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lettremod_191466.pdf, Notes de Principes de conception du théâtre

lui avait valu Ie surnom de Boule de Suif. Petite, ronde de partout, grasse a lard, avec des doigts bouffis, etrangles aux phalanges, pareils a des ...

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

Estelle_87
Estelle_87 🇫🇷

4.3

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Télécharge lettremod_191466.pdf et plus Notes au format PDF de Principes de conception du théâtre sur Docsity uniquement! ressources humaines CONCOURS DU SECOND DEGR Rapport de jury présenté par Emmanuel FRAISSE Les rapports des jurys des concours sont établis sous la responsabilité des présidents Secrétariat Général Direction générale des Sous-direction du recrutement É – RAPPORT DE JURY SESSION 2011 AGRÉGATION INTERNE CAERPA LETTRES MODERNES Président de jury de jury 2 SOMMAIRE 1. COMPOSITION DU JURY…………………………………………………………...p. 3 2. REMARQUES GÉNÉRALES…………………………………………………….… p. 6 3. ÉPREUVES ÉCRITES 3.1. Composition à partir d’un ou plusieurs textes d’auteurs............... p. 10 3. 1. 1. Libellé du sujet………………………………………………….…...p. 10 3. 1. 2. Réflexions et éléments de corrigé………………………………. .p. 15 3. 2. Composition française sur œuvres au programme……………......p. 48 3. 2. 1. Libellé du sujet……………………………………………………... p. 48 3. 2 .3. Réflexions et éléments de corrigé.............................................p. 50 4. ÉPREUVES ORALES 4.1. Leçon portant sur un programme d’auteurs de langue française....p. 62 4.1. 1. Leçon : œuvres littéraires...…………………….…………………..p. 62 4. 1. 2. leçon : cinéma……………………………………………………....p. 73 4. 2. Explication de texte et grammaire…..............................................p. 78 4. 2. 1. Explication de texte………………………………………………....p. 80 4. 2. 1. Grammaire…………………………………………………….....….p. 92 4. 3. Commentaire .............................................................................p. 99 M. P8tri\< QUILLIER ProfeS5:iJr des universites M. Fr-earic RAIMBAUL T InspectEUr d'academie IInspecteur pedagogique regional Mme C/lherine ROBERT-LAZES ProfeSs'LJr de chaire superieure M. Pierre RONZEAUD Professeur des universites M. Jean-Christophe SAMPIERI Ma1tre dl conferences des universites Mme Franc;:oiseSAVINE Inspecte~r d'academie IInspecteur pedagogique regional M. Daniel STISSI Inspecte~r d'academie IInspecteur pedagogique regional M. Pierre-Olivier TOULZA Ma1tre de conferences des universites Mme Virginie WALBRON Professeur de chaire superieure Mme Anne-Gaelle WEBER· Ma1tre de conferences des universites M. Philiflle ZARD Ma1tre de conferences des universites Representants des etablissements prives associes a l'Etat par contrat et ayant les titres requis pour enseigner Mme GENEVIEVE CHANSON Academie DE VERSAILLES Profe sseur agrege Paris, Ie 06 decembre 2010 Pour Ie ministre de I'education nationale, de la jeunesse et de la vie associative, et par delegation, Ie sous-directeur du recrutement :/ -~------ /- Philippe SANTANA 6 REMARQUES GÉNÉRALES Selon une tradition solidement et justement établie, les rapports de jury de concours doivent être saisis dans leur continuité. Rien d’étonnant donc que celui-ci renvoie explicitement à ceux qui l’ont précédé. Tel est, au sens propre du terme, la signification du beau mot de tradition sans laquelle on voit mal comment un enseignement serait définissable et simplement envisageable. Certes, on verra ici ou là, à tel ou tel moment, quelques inflexions, et l’accent mis préférentiellement sur tel ou tel aspect. Reste qu’il y a bien un esprit, une « certaine idée » qui président au fonctionnement du concours (on n’ose parler de « philosophie ») avec lesquels les candidats doivent évidemment se familiariser. Au terme d’un mandat de quatre années à la présidence du jury de ce concours, je souhaite leur présenter brièvement quelques réflexions générales à ce sujet, avant de rassembler quelques informations statistiques. Utilité du concours La première réflexion renvoie à l'utilité du concours. Utilité pour les candidats bien sûr, tant au plan de leur formation continue qu’en ce qui concerne leur promotion individuelle. Utilité de l'exigence en termes de niveau et de maîtrise : vingt et un ans après sa création, ce concours n'a plus à prouver qu'il constitue bien une « véritable » agrégation et que ses lauréats sont de « véritables » agrégés. Utilité individuelle donc : reprendre des études théoriques, se confronter de nouveau à la résistance de textes complexes, affronter derechef la pluralité des critiques, repenser ses approches grammaticales, élargir et modifier ses conceptions culturelles, c’est là l’occasion d’une ouverture et souvent d’une remise en cause. Utilité sociale et professionnelle enfin, puisque nous avons affaire à la principale – et malheureusement presque à la seule – voie de promotion interne à l’Éducation nationale qui consacre une formation continue dans l’enseignement disciplinaire. Utilité également pour les membres du jury sur la diversité desquels repose le concours. À travers l’existence et la dynamique de l’agrégation, les voilà conduits – et c’est là une expérience très riche pour chacun d’entre eux – à partager des objets et des points de vue qui ne relèvent pas nécessairement de leurs spécialités respectives. Les voilà conduits à croiser leurs regards, à échanger et partager des points de vue, des sensibilités et des degrés d’information divers. En un mot, tout en affirmant des exigences de qualité, le concours met à mal les logiques divergentes des spécialisations (littéraires et linguistiques) et des lieux professionnels (université, classes préparatoires, inspections) pour conduire à l’élaboration d'une convergence et d’une approche collectives. Et là réside un second enseignement : le concours, par son aspect généraliste même, conduit les membres du jury à penser ensemble la discipline « français », littérature, langue et culture confondues. Or une discipline d’enseignement, comme l’a démontré admirablement André Chervel il y a près de vingt ans 1 est une construction historique et n’est jamais directement réductible à un ensemble de savoirs éternels. Une discipline d’enseignement est bien un objet didactique, à la croisée entre connaissances, réflexion critique et médiation. 1 André Chervel, La culture scolaire. Une approche historique, Paris : Belin, 1998. – 238 p. 7 Les humanités et leur avenir Chacun sait que nos études – les humanités pour employer un mot revenu à la mode – sont essentielles en termes de formation individuelle et collective. Nous nous entendons tous sur leurs finalités : armer les élèves en leur donnant l'esprit d'examen et de discussion, en leur permettant de comprendre le monde et d'y agir en citoyens qui partagent un certain nombre de repères culturels communs. Mais toute la question est de savoir quel est aujourd'hui le périmètre des humanités, et singulièrement de la littérature. Vaste question certes, mais qu’il faut bien aborder. La crise des humanités n'est pas spécifiquement française : elle touche tous les pays occidentaux, voire le monde entier. Mais il y a une acuité française dans l'approche de cette crise, et les opinions contradictoires qu'elle ne manque pas de soulever chez les professeurs mêmes, tant l'école au sens large du terme a été au cœur de la construction de la psyché française. Bref : comment définir les humanités d'aujourd'hui ? Comment les moderniser sans les dénaturer et sans renoncer à l'essentiel ? Comment conférer à nos études littéraires un caractère attractif, mêlant beauté, gratuité et utilité sociale ? Il est plus facile de formuler la question que d'y répondre, d'autant que tout le problème est bien de s'entendre, et de manière dynamique, sur ce qu'est « l'essentiel ». J’en prendrai deux exemples particulièrement délicats et sujets à controverse, et qui revoient tous deux à l’équilibre entre le « nouveau » et la tradition. Comment, dans nos programmes de concours, traiter les différents siècles, et tout particulièrement le XX e siècle ? Faut-il considérer ce dernier comme un monolithe, un bloc intangible ou admettre qu’il existe au moins « deux XX e siècles » : celui qui commence en 1901 (ou en 1919 ?), celui qui suit la Seconde guerre mondiale (ou 1968) pour s’achever aujourd’hui ? Seconde interrogation, et corollaire partiel de la précédente : quelle place conférer aux auteurs francophones, qui justement concernent presque exclusivement le Second XX e siècle ? Aucune réponse simple ne vient à l’esprit quand on évoque ce type de questions : mais chacun s’entend sur le fait que, à bien des égards, le paradoxe de la littérature est qu’elle se doit d’être à la fois familière et étrange, proche et lointaine, rassurante et inquiétante. Voilà, à bien des égards, ce qui fait le prix des études littéraires, et justifie que membres des jurys et candidats s’évertuent à les faire vivre et à les transmettre. Quelques chiffres-clés En 2011, on retrouve à l’œuvre les grandes tendances évoquées dans les rapports précédents. On notera la confirmation du fait que le profil des candidats admis est celui de jeunes professionnels, déjà expérimentés (un admis sur deux a entre 30 et 35 ans), parmi lesquels on compte un homme sur quatre, soit une moyenne supérieure à celle de la profession prise dans son ensemble. Les tableaux suivants, on l’espère, parlent d’eux-mêmes. Une fois encore on rappellera l’existence de deux concours distincts : un concours « public » (le concours interne de l’agrégation) et un concours « privé » (le concours d’accès à l’échelle de rémunération des professeurs agrégés). Cette distinction reste inconnue des membres du jury durant les épreuves orales. Les comptes- rendus détaillés des différentes épreuves rédigés par des membres du jury ne peuvent donc qu’ignorer cette distinction. On se félicitera au passage de constater que pour la deuxième année consécutive l’ensemble des postes du concours « privé » a pu être pourvu et de relever une convergence accrue dans les résultats des candidats inscrits dans les deux concours. Enfin, on rappellera que, sauf pour les tout premiers admis, il est bien rare que l’ensemble des épreuves soit pleinement réussi par un même candidat. Les variations, parfois brutales, fréquemment observées dans les notes obtenues par un même lauréat peuvent être perçues comme un encouragement pour tous les candidats au cours de l’oral : une seule épreuve médiocre ou décevante n’entraîne que très rarement un échec définitif. Et il est bon de garder à l’esprit que ce n’est jamais une personnalité qui est jugée ou mise en cause, mais que le jury se contente d’apprécier avec toute l’équité possible une performance donnée à un moment donné. minisJ Educa n a t ion EAI LMO 1 Repere a reporter sur 18 co ie AGREGATION CONCOURSINTERNE ET CAER COMPOSITION A PARTIR D'UN au PLUSIEURS AUTEURS DE LANGUE FRANCAISE L 'usage de tout ouvrage de reference, de tout dictionnaire et de tout materiel electronique (y compris fa calculatrice) est rigoureusement interdit. Dans Ie cas OU un(e) candidat(e) repere ce qui lui semble etre une erreur d'enonce, if (efle) Ie signale tres lisiblement sur sa cop ie, propose la correction et poursuit I' epreuve en consequence. De meme, si cela vous conduit a formuler une ou plusieurs hypotheses, if vous est demande de la (ou les) mentionner explicitement. NB : Hormis l'en-tete detachable, la copie que vous rendrez ne devra, conformement au principe d'anonymat, comporter aucun signe distinctif, tel que nom, signature, origine, etc. Si Ie travail qui vous est demande compotte notamment la redaction d'un projet ou d'une note, vous devrez imperativement vous abstenir de signer ou de l'identifier. Dans une classe de Seconde, vous etudiez Ie groupement de textes suivant dans Ie cadre de I'etude d'un « mouvement liUeraire et culturel }}. Vous presenterez votre projet d'ensemble et les modalites de son exploitation en classe. 1. Fran90is Coppee (1842-1908), « La Famille du Menuisier », in Les Humbles, Paris, Lemerre, 1872. 2. Emile Zola, (1840-1902), L'Assommoir, ch. 3, Paris, Charpentier, 1877. 3. Guy de Maupassant (1850-1893), Boule de Suif, in Les Soirees de Medan, Paris, Charpentier, 1880. 4. Edmond de Goncourt (1822-1896), Germinie Lacerteux, piece en dix tableaux representee pour la premiere fois, a Paris sur Ie Theatre national de I'Odeon, Ie 18 decembre 1888, Paris, Charpentier, 1888. Le marchand de cercueils vient de trousser ses manches Et rabote en sifflant, les pieds dans les copeaux. L'annee est bonne; iI n'a pas Ie moindre repos Et me me il ne boit plus son gain tous les dimanches. Tout en jouant parmi les longues bieres blanches, Ses enfants, deux blond ins tout roses et dispos, Quand passe un corbillard, lui tirent leurs chapeaux Et benissent la mort qui fait vendre des planches. La mere, supputant de combien s'accroitra Son epargne, s'il vient un nouveau cholera, Tricote, en souriant, au seuil de la boutique; Et ce groupe joyeux, dans I'or d'un soir d'ete, Offre un tableau de paix na'ive et domestique, De bien-etre honorable et de bonne sante. Dans la galerie d'Apollon, Ie parquet surtout emerveilla la societe, un parquet luisant, clair comme un mirok, ou les pieds des banquettes se refletaient. Mademoiselle Remanjou fermait les yew(, parce qu'elle croyait marcher sur de I'eau. On criait a madame Gaudron de poser ses souliers a plat, a cause de sa position. M. Madinier voulait leur montrer les dorures et les peintures du plafond ; mais <;a leur cassait Ie cou, et ils ne distinguaient rien. Alors, avant d'entrer dans Ie salon carre, iI indiqua une fenetre du geste, en disant : - Voila Ie balcon d'ou Charles IX a tire sur Ie peuple. Cependant, iI surveillait la queue du cortege. D'un geste, iI commanda une halte, au milieu du salon carre. II n'y avait la que des chefs-d'ceuvre, murmurait-il a demi-voix, comme dans une eglise. On fit Ie tour du salon. Gervaise demanda Ie sujet des Noces de Cana; c'etait bete de ne pas ecrire les sujets sur les cadres. Coupeau s'arreta devant la Joconde, a laquelle il trouva une ressemblance avec une de ses tantes. Boche et Bibi-Ia-Grillade ricanaient, en se montrant du coin de I'ceil les femmes nues ; les cuisses de I'Antiope surtout leur causerent un saisissement. Et, tout au bout, Ie menage Gaudron, I'homme la bouche ouverte, la femme les mains sur son ventre, restaient beants, attendris et stupides, en face de la Vierge de Murillo. Le tour du salon termine, M. Madinier voulut qu'on recommen<;at ; <;aen valait la peine. II s'occupait beaucoup de madame Lorilleux, a cause de sa robe de soie; et, chaque fois qu'elle l'interrogeait, il repondait gravement, avec un grand aplomb. Comme elle s'interessait a la maltresse du Titien, dont elle trouvait la chevelure jaune pareille a la sienne, ilia lui donna pour la belle Ferronniere, une maltresse d'Henri IV, sur laquelle on avait joue un' drame, a l'Ambigu. Puis, la noce se lan<;a dans la longue galerie au sont les ecoles italiennes et flamandes. Encore des tableaux, toujours des tableaux, des saints, des hommes et des femmes avec des figures qu'on ne comprenait pas, des paysages tout noirs, des betes devenues jaunes, une debandade de gens et de choses dont Ie violent tapage de couleurs commen<;ait a leur causer un gros mal de tete. M. Madinier ne parlait plus, menait lentement Ie cortege, qui Ie suivait en ordre, tous les cous tordus et les yeux en I'air. Des siecles d'art passaient devant leur ignorance ahurie, la secheresse fine des primitifs, les splendeurs des Venitiens, la vie grasse et belle de lumiere des Hollandais. Mais ce qui les interessait Ie plus, c'etaient encore les copistes, avec leurs chevalets installes parmi Ie monde, peignant sans gene; une vieille dame, montee sur une grande echelle, promenant un pinceau a badigeon dans Ie ciel tendre d'une immense toile, les frappa d'une fa<;on particuliere. Peu a peu, pourtant, Ie bruit avait dO se repandre qu'une noce visitait Ie Louvre; des peintres accouraient, la bouche fendue d'un rire ; des curieux s'asseyaient a I'avance sur des banquettes, pour assister commodement au defile; tandis que les gardiens, les levres pincees, retenaient des mots d'esprit. Et la noce, deja lasse, perdant de son respect, traTnait ses souliers a c1ous, tapait ses talons sur les parquets sonores, avec Ie pietinement d'un troupeau debande, lache au milieu de la proprete nue et recueillie des salles. M. Madinier se taisait pour menager un effet. II alia droit a la Kermessede Rubens. La, il ne dit toujours rien, il se contenta d'indiquer la toile, d'un coup d'ceil egrillard. Les dames, quand elles eurent Ie nez sur la peinture, pousserent de petits cris; puis, elles se detournerent, tres rouges. Les hommes les retinrent, rigolant, cherchant les details orduriers. - Voyez donc ! repetait Boche, <;avaut I'argent. En voila un qui degobille. Et celui-Ia, iI arrose les pissenlits. Et celui-Ia, oh ! celui-Ia ... Ah bien! ils sont propres, ici ! - Allons-nous-en, dit M. Madinier, ravi de son succes. II n'y a plus rien a voir de ce cote. La noce retourna sur ses pas, traversa de nouveau Ie salon carre et la galerie d'Apollon. 15 RÉFLEXIONS ET ÉLÉMENTS DE CORRIGÉ Le présent rapport doit permettre aux candidats de se représenter les attentes du jury quant au sujet de la session. Il convient cependant d’en repréciser le pacte de lecture afin d’éviter tout malentendu : il n’est pas un corrigé type impossible à reproduire en sept heures ; il se réfère à des ouvrages critiques et didactiques qui ne sont pas tous attendus ; il prend appui sur des propositions et des écrits de candidats afin que chacun puisse apprécier ce qui a pu être réalisé ; il ne vise pas l’exhaustivité mais cible quelques points méthodologiques et didactiques soulevés par le sujet, transférables pour les sessions ultérieures. 1. DU PROBLÈME A LA PROBLÉMATISATION 1.1. LIBELLÉ – CORPUS – OBJET D’ÉTUDE Le sujet proposé cette année demandait aux candidats de s’intéresser à l’objet d’étude « un mouvement littéraire et culturel », dans une classe de seconde, à partir d’un corpus de quatre textes : le poème « La Famille du menuisier » de François Coppée, des extraits du roman L’Assommoir d’Émile Zola, de la nouvelle Boule de Suif de Guy de Maupassant, de la pièce de théâtre Germinie Lacerteux d’Edmond de Goncourt. De nombreux candidats se sont interrogés, à juste titre, sur la composition du corpus pour en relever des caractéristiques remarquables. Il s’agit là d’une démarche indispensable pour comprendre la logique qui a présidé à l’élaboration du corpus : on ne peut dissocier la conception du corpus et l’assemblage des textes du projet didactique envisagé. Rappelons que le corpus est une construction intellectuelle fondée sur la sélection et l’extraction de documents au service d’une visée, une collocation de textes qui les met en perspective et en problématise la lecture, un outil pour réfléchir et faire surgir des similarités et des singularités. Ce qui a été réuni compte alors autant que ce qui a été écarté, le manque faisant sens. La question du pourquoi est ainsi première, tant pour le choix du genre, de l’auteur, du texte, de l’extrait que l’absence d’autres références et supports qui auraient pu être convoqués. Cette démarche spéculative s’inscrit bien évidemment dans le cadre de l’objet d’étude proposé. La « faible amplitude diachronique », l’« absence d’unité générique », la « forte cohérence thématique » ont été largement commentées par la plupart des candidats, moins l’appartenance de Boule de Suif au recueil des Soirées de Médan, le choix de Germinie Lacerteux, pièce de théâtre, préférée au roman d’Edmond et de Jules Goncourt paru en 1865. Or, ces deux derniers points s’avéraient déterminants pour notre réflexion et se sont révélés porteurs pour quelques candidats : « Deux des auteurs proposés appartenaient au groupe d’écrivains qu’Émile Zola recevait chez lui, sur les bords de Seine, et qui ont réagi aux attaques contre le naturalisme en rédigeant le recueil Les Soirées de Médan. » ; « La pièce de théâtre d’Edmond de Goncourt est une adaptation du scandaleux roman Germinie Lacerteux qui pose le problème de la mise en scène et de la mimèsis. » 16 Le sujet pouvait être appréhendé selon le programme actuel et ses documents d’accompagnement ou celui qui entrera en vigueur à la rentrée 2011 : le programme actuel inscrit l’objet d’étude dans la perspective dominante de l’histoire littéraire et culturelle et la perspective complémentaire de l’étude des genres et des registres. Les documents d’accompagnement précisent qu’ « en seconde, la notion de mouvement littéraire [seule] est définie ; en première, elle est élargie à l’idée de mouvement culturel » ; le programme 2011, quant à lui, propose dans le cadre de l’histoire littéraire et culturelle et de la connaissance des genres, l’objet d’étude « Le roman et la nouvelle au XIX e siècle : réalisme et naturalisme » dont « l’objectif est de montrer aux élèves comment le roman ou la nouvelle s’inscrivent dans le mouvement littéraire et culturel du réalisme ou du naturalisme, de faire apparaître les caractéristiques d’un genre narratif et la singularité des œuvres étudiées, et de donner des repères dans l’histoire de ce genre. » La place accordée au nouvel enseignement de l’histoire des arts et la dimension culturelle du mouvement sont affirmées : « En relation avec l’histoire des arts, un choix de textes et de documents montrant comment l’esthétique réaliste concerne plusieurs formes d’expression artistique et traverse tout le XIXe siècle. On peut réfléchir en amont à la façon dont les arts visuels, notamment, ont introduit la réalité quotidienne, qu’elle soit naturelle ou sociale, dans le champ de l’art et déterminé des choix esthétiques qui entrent en résonance avec l’évolution du genre romanesque, depuis le XVII e jusqu’au XX e siècle. L’influence de la photographie sur les romanciers du XIX e siècle peut également faire l’objet d’un travail avec les élèves. » Les copies se sont inscrites diversement dans la perspective de l’un ou l’autre des programmes, l’essentiel étant la cohérence et la pertinence du projet, son explicitation. Les copies ont ainsi proposé différentes pistes de travail : « Cet objet d’étude sera couplé avec l’étude des genres et des registres : le satirique et l’ironique sont en effet à l’œuvre chez Zola, Maupassant et Coppée et le pathétique chez Goncourt. » ; « Ce corpus paraît donc offrir la possibilité de montrer à la fois la cohérence esthétique d’un courant littéraire, les caractéristiques de différents registres, de réfléchir au travail d’écriture d’un auteur et à sa réception. » ; « Le mouvement littéraire et culturel et le corpus à l’étude nous amènent à réfléchir à l’esthétique naturaliste, aux genres qui l’expriment mais aussi à la mimèsis et à l’art, comme nous y invitent l’enseignement de l’histoire des arts et l’extrait de L’Assommoir. » Les programmes précisent également le mouvement littéraire et culturel qu’il convient d’étudier en seconde : pour le programme en vigueur, les documents d’accompagnement associent réalisme et naturalisme 1 : « en seconde, les mouvements qui ont eu un rôle structurant dans l’histoire littéraire française : Pléiade, classicisme, romantisme, art pour l’art, réalisme/naturalisme, littérature engagée », « Ainsi pourraient être étudiés comme mouvements littéraires en tant que tels en 2 nde : le romantisme, le réalisme et le naturalisme, la littérature engagée. » En cela ils rejoignent une certaine 1 Alain Pagès dans « L’espace littéraire du naturalisme », revue Pratiques, 2000, pose cette problématique et commente la position des critiques quant aux liens qui unissent ou non réalisme et naturalisme : « Les nouveaux programmes de français pour le lycée invitent à cerner la réalité des mouvements littéraires, à réfléchir sur les notions de genre et de registre littéraires, à analyser les mécanismes de l’écriture littéraire. Parmi tous les corpus littéraires susceptibles de nourrir une telle démarche, le corpus naturaliste est sans doute l’un des plus riches, par la diversité des thèmes et des problèmes littéraires qu’il offre. Et pourtant la tradition scolaire et universitaire ne facilite pas une telle approche, dans la mesure où la notion de naturalisme ne va pas de soi – à la différence de celles de classicisme, de romantisme ou de surréalisme, par exemple. Deux idées se mêlent dans les habitudes de classement et dans les usages terminologiques, celles de réalisme et de naturalisme, ce qui tend à brouiller les domaines, à effacer les pistes. » (p. 89). 17 conception du naturalisme comme avatar du réalisme, notamment chez Lukacs 2 . On peut également penser aux frères Goncourt qui n’utilisaient pas le terme « naturalisme » mais celui de « réalisme » ou bien à la place littéraire de Flaubert et celle de Maupassant. - pour le programme 2011, en revanche, le naturalisme est dissocié du réalisme : « L’objectif est de montrer aux élèves comment le roman ou la nouvelle s’inscrivent dans le mouvement littéraire et culturel du réalisme ou du naturalisme… » Nous nous rapprochons ici des propos de Pierre Martino 3 et d’Alain Pagès 4 qui distinguent clairement sans les opposer réalisme et naturalisme. Les textes du corpus nous amènent naturellement à l’étude du mouvement naturaliste : Boule de Suif est extrait des Soirées de Médan ; la date de publication du roman Germinie Lacerteux est souvent considérée comme la date de début du mouvement naturaliste ; Coppée qui appartient au Parnasse et dont on a moqué les dizains réalistes est perçu par Zola comme porteur du « drapeau naturaliste » 5 ; enfin la référence zolienne est sans équivoque. 1.2. TEXTES – GENRES – MOUVEMENT Ce qui était soumis à la sagacité des candidats apparaît donc rapidement à la lecture du sujet et du corpus : la notion de « mouvement littéraire et culturel » d’un point de vue littéraire et didactique à partir de textes ; quatre genres différents en lien avec ce « mouvement littéraire et culturel » et la réception des extraits. Tout candidat est lecteur du sujet et du corpus, il n’échappe donc pas à la règle de l’horizon d’attente qui pouvait constituer ici un outil pour penser et problématiser. La réunion d’auteurs comme Zola, Maupassant, Goncourt ne surprend guère, c’est la présence de Coppée qui perturbe, tel un « grain de sable », les rouages de la pensée ; le mouvement naturaliste subodoré avec Zola notamment crée l’attente du genre romanesque immédiatement contredite par la présence de la poésie, du théâtre, et de façon moindre, de la nouvelle ; le rapprochement de deux écrivains célèbres et célébrés par la tradition littéraire et scolaire avec un poète souvent raillé et un auteur dont le théâtre n’a pas assuré la postérité attire l’attention du professeur, l’écarte des schémas prêts à penser ; que dire du sonnet de Coppée pour lequel l’ironie tant inattendue questionne les compétences de lecteur et fait surgir la peur du contresens. Mis en alerte par des signaux déroutants, le candidat doit faire le point sur ce qui lui paraît tout d’abord illisible et inintelligible pour le poser en problèmes de lecture. C’est par ce jeu de déconstruction de sa réception et de ses représentations qu’il pourra ensuite investir le corpus pour construire un sens, produire une pensée qui fait apparaître une cohérence, déterminer des enjeux et élaborer un parcours didactique pertinent. 2 Colette Becker dans Lire le réalisme et le naturalisme, éd. Armand Colin, 2000, introduit son étude par la difficulté à distinguer réalisme et naturalisme. 3 Pierre Martino, Le Naturalisme français, Armand Colin, 1966, p. 2 : « … si liées que puissent paraître, au premier abord, ces deux expressions [réalisme et naturalisme], elles désignent cependant des doctrines d’art différentes. » 4 Alain Pagès, Le Naturalisme, PUF, 2001. 5 Le mouvement poétique français de 1867 à 1900 : rapport à M. le Ministre de l'Instruction publique et des beaux-arts, précédé de « Réflexions sur la personnalité de l'esprit poétique de France », suivi d'un dictionnaire bibliographique et critique et d'une nomenclature chronologique de la plupart des poètes français du XIXe siècle, Catulle Mendès - E. Fasquelle, 1903, p. 57. 20 1.3. PROBLÈME – RÉFLEXION - PROBLÉMATIQUE Les textes proposés appartiennent aux genres du roman, de la nouvelle, du théâtre et de la poésie. La présence de ces genres se justifie par le naturalisme comme méthode et formule appliquée à la littérature. Le naturalisme serait en ce sens une « littérature a-générique » 12 : l’application de la formule naturaliste prédominerait sur les formes génériques de la littérature (certaines contraintes formelles, certains codes pourraient même constituer des obstacles à la validité de l’expérimentation ou à son compte rendu). Dans le cadre de l’étude d’un mouvement, mais aussi dans celui de la connaissance des genres, considérer leurs interactions -c’est-à-dire voir comment le naturalisme s’approprie les genres littéraires dans son combat sur la scène littéraire et/ou comment les genres réagissent, par contamination, à l’expansion et aux apports du naturalisme- apparaît déterminant pour la compréhension de l’histoire littéraire et culturelle. On pourrait alors s’interroger sur l’action du naturalisme, sur les conventions et les contraintes génériques et sur les limites des genres à rendre compte de l’expérience et du tempérament. Même si le roman apparaît la forme privilégiée, presque synonyme de « naturalisme », il gêne les frères Goncourt et Zola pour qui il serait non générique ou omnigénérique : « le roman n’a donc plus de cadre, il a envahi et dépossédé les autres genres. » 13 La nouvelle, dont la publication dans les journaux a contribué au développement, permet, selon la définition qu’en donne Baudelaire 14 , de marquer le lecteur par une stratégie, de rendre plus frappant le fait présenté par son économie du récit. Le mouvement naturaliste, à la recherche de formes au plus près de la réalité, joue avec cette esthétique qui se rattache à l’image, l’instantané, l’ellipse et la vitesse 15 (il en sera de même d’ailleurs avec les pièces de théâtre construites en tableaux). Quant au théâtre, l’ambition naturaliste est claire, dans une lettre à Hennique datée du 29 juin 1877, Zola écrit : « Ce serait une grande affaire pour nous tous si un de nous conquérait les planches ». Ce que doit imposer le théâtre, c’est « une analyse exacte des caractères, une action simple et une étude des milieux. Décors, costumes et jeu des comédiens doivent concourir à cette peinture de la réalité » 16 . Le théâtre reste dont l’ambition de tous au XIX e siècle, l’art qui permet d’accéder à la notoriété et qui, comme la poésie, permet de gagner ses galons d’écrivain. Dans un article du Messager de l’Europe de février 1878, Zola s’exprimait ainsi au sujet de la poésie : « c’est pourquoi j’imagine que le grand poète de demain devra commencer par faire table rase de toutes les esthétiques qui courent les rues à cette heure. Je crois qu’il sera profondément moderne, qu’il apportera la note naturaliste dans toute son intensité. Il exprimera notre monde, grâce 12 David Baguley, Le Naturalisme et ses genres, éd. Nathan, 1995, p. 45. 13 Le Roman expérimental (1880), éd. Nouveau monde, Œuvres complètes, T. 9, p. 378. 14 Notes nouvelles sur Edgar Poe (1857) : « Elle [la nouvelle] a sur le roman à vastes proportions cet immense avantage que sa brièveté ajoute à l’intensité de l’effet. Cette lecture, qui peut être accomplie tout d’une haleine, laisse dans l’esprit un souvenir bien plus puissant qu’une lecture brisée, interrompue souvent par le tracas des affaires et le soin des intérêts mondains. L’unité d’impression, la totalité d’effet est un avantage immense qui peut donner à ce genre de composition une supériorité tout à fait particulière, à ce point qu’une nouvelle trop courte (c’est sans doute un défaut) vaut encore mieux qu’une nouvelle trop longue. L’artiste, s’il est habile, n’accommodera pas ses pensées aux incidents, mais, ayant conçu délibérément, à loisir, un effet à produire, inventera les incidents, combinera les événements les plus propres à amener l’effet voulu. Si la première phrase n’est pas écrite en vue de préparer cette impression finale, l’œuvre est manquée dès le début. Dans la composition tout entière il ne doit pas se glisser un seul mot qui ne soit une intention, qui ne tende, directement ou indirectement, à parfaire le dessein prémédité. » 15 Philippe Hamon, Imageries, littérature et image au XIX ème siècle, éd. Corti, 2001. 16 C. Becker, G. Gourdin-Servenière, V. Lavielle, Dictionnaire d’Emile Zola, éd. Bouquins, 1993, p. 415. Cet article s’inspire des écrits théoriques de Zola Le naturalisme au théâtre. 21 à une langue nouvelle qu’il créera. » 17 Même si le genre poétique n’a pas connu de représentant naturaliste majeur, la question de la poésie est présente chez les auteurs, notamment chez Edmond de Goncourt qui, dans la Préface des Frères Zemganno, parle d’ « écriture artiste » et de « tentative dans une réalité poétique ». Pourtant rien ne semble plus apparemment antinomique que ces deux termes de « naturalisme » et de « poésie ». Philippe Hamon, dans son article « Poésie et naturalisme », rappelle cette opposition : Aussi bien quand on tient compte des supports préférentiels (d’un côté le vers, de l’autre la prose), d’une antinomie philosophique (d’un côté l’idéalisme, de l’autre le matérialisme), d’une antinomie générique (d’un côté les genres codés, les règles, de l’autre le quasi monopole du genre du non- genre, le genre romanesque), d’une antinomie institutionnelle (on peut entrer à l’Académie française avec un recueil de poèmes – Hérédia – mais non avec les vingt volumes des Rougon-Macquart), d’une antinomie des sujets (le spleen, la rêverie, l’intime et l’expression subjective des grands sentiments lyriques d’un côté, de l’autre les « mœurs »’, le corps et ses pathologies, le monde matériel extérieur et les mécanismes de la sociabilité décrits objectivement), d’une distribution commerciale et éditoriale (d’un côté Lemerre, Vanier, les revues d’avant-garde et les plaquettes à tirages confidentiels, de l’autre Charpentier et les gros tirages), d’une pratique et de protocoles de création (d’un côté l’inspiration et l’imagination « reine des facultés »’, de l’autre le document humain, les « notes prises à coups de lorgnon » – Goncourt – et l’enquête sociologique), que d’une antinomie linguistique (d’un côté le signifiant, de l’autre côté le signifié et la référence), voire politique et idéologique (d’un côté une pratique quasi aristocratique et élitiste de la littérature, de l’autre une pratique quasi républicaine et « démocratique »). 18 » Le jury n’attend pas que le candidat cite ou connaisse tous ces différents textes mais que sa lecture attentive du corpus et son analyse des extraits le conduisent à interroger le mouvement et les genres littéraires en production et en réception, que son horizon d’attente déjoué soit mis à distance pour être l’objet d’une réflexion littéraire. De bonnes copies ont suivi cette démarche pour aboutir à des propositions didactiques tout à fait pertinentes, notamment pour Germinie Lacerteux : « On notera d’emblée l’importance de la didascalie initiale, très riche et descriptive. « La vue est prise » nous donne l’idée d’un angle de vue, d’une certaine optique (d’origine romanesque ?). Ces didascalies sont dignes d’une description romanesque […] Ceci confirme la porosité entre roman et théâtre, ce dernier étant à son tour gagné par un naturalisme qui abat ici les frontières entre les genres, comme il abolit les frontières entre les notables et le peuple, digne d’être mis en scène au sens propre. » Cet exemple est révélateur du passage du problème de lecture posé par le corpus à une problématisation. Même s’il est nécessaire, dans le cadre d’un mouvement littéraire et culturel, de posséder des savoirs universitaires, ce sont les compétences de lecteur et la capacité à prendre de la distance et à réfléchir (faculté de la pensée à se retourner sur elle-même pour examiner un problème) qui priment. La problématisation du corpus résulte alors de la pensée systémique, c’est-à-dire de la vision complexe de multiples éléments avec leurs interrelations respectives. La problématique permet de poser le problème de lecture du corpus à partir d’un certain nombre de critères choisis (mouvement – genres – auteurs – registres…) qui constitueront le système de recherche, la résoudre consiste à proposer une 17 Ibid., p. 326. 18 Les Cahiers naturalistes, 2007, p. 8. 22 cohérence de lecture. La problématique est alors l’outil de la pensée, le guide de la réflexion, l’armature du devoir. Pour aller plus loin dans la réflexion sur le corpus, nous pouvons ajouter que le choix des auteurs et des textes constitue également des pistes problématiques pour l’étude du mouvement, dans ce qui rapproche ces auteurs et ce qui les différencie (le tempérament). On sait que le roman Germinie Lacerteux, dont la pièce est une adaptation, marque le début du mouvement pour de nombreux critiques, que L’Assommoir selon les frères Goncourt s’inspire de cette œuvre, ce qui pose d’emblée un rapport de parenté, d’antériorité mais aussi de rivalité 19 entre les œuvres et leurs auteurs. La préface de ce roman (1865) évoque d’ailleurs l’œuvre et l’horizon d’attente des lecteurs, sa réception par la critique et une vision du roman qui a fait date dans l’histoire littéraire et la caractérisation du naturalisme. Rappelons à nouveau, pour notre propos, que les frères Goncourt préféraient le terme de « littérature naturiste » ou de « réalisme » à celui de « naturalisme ». Le choix de la pièce de théâtre, au lieu du roman, aide à la réflexion sur l’appropriation des genres par le naturalisme, évoque naturellement le texte premier, sa préface et le départ du mouvement (1865), mais également le début de son déclin (1888). Boule de Suif, est extrait des Soirées de Médan, recueil longtemps prétendu « manifeste » mais dont la préface ne propose ni le terme de « naturalisme » ni une quelconque doctrine, mais l’existence de textes 20 . Ce recueil naît en fait de la nécessité de réagir face aux critiques hostiles, participe d’une stratégie contre les coteries ennemies et d’une volonté quasi militaire d’occuper la scène littéraire. Maupassant, dont la nouvelle assurera la renommée littéraire, s’écartera d’ailleurs rapidement du groupe. A ce titre, il est intéressant de rappeler les célèbres phrases extraites de la Préface de Pierre et Jean (1888) qui montrent les différences de conception littéraire et de tempérament entre les auteurs du groupe : « Faire vrai consiste donc à donner l'illusion complète du vrai, suivant la logique ordinaire des faits, et non à les transcrire servilement dans le pêle-mêle de leur succession. J'en conclus que les Réalistes de talent devraient s'appeler plutôt des Illusionnistes. » L’Assommoir (1877) est l’œuvre dont le succès permit à Zola d’accéder à la célébrité. Son adaptation pour le théâtre en 1879 a été également un triomphe sur la scène de l’Ambigu avec près de trois cents représentations ; la pièce fut aussi jouée en province par deux troupes distinctes pendant trois mois et fut reprise au Châtelet en 1885 et au théâtre de la République en 1893 ; en Angleterre, son adaptation par Charles Reade (Drink) fut jouée plus de cinq cents fois. L’importance du roman est reconnue par certains critiques qui considèrent que le naturalisme se définit en référence à Zola et à ses œuvres, notamment L’Assommoir. Quant à François Coppée, dramaturge, romancier et poète rattaché d’abord au Parnasse, il écrira par la suite une poésie plus proche des réalités quotidiennes. Reconnu par Zola, il est aussi considéré par Edmond de Goncourt qui relève son ironie et son irrévérence dans le Journal 21 . La date de publication du recueil poétique est remarquable car elle montre que si le roman est le genre du 19 Cf. Alain Pagès, « L’espace littéraire du naturalisme », revue Pratiques, 2000, p. 96. « …les querelles opposant les maîtres… Les attaques, multiples, proviennent d’Edmond de Goncourt vieillissant qui supporte mal qu’on conteste son droit d’antériorité. Pour prendre la mesure de cette rivalité, à la fois idéologique et humaine, il suffit de lire le Journal où s’accumulent, à propos de Zola, les évocations les plus venimeuses : remarques perfides, accusation de plagiat, plusieurs fois reprises… Le ‘‘Grenier’’ ouvert par Goncourt dans sa maison d’Auteuil, à partir de 1885, apparaît comme un anti-Médan, où se retrouvent bientôt les jeunes romanciers ambitieux du moment. » 20 Sur l’histoire du groupe de Médan et les idées reçues de l’histoire littéraire, cf. David Baguley, Le Naturalisme et ses genres, éd. Nathan, 1995, p. 21-26. 21 Jean-Louis Cabanès, Les frères Goncourt : art et écriture, Presses Universitaires de Bordeaux, 1997, p. 84 et p. 85. « Un curieux type que ce type de Coppée, le poète élégiaque et sentimental et qui est l’irrespectueux par excellence, le blagueur de toute croyance, de toute conviction, de tout dévouement, et apportant dans sa blague une ironie de ruisseau, toute personnelle à la race parisienne, à l’homme né à Paris. » 25 2. UNE MISE EN ŒUVRE DIDACTIQUE La proposition de séance suivante que l’on pourrait intituler « Le naturalisme : une formule, des genres et des tableaux » se présente volontairement sous une forme linéaire afin de rendre compte au mieux de ce que les copies ont proposé pour chaque texte, mais également pour aider le lecteur à saisir les dimensions littéraire et didactique du sujet. Dans un second temps, nous présenterons deux autres organisations possibles ; le concours, rappelons-le, cherche davantage la singularité de la pensée des candidats qu’un discours modélisé. 2.1. SÉANCE 1. L’ASSOMMOIR : LA NOCE AU MUSÉE L’extrait de L’Assommoir est fondateur pour cette proposition de séquence car son étude permet non seulement de convoquer des notions déjà connues quant au genre romanesque mais aussi de construire la formule naturaliste. L’écriture du personnage selon le naturalisme, la peinture des milieux, la question de la mimèsis sont ici clairement posées, comme l’ont noté bon nombre de candidats : « Le texte présente une curieuse mise en abyme : la noce devient elle-même l’objet d’un spectacle associant le lecteur aux gardiens amusés, et mettant en lumière non plus quelques personnages mais une couche sociale dans son ensemble. » ; « Déplacer l’intérêt des visiteurs des tableaux vers les copistes nous amène à réfléchir au peintre et aux modèles, à la copie de la réalité. » Quelques copies ont par ailleurs judicieusement fait mention de l’enseignement de l’ « histoire des arts » pouvant « être mis en œuvre grâce à l’étude du texte de Zola ». La notion de personnage a été mise en avant par la plupart des copies, mais plus comme une thématique qu’en tant que problématique littéraire. Écrire que la noce « s’intéresse plus au parquet qu’aux tableaux », qu’elle « ne sait pas apprécier la beauté des œuvres » apparaît moins pertinent que d’interroger la description inédite du peuple selon le naturalisme. Dans la préface de L’Assommoir, Zola décrit son roman comme «…une œuvre de vérité, le premier roman sur le peuple, qui ne mente pas et qui ait l'odeur du peuple ». Il s’agira alors d’étudier l’entrée de ce peuple en littérature et notamment par sa prise de parole comme l’exprimait un candidat : « Le professeur s’appuie sur l’analyse des discours de Gérard Genette pour distinguer les différentes formes de prise de parole. Cet extrait est le seul (avec le texte théâtral) à faire entendre la voix du peuple. » La visite au Louvre constitue un épisode central du chapitre III de L’Assommoir, visite qui a lieu après la cérémonie de mariage bâclée de Gervaise, pour occuper le temps jusqu’à l’heure du repas. Zola provoque cette situation pour mettre en œuvre son expérimentation – plonger le milieu ouvrier perdu dans un autre milieu, celui de la bourgeoisie et de la culture – ce qui a pour effet de révéler les traits saillants du peuple mais aussi de montrer sa détermination par le milieu. Quelques copies seulement ont insisté sur ce point en se référant au Roman expérimental ou en qualifiant la noce de « déplacée » dans tous les sens du terme. La construction du personnage et la figure du peuple Le personnage de roman est essentiel. Le mouvement naturaliste et son ambition de décrire exhaustivement et méthodiquement le champ du réel et de bâtir selon l’expression de Taine « le plus grand magasin de documents que nous ayons sur la nature humaine » renforcent ce statut premier 26 comme l’affiche la plupart des titres des œuvres. Pour arriver à ses fins, « le cahier des charges du personnage », pour reprendre les termes de Philippe Hamon, que se prescrit le naturalisme aboutit chez Zola à « un personnage lisible et délégué à la lisibilité : lui-même d’une part, sera un personnage entièrement élucidé (par les autres personnages, par certaines procédures narratives particulières) ; par lui, d’autre part, son savoir, par ses actions, ses paroles, ses regards, il élucidera tout ce qui l’entoure, y compris les autres personnages. Lieu et objet de lisibilité, il sera aussi objet et opérateur de lisibilité. » 26 Pour lire les personnages de notre extrait, nous pouvons prendre appui sur les travaux de Philippe Hamon (Pour un statut sémiologique du personnage, Seuil, 1977) et ceux de Vincent Jouve (L’effet-personnage dans le roman, PUF, 1992). Nous nous intéresserons alors à l’être (le nom, le portrait physique, la psychologie, etc.), au faire (les rôles thématiques et les rôles actanciels), à l’importance hiérarchique (le statut et valeur) des personnages, mais aussi, et cela nous importe pour le projet naturaliste, à « l’effet-lecture » 27 et au type de lecture induit par ces personnages 28 . Les personnages se répartissent entre ceux que l’on identifie par le titre de civilité et le nom (M. Madinier, Mme Lorilleux…), par le nom (Coupeau), par le prénom (Gervaise), par le surnom (Bibi- la-Grillade), suivant une dégradation de l’identité sociale et de la respectabilité. Cette dégradation est accentuée, par contraste, avec les noms connus de peintres ou de rois avec lesquels ils sont mis en relation dans le texte. La dénomination apparaît déjà comme un classement social des individus, une détermination. Quant aux portraits physiques, peu présents ici, ils sont réalisés partiellement et indirectement, non sans ironie, par les personnages eux-mêmes pour qui les tableaux font office de miroirs (où pour lesquels ils auraient pu servir de modèles) : La Joconde est le portrait d’une des tantes de Coupeau, Mme Lorilleux retrouve sa chevelure « jaune » dans le prétendu tableau de La Belle Ferronnière. Le mouvement du corps des personnages, les postures - « ça leur cassait le cou », « bouche ouverte », « les cous tordus et les yeux en l’air », « piétinement d’un troupeau débandé, lâché »- révèlent leur réalité grotesque et leur incongruité dans un lieu qui leur est étranger. Les personnages de notre extrait sont davantage caractérisés par « le dire » et le « faire » qui sont les marqueurs sociaux et culturels les plus importants. Que ce soit sous la forme du discours narrativisé (« il commanda une halte »…), du discours indirect (« on criait … de poser ses souliers à plat »), du discours indirect libre (« c’était bête de ne pas écrire les sujets sur les cadres »…), du discours direct (« en voilà un qui dégobille »…), le peuple est défini par ses codes et ses pratiques langagières, par une oralité non contenue et déplacée, ce qui contraste avec les « gardiens, les lèvres pincées, [qui] retenaient des mots d’esprits ». Seul, M Madinier, patron d’un atelier de cartonnage, joue apparemment le rôle du guide cultivé et prévenant, mais seulement aux yeux du peuple. « Le faire » ne consistant qu’en la répétition mécanique des habitudes façonnées par le milieu, les personnages cherchent donc à retrouver leurs repères et montrent de l’intérêt pour le parquet, pour les copistes, les détails grivois. La détermination est forte, l’adaptation à un autre milieu s’avère impossible. Le peuple est aussi représenté comme un groupe dans lequel chacun se positionne par rapport à l’autre, nous retrouvons des dominés et des dominants (M. Madinier qui mène le cortège), des complicités d’homme (Boche et Bibi-la-Grillade), les groupes de femmes et d’hommes et leurs 26 Philippe Hamon, Le Personnel de roman, Droz, 1998, p. 38. 27 Dans le sens d’Umberto Eco, Lector in fabula, Le rôle du lecteur ou la coopération interprétative dans les textes narratifs, éd. Grasset, 1979. 28 Vincent Jouve, L’effet-personnage dans le roman, PUF, 1992 : "Un personnage peut se présenter comme un instrument textuel (au service du projet que s’est fixé l’auteur dans un roman particulier), une illusion de personne (suscitant, chez le lecteur, des réactions affectives), ou un prétexte à l’apparition de telle ou telle scène (qui, sollicitant l’inconscient, autorise un investissement fantasmatique). On nomme respectivement ces trois lectures : l’effet-personnel, l’effet-personne et l’effet-prétexte." 27 attitudes respectives codifiées (les hommes rient devant des détails orduriers, les femmes poussent des petits cris et rougissent). Peu de solidarité à l’intérieur de ce groupe qui a du mal à se former si ce n’est, guidé par un instinct grégaire, dans une absence de tenue, un tapage et une débandade quasi animale. Pour cette lecture, nous réactiverions naturellement les notions de narrateur et de point de vue, d’énonciation, essentielles pour comprendre « le vu par un tempérament » et les incidences évidentes sur la réception et le scandale de l’œuvre. La formule naturaliste Cette représentation du peuple, affirmée comme documentée 29 ou tirée de faits divers 30 , veut faire scandale en révélant ce « coin » de la création jusque là oublié. La volonté de susciter chez le lecteur un « effet-personne » est ainsi prégnante : le recours au dictionnaire d’Alfred Delvau 31 dont Zola s’est servi pour rendre compte de l’argot du peuple (« dégobiller »), l’existence de personnages secondaires mais néanmoins remarquables dans un univers où le héros n’est plus réellement distingué 32 , les effets de réel (les lieux, les références historiques et picturales). Le naturalisme, dans l’optique scientifique de son expérimentation et de l’effet de réel recherché, reprend alors des « choses vues », des « choses sues » et des « choses lues » selon le classement des notes de travail par Henri Mitterand. Ainsi, l’attitude des ouvriers, le rôle de M. Madinier, le désir de Gervaise de se cultiver s’inspirent de ce que Denis Poulot décrit dans Le Sublime ou le travailleur tel qu’il est en 1870, et ce qu’il pourrait être : « S’il pleut, qu’il y ait une exposition, il y va avec un camarade. Aussi, le dimanche, remarquez dans les groupes, devant un tableau sentimental ou historique vous trouverez l’ouvrier ; écoutez ses commentaires ; ce n’est ni une question de lumière, de formes ou de couleur qu’il apprécie, c’est le sujet […] la peinture est l’art par excellence pour développer les bon sentiments de la classe laborieuse. » Chacun des personnages est élucidé par le lecteur. Pour comprendre cette lisibilité des personnages qui ne peut exister que dans le monde de la fiction, nous pouvons convoquer la théorie des écrans 33 , l’écran réaliste qui souhaite être le plus transparent possible mais également l’écran naturaliste. En effet, parce qu’il refuse la prétention naïve de l’objectivité et de l'illusion réaliste, Zola propose l'écran naturaliste et revendique la part de mensonge sans laquelle l'œuvre d'art n'existerait 29 On renvoie ici au concept de « document humain » souvent repris par les auteurs naturalistes comme caution d’une méthode scientifique. 30 Cf. le personnage de Lalie Bijard dans L’Assommoir, mis d’ailleurs en abyme dans le roman par Lantier qui lit dans le journal des récits d’infanticides. 31 Dictionnaire de la langue verte, Alfred Delvau. 32 « Le personnage secondaire », article de Chantal Pierre-Gnassou, revue Poétique, février 2010. « La régie implacable du ‘’on ne les retrouvera plus’’ expose ainsi la carence sociale et la carence romanesque. Elle dit autant les rigueurs d’une société qui fait sombrer dans l’anonymat les faibles, les ‘’fugitifs’’ que les rigueurs du récit hiérarchise et sélectionne, faute de pouvoir raconter cette multitude à laquelle aspire pourtant le roman réaliste. […] En outre, le démantèlement que subit le héros au cours du XIXème siècle, où il passe de la démesure à l’insignifiance, explique que les paralipses soient ressenties d’autant plus douloureusement par les lecteurs et que les romanciers ne la pratiquent pas ou plus dans une tranquille inconscience. » 33 Site des Cahiers naturalistes : « Dans une lettre à son ami Valabrègue datée de 1864, Zola définit l'œuvre d'art comme "une fenêtre ouverte sur la création" ; cependant, ajoute-t-il, il y a toujours, "enchâssé dans l'embrasure de la fenêtre, une sorte d'écran transparent, à travers lequel on aperçoit les objets plus ou moins déformés" : les lignes, les couleurs se modifient en passant à travers ce "milieu" qui n'est autre que "le tempérament" de l'artiste, modifié par le "moment" historique. Chaque époque, chaque classe sociale, chaque individu même a son écran particulier. Zola distingue ainsi l'écran classique, l'écran romantique et l'écran réaliste. Comme le châssis tendu de toile que les peintres utilisent pour voiler un excès de lumière, comme le filtre dont se servent les photographes pour arrêter les couleurs, l'écran zolien est le dispositif optique, le verre déformant, le prisme arbitraire à travers lequel nous apparaît la réalité. […] Quant à « l'écran réaliste », le dernier qu'ait produit l'histoire de l'art, c'est « un simple verre à vitre, très mince, très clair » qui "nie sa propre existence" pour embrasser l'horizon entier sans préjugé et sans exclusive. Pourtant, « si clair, si mince qu'il soit, [...] il n'en a pas moins une couleur propre, une épaisseur quelconque, il teint les objets, il les réfracte tout comme un autre », affirme Zola ; il noircit les objets, il exagère les lignes dans le sens de la largeur, privilégiant les formes plantureuses de la matière et de la vie. » 30 pas la répétition du premier récit mais une condensation), la réflexivité (le récit en abyme, par un effet de miroir, aide à déchiffrer la signification du premier récit). Que ce soit Les Noces de Cana qui seraient les noces rêvées par Gervaise mais très éloignées de ce qu’elles furent (épisode du vin), ou Antiope qui errera sans repos dans la Grèce à l’image de Gervaise qui fuira sur les boulevards, ou encore La Kermesse de Rubens qui préfigure le repas de la fête de Gervaise, les tableaux évoquent, de façon anaphorique et cataphorique, le parcours passé ou à venir de l’héroïne. Nous sommes ici en présence d’une « réflexivité fictionnelle », c’est-à-dire celle qui propose et caractérise des énoncés narratifs. La mise en abyme « énonciative », autre procédé qui transforme l’auteur, le narrateur et parfois même le lecteur en personnage du texte, est également présente dans l’extrait. L’admiration pour La Kermesse est aussi celle de Zola qui s’arrête avec les invités de la noce et qui, derrière eux, observe le tableau. Le point de vue adopté pour ce passage permet d’ailleurs de considérer le narrateur comme un visiteur du musée, tout comme le lecteur qui peut figurer parmi les observateurs de la noce. Nous pourrions également lire une dernière mise en abyme, « la mise en abyme codique », qui « insère dans la diégèse une figuration des problèmes, contraintes et techniques du genre » comme nous le précise Henri Mitterand. Zola travaille son écriture à la manière d’un peintre, nous l’avons déjà relevé. On pourrait ainsi le compter parmi les copistes qui observent la noce pour la peindre, les documents de travail, « les choses vues », certaines scènes de L’Assommoir constituant de véritables copies de tableaux 40 . Dans S/Z, Barthes développe la conception d’une description réaliste qui n’est pas imitation du réel, mais imitation d’un tableau du réel. C’est d’ailleurs dans cette perspective que l’ekphrasis serait une « manifestation redondante de la picturalité latente qui sommeil dans le réel. » 41 Pour comprendre la visée de ce procédé de mise en abyme auquel recours fréquemment Zola, Henri Mitterand propose une première interprétation en lien avec le projet naturaliste et sa mission didactique. La mise en abyme fonctionnelle serait justifiée par des effets de cohérence et de redondance visant un sens perceptible sans ambiguïté, l’extrême lisibilité des personnages comme nous l’avons déjà démontrée : nous rejoignons ici l’idée de la littérature performative. Une deuxième interprétation pour notre extrait, confirmée par la reconnaissance du peuple dans les motifs et personnages peints, serait la mise à jour de vérités permanentes. Le personnage diégétique trouvant son double dans des peintures d’autres siècles, nous aurions une vérité des êtres et des personnages renvoyant à une hérédité réelle et fictionnelle. D’autres interprétations, en lien avec le genre romanesque et Zola romancier « expérimentateur », considèrent l’essai de ces formes comme un jeu, une construction du récit, un art de la fiction. Lorsque les effets de réel ont atteints leurs objectifs, ils se révèlent et révèlent la part de fiction du texte. Nous touchons ici les limites du projet naturaliste qui ne peut, même s’il le revendique, restreindre le texte à des « documents humains » et l’auteur à un « greffier de l’état civil ». Nous montrerons ainsi aux élèves comment le roman parle de lui, comment le genre se donne à se lire, ce qui constitue une de ses caractéristiques artistiques essentielles. 2.2. SÉANCE 2. GERMINIE LACERTEUX : LE DON JUAN DES BALS MUSETTES 42 40 Patricia Carles et Béatrice Desgranges, L’Ecole des Lettres, mars 1994 : « J’ai tout bonnement décrit, à plus d’un endroit, dans mes pages, quelques-uns de vos tableaux, aurait-il avoué à Degas à propos de L’Assommoir, et d’était encore là, pour ainsi dire, travailler d’après nature. » 41 Bernard Vouilloux, La Peinture dans le texte. XVIII e -XX e siècles, CNRS éditions, 1995. 42 Expression tirée de l’article de La Quinzaine Théâtrale, Félix Duquesnel, 1903. Site de la BNF. 31 Cette deuxième séance s’inscrit dans la continuité de la réflexion sur la représentation du peuple en lien avec la formule naturaliste. Il s’agira donc de comprendre comment le genre théâtral modifie ou adapte ses codes pour devenir naturaliste. Plusieurs copies, avec des formulations variées, ont développé ces problématiques : « Comment le théâtre utilise-t-il ses propres ressorts pour donner à voir la misère sociale ? » - « Le professeur se sert ici de la notion de ‘‘ polyphonie informationnelle ’’ élaborée par Roland Barthes. Selon le critique, le signe au théâtre est multiple : décor, costumes, mimiques, déplacements, texte… L’extrait des Goncourt exploite toutes ses dimensions pour ‘‘ donner à voir et à entendre ’’ et créer le pathétique. » Les copies qui ont rapproché l’écriture de la pièce avec l’écriture du roman ont perçu l’interaction entre ces deux genres, ce que démontre François-Marie Mourad dans ses travaux : « La scène est alors perçue comme un microcosme, non pas une portion accidentellement découpée du réel, mais un raccourci signifiant de l’existence, doté d’une valeur symbolique. La régénération du théâtre par le roman repose donc sur le postulat d’une circulation possible des schèmes et des thèmes, des situations, des milieux et des personnages d’un archigenre à l’autre. Après avoir affirmé sur tous les tons que la représentation du ‘‘ drame de la vie ’’ est au cœur de la démarche artistique, Zola est tout disposé à romaniser le théâtre, en spéculant sur l’homologie dont la méthode naturaliste témoigne à travers les réussites du roman comme genre total. » 43 La pièce Germinie Lacerteux, adaptation du roman du même nom, est une demande de Paul Porel, directeur du théâtre de l’Odéon, à Edmond de Goncourt pour la comédienne Réjane. Ce travail à partir d’un roman antérieur est fréquent pour les auteurs naturalistes désireux d’investir la scène théâtrale qui les fascine 44 . Alain Pagès distingue trois catégories de pièces : le théâtre de reprise (reprise à la scène de romans à succès comme L’Assommoir), le théâtre de création (création originale transformant une matière romanesque antérieure : Goncourt avec Henriette Maréchal en 1865, Germinie Lacerteux en 1888, Zola avec Thérèse Raquin en 1873, Renée en 1887, Henri Becque avec Les Corbeaux en 1882), le théâtre d’essai (essai de formules inédites avec les pièces montées dans le cadre du Théâtre libre d’Antoine ou les adaptations lyriques de Zola avec le musicien Alfred Bruneau pour Le Rêve en 1891, L’Attaque du moulin en 1893). Nous sommes ici dans le deuxième cas de figure et le rapport avec le roman est clairement exprimé dans la préface de la pièce rédigée par Goncourt en 1887 : «…je disais que le théâtre, en raison de sa convention et de son mensonge, n'était apte qu'à produire des croquades de mœurs, et ne pouvait rien offrir de la réalité contenue dans les sérieuses études du roman contemporain… ». Il sera alors intéressant d’appréhender les conventions théâtrales (le décor, les costumes, le jeu des comédiens…) dans le cadre de l’application de la formule naturaliste. Comment concilier l’artifice de l’art dramatique avec la « tranche de vie », « le document humain » ? Il est par ailleurs remarquable qu’Edmond de Goncourt s’interroge sur la difficulté du théâtre à exprimer ses ambitions naturalistes dans la préface même de la pièce. 43 Zola, critique littéraire, Champion, coll. Romantisme et modernités, 2003. 44 Préface de la pièce Germinie Lacerteux, 1888 : «…ce travail à deux de la mise en scène, enfin dans cette fascination, disons-le, qui se dégage de l'existence théâtrale… » 32 La parole des personnages, étudiée dans la quasi-totalité des copies, doit ainsi être analysée dans la perspective de reconstruction d’un réel plus ou moins fantasmé. Cet extrait de théâtre fait entendre ce qui devrait rester inouï et qui a été, bien sûr, travaillé littérairement à cette fin. Certaines copies ont proposé, de façon tout à fait pertinente, une séance de langue visant la norme langagière et l’identité sociale du « petit voyou » : « la manière de parler du voyou est signifiante. L’auteur laisse s’exprimer un idiolecte, construit à partir du langage de la rue (croquenots), d’erreurs de syntaxe (et pourquoi qu’on a arrêté ta sœur ?) et de grammaire « je m’ai sauvée » ; « Ainsi le voleur s’exprime-t-il avec de courtes phrases juxtaposées souvent terminées par des points de suspension, comme s’il ne parvenait pas à les lier entre elles. En outre son raisonnement paraît incohérent, notamment lorsqu’il est question de son mal de tête qu’il soigne avec du ‘‘saindoux’’ qui fait ‘‘friser les cheveux’’. » Lieu et milieu Le personnage de Germinie Lacerteux trouve son origine dans la vie même des frères Goncourt car c’est Rose Malingre, leur domestique, qui l’a inspiré. Le sujet du roman, l’histoire d’une femme double, alcoolique, à la vie libre après avoir été trompée et abandonnée par son jeune amant, réunit tous les thèmes chers au naturalisme : la femme délaissée, la femme aux mœurs légères, voleuse, alcoolique et hystérique, la femme du peuple victime de son milieu. L’ambition affichée pour la pièce est la même que pour le roman qualifié de « vrai » : « qu'il fasse voir aux gens du monde ce que les dames de charité ont le courage de voir, ce que les reines autrefois faisaient toucher de l'œil à leurs enfants dans les hospices : la souffrance humaine, présente et toute vive. » 45 La scène de la Boule Noire relate un moment fort du roman : suspectant son amant de la tromper, Germinie se rend au bal pour l’épier. Le théâtre va donc devoir faire percevoir cette tension dramatique, mettre tout en œuvre pour rendre le public sensible au milieu et à la souffrance de Germinie, proposer une peinture du lieu en adéquation avec la réalité. Le bal de la Boule Noire est la célèbre guinche de Montmartre créé en 1822 par une prostituée et qui doit son nom à une enseigne, une boule de verre d'abord blanche, puis noircie par la saleté. La référence précise à ce lieu réel, dans la première didascalie, place le lecteur et le spectateur (qui connaît l’histoire de Germinie Lacerteux) au cœur d’une réalité qui cristallise tous les fantasmes du bourgeois quant au monde ouvrier et les bas-fonds où l’on vient s’encanailler. Nous sommes mis en contact avec le lieu et le milieu qui indignent la bourgeoisie, avec un monde qui se donne à voir dans sa vérité tel que Zola l’annonce dans Le Naturalisme au théâtre : « Je m’imagine ce créateur enjambant les ficelles des habiles, crevant les cadres imposés, élargissant la scène jusqu’à la mettre de plain-pied avec la salle, donnant un frisson de vie aux arbres peints des coulisses, amenant par la toile de fond le grand air libre de la vie réelle. » Les lieux réels évoqués -la « Tour pointue », l’hôpital des « Enfants Trouvés », la « Place Maub », le « Palais »…- circonscrivent la vie des pauvres à un périmètre de misère et d’enfermement qui les déterminent. Les deux personnages, « le petit voyou » et « la gamine », qui n’existent pas dans le roman viennent pour incarner et (sur)signifier le milieu, mais aussi, par une « mise en abyme », redoubler l’histoire malheureuse de Germinie. L’absence de nom pour ces deux personnages confirme ce qui avait été démontré sur l’identité sociale des individus du peuple, leur dénomination 46 . Véritables personnages types, ils incarnent une catégorie d’individus, des êtres interchangeables et sémiotiquement lisibles par les habits, l’expression, le langage et le récit de leur vie qui, par redondance didactique, (re)formulent ce dont nous étions déjà informés. Dénués d’une vie dont ils 45 Cf. préface de Germinie Lacerteux 46 Notons également que les noms de Glaé et de Mélie sont les diminutifs par aphérèse d’Aglaé et d’Amélie. 35 Par ailleurs, le rapport à l’image et au spectacle évolue dans un contexte de développement de l’art visuel, depuis les lanternes magiques et les panoramas 58 de la fin du XVIII ème siècle au cinéma de l’extrême fin du XIX ème siècle. Le tableau entre alors dans une nouvelle dynamique marquée par la vitesse et l’impression du réel, ce que relève Philippe Hamon, dans Imageries littérature et image au XIX ème siècle, en affirmant qu’ « intégrer la vitesse ou le hasard à la lecture, est aussi un rêve que s’efforceront de réaliser […] les réalistes-naturalistes en ‘‘cassant’’ l’intrigue, en dévalorisant systématiquement l’ ‘‘histoire’’ et l’ ‘‘anecdote’’ au profit de textes composés d’un assemblage de ‘‘scènes’’, de ‘‘tableaux’’, de ‘‘détails’’, d’ ‘‘instantanés’’, d’‘‘idylles’’… ». En écrivant sa pièce de théâtre Goncourt est effectivement préoccupé par ces nouveaux paramètres que sont la vitesse et l’instantané, mais aussi par la technique pour la mise en scène, ce qu’il exprime dans sa préface 59 . Le recours à cet assemblage et la succession de tableaux nuiront parfois à la bonne compréhension de l’histoire et seront un frein à l’adhésion du public. En ce qui concerne le décor et les costumes, la première didascalie est extrêmement précise et réaliste : les objets (« lambrequins », « saladier »..), les couleurs (« blancs », « grenat », « or », « vert », « bleu », « rouge »…), la lumière (« éclairées », « reflétés »…), les matières (« velours », « bois », « flanelle » …). Ce texte informant de la perspective, de l’agencement du décor, du placement des personnages, de l’expression et l’attitude des personnages évoque les documents servant au roman naturaliste, ou de façon plus contemporaine un scénario cinématographique. La syntaxe utilisée est également intéressante et pourrait faire l’objet d’une brève étude : parataxe, juxtapositions, énumérations, phrases nominales… construisent une vision impressionniste du tableau. Le texte des didascalies n’est cependant pas à destination du spectateur, il est une « indication » pour la « scène », sa concision exprime ici non seulement le souci scientifique du milieu (la démarche rationnelle de la description du cadre de l’expérience) mais aussi une esthétique du réel, la recherche du détail qui fait vrai. Les limites sont d’ailleurs atteintes quand l’objet trop présent révèle l’artifice, le code, l’espace de la scène étant alors le lieu de la « monstration » et de la démonstration. On ne regarde pas la scène comme on regarde le spectacle de la vie, le théâtre engendre un regard, une intention et une attention particulières (le cinéma pourra par des effets de caméra mobile, par cette « lumière dans le noir », mimer le spectateur qui vit et se déplace dans l’espace de la fiction comme dans un espace réel). Tout concourt à l’expression de la vérité, notamment les personnages dont nous avons déjà parlé. Pour comprendre les enjeux du combat du naturalisme pour gagner la scène et pour saisir le genre théâtral dans sa dimension de représentation (cf. intitulé des objets d’étude et les préconisations des programmes), nous pourrions proposer à la classe deux activités : soit l’analyse d’un décor et/ou d’une mise en scène, soit un travail de lecture du texte théâtral 60 . Pour la deuxième proposition, il serait judicieux de s’entraîner à la lecture de l’extrait pour jouer sur la diction et le leur, et amenant dans des milieux invraisemblables des personnages de toutes les classes, de toutes les positions sociales. » 58 Patricia Carles et Béatrice Desgranges, L’École des Lettres, mars 1994 : « Le panorama, inventé par l’Anglais Barker en1787, devait connaître une vogue considérable à Paris dans le dernier tiers du XIX ème siècle : on estime à près de cent millions le nombre de spectateurs ayant fréquenté les panoramas entre 1870 et 1900 ; Tout était fait pour créer l’illusion… » 59 « J'ai donc distribué Germinie Lacerteux en tableaux, mais en tableaux non à l'imitation des actes, ainsi qu'on a l'habitude de le faire, en tableaux donnant un morceau de l'action dans toute ta brièveté : fût-il composé de trois scènes, de deux scènes, môme d'une seule et unique scène. Et cette distribution a été faite dans l'idée que la pièce serait jouée sur un théâtre machiné à l'anglaise, avec des changements à vue sans entr'actes, ou tout au moins avec des baissers de rideau très courts — et aussi avec l'espoir, au milieu de la pièce, d'un repos, d'un grand entr'acte d'une demi-heure, à la façon des concerts, des cirques et des trilogies de Wagner. » 60 Le site de la BNF met à disposition du public un certain nombre de documents plus ou moins contemporains de la période qui nous intéresse. Le document de La Quinzaine Théâtrale qui présente la nouvelle programmation de Germinie Lacerteux est illustré des photographies des tableaux. Il serait alors pertinent à partir de ces photographies d’analyser le décor, d’en vérifier l’exactitude et dans un deuxième temps de le comparer à des mises en scène d’autres pièces, plus contemporaines, qui privilégient souvent le décor épuré. 36 approcher la manière dont les personnages parlent réellement. Zola considérait que la plus grande difficulté pour appliquer la formule naturaliste au théâtre résidait non pas dans le décor ou les costumes mais dans le jeu des comédiens. Outre la lecture des répliques, l’écoute d’enregistrements de diction de comédiens, notamment ceux de Sarah Bernhardt, permettrait aux élèves de prendre la mesure du combat des naturalistes pour un théâtre de la vérité. 2.3. SÉANCE 3. BOULE DE SUIF : À TABLE ! Avec l’extrait de la célèbre nouvelle de Maupassant nous sommes toujours dans la continuité d’une réflexion sur le personnage selon le naturalisme, mais avec un déplacement du regardé vers le regardant. Nombreux ont été les candidats sensibles à cet aspect : « Comment à travers le jeu des portraits, et notamment celui d’une prostituée, figure emblématique du peuple, le narrateur procède-t- il, par contraste, à une peinture satirique de la société bourgeoise ? » ; « […] en filigrane nous est décrite ‘‘ la société rentrée, sereine et forte des honnêtes gens ’’. C’est un panorama intéressant pour débuter la séquence. De même, le texte pose les jalons de l’idée directrice de la séquence, l’idée de représentation sociale puisque les personnages sont ici en représentation sociale, chacun jouant son rôle tout en observant, jugeant les autres. » Boule de Suif appartient au recueil des Soirées de Médan (L’Invasion comique fut le premier titre proposé par Huysmans) qui réunit les nouvelles des six auteurs regroupés autour de Zola en 1880. L’histoire littéraire a construit un mythe autour de cette publication alors que l’objectif était de collecter certains textes déjà publiés pour occuper stratégiquement le devant de la scène littéraire et réagir à un moment où les attaques contre le naturalisme étaient virulentes. Les six textes ont en commun le thème de la guerre de 1870, le plus célèbre étant le texte de Maupassant qui assura à son auteur la célébrité et l’engagea dans l’écriture du genre. Le récit relate le voyage en diligence de dix personnes -un groupe de nobles et de bourgeois, deux religieuses, un démocrate et une prostituée- qui fuient Rouen pour Dieppe. La démarche naturaliste se retrouve puisque la fiction est fondée en partie sur la réalité : la marche des prussiens sur Rouen, la déroute de l’armée française, l’existence de Tôtes et de l’auberge, les personnages inspirés de personnes connues de Maupassant 61 . Dans le cadre de la lecture cursive, nous aurons demandé aux élèves de lire ou de relire la nouvelle, travail donné en amont de la séquence. En début de séance un temps sera consacré à l’axe chronologique pour vérifier la bonne inscription des dates des différents régimes politiques, expliciter les enjeux de la guerre franco-allemande. La méthode naturaliste et le descriptif Les textes naturalistes et plus généralement réalistes ont fait l’objet de critiques appuyées en raison notamment du nombre et de la longueur de leurs descriptions. Zola dans Le Roman expérimental, revient à plusieurs reprises sur la description pour la justifier, et notamment par des arguments scientifiques et anthropologiques 62 . Nous verrons que la description dans la nouvelle, par 61 Adrienne-Annonciade Legay, maîtresse d’un officier mobilisé au Havre et patriote aurait inspiré Boule de Suifs, Charles Cordhomme, oncle de Maupassant le personnage de Cornudet notamment, cf. site Maupassantiana, site référencé par la BNF. 62 « Cela revient à dire que nous ne décrivons plus pour décrire, par un caprice et un plaisir de rhétoricien. Nous estimons que l’homme ne peut être séparé de son milieu, qu’il est complété par son vêtement, par sa maison, par sa ville, par sa province ; et, dès lors, nous ne noterons pas un seul phénomène de son cerveau ou de sn cœur, sans en chercher les causes ou le contrecoup dans le milieu. De là ce qu’on appelle nos éternelles descriptions. » 37 ses contraintes formelles, est guidée par l’efficacité et le dynamisme tout en s’inscrivant dans la logique du monde réel et celui de la fiction. Ainsi la description des six personnages correspond à une nécessité diégétique : réunis dans un même lieu sans se connaître, les personnages se font face et s’observent pour se découvrir et se « lire », le regard aiguisé par l’intérêt de connaître les autres privilégiés qui peuvent fuir Rouen. La description, selon Philippe Hamon 63 , est alors motivée par un vouloir-voir (l’intérêt et la curiosité), un pouvoir-voir (le lieu clos de la diligence où chacun se fait face), un savoir-voir ou un devoir-voir (pris en charge par le narrateur omniscient et l’auteur qui connaît la suite de la nouvelle et dépose dans le texte des indices qui construisent le sens). La description est également motivée par un contrat de lecture de l’œuvre naturaliste (il s’agit du recueil des Soirées de Médan) qui suppose une démarche scientifique d’observation, l’expérimentation de corps différents dans un milieu, la connaissance de la nature humaine. Le lecteur attend donc de disposer de toutes les données préalables à l’expérience -quels sont les individus mis en présence dans le lieu clos de la diligence ? Quels sont les événements qui justifient leur mise en contact ? - avant d’examiner la réaction des uns et des autres dans cette situation. Nous pourrions, l’œuvre ayant été lue ou relue pour la séance, appréhender la nouvelle par les schémas narratif et actanciel, ce qui permettrait de comprendre ce qui se joue ici tant sur le plan de la nouvelle que sur le plan des milieux et du naturalisme (confrontation des différents milieux et lutte des individus pour « survivre »). Maupassant procède ici à une description herméneutique, selon la classification de Philipe Hamon, ce qui « correspond à une conception du réel comme organisé à deux dimensions, où des apparences s’opposent à un réel […] .Cette conception est volontiers morale. » Dans le texte proposé, une partie de la société est présentée : « les bonnes sœurs » et surtout « le démocrate », « la prostituée » sont considérés comme dangereux pour une « société rentée, sereine et forte, des honnêtes gens autorisés qui ont de la Religion et des Principes ». La formule naturaliste est appliquée puisque des catégories sociales sont représentées et réunies dans un lieu, l’expérimentation portant sur la réaction face à un événement historique, « la guerre de 1870 » et la fuite de Rouen. La formule naturaliste prévoit l’examen des sujets ce qui se traduira par les portraits de chacun. Le portrait de Boule de Suif Le portrait de l’héroïne peut faire l’objet d’une analyse fine et nous engager sur la voie du commentaire de texte. L’étude et le repérage des noms, des adjectifs, des métaphores et comparaisons aboutiraient à la présentation d’une femme comme objet de consommation, notamment par la référence au « lard » et « aux courtes saucisses », d’une femme comme sujet d’un tableau par le jeu des couleurs et des formes, ce que rend également l’organisation de la description, le parcours du regard sur la femme, une écriture de la « touche » juxtaposant les groupes nominaux. Les trois fonctions majeures de la description, selon Jean-Michel Adam et André Petitjean, sont ici en action. Le savoir sur le personnage, la fonction mathésique, transparaît dans les informations diffusées par l’auteur « appelées galantes », « le surnom de Boule de Suif », « qualités inappréciables » ; la construction d’une représentation, la fonction mimétique, est réalisée par la peinture du personnage que nous avons évoquée précédemment ; la régulation du sens, la fonction sémiosique, agit ici comme (sur)signifiant par la lisibilité du personnage (dans le cadre du naturalisme qui veut informer et dans celui de l’écriture de la nouvelle qui joue sur la lecture et le jalonnement d’indices amenant à la « chute »). 63 L’Ecole des Lettres, mars 1992, p. 7. 40 ne laisse pas entendre qu’il va être question de la mort. » ; « la chute du sonnet “ bonne santé ” fait office de pointe, là où le poème ne parle que de mort » ; « Le poète détourne l’usage du sonnet, a priori et traditionnellement la forme poétique dans laquelle s’incarne le lyrisme de façon privilégiée pour en faire le lieu d’un regard ironique et cynique jeté sur un monde – même humble – perverti par l’argent, thème récurrent chez Zola ou Maupassant par exemple. » ; « Le dernier tercet signe le paroxysme de l’ironie : le mot “ or ” matérialise le dédoublement ironique et renvoie et au soleil d’été et à l’argent amassé. Le traitement de la mort ne se réalise pas ici sur le mode de l’idéalisation, de la sublimation, voire de la déploration lyrique, il tend au contraire vers le prosaïsme et en cela inaugure l’avènement du roman zolien, naturaliste par excellence. » Nous avons déjà parlé de l’opposition traditionnelle que l’on a immédiatement à l’esprit lorsque l’on associe les deux termes de « naturalisme » et de « poésie » car « l’imagerie est bien en place, avec tous ses stéréotypes 71 . » La polémique de Zola avec Armand Silvestre 72 rappelle d’ailleurs cette antinomie. Il sera donc intéressant dans la continuité de la séquence de comprendre comment le mouvement s’est approprié le poème et comment ce dernier a mis ses caractéristiques au service du naturalisme. Citons enfin François-Marie Mouradqui nous livre le point de vue de Zola quant à la poésie : « Zola apprécie cette poésie narrative, aux antipodes des recherches et des explorations qui l’irritent sans alerter son intelligence critique. Il faut que la poésie soit à la fois claire et simple, deux attributs qui ne sont pas nécessairement requis pour la prose ! Le critique exige de la poésie un brevet d’innocence, par refus des aventures du sens où l’entraîneraient les ‘‘ complications ’’ qui mettent en péril sa conception de la littérature. La poésie doit donc être la plus matérielle possible, sans image, sans énigme, d’une lisibilité parfaite et ostentatoire […] Lui (François Coppée), a voulu voir le sang de la vie circuler dans son œuvre ; et avec un art d’ouvrier qui se dissimule et dont le public ne se doute guère, il donne droit de cité en poésie à des sujets, à des tournures, à des mots, dont les versificateurs n’avaient point osé se servir jusqu’ici. Certes, il est charmant. Mais, en outre, il est moderne. Selon moi, c’est sa grande originalité. » 73 Un tableau naturaliste Le sujet que décrit Coppée se rattache à l’ambition naturaliste de peindre un « coin » de la réalité souvent méprisé ou interdit de littérature. « La Famille du menuisier » nous donne à voir un « tableau de paix naïve et domestique » qui pourrait correspondre aux « choses vues » de la tradition documentaire du naturalisme. Par ailleurs, nous retrouvons ici le procédé du « faire voir » qui s’accompagne d’un « voir faire», selon la terminologie de Philippe Hamon, fréquent dans les romans naturalistes. Les personnages sont socialement identifiés dès le titre : « une famille » (thème traditionnel du mouvement qui permet de comprendre l’hérédité mais aussi l’influence du milieu) avec « la mère », les « enfants », « un menuisier ». Le milieu ouvrier est immédiatement exprimé en termes marchands, ce qui empêche toute interprétation romantique du métier de « menuisier » : il s’agit d’ « un marchand de cercueils » dont la famille n’a que l’intérêt du « gain » (« vendre », « s’accroîtra son épargne », « boutique », « or d’un soir d’été », « bien-être »). Il est à noter que la poésie sert l’effet de surprise de ce thème inattendu, notamment par le rejet du vers 10 (« son épargne ») et la métaphore 71 Philippe Hamon, Les Cahiers naturalistes, « Poésie et naturalisme », 2007. 72 Le Roman expérimental, éd. Nouveau monde, 2004, p. 460 : « Il y a injure à nous dire : « Vous ne rimez pas, donc vous n’êtes que des reporters… » 73 Zola, critique littéraire, Champion, coll. « Romantisme et modernités », 2003. 41 « or d’un soir d’été » à double interprétation. L’argent, nous le savons, est un thème récurrent du naturalisme. Le prosaïsme dont il est question dans ce poème renvoie au débat entre l’utile et le laid en littérature, et le prosaïque, « lié au principe d’utilité, [il] a toujours à faire avec le commerce » 74 . Dominique Combe souligne à ce propos que « le prosaïsme, pour le poète, consiste à descendre du ciel de l’Idéal et à emprunter ses sujets aux romanciers (ou aux peintres) dits ‘’réalistes’’ ». L’image renvoyée du monde ouvrier est celle du travail et le poète décrit la scène avec des mots de tous les jours, ceux de la réalité décrite dans les romans : « trousser ses manches », « rabote en sifflant », « les copeaux », « les bières », « les planches », « tricote »… Les termes concrets adaptés au sujet confirment ce prosaïsme 75 . La description de la famille est positive et évoque l’œuvre de Denis Poulot, Le Sublime ou le travailleur tel qu’il est en 1870, et ce qu’il pourrait être, qui classe et décrit les différentes catégories d’ouvriers selon leur courage et leur respectabilité, le sublime étant la catégorie modèle. Toute la famille apparaît charmante et rassurante, loin de l’image reprise par l’historien Louis Chevalier dans Classes laborieuses et classes dangereuses : « ses enfants, deux blondins tout roses et dispos » sont polis et « tirent leurs chapeaux » devant les passants ; ils ne sont que deux, loin de l’image des familles nombreuses et pauvres, ils jouent pendant que la mère « sourit » et « tricote au seuil de la boutique ». Tous forment une famille et un groupe en bonne santé, ce qui est rendu par le rythme de quelques alexandrins, les mises en relief, les rimes et les sonorités que l’on pourra commenter. Cette image d’Épinal a pourtant son négatif. L’univers macabre de certaines œuvres naturalistes, l’horreur de la mort, la maladie sont bien présents : « bières », « corbillard » (à l’hémistiche), « choléra » (à la rime). La mère, véritable Parque, s’arrêtera de tricoter lorsqu’un client entrera dans la boutique pour enregistrer un « futur » mort et acheter un cercueil ; les enfants ne tirent pas leurs chapeaux par respect des passants ou des morts mais pour le gain généré ; le « en souriant » prend un double sens, « bénissent » également. Le travail du menuisier n’a pas toujours été fructueux comme le sous-entend le « ne boit plus », « il n’a pas le moindre repos », ce qui nous amène à nous interroger sur l’ancrage temporel de la scène : Coppée a composé bon nombre de poèmes de ce recueil pendant les années 1870-1871, période marquée par le sang. Le cycle très naturaliste de la mort qui donne la vie est ici à l’œuvre, terrifiant le bourgeois dont le cadavre nourrit l’ouvrier. Le recours au sonnet et aux ressources poétiques accentue cette lecture effrayante du tableau. Dans la continuité du travail sur l’ironie, nous pourrions réfléchir à son utilisation dans le poème de Coppée et plus largement à son lien avec le genre poétique et le naturalisme. Philippe Hamon rappelle le problème de « cette relation triangulaire, ‘’névralgique’’ pourrait-on dire, que la critique et la théorie ont l’habitude d’instaurer entre poésie, naturalisme et ironie, en opposant terme à terme ces trois ‘’genres’’ (ou modes) ». Le prosaïsme ici à l’œuvre « constitue bien une esthétique à part entière, susceptible d’être revendiquée par d’authentiques artistes, comme un critère de l’art ‘’moderne’’. S’il exprime bien la médiocrité de la société bourgeoise, le prosaïsme n’en est pas moins subversif puisqu’il transgresse le ‘’bon goût’’, les valeurs éternelles du Beau classique, auquel Monsieur Prudhomme reste indéfectivement attaché. » 74 Les Cahiers naturalistes, 2007, article « Les « chiens noirs de la prose », poésie et prosaïsme » par Dominique Combe, p.17. 75 Ibidem, « il [le prosaïsme] concerne surtout le rapport au sujet, puisque, selon le Dictionnaire universel, « le prosaïsme est d’autant moins supportable en vers que le sujet que l’on traite est plus élevé. » 42 Le travail sur le langage et le cliché La position du lecteur face à un texte poétique, surtout lorsqu’il s’agit d’un sonnet, n’est culturellement pas la même que pour un roman, une nouvelle, une pièce de théâtre. Le genre engendre ses codes de lecture, parfois en contradiction avec le contrat de lecture qu’impose le mouvement naturaliste. La lecture du sonnet et l’image du poète Coppée ne nous préparent pas à une lecture ironique du texte. Habitué à certains registres, au lyrisme réservé notamment à l’expression d’une intimité à valeur universelle, le lecteur est déstabilisé et scandalisé lorsque ces codes sont perturbés, pervertis (cf. la lecture et la compréhension de « l’or d’un soir d’été »). Les codes du genre poétique et sa lecture entrent aussi en conflit avec l’expérimentation scientifique et le contrat de lecture naturaliste qui engendrent une distanciation. Ces « grains de sable » à peine lisibles qui parcourent le texte et nous guident sur le chemin d’une lecture ironique sont en ce sens très voltairiens. Le dernier tercet apparaît, autre détournement, le lieu choisi pour exprimer le plus violemment cette vision, détruisant le cliché par un « bien-être » et « une paix » à double entente. Le poème de Coppée applique donc la formule naturaliste en conservant toutefois une forme poétique codifiée et connotée. Selon Dominique Combe, « Le prosaïsme est affaire d’éthos. Qualifiant l’état d’esprit, la disposition affective non pas tant du poète, que du lecteur, il consiste dans un effet produit par le texte. L’effet de prosaïsme tient à une rupture avec le contexte poétique par la forme (la versification, comme on l’a vu), le sujet, ou le style, qui lui-même procède de leur rapport, selon la théorie médiévale de la « roue de Virgile ». Le prosaïste choisit un sujet banal, trivial, qui appelle un style « bas », susceptible de produire un effet anti-lyrique, dysphorique. » Le travail sur la langue nous permettrait de revenir sur la notion de prosaïsme dont les effets sont surtout portés par le lexique. Nous pourrions alors étudier l’utilisation du lexique en poésie et montrer son évolution depuis le romantisme jusqu’au début du XX ème siècle et la modernité. Nous pourrions également interroger la place de la poésie dans les écrits naturalistes de nos auteurs car en effet que ce soit Goncourt et l’écriture artiste ou même Zola dans ses descriptions, il y a perméabilité entre les genres. 2.5. SÉANCE 5. LES QUATRE TEXTES : LES GENRES DU NATURALISME En guise de synthèse, la relecture comparée des quatre textes avec leurs caractéristiques génériques propres mises à l’épreuve du naturalisme constituerait la résolution de la problématique. Il serait alors intéressant de revenir sur les genres pour en récapituler les spécificités, les codes, les sujets (en production et en réception), et de montrer comment ces modes de représentation sont traversés, voire annulés, par la méthode naturaliste. Dans son travail sur Zola, François-Marie Mourad analyse très clairement comment la méthode naturaliste bouscule la catégorisation littéraire en genres : « Lorsque Zola aura donné corps à la doctrine naturaliste, qu’il en aura fait la ‘‘ méthode ’’ la plus à même, selon lui, de représenter le réel intégral, il postulera à nouveau la disparition des genres (et même de la littérature), qui sont autant d’obstacles susceptibles de gêner ou de différer le ‘‘ retour à la nature et à l’homme ’’. C’est toujours le primat de l’étant sur le medium de sa représentation. Mais la deuxième tendance, celle de la prise en compte des genres, profilée dès les premières prises de position critiques, comme une modalité de la vie littéraire courante, reviendra en force à travers toute une série de prescriptions susceptibles d’asseoir le pouvoir définitif du naturalisme. Zola jouera des deux logiques, fera alterner les deux discours, celui de l’a-généricité et celui du renouvellement des genres, selon les 45 Séance 2 : Une invasion comique ? Le texte de théâtre Germinie Lacerteux et le texte de la nouvelle Boule de Suif Il convient alors de revenir sur deux textes et leur thématique commune –la représentation de la prostituée ou d’un lieu malfamé- pour en analyser la « fictionnalisation » par deux genres différents. L’ironie dans Boule de Suif, le pathétique dans Germinie Lacerteux, les intentions des auteurs et la relation au lecteur/spectateur permettent de comprendre les deux genres, leur histoire, leurs possibilités, leurs limites. Séance 3 : Regards de l’artiste sur son œuvre : le texte romanesque de L’Assommoir et le texte de théâtre Germinie Lacerteux. Une fois posés les effets de réel, l’analyse de la formule naturaliste différemment mise en œuvre fait saisir la notion de tempérament mais aussi la question de l’art et du média. La présence de l’auteur / narrateur et celle du dramaturge / metteur en scène amènent à réfléchir à leur rôle dans l’œuvre (indications scéniques et la notion de point de vue par exemple). Séance 4 : À chacun son genre : le poème de Coppée et la nouvelle de Maupassant, puis le roman de Zola. Il s’agit ici de montrer comment le genre inscrit le texte dans un horizon d’attente et induit une lecture, comment la poésie hérite d’un passé par exemple. On peut alors comprendre la notion de relative liberté pour le roman et la nouvelle. Séance 5 : Contamination et porosité des genres : quelles limites pour le naturalisme et quelles possibilités pour le roman ? Les quatre textes. La séance bilan vise le retour sur le mouvement et ses caractéristiques, les interactions entre les genres, les notions de naturalismes et de roman omnigénérique. Une ouverture sur la chanson, le cinéma, la littérature contemporaine permet d’appréhender la postérité du mouvement. Évaluation : - un travail de transposition générique, par exemple la transposition des deux strophes centrales du poème en texte romanesque - un travail d’argumentation : « Vous rapportez un dialogue entre un romancier et un directeur de théâtre ayant eu lieu en 1888 : le directeur de théâtre veut convaincre le romancier d’adapter son roman pour la scène ». 3.2. LA REPRÉSENTATION DU PEUPLE CHEZ LES NATURALISTES : UNE LITTÉRATURE DU « MAUVAIS GENRE » ? Il s’agit de comprendre comment se pose le problème de la représentation en littérature, mais aussi comment la littérature se perçoit et fait évoluer ses codes génériques. Séance 1 : Une galerie de portraits : exposition de monstres. Le texte de L’Assommoir et le texte « La Famille du menuisier » d’une part, puis le texte de Boule de Suif et le texte de Germinie Lacerteux d’autre part. 46 On étudie la description, les notions de figuratif et d’impression ; on pose le problème de la littérature réfléchissante et déformante (mimèsis). Séance 2 : À chacun son milieu. Le texte de Germinie Lacerteux et le texte de L’Assommoir. On s’attache à la formule naturaliste avec les concepts de déterminisme, d’expérimentation et d’observation ; on travaille sur les effets de réel, l’ « effet-personnage » et l’ « effet-personne ». Séance 3 : Classes laborieuses et classes dangereuses ? Le texte de Boule de Suif et le poème « La Famille du menuisier ». Il est ici question de la thématique forte de la faim et de l’appât du gain dans une société en mutation, de la réception et du point de vue, de l’ironie et de l’esthétique de la nouvelle. Séance 4 : Voix, voyous, voyeurs. Le texte de Germinie Lacerteux. On analyse les conventions théâtrales à l’épreuve du réel et du naturalisme. Séance 5 : Mauvais genre ? Le poème « La Famille du menuisier ». On aborde la notion de contrat générique, les codes de la poésie et de la littérature, l’ironie. Séance 6 : Quels tempéraments ! Le texte de L’Assommoir et le texte de Boule de Suif. On traite du problème du point de vue, du narrateur et de la médiation (la théorie des écrans), on perçoit les enjeux du mouvement et des tempéraments par le passage du document humain à l’œuvre. Une ouverture culturelle à la peinture peut être envisagée ici. Évaluation : - réécrire une partie du texte de L’Assommoir en prenant le point de vue de Gervaise ; - un travail de commentaire sur un autre portrait extrait de Boule de Suif. Le pacte de lecture proposé en introduction doit être rappelé pour clore ces éléments de corrigé. Un rapport de jury qui ne serait pas ambitieux dans ses propositions ne respecterait les règles du genre. Le candidat doit donc lire et relire ce rapport en gardant à l’esprit ce cadre de production et de réception. Des savoirs littéraires et didactiques sont naturellement attendus par les membres du jury mais ce sont surtout des compétences de lecture, d’analyse et de réflexion qui sont discriminantes pour l’exercice. Les compétences, nous le savons, s’acquièrent, se développent et disparaissent malheureusement si on ne prend garde de les mettre en œuvre régulièrement et dans des situations différentes. Le contexte professionnel de l’enseignant est propice à ces pratiques et stimulations intellectuelles, surtout lors de l’entrée en vigueur de nouveaux programmes. L’année de préparation au concours ne doit donc pas se vivre en dehors des préoccupations des classes, mais 47 au contraire s’y rapporter afin que les projets didactiques conçus pour les niveaux dont l’enseignant à la charge, quels qu’ils soient, puissent être pensés et travaillés avec cette même logique. Nous espérons que ces quelques réflexions et éléments de corrigé pourront aider les candidats à se représenter les attentes des membres du jury et leur souhaitons une préparation intellectuellement riche et fructueuse. Frédéric RAIMBAULT IA-IPR de Lettres 50 RÉFLEXIONS, CONSEILS ET PROPOSITION DE CORRIGÉ 1. QUELQUES CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES 1. 1. La principale difficulté, du programme plus que du sujet, était de ne comporter qu’un livre des Essais, le livre I, qui correspond assez mal au Montaigne le plus généralement connu et enseigné, celui du livre III. Le Montaigne du livre I ne correspond pas non plus, ou pas exactement, au « Montaigne du branle universel du monde » auquel songeait Jeanneret pour son Perpetuum mobile où il poursuivait sur un plan plus formel le courant inauguré par Starobinsky. Ainsi, s’il était hors de question de sanctionner négativement la connaissance du livre III, connaissance d’honnêtes gens, et des professeurs du secondaire au moins praticiens des manuels, il fallait néanmoins que les candidats réfléchissent et dissertent d’abord sur le livre I, tel que l’édition au programme (édition E. Naya, D. Reguig-Naya et A. Tarrête, Folio Classiques, Paris, Gallimard, 2009) le leur avait présenté, en y apportant, en plus, leurs connaissances extérieures si elles servaient à la réflexion sur le sujet. Ici, dans le cadre de ce rapport, on essaiera de rester cantonné au programme seul, ce qui donne à la réflexion sur les Essais un petit air myope et parfois hors des sentiers battus. 1.2. Une autre difficulté, éventuelle, de ce sujet est qu’il n’a rien d’une question de cours, avec récitation attendue de fiches préparées à l’avance sur le dit livre I : le moi ? Sa peinture ? Les discours politiques et militaires ? La glose ? La citation ? La bibliothèque ? La culture ? La rhétorique ? Les trois strates philosophiques ? La prudence ? L’ami, le père ? Bien sûr il fallait bien réintroduire tout cela, ou une grande partie de cela, mais rien apparemment/directement de tous ces ingrédients ordinaires du prêt à penser dans ce sujet qui considère Montaigne simplement comme un écrivain assez solipsiste et plume en main, un écrivain très contemporain. Bref un bon remue-méninges, un peu mystérieux. Aussi si certains herméneutes/candidats l’ont compris d’une autre manière que ne l’avait prévu le jury, et qu’ils ont convaincu leurs correcteurs, ils ont tiré bénéfice de leur interprétation et de leurs trouvailles. Il n’y avait pas de vérité révélée, de dogme chez les lecteurs de Montaigne… Le jury a donc pu être souple et noter la qualité du travail, ce qui a constitué une perspective de correction et de notation plutôt sympathique. 1. 3. Pour des conseils plus généraux (comment disserter etc.?), que les candidats se reportent aux rapports des années précédentes, et en particulier aux pages 38-40 et 49 du rapport de 2008 toujours d’actualité parce que fort bien rédigées par M. Christian Belin. Il n’y a rien à y ajouter à ses conseils réfléchis et délicats. 51 2. COMPTE TENU DES CONSIDÉRATIONS PRÉCÉDENTES, LE JURY AVAIT CETTE ANNÉE CINQ ATTENTES PRINCIPALES : 2. 1. Une bonne explication et une bonne compréhension du sujet, de la lecture qu’il envisage et des problèmes qu’il pose : bref essentiel, le dialogue permanent avec le sujet, très riche. Il ne fallait bien sûr pas le scinder en deux en ne traitant, par exemple, que de la question de l’écriture, de la qualité du texte des Essais, bref en ne développant que les termes « saisie par le langage » et la métaphore du filet troué ; ou alors en se limitant à un questionnement sur l’entreprise d’autoportrait, de quête de soi, autrement dit en ne retenant pour les expliquer que les termes « divagations de la psyché », « inquiétude de l’ouvrier », « esprit aux aguets ». Cette partition avec abandon d’une partie du sujet à laquelle certains candidats se sont résolus, démontre la difficulté qu’ils ont rencontrée pour rendre compte de l’ensemble de la thèse : il semble plus facile de traiter successivement les divers éléments, alors qu’il faut s’efforcer de les tricoter ensemble le plus souvent possible. Ainsi les meilleurs plans ont cherché à concilier la matière du texte et l’essai du jugement. 2. 2. une dissertation fondée donc sur l’ensemble du sujet, construite de façon dynamique, progressive, ce qui n’était pas évident puisque le sujet n’appelle pas au classique plan thèse/ antithèse/synthèse. On peut souhaiter que les parties soient équilibrées si possible (et non 1>2>3, avec une 3 e partie réduite à un paragraphe d’une trentaine de lignes). Voici quatre exemples (A, B, C, D) de bons plans trouvés dans les copies : A. 1 Une œuvre en mouvement qui privilégie la substance plus que la forme accomplie ; 2 une marqueterie, un puzzle pour le lecteur ; 3 et une écriture où l’auteur s’essaie en permanence. B. 1. Une écriture qui se fait et se défait ; 2 une œuvre édifiée autour d’une pensée selon 3 une esthétique de la spirale. C. 1 Un texte de l’équilibre instable à l’écoute d’un esprit oisif ; 2 qui néanmoins s’appuie sur la cohérence d’une pensée 3 et sur le travail du lecteur conduit à réinventer le livre. D. 1 Un livre monstrueux ; 2 pourtant construit avec légèreté 3 pour retrouver une unité et un équilibre. 2. 3. une bonne connaissance du texte, dans l’édition au programme, qui a une particularité majeure, et jamais vue, ses deux strates (1588/EB, abréviation pour désigner l’exemplaire de Bordeaux), strates que le sujet appelle justement à exploiter (romains 1588/écriture étroite EB). Cette bonne connaissance, on la sentira dans les références précises à certains chapitres (il y en a 57 ! plus l’avis « Au lecteur ») et dans l’analyse de quelques-uns pour y appuyer la pensée, et dans quelques citations, si possible, bien sûr. Vu l’auteur au programme, le jury a constaté que certains candidats étaient fort capables, sans avoir travaillé le texte au programme, de rendre une copie d’ampleur raisonnable (8/10 pages) composée uniquement à partir de leur culture de professeur en exercice devant leurs classes. Inutile de dire que ce n’est pas ce qui est attendu, mais une familiarité avec le texte, avec l’édition au programme, et pourquoi pas avec des passages, des chapitres choisis, travaillés, relevés par tel ou tel candidat, et pas forcément une anthologie, la même pour tous, même si certains chapitres ou passages devaient figurer dans le développement pour leur caractère topique. On pouvait sur ce point de la matière mise en œuvre se montrer original, et présenter « son » Montaigne. 2. 4. une rédaction correcte (orthographe/syntaxe/ponctuation), intelligible, agréable voire davantage. Certains candidats ont vraiment une personnalité, du talent dans leurs copies, et il faut savoir qu’il y a avantage, sans afféterie, ni cuistrerie, à travailler aussi en songeant à ses lecteurs. 52 Comme les candidats doivent eux-mêmes le conseiller à leurs élèves, il n’est nul besoin d’ennuyer son correcteur pour réussir une composition française. Rappelons aussi que la présentation reste essentielle. Pensez aux yeux de vos correcteurs et sautez des lignes, aérez votre rédaction, utilisez des encres visibles ; bref il faut se souvenir le jour du concours de toutes ces recommandations que l’on sait si bien faire à ses propres élèves. 2. 5. pas de « bourde », soit historique (petit rappel : Charles IX 1560-1574 ; Henri III 1574- 1589 ; Henri IV 1589-1610, les Guerres de Religion 1562-1594, la Réforme), soit littéraire (avoir bien en tête ce que sont la Renaissance, l’Humanisme, le baroque e tutti quanti). Il faut respecter la chronologie, le contexte culturel, religieux, idéologique, etc… Surtout évitez toute cuistrerie, surtout mal assurée. Utiliser des expressions latines ou grecques hors contexte, avec des erreurs de genre est tout à fait inutile, sinon nuisible. On croit se valoriser, et on produit l’effet inverse. Donc le jour du concours, on n’utilise pas ce dont on n’est pas sûr. Ceci dit, le sujet laissait beaucoup de liberté surtout avec son énoncé [« Dans quelle mesure » « éclairer la lecture »] qui appelle à nuancer plus qu’à contredire M. Jeanneret (oui, oui mais, oui mais pas vraiment ou pas du tout). Et il a ses obscurités (dans l’ordre de ? la psyché ? surprises d’un esprit aux aguets ? inquiétudes ? défaire ?) qui peuvent laisser à penser et à interpréter, liberté accordée sans aucun problème aux candidats. Les Essais sont matière à polémiques, théories, interprétations, parfois un peu échevelées, et on a pu, comme Montaigne y autorisait ses lecteurs, voir des candidats s’exprimer avec originalité dans leurs copies, pourvu que la présentation fût intelligente et dominée. De même il y a un lexique à connaître et qui prouve, par ailleurs, qu’on a travaillé le texte au programme : strates ou couches, chapitre (et non essai) ; allongeail ne désigne en principe que le troisième allongeail « du reste des pièces de [s]a peinture » (III, 9), soit le livre III, mais si des candidats l’ont utilisé pour désigner les ajouts, ce n’était pas franchement une erreur, plutôt une maladresse. Quant aux notes, qui, rappelons-le, classent des copies et non les candidats, elles se sont échelonnées comme d’habitude du bas de l’échelle à des 16 ou 18 sur 20, sanctionnant la réussite dissertative couplée à l’élégance de la plume. 3. PROPOSITION DE CORRIGÉ Plan (voir d’autres plans au point II 2 supra) I Montaigne en Pénélope a attente et inquiétudes b la formule de l’essai, une démarche itérative c la rhapsodie des chapitres II Défaire, refaire et parfaire a défaire pour refaire puis défaire ? b le bougé de l’étoffe : Montaigne en mouvement c parfaire : est-ce vraiment repriser, combler, rapiécer des trous ? III Parfaire décidément a La progression continue et obstinée b Les surprises de l’esprit aux aguets c Le jardin imparfait 55 pyrrhonien, de ce Montaigne sceptique à l’œuvre dans « L’Apologie de Raymond Sebond », sa démarche, qui consiste à interroger tout sujet, ou s’interroger sur tout sujet, pour remettre en doute la coutume, la barbarie, les collèges, la miseratio, la science, la rhétorique… ressortit tout à fait à ce qu’André Tournon reprenant un terme grec appelle la « zététique », cette enquête ou quête de vérité, jamais lasse à l’image de Pénélope, qui ne s’interrompt jamais faute de pouvoir s’ancrer définitivement, ce qui reste l’horizon à atteindre. Car les Essais manifestent toujours l’espoir que les assertions présentées comme plausibles, les grandes figures et les belles maximes venues de l’Antiquité résisteront à l’essai, et non le pessimisme infrangible du pyrrhonisme qui sait d’avance la connaissance incertaine. Ces enquêtes sur « tout ce qui se présente à [s]a fantaisie » (313) et leur consignation, leur auteur les décrit, dans les passages réflexifs, de façon réductrice, par coquetterie ou provocation. Par exemple dans les premières pages du chapitre 26, il compare sa démarche sa démarche à celle d’un cavalier progressant dans l’obscurité « à tâtons, chancelant, bronchant et achoppant ». Ses Essais n’y sont qu’« inventions aussi faibles et basses », « bêtise » et « inepties ». Il en minore l’efficacité (« je ne vise qu’à ») et en rappelle une fois de plus le dessein très particulier, « laisser courir » ses imaginations, bref mettre et remettre constamment, infiniment, son jugement au travail sur de nouveaux sujets. Cela donne quatre-vingt-quatorze chapitres pour les deux livres de 1580, dont cinquante-sept pour notre premier livre, qui, s’ils ne sont pas forcément les plus anciens, figurent en tout cas parmi la première gerbe, bigarrée. c. La rhapsodie des chapitres Montaigne en plaisante lui-même au début du chapitre 13 « Cérémonie de l’entrevue des rois » ou du chapitre 46 « Des noms ». Si avec sa recette il fait de chaque chapitre « une galimafrée de divers articles », voire une salade de différentes herbes (p. 491), les chapitres les uns derrière les autres forment une rhapsodie où, dit-il, la futilité des sujets le dispute à l’ineptie de l’ensemble (p. 175). Plus sérieusement, il désigne « Du pédantisme » par l’expression « l’article précédent » (p. 316), et les Essais par la périphrase « en l’étude que je traite » (p. 253). Bigarrure, diversité, et M. Jeanneret le dit bien, ni équilibre, ni forme arrêtés. Certains chapitres se bornent à quelques lignes ou pages (8, 13, 22, 35) ou à trois ou quatre pages dans notre édition (12, 18, 33), d’autres en revanche (20, 23, 25, 26, 31, 39) constituent de véritables petits traités, terme échappé à la plume de Montaigne pour désigner un chapitre, de moyenne ampleur (« De la physionomie »), du livre III. Et pour abonder dans le sens de notre sujet, l’amplitude du traitement réservé à chacun des sujets choisis ne dépend nullement de son importance, de sa dignité. La constance, chapitre 12, ou mieux encore la modération, chapitre 29 et médian du vivant de Montaigne par suite de fautes typographiques répétées, ne se voient consacrer que trois et sept pages, volume sans relation avec leur importance éthique en général et leur statut conceptuel dans les Essais. Même remarque pour certains chapitres, tel « Des vaines subtilités » (54), essentiel en dépit de son titre, de sa taille -un tout petit peu plus de quatre pages- pour saisir la pensée en triptyque de l’auteur. Quant aux sujets, difficile d’y trouver quelque constanc(t)e ou équilibre que ce soit, même si certains critiques contemporains insistent sur l’importance des discours politiques et militaires 2 , voire de l’éthique de la prudence développée par bien des chapitres du livre I. La première traduction qui ait été donnée des Essais, traduction italienne partielle des Essais (une quarantaine de chapitres dans leur version de 1582), accomplie par Girolamo Naselli, paraît en effet à Ferrare en 1590 sous le titre de Discorsi morali, politici e militari. En plein cœur de son interminable et profuse préface de 1594/95, Marie de Gournay s’exclamera : « Quelle escole de guerre et d’estat est-ce que ce livre ? » (Préface 2 problèmes d’étiquette (I, 13) ou de préparation à la négociation (I, 10 et 17), de stratégie sur la ligne de bataille (I, 45) ou lors d’un siège (I, 5, 6 et 15), ou même réflexions sur la compassion (I, 1), la bravoure et la lâcheté (I, 15 & 16), voire sur l’art équestre (I, 48). 56 de 95, f. e3v°) et suivant Guez de Balzac le livre devint dès le début du XVIIe siècle le « bréviaire du gentilhomme ». Quelle unité, poutant, trouver à ce livre qui unit des chapitres programmatiques (8, 50), philosophiques (54, 55), à des chapitres de confidences (28, 35), religieux (27, 56), ou à d’autres apparemment consacrés à de grandes figures antiques, Caton et Cicéron (37, 40) ? Oui décidément, Michel Jeanneret a raison, le filet de ce texte-là présente, même si certains chapitres (9 & 10, 19 & 20, 25 & 26, 28 & 29, 39 & 40 …) s’enchaînent en effet, bien des trous logiques, ne seraient-ce que les nombreux blancs, ou sauts de page, entre chapitres. II. DÉFAIRE, REFAIRE ET PARFAIRE a. Défaire pour refaire puis défaire ? On connaît la doctrine « J’ajoute mais je ne corrige pas ». On la lit au chapitre « De la vanité » et les chercheurs en ont démontré, grosso modo la véracité. Si Montaigne s’est livré à la chasse au nul, ou au goût, ou à l’autrui, bref à certains mots pour lesquels il avait fini par éprouver de l’aversion, à la chasse aux répétitions (voir à ce sujet qu’il demandait aux typographes de les chasser !!! pour lui, 5e recommandation en partant du bas p. 116), pour nous, dans notre édition, nous ne pouvons en tout cas pas percevoir ces finesses puisque nous lisons le texte de l’exemplaire de Bordeaux sans apparat critique, à quelques exceptions près… Nos éditeurs ont, ici ou là, jugé qu’ils censureraient une information éclairante s’ils ne signalaient quelques corrections majeures. La première de ces exceptions et qui renvoie bien à Pénélope, se lit dans la date, la datation plutôt, de l’avis Au lecteur. Montaigne laisse, en raturant la mise à jour effectuée par Abel L’Angelier « ce 12 juin 1588 », comme dernière consigne, le désir de rappeler que la pièce liminaire, pourtant retouchée, on le voit dans notre édition, date de la première publication : « ce premier de mars mille cinq cent quatre-vingts », le lendemain de son quarante-septième anniversaire ! C’est qu’il désire que le lecteur lise, ou croie lire, le premier jet ; et c’est aussi, tandis que le succès, le troisième allongeail et toutes les augmentations des deux premiers livres, ont fait de lui un auteur national voire international, qu’il tient à rappeler son dessein mémorial et son lectorat premiers. Une autre correction, tout à fait limitée, a peut-être retenu l’attention de quelques candidats. Il s’agit d’une concession aux autorités de la censure vaticane dans le chapitre 27, « C’est folie… ». Montaigne y explique qu’il a renoncé à son incrédulité de jeune homme, à son scepticisme devant l’invraisemblable. Oui, les voies de Dieu sont impénétrables, et le possible, la réalité sont sans commune mesure avec la petitesse de l’entendement humain. Il faut donc, explique-t-il, avoir l’humilité de croire sans comprendre à « l’infinie puissance de nature » : nature remplace Dieu, l’humaniste profane n’écrit pas en théologien. Voir aussi comment, pour magnifier l’ami, il souligne, en le rajeunissant, sa précocité : seize ans p. 381 corrige dix-huit ans. Ces reprises ne concernent que des détails, il y a mieux : à part la bizarre « télé-transportation » du chapitre 14 à la quarantième place en 1595, il faut bien sûr évoquer à l’appui de la métaphore de Michel Jeanneret les avatars des chapitres 28 et 29. On sait qu’aux dires de son ami, en août 1563, La Boétie à l’agonie l’aurait supplié de lui donner une place, et aurait repris, insistant : « Me refusez-vous doncques une place ? ». Or cette place, préparée en grande pompe au début du chapitre 28, devait dans un premier temps que Montaigne, suivant sa doctrine, a conservé p. 366-368, être consacrée à la publication du Discours de la servitude volontaire. Ainsi alors qu’au chapitre I, 8 le projet de mise en « rôle », d’enregistrement des chimères, était solipsiste, la prolifération maladive ou monstrueuse des chapitres enrôlant les Essais a trouvé une fonction, sinon une justification. Les grotesques montaigniennes serviront désormais à faire valoir le « tableau riche, poli et formé selon l'art » qu’est le Discours de l’ami défunt. Un moment, Montaigne a donc bien envisagé d’enchâsser le joyau du Contr’un au centre de sa propre prose, ravalée à la fonction accessoire d’encadrement. Le lecteur du chapitre 28 « De l’amitié » qui poursuit sa lecture jusqu’aux vers de Catulle p. 381, en lit encore l’annonce, corrigée !!, puis 57 l’explication du revirement. Constatant qu’en 1577-1578 les protestants se sont emparés du Discours de la servitude volontaire pour en faire un manifeste des « monarchomaques » 3 , Montaigne croit de son devoir de sujet loyal du roi de France – et tel était son ami – de renoncer à la publication. Il propose en compensation l’édition d’un petit recueil de sonnets qu’une aubaine vient de lui mettre en mains. On peut même imaginer que ce fut autour de ces vingt-neuf sonnets que se construisit la première publication, en deux livres comportant respectivement 57 et 37 chapitres. Pourtant après la dédicace à Diane d’Andoins, comtesse de Guiche, et la présentation alléchante desdits sonnets amoureux, on lit dans l’exemplaire de Bordeaux (p. 384 pour nous), la sèche mention « Ces vers se voient ailleurs ». Sur ce geste de censure, qui aboutit à dresser un cénotaphe pour La Boétie, bien des hypothèses. Il y a[urait] en effet eu une édition, perdue pour nous, comportant La chorographie du Médoc ouvrage d’érudition locale de La Boétie et ces sonnets ; Montaigne aurait trouvé que les sonnets amoureux donnaient de son ami une image d’amant pétrarquiste soumis à sa maîtresse, sans rapport avec le sage stoïcien, le grand homme ; sans rapport non plus avec l’amitié virile à l’antique dont on lit l’éloge ; ou bien sans rapport de qualité (La Boétie poète n’est qu’un honorable ronsardisant de province) avec son livre I ; voire si l’on considère comme Françoise Charpentier qu’il exista une homosexualité de structure entre les deux hommes une tension insupportable. Bref les raisons, on le voit, ne manquent pas pour expliquer les modifications -quelques retouches, des coupes, des reprises- du texte, expliquer ce mouvement de reflux, en fait très localisé, que M. Jeanneret voit, lui, dans l’ensemble du texte, et qu’une décennie avant lui un critique célèbre avait décelé dans la démarche et la doctrine de Montaigne. b. « Le bougé du tissu », Montaigne en mouvement Le mouvement que Starobinski se proposait de décrire, c'est tout d'abord la démarche de la pensée des Essais, sa dialectique. Il y retrouvait un mouvement ternaire : la dépendance irraisonnée aux grands modèles (le père, l’ami, Caton…), le refus autarcique, la relation maîtrisée enfin. Ainsi conçu, le mouvement de la pensée de Montaigne se confond plus ou moins avec son évolution, que certains manuels du secondaire ont schématisée, et certains élèves caricaturée dans la célèbre tripartition, ou succession : stoïcisme, scepticisme, épicurisme. Un mouvement ternaire se lit en effet souvent dans la démarche. Au chapitre 23, « De la coutume… », Montaigne note d’abord l’asservissement des hommes à la violente et traîtresse maîtresse d’école qu’est la coutume. Ensuite il accumule, d’une manière qui pourrait être fastidieuse si la matière ne nous surprenait toujours davantage (inceste, infanticide, parricide, fornication, sodomie), les coutumes les plus absurdes soigneusement collectées dans les livres de sa bibliothèque. Enfin, après un dernier exemple, encore plus stupéfiant, celui d’un pays où la justice se vend, où les hommes portent un bizarre étui pénien et des femmes une coiffure phallique -on aura reconnu la France-, il conseille au lecteur, sans crier gare, de respecter « au-dehors » pour leur valeur de cohésion sociale la coutume, l’ordre établi, et de conserver pour l’« au-dedans » « la liberté et puissance de juger librement des choses ». Ainsi ce chapitre, comme d’autres (le chapitre 27 par exemple) ramène à la rive que pourtant on pensait avoir quittée. Ce mouvement de la pensée, et du texte qui la consigne, parfois simplement binaire -avancée et retour-, répond peut-être à ce que M. Jeanneret nomme « bougé du tissu » mais ne suppose ni suppression, ni rature. Il répond bien au caractère fluctuant du monde, thème de réflexion présent au 3 La Servitude volontaire avait été insérée par le pasteur Simon Goulart au sein de la seconde édition de ses Memoires de l’estat de France sous Charles Neufiesme 3 , recueil de pamphlets protestants s’en prenant violemment au roi de France, considéré par le camp protestant comme l’instigateur de la Saint-Barthélemy, et par là convaincu de tyrannie, puisqu’il avait rompu le lien sacré, comme paternel, qui aurait dû l’unir à ses sujets. Le Contr’un était devenu une arme aux mains des Monarchomaques. Plus grave encore, le 7 mai 1579, deux jours avant l’obtention par Simon Millanges du privilège de huit ans protégeant sa production future – dont la première édition des Essais, au sein desquels Montaigne entendait publier le Contr’un –, l’œuvre de La Boétie avait été publiquement et solennellement brûlée à Bordeaux même devant le Parlement de Guyenne avec les pamphlets huguenots qui la discréditaient. 60 reprises dans notre corpus, il développe cette théorie du « bonheur » poétique, le mot figure p. 286, (« sort et bonheur mêlé parmi » et « allégresses fortuites et fureurs étrangères » page 287) pour rendre compte de ces moments où l’homme passe l’homme, par des saillies venues « d’ailleurs que de soi », « non seulement sans l’intention, mais sans la connaissance même de l’ouvrier ». D’où l’incapacité où Montaigne se trouve, lorsqu’il se relit et pourrait éventuellement « défaire » sa toile pour la refaire, de démêler le mauvais du bon. D’où aussi la conclusion qu’il faut laisser au lecteur ce rôle de critique, commentateur, amateur, du moins à ce « suffisant lecteur » que le chapitre 24 convoque p. 287, capable de percevoir les « perfections », insoupçonnées de l’auteur. D’où enfin l’idée que l’auteur ne doit pas se corriger parce qu’il juge mal de sa production. Le chapitre « Du parler prompt et du parler tardif » dans un passage ajouté sur l’EB va encore plus loin dans l’analyse de cette absence de maîtrise intellectuelle, sur cette incompétence de l’écrivain à s’évaluer. On y trouve un mot chéri de Montaigne le ou la rencontre qui désigne ces coïncidences, ces trouvailles fortuites, inattendues, sans aucun doute « les surprises d’un esprit aux aguets » évoquées par M. Jeanneret. Montaigne, le praticien du jugement, avoue que parfois il s’étonne lui-même, à son insu. Il se trouve bon : il aura « élancé quelque subtilité en écrivant » (164). Parfois aussi il ne sait plus ce qu’il a voulu dire, et prétend que, s’il supprimait tous les passages devenus opaques à ses yeux, il « se déferait de tout » (164). Inutile, puisque le sens, un moment évanoui, ressurgira quelque autre fois ou pour quelqu’un d’autre… Ainsi, conscient en dépit de toutes les réflexions réductrices semées dans ses Essais, de leur qualité (459) jamais il n’a envisagé de défaire quoi que ce fût, c’eût été se défaire de tout. c. Le jardin imparfait Pour revenir une dernière fois à la comparaison proposée par M. Jeanneret, chaque jour qui passe, pour Pénélope, la rapproche du retour d’Ulysse. Il lui faut gagner du temps, atermoyer pour repousser les assauts des prétendants. Pour Montaigne, loin d’être un allié qui le sortira d’un mauvais pas, le temps qui passe le diminue, le décrépit, l’emporte : « A chaque minute il me semble que je m’échappe » (230). Dès la première édition, il se considère, dans « De l’âge », comme un vieillard, un survivant, et la fortune, selon lui, extraordinaire qui le maintient, risque de ne pas durer. Comme sa fermeture, l’ouverture du livre I, Au lecteur, évoque la proximité de la mort. L’auteur confie donc au livre la mission de perpétuer sa personne auprès de ses proches quand ils l’« auront perdu ». Depuis la mise en rôle des premières imaginations rapportée au chapitre 8, les inquiétudes n’ont bien sûr pas cessé. On sent donc dans l’avis, et ressassée encore au chapitre 20, cette urgence à se préparer toujours et encore, à parfaire sans cesse son jardin qui finira forcément, il le sait puisqu’il garde le plantoir à la main, « imparfait » (231). Peut-être est-ce d’abord cette caractéristique, l’inachèvement, qui a incité M. Jeanneret à rapprocher les Essais de la toile de Pénélope. Car, si ce livre ne s’est jamais défait, contrairement à ses dires, il est bien resté, à la mort de Montaigne, inachevé ; et inachevé au point que les éditeurs cherchent encore depuis Marie de Gournay la manière de l’éditer, alors que s’il l’avait porté aux presses lui-même, préparé pour une nouvelle édition, nous n’entendrions même pas parler des états précédents, ou intermédiaires. C’est lui-même qui semble avoir décidé de la manière, il faut bien le reconnaître fort curieuse, dont depuis le siècle dernier nous lisons Les Essais, non pas en livre que l’on lit uniment, mais en œuvre stratifiée, exposant ses couches, sa production, invitant à prendre en compte pour son intelligence ce feuilletage. Faut-il ici rappeler la préface de Pline l’Ancien et ses imparfaits : « Apelle faisait ; Polyclète faisait. Ils ne paraissaient voir dans leurs ouvrages que quelque chose de commencé toujours, de toujours imparfait, afin de se ménager un retour contre la diversité des jugements, comme prêts à corriger les défauts signalés, si la mort ne les prévenait pas ». Montaigne, lecteur attentif de Pline, a bien compris la leçon de ces grands artistes. Comment ne pas percevoir chez lui ce refus du parfait au sens grammatical, et plus encore au sens esthétique ? Comment rester insensible à cette volonté de vivre au présent « plantant ses choux », un instant qui survivra à l’imparfait, comme trace écrite d’un état 61 sincère de la conscience ou du jugement ? En 1588, et donc dans l’exemplaire de Bordeaux que l’édition au programme du livre I nous donne à lire, le livre s’appelle encore les Essais, pas encore Les Essais, titre défini et définitif imposé par Marie de Gournay, l’éditrice de 1595. Elle indiquait ainsi que le tissu du texte avait trouvé sinon forme parfaite, du moins sa forme ultime, l’artiste étant mort, selon ses vœux, cithare en main 4 . * Essais de Michel Seigneur de Montaigne, « Sixieme edition Viresque acquirit eundo », lit-on sur l’Exemplaire de Bordeaux, de la main de l’auteur. Oui, Montaigne a bien tissé la toile de son texte vingt ans durant, et remettait encore son ouvrage sur le métier à sa mort en septembre 1592. D’une certaine manière, avec son avis au lecteur et ses cent sept chapitres, il a bien été cette Pénélope aux cent huit prétendants que nous propose Michel Jeanneret, dans une réflexion riche de bien d’autres suggestions. Oui, les angoisses existentielles ont beaucoup compté dans la mise à l’écriture et la forme qu’elle a prise, compté aussi dans l’impossibilité où s’est trouvé l’écrivain de mettre fin à la production d’« infinis essais », entraînant son lecteur avec ses histoires qui ne disent mot. Oui, il fut dans son siècle, avec d’autres, sensible au mouvement, au « bougé » du monde, de l’histoire, et sa pensée comme sa plume en portent témoignage. Oui, il fut parfois fort content de lui, de son livre, du succès qu’il lui assurait, et heureusement surpris d’avoir, à son insu, élancé « quelque subtilité en écrivant ». Mais contrairement à Pénélope, jamais il n’a défait sa toile, ou du moins ce qu’il en avait tissé lui-même. Jamais il n’a renoncé à enrichir, sans en modifier la composition d’ensemble, le tissu de son texte de nouvelles pièces rapportées, en surépaisseur, de le broder, le rebroder. Et il a ainsi, comme à dessein, laissé un ouvrage un peu hirsute, mais « non est virile ornamentum concinnitas » 5 . Catherine Magnien-Simonin Professeur des universités Université Michel de Montaigne Bordeaux-3 4 Les Essais se ferment sur des vers d’Horace qui souhaite mourir « nec cytharam carentem ». 5 Page 459. On peut traduire ce mot de Sénèque ainsi : « ce n’est pas une qualité virile que l’arrangement (l’agencement, la joliesse) ». 62 LEÇON PORTANT SUR UN PROGRAMME D’ŒUVRES D’AUTEURS DE LANGUE FRANÇAISE ŒUVRES LITTÉRAIRES 1. SUJETS PROPOSÉS, NOTES ATTRIBUÉES Charles d’Orléans, Poésies Leçons : L’allégorie – Le cœur – Le corps – La dame – Le désir – L’écriture de l’amour – L’espace – L’espace lyrique – La forme de la ballade – L’itinéraire amoureux – Jeunesse et vieillesse – Lieux et espaces – « Madame, ma seule maîtresse… » : les figures féminines – Mort, vieillesse et maladie – Le refrain – Le sujet lyrique – La souffrance – Le temps Études littéraires : Ballades I–IX – Ballades X–XIX – Ballades CXVII–CXXIII (à l’exception de CXXII a) – La Retenue d’Amour – La Retenue d’amour & la Lettre de retenue – Le songe en complainte – Le Songe en complainte & La Requête Montaigne, Les Essais, Livre I Leçons : L’anecdotique – La citation – Les citations – Le comique – Le corps – La coutume – L’éducation – L’étrange et l’étranger – Les grands hommes – Le lecteur – Liberté personnelle et usages sociaux – La mort – La nature – Nature et culture – La parole – Les passions – La philosophie – La philosophie de Montaigne – Le poète – « Je ne vise ici qu’à découvrir moi–même, qui serai par nature autre demain. » – « Je suis moi–même la matière de mon livre » – Les usages de la parole. Études littéraires : Ch. XIX–XX : « Qu’il ne faut juger de notre heur… » & « Que philosopher… » – Ch. XX : « Que philosopher… » – Ch. XXVI : « De l’institution des enfants » – Ch. XXVIII : « De l’amitié » – Ch. XXX : « De la modération » – Ch. XXXI : « Des cannibales » – Ch. XXXIX : « De la solitude » – Ch. XXXIX–XL : « De la solitude » & « Cicéron ». Racine, La Thébaïde, Britannicus, Mithridate Leçons: Amour et pouvoir – Le dénouement – les dénouements – L’espace – Les figures du pouvoir – Les filiations – La fratrie – Frères et sœurs – La parole – Pères et mères – La politique – Le pouvoir – Le regard, les yeux – Le sentiment amoureux – La tragédie politique – Le tragique – La violence – Les trois œuvres au programme sont-elles des œuvres politiques ? Britannicus et Mithridate : La langue racinienne Britannicus : Les armes de la tyrannie – Le héros tragique – Le gouverneur – Néron : un monstre naissant – Les visages de l’amour Mithridate : La mélancolie – Une tragédie héroïque ? Études littéraires : La Thébaïde : Acte V – Britannicus : Acte I – Acte II – Acte IV – Acte V – Mithridate : Actes III & IV – Acte V 65 l’occasion d’apporter un complément d’information, de revenir sur une approximation, voire de rectifier telle affirmation erronée. D’autres questions, d’ordre plus maïeutique, peuvent engager plus profondément l’exposé – auquel cas c’est l’esprit critique du candidat qui est sollicité : dans quelle mesure est-il apte à questionner sa méthode, à relativiser son point de vue, voire à le déplacer ? Dans l’un et l’autre cas, répétons la règle fondamentale énoncée dans les précédents rapports : l’entretien n’a jamais pour but de piéger le candidat, mais bien d’améliorer la note. Reste qu’il ne sera véritablement fertile que si le candidat lui-même y contribue par des réponses sobres et appropriées. Ce qui suppose d’avoir gardé en réserve assez de fraîcheur et d’ouverture d’esprit pour réagir avec à- propos aux questions du jury. 2. 1. ORGANISATION DE L’EXPOSÉ Quant à la leçon elle-même : comment l’organiser ? Quel ordre d’exposition adopter ? Le choix du plan est bien sûr un élément déterminant de la leçon (et du barème), témoignant à la fois de la pertinence de la réflexion des candidats et de leur esprit de synthèse. Remarquons que, cette année encore, une grande majorité a privilégié le plan en trois parties tel que consacré par la tradition : le plus « naturel » sans doute, le plus apte à accueillir la complexité du corpus étudié et à en proposer une dialectisation efficace en restituant chemin faisant le travail nuancé de l’œuvre. Ceci dit, on veillera à ne pas s’en faire une obligation. Surtout si l’ensemble doit donner une impression d’artificialité ou si la troisième partie, attendue comme la plus importante, apparaît redondante, manque de souffle ou de contenu. Ainsi, à propos de Racine, cet exposé (noté 8) sur « Frères et sœurs dans les pièces au programme » qui, sur les trois parties annoncées, n’en fait réellement apparaître que deux ; ou cet autre sur « La violence », dont la troisième partie, sous un titre symptomatiquement redondant (« Racine et la violence »), se révélera quasi vide. Attention aussi aux troisièmes parties qui apparaissent « plaquées » : comme dans cet exposé sur « Le pouvoir dans les trois pièces au programme » (noté 7) qui, après une réflexion générique sur le pouvoir et son incarnation dans les personnages, embraye abruptement, sans connexion perceptible, sur le pouvoir de création. Ou cet autre (noté 10) sur « La coutume dans le Livre I des Essais » qui, ayant très pertinemment traité l’omniprésence et l’omnipotence de la coutume, puis la critique relativiste de ses légitimations, se prolonge avec moins de bonheur par une réflexion sur les rapports entre écriture et coutume, moins bien connectée à l’ensemble. S’il n’est en rien obligatoire que chaque partie se décline à son tour en trois temps, il importe en revanche que chacune progresse selon une logique interne suffisamment ferme et lisible. C’est d’abord affaire de méthode, plus ou moins dominée : comme dans cet exposé sur « Identité et identités dans La Jalousie et Les Gommes », en soi bien problématisé, mais dont chaque partie s’ouvre maladroitement sur un diptyque (Les Gommes – La Jalousie) porteur de redites et de contradictions. Mais c’est aussi affaire de connaissance des œuvres, comme l’a bien montré cet exposé sur « Tradition et modernité dans les Poésies de Rimbaud » : leçon notée 14, et dont le plan n’a paru si pertinent et équilibré que parce qu’il pouvait s’appuyer à chaque étape sur des références précises et bien analysées, permettant au candidat de dégager le double enjeu, thématique et prosodique, du sujet. A l’inverse, telle leçon sur « Wallas » dans Les Gommes, a priori parfaitement structurée (parodie des genres et des rôles ; fragmentation de l’identité ; nouveau pacte de lecture), n’a pourtant obtenu que 8, ces titres mêmes ouvrant de fait sur un contenu peu approfondi, n’exploitant l’œuvre qu’avec parcimonie, sans que le nom même du personnage soit interrogé. Bref : le plan le mieux structuré ne pourra laisser qu’une impression décevante s’il n’est nourri par une connaissance de l’œuvre suffisante pour relancer la réflexion d’étape en étape, selon une progression propre à emporter l’adhésion. A cet égard, des articulations rhétoriques judicieusement marquées pourront faciliter l’écoute, sans qu’il soit obligatoire de s’y appesantir de manière trop scolaire. Car, de façon plus puissante et 66 plus efficace que ces « transitions », c’est bien la dialectique interne et le sens de la nuance qui doivent porter le propos et sont pour les candidats la meilleure garantie de cohérence et de lisibilité. Or si certains ont montré cet égard une technique remarquable, d’autres peuvent encore progresser. En témoigne cet exposé sur « Le corps au Livre I des Essais » : si l’articulation du corps biologique au corps comme support d’expérience et du rapport aux autres est apparu parfaitement logique, le passage à cette troisième dimension qu’est le « corps du texte » a paru plus abrupt, faute de remotivation suffisante d’un thème qui est en soi un topos. En termes de nuances, le jury a parfois pu déplorer, y compris dans les meilleures leçons, quelques naïvetés et une dialectisation insuffisante du propos : ainsi dans cet exposé par ailleurs excellent sur « Les usages de la parole au Livre I des Essais » fut-il surprenant d’entendre la candidate prêter à Montaigne une valorisation unilatérale de l’oral au détriment de l’écrit, au lieu d’y voir plus subtilement une polarité dialectique que l’écriture littéraire a nécessairement vocation à interroger et relancer sans cesse. Cette même enseignante avait-elle vraiment besoin d’attendre le moment de l’entretien pour admettre que, face à la « spontanéité de l’oral », la culture de l’écrit et du commentaire pouvait être envisagée autrement que sur un mode purement négatif ; bref, qu’il pouvait y avoir – et chez Montaigne ô combien – une pratique féconde et festive du commentaire et de l’écriture ? Comme les précédentes, la session 2011 a été l’occasion de vérifier qu’il n’y a pas de plan « type ». Le seul impératif est que le plan choisi permette d’apporter à la question posée en introduction une réponse concertée et progressive, dont chaque moment du développement se chargera d’éclairer un aspect. A ce titre, le plan lui-même n’est donc que l’émanation de la problématique, tous deux étant conduits à se conforter l’un l’autre au fil de l’exposé. C’est dire combien l’esprit de l’exercice est ouvert et combien il est loin de la plate « question de cours ». Au finale, en effet, c’est bien la leçon elle-même qui donne la preuve de sa propre pertinence. Tel candidat a permis de le vérifier qui, développant son exposé sur « Alchimie du verbe » (18/20) selon un plan qui pouvait paraître au départ assez risqué, a néanmoins pleinement convaincu le jury de la justesse de sa démarche, grâce à une problématique forte, servie par une connaissance fine de l’œuvre et un engagement très personnel dans le sujet. Autant dire qu’une problématisation ferme est la meilleure garantie d’un plan cohérent et équilibré, apte à prendre en compte tous les aspects du sujet. Inversement, si le plan se révèle à l’épreuve imparfait – générant déséquilibres, contradictions, ou redites – il y a de fortes chances que la cause en soit à chercher plus haut : dans une question mal posée ou insuffisamment précise au départ. Voilà donc qui nous conduit à l’élaboration de la problématique. 2. 2. PROBLÉMATISATION Force est de le constater : cette année encore, trop d’exposés ont souffert d’un défaut ou d’une absence complète de problématisation. Le constat est d’autant plus étonnant qu’il concerne des candidats ayant préalablement franchi – parfois brillamment – le cap de l’écrit. Comme si, ayant une fois fait leurs preuves en ce domaine, ils pouvaient se tenir quittes, à l’oral, de ce genre d’exigence, et que les sujets proposés se proposaient à eux comme autant de « questions de cours ». Est-ce le terme consacré de « leçon » qui, en dépit des règles répétées d’années en années au fil des rapports, fait écran, au moment décisif ? Ou est-ce l’aspect « attendu » ou « technique » de certains sujets qui induit en erreur ? Répétons-le donc fermement : aucune leçon – et moins encore l’étude littéraire (on y reviendra) – ne peut faire l’économie d’une problématisation ferme. A égalité avec la connaissance des textes et l’aptitude du candidat à utiliser les outils de l’analyse littéraire, cette capacité à questionner une œuvre – à montrer comment cette œuvre, par ses moyens propres, résout un problème, interroge et déplace une forme ou un concept légués par la tradition, et ce sur un mode qui continue à faire sens pour ses lecteurs d’aujourd’hui – cette capacité-là est pour le jury un des tout 67 premiers critères de la notation. Baromètre infaillible du degré de pertinence et de finesse du développement qui va suivre, la problématique posée en introduction conditionne l’ensemble de la leçon, à commencer par son plan. Si une problématique forte est garante que l’exposé s’engage dans une bonne voie, son défaut, à plus forte raison absence, ne manquera pas de répercuter ses effets sur tout le développement. Illustrons cette recommandation générale de quelques exemples et remarques d’ordre plus stratégique. Face à certains types de sujet, un propos fermement problématisé sera le meilleur moyen de ne pas limiter l’exposé à un pur répertoire de formes. C’est grâce à une problématisation efficace que tel candidat interrogé sur « Le bestiaire dans La Jalousie » a su éviter l’écueil du catalogue, organisant sa leçon (notée 16) selon un plan significatif et puissamment motivé. Tandis que, face à des sujets de même type (« Les femmes dans Les Gommes et La Jalousie », « Les personnages » ou « Répétitions et variations dans Les Gommes »), d’autres candidats, même servis par une connaissance assez bonne des œuvres, n’ont pas réussi à dépasser le stade d’un inventaire décliné selon un principe peu lisible ou peu pertinent. Dans les exposés sur Racine, ce défaut de méthode a souvent abouti à des propos monolithiques proposant une lecture trop peu différenciée des œuvres : ainsi cette leçon sur « La tragédie politique dans les trois pièces au programme » qui ne dégage ni parcours ni inflexion significative dans la façon même dont Racine a envisagé et modulé cette question au fil des différentes pièces. Certes, problématiser son propos est apparu chez les candidats comme un réflexe plus naturel dès lors qu’ils se sentaient invités par le sujet même à mettre en tension deux notions. Ainsi, forte d’une bonne connaissance de l’œuvre, une candidate interrogée sur « Nature et culture au Livre I des Essais » a su mettre à profit ses capacités de problématisation non seulement pour développer une réflexion rigoureuse (notée 16), mais pour se ménager une entrée très personnelle dans un sujet qui, en soi, pouvait passer pour « attendu ». Idem de cet autre (13), à propos de « Liberté personnelle et usages sociaux au Livre I des Essais » : notions dont l’exposé a montré la solidarité et l’antagonisme fertile à la fois dans les rapports de dépendance, l’exercice du jugement et la construction même de l’œuvre – même si l’on a pu regretter que le sujet n’ait pas été aussi envisagé selon les catégories générales ici attendues : conservatisme ou sécession de Montaigne ? Il en va de même pour les sujets qui mettent en rapport plusieurs termes : il importe alors d’en dégager le dénominateur commun, comme l’a fort bien compris cette candidate dont l’exposé sur « Mort, vieillesse et maladie chez Charles d’Orléans » a été noté 16. Profitons de ces exemples pour rappeler que la problématique n’est pas un simple axe de lecture mais une question posée à l’œuvre. Question d’autant plus vitale lorsque le sujet revêt l’apparence d’une catégorie, d’un « thème », voire d’un apparent lieu commun, qu’il sera alors fécond – car telle est l’attente du jury – d’interroger à nouveaux frais. Citons le cas de ce candidat intervenant sur « La philosophie de Montaigne » qui, ayant annoncé la problématique d’« une philosophie en mouvement », axe tour à tour son propos sur « l’éclectisme philosophique de Montaigne », « une méthode plus qu’une doctrine » et « la sagesse d’un homme ». Certes : l’exposé, noté 13, est rigoureusement charpenté et nourri de références solides. Reste que le candidat aurait donné un autre relief à sa réflexion s’il avait commencé par se demander s’il était vraiment légitime de parler d’une « philosophie de Montaigne », ce qui aurait rendu plus explicite la question de savoir en quoi l’écriture littéraire, par les procédés qui sont les siens, se démarque de la philosophie des traités. Dans le même ordre d’idées, saluons la prestation remarquable (18) de cette candidate qui, loin de se laisser troubler par un thème aussi vaste que « La nature dans le Livre I des Essais », développera au contraire une réflexion extrêmement intelligente, circulant habilement entre microcosme et macrocosme, mobilisant ses facultés de problématisation non seulement pour faire dialoguer une grande variété de textes mais pour mettre en relief la finesse de ses analyses. Toutefois, plus encore que ces sujets d’aspect thématique, ce sont les sujets réputés « techniques » qui auront fait le mieux apparaître l’effet d’une problématisation efficace sur un exposé 70 au Moyen Âge ; autrement dit pour avoir su articuler la connaissance du détail de l’œuvre à un savoir plus général sur la fin’amor et les procédés de l’allégorie. Est-il besoin de souligner les risques auxquels exposent des outils peu fiables dès lors qu’on aborde le répertoire du théâtre ? Difficile de construire un exposé convaincant sur « Le héros tragique dans Britannicus » sans s’appuyer sur une définition solide du « tragique ». Telle étude littéraire de l’Acte V de Mithridate ne peut obtenir plus de 3/20, faute de proposer la moindre analyse dramatique ou dramaturgique du passage, tout au long d’un exposé qui ignore les péripéties et le coup de théâtre final, assimile les « tirades » à des « monologues », et où le personnage tragique n’est ni défini ni correctement identifié. Même un exposé bien construit et bien conduit (noté 12) sur « Les citations dans le Livre I des Essais » aurait pu prendre plus de hauteur et mettre davantage en relief le travail de Montaigne s’il avait pu le mettre en perspective, en s’appuyant par exemple sur l’importance de la citation dans la culture renaissante, sur le goût personnel de Montaigne pour la citation ou encore sur l’édition de Bordeaux. 2. 5. L’ « ÉTUDE LITTÉRAIRE » Venons-en à deux types d’épreuves qui, du fait de leurs spécificités, suscitent plus que d’autres l’appréhension des candidats : l’étude littéraire d’une part ; l’interrogation sur la partie médiévale du programme de l’autre. S’agissant de l’étude littéraire, s’il est vrai qu’elle requiert une méthode particulière, elle a, de ce fait même, l’avantage de proposer un protocole bien défini et balisé. Rappelons donc la nature de l’épreuve : ni explication linéaire ni commentaire composé, l’exercice se présente comme une leçon portant sur un extrait limité (une vingtaine de pages pour les textes en prose ; une dizaine pour les textes poétiques ; un ou deux Actes pour une pièce de théâtre), extrait dont le candidat est invité à dégager lui-même le sujet. Outre l’enjeu thématique, l’étude formelle du texte y occupera donc une place importante, avec deux moments décisifs dont le candidat ne pourra faire l’économie : rendre compte d’une part de l’unité du passage (qu’est-ce qui justifie le découpage proposé ; en quoi est-il porteur de sens ; et de quel sens par rapport au contexte dans lequel il s’inscrit ?) ; en dégager par ailleurs le dispositif ou le mouvement. C’est dire qu’au même titre que n’importe quelle leçon, l’étude littéraire ne peut se passer de problématisation. En revanche, dans la mesure où elle porte sur un corpus limité, elle offre au candidat un matériau par définition plus facile à circonscrire et à analyser. Cette année encore la réussite a été fonction de la façon dont cette méthode a été appliquée aux extraits proposés. À titre d’exemple, voire de modèle, citons cette étude littéraire, notée 16, sur les Actes III et IV de Mithridate : dans un exposé solidement charpenté, la candidate a extrêmement bien montré l’importance dramatique des deux actes, en particulier l’équilibre entre l’acte III (celui de Mithridate) et l’acte IV (celui de Monime), ainsi que la tension entre violence de la guerre et violence des passions, pour terminer sur la « déconstruction » du roi en personnage privé pathétique, préparant l’avènement d’une figure royale atteignant la grandeur à la fin de la pièce. Tout aussi excellente, cette étude littéraire du chapitre I. 28 des Essais, dépliant méthodiquement le sens du passage comme « essai » sur l’amitié, « contre-discours philosophique » et éloge de la Boétie, au fil d’un exposé donnant tout son sens à la notion de « couture » : grâce à une remarquable analyse formelle des images, des digressions, ainsi que des usages différenciés de la citation. Mentionnons aussi cette étude littéraire des Ballades CXVII à CXXIII de Charles d’Orléans : face à un ensemble de pièces doté d’une forte unité, comme il l’a été parfaitement souligné, le candidat a construit un projet de lecture très solide (la fin des ballades : un adieu à une forme lyrique particulière, un bilan à discuter), développé de façon progressive et maîtrisée, mettant à profit l’attention au détail du texte et des connaissances précises sur la poésie de l’époque. 71 À l’inverse, les échecs ont été le résultat soit d’une méconnaissance des règles de l’épreuve, soit d’un défaut de méthode et de problématisation, soit encore de l’oubli d’un moment-charnière de l’exercice. Ainsi cette étude littéraire des Ballades X-XIX de Charles d’Orléans qui, faute de satisfaire aux attentes de l’épreuve, a été notée 5 : ni étude de l’unité et de la composition du texte ; ni analyse de la forme de la ballade et des variations originales introduites par Charles d’Orléans ; ni attention aux phénomènes d’échos courant d’une ballade à l’autre ; ni considération sur la représentation topique de la fin’amor. De même cet exposé sur « Le forgeron » de Rimbaud qui omet les deux étapes cruciales de l’exercice : la justification de l’unité du texte et l’analyse de son dispositif – en l’occurrence l’alternance entre parole du poète et parole du personnage – assimilant trop vite la première à la seconde, dans un exposé où l’analyse du vers fait défaut et où la notion même de « strophe » n’a pas été utilisée à bon escient. 2. 6. LA PARTIE MÉDIÉVALE DU PROGRAMME Au même titre que l’étude littéraire, quoique pour des raisons différentes, l’œuvre du Moyen Âge tend à effrayer les candidats. Le corpus en effet présente ses difficultés propres. Celles-ci tiennent d’abord au protocole particulier de l’épreuve : prononciation de l’ancien français, nécessité de traduire les passages cités, etc. Pour preuve de l’importance qu’il y a à s’être bien imprégné de ces règles avant de se présenter à l’épreuve, évoquons cette leçon sur « La dame dans les textes au programme de Charles d’Orléans » qui, bien que traitant fort honorablement le sujet (en particulier dans ses deux premiers volets : une figure centrale ; une figure en tension), ne sera pourtant notée que 9 ; elle aurait certainement obtenu davantage si elle n’avait été ponctuée de constants cafouillages : la candidate ignore qu’elle doit traduire les citations, ne sait pas si elle peut s’aider de la traduction fournie, se montre incapable de traduire par elle-même les passages qu’elle cite. Plus fondamentalement cependant, les difficultés de l’œuvre du Moyen Âge tiennent à la langue, à la spécificité des références culturelles et à la subtilité des procédés rhétoriques mis en jeu. Est-il besoin de rappeler que le jury, éminemment conscient de cette réalité, accorde toujours une écoute particulièrement bienveillante aux candidats interrogés sur cette partie du programme ? Pour peu bien sûr qu’ils aient rempli leur part du contrat. Moins qu’aucun autre en effet un exposé sur la partie médiévale du programme ne peut s’improviser. Ici plus qu’ailleurs, la leçon nécessite une préparation de longue main et une bonne connaissance non seulement du texte au programme mais de son contexte et des topiques thématiques et formelles qu’il mobilise. Moyennant quoi, s’il est vrai que l’exercice s’accommode très mal d’un savoir superficiel ou approximatif, le jury constate chaque année à quel point le travail en amont s’avère bénéfique. Ce que confirme, sur cette partie du programme, la polarisation frappante des notes. Nombre de candidats auraient-ils renoncé dès le départ à une préparation jugée « non rentable » ? Tel a été du moins l’effet laissé par tout une frange de leçons ; soit (entre 3 et 5) exposés très succincts ayant pour dénominateur commun une méconnaissance totale ou partielle de l’œuvre, de son contexte et de ses procédés ; soit (entre 6 et 8), leçons assez bien problématisées, voire annonçant pour certaines un plan pertinent, mais dont les différents temps ont vite résonné comme autant de coquilles vides. La tentation de l’« impasse », pari toujours risqué, a d’autant moins lieu d’être ici, où la préparation en amont se révèle, chaque année, extrêmement gratifiante. A preuve, ces nombreux exposés qui, forts d’une bonne connaissance de l’œuvre, ont obtenu des notes extrêmement honorables, échelonnées entre 10 et 14. Que cette connaissance soit très bonne, servie par une problématisation ferme et des analyses fines, et les résultats sont à l’avenant. Ainsi ces deux leçons sur « Mort, vieillesse et maladie » et « L’écriture de l’amour », notées 16 ; ou cet exposé sur « Le corps » (17), aussi impressionnant par son aisance à circuler dans le recueil que par sa capacité à mobiliser des lectures à la fois critiques et très personnelles ; ou encore cette leçon sur « La forme 72 de la ballade », proche de la perfection et notée 19. C’est dire si, sur cette partie du programme, une leçon réussie est loin d’être une mission impossible. Répétons-le encore : tout ici est fonction de la préparation effectuée en amont. Pour dire le caractère excessif de l’appréhension que suscite parfois l’œuvre du Moyen Âge, concluons sur un cas emblématique : un candidat, interrogé sur « L’espace lyrique dans les Poésies de Charles d’Orléans », prélude – au prix d’une petite entorse au protocole – en confiant au jury qu’il a bien failli ne pas se présenter à l’épreuve, en proie à une peur panique. Moyennant quoi il va proposer ce qu’il a eu le temps et la force de faire : sur un mode certes confus et désordonné, il déroule alors une série de réflexions en fait plus que pertinentes, témoignant non seulement de sa finesse d’analyse mais de sa très bonne connaissance de l’œuvre et du contexte. A l’évidence, l’exposé, noté 9, aurait obtenu bien davantage si le candidat, achevant de surmonter son angoisse – c’était visiblement déjà plus qu’à moitié fait – avait simplement ordonné son matériau autour d’une problématique et d’un plan clairs et efficaces. Que conclure de cet exemple ? Au-delà du cas particulier, voyons-y un petit apologue dont la « morale » peut valoir pour l’ensemble de l’épreuve : dans le cadre institutionnel qui est le sien, avec son protocole strict et son haut niveau d’exigence en termes de méthode et de connaissance des œuvres, rappelons aux candidats que la leçon est aussi un temps de partage intellectuel autour du texte littéraire et des valeurs portées par la littérature ; c’est dans cet esprit qu’il convient de s’y préparer. Jean-Christophe SAMPIERI Maître de conférences Université Sorbonne Nouvelle Paris-3 75 l’occasion du sujet qui reprend la citation d’Henri Chapier, « Ce cinéma de grand seigneur où plane altière l’ombre de la mort […] est un cinéma de contemplation absolue », un candidat a proposé comme plan de tronçonner les différents segments de la phrase : 1 ° Melville, un grand seigneur ; 2° un film tragique (l’ombre de la mort) ; 3° un cinéma de contemplation. Il est évident que l’on n’est là jamais parvenu à décoller de la paraphrase et de l’aimable visite guidée du film. Un autre écueil particulièrement gênant a été le manque de culture connexe, voire de culture générale. Le jury attend qu’une une œuvre soit un minimum resituée dans la perspective des champs artistiques, idéologiques, historiques, sociaux et culturels qui la travaillent. Bien évidemment, les candidats qui se présentent au concours de recrutement interne des professeurs agrégés de Lettres modernes ne sont pas spécialistes de cinéma, et le jury en tient évidemment compte. Pourtant, certaines interactions et références immédiates qui relèvent du bon sens et de la méthodologie bien comprise, ne peuvent être ignorées, surtout s’agissant d’un film très référencé et ouvertement citationnel comme Le Cercle rouge. Certains candidats se sont révélés incapables de convoquer les « sources » du film de Melville, ou de développer succinctement quelques éléments de réflexion sur le film noir ou le film de gangsters. Dans le cadre du sujet « Corey-Delon », un candidat ignorait tout de la carrière d’Alain Delon (un monument tout de même !) avant Melville et en particulier qu’il avait tourné avec Visconti : impossible donc de se poser la question de la réinvention melvillienne de la figure de Delon. Autre cas : invitée à justifier la pertinence de la référence au western dans Le Cercle rouge, une candidate hasarde : « à cause des chapeaux ! » On voit bien à ces quelques exemples qu’il ne s’agit pas d’exiger des candidats un savoir cinéphilique encyclopédique, mais une attention et une curiosité sélectives qui les amèneraient au cours de leur année de préparation à questionner intelligemment les alentours du programme et les fondamentaux d’une culture de l’image. Rappelons de surcroit que les nouveaux programmes de lycée en français et en littérature invitent largement les professeurs à introduire le langage de l’image et des médias en appui de leur cours. Il importe que l’œuvre soit parfaitement connue, que les candidats soient capables d’y circuler ingénieusement en faisant des remarques et des rapprochements personnels. Trop souvent le jury a eu le sentiment cette année que le film était superficiellement appréhendé : certains épisodes ont été confondus ou intervertis (les visites chez le fourgue ou les séquences chez Santi), d’autres éléments ont parfois été inventés ou extrapolés. Ainsi, dans une leçon sur « Crimes et châtiments » on apprend que le fils de Santi est mort ! Trop souvent les mêmes séquences assorties des mêmes commentaires ont été mobilisées, tournant aux poncifs et neutralisant tout l’effort d’illustration du propos. Cette absence de diversité est d’autant plus surprenante que l’on avait affaire à un film de plus de deux heures offrant une grande variété de situation. Les candidats doivent bien mesurer combien il est maladroit de resservir tel cours ou telle page issue des ouvrages en circulation sur le programme sans se les approprier. Il est bien plus porteur au contraire, de ne pas céder à la facilité du prêt-à-penser critique ou de s’en affranchir, pour exercer son jugement en proposant des exemples singuliers. Pourquoi ne pas privilégier un apparent moment faible ou une scène de transition plutôt que les grands moments attendus ? La scène où Jansen s’entraîne au tir dans la forêt n’a par exemple jamais été exploitée. Elle est pourtant intéressante à étudier dans la perspective de la construction du personnage, en ce qu’elle propose un point de vue intermédiaire entre le Jansen public et le Jansen privé. De même, il est impératif que les candidats résistent à la tentation du nivellement des problématiques : le plaquage sans discernement de fiches sur « le tragique », « le gris », « les hommes », « la signature de Melville », etc… confine au bachotage et n’a pas sa place dans ce concours. Dernier problème et qui n’est pas des moindres : la prestation de l’exercice reste souvent maladroite. Outre les difficultés liées à la maitrise de l’expression orale dans le cadre d’une épreuve de concours (prestations ternes, quelquefois excessivement monotones et lentes, ou au contraire trop rapides), la gestion du matériel audiovisuel n’a pas été sans poser problème à de nombreux candidats. La recherche d’une séquence précise, le calage d’un arrêt sur image, la navigation à 76 l’intérieur du DVD ont trop souvent paru des prouesses hors de portée. Une candidate qui a tiré un sujet de leçon sur le son n’a pu montrer que des images en accéléré ! Le défaut qui consiste à parler pendant la diffusion d’un extrait a encore été très fréquent. Rappelons que sur une quarantaine de minutes d’exposé, il est souhaitable qu’un candidat puisse recourir, en variant ses modalités d’approche (du simple relevé à l’analyse approfondie et exhaustive, en passant par le commentaire cursif), à un minimum de quatre ou cinq citations, allant d’une simple image en mode pause à une petite séquence. On peut aussi s’arrêter sur un seul plan, ou sur un raccord significatif entre deux plans. Comment citer ? En introduisant l’extrait et en le sanctuarisant. Ainsi, il est fortement déconseillé de prendre la parole pendant la diffusion de l’extrait montré au jury (sauf bien sûr dans le cas d’une image en mode pause où le son est automatiquement coupé). On présente l’image, ou le plan, ou l’ensemble de plans, qui vont être l’objet d’un commentaire particulier de nature à faire progresser le propos global de la leçon. On peut éventuellement à cette occasion donner une consigne préliminaire pour orienter l’attention de l’auditoire sur tel aspect. On diffuse ensuite le passage. Puis on en fait l’analyse organisée en usant du vocabulaire narratologique, technique, ou esthétique imposé par la nature de la démonstration. Il est parfaitement loisible (et conseillé) pour la clarté de l’analyse, de remontrer un ou plusieurs éléments particuliers de l’extrait choisi, afin de toujours adosser la parole à l’objet étudié dans un jeu de va-et-vient fructueux entre le commentaire et l’objet filmique. 3. CONSEILS ET RECOMMANDATIONS Il est primordial que les candidats disposent de la méthodologie et du vocabulaire d’analyse de l’image (image fixe, plan, séquence cinématographiques). Il n’est nullement question ici de les engager sur la voie d’une spécialisation en cinéma, mais de rappeler qu’un minimum de connaissances techniques, sémiologiques, historiques et esthétiques est absolument nécessaire pour appréhender une œuvre cinématographique. Comprenons bien que la description technique n’est nullement gratuite, mais qu’elle doit être au service de la mise en évidence du sens. On aura soin, en particulier, de maîtriser les notions d’échelle de plans, de cadrage, de surcadrage, de focale, de profondeur de champ, de hors-champ, d’angle de prise de vue, de point de vue, de mouvement de caméra, de raccord, de montage (alterné, en parallèle). Notons également que l’analyse du son a été cette année encore trop négligée par les candidats, alors que l’on sait tout le soin que Melville lui consacrait. Un candidat citant la séquence de rencontre entre Corey et Vogel dans le champ n’a pas entendu, même lorsque le jury attirait son attention sur ce point, la discrète musique de jazz en arrière plan. Il importe de savoir faire le départ entre un son « in », « out », ou « off », de prêter attention aux éléments de transitions sonores entre les plans, au travail de la synchronisation et du mixage, et bien sûr au rôle de la musique et des sons d’ambiance. Dans le même esprit, il est essentiel que les candidats se posent honnêtement des questions sur l’œuvre étudiée et qu’ils ne fassent pas comme si tout allait de soi. Ils doivent arrêter leur regard sur l’œuvre, y porter une réelle attention, on oserait presque dire un regard vierge et naïf. Trop souvent le film n’est pas vraiment regardé, ni écouté. Cette subtilité de l’observation, ce soin du détail, qui ne peuvent naitre que du visionnement méticuleux et réitéré, sont des qualités cardinales. Dans une étude filmique sur la fin du film par exemple, le candidat glisse sur le dernier plan consacré au commissaire Mattei. Pourquoi terminer le film ainsi, et non sur le plan général à la grue qui précède ? Pourquoi ce cadrage-là et ce mouvement de caméra arrière qui accompagne Bourvil ? Ces interrogations n’appellent pas nécessairement des réponses définitives, mais le jury valorise ce questionnement précis et curieux qui prend en compte que le cinéma, avant d’être une complexité sémantique, est un art concret. 77 Bon nombre de candidats s’enferment dans une méthodologie unique consistant en une appréhension « auteuriste » et « formaliste » du film : Melville a pensé ainsi, il a voulu faire cela et donc le film a cette forme et cette mise-en-scène. Faut-il voir là la transposition d’une certaine habitude littéraire qui consacre la volonté du créateur, ou les conséquences jusqu’à nos réflexes critiques contemporains de la « politique des auteurs » promue par la génération de la nouvelle vague ? Toujours est-il que de nombreuses autres approches des films sont possibles, et même souhaitables puisqu’elles ouvrent de nouvelles perspectives. La recherche universitaire dans le domaine des Études cinématographiques sous l’égide de spécialistes éminents valorise désormais des approches plus culturelles (Cultural studies, Gender studies, Star studies), génériques (la question des genres et de ses attentes dans un cadre de production donné), historiques, génétiques, « poétiques historiques » (qui étudie l’historicité de certains éléments du langage cinématographique tant techniques que stylistiques et resitue leur codification et leur compréhension par le spectateur), etc. Le jury encourage vivement à varier les angles méthodologiques et à ouvrir au maximum le compas pour accueillir cette diversité épistémologique. Le Cercle rouge de Melville s’y prêtait à merveille : les études du genre (ou des genres) du film, de la politique des acteurs (que produisent Delon, Montand et Bourvil ?), du traitement de la couleur, de l’adresse aux spectateurs, de la production du film et de son positionnement économique, entre autres champs, pouvaient avantageusement y contribuer. Enfin, dernière recommandation qui n’est pas des moindres : il faut prendre des risques. Trop de candidats sont restés réservés, voire timorés dans leur lecture, figeant très souvent l’interprétation. Le cinéma est un art, et pas seulement en l’espèce un langage ou un objet d’étude. Il peut être porteur d’oser des trouvailles, de construire des passerelles singulières. Dans une leçon sur « Corey-Delon », un candidat a ingénieusement étudié la séquence où Corey prend l’ascenseur pour filer vers Louveciennes et son destin sous l’angle d’un « plan spectral ». C’était une très bonne idée. Peut-être, pouvait-on même aller plus loin et envisager tous les personnages comme des fantômes ou des êtres en sursis : Le Cercle rouge, un polar de morts-vivants ? On pouvait ainsi proposer l’hypothèse qu’une certaine influence du cinéma de Jean Cocteau se fait sentir dans Le Cercle rouge et dans son appréhension du genre du film noir : après tout, Orphée est aussi une sorte de film noir et Melville a été beaucoup influencé à ses débuts par Cocteau, réalisant notamment l’adaptation des Enfants terribles. Ces quelques principes et conseils rappelés, terminons en proposant l’exemple d’une bonne leçon. UN EXEMPLE DE LEÇON RÉUSSIE Sujet: Le Cercle rouge : un film d'auteur pour grand public? Introduction: le candidat commence par rappeler quelques éléments de la carrière de Melville et évoque en particulier son premier film ce qui permet de naturaliser la question du sujet: Melville a en effet conçu son métier comme un auteur, dès Le Silence de la mer, et a évolué peu à peu vers davantage de maîtrise, davantage de « singularité » en assumant seul, outre la réalisation, le scénario, le montage, la production… Le candidat en vient à mettre en évidence l'aspect apparemment paradoxal de l'intitulé qu'il faudra chercher à comprendre en contexte: Le Cercle rouge a bien touché une grande communauté de spectateurs, « un grand public » auquel correspond des horizons d'attente différents, attentes qui risquent d'être déçues, ou comblées, en vertu précisément de la singularité de l'œuvre, et de son auteur. 80 entrainer la mort d’un des deux hommes de main. Le film serait donc à l’image de cette scène, un spectacle de mise en tension entre concession au sensationnel et recherche esthétique. c. une interrogation sur la pratique du septième d’art : on l’a souvent dit, Le Cercle rouge interroge la création cinématographique en elle-même et questionne la place du spectacle par rapport au travail de l’artiste. Cette interrogation est sans doute celle qui occupe Jean-Pierre Melville quand il met en scène le casse, œuvre de minutie, calcul d’horlogerie. Si l’on peut y voir une métaphore du travail du cinéaste, c’est qu’un grand nombre d’indices nous y amènent : ainsi, Jansen observant à travers une lunette de visée qui choisit finalement de ne rien devoir à la pure technique et s’en remet à son savoir-faire inimitable (on se souvient qu’il réalise lui-même ses propres balles… « C’est génial » dira Corey). Conclusion : Le Cercle rouge, un film d’auteur pour grand-public ? Le paradoxe apparent est donc vite levé par Jean-Pierre Melville. Certes, il s’agit d’un film à succès qui est précisément conçu pour attirer le plus grand nombre et n’est donc pas réservé aux cinéphiles exigeants qui constituent le plus souvent le public des films d’auteurs, mais il ne les exclut pas. Le film demeure plus complexe qu’il n’y paraît qui propose un univers original, inimitable, dans lequel les codes sont volontiers transgressés, réécrits pour doubler le film de genre d’un film tragique, non univoque. Un film qui parvient à conjuguer revendication auctoriale, esthétique et nécessité spectaculaire. Le Cercle rouge s’oppose en tout point à cette affaire de casse telle qu’elle a été présentée par le gardien de prison : ni classique, ni sûre, ni sans risque. Entretien : Le candidat répond de manière assez convaincante aux différentes questions du jury qui l’invite, notamment, à préciser ses analyses d’extraits. Parmi les questions posées : - N’y a-t-il pas des raisons pratiques qui auraient poussé Melville à opter pour la plongée verticale sur le tapis de billard ? Réponses : le jeu avec le hors cadre, comme au moment de la rencontre avec le faux receleur qui tend la main de nulle part pour offrir du feu à Corey, et pour notre scène, le remplacement de l’acteur par un joueur de haut niveau, seul capable d’un tel coup, d’un champion de billard qui, en vertu de l’axe de prise de vue, n’apparaît pas à l’écran… - Doit-on opposer l’ambition esthétique et le spectaculaire ? n’y a-t-il pas une tradition, à laquelle Melville se réfère d’ailleurs, qui peut conduire à conjuguer les deux postulations ? Réponse : le candidat pense à Kubrick et on peut évoquer encore une certaine tradition hollywoodienne incarnée par exemple Alfred Hitchcock. Renaud FERREIRA DE OLIVEIRA Professeur de chaire supérieure Lycée J.-P. Vernant de Sèvres (avec l’aide précieuse de ses collègues) 80 EXPLICATION DE TEXTE 1. INTRODUCTION Ce rapport 2011 s’inscrit dans la continuité des précédents. Comme eux, il vise à la fois à guider les candidats dans leur préparation de l’épreuve, et à rappeler les attentes du jury. Il apparaît en effet que même si l’épreuve d’explication de texte est supposée connue de candidats censés la pratiquer parfois quotidiennement dans leurs classes, elle persiste néanmoins à être globalement moins bien notée que la leçon, ce que signalaient déjà les rapports précédents. La tendance ne s’est pas infléchie au cours de cette session 2011, durant laquelle des statistiques effectuées à 48h de la fin des oraux révélaient qu’une différence d’environ un point séparait la moyenne obtenue par les candidats en épreuve d’explication de texte (8,36) de celle obtenue en leçon (9,2). Nous reviendrons donc sur la définition de l’épreuve d’explication de texte, puis exposerons à nouveau les attentes du jury et rappellerons les erreurs souvent commises par les candidats. Nous nous appuierons pour cela sur des commentaires de membres du jury soucieux de proposer des postes de réflexion conduisant à une nécessaire amélioration des prestations d’ensemble. Nous nous appuierons aussi sur l’analyse des appréciations individuelles fournies par chacune des commissions de l’oral. Nous souhaitons nous placer ainsi dans une perspective d’aide à des collègues engagés dans la préparation d’un concours difficile et exigeant, en rappelant d’emblée qu’à la singularité des textes proposés à leur étude doit correspondre la spécificité d’une explication guidée par une sensibilité au texte, elle même appuyée sur la pertinence réelle des savoirs mis en œuvre afin d’en retenir le sens et la portée. Nous présenterons successivement la répartition quantitative des différents auteurs inscrits au programme de la session 2011 dans l’épreuve d’oral l’échelle des notes obtenues par les candidats et les commentaires qui s’y rapportent, ce qui dessinera une physionomie de la session 2011 en ce qui concerne l’épreuve d’explication de texte la démarche attendue lors de l’épreuve d’explication de texte à l’oral du concours, ce qui nous permettra de revenir sur les différentes étapes de l’épreuve et sur les attentes des jurys. 1) RÉPARTITION QUANTITATIVE DES DIFFÉRENTS AUTEURS Notons tout d’abord qu’on constate un quasi équilibre dans leur répartition : Montaigne : 66 sujets EXPLICATION D’UN TEXTE POSTÉRIEUR À 1500 D’UN AUTEUR DE LANGUE FRANÇAISE, ACCOMPAGNÉE D’UNE INTERROGATION DE GRAMMAIRE PORTANT SUR LE TEXTE ET SUIVIE D’UN ENTRETIEN Racine : 66 sujets Rimbaud : 61 sujets Robbe-Grillet : 57 sujets 2) L’ÉCHELLE DES NOTES Elle se présente comme suit On observe un glissement global des notes vers le bas par rapport à la session 2010. Cette année, en effet, les notes les plus fréquemment attribuées ont été celles de 5/20 (32 fois) et 6/20 (29 fois), alors que le 8 et le 7 constituaient les deux notes les plus fréquemment attribuées (dans des ordres de grandeur quasi identiques) au cours de la session 2010. Notons aussi qu’aucun auteur ne concentre les mauvaises notes ni n’attire systématiquement le « mauvais œil » sur les candidats. On remarque en effet que les 5/20 et les 6/20, basses notes les plus fréquemment attribuées se répartissent ainsi 11 fois 5/20 pour l’explication d’un texte de Montaigne 10 fois 5/20 pour l’explication d’un texte de Rimbaud 6 fois 5/20 pour l’explication d’un texte de Robbe 5 fois 5/20 pour l’explication d’un texte de Racine 10 fois 6/20 pour l’explication d’un texte de Mon 9 fois 6/20 pour l’explication d’un texte de Racine 6 fois 6/20 pour l’explication d’un texte de Rimbaud 4 fois 6/20 pour l’explication d’un texte de Robbe 0 5 10 15 20 25 30 35 1 2 3 4 N o m b re d e ca n d id at s : : -Grillet taigne -Grillet 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20 81 84 2. 2. LES ÉTAPES D’UNE EXPLICATION DE TEXTE Qu’est-ce qu’expliquer un texte ? Le rapport 2010 reprend utilement la définition proposée Paul Ricœur dans « Qu’est-ce qu’un texte ? Expliquer et comprendre » lorsqu’il définit la compréhension d’un texte comme un processus d’actualisation entre le présent (je lis, je m’empare du texte) et le passé (je décrypte celui-ci avec ce que je sais, ce que j’ai appris). De cette tension entre texte et lecteur naît le parcours spécifique de la lecture, qui fonctionne comme investissement de soi et reconnaissance du texte et permet une saisie personnelle de ce dernier. C’est pourquoi il convient de bien négocier les trois étapes préliminaires à l’explication proprement dite. La situation du texte Elle doit précisément replacer l’extrait dans l’œuvre au programme. Il n’est pas question de s’en tenir à des généralités thématiques ou biographiques susceptibles de convenir indifféremment à divers extraits d’une même œuvre. A ce titre, une situation de l’extrait par rapport à ce qui précède et à ce qui suit permet déjà de construire le sens — et de montrer une réelle connaissance de l’œuvre ! Ces rappels sonnent comme des évidences, mais ils prennent tout leur sens lorsqu’on se réfère aux indications fournies par les commissions à l’issue des épreuves. Les membres du jury ont constaté beaucoup d’aveuglement quant au contexte, particulièrement dans le cas de Montaigne. Il est pourtant facile de lire les lignes qui précèdent ou suivent tel ou tel passage : là encore, il y a souvent une source de renseignements utiles sur le passage. Même remarque pour les notes figurant dans l’édition du texte inscrit au programme du concours ! S’il n’est pas envisageable de fonder son explication de texte sur le contenu d’une longue note de présentation, montrer clairement qu’on ne les a pas consultées est bien maladroit, et fort dommageable. Trop de candidats se privent délibérément de ces réflexes simples et utiles. Le fait que Montaigne aime recourir aux digressions ne permet pas de réduire la mise en place d’un passage des Essais à une simple revue des différents thèmes qu’il aborde avant d’en arriver à l’extrait à commenter. Au contraire, il conviendrait de chercher à déceler la logique (voire les logiques) qui justifient un tel parcours. La même remarque vaut pour Racine. Selon un autre jury, « mettre en relation le texte avec ce qui suit et ce qui précède — voire avec l’œuvre en général — est indispensable à la présentation d’un extrait : dans Mithridate, le bandeau royal des vers 1500 et suivants auquel s’adresse Monime, symbolique bien sûr de ce qui la lie encore à Mithridate, apparaît déjà aux vers 253 et suivants, 393 et suivants... On attend du candidat qu’il le dise, ce qui éclaire le jeu de scène dans l’apostrophe au bandeau. » Ces remarques soulignent à quel point une bonne situation de l’extrait dans le fil de la diégèse ou de l’action est indispensable. Et une telle mise en place se révélait particulièrement importante cette année dans le cas d’une œuvre comme celle de Robbe-Grillet, pour qui le travail sur les reprises, les répétitions et les variations est un élément structurant de a narrativité elle-même. La « mise en série » (que l’on songe aux apparitions du motif du mille pattes dans La Jalousie) était essentielle pour mettre efficacement en évidence la spécificité du traitement spécifique d’un motif dans un extrait proposé. De même, dans Les Gommes, la répétition de certains trajets, le retour de certains lieux (la papeterie), les occurrences du titre dans la diégèse devaient faire l’objet d’un rappel initial si l’extrait s’y prêtait. Ces mises en perspective révèlent bien entendu la maîtrise de l’œuvre par le candidat, mais elles lui permettent aussi de construire son interprétation en comparant les perspectives : il est nécessaire de réaffirmer que l’extrait ne saurait être lu comme un passage 85 autonome, mais que son sens et ses perspectives d’interprétation sont à construire en fonction de l’ensemble de l’œuvre. De telles considérations sont bien entendu entièrement applicables à l’œuvre de Rimbaud dont les échos internes, les motifs récurrents, les obsessions thématiques sont à évoquer dès la situation du poème proposé à l’explication – au-delà de la simple évocation biographique de la période des fugues ou des voyages en Belgique… La lecture de l’extrait Ce passage obligé n’est en aucun cas une formalité. La lecture est déjà la marque de la conviction du candidat quant au bien fondé de sa future explication : il s’agit en effet d’une première proposition de sens. Or les examinateurs entendent bien peu de lectures expressives susceptibles d’entraîner d’emblée l’adhésion du jury et de justifier l’énoncé du projet de lecture. Plus grave encore, le texte de Racine est souvent lu de façon incorrecte, le vers racinien n’étant pas mis en valeur pas la connaissance de l’alexandrin. Les mêmes remarques s’appliquent à la lecture des textes poétiques de Rimbaud, où les diérèses et autres liaisons sont souvent négligées par les candidats. En ce qui concerne la lecture du texte théâtral, dont Racine fournissait cette année un exemple, il faut évoquer la question classique de la lecture des didascalies. Pour cela, nous rappellerons les distinctions déjà détaillées par le rapport 2009. Il existe quatre types de didascalies imprimées en italiques : - Celles qui accompagnent le nom d’un personnage - Celles, entre parenthèses, qui scandent une réplique - Celles qui constituent des alinéas séparés - Celles qui, souvent en tête d’acte ou de scène, décrivent un décor, un jeu de scène, etc. Il est de convention de ne lire que les deux derniers types de didascalies, qui constituent une pause dans le cours des répliques. Les deux autres doivent être rendues au moyen du ton sur lequel le candidat lit la tirade ou les répliques. Il est essentiel de commenter les didascalies : lues ou non, elles font partie intégrante de l’explication de texte et doivent, à ce titre, faire l’objet d’un commentaire. La présentation du plan du texte Elle peut se faire avant ou après l’énoncé du projet de lecture. Du mouvement du texte peut surgir une problématique – ou la problématique peut se déployer en fonction du sens du texte. Quel que soit le choix du candidat, le découpage du texte est un moment important pour la mise en place du sens de celui-ci. Ce n’est en aucun cas une simple étape formelle, comme les rapports successifs ne cessent de le rappeler. C’est la logique du texte qui doit en effet présider à son découpage, et non des considérations mal comprises selon lesquelles il conviendrait par exemple d’identifier absolument trois parties dans l’extrait proposé. Or le jury constate, cette année encore, que le découpage que les candidats proposent avant leur explication n’est pas toujours convaincant ni efficace. Ce découpage décrit assez systématiquement trois parties dans les extraits. Il serait souvent plus intéressant de préciser le mouvement de la pensée dans telle page des Essais, ou les articulations dramaturgiques d’une page de Racine et l’évolution du rapport entre les personnages. Par ailleurs, ce découpage artificiel en trois parties peut tourner à l’aberration : ainsi du chapitre XXII du livre I des Essais : « Le profit de l’un est 86 dommage de l’autre » que la candidate a découpé en trois parties au mépris de toute logique dans un chapitre où la phrase de Montaigne épouse son propos pour se métamorphoser sans cesse dans un mouvement continu de reprise et de transformation… Le projet de lecture C’est dans ce moment particulier du rapport au texte que se joue, de l’avis général des examinateurs, la réussite d’une explication de texte. Il s’agit donc de témoigner d’un choix de lecture précis et raisonné sur un extrait spécifique, ce qui lui donne la fonction équivalente de celle de la problématique dans une dissertation, et le même poids dans la construction d’un sens et des étapes d’une réflexion. La difficulté est donc double. Il s’agit d’abord de dégager le caractère spécifique d’un extrait par rapport à l’ensemble de l’œuvre, sans plaquer une doxa généralisante et non pertinente sur le texte à expliquer. En ce sens, les explications d’extraits de l’œuvre de Robbe-Grillet ont trop souvent pâti cette année de considérations hasardeuses sur « la mise en abyme », les « jeux spéculaires » et autres « méta » de tous ordres… Des lectures plus originales, des approches justifiées seraient bienvenues et contribueraient à la lecture des extraits pour eux-mêmes, et non dans une perspective uniquement métadiscursive, uniquement axée sur la supposée modernité du texte. Des auteurs plus classiques, tels Montaigne, sont eux aussi victimes de cette tendance. Les jurys interrogeant sur cet auteur ont souvent déploré que les candidats plaquent une problématique toute faite sur les textes proposés. On citera le cas d’un candidat qui voulait à tout prix parler de dialogue avec le lecteur dans un extrait où cet aspect était absent, et ce uniquement parce que Montaigne utilisait une fois la 2ème personne du pluriel. Et que dire de cet autre candidat qui fondait ses conclusions hasardeuses (Montaigne, à l’en croire, parlait de lui et de sa singularité intime) sur le simple emploi de la tournure « je pense que »… Il convient donc d’éviter de se retrancher derrière des cours généraux ou des textes critiques, et de mesurer l’intérêt de l’extrait à l’aune d’une approche éclairée mais personnelle. Il s’agit également de proposer un choix de lecture susceptible de donner une dimension argumentative dynamique à l’extrait étudié. Mieux vaut donc privilégier les problématiques proposant comme ligne directrice de l’explication une véritable réflexion sur le problème d’écriture spécifique à l’extrait proposé. Entrer dans un texte par le genre ou par la forme (et par leur éventuelle perturbation dans l’extrait singulier à étudier) est une démarche souvent productive. Les examinateurs remarquent en effet a contrario les piètres performances des candidats qui, sur des textes de Racine, proposent un traitement du texte identique à celui dont pourrait bénéficier un chapitre de roman – pour ne pas dire, dans les pires cas, un fait divers rapporté par la presse quotidienne. Dans l’évocation du projet de lecture, le combat fratricide de la Thébaïde est ainsi perçu comme « pathétique », et les candidats s’obstinent à voir du « suspens » ou de « l’espoir » là où il conviendrait de parler d’ironie tragique, notion canonique susceptible en outre de fournir un fil directeur plus pertinent. D’une façon générale, d’ailleurs, la notion de tragique demeure mal connue et peu maîtrisée, le terme et le registre de « pathétique » lui étant assez systématiquement préféré. Les candidats projettent ainsi leurs propres émotions sur les personnages et extrapolent sur de possibles issues différentes et « plus heureuses », pour citer les mots malheureux d’un candidat. Ces lectures purement dénotatives, souvent psychologisantes, fréquentes sur les textes théâtraux et narratifs, ne constituent pas une pratique suffisamment précise et ferme pour rendre compte de la spécificité d’un extrait proposé à l’explication. Telle commission d’oral jury remarque par exemple l’éviction quasi totale du nom de l’écrivain dans la problématique. La tirade finale de Créon dans La Thébaïde tombe sous le coup de cette critique : 89 mêmes remarques au fil de l’explication. Dans un texte long, le candidat doit savoir déclarer par moments qu’il passe plus vite, qu’il avance rapidement pour rassembler des éléments concordants, tout en récapitulant clairement ce qu’il a montré à chaque scansion du texte. Ces remarques s’imposent à nouveau, tout particulièrement pour l’étude des poèmes de Rimbaud dont la longueur, la forme et la complexité sont éminemment variables au sein du corpus proposé à l’attention des candidats. La référence au genre d’un texte est un élément très important pour la mise en forme et en perspective de l’extrait à étudier dans l’explication de texte. Les remarques et critiques du jury portent très souvent sur ces points. Les textes relèvent en effet de genres spécifiques, qui fournissent des repères et des outils à la fois simples et performants susceptibles de cadrer l’approche. Or ces éléments ne sont pas suffisamment utilisés par les candidats, qu’il s’agisse de textes théâtraux ou de textes poétiques. Dans le cas du théâtre, la double destination du texte est trop rarement évoquée, les didascalies ne sont pas toujours commentées, et les extraits de textes théâtraux sont analysés comme s’ils relevaient d’une quelconque prose narrative. Les jurys se plaignent donc du manque de précision et de pertinence des explications entendues, et rappellent qu’un texte théâtral ne peut être correctement expliqué s’il n’est tenu aucun compte de la présence des acteurs sur la scène, de l’importance des didascalies internes et externes, de la présence de personnages muets ou cachés. D’autres aspectssont rarement, voire pas du tout évoqués. Les candidats ne commentent pas le fait que des personnages présents sur scène ne s’expriment pas. Aucune mention non plus des destinataires d’une tirade, de leurs actions ou réactions pendant cette tirade ; aucune réflexion sur les liaisons entre scènes (fuites, entrées, sorties) ; rien non plus sur le jeu des acteurs, ni sur les possibilités d’interprétation offertes par le texte… Les prestations des candidats, on l’aura compris, se contentent trop souvent d’une analyse de ce qui relève de la « fable », sans interroger véritablement ce qui relève de l’œuvre ou des enjeux génériques. La dimension proprement théâtrale est très peu, et trop allusivement, prise en considération. La dimension poétique du texte théâtral racinien est ignorée par de nombreux candidats, qui se contentent de quelques allusions à la place des mots à la césure ou à la rime, ou de la mention de quelques allitérations, parfois du rythme de l’alexandrin. Mais le jury déplore aussi, très souvent, l’absence de toute remarque relative à la métrique ou à la prosodie. Dans leurs observations, les différentes commissions conseillent donc logiquement de travailler en vue d’une maîtrise des questions de métrique élémentaire : coupes, accents, rythme de l’alexandrin et de l’octosyllabe. L’analyse de la poésie en prose, telle qu’elle pourrait être menée à propos d’Une Saison en enfer, laisse aussi à désirer. Les candidats évoquent éventuellement la notion de poésie à propos de certaines images rimbaldiennes, qu’ils renvoient d’ailleurs à une « alchimie du verbe » aux contours mystérieux, et fort peu analysée dans ses procédés. Rappelons ici que, concernant cette œuvre inscrite au programme, la notion d’alinéa doit être maniée plutôt que celle, plus prosaïque, de paragraphe, et que le rythme doit faire l’objet d’une analyse précise, qui peut et doit faire entendre le texte comme véritable « poème » — et non comme la transcription d’on ne sait quelle crise psychologique aigue, ou comme l’énoncé d’un manifeste poétique à travers une analyse strictement dénotative d’ « Alchimie du verbe » par exemple. La conclusion de l’explication Cette partie du travail ne doit pas être négligée. Elle a pour but de rassembler les principaux points de l’explication, de les relier fermement au projet de lecture évoqué initialement, et de mettre en évidence le lien entre l’extrait commenté et l’œuvre entière. Ces exigences posent la conclusion en « miroir réfléchi de ce qui a été posé » (l’expression figure dans le rapport 2010), qui doit permettre de clore la lecture de l’extrait sans toutefois la verrouiller. La conclusion laisse en effet entendre que 90 l’explication menée, si elle est à la fois cohérente, dynamique et riche en pistes interprétatives sur le texte, n’en épuise nullement le sens. Elle doit au contraire donner envie de le relire dans une perspective revivifiée par l’explication proposée. Or plusieurs commissions d’oral relèvent que les moments stratégiques que constituent l’introduction et la conclusion sont disproportionnés par rapport à l’ensemble, et parfois peu pertinents par rapport à la spécificité de l’extrait proposé : - dilatés, ils évoquent des généralités trop souvent éloigné de l’extrait à expliquer. On se contente de plats rappels sur la « modernité » pour introduire un travail sur Robbe- Grillet, ou d’évocations bien vagues du caractère tragique de l’œuvre de Racine pour introduire (ou conclure sur) un passage des pièces au programme. - précipités, ils montrent que les éléments choisis pour cadrer l’explication sont soit insuffisants, soit trop mécaniquement plaqués, comme lorsque des candidats évoquent la « subversion formelle » (sic) à propos d’un texte de Rimbaud, ou la lecture « nécessairement métatextuelle » (sic) de l’œuvre de Robbe-Grillet. 2. 3. L’IMPORTANCE DE L’ENTRETIEN Ce moment qu’il ne faut pas négliger, ne doit pas non plus être redouté. Beaucoup d’entretiens, même s’ils succèdent à de bonnes explications de textes, demeurent décevants de l’avis des interrogateurs. Ces derniers sont bien évidemment conscients du poids de la fatigue qui s’abat sur les candidats à ce moment de l’épreuve, à la suite d’un exposé de 40 minutes au cours duquel ils ont donné le meilleur d’eux-mêmes. Mais ce moment, comme le rappelle le rapport 2005, est « au service du candidat », « le questionnement vise à l’aider à revenir sur son propos, afin de l’amender, de le compléter, de l’enrichir » et « les questions ne constituent pas des pièges ». L’entretien, qui « prolonge l’échange avec le texte en donnant la parole à un tiers, le jury » (rapport 2010), est la suite logique de l’exposé du candidat. Ce dernier doit donc rester mobilisé, attentif aux questions. Il ne doit marquer ni surprise ni défiance devant les questions, même si celles- ci portent sur le sens littéral d’un terme. Certains éléments de culture littéraire ou historique peuvent faire l’objet d’une question, et le candidat peut être amené à préciser une notion ou un concept. Le texte étudié est alors rapporté à des notions plus générales, mais dans un souci de confrontation et de comparaison, et non d’assimilation mécanique. Un candidat peut parfaitement être interrogé sur « l’humanisme » de Montaigne ou sur le « tragique » racinien : le jury lui demande en ce cas de préciser ou de compléter ses analyses, voire de corriger un lapsus ou une erreur relevée au cours de sa prestation. Dans la cadre de l’entretien, la langue, la syntaxe, la rhétorique ou la métrique peuvent également faire l’objet de questions. L’enjeu est donc d’importance et, comme le souligne le rapport 2009, « certaines explications moyennes voire légèrement insuffisantes ont pu être valorisées grâce à un entretien dynamique et constructif. Même s’ils ne le montrent pas au candidat, les interrogateurs sont toujours sensibles à sa réactivité, à sa faculté de rester attentif et mobilisé durant ce moment difficile de l’épreuve. » 3. POUR CONCLURE… Le rapport 2004 le rappelle : l’explication s’inscrit dans « la tradition très ancienne de l’exégèse et de l’herméneutique qui vise à dégager le sens obscur, caché des textes, religieux puis profane, pour les interpréter. » « Expliquer, c’est dérouler les fils impliqués dans le tissu du texte, c’est interroger le texte au-delà de l’évidence d’une compréhension de surface et de sa traduction en langage commun ». Il faut donc de l’enthousiasme, comme le soulignent les jurys, pour réussir une explication de texte. 91 Les candidats, en position de réussite puisqu’ils ont été déclarés admissibles, sont invités à s’exprimer de façon personnelle sur la singularité d’un texte proposé à leur attention. Il s’agit d’en dire, dans le même mouvement, « le sens et la saveur », devant un auditoire qui les écoute dans un silence attentif. Un minimum de lucidité sur cette situation de communication particulière et précieuse doit inciter les candidats à faire preuve d’enthousiasme et de combativité, et à profiter ainsi de l’écoute d’examinateurs avec lesquels ils partagent l’amour de la littérature. Catherine ROBERT-LAZÈS Professeur de chaire supérieure Lycée Janson de Sailly 94 L’ordre des mots (2 fois) La coordination (2 fois) La parataxe (1 fois) Les types de propositions ou les propositions (2 fois) Fonctions des subordonnées, ou les subordonnées, ou la subordination, ou les propositions subordonnées (17 fois) Les subordonnées relatives et circonstancielles (1 fois) Les subordonnées circonstancielles (1 fois) Les subordonnées relatives (5 fois) Les propositions conjonctives (1 fois) ; les complétives (1 fois) La ponctuation (1 fois) Les catégories grammaticales Les déterminants (7 fois) L’article (1 fois) Présence et absence d’articles (2 fois) ou de déterminant (1 fois) L’adjectif qualificatif ou les adjectifs qualificatifs (16 fois) Le groupe nominal (2 fois) Noms et Syntagme nominal (1 fois) Les démonstratifs (3 fois) Les indéfinis (3 fois) Les pronoms (7 fois) Les pronoms personnels (9 fois) Les pronoms autres que personnels (1 fois) Les relatifs (1 fois) La préposition (4 fois) Les syntagmes prépositionnels ou les groupes prépositionnels (6 fois) Les compléments introduits par à (1 fois) Les adverbes (7 fois) Les conjonctions de coordination (1 fois) Les subordonnants (2 fois) Modes et temps du verbe Les modes personnels du verbe (2 fois) Les modes impersonnels ou non personnels (3 fois) Temps et modes (3 fois) ; L’aspect (1 fois) Indicatif et subjonctif (1 fois) Le subjonctif (3 fois) L’impératif (2 fois) Les participes (4 fois) ; le participe passé (2 fois) ; Les formes en –ant (1 fois) L’infinitif (15 fois) 95 L’infinitif et le participe (4 fois) Les temps de l’indicatif (7 fois) ; Les temps verbaux (2 fois) Le présent de l’indicatif et du subjonctif (1 fois) ; le présent (1 fois) Les verbes à la forme pronominale ou les verbes pronominaux (4 fois) Les formes en –rai / -rais (1 fois) Les fonctions L’épithète (1 fois) Les expansions du nom (3 fois) L’apposition (1 fois) ; Apposition et attribut (1 fois) L’attribut (8 fois) ; Les constructions du verbe être (1 fois) La fonction sujet ou le sujet (7 fois) ; le sujet et l’objet (1 fois) Les constructions verbales (2 fois) ; Transitivité et intransitivité verbales (1 fois) Le complément d’objet (3 fois) Les compléments essentiels (1 fois) ; Les compléments du verbe (4 fois) Les compléments circonstanciels (6 fois) Le complément de temps (1 fois) Études de formes Le morphème de ou emplois de de ou La préposition de (5 fois) ; des, de (1 fois) ; des, de, du (1 fois) Que, qu’ ou le morphème que ou que (8 fois) ; Qui et que (2 fois) En (1 fois) ; En et y (1 fois) Ne et non (1 fois) La syntaxe du mot si (1 fois) Tout (1 fois) Pragmatique et sémantique Les déictiques (2 fois) Les modalisateurs (1 fois) L’anaphore (1 fois) Le discours rapporté (1 fois) Comme on peut le vérifier, les questions portent essentiellement sur des notions classiques ; les études de formes polysémiques (que, de, etc.) sont également attendues aux concours. La part de la pragmatique est très réduite, et concerne des notions aujourd’hui banalisées. On observera aussi qu’une même notion peut être désignée au moyen de divers termes concurrents, sans grandes différences de portée de la question. L’essentiel de la terminologie est également très classique, conforme à la grammaire courante en classe, et ses variations ne devraient guère faire difficulté. À ce sujet, il convient de préciser que le jury accepte tout terme adapté à la notion à étudier, même s’il ne l’a pas demandé : la subduction guillaumienne ou les subordonnées 96 percontatives de P. Le Goffic ont aussi droit de cité. « Peu importe la couleur du chat, pourvu qu’il attrape les souris », disait naguère un dirigeant chinois. Autrement dit, peu importent les termes employés, si la description et les explications qu’ils permettent sont pertinentes. Cependant, le jury est en droit d’attendre des candidats à l’agrégation qu’ils dépassent des notions depuis longtemps périmées : on sait ainsi que la définition étymologique du pronom, « qui remplace un nom », est largement fausse ; une meilleure définition s’impose nécessairement. Plus délicat est l’équilibre à trouver entre les différents critères de définition et d’identification des catégories et des fonctions grammaticales. La tradition scolaire donne la priorité au sens, au détriment de la structure syntaxique. Certains candidats ont du mal à se défaire de ce modèle, qui rend leur exposé incomplet : il n’est pas suffisant de présenter un classement sémantique des adverbes (temps, lieu, manière, etc.) sans expliquer leur fonctionnement syntaxique, qui est fort hétérogène, et ne se limite pas à la trilogie traditionnelle (« modifie un verbe, un adjectif ou un autre adverbe »). Même si l’orientation morphosyntaxique est dominante aujourd’hui, l’étude complète d’une catégorie grammaticale met en jeu la morphologie, la syntaxe et aussi la sémantique ; l’importance de la morphologie dépend souvent des occurrences à étudier ; la syntaxe et la sémantique ont partie liée. Mais cette dernière demande une attention particulière, car les notions scolaires traditionnelles ne suffisent pas. Ainsi, pour expliquer l’emploi des déterminants, on devra certes commenter leurs formes ; mais c’est l’étude sémantique qui est vraiment importante et attendue. Il conviendra d’expliquer comment le déterminant assure l’accès au référent du groupe nominal qu’il introduit (référence générique ou spécifique, déterminée ou indéterminée, etc.). Et pour les types de phrases, notion éminemment linguistique, l’appui sur les actes de langage est indispensable. 4. NOTES ET CRITÈRES D’ÉVALUATION Le jury propose une note de grammaire sur 20, en utilisant l’échelle des notes disponibles: les notes de la session 2011 s’échelonnent de 1 à 19. NOTE Effectifs concernés 01 1 exposé 02 4 exposés 03 3 exposés 04 12 exposés 05 28 exposés 06 24 exposés 07 23 exposés 08 24 exposés 09 23 exposés 10 22 exposés 11 13 exposés 12 20 exposés 13 21 exposés 14 10 exposés
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