque j'y veux songer; Et quand je pense aux lieux où j'ai risqué ma vie, J'y crois voir à ma place un visage étranger. Muse, sois donc sans crainte; au souffle qui t'inspire Nous pouvons sans péril tous deux nous confier. Il est doux de pleurer, il est doux de sourire Au souvenir des maux qu'on pourrait oublier. LA MUSE Comme une mère vigilante Au berceau d'un fils bien-aimé, Ainsi je me penche tremblante Sur ce cœur qui m'était fermé. Parle, ami, – ma lyre attentive D'une note faible et plaintive Suit déjà l'accent de ta voix, Et dans un rayon de lumière, Comme une vision légère, Passent les ombres d'autrefois. LE POÈTE Jours de travail ! seuls jours où j'ai vécus ! O trois fois chère solitude ! Dieu soit loué, j'y suis donc revenu, A ce vieux cabinet d'études ! Pauvre réduit, murs tant de fois déserts, Fauteuils poudreux, lampe fidèle, O mon palais, mon petit univers, Et toi, Muse, ô jeune immortelle, Dieu soit loué, nous allons donc chanter ! Oui, je veux vous ouvrir mon âme, Vous saurez tout, et je vais vous conter Le mal que peut faire une femme; Car c'en est une, ô mes pauvres amis (Hélas ! vous le saviez peut-être), C'est une femme à qui je fus soumis, Comme le serf l'est à son maître. Joug détesté ! c'est par là que mon cœur 21 Perdit sa force et sa jeunesse; Et cependant, auprès de ma maîtresse, J'avais entrevu le bonheur. Près du ruisseau, quand nous marchions ensemble, Le soir, sur le sable argentin, Quand devant nous le blanc spectre du tremble De loin nous montrait le chemin; Je vois encore, aux rayons de la lune, Ce beau corps plier dans mes bras... N'en parlons plus... – je ne prévoyais pas Où me conduirait la Fortune. Sans doute alors la colère des dieux Avait besoin d'une victime; Car elle m'a puni comme d'un crime D'avoir essayé d'être heureux. LA MUSE L'image d'un doux souvenir Vient de s'offrir à ta pensée. Sur la trace qu'il a laissée Pourquoi crains-tu de revenir ? Est-ce faire un récit fidèle Que de renier ses beaux jours ? Si ta fortune fut cruelle, Jeune homme, fais du moins comme elle, Souris à tes premiers amours. LE POÈTE Non, – c'est à mes malheurs que je prétends sourire. Muse, je te l'ai dit : je veux, sans passion, Te conter mes ennuis, mes rêves, mon délire, Et t'en dire le temps, l'heure et l'occasion. C'était, il m'en souvient, par une nuit d'automne, Triste et froide, à peu près semblable à celle-ci; Le murmure du vent, de son bruit monotone, Dans mon cerveau lassé berçait mon noir souci. J'étais à la fenêtre, attendant ma maîtresse; Et, tout en écoutant dans cette obscurité, Je me sentais dans l'âme une telle détresse, Qu'il me vint le soupçon d'une infidélité. La rue où je logeais était sombre et déserte; Quelques ombres passaient, un falot à la main; Quand la bise sifflait dans la porte entrouverte, On entendait de loin comme un soupir humain. Je ne sais, à vrai dire, à quel fâcheux présage Mon esprit inquiet alors s'abandonna. Je rappelais en vain un reste de courage, Et me sentis frémir lorsque l'heure sonna. Elle ne venait pas. Seul, la tête baissée, Je regardai longtemps les murs et le chemin, Et je ne t'ai pas dit quelle ardeur insensée 22 Cette inconstante femme allumait en mon sein; Je n'aimais qu'elle au monde, et vivre un jour sans elle Me semblait un destin plus affreux que la mort. Je me souviens pourtant qu'en cette nuit cruelle Pour briser mon lien je fis un long effort. Je la nommai cent fois perfide et déloyale, Je comptai tous les maux qu'elle m'avait causés. Hélas ! au souvenir de sa beauté fatale, Quels maux et quels chagrins n'étaient pas apaisés ! Le jour parut enfin. – Las d'une vaine attente, Sur le bord du balcon je m'étais assoupi; Je rouvris la paupière à l'aurore naissante, Et je laissai flotter mon regard ébloui. Tout à coup, au détour de l'étroite ruelle, J'entends sur le gravier marcher à petit bruit... Grand Dieu ! préservez-moi ! je l'aperçois, c'est elle; Elle entre. – D'où viens-tu ? Qu'as-tu fait cette nuit ? Réponds, que me veux-tu ? qui t'amène à cette heure ? Ce beau corps, Jusqu'au jour, où s'est-il étendu ? Tandis qu'à ce balcon, seul, je veille et je pleure, En quel lieu, dans quel lit, à qui souriais-tu ? Perfide ! audacieuse ! est-il encor possible Que tu viennes offrir ta bouche à mes baisers ? Que demandes-tu donc ? par quelle soif horrible Oses-tu m'attirer dans tes bras épuisés ? Va-t'en, retire-toi, spectre de ma maîtresse ! Rentre dans ton tombeau, si tu t'en es levé; Laisse-moi pour toujours oublier ma jeunesse, Et, quand je pense à toi, croire que j'ai rêvé ! LA MUSE Apaise-toi, je t'en conjure; Tes paroles m'ont fait frémir. O mon bien-aimé ! ta blessure Est encor prête à se rouvrir. Hélas ! elle est donc bien profonde ? Et les misères de ce monde Sont si lentes à s'effacer ! Oublie, enfant, et de ton âme Chasse le nom de cette femme, Que je ne veux pas prononcer. LE POÈTE Honte à toi qui la première M'as appris la trahison, Et d'horreur et de colère M'as fait perdre la raison Honte à toi, femme à l'œil sombre, Dont les funestes amours Ont enseveli dans l'ombre Mon printemps et mes beaux jours ! 25 LE POÈTE Tu dis vrai : la haine est impie, Et c'est un frisson plein d'horreur Quand cette vipère assoupie Se déroule dans notre cœur. Écoute-moi donc, ô déesse ! Et sois témoin de mon serment Par les yeux bleus de ma maîtresse, Et par l'azur du firmament; Par cette étincelle brillante Qui de Vénus porte le nom, Et, comme une perle tremblante, Scintille au loin sur l'horizon; Par la grandeur de la nature, Par la bonté du Créateur, Par la clarté tranquille et pure De l'astre cher au voyageur, Par les herbes de la prairie, Par les forêts, par les prés verts, Par la puissance de la vie, Par la sève de l'univers, Je te bannis de ma mémoire, Reste d'un amour insensé, Mystérieuse et sombre histoire Qui dormiras dans le passé ! Et toi qui, jadis, d'une amie Portas la forme et le doux nom, L'instant suprême où je t'oublie Doit être celui du pardon. Pardonnons-nous; – je romps le charme Qui nous unissait devant Dieu. Avec une dernière larme Reçois un éternel adieu. – Et maintenant, blonde rêveuse, Maintenant, Muse, à nos amours Dis-moi quelque chanson joyeuse, Comme au premier temps des beaux jours. Déjà la pelouse embaumée Sent les approches du matin; Viens éveiller ma bien-aimée, Et cueillir les fleurs du jardin. Viens voir la nature immortelle Sortir des voiles du sommeil; Nous allons renaître avec elle Au premier rayon du soleil ! 26 L’ANDALOUSE Dans une première version, ce poème s'intitulait Barcelone. Par ailleurs, ce poème était célèbre au 19ème siècle, et à la fois Balzac, dans La Maison Nucingen, et Flaubert, dans L'Éducation sentimentale, y firent allusion. Avez-vous vu, dans Barcelone Une Andalouse au sein bruni ? Pâle comme un beau soir d'automne ! C'est ma maîtresse, ma lionne ! La marquesa d'Amaëgui. J'ai fait bien des chansons pour elle; Je me suis battu bien souvent. Bien souvent j'ai fait sentinelle, Pour voir le coin de sa prunelle, Quand son rideau tremblait au vent. Elle est à moi, moi seul au monde. Ses grands sourcils noirs sont à moi, Son corps souple et sa jambe ronde, Sa chevelure qui l'inonde, Plus longue qu'un manteau de roi ! C'est à moi son beau col qui penche Quand elle dort dans son boudoir, Et sa basquina sur sa hanche, Son bras dans sa mitaine blanche, Son pied dans son brodequin noir ! Vrai Dieu ! Lorsque son œil pétille Sous la frange de ses réseaux, Rien que pour toucher sa mantille, De par tous les saints de Castille, On se ferait rompre les os. Qu'elle est superbe en son désordre, Quand elle tombe, les seins nus, Qu'on la voit, béante, se tordre Dans un baiser de rage, et mordre En criant des mots inconnus ! Et qu'elle est folle dans sa joie, Lorsqu'elle chante le matin, Lorsqu'en tirant son bas de soie, Elle fait, sur son flanc qui ploie, Craquer son corset de satin ! Allons, mon page, en embuscades ! Allons ! la belle nuit d'été ! Je veux ce soir des sérénades A faire damner les alcades De Tolose au Guadalété ! 27 VENISE Ce poème a été composé vers 1828. Musset en composa une nouvelle version pour qu'elle soit mise en musique par Gounod. Dans Venise la rouge, Pas un bateau qui bouge, Pas un pêcheur dans l'eau, Pas un falot. Seul, assis à la grève, Le grand lion soulève, Sur l'horizon serein, Son pied d'airain. Autour de lui, par groupes, Navires et chaloupes, Pareils à des hérons Couchés en ronds, Dorment sur l'eau qui fume, Et croisent dans la brume, En légers tourbillons, Leurs pavillons. La lune qui s'efface Couvre son front qui passe D'un nuage étoilé Demi-voilé. Ainsi, la dame abbesse De Sainte-Croix rabaisse Sa cape aux larges plis Sur son surplis. Et les palais antiques, Et les graves portiques, Et les blancs escaliers Des chevaliers, Et les ponts, et les rues, Et les mornes statues, Et le golfe mouvant Qui tremble au vent, Tout se tait, fors les gardes Aux longues hallebardes, Qui veillent aux créneaux Des arsenaux. – Ah ! maintenant plus d'une Attend, au clair de lune, Quelque jeune muguet, L'oreille au guet. 30 Tu n'en es que la face, Et déjà, tout ridé, S'efface Ton front dépossédé. Rends-nous la chasseresse, Blanche, au sein virginal, Qui presse Quelque cerf matinal ! Oh ! sous le vert platane, Sous les frais coudriers, Diane, Et ses grands lévriers ! Le chevreau noir qui doute, Pendu sur un rocher, L'écoute, L'écoute s'approcher. Et, suivant leurs curées, Par les vaux, par les blés, Les prées, Ses chiens s'en sont allés. Oh ! le soir, dans la brise, Phoebé, sœur d'Apollo, Surprise A l'ombre, un pied dans l'eau ! Phoebé qui, la nuit close, Aux lèvres d'un berger Se pose, Comme un oiseau léger. Lune, en notre mémoire, De tes belles amours L'histoire T'embellira toujours. Et toujours rajeunie, Tu seras du passant Bénie, Pleine lune ou croissant. T'aimera le vieux pâtre, Seul, tandis qu'à ton front D'albâtre Ses dogues aboieront. T'aimera le pilote Dans son grand bâtiment, Qui flotte, Sous le clair firmament ! Et la fillette preste Qui passe le buisson, 31 Pied leste, En chantant sa chanson. Comme un ours à la chaîne, Toujours sous tes yeux bleus Se traîne L'Océan monstrueux. Et qu'il vente ou qu'il neige, Moi-même, chaque soir, Que fais-je, Venant ici m'asseoir ? Je viens voir à la brune, Sur le clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. Peut-être quand déchante Quelque pauvre mari, Méchante, De loin tu lui souris. Dans sa douleur amère, Quand au gendre béni La mère Livre la clef du nid, Le pied dans sa pantoufle, Voilà l'époux tout prêt Qui souffle Le bougeoir indiscret. Au pudique hyménée La vierge qui se croit Menée, Grelotte en son lit froid, Mais monsieur tout en flamme Commence à rudoyer Madame, Qui commence à crier. « Ouf ! dit-il, je travaille, Ma bonne, et ne fais rien Qui vaille; Tu ne te tiens pas bien. » Et vite il se dépêche. Mais quel démon caché L'empêche De commettre un péché ? « Ah ! dit-il, prenons garde. Quel témoin curieux Regarde Avec ces deux grands yeux ? » 32 Et c'est, dans la nuit brune, Sur son clocher jauni, La lune Comme un point sur un i. 35 Venez ! la nuit est triste et la lampe joyeuse ! Blonde ou noire, venez; nonchalante ou rieuse, Cœur naïf ou changeant Venez ! nous verserons des roses dans ma couche; Car les parfums sont doux ! Et la sultane, au soir, se parfume la bouche Lorsqu'elle va quitter sa robe et sa babouche Pour son lit de bambous ! Hélas ! de belles nuits le ciel nous est avare Autant que de beaux jours ! Entendez-vous gémir la harpe de Ferrare, Et sous des doigts divins palpiter la guitare ? Venez, ô mes amours ! Mais rien ne reste plus que l'ombre froide et nue, Où craquent les cloisons. J'entends des chats hurler, comme un enfant qu'on tue; Et la lune en croissant découpe, dans la rue, Les angles des maisons. 36 SOUVENIR Ce poème a été publié pour la première fois, dans La Revue des Deux Mondes le 15 février 1841. L'œuvre a été inspirée d'une promenade que Musset fit dans la forêt de Fontainebleau, là où il avait souvent marché en compagnie de George Sand. C'est donc un poème sur la nature et la beauté des souvenirs que le poète a composé ici. On remarquera par ailleurs que cette pièce se rapproche beaucoup par ses thèmes et sa forme (cf. les quatrains formés de trois alexandrins et d'un vers de six pieds) du Lac de Lamartine. J'espérais bien pleurer, mais je croyais souffrir En osant te revoir, place à jamais sacrée, O la plus chère tombe et la plus ignorée Où dorme un souvenir ! Que redoutiez-vous donc de cette solitude, Et pourquoi, mes amis, me preniez-vous la main, Alors qu'une si douce et si vieille habitude Me montrait ce chemin ? Les voilà, ces coteaux, ces bruyères fleuries, Et ces pas argentins sur le sable muet, Ces sentiers amoureux, remplis de causeries, Où son bras m'enlaçait. Les voilà, ces sapins à la sombre verdure, Cette gorge profonde aux nonchalants détours, Ces sauvages amis, dont l'antique murmure A bercé mes beaux jours. Les voilà, ces buissons où toute ma jeunesse, Comme un essaim d'oiseaux, chante au bruit de mes pas. Lieux charmants, beau désert où passa ma maîtresse, Ne m'attendiez-vous pas ? Ah ! laissez-les couler, elles me sont bien chères, Ces larmes que soulève un cœur encor blessé ! Ne les essuyez pas, laissez sur mes paupières Ce voile du passé ! Je ne viens point jeter un regret inutile Dans l'écho de ces bois témoins de mon bonheur. Fière est cette forêt dans sa beauté tranquille, Et fier aussi mon cœur. Que celui-là se livre à des plaintes amères, Qui s'agenouille et prie au tombeau d'un ami. Tout respire en ces lieux; les fleurs des cimetières Ne poussent point ici. Voyez ! la lune monte à travers ces ombrages. Ton regard tremble encor, belle reine des nuits; Mais du sombre horizon déjà tu te dégages, Et tu t'épanouis. 37 Ainsi de cette terre, humide encor de pluie, Sortent, sous tes rayons, tous les parfums du jour; Aussi calme, aussi pur, de mon âme attendrie Sort mon ancien amour. Que sont-ils devenus, les chagrins de ma vie ? Tout ce qui m'a fait vieux est bien loin maintenant; Et rien qu'en regardant cette vallée amie Je redeviens enfant. O puissance du temps ! ô légères années ! Vous emportez nos pleurs, nos cris et nos regrets; Mais la pitié vous prend, et sur nos fleurs fanées Vous ne marchez jamais. Tout mon cœur te bénit, bonté consolatrice ! Je n'aurais jamais cru que l'on pût tant souffrir D'une telle blessure, et que sa cicatrice Fût si douce à sentir. Loin de moi les vains mots, les frivoles pensées, Des vulgaires douleurs linceul accoutumé, Que viennent étaler sur leurs amours passées Ceux qui n'ont point aimé ! Dante, pourquoi dis-tu qu'il n'est pire misère Qu'un souvenir heureux dans les jours de douleurs ? Quel chagrin t'a dicté cette parole amère, Cette offense au malheur ? En est-il donc moins vrai que la lumière existe, Et faut-il l'oublier du moment qu'il fait nuit ? Est-ce bien toi, grande âme immortellement triste, Est-ce toi qui l'as dit ? Non, par ce pur flambeau dont la splendeur m'éclaire, Ce blasphème vanté ne vient pas de ton cœur. Un souvenir heureux est peut-être sur terre Plus vrai que le bonheur. Eh quoi ! l'infortuné qui trouve une étincelle Dans la cendre brûlante où dorment ses ennuis, Qui saisit cette flamme et qui fixe sur elle Ses regards éblouis; Dans ce passé perdu quand son âme se noie, Sur ce miroir brisé lorsqu'il rêve en pleurant, Tu lui dis qu'il se trompe, et que sa faible joie N'est qu'un affreux tourment ! Et c'est à ta Françoise, à ton ange de gloire, Que tu pouvais donner ces mots à prononcer, Elle qui s'interrompt, pour conter son histoire, D'un éternel baiser ! Qu'est-ce donc, juste Dieu, que la pensée humaine, Et qui pourra jamais aimer la vérité, 40 Ni si ces vastes cieux éclaireront demain Ce qu'ils ensevelissent. Je me dis seulement : « A cette heure, en ce lieu, Un jour, je fus aimé, j'aimais, elle était belle. J'enfouis ce trésor dans mon âme immortelle, Et je l'emporte à Dieu ! » 41 TRISTESSE Le sonnet Tristesse a été découvert un matin de l’année 1840 par un ami de Musset, Alfred Tattet, sur la table de chevet du poète, qui avait hâtivement crayonné ces vers sur le papier pendant une insomnie. On ne saurait trouver un témoignage plus direct et plus émouvant sur son âme douloureuse que cette confidence à peine murmurée en une heure d’abattement. J'ai perdu ma force et ma vie, Et mes amis et ma gaieté; J'ai perdu jusqu'à la fierté Qui faisait croire à mon génie. Quand j'ai connu la Vérité, J'ai cru que c'était une amie; Quand je l'ai comprise et sentie, J'en étais déjà dégoûté. Et pourtant elle est éternelle, Et ceux qui se sont passés d'elle Ici-bas ont tout ignoré. Dieu parle, il faut qu'on lui réponde. Le seul bien qui me reste au monde Est d'avoir quelquefois pleuré. 42 TABLE DES MATIÈRES PRESENTATION ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………..… 2 AU LECTEUR ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 4 LA NUIT DE MAI ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………..… 5 LA NUIT DE DECEMBRE ………………………………………………………………………………………………………………………………….....… 10 LA NUIT D’AOUT ………………………………………………………………………………………………………………………………………………...… 15 LA NUIT D’OCTOBRE ……………………………………………………………………………………………………………………………………...…… 19 L’ANDALOUSE …………………………………………………………………………………………………………………………………………………...…… 26 VENISE ………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………….…… 27 BALLADE A LA LUNE ………………………………………………………………………………………………………………………………………..…… 29 CHANSON …………………………………………………………………………………………………………………………………………………………………… 33 VISION …………………………………………………………………………………………………………………………………………….……………………..…… 34 SOUVENIR ……………………………………………………………………………………………………………………………………………………………...…… 36 TRISTESSE …………………………………………………………………………………………………………………………………….……………………...…… 41
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