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Notes sur le thème "Choisir l’histoire des femmes" - 1° partie, Notes de Histoire

Notes de l’histoire générale sur le thème "Choisir l’histoire des femmes" - 1° partie. Les principaux thèmes abordés sont les suivants: Femmes et sciences, Créer. Hier et aujourd’hui, Marie Curie et le radium : l’information et la légende en Belgique, Histoire des femmes, histoire du genre, De l’histoire des femmes aux études de genre, les femmes dans l’espace public, Genre et citoyenneté en Belgique.

Typologie: Notes

2013/2014

Téléchargé le 06/02/2014

Damien_94
Damien_94 🇫🇷

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Télécharge Notes sur le thème "Choisir l’histoire des femmes" - 1° partie et plus Notes au format PDF de Histoire sur Docsity uniquement! HIT MUSICONIL | Résumé : Choisir l’histoire des femmes Livre de ELIANE GUBIN A la fin des années 80,Eliane Gubin va incarner en Belgique un nouveau courant historiographique, qui tend à démontrer que l’histoire des femmes ne peut plus etre un objet historiographique non identifié. Découvertes de nouvelles sources, nouveaux regards portés sur des sources depuis longtemps utilisées, nouveaux questionnements, nouveaux apports méthodologiques, Eliane Gubin construit un nouvel objet, une histoire des femmes qui n’est plus une histoire par défaut et qui impose son autonomie. Cette démarche scientifique riche, audacieuse,transgressive, s’illustre à travers les méthodes et la diversité des thèmes :travail, citoyenneté, ruralité,éducation,sciences,guerres,biographies. Première partie : Femmes et sciences Chapitre I : Créer. Hier et aujourd’hui Les femmes ont tenté de renouveler les connaissances, chacune dans leur domaine, en y introduisant un point de vue qui englobe la différence des sexes. Exemple avec Marie Curie qui n’a jamais inscrit ses recherches dans une perspective féministe ni milité dans le mouvement des femmes. Sa créativité, comme sa reconnaissance scientifique, sont indéniables. Mais sa reconnaissance n’a jamais impliqué de remise en cause de la discipline ni de l’institution scientifique. Marie Curie occupa chaque fois une position d’exception qui, par essence même, la plaçait hors de portée des autres femmes. Et pourtant, même sous cette forme neutralisée, sa trajectoire est marquée par son sexe et sa réussite s’est construite sur un ensemble de renoncements personnels et intellectuels. Pourtant, dans le couple Pierre et Marie, l’imaginaire collectif rétablit la nécessaire hiérarchie entre les sexes, Pierre est considéré comme le guide et le garant intellectuel, Marie comme la collaboratrice. Dans le passé, proche ou lointain, la créativité scientifique des femmes est donc reconnue à titre exceptionnel, et pour des raisons précises. Il a fallu leur entrée massive dans le domaine de la recherche, et plus encore les questions posées par les féministes, pour assister à une réelle remise en cause. Variations nationales La question de la place des femmes dans la recherche scientifique est largement débattue à l’étranger mais elle est encore embryonnaire en Belgique au XXème siècle. D’un pays à l’autre, les situations sont très différentes. Pourquoi de telles différences ? La réponse tient probablement dans les liens qui unissent - ou non – le mouvement militant des femmes et les universitaires. En Belgique, le mouvement revendicatif s’est largement développé en-dehors des institutions. Mais cette rupture n’explique pas tout, et surtout pas pourquoi les femmes universitaires, qui avaient investi de manière significative la recherche scientifique avant 1968, sont restées en marge des questionnements féministes. De plus, l’Université libre de Bruxelles manifesta rapidement son ouverture aux filles. Cet accueil précoce des femmes au sein de l’ULB explique peut-être en partie leur désintérêt pour le mouvement revendicatif des années 1970. Pourtant, l’égalité était loin d’être atteinte, surtout dans la reconnaissance publique de leur créativité. La visibilité du savant, son image médiatique, restent encore très largement masculines. Premières interrogations Les premières interrogations, venant des femmes elles-mêmes, portent d’abord sur l’aspect quantitatif et analysent les facteurs susceptibles de freiner leur carrière académique. On en vient à considérer qu’il ne s’agit pas seulement de barrières sociales mais de causes inhérentes au fondement même des sciences. Puisque les Chapitre II : Marie Curie et le radium : l’information et la légende en Belgique Heurts et malheurs de l’information scientifique Si l’on considère les informations scientifiques transmises par la presse à propos de Marie Curie sur une période qui s’étend, en gros, de 1900 aux années 1930, on constate que le lecteur d’un grand quotidien belge n’ignore pas qui elle est mais que son information reste superficielle et discontinue. Les renseignements concernent plus les manifestations extérieures de sa carrière que le contenu ou la portée de ses découvertes. Et encore, il existe une différence notable pour le lecteur d’un journal libéral et celui d’un organe catholique, surtout avant 1914. Si la presse libérale se montre assez prompte à diffuser les résultats de la science moderne, la presse catholique, elle, demeure méfiante, sinon hostile, à l’égard de la science. Après 1918, l’information scientifique gagne quelques galons, de part et d’autre, mais reste toujours mieux accueillie dans les journaux libéraux et socialistes. Il n’est pas évidemment encore question de parler de journalisme scientifique. Un test : les Conseils de physique Solvay Ce sont des rencontres « au sommet », dont l’importance, au plan scientifique, a été, à bien des égards capitale, et qui, réunissant à chaque fois à Bruxelles une brochette de prix Nobel. La présence de Marie Curie, cette femme dont la célébrité détonait d’autant qu’elle était exceptionnelle pour l’époque, aurait pu faire l’objet de commentaires particuliers. Or on constate au contraire que cette information demeure stéréotypée, exception faite pour le premier Congrès qui ne doit sa publicité qu’au « scandale Langevin », soit la liaison rendue publique de Marie Curie et Paul Langevin. Les journaux avaient bien annoncé le congrès mais de manière relativement discrète. Mais avec celle-ci, les choses prennent une tournure bien différente puisqu’elles peuvent s’inscrire dans des créneaux « médiatiques », le scandale et la lutte cléricolibérale. La presse libérale s’enflamme rapidement et prend fait et cause pour Marie Curie. Elle est présentée comme une victime, victime du sectarisme de la droite, de la xénophobie, de l’antiféminisme. Il s’agit d’une cabale orchestrée pour l’éloigner définitivement de l’Institut où elle avait été candidate en janvier dernier. Le Matin pose en outre de bonnes questions, de résonance très moderne, sur la place faite à la femme dans la société, particulièrement quand celle-ci brigue des distinctions traditionnellement réservées aux hommes. Quant à la presse catholique bruxelloise, si elle fait écho au scandale, elle le fait de manière plus feutrée que prévue. Ils prennent la défense de la mère de famille française offensée et dénoncent les efforts faits par les partisans de Mme Curie pour étouffer l’affaire. Thèse du complot donc, comme dans la presse libérale, mais à rebours, la victime est ici Mme Langevin. Il y a aussi des silences inattendus de certains journaux. Bien peu de place, en définitive, a été consacrée au Conseil de physique lui- même et l’information n’est guère plus abondante en 1913. Si les évènements scientifiques que furent les Conseils de physique n’étaient pas ignorés du grand public, du moins peut-on affirmer que le lecteur, à de rares exceptions près, n’eut qu’une très vague idée de leur portée et de leur ampleur des questions débattues. Quant à la participation de Marie Curie, elle ne fut pas mise particulièrement en valeur, les éventuels commentaires portant exclusivement sur le rôle d’Ernest Solvay et de sa famille. Une information sporadique et progressivement déviée Entre les Conseils de physique, et jusqu’au décès de Marie Curie, l’actualité apporte de manière sporadique des nouvelles ponctuelles. Symptôme d’une évolution générale dans la presse, les articles s’accompagnent plus volontiers de photos, souvent les mêmes : le visage de Mme Curie devient plus familier. Mais le public belge sait bien peu de chose des relations qui se sont tissées entre elle et la Belgique ; certaines ne seront évoquées que plus tard, au moment de sa mort ou même après. Pourtant, le radium et la part prise par Marie dans sa découverte font l’objet d’un indéniable effort de vulgarisation. Notons enfin, pour conclure ce rapide survol, que Mme Curie devint plus familière au public belge à la faveur d’un « malentendu médiatique » qui assimile peu à peu l’image des Curie à la lutte contre le cancer. On assiste ainsi dans les années 1920-1930 à un véritable glissement de l’information sur le radium au profit de ses applications thérapeutiques. Et le public ne distingue plus très bien qui a trouvé quoi. Au début du siècle, l’image qui est donnée de Marie Curie est, sans conteste, celle d’une savante « pure », située dans cet espace quelque peu supra humain. Elle fait figure de grande savante, mais elle n’est pas encore une bienfaitrice de l’humanité. Après le Première Guerre mondiale, l’image de Marie Curie est associée plus volontiers au monde médical et plus particulièrement à la lutte contre le cancer, au point d’occulter parfois les aspects principaux de ses travaux. Un stéréotype se met en place qui associe l’aventure de la radioactivité à un « flash » médiatique simplifié, et simpliste. Par une grande ironie du sort, l’engouement pour le radium gagne le grand public au moment où il diminue dans les milieux spécialisés. C’est à la faveur d’un tel contexte que s’installe l’idée que « dans la lutte contre ce terrible fléau (le cancer) le nom des Curie vient s’inscrire comme bienfaiteur de l’humanité à côté de celui de Pasteur ». Il y a donc à la fois information et désinformation. Information descriptive, sans réelle vulgarisation scientifique ; déformation parce que cette information, privilégiant les aspects thérapeutiques qui frappent le lecteur moyen, n’évite pas l’écueil d’une certaine confusion. Le décès de marie Curie Quand Marie Curie meurt, en juillet 1934, le public connaît donc certains aspects de sa carrière, se fait une idée schématique de ses travaux mais sait peu de choses de la femme. Et ce qu’il en sait prend vite la forme d’un symbole, avant de passer dans la légende. La discrétion de Marie Curie, ses dérobades devant les journalistes, expliquent en partie que des pans entiers de son existence ne seront révélés au grand public, du moins en France et en Belgique, que par l’ouvrage d’Eve Curie, en 1938. A l’étranger, on en sait un peu plus grâce à des biographies de Marie Curie ou encore son autobiographie qu’elle a écrites aux Etats-Unis et dont elle refusa l’autorisation de la publier dans un autre pays. C’est autour de la figure de Pierre que s’organise d’ailleurs en Belgique une première vulgarisation. Quand le lecteur prend connaissance de la vie de Marie Curie, c’est à travers celle de son mari. La presse donnera de plus amples renseignements sur Marie elle-même au moment de son décès, évoquant parfois quelques-uns de ses contacts avec la Belgique. Mais là encore une grande disparité règne selon les journaux. Images et mirages : les étapes d’une légende Chaque époque puise dans leur existence ce qu’elle peut ou ce qu’elle veut y voir, dévoilant par là, inconsciemment, son système de valeurs et une partie de ses préoccupations. On assiste peu à peu à une remise en cause de l’image de Marie Curie telle qu’elle s’est construite de son vivant et que le livre d’Eve Curie à confirmer. Cette reconstruction est, elle aussi, révélatrice puisqu’en prétendant actualiser une biographie, elle l’ajuste en réalité aux questions contemporaines. Mais d’abord quelles sont les étapes qui menèrent à la légende ? Si l’on exclut quelques invraisemblances, l’image de Marie Curie se figea assez rapidement sous une forme qui, à l’analyse, tient de l’extraordinaire par les contradictions qu’elle recèle. Forgée par une société qui ne peut concevoir une femme scientifique célèbre que sous certaines conditions, elle représente un lacis de conventions et de modernité. Des images contradictoires La modernité découle, bien évidemment, du fait que Marie est une femme, et plus précisément, une femme seule parmi les hommes, singularité suffisante pour être parfois soulignée. Première, elle le fut dans tous les domaines. Position d’exception, délicate, voire inconfortable dans une société dominée par la conviction que la femme n’est pas l’égale de l’homme et que la nature a opéré une distribution complémentaire des rôles. Nimbée de qualités dites féminines, la femme suit une destinée naturelle qui se confond avec sa mission sociale : celle d’être une épouse et une mère. La transgression de cette règle absolue ne heurte pas seulement la morale ou la religion, elle constitue un danger pour l’ordre public en compromettant la stabilité de la famille. Ce n’est pas en poursuivant des études supérieures que Marie Curie transgresse cette règle mais bien en s’engageant dans une carrière scientifique. Rappelons brièvement le contexte en Belgique à la fin du XIXème siècle. Après un débat de 5 ans, les filles avaient été admises à s’inscrire à l’université. Mais dans l’optique du temps, le diplôme acquis ne signifie pas l’accès à la profession. Même les milieux éclairés, favorables à l’émancipation des filles visaient moins leur épanouissement intellectuel que le moyen de fournir aux hommes des compagnes plus instruites, procédant à une sorte de « mise à niveau » des futures épouses de la bourgeoisie libérale. Cette optique n’est pas dépourvue d’arrière-pensée politique : soustraire la femme à l’influence du clergé pour en faire des mères émancipées de la religion. Les études ne devaient donc pas détourner les filles de leur mission naturelle. Il fallait surtout éviter qu’elle ne tombe dans le travers de la savante. L’éducation des filles ne faisaient donc pas une large part aux sciences, sauf à y inclure pour meubler le programme (cuisine=cours pratique de chimie culinaire). Pour les catholiques, la question ne souffrait pas de discussion : la femme devait rester à la place prévue par Dieu. Pour exercer une profession, le prix à payer était le célibat ou la dislocation de la famille. On comprend combien dans ce contexte la position d’une femme comme Marie Curie était dérangeante. Le travail fourni dans le misérable hangar apportait un démenti formel aux trois postulats de l’époque : l’infériorité physique et intellectuelle de la femme, l’incompatibilité expresse d’une carrière et d’un foyer et, plus subtile, la violation d’une règle implicite qui déniait à la femme l’esprit d’analyse et de synthèse. Ce qui sauve Marie Curie d’une position inconfortable fut, d’une part un certain exotisme lié à son origine, d’autre part son mariage avec Pierre Curie. La modernité est rattrapée par les conventions. faut aussi des cadres intellectuels et le moment propice pour qu’ils puissent s’exprimer. Ces conditions sont remplies après l’explosion sociale de la fin des années 1960, et plus particulièrement après les remous de la révolte étudiante de mai 68. Les événements de mai 68 servent de détonateur, directement ou indirectement. Directement parce qu’ils font surgir, en-dehors des mouvements constitués, des groupes exclusivement féminins. Des femmes, déçues par l’indifférence manifestée à l’égard de leurs revendications, même dans les groupes de gauche, se réunissent et découvrent spontanément un fil conducteur à leur oppression. En effet, le mouvement de mai 68 n’intègre pas du tout la dimension féminine. Il oppose une contre-culture à la culture et un contre-pouvoir au pouvoir. Mais il passe à côté d’un bouleversement social qui s’opère sous ses yeux, l’émergence des femmes dans tous les domaines de la sphère publique. Un deuxième élément explicatif est la présence de plus en plus massive de filles dans l’enseignement supérieur qui a pour conséquence de former des élites féminines, qui ne sont plus des exceptions dans l’horizon universitaire. Elles pénètrent progressivement dans le corps scientifique puis dans le corps professoral et ce phénomène s’accomplit au moment même où les structures universitaires et les savoirs sont remis en cause. De l’histoire sociale S’appuyant sur cette nouvelle toile de fond et sur les mouvements qui portent les revendications féministes, l’histoire des femmes prend son essor. En-dehors des universités d’abord, à des rythmes variables selon les pays. Dire que cette histoire « part de rien » serait très largement exagéré : les historiennes qui s’y attellent sont des scientifiques de métier et beaucoup d’entre elles ont pratiqué l’histoire sociale, l’une des formes dernières-nées de l’histoire instituée. Pourtant l’histoire sociale n’était pas, en soi, porteuse de l’histoire des femmes. Elle ne leur prêtait pas d’attention particulière. Histoire militante à l’origine, puis histoire institutionnelle, l’histoire sociale occulte même les rapports sociaux de sexes, suspects de détourner l’attention de la lutte des classes. Mais formées à la problématique de l’histoire sociales, attentives aux rapports de classes dans la société, les premières historiennes en histoire des femmes sont sensibles aux rapports de pouvoir, aux mécanismes de domination qui leur servent de grilles d’analyse dans leurs premières études sur les rapports de sexes. … à l’histoire des femmes A la question de savoir avec quels outils et quelles méthodes construire l’histoire des femmes se superpose celle, bien plus dérangeante, de sa pertinence. Pour comprendre cette inquiétude, il faut se souvenir de l’ambiance intellectuelle des années 1970, bousculée par la contestation étudiante, mais pas encore transformée par elle. Aussi la question lancinante est, à ce moment, celle de savoir si les femmes ont une histoire. Mais rapidement, les recherchent s’accélèrent, confirment le bien-fondé des prémisses et s’engagent dans deux voies :  Dénoncer l’absence de femmes dans l’histoire, établir en quelque sorte un état des lieux et souligner les carences et les lacunes de la production scientifique antérieure  Restaurer les femmes dans les travaux et le discours historiques. Il s’agissait d’effectuer en quelque sorte un travail de réhabilitation qui, sans remettre en cause ni les méthodes ni la démarche, paraît au plus pressé pour sortir, selon les formules de l’époque, les femmes de l’ombre et les rendre plus visibles. Cette première histoire, considérée aujourd’hui comme descriptive, voire naïve, fut certainement pour celles qui la firent une période jubilatoire. Il y avait du plaisir, du bonheur à inventer, à construire de toutes pièces un objet d’étude avec un sujet « impensable » quelques années auparavant. C’était comme une sorte de revanche sur le passé et d’une certaine manière sur l’enseignement de ce passé. Cette première histoire des femmes a surtout pour mérite de mettre en lumière l’immense misogynie des siècles passés, qui contamine presque naturellement une histoire traditionnelle portée à ne retenir que les actes et les acteurs masculins. Les femmes n’apparaissent que par effraction dans le discours historique, souvent pour assurer une continuité : il est peu de femmes que l’on ne situe pas d’emblée par rapport à un homme, tandis que l’inverse est rarement signifiant. Cette histoire met aussi en lumière le caractère naturaliste de l’histoire traditionnelle qui adopte et légitime une vision de la société où les différences biologiques sont tenues pour justification des normes sociales. Pas de sources pour les femmes ? L’autre problème qui tarauda les historiennes de métier fut celui des sources. Pas de source, pas d’histoire. Construites et médiatisées par les hommes, les sources sont peu sensibles aux événements qui intéressent les femmes et ne semblaient offrir que de maigres ressources pour l’histoire des femmes puisqu’elles ne retenaient presque « naturellement » que les actions et les faits importants de l’espace public et politique. C’est-à-dire d’un espace dont les femmes étaient largement exclues. La mémoire du privé, en revanche, semblait pratiquement absente, surtout au XIX ème siècle où l’Etat libéral s’interdit de s’immiscer dans les relations individuelles et familiales. C’est donc vers le seul domaine où la législation, la fiscalité, les statistiques et les enquêtes offraient d’emblée un bon observatoire que la recherche s’est d’abord tournée. L’événement et le non-événement Mais cette quête de la pertinence d’une histoire des femmes à déboucher sur des questions fondamentales. La signification même du « fait historique » fut révisée. Qu’est-ce qui détermine qu’un fait devient, ou non, un événement historique ? La différence tient souvent à une différence sexuée. La principale difficulté était donc méthodologique. Ces premières réflexions amenèrent tout naturellement à chercher d’autres sources (témoignages, écrits intimes, autobiographies,…). Toutefois, cette première histoire des femmes recèle aussi des limites. Elle apparaît comme biaisée par ses énoncés de base – l’oppression des femmes, le système patriarcal – qui font figure de postulats dont il n’est plus nécessaire d’analyser le fondement. Ces premières démarches offrent une vision assez misérabiliste de l’histoire des femmes, sorte d’épopée de la victimisation. De plus, la plupart des thèmes traités, bien que novateurs, sont typiquement « féminins » et risquent de limiter l’histoire des femmes. Une telle histoire risquait d’engendrer une nouvelle forme d’exclusion, confortant l’idée d’une « nature féminine » que contestaient précisément les historiennes. Les premiers bilans interviennent alors, permettant non seulement de dépasser ce stade énonciatif, descriptif et exploratoire mais aussi de s’interroger sur les méthodes et les problématiques pour progresser. Pour réformer la perspective historique, il ne suffit pas de disposer d’autres sources, encore faut-il les interroger différemment. Les sources « traditionnelles », délaissées dans un premier temps, font alors une rentrée en force, à mesure que l’histoire orale s’essouffle. La périodisation, trame de l’histoire D’autres problèmes méthodologiques ont retenu l’attention des historiennes, parmi lesquels celui de la périodisation. Faut-il conserver les cadres chronologiques de l’histoire instituée ou doit-on les adapter pour écrire l’histoire des femmes ? Le choix d’une périodisation n’est jamais « neutre ». Cette modélisation de la durée n’est pas anodine puisque les moments choisis comme repères deviennent précisément les rythmes fondateurs d’une société telle qu’on décide de la décrire. Le choix d’une périodisation provoque la mise en évidence d’un certain type d’événements et en occulte ipso facto d’autres. La conception positiviste du temps, linéaire, au rythme des progrès et des avancées masculines, les repères jugés essentiels, comme l’acquisition du suffrage, peuvent-ils faire autre chose que positionner les femmes à la marge de d’évolutions dont elles semblent toujours les éternelles retardataires ? Pourquoi la participation des femmes lors des révolutions du XIX ème siècle est-elle interprétée en termes d’anecdotes ou de déviances ? Elle n’est pas intégrée à l’« histoire » parce qu’aucun groupe social structuré ne lui a donné e sens au moment où elle s’est produite. Beaucoup de faits féminins sont ainsi ignorés parce qu’aucun group e ne s’est chargé de les retenir comme événements historiques. Le genre A mesure que l’histoire des femmes se diversifie et que la phase compensatoire fournit peu à peu aux scientifiques un bon arsenal de connaissances, le désir de réintégrer une histoire « générale » se dessine avec force. Les historiennes redoutent en effet de reproduire, volontairement ou non, ce qu’elles ont dénoncé dans l’histoire instituée : l’histoire d’un seul sexe. Plus encore, elles redoutent d’y être assignées à résidence. Cela est d’autant plus réel que les milieux universitaires restent imperméables aux résultats et aux innovations des études féministes en général. Seule l’histoire des femmes reste en-dehors des enseignements académiques. C’est pourquoi le concept de gender history est accueilli avec enthousiasme, précisément comme une manière de forcer l’indifférence en restaurant clairement les rapports sociaux de sexe. Issu du monde anglo-saxon, le gender, traduit d’abord par un e périphrase renvoie à l’idée que les rapports entre les hommes et les femmes sont socialement construits et que ce sont des rapports de pouvoir. Envisagée de la sorte, l’histoire des femmes n’a plus de territoires réservés mais les aborde tous. Elle réintègre tous les aspects de la discipline, y compris l’étude de domaines exclusivement masculins, et rend légitime l’examen des silences et du non-dit. l’histoire des femmes s’est vue contrainte de défendre continuellement ses acquis et d’en souligner l’intérêt pour l’histoire générale. Aujourd’hui la phase de compilation et de critiques a épuisé ses vertus ; et la multiplication des travaux, des ouvrages et des revues spécialisées rend l’histoire des femmes incontournable, d’autant qu’elle commence à « aller de soi » pour les jeunes générations d’historiens. Elle bénéficie en outre d’incitants financiers qui découlent des besoins de la politique européenne et du féminisme institutionnel. Le genre : une voie de garage pour l’histoire des femmes ? Le concept de gender history est accueilli au début des années 1990 sans grande difficulté en Belgique, à la différence de la France où il a eu du mal à s’imposer. Le terme « genre », traduction bien imparfaite du gender, était doublement importé : des Etats-unis et de la sociologie. Il est utilisé pour la première fois par des sociologues pour distinguer entre le sexe biologique d’un individu et la construction sociologique des relations entre hommes et femmes. Le genre renvoie donc à la culture, à la construction sociale, à l’ensemble des pratiques, des valeurs et des représentations qui déterminent dans une société donnée ce que l’on entend par « être un homme » ou « être une femme ». C’est un élément variable dans le temps et l’espace et un concept qui permet de tenir compte des positions multiples d’un individu dans l’espace social. L’insertion du genre dans l’histoire des femmes fit évoluer la recherche qui passa d’un discours sur l’aliénation et l’émancipation des femmes à un discours sur l’ensemble des assignations sexuées, c’est-à-dire sur le système de pensée et de représentations qui définit culturellement le masculin et le féminin. Il s’agit d’une histoire plus spéculative, qui repose sur de nouvelles sources. En revanche, le succès assez foudroyant du genre, parce qu’il contrastait avec l’ostracisme dont avait souffert l’histoire des femmes, à susciter la méfiance chez certaines historiennes. Selon elles, le genre serait une manière de récupérer l’histoire des femmes au profit d’une histoire plus consensuelle. Cette crainte n’est pas totalement imaginaire. Il est vrai que le genre est apparu directement comme une notion plus respectable que le patriarcat, que parler de relations entre hommes et femmes est plus soft que de parler de domination, et qu’il a produit assez rapidement des études qui n’intègrent pas nécessairement les perspectives fondatrices de l’histoire des femmes. Aujourd’hui, le débat reste ouvert. Il est indéniable que l’histoire genrée élargi considérablement le champ des recherches et a permis à l’histoire des femmes d’éviter un ghetto que la communauté historienne favorisait largement par son attitude d’indifférence ou de suspicion à son égard. Le genre a aussi placé l’histoire des femmes du côté de l’histoire culturelle ; elle a ainsi participé à l’engouement que celle-ci a rencontré. Au total, le genre est un concept commode et très plastique : il permet de situer clairement l’événement dans la production culturelle de son temps et de lire le fait historique au travers du prisme de l’ « outillage mental » qui est constitué par les idées reçues, les goûts artistiques, la conception de la famille, les valeurs morales. Mais l’étude à outrance des représentations a très rapidement provoqué des dérives et certains ont tiré la sonnette d’alarme. Ce nouveau mode d’écriture de l’histoire s’accompagne en effet de changements méthodologiques susceptibles de dénaturer profondément la démarche historienne. Le débat est surtout vif aux Etats-Unis. Actuellement, les échos de ce débat sont peu présents dans l’historiographie belge sauf en flandre. Du côté francophone, plus fidèle à l’histoire empirique et sociale, le genre apparaît comme un outil utile, à utiliser pour toutes les zones de rencontre entre les catégories, qu’elles soient sociales, sexuées ou ethniques. Histoire des femmes, histoire du genre, histoire des hommes... En revanche, le concept de genre a fait prendre conscience que l’histoire des hommes comme sujets sexués, reste, elle aussi, à faire. L’histoire de la masculinité qui est en train de se construire est une entreprise tout aussi difficile que l’histoire des femmes ; plus difficile même selon certains. Car l’absence des femmes faisait partie de l’histoire et le silence pouvait être décrypté et analysé. En revanche, l’histoire des hommes est assourdie, saturée par un trop plein de présence masculine mais qui n’aborde jamais la question du masculin. Comme sujet sexué, l’homme se heurte tout autant que la femme au modèle de l’individu, référent universel. Enfin, de nouvelles voies sont aujourd’hui réamorcées, notamment par rapport à l’histoire de la (dé)colonisation. Les tensions outre-Atlantique entre femmes « wasp », noires et latinos ont mis en évidence les relations croisées où la domination de sexe se confronte à la domination de « race ». Deuxième partie : les femmes dans l’espace public Chapitre I : Genre et citoyenneté en Belgique Une citoyenneté à deux vitesses Ces rythmes différents qui scandent l’accès des femmes à la citoyenneté, les variations dans le mode et dans l’ampleur des revendications féminines selon les pays, demeurent, à bien des égards, « une énigme ». Soulignant combien l’égalité politique fut réellement « la grande affaire du XIX ème siècle », Pierre Rosanvallon s’interroge sur ces décalages qu’il attribue à une conception différente de la citoyenneté, universaliste ou utilitaire : la conception universaliste « à la française » présuppose un individualisme radical, la reconnaissance d’une société faite d’individus égaux. Selon Rosanvallon, l’avènement de l’homme-individu, propulsé dans la sphère publique comme citoyen, s’accompagne ipso facto d’un rejet de la femme dans la sphère privée. L’aliénation provient précisément de cette difficulté à la considérer comme un individu (toujours selon Rosanvallon). La société anglaise, en revanche, bien qu’enfermant également les femmes dans la sphère privée, estiment qu’elles y forment un groupe social distinct t les appelle aux urnes en raison même de cette distinction. La grille d’analyse de Rosanvallon n’explique pas tout. Trois aspects sont susceptibles d’éclairer le retard dans la reconnaissance de l’égalité politique, seront développés :  Le féminisme belge n’a pas accordé de priorité absolue à la conquête des droits politiques. L’essentiel des efforts s’est porté sur l’égalité économique et civile.  Le contexte sociologique joue un rôle fondamental dans la mesure où le suffrage – même dans un Etat libéral et parlementaire basé sur les grandes libertés modernes – a été plus une arme et un enjeu politique q’une fin idéologique. Le féminisme, se développent précisément à un moment d’intenses bouleversements politiques et sociaux, est directement influencé par eux.  La reconnaissance du suffrage féminin s’est effectuée dans une perspective qui a conforté la construction des genres plutôt qu’elle ne l’a atténuée. Le féminisme laïc à l’épreuve du suffrage En Belgique, la revendication politique des féministe laïque reste partielle, hésitante, prompte au repli. Le féminisme chrétien qui naît dans la foulée en 1902 serait au contraire progressiste puisque, seul, il fait du droit de vote l’axe de son combat. Or, le premier féminisme belge, incarné par la Ligue du droit des femmes reste étranger à ce modèle. Il voit au contraire dans ce suffrage une sorte de « droit dérivé », à obtenir en fin de course, dont l’efficacité serait illusoire tant que la femme demeure aliénée économiquement et civilement. L’émancipation première résulte donc d’une réforme du Code civil et de la conquête d’un « suffrage professionnel ». Cette conception porte la marque indélébile du milieu social dont émane la Ligue du droit des femmes, celui d’une petite et moyenne bourgeoisie intellectuelle urbaine. On y trouve l’idée que le suffrage n’est pas un droit « acquis », encore moins un droit « naturel » : c’est un droit « conquis » sur l’ignorance, une aptitude intellectuelle qui permet d’exercer la fonction élective. Cette conception suscite d’intenses efforts en faveur de l’éducation populaire et légitime une mobilisation pour l’instruction obligatoire comme solution à la question sociale. C’est dans ce milieu que naît le féminisme et c’est là qu’il puise les idées dont il nourrit leur programme. Or, les féministes soulignent l’assujettissement particulier de la femme, assujettissement moral et intellectuel, mais surtout assujettissement économique puisqu’à la différence des hommes, elle n’a ni droit au travail ni droit à disposer librement des produits de son travail. La femme est donc doublement dépendante et ne pourra voter librement, en dehors de toute influence, qu’après s’être libérée de la tutelle civile et des inégalités économiques. Cette attention soutenue du premier féminisme belge pour l’aspect économique de l’émancipation féminine résulte aussi de la situation particulière du pays et de la nature des débats sur les femmes. La Belgique est un pays précocement industrialisé. Le recours à une main-d’œuvre féminine industrielle abondante, la persistance jusqu’en 1889 du travail souterrain des femmes dans les charbonnages ont constitué une des clés de la réussite capitaliste, par la pression que cette main- d’œuvre bon marché a permis d’exercer sur l’ensemble des salaires et par l’armée de réserve qu’elle a toujours représentée. De plus, le libéralisme économique intégral a régné sans partage pendant un quart de siècle, ce qui explique pourquoi la Belgique est le seul pays d’Europe occidentale à ne connaître aucune réglementation du travail avant 1889. Dans cette société, la « question sociale » s’est longtemps centrée sur le travail des femmes et des enfants. L’exploitation industrielle du travail féminin provoque de fortes tensions au parlement où la femme se trouve au centre d’un débat et d’un combat politiques comme travailleuse salariée, pion indispensable pour soutenir la concurrence internationale et maintenir la compétitivité de nombreuses industries. C’est le divorce, de plus en plus insoutenable, entre les valeurs morales de la bourgeoisie (la femme au foyer) et ses intérêts économiques (le travail industriel de la femme) qui provoquera une brèche dans l’Etat libéral et son intervention dans les relations industrielles.
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