Télécharge Matin brun explication du texte et plus Notes au format PDF de Français sur Docsity uniquement! (Re)lire Matin brun de Franck PAVLOFF Si vous lisez Matin brun (le texte est fourni en annexe), vous ferez partie des quelque 2 millions de personnes qui ont lu ce récit à travers le monde. Le texte est en effet traduit et diffusé dans 25 pays, dont la Chine ou la Russie, depuis 1998, date de sa première édition. Pourquoi cet engouement ? À cause d'une histoire, d'un genre d'écriture ? Comment classer Matin brun ? En fait, le lecteur trouvera dans cette nouvelle, selon sa culture et ses présupposés, une simple fable ou un conte philosophique dans la lignée de Voltaire, ou une véritable alerte, plus réaliste et actuelle, en lien avec des évènements plus récents. La nouvelle est un récit court, écrit en prose. La concision et l'efficacité de l'écriture la caractérisent. Les personnages d'une nouvelle sont peu nombreux et leur description est sommaire. L'action est assez simple et souvent construite de façon à ménager un effet de surprise au dénouement : la chute. En général, la nouvelle contient une situation initiale, un élément déclencheur (évènement qui perturbe et dérange), une suite d’actions et la chute finale. Dans ce récit destiné aussi bien aux enfants qu'aux adultes (dans la lignée du Petit Prince), Franck Pavloff raconte en douceur la montée d'un régime totalitaire : L'Etat brun. Brun parce qu'il impose la couleur brune à tous les animaux de compagnie. Pas de quoi fouetter un chat ?! C'est ce que se disent les habitants (de ce lieu sans nom) ; alors, pour éviter les problèmes, ils cèdent, et ces petites lâchetés conduiront au pire. Jusque-là tout allait bien... Au départ, ce texte très court (environ trois pages en format A4) nous plonge dans un contexte ordinaire et léger : deux amis (le narrateur sans nom et Charlie) bavardent tranquillement au soleil. Plus loin, les personnages jouent aux cartes (à la belote, jeu populaire) et regardent du sport (du football, sport populaire aussi) à la télévision. Le vocabulaire est simple, voire familier (« clebs », « proprios »). Ce bref récit s'inscrit dans notre réalité ordinaire, même si les faits ne sont pas vrais. Jusque-là tout allait bien... Mais la mort arrive aussi dès les premières lignes : Charlie a dû faire piquer son chien de quinze ans. C'est l'élément déclencheur, mais le lecteur ne le sait pas encore. Le récit alterne subrepticement des éléments quotidiens et rassurants et des phénomènes qui devraient mettre la puce à l'oreille du lecteur. Charlie et son ami discutent d’une mesure prise par ce qui semble être le gouvernement en place : l'interdiction d’avoir un chien d’une autre couleur que brune. Le chien de Charlie n'a pas été piqué parce qu'il souffrait en raison de son âge, il a été exterminé parce qu'il n'était pas brun. Et nous apprenons que cette mesure concernait les chats quelque temps auparavant. Les « milices » ont donné des boulettes d'arsenic pour tuer les chats de mauvaises couleurs. Couleur ? Ne parle t-on pas de la couleur d'un individu (puisque la notion de race n'existe pas), de la couleur politique, religieuse, idéologique de quelqu'un ? Très progressivement, cette couleur brune va envahir le texte. Ainsi, seuls les chats et les chiens 10 bruns ont droit de cité dans ce pays sans nom, lui aussi. C'est rationnel, indiscutable, puisque ce sont « les scientifiques de l'Etat national » qui en ont décidé ainsi. « Etat national » ? Appellation singulière. Par opposition à « Etat démocratique » ? Et d'ailleurs, brun, et pas marron, havane ou châtain. Cela aurait évité la répétition si décriée pour la beauté du style... Pourquoi cette répétition? Et si Franck Pavloff l'avait fait exprès ? Cette couleur prend la fonction d'une alarme, à petit bruit, qui va insidieusement se faire entendre. Un relevé des emplois de l'adjectif « brun » montrerait qu'il concerne non seulement les animaux, mais aussi la presse (le journal devra changer de nom pour devenir les Nouvelles brunes), la radio, le langage et même le tiercé ! Jusqu'au pastis (le jaune !) qui devient brun. Nous frôlons l'absurde. Ou bien cette couleur n'est-elle pas seulement une « couleur » ? Que connote le brun, pourquoi ce choix? Depuis les « Chemises brunes » nazies, le brun est la couleur du totalitarisme, du fascisme ou de l'extrême-droite. Point d'histoire : En 1925, en Allemagne, les membres de la Section d'Assaut (Sturmabteilung ou SA) adoptent un uniforme, auquel ils doivent leur nom : les Chemises Brunes. Créées par Hitler en 1921, celles-ci œuvrèrent pour l’avènement du Troisième Reich, jusqu’à ce que le dictateur nazi décide de s'en débarrasser, lors de la « nuit des longs couteaux », en 1934. Et la peste brune est le surnom donné au nazisme, à cause des chemises brunes justement. Pensons au roman La Peste d'Albert CAMUS, au titre très symbolique, roman publié en 1947 dans le sillage de la guerre 1939-45 et de son épidémie brune. Il est clair que Pavloff a choisi cette couleur brune et a choisi de la répéter tout au long de son récit. Et des indices d'écriture évoquent ce totalitarisme qui se met en place. Notons des usages volontairement connotés : 1. des registres lexicaux : peur, sécurité, milice 2. des thèmes abordés : la délation, l'eugénisme, la rétroactivité des lois, la censure... Jusque-là tout allait bien... Se sentant surveillés, les habitants en rajoutent, vont plus loin que ce qui leur est demandé. Ainsi, Charlie et le narrateur vont-ils se mettre à ponctuer leurs fins de phrases de « brun » ou « brune ». Le contrôle de la société devient total et irrépressible, conduisant le narrateur à regretter de ne pas avoir réagi plus tôt, d'avoir fait preuve de passivité : « J'aurais dû me méfier des Bruns dès qu'ils nous ont imposé leur première loi sur les animaux. » Comme le Pasteur Martin NIEMÖLLER (1892-1984), rescapé de Dachau, qui n'avait rien dit..., mais a écrit ce « poème-cri » alors qu'il était prisonnier, en 1942 : Quand ils sont venus chercher les communistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas communiste. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n'ai rien dit, je n'étais pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les juifs, je n'ai rien dit, je n'étais pas juif. 11 Propositions méthodologiques 1. Interpréter les couvertures de la nouvelle : - à quoi renvoient la croix, la couleur de la première couverture ? Les chats de la 2e couverture ? - Qu'évoquent le titre, l'association des deux mots « Matin » et « brun » ? 2. Imaginer une autre page de couverture pour cette nouvelle / un autre titre, et justifier ses choix. 3. Ecouter le texte lu par un comédien : http://www.litteratureaudio.com/livre-audio-gratuit-mp3/pavloff-franck- matin-brun-version-2.html. 4. Inférer la suite du récit : que se passe-t-il juste après « Arrêtez de taper si fort, j'arrive. » ? Et quelques jours plus tard ? 5. Lire le texte de façon approfondie en y cherchant les indices qui peuvent confirmer/infirmer la/les suite(s) du récit imaginée(e) par le groupe. 6. Nommer les sous-thèmes abordés par le récit et repérer les endroits précis du récit qui les illustrent. 7. Mettre le texte en relation avec l'actualité. 8. Regarder le court-métrage d'animation, Un beau matin, (2005) de Serge AVÉDIKIAN (12 minutes) http://archive.org/details/FranckPavloff_MatinBrun : - Comment le réalisateur a-t-il interprété la nouvelle « Matin brun » ? - Quelles différences, similitudes, actualisations entre le texte de Pavloff et les éléments du film ? - Quels éléments du langage cinématographique (images, bande-son) le réalisateur a-t-il sollicités pour faire passer le texte de départ ? Explique. 9. Lire des textes qui abordent le même thème général, les mêmes sous-thèmes (= lecture en réseau), par exemple le poème du Pasteur Martin Niemöller. Jean KATTUS 14
Annexe
MATIN BRUN
Les jambes allongées au soleil, on ne
parlait pas vraiment avec Charlie, on
échangeait des pensées qui nous
couraient dans la tête, sans bien faire
attention à ce que l'autre racontait de
son cècé, Des moments agréables, où on
laissait filer le temps en sirotant un caf
Lorsqu'il m'a dit qu'il avait dû faire piquer
son chien, ça m'a surpris, mais sans plus.
C'esc roujours triste un clebs qui vieillit
mal, mais passé quinze ans, il faut se faire
à l'idée qu'un jour où l'autre il va mourir.
— Tu comprends, je pouvais pas le faire
passer pour un brun
— Ben, un labrador, c'est pas trop sa
couleur, mais I avait quoi comme
maladie ?
— C'est pas là question, c'était pas un
chien brun, c'est cout.
— Mince alors, comme pour les chats,
maintenant À
— Oui, pareil,
Pour les chars, j'érais au courant. Le mois
dernier, j'avais dû me débarrasser du
mien, un de gourière qui avait eu la
mauvaise idée de maître blanc, caché de
noir.
C'est vrai que ls surpopulation des chats
devenait insupportable, et que d'après ce
que les scientifiques de l'État national
disaient, il valait mieux garder les bruns,
Que des bruns. Tous les tests de
sélection prouvaient qu'ils s'adaptaient
mieux à notre vie citadine, qu'ils avaient
des portées peu nombreuses ec qu'ils
mangeaient beaucoup moins. Ma foi, un
chat c'est un chat.er comme Il fallait bien
résoudre le problème d'une façon ou
d'une autre, va pour le décret qui
insœurait la suppression des chats qui
n'étaient pas bruns.
Les milisés de la ville discribuaient
gratuitement des boulettes d'arsenic.
Mélangées à la pâtée, elles expédiaient les
matous en moins de deux.
Mon cœur s'était serré, puis on oublie
vite.
Les chiens, ça m'avait surpris un peu plus,
je ne sais pas trop pourquoi, peut-être
parce que c'est plus gros, ou que c'est le
compagnon de l'homme, comme on dir.
En tout cas, Charlie venait d'en parler
aussi naturellement que je l'avais fait
pour mon chat, ét il avait sans doute
raison. Trop de sénsiblerie ne mène pas
à grand-chose, et pour les chiens, c'est
sans doute vrai que les bruns sont plus
résistants,
On n'avait plus grand-chose à se dire,
ôn s'érait quitrés, mais avec une drôle
d'impression. Comme si on ne s'érait pas
tout dit, Pas trop à l'aise.
26
Quelque temps aprés, 'ese moi qui avais
appris à Charlie que le Quotidien de la
ville ne paraltrait plus,
IFén étair resté sur le cul: le journal qu'il
couvrait cous les matins en pranane son
<afé crème!
— ls onc coule? Des grèves, une faillite ?
— Non, non, desc à la suite de l'affaire
des chiens.
— Des bruns?
= Qui. toujours. Pas un jour sans s'atta-
quer à cette mesure nationale, lis allaient
jusqu'à remettre en cause les résulnés
des scientifiques. Les lecteurs ne savaient
plus ce qu'il falaic penser certains mème
commencalent à cacher leur clébard!
— À vrop jouer avec le feu.
— Comme tu dis, le journal a fini par se
faire incerdire.
— Mince alors, et paur le tiercé?
— Ben men vieux, faudra chercher res
tuyaux dans lee Nouvelles braves, I ny à
plus que celuldlà. Il paraît que côté
<aurses et sports, il tient la route.
Fulsque les autres avaient passé les
bornes, il fallait bien qu'il reste un canard
dans la ville, on ne pouvait pas se passer
d'informations tour de même.
J'avais repris ce jourlà un café avec
Charhe, mais ça me cracassait de devenir
un lecteur des Nouvelles brunes. Pourcant,
autour de moi les clients du bistrot
conrinuaient leur vie. comme avant:
j'avais sünément tort de m'inquièrer
Aprés, ça avait été au Lour des livres de
in bibliothèque, une histoire pas crès
chire, encore
Les maisons d'édition qui faisaient partie
du même groupe financier que |e
Quotidien de la ville étaient poursuivies
en justice et Jours livres incerdits de
séjour sur les rayons. des bibliothèques,
Il est vrai que si on lisait bien ce que ces
maisons d'édition conrinuaienc de
publier, où retevaic le moc chien où chat
au moins une fois par: volume, et
sürément pas toujours assorti du mot
brin. Elles devaient bien le savair tout de
même.
— Faut pas pousser, disait Charlie, tu
comprends, la nation n'a rien à y gagner
à accepuer qu'on décourne la lai, e6 à
jouer au char et à h souris, Brune, I avait
ralguéé en regardant autour de lui. souris
Brune, au cas où on aurait surpris notre
conversation:
Par mesure de précaution, on avait pris
l'habiue de rajouter brin où brune à la
fin des phrases où après les mors. Au
débur, demander un pastis brun, ça nous
avait fait drôle, puis après cout, le langage
c'est fait peur évoluer et ce n'était pas
plus étrange de donner dans Le brun que
de rajouter putain con, à cour bout de
champ, comme on le fair par chez nous.
Au moins, on éaic blen vus ec an étmit
cranquilles,
On avale même fini par coucher le tierce.
Oh, pas un gros, mais tout de même,
notre promier tiercé brun. Ca nous avait
aidés à accepter les eracas des nouvelles
réglementations.
Un jour, avec Charlie, je m'en souviens
bien, je lui avais dit de passer à la maison
pour resarder (a finals de la Coupe des
coupes, an a actrapé un sacré fou rire,
Voilà pas qu'il débarque avec un nouveau
chien!
Magnifique, brun de h queue au museau,
avec des yeux marron.
— Tu vois, finalement ilesc plus affectueux
que l'aurre, et il m'obéit au doigt et à
l'œil, Fallait pas que j'en fasse un drame
du hbrador noir.
À peine il avair dit certe phrase que son
chien s'était précipité sous le canapé en
jeppanc comme un dingue. Et gueule que
je té gueule, et que mère brun, je n'obdis
na men maître ni à personne!
Et Charlie avait soudain compris.
— Non, toi aussi ?
— Ban oui. eu vas voir,
Et là mon nouveau char avait jaill comme
une flêche pour grimper aux rideaux ec
se réfugier sur l'armoire. Un matou au
regsré ec aux poil bruns, Qu'est-ce qu'on
avait ri Tu paries d'une coïncidence !
2 Ti comprends, je ur avais dit, j'ai
toujours eu des chats, alors. || est pas
beau, celui-ci
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