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Poèmes saturniens, Schémas de Arts

Poèmes saturniens de Paul Verlaine. II. – Cauchemar. J'ai vu passer dans mon rêve. – Tel l'ouragan sur la grève, –. D'une main tenant un glaive.

Typologie: Schémas

2021/2022

Téléchargé le 08/06/2022

Morgad
Morgad 🇫🇷

4.5

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101 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge Poèmes saturniens et plus Schémas au format PDF de Arts sur Docsity uniquement! Poèmes saturniens Paul Verlaine 1867 Votre avis nous intéresse ! Répondez au questionnaire et accéder aux autres livres de la Bibliothèque Digitale 2 Poèmes saturniens de Paul Verlaine PROLOGUE MÉLANCHOLIA I. – Résignation II. – Nevermore III. – Après trois ans IV. – Voeu V. – Lassitude VI. – Mon rêve familier VII. – À une femme VIII. – L’Angoisse EAUX-FORTES I. – Croquis parisien II. – Cauchemar III. – Marine IV. – Effet de nuit V. – Grotesques PAYSAGES TRISTES I. – Soleils couchants II. – Crépuscule du soir mystique III. – Promenade sentimentale IV. – Nuit du Walpurgis classique V. – Chanson d’automne VI. – L’Heure du berger VII. – Le Rossignol 5 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Leur plan de vie étant dessiné ligne à ligne Par la logique d’une Influence maligne. P. V. PROLOGUE Dans ces temps fabuleux, les limbes de l’histoire, Où les fils de Raghû, beaux de fard et de gloire, Vers la Ganga régnaient leur règne étincelant, Et, par l’intensité de leur vertu troublant Les Dieux et les Démons et Bhagavat lui-même, Augustes, s’élevaient jusqu’au Néant suprême, Ah ! la terre et la mer et le ciel, purs encore Et jeunes, qu’arrosait une lumière d’or Frémissante, entendaient, apaisant leurs murmures De tonnerres, de flots heurtés, de moissons mûres, Et retenant le vol obstiné des essaims, Les Poëtes sacrés chanter les Guerriers saints, 6 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Cependant que le ciel et la mer et la terre Voyaient, – rouges et las de leur travail austère, – S’incliner, pénitents fauves et timorés, Les Guerriers saints devant les Poëtes sacrés ! Une connexité grandiosement alme Liait le Kçhatrya serein au Chanteur calme, Valmiki l’excellent à l’excellent Rama : Telles sur un étang deux touffes de padma. – Et sous tes cieux dorés et clairs, Hellas antique, De Spartè la sévère à la rieuse Attique, Les Aèdes, Orpheus, Alkaïos, étaient Encore des héros altiers et combattaient. Homéros, s’il n’a pas, lui, manié le glaive, Fait retentir, clameur immense qui s’élève, Vos échos jamais las, vastes postérités, D’Hektôr et d’Odysseus, et d’Akhilleus chantés. Les héros à leur tour, après les luttes vastes, 7 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Pieux, sacrifiaient aux neuf Déesses chastes, Et non moins que de l’art d’Arès furent épris De l’Art dont une Palme immortelle est le prix, Akhilleus entre tous ! Et le Laërtiade Dompta, parole d’or qui charme et persuade, Les esprits et les coeurs et les âmes toujours, Ainsi qu’Orpheus domptait les tigres et les ours. – Plus tard, vers des climats plus rudes, en des ères Barbares, chez les Francs tumultueux, nos pères, Est-ce que le Trouvère héroïque n’eut pas Comme le Preux sa part auguste des combats ? Est-ce que, Théroldus ayant dit Charlemagne, Et son neveu Roland resté dans la montagne, Et le bon Olivier de Turpin au grand coeur, En beaux couplets et sur un rhythme âpre et vainqueur, Est-ce que, cinquante ans après, dans les batailles, Les durs Leudes perdant leur sang par vingt entailles, 10 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Et que l’isolement sied à leur marche lente. Le Poëte, l’Amour du Beau, voilà sa foi, L’Azur, son étendard, et l’Idéal, sa loi ! Ne lui demandez rien de plus, car ses prunelles, Où le rayonnement des choses éternelles A mis des visions qu’il suit avidement, Ne sauraient s’abaisser une heure seulement Sur le honteux conflit des besognes vulgaires Et sur vos vanités plates ; et si naguères On le vit au milieu des hommes, épousant Leurs querelles, pleurant avec eux, les poussant Aux guerres, célébrant l’orgueil des Républiques Et l’éclat militaire et les splendeurs auliques Sur la kithare, sur la harpe et sur le luth, S’il honorait parfois le présent d’un salut Et daignait consentir à ce rôle de prêtre D’aimer et de bénir, et s’il voulait bien être La voix qui rit ou pleure alors qu’on pleure ou rit, 11 Poèmes saturniens de Paul Verlaine S’il inclinait vers l’âme humaine son esprit, C’est qu’il se méprenait alors sur l’âme humaine. – Maintenant, va, mon Livre, où le hasard te mène ! MÉLANCHOLIA À Ernest Boutier I. – Résignation Tout enfant, j’allais rêvant Ko-Hinnor, Somptuosité persane et papale Héliogabale et Sardanapale ! Mon désir créait sous des toits en or, Parmi les parfums, au son des musiques, Des harems sans fin, paradis physiques ! Aujourd’hui, plus calme et non moins ardent, Mais sachant la vie et qu’il faut qu’on plie, J’ai dû refréner ma belle folie, Sans me résigner par trop cependant. 12 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Soit ! le grandiose échappe à ma dent, Mais, fi de l’aimable et fi de la lie ! Et je hais toujours la femme jolie, La rime assonante et l’ami prudent. II. – Nevermore Souvenir, souvenir, que me veux-tu ? L’automne Faisait voler la grive à travers l’air atone, Et le soleil dardait un rayon monotone Sur le bois jaunissant où la bise détone. Nous étions seul à seule et marchions en rêvant, Elle et moi, les cheveux et la pensée au vent. Soudain, tournant vers moi son regard émouvant : « Quel fut ton plus beau jour ? » fit sa voix d’or vivant, Sa voix douce et sonore, au frais timbre angélique. Un sourire discret lui donna la réplique, Et je baisai sa main blanche, dévotement. 15 Poèmes saturniens de Paul Verlaine V. – Lassitude « A batallas de amor campo de pluma. » Gongora. De la douceur, de la douceur, de la douceur ! Calme un peu ces transports fébriles, ma charmante. Même au fort du déduit parfois, vois-tu, l’amante Doit avoir l’abandon paisible de la soeur. Sois langoureuse, fais ta caresse endormante, Bien égaux tes soupirs et ton regard berceur. Va, l’étreinte jalouse et le spasme obsesseur Ne valent pas un long baiser, même qui mente ! Mais dans ton cher coeur d’or, me dis-tu, mon enfant, La fauve passion va sonnant l’oliphant !. . . Laisse-la trompetter à son aise, la gueuse ! Mets ton front sur mon front et ta main dans ma main, Et fais-moi des serments que tu rompras demain, Et pleurons jusqu’au jour, ô petite fougueuse ! 16 Poèmes saturniens de Paul Verlaine VI. – Mon rêve familier Je fais souvent ce rêve étrange et pénétrant D’une femme inconnue, et que j’aime, et qui m’aime, Et qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même Ni tout à fait une autre, et m’aime et me comprend. Car elle me comprend, et mon coeur transparent Pour elle seule, hélas ! cesse d’être un problème Pour elle seule, et les moiteurs de mon front blême, Elle seule les sait rafraîchir, en pleurant. Est-elle brune, blonde ou rousse ? – Je l’ignore. Son nom ? Je me souviens qu’il est doux et sonore Comme ceux des aimés que la Vie exila. Son regard est pareil au regard des statues, Et, pour sa voix, lointaine, et calme, et grave, elle a l’inflexion des voix chères qui se sont tues. 17 Poèmes saturniens de Paul Verlaine VII. – À une femme À vous ces vers, de par la grâce consolante De vos grands yeux où rit et pleure un rêve doux, De par votre âme pure et toute bonne, à vous Ces vers du fond de ma détresse violente. C’est qu’hélas ! le hideux cauchemar qui me hante N’a pas de trêve et va furieux, fou, jaloux, Se multipliant comme un cortège de loups Et se pendant après mon sort qu’il ensanglante ! Oh ! je souffre, je souffre affreusement, si bien Que le gémissement premier du premier homme Chassé d’Eden n’est qu’une églogue au prix du mien ! Et les soucis que vous pouvez avoir sont comme Des hirondelles sur un ciel d’après-midi, – Chère,– par un beau jour de septembre attiédi. 20 Poèmes saturniens de Paul Verlaine II. – Cauchemar J’ai vu passer dans mon rêve – Tel l’ouragan sur la grève, – D’une main tenant un glaive Et de l’autre un sablier, Ce cavalier Des ballades d’Allemagne Qu’à travers ville et campagne, Et du fleuve à la montagne, Et des forêts au vallon, Un étalon Rouge-flamme et noir d’ébène, Sans bride, ni mors, ni rêne, Ni hop ! ni cravache, entraîne Parmi des râlements sourds Toujours ! Toujours ! Un grand feutre à longue plume Ombrait son oeil qui s’allume 21 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Et s’éteint. Tel, dans la brume, Éclate et meurt l’éclair bleu D’une arme à feu. Comme l’aile d’une orfraie Qu’un subit orage effraie, Par l’air que la neige raie, Son manteau se soulevant Claquait au vent, Et montrait d’un air de gloire Un torse d’ombre et d’ivoire, Tandis que dans la nuit noire Luisaient en des cris stridents Trente-deux dents. III. – Marine L’Océan sonore Palpite sous l’oeil 22 Poèmes saturniens de Paul Verlaine De la lune en deuil Et palpite encore, Tandis qu’un éclair Brutal et sinistre Fend le ciel de bistre D’un long zigzag clair, Et que chaque lame, En bonds convulsifs, Le long des récifs Va, vient, luit et clame, Et qu’au firmament, Où l’ouragan erre, Rugit le tonnerre Formidablement. 25 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Rit et pleure – fastidieux – L’amour des choses éternelles, Des vieux morts et des anciens dieux ! – Donc, allez, vagabonds sans trêves, Errez, funestes et maudits, Le long des gouffres et des grèves, Sous l’oeil fermé des paradis ! La nature à l’homme s’allie Pour châtier comme il le faut L’orgueilleuse mélancolie Qui vous fait marcher le front haut, Et, vengeant sur vous le blasphème Des vastes espoirs véhéments, Meurtrit votre front anathème Au choc rude des éléments. Les juins brûlent et les décembres Gèlent votre chair jusqu’aux os, 26 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Et la fièvre envahit vos membres, Qui se déchirent aux roseaux. Tout vous repousse et tout vous navre, Et quand la mort viendra pour vous, Maigre et froide, votre cadavre Sera dédaigné par les loups ! PAYSAGES TRISTES À Catulle Mendès I. – Soleils couchants Une aube affaiblie Verse par les champs La mélancolie Des soleils couchants. La mélancolie Berce de doux chants Mon coeur qui s’oublie 27 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Aux soleils couchants. Et d’étranges rêves, Comme des soleils Couchants sur les grèves, Fantômes vermeils, Défilent sans trêves, Défilent, pareils À des grands soleils Couchants sur les grèves. II. – Crépuscule du soir mystique Le Souvenir avec le Crépuscule Rougeoie et tremble à l’ardent horizon De l’Espérance en flamme qui recule Et s’agrandit ainsi qu’une cloison Mystérieuse où mainte floraison – Dahlia, lys, tulipe et renoncule – 30 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Des châtaigniers ; des plants de fleurs formant la dune ; Ici, des rosiers nains qu’un goût docte effila ; Plus loin, des ifs taillés en triangles. La lune D’un soir d’été sur tout cela. Minuit sonne, et réveille au fond du parc aulique Un air mélancolique, un sourd, lent et doux air De chasse : tel, doux, lent, sourd et mélancolique, L’air de chasse de Tannhauser. Des chants voilés de cors lointains où la tendresse Des sens étreint l’effroi de l’âme en des accords Harmonieusement dissonants dans l’ivresse ; Et voici qu’à l’appel des cors S’entrelacent soudain des formes toutes blanches, Diaphanes, et que le clair de lune fait Opalines parmi l’ombre verte des branches, – Un Watteau rêvé par Raffet ! – S’entrelacent parmi l’ombre verte des arbres 31 Poèmes saturniens de Paul Verlaine D’un geste alangui, plein d’un désespoir profond, Puis, autour des massifs, des bronzes et des marbres, Très-lentement dansent en rond. – Ces spectres agités, sont-ce donc la pensée Du poète ivre, ou son regret ou son remords, Ces spectres agités en tourbe cadensée, Ou bien tout simplement des morts ? Sont-ce donc ton remords, ô rêvasseur qu’invite L’horreur, ou ton regret, ou ta pensée, – hein ? – tous Ces spectres qu’un vertige irrésistible agite, Ou bien des morts qui seraient fous ? – N’importe ! ils vont toujours, les fébriles fantômes, Menant leur ronde vaste et morne et tressautant Comme dans un rayon de soleil des atomes, Et s’évaporent à l’instant Humide et blême où l’aube éteint l’un après l’autre Les cors, en sorte qu’il ne reste absolument 32 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Plus rien – absolument – qu’un jardin de Lenôtre, Correct, ridicule et charmant. V. – Chanson d’automne Les sanglots longs Des violons De l’automne Blessent mon coeur D’une langueur Monotone. Tout suffocant Et blême, quand Sonne l’heure, Je me souviens Des jours anciens Et je pleure ; Et je m’en vais Au vent mauvais 35 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Nuit mélancolique et lourde d’été, Pleine de silence et d’obscurité, Berce sur l’azur qu’un vent doux effleure L’arbre qui frissonne et l’oiseau qui pleure. CAPRICES À Henry Winter I. – Femme et chatte Elle jouait avec sa chatte, Et c’était merveille de voir La main blanche et la blanche patte S’ébattre dans l’ombre du soir. Elle cachait – la scélérate ! – Sous ses mitaines de fil noir Ses meurtriers ongles d’agate, Coupants et clairs comme un rasoir. 36 Poèmes saturniens de Paul Verlaine L’autre aussi faisait la sucrée Et rentrait sa griffe acérée, Mais le diable n’y perdait rien. . . Et dans le boudoir où, sonore, Tintait son rire aérien, Brillaient quatre points de phosphore. II. – Jésuitisme Le chagrin qui me tue est ironique, et joint Le sarcasme au supplice, et ne torture point Franchement, mais picote avec un faux sourire Et transforme en spectacle amusant mon martyre, Et, sur la bière où gît mon rêve mi-pourri, Beugle un De profundis sur l’air du Traderi. C’est un Tartuffe qui, tout en mettant des roses Pompons sur les autels des Madones moroses, Tout en faisant chanter à des enfants de choeur Ces cantiques d’eau tiède où se baigne le coeur, 37 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Tout en amidonnant ces guimpes amoureuses Qui serpentent au coeur sacré des Bienheureuses, Tout en disant à voix basse son chapelet, Tout en passant la main sur son petit collet, Tout en parlant avec componction de l’âme, N’en médite pas moins ma ruine, – l’infâme ! III. – La chanson des Ingénues Nous sommes les Ingénues, Aux bandeaux plats, à l’oeil bleu, Qui vivons, presque inconnues, Dans les romans qu’on lit peu. Nous allons entrelacées, Et le jour n’est pas plus pur Que le fond de nos pensées, Et nos rêves sont d’azur ; Et nous courons par les prées 40 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Vois, ô bon Buridan : « C’est une grande dame ! » Il faut – pas de milieu ! – l’adorer à genoux, Plat, n’ayant d’astre aux cieux que ses lourds cheveux roux, Ou bien lui cravacher la face, à cette femme ! V. – Monsieur Prudhomme Il est grave : il est maire et père de famille. Son faux col engloutit son oreille. Ses yeux Dans un rêve sans fin flottent, insoucieux, Et le printemps en fleurs sur ses pantoufles brille. Que lui fait l’astre d’or, que lui fait la charmille Où l’oiseau chante à l’ombre, et que lui font les cieux, Et les prés verts et les gazons silencieux ? Monsieur Prudhomme songe à marier sa fille Avec monsieur Machin, un jeune homme cossu. Il est juste-milieu, botaniste et pansu. Quant aux faiseurs de vers, ces vauriens, ces maroufles, 41 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Ces fainéants barbus, mal peignés, il les a Plus en horreur que son éternel coryza, Et le printemps en fleurs brille sur ses pantoufles. Initium Les violons mêlaient leur rire au chant des flûtes Et le bal tournoyait quand je la vis passer Avec ses cheveux blonds jouant sur les volutes De son oreille où mon Désir comme un baiser S’élançait et voulait lui parler, sans oser. Cependant elle allait, et la mazurque lente La portait dans son rhythme indolent comme un vers, – Rime mélodieuse, image étincelante, – Et son âme d’enfant rayonnait à travers La sensuelle ampleur de ses yeux gris et verts. Et depuis, ma Pensée – immobile – contemple Sa splendeur évoquée, en adoration, Et dans mon Souvenir, ainsi que dans un temple, 42 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Mon Amour entre, plein de superstition. Et je crois que voici venir la Passion. Çavitri MAHA-BHARATTA Pour sauver son époux, Çavitrî fit le voeu De se tenir trois jours entiers, trois nuits entières, Debout, sans remuer jambes, buste ou paupières : Rigide, ainsi que dit Vyaça, comme un pieu. Ni, Çurya, tes rais cruels, ni la langueur Que Tchandra vient épandre à minuit sur les cimes Ne firent défaillir, dans leurs efforts sublimes, La pensée et la chair de la femme au grand coeur. – Que nous cerne l’Oubli, noir et morne assassin, Ou que l’Envie aux traits amers nous ait pour cibles, Ainsi que Çavitrî faisons-nous impassibles, Mais, comme elle, dans l’âme ayons un haut dessein. Sub urbe Les petits ifs du cimetière 45 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Ouvre ton âme et ton oreille au son De ma mandoline : Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson Cruelle et câline. Je chanterai tes yeux d’or et d’onyx Purs de toutes ombres, Puis le Léthé de ton sein, puis le Styx De tes cheveux sombres. Comme la voix d’un mort qui chanterait Du fond de sa fosse, Maîtresse, entends monter vers ton retrait Ma voix aigre et fausse. Puis je louerai beaucoup, comme il convient, Cette chair bénie Dont le parfum opulent me revient Les nuits d’insomnie. Et pour finir je dirai le baiser, 46 Poèmes saturniens de Paul Verlaine De ta lèvre rouge, Et ta douceur à me martyriser, – Mon Ange ! – ma Gouge ! Ouvre ton âme et ton oreille au son De ma mandoline : Pour toi j’ai fait, pour toi, cette chanson Cruelle et câline. Un dahlia Courtisane au sein dur, à l’oeil opaque et brun S’ouvrant avec lenteur comme celui d’un boeuf, Ton grand torse reluit ainsi qu’un marbre neuf. Fleur grasse et riche, autour de toi ne flotte aucun Arome, et la beauté sereine de ton corps Déroule, mate, ses impeccables accords. Tu ne sens même pas la chair, ce goût qu’au moins Exhalent celles-là qui vont fanant les foins, Et tu trônes, Idole insensible à l’encens. – Ainsi le Dahlia, roi vêtu de splendeur, 47 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Élève sans orgueil sa tête sans odeur, Irritant au milieu des jasmins agaçants ! Nevermore Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice, Redresse et peints à neuf tous tes arcs triomphaux ; Brûle un encens ranci sur tes autels d’or faux ; Sème de fleurs les bords béants du précipice ; Allons, mon pauvre coeur, allons, mon vieux complice ! Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni ; Entonne, orgue enroué, des Te Deum splendides ; Vieillard prématuré, mets du fard sur tes rides ; Couvre-toi de tapis mordorés, mur jauni ; Pousse à Dieu ton cantique, ô chantre rajeuni. Sonnez, grelots ; sonnez, clochettes ; sonnez, cloches ! Car mon rêve impossible a pris corps et je l’ai Entre mes bras pressé : le Bonheur, cet ailé 50 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Qui craindrait une embûche ou qui verrait des morts. Ces grands rameaux jamais apaisés, comme l’onde, D’où tombe un noir silence avec une ombre encore Plus noire, tout ce morne et sinistre décor Me remplit d’une horreur triviale et profonde. Surtout les soirs d’été : la rougeur du couchant Se fond dans le gris bleu des brumes qu’elle teinte D’incendie et de sang ; et l’angélus qui tinte Au lointain semble un cri plaintif se rapprochant. Le vent se lève chaud et lourd, un frisson passe Et repasse, toujours plus fort, dans l’épaisseur Toujours plus sombre des hauts chênes, obsesseur, Et s’éparpille, ainsi qu’un miasme, dans l’espace. La nuit vient. Le hibou s’envole. C’est l’instant Où l’on songe aux récits des aïeules naïves. . . Sous un fourré, là-bas, là-bas, des sources vives Font un bruit d’assassins postés se concertant. Nocturne parisien 51 Poèmes saturniens de Paul Verlaine À Edmond Lepelletier Roule, roule ton flot indolent, morne Seine. – Sous tes ponts qu’environne une vapeur malsaine Bien des corps ont passé, morts, horribles, pourris, Dont les âmes avaient pour meurtrier Paris. Mais tu n’en traînes pas, en tes ondes glacées, Autant que ton aspect m’inspire de pensées ! Le Tibre a sur ses bords des ruines qui font Monter le voyageur vers un passé profond, Et qui, de lierre noir et de lichen couvertes, Apparaissent, tas gris, parmi les herbes vertes. Le gai Guadalquivir rit aux blonds orangers Et reflète, les soirs, des boléros légers. Le Pactole a son or, le Bosphore a sa rive Où vient faire son kief l’odalisque lascive. Le Rhin est un burgrave, et c’est un troubadour Que le Lignon, et c’est un ruffian que l’Adour. 52 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Le Nil, au bruit plaintif de ses eaux endormies, Berce de rêves doux le sommeil des momies. Le grand Meschascébé, fier de ses joncs sacrés, Charrie augustement ses îlots mordorés, Et soudain, beau d’éclairs, de fracas et de fastes, Splendidement s’écroule en Niagaras vastes. L’Eurotas, où l’essaim des cygnes familiers Mêle sa grâce blanche au vert mat des lauriers, Sous son ciel clair que raie un vol de gypaète, Rhythmique et caressant, chante ainsi qu’un poète. Enfin, Ganga, parmi les hauts palmiers tremblants Et les rouges padmas, marche à pas fiers et lents, En appareil royal, tandis qu’au loin la foule Le long des temples va hurlant, vivante houle, Au claquement massif des cymbales de bois, Et qu’accroupi, filant ses notes de hautbois, Du saut de l’antilope agile attendant l’heure, Le tigre jaune au dos rayé s’étire et pleure. 55 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Sent à ces vieux accords couler en lui des sèves ; La pitié monte au coeur et les larmes aux yeux, Et l’on voudrait pouvoir goûter la paix des cieux, Et dans une harmonie étrange et fantastique Qui tient de la musique et tient de la plastique, L’âme, les inondant de lumière et de chant, Mêle les sons de l’orgue aux rayons du couchant ! – Et puis l’orgue s’éloigne, et puis c’est le silence Et la nuit terne arrive et Vénus se balance Sur une molle nue au fond des cieux obscurs ; On allume les becs de gaz le long des murs. Et l’astre et les flambeaux font des zigzags fantasques Dans le fleuve plus noir que le velours des masques ; Et le contemplateur sur le haut garde-fou Par l’air et par les ans rouillé comme un vieux sou Se penche, en proie aux vents néfastes de l’abîme. Pensée, espoir serein, ambition sublime, 56 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Tout jusqu’au souvenir, tout s’envole, tout fuit, Et l’on est seul avec Paris, l’Onde et la Nuit ! – Sinistre trinité ! De l’ombre dures portes ! Mané-Thécel-Pharès des illusions mortes ! Vous êtes toutes trois, ô Goules de malheur, Si terribles, que l’Homme, ivre de la douleur Que lui font en perçant sa chair vos doigts de spectre, L’Homme, espèce d’Oreste à qui manque une Électre, Sous la fatalité de votre regard creux Ne peut rien et va droit au précipice affreux ; Et vous êtes aussi toutes trois si jalouses De tuer et d’offrir au grand Ver des épouses Qu’on ne sait que choisir entre vos trois horreurs, Et si l’on craindrait moins périr par les terreurs Des Ténèbres que sous l’Eau sourde, l’Eau profonde, Ou dans tes bras fardés, Paris, reine du monde ! – Et tu coules toujours, Seine, et, tout en rampant, Tu traînes dans Paris ton cours de vieux serpent, 57 Poèmes saturniens de Paul Verlaine De vieux serpent boueux, emportant vers tes havres Tes cargaisons de bois, de houille et de cadavres ! Marco Quand Marco passait, tous les jeunes hommes Se penchaient pour voir ses yeux, des Sodomes Où les feux d’Amour brûlaient sans pitié Ta pauvre cahutte, ô froide Amitié ; Tout autour dansaient des parfums mystiques Où l’âme en pleurant s’anéantissait ; Sur ses cheveux roux un charme glissait ; Sa robe rendait d’étranges musiques Quand Marco passait. Quand Marco chantait, ses mains, sur l’ivoire, Évoquaient souvent la profondeur noire Des airs primitifs que nul n’a redits, Et sa voix montait dans les paradis De la symphonie immense des rêves, 60 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Le torrent rompait les digues de l’âme, Noyait la pensée, et bouleversait Tout sur son passage, et rebondissait Souple et dévorant comme de la flamme, Et puis se glaçait. César Borgia Portrait en pied Sur fond sombre noyant un riche vestibule Où le buste d’Horace et celui de Tibulle, Lointains et de profil, rêvent en marbre blanc, La main gauche au poignard et la main droite au flanc, Tandis qu’un rire doux redresse la moustache, Le duc CÉSAR en grand costume se détache. Les yeux noirs, les cheveux noirs et le velours noir Vont contrastant, parmi l’or somptueux d’un soir, Avec la pâleur mate et belle du visage Vu de trois quarts et très ombré suivant l’usage 61 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Des Espagnols ainsi que des Vénitiens Dans les portraits de rois et de patriciens. Le nez palpite, fin et droit. La bouche, rouge, Est mince, et l’on dirait que la tenture bouge Au souffle véhément qui doit s’en exhaler. Et le regard, errant avec laisser-aller Devant lui, comme il sied aux anciennes peintures, Fourmille de pensers énormes d’aventures, Et le front, large et pur, sillonné d’un grand pli, Sans doute de projets formidables rempli, Médite sous la toque où frissonne une plume Élancée hors d’un noeud de rubis qui s’allume. La Mort de Philippe II À Louis-Xavier de Ricard Le coucher d’un soleil de septembre ensanglante La plaine morne et l’âpre arête des sierras Et de la brume au loin l’installation lente. Le Guadarrama pousse entre les sables ras 62 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Son flot hâtif qui va réfléchissant par places Quelques oliviers nains tordant leurs maigres bras. Le grand vol anguleux des éperviers rapaces Raye à l’ouest le ciel mat et rouge qui brunit, Et leur cri rauque grince à travers les espaces. Despotique, et dressant au-devant du zénith L’entassement brutal de ses tours octogones, L’Escurial étend son orgueil de granit. Les murs carrés, percés de vitraux monotones, Montent, droits, blancs et nus, sans autres ornements Que quelques grils sculptés qu’alternent des couronnes. Avec des bruits pareils aux rudes hurlements D’un ours que des bergers navrent de coups de pioches Et dont l’écho redit les râles alarmants, Torrent de cris roulant ses ondes sur les roches, Et puis s’évaporant en des murmures longs, 65 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Égrène un chapelet, qu’il baise par moment, Entre ses doigts crochus comme des brins de vigne. Ses lèvres font ce sourd et long marmottement, Dernier signe de vie et premier d’agonie, – Et son haleine pue épouvantablement. Dans sa barbe couleur d’amarante ternie, Parmi ses cheveux blancs où luisent des tons roux, Sous son linge bordé de dentelle jaunie, Avides, empressés, fourmillants, et jaloux De pomper tout le sang malsain du mourant fauve En bataillons serrés vont et viennent les poux. C’est le Roi, ce mourant qu’assiste un mire chauve, Le Roi Philippe Deux d’Espagne, – saluez ! Et l’aigle autrichien s’effare dans l’alcôve, Et de grands écussons, aux murailles cloués, Brillent, et maints drapeaux où l’oiseau noir s’étale Pendent deçà delà, vaguement remués !. . . 66 Poèmes saturniens de Paul Verlaine – La porte s’ouvre. Un flot de lumière brutale Jaillit soudain, déferle et bientôt s’établit Par l’ampleur de la chambre en nappe horizontale ; Porteurs de torches, roux, et que l’extase emplit, Entrent dix capucins qui restent en prière : Un d’entre eux se détache et marche droit au lit. Il est grand, jeune et maigre, et son pas est de pierre, Et les élancements farouches de la Foi Rayonnent à travers les cils de sa paupière ; Son pied ferme et pesant et lourd, comme la Loi, Sonne sur les tapis, régulier, emphatique : Les yeux baissés en terre, il marche droit au Roi. Et tous sur son trajet dans un geste extatique S’agenouillent, frappant trois fois du poing leur sein, Car il porte avec lui le sacré Viatique. Du lit s’écarte avec respect le matassin, Le médecin du corps, en pareille occurrence, Devant céder la place, Ame, à ton médecin. 67 Poèmes saturniens de Paul Verlaine La figure du Roi, qu’étire la souffrance, À l’approche du fray se rassérène un peu, Tant la religion est grosse d’espérance ! Le moine, cette fois, ouvrant son oeil de feu, Tout brillant de pardons mêlés à des reproches, S’arrête, messager des justices de Dieu. – Sinistrement dans l’air du soir tintent les cloches. * Et la Confession commence. Sur le flanc Se retournant, le Roi, d’un ton sourd, bas et grêle, Parle de feux, de juifs, de bûchers et de sang. – « Vous repentiriez-vous par hasard de ce zèle ? « Brûler des juifs, mais c’est une dilection ! « Vous fûtes, ce faisant, orthodoxe et fidèle. » – Et, se pétrifiant dans l’exaltation, Le Révérend, les bras croisés, tête dressée, Semble l’esprit sculpté de l’Inquisition. 70 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Pleins d’angoisses, fichaient leurs yeux sous la courtine, L’âme du Roi mourant montait aux cieux conquis, Puis le râle des morts hurla dans la poitrine De l’auguste malade avec des sursauts fous : Tel l’ouragan passe à travers une ruine. Et puis plus rien ; et puis, sortant par mille trous, Ainsi que des serpents frileux de leur repaire, Sur le corps froid les vers se mêlèrent aux poux. – Philippe Deux était à la droite du Père. 71 Poèmes saturniens de Paul Verlaine ÉPILOGUE I Le soleil, moins ardent, luit clair au ciel moins dense. Balancés par un vent automnal et berceur, Les rosiers du jardin s’inclinent en cadence. L’atmosphère ambiante a des baisers de soeur. La Nature a quitté pour cette fois son trône De splendeur, d’ironie et de sérénité : Clémente, elle descend, par l’ampleur de l’air jaune, Vers l’homme, son sujet pervers et révolté. Du pan de son manteau, que l’abîme constelle, Elle daigne essuyer les moiteurs de nos fronts, Et son âme éternelle et sa force immortelle Donnent calme et vigueur à nos coeurs mous et prompts. Le frais balancement des ramures chenues, L’horizon élargi plein de vagues chansons, Tout, jusqu’au vol joyeux des oiseaux et des nues, 72 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Tout, aujourd’hui, console et délivre. – Pensons. II Donc, c’en est fait. Ce livre est clos. Chères Idées Qui rayiez mon ciel gris de vos ailes de feu Dont le vent caressait mes tempes obsédées, Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu ! Et toi, Vers qui tintais, et toi, Rime sonore, Et vous, Rhythmes chanteurs, et vous, délicieux Ressouvenirs, et vous, Rêves, et vous encore, Images qu’évoquaient mes désirs anxieux, Il faut nous séparer. Jusqu’aux jours plus propices Où nous réunira l’Art, notre maître, adieu, Adieu, doux compagnons, adieu, charmants complices ! Vous pouvez revoler devers l’Infini bleu. Aussi bien, nous avons fourni notre carrière, Et le jeune étalon de notre bon plaisir, 75 Poèmes saturniens de Paul Verlaine Aux flancs fumants de peur d’un buffle, et d’un coup d’aile Emportant son trophée à travers les cieux d’or ! Ce qu’il nous faut à nous, c’est l’étude sans trêve, C’est l’effort inouï, le combat non pareil C’est la nuit, l’âpre nuit du travail, d’où se lève Lentement, lentement, l’Oeuvre, ainsi qu’un soleil ! Libre à nos Inspirés, coeurs qu’une oeillade enflamme, D’abandonner leur être aux vents comme un bouleau ; Pauvres gens ! l’Art n’est pas d’éparpiller son âme : Est-elle en marbre, ou non, la Vénus de Milo ? Nous donc, sculptons avec le ciseau des Pensées Le bloc vierge du Beau, Paros immaculé, Et faisons-en surgir sous nos mains empressées Quelque pure statue au péplos étoilé, Afin qu’un jour, frappant de rayons gris et roses Le chef-d’oeuvre serein, comme un nouveau Memnon, 76 Poèmes saturniens de Paul Verlaine L’Aube-Postérité, fille des Temps moroses, Fasse dans l’air futur retentir notre nom !
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