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POÉTIQUE DE L’ANTHROPONYMIE DANS BOULE DE SUIF DE MAUPASSANT , Lectures de Littérature

Typologie: Lectures

2021/2022

Téléchargé le 25/02/2022

Angele94
Angele94 🇫🇷

4.1

(56)

102 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge POÉTIQUE DE L’ANTHROPONYMIE DANS BOULE DE SUIF DE MAUPASSANT et plus Lectures au format PDF de Littérature sur Docsity uniquement! 469 POÉTIQUE DE L’ANTHROPONYMIE DANS BOULE DE SUIF DE MAUPASSANT Vladimir FLOREA, IUFM de Versailles Résumé Il s’agit d’une lecture orientée de Boule de suif qui parcourt le texte à travers l’usage du nom propre : synonymie, métaphore, et métonymie (ou leur équivalent, puisqu’il s’agit d’un domaine resté vierge de ce point de vue) y sont employées d’une manière inattendue et biaisée mais toujours en lien avec l’entreprise signifiante. I. Préambule Je me propose, dans les pages qui suivent, d’illustrer / justifier le jugement porté par Flaubert à propos de Boule de suif : un chef-d’œuvre de composition. Je reconnais, évidemment, que je ne prends pas beaucoup de risques à prédire le passé : Flaubert ne s’est pas trompé, et des milliers de lecteurs, français ou autres, ont confirmé son jugement. Je vais donc dans un premier temps prendre la précaution de définir le terme composition, me contentant d’un vague « art, manière de disposer les parties d’un ensemble ». Cet art, on peut le considérer avec l’œil d’un Louis XIV contemplant les jardins de Versailles : des allées partent, se croisent sous des angles divers, le tout dans une (presque) parfaite symétrie. Mais Maupassant n’écrit pas au XVIIe siècle ! La peinture du monde qu’il nous propose sera gauchie, décalée – lorsque le lecteur y trouve une symétrie, ce sera au bout d’un travail de recherche qui l’amènera à accepter qu’il y ait des zones de flou, d’à peu près. S’il y a une symétrie, elle peut être bancale, tordue, comme sont tordues les verticales des murs de l’église d’Auvers-sur- Oise chez Van Gogh. Dans la composition de Boule de suif, on trouve donc des événements, des lieux, des personnages. Je vais considérer que le lecteur est déjà au courant des événements, qui seront, de toute façon évoqués, ne serait-ce que par ricochet, à propos des deux autres éléments de la composition. 470 II. Les lieux Les lieux sont inscrits dans la réalité : - géographique : on a vite fait de repérer Rouen, Darnétal, Boisguillaume... sur une carte ; - historique : avec le but et les motivations fournis par le texte, le cheminement des personnages s’inscrit dans la vraisemblance, et correspond à ce que nous savons des manœuvres et déplacements de la guerre. Un peu à part, il y a une réalité de l’histoire littéraire : le choix de Rouen puis de Tôtes est un hommage du jeune Maupassant au Vieux ( Flaubert1). On peut donc considérer que les noms de lieu sont, pour Maupassant, une donnée extérieure obligée (donc sans intérêt pour l’analyse) dès qu’il a fait le choix de Rouen. Restons cependant un moment à Tôtes et à son Hôtel du Commerce. Les notes de Louis Forestier dans son exceptionnelle édition en Pléiade nous apprennent qu’il s’agit en réalité de l’Hôtel du Cygne, qui existe encore. On peut donc dire que, pour éviter une reconnaissance aisée et qui deviendrait vite indiscrète, l’auteur a choisi de changer de nom, et garantir ainsi aux propriétaires une certaine quiétude. Il faut pourtant reconnaître que : - le texte est publié dix ans après les faits racontés (1870-1880) ; - les moyens de transport de l’époque n’ont pas grand-chose à voir avec les nôtres, ce qui fait que la curiosité ne suffit pas (il suffit de relire le récit de la partie Rouen – Tôtes du trajet). Le nom choisi, juste, est un nom très commun : on compte par milliers les hôtels de la gare, du cheval blanc, du commerce ! Et pourtant, il y a un petit quelque chose sous le très commun... Du commerce, c’est bien ce qu’il y a eu, cette nuit-là, à Tôtes : neuf voyageurs ont troqué leur liberté contre une nuit d’amour... non, pas vraiment, contre un rapport sexuel à sens unique. La nuit d’amour, c’est ce qu’on désigne par l’expression légèrement vieillotte de commerce amoureux, qui suppose les regards, les égards, les paroles, les caresses. Des regards, il y en a eu quatre, dont seulement deux matérialisés textuellement: - examina longuement tout ce monde, comparant les personnes aux renseignements écrits (p. 99) ; - un autre regard existe, doit exister, mais n’a pas de réalité textuelle affectée, il est occulté, - c’est ce qu’on appelle ellipse dans la petite grammaire du narratologue (p. 100) ; - Il s’inclina en passant près des dames [...] Boule de suif était devenue rouge jusqu’aux oreilles ; et les trois femmes mariées ressentaient une grande humiliation d’être ainsi rencontrées par ce soldat dans la compagnie de cette fille qu’il avait si cavalièrement traitée (p. 109) ; - autre ellipse, couvrant « le passage à l’acte », raconté sans être raconté, grâce au procédé commun/ virtuose de délégation de parole à un personnage (Loiseau) qui ponctue, par ses allusions indélicates, les étapes de la possession (p. 116-118). 473 accepté de donner ses vêtements à Napoléon III6, emprisonné, lequel a donc pu s’évader se faisant passer pour l’ouvrier. Le signifiant Badinguet renvoie au signifié Napoléon III au lieu que ce soit au signifié Badinguet. On est donc dans le domaine de la métaphore, qui n’est compréhensible et interprétable que grâce au contexte (pris au sens large co-texte + con-texte). L’émetteur Cornudet est d’ailleurs parfaitement compris par le récepteur collectif de la diligence. Un nom propre a donc été employé de manière impropre, décalée, conformément à une poétique dont je suis en train de dresser quelques traits. III. 2. c. Viennent ensuite quelques noms employés de manière univoque dans le dialogue destiné à convaincre Boule de suif que son devoir est d’aller avec l’officier, comme Judith le fit avec Holopherne, Lucrèce (bien malgré elle) avec Sextus, Cléopâtre avec nombre de généraux romains, les femmes romaines avec l’armée d’Annibal. On peut penser que l’épisode de Judith peut être connu de Boule de suif (on apprend, p. 100, que malgré sa profession, elle fréquente l’église), on ne peut qu’être sceptique pour les autres. Peu après, l’une des deux religieuses parle du sacrifice d’Abraham, exemple sublime. Justement, Boule de suif revient d’un baptême, et a pensé à son fils en nourrice à Yvetot (autre lieu flaubertien). Or, ce qu’on lui demande à elle, - ce n’est pas de sacrifier son propre fils ; - ce n’est pas de tuer l’Holopherne prussien ; - ce n’est pas de s’offrir, telle Cléopâtre, à de multiples partenaires ; - c’est, tout simplement, de faire avec un officier (allemand) ce qu’elle a fait tant de fois avec tant de monde, en échange de la liberté de tous. Extraordinaire rhétorique ! Elle cèdera. III. 3. Il est temps de passer maintenant aux personnages « réels » de l’histoire : les dix voyageurs, le couple d’aubergistes, l’officier prussien, et deux personnages évoqués, M. Tournel et Mme d’Etrelles. III. 3. a. Un premier étonnement : l’officier prussien, parlant et agissant, ne reçoit pas de nom propre7. Cette absence de nom n’est pas exceptionnelle dans l’œuvre de Maupassant. Elle reste cependant remarquable si l’on songe à la débauche onomastique qui l’entoure dans Boule de suif et au poids du personnage dans l’action. 474 III. 3. b. Le couple d’aubergistes résume la diversité du monde des voyageurs : l’argent, la raison, la doxa pour M. Follenvie, la passion, la sincérité, le courage patriotique pour Mme Follenvie. Dans le couple, et c’est valable pour les trois autres (Bréville, Carré-Lamadon, Loiseau), l’épouse n’est connue que par l’appellation Mme X, sa personnalité particulière s’efface derrière la « raison sociale »8. M. Follenvie est l’interlocuteur attitré de l’officier : M. Follenvie seul était autorisé à lui parler pour les affaires civiles (p. 104). C’est bien M. Follenvie qui fera à Boule de suif les « invitations » à s’entretenir avec l’officier. Sommes-nous en présence, avec ce nom peu habituel, du procédé appelé annomination (tout ce qui nous fait dire « comme son nom l’indique ») ? Peut- on détecter, chez M. Follenvie, une envie ? Oui, de gagner aux cartes, de guérir de son asthme, de ne pas contrarier l’officier allemand. L’aubergiste, porte-parole de l’officier, est aussi son porte- envie. S’il y a envie folle c’est l’envie qu’a eue l’officier de posséder Boule de suif ; si le coup de foudre est noble, la folle envie est son équivalent avili. L’envie qu’éprouve l’officier se transmet, par contact, à l’aubergiste : c’est le mécanisme bien connu de la métonymie. III. 3. c. Restons dans les couples mais prenons l’ascenseur social : voici le comte Hubert de Bréville et Madame. Il est de Bréville comme on est de Valois, de Savoie ou de Nemours9. On sait de lui qu’il cultive une certaine ressemblance avec Henri IV pour rappeler que le roi avait rendu grosse une dame de Bréville dont le mari, pour ce fait, était devenu comte et gouverneur de province. La comtesse, fille d’armateur, a peut-être augmenté la fortune de son époux. Elle passe pour avoir été aimée de l’un des fils de Louis-Philippe : décidément, dans cette famille, la bâtardise et l’adultère sont un mode de vie. Ils seront, naturellement, du complot ! Leurs voisins dans le carrosse et dans le monde, les Carré-Lamadon. Les notes de Louis Forestier nous apprennent que le personnage du mari a un correspondant facilement reconnaissable par les Rouennais de l’époque, Pouyer-Quertier. On remarque que, dans les deux cas, il d’agit d’un nom composé, ce qui lui confère une certaine allure un peu moins roturière10. On apprend que Mme Carré-Lamadon est beaucoup plus jeune que son époux, jolie, et consolation des jeunes officiers en garnison à Rouen ; l’amour tient une grande place dans sa vie, ce que dit Lamadon (l’amadon). Quant à Carré, il s’agirait encore d’amour : - Le comte parut s’apercevoir que Mme Carré-Lamadon était charmante, le manufacturier [M. Carré-Lamadon] fit des compliments à la comtesse. (p. 115) – il y a un chassé-croisé de compliments dans les deux couples ; - Ces dames s’amusaient comme des folles. Le comte et M. Carré-Lamadon pleuraient à force de rire. (p. 117) – on est dans l’atmosphère particulière de détente créée par le oui de Boule de suif et 475 par tout ce que peut dégager l’action qui se passe dans le deuxième lieu de l’auberge, juste au- dessus des têtes des dîneurs... - « Si nous en faisions autant » dit la comtesse. On y consentit et elle déballa les provisions préparés pour les deux ménages. (p. 119) Serait-ce qu’on fait table commune, après avoir fait lit commun11 ? III. 3. e. Le dernier couple régulier est constitué par M. et Mme Loiseau. Ils font commerce de vin et habitent rue Grand-Pont, toute proche de la rue Jeanne d’Arc. Elle est grande, forte, revêche, facilement vulgaire. Lui petit, gros, jovial, amateur et faiseur de blagues. S’il quitte Rouen, c’est tout simplement pour aller toucher au Havre l’argent que lui doit l’armée française ; au retour, il serait capable de commercer avec les Allemands12 ! En tout cas, sur la route, il n’oublie pas son négoce : - Loiseau alla placer du vin aux habitants du pays (p. 105) ; - il vend six tonneaux de vin à M. Follenvie : il lui acheta six feuillettes de bordeaux pour le printemps (p. 102). Loiseau est un oiseau de nuit au regard perçant – il voit Cornudet faire des avances à Boule de suif : On ne distinguait plus rien dans la voiture ; mais tout à coup un mouvement se fit entre Boule de suif et Cornudet ; et Loiseau, dont l’œil fouillait l’ombre, crut voir l’homme à la grande barbe s’écarter vivement comme s’il eût reçu un bon coup lancé sans bruit. (p. 97-98) Mais une porte, à côté, s’entrouvrit et, quand elle revint au bout de quelques minutes, Cornudet, en bretelles, la suivait. Ils parlaient bas, puis ils s’arrêtèrent. Boule de suif semblait défendre l’entrée de sa chambre avec énergie. (p.102). S’il a le regard nocturne d’une chouette, il est curieux comme une pie, et voleur comme elle, justifiant le jeu de mot d’un personnage évoqué, M. Tournel : Loiseau vole, créé sur pigeon vole (p. 89). Homme d’instincts, la vue de Boule de suif refusant Cornudet dans le couloir provoque en lui des émois : Loiseau, très allumé, quitta la serrure, battit un entrechat dans sa chambre, mit son madras, souleva le drap dans lequel gisait la dure carcasse de sa compagne qu’il réveilla d’un baiser en murmurant : « M’aimes-tu, chérie ? » (p. 103). Rideau pudique... Homme d’instincts, il est celui qui formule à voix haute la faim dans les deux repas du carrosse : 478 Le surnom est, à l’évidence, bien choisi, transparent, qui travaille sur les sèmes rotondité + lipidité. Il a un fort pouvoir identifiant qui satisfait le lecteur, d’autant que le narrateur l’emploie avec constance 13 fois dans les 8 pages qui couvrent le voyage jusqu’à Tôtes. Oui, Boule de suif convient parfaitement. La prostituée a réussi à devenir presque une dame : - elle est la seule à avoir résisté à l’occupant ; - elle partage son déjeuner avec les autres voyageurs ; - elle se conduit sobrement, a de la conversation... - elle a des idées politiques « très comme il faut ». Elle mène donc une vie normale, refuse, par exemple, les avances de Cornudet dans la voiture. De la prostituée, elle n’a gardé que le surnom, le nom de guerre, le nom de trottoir. Ce nom, qui rappelle constamment son métier, elle va même pouvoir le quitter, puisque son vrai nom, Elisabeth Rousset, apparaît. Elle peut redevenir une femme respectable, désignée par un nom et un prénom, comme tout un chacun. Voire ! Avec un sens des symétries décalées et inversées qui fait qu’on est effectivement en présence d’un chef-d’œuvre de composition, le texte emploie le nom, le nom propre Elisabeth Rousset14, pour faire appel à elle en tant que prostituée. Ce nom, proféré tout haut devant les autres voyageurs dans la salle de l’auberge, fait l’effet d’un soufflet : Boule de suif tressaillit. (p. 99). A chaque fois qu’elle entend son nom, elle a une réaction émotive forte : - elle se troubla (p. 99) ; - Boule de suif resta debout toute pâle ; puis, devenant subitement cramoisie, elle eut un tel étouffement de colère qu’elle ne pouvait plus parler (p. 107); - Boule de suif répondit sèchement (p. 113); Ce trouble se comprend aisément : elle accepte d’être Boule de suif, ce nom lui permet de ne pas déshonorer celui que lui ont laissé ses parents. Or, lorsque Mademoiselle Elisabeth Rousset est appelée dans la couche de l’officier pour satisfaire son envie folle, on enlève en réalité à la pauvre fille ce qui lui restait de dignité ! On lui a pris sa nourriture, on lui prend son corps, et on va même lui prendre son nom. Oui, c’est son nom « propre » qui est sali lorsque Mlle Elisabeth Rousset et non Boule de suif est possédée par l’envahisseur. A première vue, Elisabeth Rousset est un nom quelconque ; et il l’est réellement dans la vie réelle. En est-il de même dans l’univers que constitue Boule de suif ? Dans Rousset, on reconnaît sans peine la racine roux, rousse. Et alors, dira-t-on ? Il se trouve que le roux n’est pas une couleur quelconque, elle est, de longue date, attachée au vice et à la trahison15. La lanterne rouge signale au passant que la maison qui la porte n’est pas une maison ordinaire, qu’on y fait commerce d’amour. Le principe est appliqué également aux personnes : en 479 1254, une ordonnance du roi Saint-Louis fait obligation aux prostituées de se teindre les cheveux en roux, pour bien montrer au loin quel est leur métier16. Même lorsque l’obligation légale s’est éteinte, des femmes ont pu trouver commode de faire ainsi leur publicité (racolage passif ?). Un rapide coup d’œil sur les toiles de Toulouse-Lautrec nous fournit la même information : le roux est la couleur emblématique de l’amour vénal. Il s’ensuit que le patronyme Rousset est une prédestination ironique pour la petite Elisabeth à embrasser ce métier et pas un autre ! Le prénom Elisabeth, quant à lui, va dans le sens exactement opposé : on connaît sainte Elisabeth de Hongrie17, qui, entre autres actions remarquables, a nourri des populations affamées – toute ressemblance avec une certaine Elisabeth Rousset qui a partagé son repas avec les voyageurs taraudés par le violent besoin de manger serait pure coïncidence. Le calendrier de l’église catholique cite également une sainte Elisabeth la Bonne, qui demeurait de longues périodes sans prendre de nourriture autre que l’Eucharistie – toute ressemblance avec une certaine Elisabeth Rousset qui est privée de nourriture18 pendant la seconde partie du voyage serait encore une pure coïncidence ?... Exprimant une chose et son contraire (sainteté + vice), le nom complet Elisabeth Rousset est donc bâti sur le modèle pictural du clair-obscur, ou, en littérature, de l’alliance de mots19. Faisant mentir Maupassant qui affirme puiser les noms de ses personnages tout simplement et au hasard dans un annuaire, j’ai essayé de montrer combien les créations onomastiques à la fois se nourrissent du texte tout en l’irriguant ; tout fait sens, et le lecteur jubile de voir le nom propre, le nom impropre et le nom sale au travail. 1 Rouen, Tôtes sont des lieux où se passe Madame Bovary ; Yvetot, autre lieu du même roman est également nommé, ainsi que Croisset, résidence du Vieux. 2 Et superposés : les chambres se trouvent au-dessus de la vaste cuisine – salle à manger, ce qui permet commodément pour la composition des actions parallèles (cf. le terme ellipse ci-dessus). 3 Enfin, pas exactement ! Tout comme les Anglais n’ont fait que téléguider le procès de Jeanne conduit par des Français, l’officier prussien n’accepte pas l’offre « courageuse » des voyageurs : leur rendre la liberté de mouvements et garder Boule de suif jusqu’à ce qu’elle lui cède (p. 110). 4 Quelques années plus tard, Maupassant reprend le thème de la prostitution patriote : dans Le Lit 29, Irma Pavolin habite rue Jeanne d’Arc. 5 Maupassant n’innove pas – le XIXème avait même ajouté un troisième terme à l’opposition : Buonaparte, qui isole dédaigneusement la famille dans son insularité. 6 Enfin, Louis-Napoléon qui n’est pas encore Napoléon III. 480 7 Le Prussien, l’officier, l’officier prussien, l’Allemand, avec des variantes modalisées dans la bouche des voyageurs : la canaille, ce soldat insolent, cette crapule, ce saligaud, cette charogne de Prussien ! gueux de Prussien ! 8 Bien entendu, il ne s’agit nullement de misogynie chez Maupassant, comme on l’a dit trop facilement, mais précisément d’un procédé de composition. 9 Il y a deux localités Bréville en Normandie. 10 Le Lit 29, déjà cité, met en scène une autre image du même personnage réel : ce sera encore un nom composé, Templier-Papon, construit sur les mêmes rimes. Profitons d’avoir quitté le champ étroit de Boule de suif pour évoquer une autre piste : Le Mariage du Lieutenant Laré, premier texte de Maupassant portant sur la guerre, compte la figure paternelle du Général Carrel. Or Carré-L(amadon) est l’expansion de Carrel 11 Pour les sceptiques : et toute la nuit, dans l’obscurité du corridor coururent comme des frémissements, des bruits légers, à peine sensibles, pareils à des souffles, des effleurements de pieds nus, d’imperceptibles craquements. (p. 117) Qui peut-ce être ? Cornudet est hors course, Mme Loiseau tient fermement son mari... Il ne reste que les deux couples ! 12 C’est lui qui se montre le plus poli envers l’officier, à plusieurs reprises. 13 C’est, rappelons-le, la jolie maladie littéraire des jeunes femmes au XIXe. Maupassant entretiendra une correspondance très intéressante avec une jeune et jolie malade, Marie Bashkirtseff. 14 Dans la bouche de l’aubergiste Follenvie, qui parle au nom de l’officier prussien. C’est donc, avec Napoléon déjà traité, le deuxième personnage pourvu de double nomination, mais avec des effets de sens beaucoup plus riches. 15 Dans Tristan et Yseut, Aguiguerran le Roux est le faux héros qui vole à Tristan sa victoire. Dans les contes roumains, le frère roux se conduit comme Aguiguerran, mais en ajoutant le fratricide à la trahison. On dira que les exemples cités concernent des hommes et des traîtres, ce que n’est pas Boule de suif. Oui, mais l’inversion, le retournement font partie de la technique maupassantienne. Passons donc à un autre cas, Judith, qui réunit les sèmes femme + sexe + trahison : ses représentations picturales les plus connues la donnent comme une belle rousse ! Le personnage de Judith est d’ailleurs présent dans notre nouvelle, c’est l’un des exemples de dévouement féminin à une grande cause destinés à ébranler la follenviée. Signalons aussi au passage que, dans les jeux de cartes, Judith est le nom qu’on donne à.. la dame de cœur, et que, dans le texte qui nous occupe, on mange certes beaucoup, mais on joue aussi aux cartes, par trois fois. 16 C’est, pour la vue, ce qu’est la crécelle du lépreux pour l’ouïe. 17 Maupassant a passé une partie de sa scolarité dans un établissement religieux. 18 La question de la nourriture dans Boule de suif mériterait une recherche à part ; contentons-nous de rappeler le partage et la distribution eucharistique du début, le complot d’allure culinaire du milieu qui aboutit au sacrifice. 19 L’alliance de mots ou oxymore revient souvent ; je cite rapidement : une lueur sale (p. 88), la triste clarté de cette aurore (p. 89), une inintelligence heureuse et une secourable bêtise (p. 113), ces gredins honnêtes (p. 119) Bibliographie a. pour l’accès au texte, on retrouvera Boule de suif dans l’excellente édition procurée par L. Forestier ; des notes très riches, des variantes, des commentaires... Une mine inépuisable ! - Maupassant Contes et Nouvelles,2 vol.,Gallimard 1989, collection La Pléiade b. pour la question des noms
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