Docsity
Docsity

Prépare tes examens
Prépare tes examens

Étudies grâce aux nombreuses ressources disponibles sur Docsity


Obtiens des points à télécharger
Obtiens des points à télécharger

Gagnz des points en aidant d'autres étudiants ou achete-les avec un plan Premium


Guides et conseils
Guides et conseils

Notes sur la chanson de Roland, Notes de Langue Française

Notes de langue sur la chanson de Roland. Les principaux thèmes abordés sont les suivants: prélude à la bataille, Roland, sonné du cor.

Typologie: Notes

2013/2014

Téléchargé le 26/03/2014

Daphnee_r
Daphnee_r 🇫🇷

4.1

(64)

392 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Notes sur la chanson de Roland et plus Notes au format PDF de Langue Française sur Docsity uniquement! La chanson de Roland I. – Avant-Propos et Dédicace À tous ceux qui ignorent notre vieille poésie nationale, à tous ceux qui ont souci de la connaître, nous dédions ces quelques pages. La France, qui est la plus épique de toutes les nations modernes, a jadis possédé deux cents Poëmes populaires. consacrés à des héros chrétiens, à des héros français. Ces poëmes étaient chantés, et se rattachaient par leur sujet à certaines familles héroïques, à certaines gestes. De là leur nom de « Chansons de geste ». Imaginez de longs récits poétiques où plusieurs milliers de vers sont inégalement distribués en un certain nombre de tirades ou laisses. Et figurez-vous, dans chacun de ces couplets, tous les vers terminés à l’origine par les mêmes assonances, et, plus tard, par les mêmes rimes. Telles sont les Chansons de geste ; tels sont ces chants épiques de la France que toute l’Europe a connus, imités et traduits, et qui ont fait le tour du monde avec nos traditions et notre gloire. Or, la plus antique, la plus célèbre, la plus belle de toutes les Chansons de geste, c’est la Chanson de Roland. Nous allons parler de la Chanson de Roland. Notre vœu le plus cher, c’est qu’après nous avoir entendu, les femmes même et les enfants connaissent, admirent et respectent le plus beau monument, le type le plus achevé de l’Épopée française. C’est notre vœu, parce qu’on ne saurait aimer le Roland sans aimer plus vivement la France. II. – L’Histoire Le 15 août 778 [1], au fond d’une petite vallée des Pyrénées qui est encore aujourd’hui connue sous le nom de Roncevaux, il se passa un drame terrible, dont le retentissement devait être incomparable, et qui allait, durant plusieurs siècles, inspirer les poëtes de toutes les nations chrétiennes. Le roi des Francs, Charles, revenait de cette expédition d’Espagne où il n’avait été qu’à moitié vainqueur. Attiré là-bas par les divisions des princes musulmans, il s’était généreusement proposé de délivrer l’église du joug des Sarrasins ; mais il n’avait rien fait au delà de l’Èbre. Il avait réussi devant Pampelune, mais échoué devant Saragosse. Et il s’en revenait assez tristement, ayant mille projets en tête. Dans son arrière-garde se trouvaient Roland, le préfet de la Marche de Bretagne ; Anselme, le comte du palais ; Eggihard, le « prévôt de la table royale » ; toute l’élite de sa cour, tous les chefs de son armée. La grande armée avait passé sans encombre. Mais tout à coup, au moment où l’arrière-garde arrivait en ce passage étroit de la montagne qu’indique la petite chapelle d’Ibagneta, un bruit formidable se fit entendre dans les bois épais dont cette partie des Pyrénées est encore couverte. Des milliers d’hommes en sortirent et se jetèrent sur les soldats de Charles. Ces agresseurs inattendus, c’étaient les Gascons, que tentait l’espoir d’un gros butin, et qui, d’ailleurs, – comme tous les montagnards, – n’aimaient pas que l’on violât ainsi leurs montagnes. Ils précipitèrent les Francs dans le petit vallon qui est là tout près, afin de se donner la joie de les égorger tout à leur aise. Et de fait, ils les égorgèrent jusqu’au dernier. C’est ainsi que mourut Roland. L’histoire ajoute que les Gascons se dispersèrent, que leur crime demeura impuni, et que Charles en ressentit une longue et cruelle douleur. Tel est le fait que raconte Éginhard au chapitre neuvième de sa Vie de Charlemagne. On en trouve également le récit dans les célèbres Annales qui ont été si longtemps attribuées à ce même Éginhard, comme aussi dans les vers du poëte saxon et dans la chronique de l’astronome limousin [2]. Malgré les réticences de tous ces narrateurs, il est aisé de voir que ce désastre fut considérable. L’intensité de la légende prouve assez clairement que les historiens ont atténué l’importance de la défaite ; un simple accident d’arrière-garde n’aurait jamais produit un tel dégagement de poésie. Quoi qu’il en soit, voilà le fait QUI A DONNÉ LIEU À TOUTE NOTRE LÉGENDE ; voilà le fait QUI EN A ÉTÉ LE GERME. Car toute légende a rigoureusement besoin d’un germe historique ; Et la légende de Roland est sortie tout entière de ces huit mots d’Eginhard : In quo prœlio Hruodlandus, limitis Britannici prœfectus, interficitur. Ô petits commencements d’une grande chose ! III. – La Légende Dès le lendemain de la catastrophe de Roncevaux, la Légende, – cette infatigable travailleuse et qui ne reste jamais les bras croisés, – se mit à travailler sur ce fait profondément épique. Et nous allons assister d’un œil curieux à ce long et multiple labeur. Elle commença tout d’abord par exagérer les proportions de la défaite. Le souvenir de la grande invasion des Sarrasins en 792 et des deux révoltes des Gascons en 812 et 824 se mêlèrent vaguement, dans la mémoire du peuple, aux souvenirs de Roncevaux et accrurent l’importance du combat, déjà célèbre, où Roland avait succombé. En second lieu, la Légende établit des rapports de parenté entre Charlemagne et ce Roland, dont elle fit décidément le centre de tout ce récit et le héros de tout ce drame. Faisant alors un nouvel effort d’imagination, elle supposa que les Français avaient été trahis par un des leurs, et inventa un traître auquel fut un jour attaché le nom de Ganelon. Ensuite elle perdit de vue les véritables vainqueurs, qui étaient les Gascons, pour mettre uniquement cette victoire sur le compte des Sarrasins, qui étaient peu à peu devenus les plus grands ennemis du nom chrétien. Il est probable, comme nous le disions tout à l’heure, qu’un Roland a été composé vers la fin du Xe ou le commencement du XIe siècle. C’est ainsi du moins que nous expliquons l’intercalation singulière dans notre légende de ces deux personnages, Geoffroi d’Anjou et Richard de Normandie. Dans le poëme que nous publions, il s’agit quelque part d’une prise de Jérusalem et d’un meurtre du patriarche par les Sarrasins vainqueurs. Ces vers contiennent sans doute une allusion à des événements très-réels de 969 et de 1012, et se trouvaient, sous une autre forme, dans cette première rédaction du Roland que l’on pourrait hypothétiquement placer entre les années 990 et 1020. Quant à la Chanson qui est parvenue jusqu’à nous, il est difficile d’en préciser fort exactement la date ; mais il semble permis d’affirmer qu’elle est postérieure à la conquête de l’Angleterre par les Normands (1066) et antérieure à la première croisade (1096). En d’autres termes, la Chanson de Roland appartient au dernier tiers du XIe siècle. Mais les preuves ne sont pas aussi décisives que nous le voudrions. Il est à peine utile de dire que le manuscrit ne peut ici nous être d’aucune utilité. Il appartient au milieu du XIIe siècle, et est notablement postérieur à la composition du poëme. Cherchons de la lumière ailleurs. De l’étude du manuscrit passons rapidement à celle des assonances. M. Gaston Paris, dans une longue dissertation qu’il a consacrée aux assonances de la Vie de saint Alexis comparées à celles du Roland, conclut à l’antériorité du premier de ces poëmes. Il montre, en effet, que dans le Saint-Alexis les notations ent et ant sont encore distinctes et ne peuvent « assonner » : dans le Roland c’est tout le contraire, et ces assonances entrent souvent dans le même couplet. Il en est de même de l’homophonie entre ai et e devant deux consonnes : elle existe dans le Roland et n’est pas encore admise dans l’Alexis. « Telles sont, dit M. G. Paris, les raisons qui ne permettent pas de douter qu’entre l’Alexis et le roland il ne se soit écoulé un intervalle de temps assez long. » Or la date que M. G. Paris attribue à l’Alexis est « le milieu du XIe siècle ». Le Roland pourrait donc, comme il le dit lui-même ailleurs, être attribué à la fin de ce même siècle. __________ Mais il en faut venir maintenant à un examen plus intime, à celui du poëme lui-même. À coup sûr, le Roland est l’œuvre d’un Normand. Et ce fait nous parait clairement prouvé par la place considérable qu’occupent dans notre poëme la fête, l’invocation et le souvenir de « saint Michel du Péril ». II s’agit ici, comme je l’ai démontré ailleurs, du fameux mont Saint-Michel, près d’Avranches, et de la fête de l’Apparition de saint Michel in monte Tumba qui se célébrait le 16 octobre. Cette fête a été, je le veux bien, solennisée jadis dans toute la seconde Lyonnaise et jusqu’en Angleterre. Mais il y a loin, il y a bien loin de cette simple célébration d’une fête liturgique à l’importance exceptionnelle que l’auteur du Roland a partout donnée à saint Michel du Péril. C’est le 16 octobre que, d’après notre Chanson, l’empereur Charles tient ses cours plénières. C’est « depuis Saint-Michel-du-Péril jusqu’aux Saints » que notre poëte trace les limites de la France, de l’ouest à l’est. Et enfin, près de Roland mourant, c’est saint Michél du Péril qui descend, comme un consolateur suprême. Ce dernier trait est décisif. II n’y a qu’un Normand, – peut-être même n’y a- t-il qu’un Avranchinais, – capable de donner tant d’importance à un pèlerinage, à une fête, j’allais dire à un saint de son pays. Toutefois, ce Normand me semble avoir séjourné en Angleterre. __________ À deux reprises il parle de l’Angleterre avec une sorte de mépris qui trahit le conquérant. Il en attribue la conquête à Charlemagne : Vers Engletere passat il la mer salse [7]. Et son héros lui- même, le comte Roland, quelques minutes avant sa mort, se vante de cette conquête de l’Angleterre dont il n’est question nulle part ailleurs dans notre épopée nationale : Jo l’en cunquis Escoce, Guales, Islande , – E Engletere, que Carles teneit sa cambre [8]. Ce n’est pas tout. Le seul manuscrit du Roland qui soit parvenu jusqu’à nous est un manuscrit anglais, et ce n’est pas sans raison que Génin cite encore ces deux manuscrits de Roncevaux qui étaient jadis conservés dans l’armoire aux livres de la cathédrale de Peterborough. Enfin, voici un dernier fait, qui semblerait indiquer que notre Roland a été écrit en Angleterre. On y lit trois ou quatre fois le mot algier [9] qui vient très-certainement du mot ategar, et désigne le javelot anglo-saxon. Or, ce dernier mot est d’origine germanique et, plus particulièrement, anglo- saxonne. II ne se trouve, à notre connaissance, qu’en des textes d’origine anglaise. Nous ne pensons pas, du moins, qu’il ait été latinisé ou, surtout, francisé ailleurs. Ce serait donc, à notre avis, un de ces vocables que les conquérants français auraient empruntés aux vaincus. Nous avouons, d’ailleurs, que ce fait est d’une importance très-secondaire. Pour nous résumer, nous dirons que le Roland est CERTAINEMENT l’œuvre d’un Normand, – et PROBABLEMENT l’œuvre d’un Normand qui avait pris part à la conquête de 1066, ou qui avait vécu en Angleterre. __________ Notre poëme paraît antérieur à la première croisade ; mais nous n’avons, pour le démontrer, que des probabilités dont nous ne saurions être entièrement satisfaits. Nous voudrions cent fois mieux. « La liste des peuples païens, que fournit quelque part le Roland [10], semble porter les caractères d’une rédaction antérieure aux croisades. La plupart de ces peuples sont de ceux qui, à l’orient de l’Europe, ont été, pendant les IXe, Xe et XIe siècles, en lutte constante avec les chrétiens. Ce sont, en partie, des Tartares et des Slaves. » Cette observation est de M. Gaston Paris. Ajoutons que, dans notre vieille chanson, il est toujours question de Jérusalem comme d’une ville appartenant aux Sarrasins et où ils exercent d’odieuses persécutions contre les chrétiens. Notre poëte, enfin, attribue à Charlemagne la conquête de Constantinople, mais non pas celle de la Terre-Sainte. On va peut-être nous objecter ici, que le Roland est véritablement animé par le grand souffle des croisades. À cela nous répondrons que l’esprit des croisades a été, dans la chrétienté du moyen âge, bien antérieur aux croisades elles-mêmes. Et il est trop vrai que le désir ardent de se venger des infidèles a été, durant la seconde moitié du XIe siècle, le sentiment le plus vif et le plus profond de toute la race chrétienne. __________ L’archéologie ne nous vient guère en aide pour déterminer une date plus exacte. Il faut seulement observer que dans le costume de guerre, tel qu’il est décrit dans le Roland, on ne voit point encore paraître les chausses de mailles. Or l’usage des chausses de mailles a commencé, sans doute, durant la seconde moitié ou le second tiers du XIe siècle. Et l’on en peut voir déjà quelques unes dans la tapisserie de Bayeux. Somme toute, rien de net. __________ En résumé, il n’est pas certain, mais il est probable que le Roland est antérieur à la première croisade. C’est toute notre conclusion ; Et nous souhaitons fort vivement qu’un autre érudit puisse un jour, au milieu de tant d’ombres, arriver à une certitude lumineuse. VI. – Le Poëte Comme nous l’avons montré tout à l’heure, l’auteur de la Chanson de Roland est un Normand, et c’est ce qui est presque mathématiquement prouvé par l’importance exceptionnelle donnée à « saint Michel du Péril ». Même il se pourrait que ce fût un Avranchinais, à cause du voisinage de ce mont Saint-Michel dont notre poëte fait tant d’estime. Mais ce n’est qu’une hypothèse. Quoi qu’il en soit, il est très-probable que ce Normand a vécu de l’autre côté du détroit, et c’est ce que laissent supposer l’origine topographique de notre manuscrit, le mot algier qui est d’étymologie anglo-saxonne, et certaines allusions à l’Angleterre qui ne sont pas sans être empreintes de quelque dédain. Voilà ce que nous avions dit, et ce que nous devions répéter. Mais l’auteur de notre poëme est-il réellement ce Turoldus dont il est question dans notre dernier vers : Ci fait la geste que TUROLDUS declinet ? On ne saurait l’affirmer. La geste ! Ce mot est employé quatre fois dans notre Chanson, et le poëte en parle toujours comme d’un document historique qu’il a dû consulter et dont il invoque le témoignage au même titre que celui des chartes et des brefs. Ce document, c’était peut-être quelque ancienne Chanson ; ou bien encore quelque Chronique plus ou moins traditionnelle et écrite d’après quelque poëme antérieur. Donc, c’est de cette geste, et non pas de notre poëme, que Turoldus serait l’auteur. Mais, même en admettant que ce mot « geste » s’applique à notre propre chanson, il faudrait lus. Ils ne s’adressaient pas aux yeux, mais à l’oreille. Des « jongleurs de gestes » parcouraient alors toute l’Europe avec de petits manuscrits dans leurs poches. Arrivaient-ils dans une ville, ils ne prenaient-point le temps de se reposer. Encore tout poudreux du voyage et essoufflés, ils attiraient la foule par quelques accords de leur grossier violon, de leur viele, par quelques cris, voire par quelques gambades. Puis ils se mettaient à chanter quelques centaines de vers épiques. Je ne dis pas lire : je dis chanter. Une foule avide, enthousiaste, ardente, entourait ces chanteurs populaires et se suspendait à leurs chants. Très-souvent aussi, la scène se passait dans la salle principale des châteaux. Le seigneur invitait le jongleur et le faisait boire. À la fin du repas, le chanteur se levait et donnait une séance épique. Mais, qu’il eût affaire à des chevaliers ou à des bourgeois, le jongleur avait toujours devant lui un auditoire QUI NE SAVAIT PAS LIRE et qui, en fait de versification, était uniquement sensible au rhythme et à l’assonance. Or l’assonance n’est pas la rime. L’assonance porte sur la dernière voyelle sonore, et la rime, à tout le moins, sur la dernière syllabe tout entière. À s’en tenir au système de l’assonance, Carles, guaste, pasmet, vaillet, pailes, barbe et remaignet peuvent entrer, à la fin des vers, dans une seule et même tirade. Ces mots « assonnent » ensemble. Dans le système de la rime, remaigne ne serait admissible qu’avec muntaigne, graigne, altaigne, etc. L’assonance est essentiellement populaire ; la rime est aristocratique. Encore aujourd’hui, en 1875, le peuple des campagnes chante des vers assonancés. Il les comprend, il les aime, il les savoure. Écoutez plutôt, écoutez ce « Cantique populaire sur saint Alexis » qui circule dans nos villages : J’ai un voyage à faire Aux pays étrangers. Il faut que je m’en aille : Dieu me l’a commandé. Tenez, voici ma bague, Ma ceinture à deux tours, Marque de mon amour. Ailleurs, dans ce même chant, épousailles assonne avec flamme, courage avec larmes, richesses avec cachette, embarque avec orage et dépêche avec connaître. Il en était ainsi aux XIe et XIIe siècles. Mais le jour où le nombre des lettrés devint plus considérable au sein de la société laïque, le jour où il y eut beaucoup de chevaliers et de bourgeois qui surent vraiment lire, le jour où ils en vinrent à vouloir posséder et collectionner des manuscrits, tout changea. Il fallut désormais s’adresser au regard des lecteurs, et non plus à l’oreille des auditeurs. De là la nécessité absolue de remanier les anciens poëmes ; de là ces rifacimenti auxquels nous allons tout à l’heure consacrer un de nos chapitres. À l’époque où fut composé le Roland, la versification peut se résumer en quelques règles qui sont des plus sages et des plus simples : Le Roland, comme nos plus anciens poëmes, est écrit en décasyllabes. ═ Ces décasyllabes ont une pause intérieure après leur quatrième syllabe sonore. ═ À la fin du premier comme du second hémistiche, les voyelles muettes ne comptent point : Damne Deu PerE, nen laiser hunir FrancE. ═ Sont assimilés à l’e muet, les e non accentués qui sont suivis d’une s, d’un t, d’un nt : Li empererES est par malin levet. — Iço vus mandET reis Marsilies li ber. — Il nen est dreit que païens te baillisENT. ═ La seule lettre qui, en thèse générale, s’élide, est l’e muet (ou l’e suivi de t et de s). Il convient d’ajouter que cette élision elle-même est laissée à la liberté du poëte, QUI ÉLIDE OU N’ÉLIDE PAS. ═ Ces vers, ainsi rhythmés, sont distribués en un certain nombre de couplets, tirades ou laisses. Toute laisse forme une division naturelle du récit. ═ Le couplet se compose, en moyenne, dans le Roland, de douze à quinze vers. Il sera plus développé dans les poëmes postérieurs. ═ Le lien qui unit tous les vers dans un même couplet, c’est l’assonance : plus tard, ce sera la rime. Dans le Roland, les couplets ne sont donc pas mono-rimés, mais mono- assonancés. ═ Suivant que leurs vers se terminent ou non par un e muet, les laisses sont féminines ou masculines. Ces dernières sont les plus nombreuses. Nous avons traité ailleurs [13] les autres questions qui se rapportent à la rhythmique du Roland. X. – Le Style Que notre poëte ait été dominé par le souci du style, par la préoccupation littéraire, c’est ce que nous ne croirons jamais, malgré tous les efforts de M. Génin pour nous en convaincre. L’auteur du Roland écrivait en toute simplicité, comme il pensait, et ne songeait pas à l’effet. Rien n’est plus spontané qu’une telle poésie. Cela coule de source, très-naturellement et placidement. C’est une sorte d’improvisation dont la sincérité est vraiment incomparable. Nulle étude du « mot de la fin », ni de l’épithète, ni enfin de ce que tous les modernes appellent le style. Rien qui ressemble aux procédés de Dante, même de très-loin. Notre épique, d’ailleurs, est un ignorant. Qu’il connaisse la Bible, j’y consens, et le miracle du soleil arrêté par Charlemagne ressemble trop à celui que Dieu fit pour Josué. Mais nous ne pouvons nous persuader qu’il ait jamais lu Virgile ou Homère. S’il est un trait qui rappelle dans son œuvre le Dulces moriens reminiscitur Argos, c’est une de ces rencontres qui attestent seulement la belle universalité de certains sentiments humains. L’épithète homérique est également un procédé commun à toutes les poésies qui commencent. On n’a pas assez remarqué qu’elle fleurit peu dans le Roland, et que, tout au contraire, elle abonde dans nos poëmes postérieurs, où elle tourne à la formule. En revanche, il est, dans notre Chanson, certaines répétitions qui sont déjà consacrées par l’usage et, pour ainsi dire, classiques. Un ambassadeur, par exemple, ne manquera jamais de répéter mot pour mot le discours que son roi lui a dicté. C’est encore là un trait primitif et presque enfantin. Tout est grave, du reste, en cette poésie « d’enfant sublime », et le poëte ne rit pas volontiers. Si par hasard le comique se montre, c’est un comique de garnison ; ce sont des plaisanteries de caserne. Tel est l’épisode de Ganelon livré aux cuisiniers de Charlemagne, qui se jettent sur lui et le rouent de coups avec leurs gros poings. Sur ce, nos pères riaient à pleines dents, et j’avoue que ce rire n’était aucunement attique. Malgré ces éclats grossiers, il y a dans Roland une véritable uniformité de ton : c’est une œuvre une à tous égards. Certains critiques n’en conviennent pas. « Le poëme, s’écrient-ils, devrait se terminer à la mort de Roland. » Nous ne saurions partager cet avis, et ils se sont étrangement trompés ceux qui, par amour de l’unité, ont supprimé dans leurs traductions tout l’épisode de Baligant, toute la grande bataille de Saragosse, voire le procès de Ganelon. Non, non ; Roland est une trilogie puissante. La trahison de Ganelon en est le premier acte ; la mort de Roland en est la péripétie ou le nœud ; le châtiment des traîtres en est le dénoûment. Est-ce que le chef-d’œuvre de Racine serait un sans la scène où est racontée la mort d’Athalie ? Mais de la forme il faut passer au fond, et du style à l’idée. Notre auteur n’est pas un théologien, et, s’il faut dire ici toute ma pensée, je ne crois même pas qu’il ait été clerc. Il ne sait guère que le catéchisme de son temps ; il a lu les vitraux ou les bas- reliefs des portails, et c’est par eux sans doute qu’il connaît les « Histoires » de l’Ancien Testament. Mais ce catéchisme, qu’il possède très-profondément, vaut mieux que bien des subtilités, et même que bien des raisonnements. Roland est le premier des poëmes populaires, parvenus jusqu’à nous, qui ont été écrits dans le monde depuis l’avénement de Jésus-Christ. On peut juger par lui combien le christianisme a agrandi la nature humaine et dilaté la vérité parmi nous. Et, en effet, l’unité d’un Dieu personnel est, pour l’auteur de notre vieille épopée, le plus élémentaire de tous les dogmes. Dieu est, à ses yeux, tout-puissant, très-saint, très-juste, très-bon, et le titre que nos héros lui donnent le plus souvent est celui de père. L’idée de la Providence se fait jour dans tous les vers de notre poëte, et il se représente Dieu comme penché sur le genre humain et écoutant volontiers les prières des hommes de bonne volonté. Sous le grand regard de ce Dieu qui veille à tout, la terre nous apparaît divisée en deux camps toujours armés, toujours aux aguets, toujours prêts à se dévorer : d’un côté les chrétiens, qui sont les amis de Dieu ; de l’autre, les ennemis mortels de son nom, les païens. La vie ne paraît pas avoir d’autre but que cette lutte immortelle. La terre n’est qu’un champ de bataille où combattent, sans relâche et sans trêve, ceux que visitent les anges, et ceux qui combattent à côté des démons. Le chef, le sommet de la race chrétienne, c’est la France, c’est France la douce, avec son empereur à la barbe fleurie. À la tête des Sarrasins marche l’émir de Babylone. Quand finira ce grand combat ? Le poëte ne nous le dit point ; mais il est à croire que ce sera seulement après le jugement suprême. L’existence humaine est une croisade. L’homme que conduisent ici-bas les anges et les saints s’achemine, à travers cette lutte pour la croix, jusqu’au paradis où règne le crucifié. On voit que notre poëte a une très-haute idée de l’homme. Sans doute ce n’est pas un observateur, et il ne connaît point les mille nuances très-changeantes de l’âme humaine ; mais il croit l’homme capable d’aimer son Dieu et son pays, et de les aimer jusqu’à la mort. On n’a encore, ce nous semble, rien trouvé de mieux. Il va plus loin. Si bardés de fer que soient ses héros ; si rudes guerriers qu’il nous les montre et si farouches, il les croit capables de fléchir, capables de tomber, capables de pleurer : voilà de quoi nous le remercions. Il nous a bien connus, puisqu’il fait fondre en larmes les plus fiers, les plus forts d’entre nous, et Charlemagne lui-même. Ses héros sont naturels et sincères : leurs chutes, leurs pâmoisons, leurs sanglots m’enchantent. Ils nous ressemblent donc, ils sont donc humains. J’avais craint un instant qu’ils ne fussent des mannequins de fer ; mais non, j’entends leur cœur, un vrai cœur, qui bat fort, et sous le heaume je vois leurs yeux trempés de larmes. Il faut, du reste, avouer que, s’ils se pâment aussi aisément, ce n’est jamais pour de vulgaires amourettes, ni même pour des amours efféminants : la galanterie leur est, grâce à Dieu, tout à fait étrangère. Aude, la belle Aude, apparaît une fois à peine dans tout le drame de Roncevaux, et ce n’est pas Roland qui prononce ce nom : c’est Olivier, et il parle de sa sœur avec une certaine brutalité de soldat. Roland, lui, est trop occupé ; Roland est trop envermeillé de son sang et du sang des Sarrasins ; Roland coupe trop de têtes païennes ! S’il est vainqueur, il pensera à Aude, peut-être. Mais, d’ailleurs, il a d’autres amours : la France, d’abord, et Charlemagne après la France. Pantelant, expirant, râlant, c’est à la France qu’il songe ; c’est vers la France qu’il porte les regards de son souvenir. Jamais, jamais on n’a tant aimé son pays. S’il est des Allemands qui lisent ces pages je les invite à bien peser les mots que je vais dire : « IL EST ICI QUESTION DU XIe SIÈCLE. » À ceux qui menacent aujourd’hui ma pauvre France, j’ai bien le droit de montrer combien déjà elle était grande il y a environ huit cents ans. Et, puisqu’ils parlent de ressusciter l’empire de Charlemagne, j’ajouterai volontiers que jamais il n’y eut une conception de Charlemagne comparable à celle de notre poëte français. Ceux d’outre-Rhin ont imaginé sur lui quelques fables creuses, oui, je ne sais quelles rêvasseries sans solidité et sans grandeur. Mais le type complet, le véritable type, le voilà. C’est ce roi presque surnaturel, marchant sans cesse à la tête d’une armée de croisés, le regard jeune et fier malgré ses deux cents ans, sa barbe blanche étalée sur son haubert étincelant. Un ange lie le quitte pas et
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved