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Pierre CLASTRES, Notes de Économie

ANALYSE –CRITIQUE DE PIERRE CLASTRES DE L'OUVRAGE MARSHALL. SAHLINS "Age de pierre, âge d'abondance", Paris Gallimard, 1978.

Typologie: Notes

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Télécharge Pierre CLASTRES et plus Notes au format PDF de Économie sur Docsity uniquement! ANALYSE –CRITIQUE DE PIERRE CLASTRES DE L’OUVRAGE MARSHALL SAHLINS "Age de pierre, âge d’abondance", Paris Gallimard, 1978. _____________________________ Clastres dénonce les visions misérabilistes de l’économie des peuples primitifs. Il explique que Sahlins démontre que ces sociétés sont les premières et peut-être les seules à avoir été ou à être des sociétés d’abondance, c'est-à-dire des sociétés dans lesquelles les besoins définis socialement sont satisfaits. Sahlins s’intéresse aux chasseurs collecteurs mais aussi aux économies fondées sur le mode de production domestique. Il montre que ces économies reposent sur le souci de produire juste ce qui est considéré comme nécessaire. Il n’y a pas de souci d’accumulation mais l’idée qu’un minimum de travail doit suffire à produire ce qui est indispensable (aux yeux des membres de ces sociétés). Chacune de ces sociétés, et, à l’intérieur d’elles, chacune des unités élémentaires de production, s’inspire d’un idéal d’autarcie. Il ne faut pas dépendre des autres ce qui n’empêche pas d’avoir des échanges mais à la condition qu’ils restent limités et ne concernent en définitive que des biens ou services rares impossibles à se procurer localement. Ce type d’économie est très sensible aux accidents (mauvaises récoltes, guerres, etc.) et lors de ces périodes, les familles tendent à se replier sur elles-mêmes en attendant la fin des mauvais temps. Sahlins présente le “big man” des sociétés primitives comme une personne mue par une ambition effrénée. Pour accéder au pouvoir ou au prestige ou aux deux, il doit être à la fois bon orateur et prodigue de ses biens ce qui suppose de sa part et de celle de ses épouses un labeur incessant pour accumuler ce qu’il redistribuera ensuite. En même temps, cette richesse peut provoquer la jalousie des autres et devenir dangereuse pour le “big man” (assassinats fréquents). Sahlins imagine une continuité entre le “big man” et les royautés polynésiennes. Clastres le critique sur ce point en expliquant que Sahlins, comme bien d’autres ethnologues, confond pouvoir et prestige. Cette distinction est fondamentale car elle sépare, pour Clastres, les sociétés avec ou sans état. Dans les sociétés sans état, le pouvoir demeure diffus et les possibilités d’accumulation de richesses, grâce à son exercice, faibles. Ce sont les groupes familiaux qui possèdent du pouvoir et, par rapport au “big man”, leur stratégie consiste à “profiter” de lui tout en l’empêchant de s’ériger au-dessus d’eux. L’assassinat est un moyen couramment employé dans ses sociétés comme mode de “régulation” des envies de pouvoir. Les membres de la société reconnaissent du prestige au “big man” à la condition que celui-ci continue à distribuer des biens et à la condition qu’il ne cherche pas à en profiter pour acquérir trop d’influence par rapport aux divers groupes familiaux. Le “big man” doit sans cesse se montrer reconnaissant par rapport aux groupes familiaux qui lui permettent d’être l’homme le plus prestigieux, le plus généreux, etc. À cet égard, il est en dette envers eux. À l'inverse, dans les sociétés où l’état apparaît et se développe, la relation de dette est complètement inversée puisque c’est le chef qui perçoit le tribut et les individus soumis qui le lui donnent. L’apparition du tribut et le renversement de sens de la relation de dette constitue donc l’indice véritable du passage à la société avec état. Comment s’opère ce passage, voilà bien une des questions centrales que pose l’ethnologie. Les marxistes ont bien du mal à y répondre parce qu’ils raisonnent à l’intérieur d’un système de pensée où l’économique est une catégorie centrale du fonctionnement des sociétés. Or, les sociétés primitives sont précisément des sociétés dans lesquelles l’économie en tant que telle n’existe pas. Elle est proprement inconcevable en dehors des catégories familiales, religieuses, etc. Cette caractéristique des sociétés primitives condamne les tentatives de les comprendre quand elles restent dépendantes des cadres conceptuels du capitalisme ou de la critique du capitalisme. Dans le premier chapitre, Sahlins commence par analyser la production des populations de chasseurs-cueilleurs pour noter que cette question a été faussement abordée par beaucoup d’auteurs qui n’ont pas su abandonner leurs critères de jugements européens pour comprendre la nature des besoins de ces populations. Sahlins explique qu’il y a deux voies de progrès, celle qui est fondée sur l’expansion infinie des besoins et où, par définition, il ne peut y avoir abondance, et la voie “Zen” où les individus adaptent leurs besoins à leurs possibilités et vont estimer leur abondance à la quantité d’efforts nécessaires pour se procurer ces besoins. Il n’y a que dans cette voie qu’il peut être possible de parler d’abondance. D’un autre côté, l’appréciation très pessimiste de la qualité de vie des peuples chasseurs-collecteurs vient aussi de ce qu’ils ont souvent été observés dans des conditions qui ne correspondaient plus à leurs conditions d’existence avant l’arrivée des colonisateurs. L’expansion de l’agriculture de type européen les a, par exemple, bien souvent privés d’une partie plus ou moins importante de leurs ressources en eau, pâturages, etc. ce qui explique le déclin de ces économies. Les premiers observateurs européens des aborigènes australiens s’inscrivent d’ailleurs en faux contre cette vision. Ils expliquent au contraire que ces populations consacrent très peu de temps à trouver leur subsistance et ce type d’observations peut être répété régulièrement pour la plupart des sociétés de chasseurs collecteurs. Ces sociétés consacrent peu de temps au travail de recherche de nourriture, mais sont obligées de se déplacer fréquemment pour ne pas tarir la source de leur approvisionnement. Cette nécessité de déplacement entraîne l’épanouissement d’une civilisation où l’essentiel des biens possédés doit pouvoir être porté facilement. Donc, peu de possession matérielles, des critères d’appréciation des objets qui tiennent à leur facilité de transport, pas d’habitat permanent et donc peu de travail pour le fabriquer, pas de souci très fort de conservation des outils et objets qui doivent pouvoir être fabriqués sur place et remplacés avec un minimum de travail, etc. Avec des journées de travail qu’on peut estimer à trois ou quatre heures, la subsistance est assurée et le problème de ces sociétés semble, plutôt que la recherche incessante et obsessionnelle de nourriture, la capacité à organiser des loisirs agréables (d’où l’importance des conteurs, amuseurs publics, etc.). On dort beaucoup, on se repose fréquemment (par exemple un jour de chasse puis un jour de repos au camp). Les cérémonies, danses, visites, etc. vont constituer un temps aussi long, sinon plus, que le temps consacré au travail. (Il faudrait rapprocher toutes ces remarques de ce qu’on sait de l’emploi du temps des retraités des villages reculés du Limousin à population âgée ou encore de l’usage du temps par les chômeurs de longue durée) Ces sociétés connaissent des contraintes démographiques rudes même si, la plupart du temps, elles peuvent supporter facilement une population plus importante que celle qu’elles connaissent. Le problème vient surtout des individus incapables de se déplacer (malades, personnes trop âgées) qui doivent être supprimés car on ne peut pas les transporter. L’infanticide des filles permet également de réguler le trop plein de population qui s’observent quand la croissance démographique tend à l’emporter sur les ressources disponibles. Ceci étant, les caractéristiques du mode de production domestique tendent en permanence à fragiliser toutes les formes de regroupement politique qui dépassent tant soit peu la lignée. La faiblesse des raisons contraignant les lignages à coopérer entraîne inévitablement une tendance à l'éparpillement des lignées, au factionnalisme, dès que des problèmes importants apparaissent entre familles de lignages différents. C’est probablement la raison pour laquelle les regroupements (dans des villages, etc.) restent de taille très restreinte. Bien avant que la taille démographique optimale (en fonction des possibilités de nourriture locale) soit atteinte, ces communautés de lignages se séparent et essaiment pour éviter d’en venir à de plus dures extrémités. Le troisième chapitre examine à quelles conditions le MPD peut amener à l’intensification de la production. La première raison se trouve probablement dans le fait que s’il y a en permanence des familles qui sous produisent par rapport à leurs besoins, cela suppose qu’il y en ait d’autres qui fassent l’inverse. La famille du “big man” mélanésien doit travailler dur pour satisfaire toutes les demandes auxquelles elle est confrontée à cause de sa générosité. La conquête du prestige suppose de pouvoir donner beaucoup. De plus les obligations par rapport à la parenté lointaine entraînent de pouvoir offrir de nombreux cadeaux en viande, aliments, etc. Cependant, en période de famine ou de difficultés alimentaires, les familles ont tendance à se replier sur elles mêmes en essayant d’échapper à leurs obligations de solidarité. Ce phénomène de repli, caractéristique de l’économie du MPD, implique qu’il soit contré par une autorité qui le transcende. L’émergence des chefferies correspond à ce besoin de transcender les limites du MPD car “quand bien même le chef est mû par des motifs d’ambition personnelle, il incarne une finalité collective, il personnifie un principe économique public qui va à l’encontre des intérêts privés et des intérêts étroitement limités de l’économie domestique.” La prodigalité des chefs tend à stimuler la production bien au-delà de ce qu’il est nécessaire de produire pour la simple subsistance. Mais la nécessité de répondre à don par un contre don, la compétition entre ceux qui briguent les honneurs et le prestige tend globalement à entraîner les sociétés primitives à produire plus que ce qui est juste suffisant. Quand l’état est en voie de formation, ce processus s’intensifie encore plus et surtout, il s’inverse. Alors qu’au début de son ascension vers la chefferie, le “big man” maori doit travailler dur pour faire des cadeaux, au terme du processus, le roi tahitien perçoit le tribut. Il a utilisé son prestige pour gagner du pouvoir sur les autres et, finalement, les asservir. Commence alors un cycle du pouvoir où le chef et ses successeurs commencent par gagner de plus en plus en influence et en “clientèle” puis, au-delà d’un certain niveau d’expansion, certains de leurs clients commencent à être mécontents, certains des soumis récents tendent à s’émanciper et la nécessité d’intensifier l’ampleur du prélèvement sous forme de tribut pour redistribuer davantage aux mécontents finit par lasser la masse de la population. La situation est mûre pour qu’un nouveau prétendant s’impose en rassemblant autour de lui les mécontents et qu’un nouveau cycle, plus favorable aux “petits”, au moins au départ, se mette en route. (Ceci ressemble beaucoup à ce que Duby décrit des raisons de la croissance économique au haut Moyen-Âge. Il explique la croissance par la capacité des nouveaux rois et des grands seigneurs féodaux à intensifier le prélèvement d’impôts sur la paysannerie ce qui pousse celle-ci à travailler davantage pour retrouver son niveau de vie antérieur.) Dans le quatrième chapitre, Sahlins analyse l’esprit du don en partant du fameux passage de Mauss sur le Hau, c’est-à-dire l’esprit du donateur qui reste dans la chose donnée et qui fait que cette chose veut retourner à son propriétaire d’origine. Il en propose une autre interprétation en faisant remarquer que le hau n’intervient que lorsqu’il y a plus de deux partenaires dans l’ensemble des échanges. Mauss interprétait le Hau comme l’esprit de la chose donnée qui veut revenir à son propriétaire de départ ce qui implique de répondre au don de cette chose par un contre-don équivalent qui calme le Hau. Sahlins montre qu’il s’agit en fait d’un cas particulier d’échange. Quand un bien passe de A à B et de B à C et que C fait un bénéfice (Hau signifiant exactement augmentation, croît) grâce à ce “don”, il est logique que le produit de ce bénéfice revienne à A, à celui qui est à l’initiative de l’échange. Cela signifie que, dans la mentalité Maori, il est impensable de gagner quelque chose au détriment d’autrui. Le croît d’un troupeau donné doit revenir logiquement à celui qui, à l’origine, a donné les premiers animaux. Sahlins s’intéresse ensuite à la philosophie politique de l’essai sur le don en la comparant avec celle du Léviathan de Hobbes. Le don est la manière dont les primitifs s’assurent de la paix qui est garantie dans les sociétés non segmentaires par l’état. Dans la société primitive, la prégnance des groupes familiaux segmente la société entre des clans qui peuvent rentrer perpétuellement en guerre. L’autorité des chefs est insuffisante pour garantir une paix durable. Dans ce cas-là, le don remplace partiellement l’état dans l’instauration de la paix civile. Son importance provient de la faiblesse ou de l’absence de l’état. C’est ce qui explique que la générosité dans les sociétés primitives soit à nos yeux de la folle prodigalité car les primitifs sont confrontés à des choix très contrastés. Les relations entre groupes humains segmentaires ne peuvent en effet qu’être extrêmes, soit on s’évite ou l'on se fait la guerre, soit on donne, on reçoit et l'on redonne. Il ne peut y avoir de solution intermédiaire alors que, dans les sociétés étatiques, le monopole de l’emploi de la force par l’état permet aux citoyens d’avoir des relations à la fois plus garanties et donc plus stables mais aussi forcément moins intenses, dans la mesure où la régulation sociale se fait uniquement au travers des contacts directs entre individus membres de groupes familiaux autonomes et non entre groupes familiaux entiers. Dans les sociétés primitives, “refuser de donner, négliger d’inviter, comme refuser de prendre, équivaut à déclarer la guerre; c’est refuser l’alliance et la communion (Mauss)”. À cet égard, le potlatch (compétition ostentatoire de dons où le vainqueur écrase ses adversaires sous sa générosité) peut être compris comme une sorte de guerre sublimée. Le développement du don et du contre don peut donc être compris somme une sorte de soumission mutuelle des individus membres des clans familiaux à un principe fondateur de paix sociale et de possibilité de culture. “Le pire, c’est de ne pas donner de cadeaux. Si les gens ne s’aiment pas et que l’un d’eux fait un cadeau, alors l’autre doit l’accepter et cela apporte la paix entre eux. Nous donnons ce que nous avons : c’est comme cela que nous vivons ensemble. (citation Boschiman donnée par Marshall)” Le cinquième chapitre concerne la sociologie de l’échange primitif. Sahlins y distingue deux grands types d’échange : l’échange de réciprocité et l’échange de redistribution. L’égalisation des échanges ne se fait pas dans le court terme mais à très long terme. À vrai dire, “l’espérance de réciprocité est indéfinie”. Dans le sixième et dernier chapitre Sahlins tente d’établir une théorie de la valeur d’échange dans le commerce primitif. Il montre que les tendances de l’offre et de la demande ne sont pas inexistantes dans ce type d’économie mais qu’on ne peut pas en inférer qu’il s’agit de marchés au sens que nous donnons à ce terme puisque les vendeurs et les acheteurs ne s’y conduisent pas individuellement mais en groupes organisés. Il ne peut être question lors d’une expédition commerciale de voler à quelqu’un d’autre son correspondant commercial habituel. Il ne peut être question de rentrer dans des transactions commerciales librement, etc. Autrement dit, le commerce est une activité qui n’a rien de “libre” au sens de la liberté des transactions que nous connaissons dans nos sociétés. Les correspondants “Kula” décrits par Malinowski sont stables et n’importe qui ne peut pas participer à une expédition Kula. Le commerce, comme la production, s’inscrit dans un ensemble social qui le dépasse, ensemble structuré par les relations de parenté ou par des relations assimilées aux relations de parenté. Pierre CLASTRES
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