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Régime général et preuve des obligations, Examens de Arts

L'article 1188 du Code civil ne précise pas les effets de la déchéance du terme sur les codébiteurs. En présence d'une obligation solidaire, l'article 1208 ...

Typologie: Examens

2021/2022

Téléchargé le 03/08/2022

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Télécharge Régime général et preuve des obligations et plus Examens au format PDF de Arts sur Docsity uniquement! 1 Régime général et preuve des obligations Analyses du projet de réforme et contrepropositions Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique Université Paris Ouest Nanterre La Défense Manuella Bourassin, Professeur, Directrice du CEDCACE Camille Bourdaire-Mignot, Maître de conférences Vincent Brémond, Professeur Anne Danis-Fatôme, Maître de conférences - HDR Lauren Leblond, Maître de conférences Delphine Martin, Maître de conférences Sébastien Raimond, Maître de conférences Louis Thibierge, Maître de conférences 2 Le Centre de droit civil des affaires et du contentieux économique (EA 3457) a organisé en 2013 dix conférences sur l'impact des réformes du droit civil sur la vie des affaires, dont les actes ont été publiés en 2014 (Réformes du droit civil et vie des affaires, dir. M. Bourassin et J. Revel, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires). Plusieurs membres du CEDCACE livrent aujourd'hui leurs réflexions sur le projet de réforme du régime général et de la preuve des obligations. SOMMAIRE  p. 3 à 5 : Synthèse des points forts et des points faibles du projet de réforme  p. 6 à 11 : Synthèse des contrepropositions du CEDCACE  p. 12 à 16 : M. Bourassin, La déchéance du terme (articles 1305-4 et 1305-5)  p. 17 et 18 : L. Leblond et D. Martin, L'obligation alternative (article 1307-1)  p. 19 à 24 : V. Brémond, L'obligation solidaire (articles 1309 à 1318)  p. 25 à 27 : L. Thibierge, L'impossibilité d'exécuter (articles 1328 et 1328-1)  p. 28 à 31 : S. Raimond, La cession de créance (articles 1332 à 1337)  p. 32 à 34 : L. Thibierge, La cession de dette (articles 1338 à 1339-1)  p. 35 à 40 : A. Danis-Fatôme, La délégation (article 1348)  p. 41 à 50 : M. Bourassin, Les exceptions (articles 1314, 1324-4, 1325-6, 1325-7, 1329- 1, 1329-2, 1330, 1330-1, 1335, 1339, 1339-1, 1340, 1346, 1347, 1348, 1350)  p. 51 à 56 : C. Bourdaire-Mignot, La preuve des obligations (articles 1320-8, 1354 à 1363) 5 Au regard de l'exigence de sécurité économique Place insuffisante de la liberté contractuelle  déchéance du terme (art. 1305-4 et 1305-5) : silence du projet sur les clauses de déchéance et sur les clauses rendant celle-ci opposable aux codébiteurs ou garants ;  cession de créance : silence du projet sur la renonciation du débiteur à l'opposabilité des exceptions (art. 1335) ;  novation : silence du projet sur l'accord des cautions au maintien de leur engagement (art. 1347) Insécurité vis-à-vis des créanciers  traitement insatisfaisant des garanties et sûretés : insuffisante prise en compte des garanties (les "sûretés" sont seules visées en matière de déchéance du terme ; les garants personnels autres que les cautions ne sont pas envisagés, particulièrement dans le régime des exceptions) ; en matière de déchéance du terme (art. 1305-4), les sûretés légales et judiciaires ne sont pas prises en compte ; le régime de la solidarité passive adjointe n'est pas précisé (art. 1317) ; la cession de créance à titre de garantie n'est pas consacrée expressément (art. 1332) ; le principe de libération des garants en cas de cession de dette véritablement translative est discutable (art. 1339-1)  cession de créance fragilisée par l'exigence d'un écrit à peine de nullité (art. 1333) et par l'opposabilité immédiate aux tiers autres que le débiteur cédé (art.1334) ;  cession de dette (art. 1338 à 1339-1) : caractère occulte de la cession sans libération du cédant ; difficultés de recouvrement à l'encontre du nouveau débiteur Protection insuffisante des intérêts des débiteurs  déchéance du terme (art. 1305-4) : la déloyauté du débiteur n'est pas assez circonscrite ;  obligation alternative (art. 1307-1) : encadrement insuffisant de la faculté ouverte au créancier de se substituer au débiteur défaillant ;  délégation : l'article 1348 n'exige pas un consentement exprès du délégué, non plus qu'un engagement dans les termes de la délégation. 6 CONTREPROPOSITIONS DU CENTRE DE DROIT CIVIL DES AFFAIRES ET DU CONTENTIEUX ECONOMIQUE Article 1218 Projet d'ordonnance Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. Si l’inexécution n’est pas irrémédiable, le contrat peut être suspendu. Si l'inexécution est irrémédiable, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1328 et 1328-1. Proposition alternative Il y a force majeure lorsqu’un événement non prévu par le contrat, échappant au contrôle du débiteur et ne pouvant être surmonté par des mesures appropriées, empêche l’exécution de l’obligation. Si l’impossibilité est temporaire, l’exigibilité de l’obligation concernée est suspendue de plein droit. Si l’impossibilité est définitive, le débiteur est de plein droit libéré de l’obligation concernée. Dans un rapport synallagmatique, le créancier est libéré de plein droit de la contrepartie de l’obligation concernée. Art. 1305-4 Projet d'ordonnance Le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s’il ne fournit pas les sûretés promises au créancier ou s’il diminue par son fait celles qu’il lui a données. Proposition alternative Le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s’il ne fournit pas, soit les garanties initialement promises au créancier, soit les garanties demandées en remplacement ou en complément de celles diminuées ou perdues après l'octroi du terme. Art. 1305-5 Projet d'ordonnance La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses codébiteurs, même solidaires. Proposition alternative La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses codébiteurs et garants, même solidaires, sauf clause contraire. Art. 1307-1 Projet d'ordonnance Le choix entre les prestations appartient au débiteur, sauf disposition légale ou clause contraire. Si le choix n’est pas exercé en temps voulu ou dans un délai raisonnable, l’autre partie peut, après mise en demeure, exercer ce choix ou résoudre le contrat. Le choix exercé est définitif et fait perdre à l’obligation son caractère alternatif. Proposition alternative Le choix entre les prestations appartient au débiteur, sauf disposition légale ou clause contraire. Si le choix n’est pas exercé au terme prévu par les parties ou, à défaut, dans un délai raisonnable, l’autre partie de bonne foi peut, après mise en demeure, exercer ce choix ou résoudre le contrat. Le choix exercé est définitif et fait perdre à l’obligation son caractère alternatif. Article 1314 Projet d'ordonnance Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, mais il peut se prévaloir de l’extinction de la part divise d’un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette. 7 Proposition alternative Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs, tels que la nullité et l'extinction de l'obligation, et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, comme les modalités de l'obligation, du paiement ou des poursuites, mais il peut se prévaloir de l’extinction de la part divise d’un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette, notamment en cas de cession de dette. Article 1315 Projet d'ordonnance Le créancier qui consent une remise de solidarité à l’un des codébiteurs solidaires conserve sa créance contre les autres, déduction faite de la part du débiteur qu’il a déchargé. Proposition alternative Le créancier qui reçoit paiement de l’un des codébiteurs solidaires et lui consent une remise de solidarité conserve sa créance contre les autres, déduction faite de la part du débiteur qu’il a déchargé. Article 1325-7 Projet d'ordonnance Le codébiteur solidaire et la caution peuvent opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et leur coobligé. Proposition alternative Le codébiteur solidaire peut opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et un coobligé. La caution peut opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et le débiteur principal. La compensation intervenue entre le créancier et l'une des cautions ne libère pas le débiteur principal. Elle libère les autres cautions solidaires à concurrence de la part contributive de celle dont l’obligation a été éteinte par compensation. Article 1328 Projet d'ordonnance L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est irrémédiable, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été mis en demeure. Proposition alternative : il est proposé de supprimer l’article 1328, rendu inutile par la réécriture de l'article 1218 (v. supra). Article 1328-1 Projet d'ordonnance Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. Proposition alternative Article 1328 : Lorsque l’obligation a pour objet un corps certain, sa perte fortuite entraîne libération du débiteur. Article 1329-2 Projet d'ordonnance La remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions. La remise consentie à l’une des cautions solidaires libère les autres à concurrence de sa part. Ce que le créancier a reçu d’une caution pour la décharge de son cautionnement doit être imputé sur la dette et tourner à la décharge du débiteur principal. Les autres cautions ne restent tenues que déduction faite de la part de la caution libérée ou de la valeur fournie si elle excède cette part. 10 Article 1347 Projet d'ordonnance La novation convenue entre le créancier et l’un des codébiteurs solidaires libère les autres. La novation convenue à l'égard du débiteur principal libère les cautions. La novation convenue entre le créancier et une caution ne libère pas le débiteur principal. Elle libère les autres cautions à concurrence de la part contributive de celle dont l’obligation a fait l’objet de la novation. Proposition alternative La novation convenue entre le créancier et l’un des codébiteurs solidaires libère les autres, sauf convention contraire. La novation convenue entre le créancier et le débiteur principal libère les cautions, sauf convention contraire. La novation convenue entre le créancier et une caution ne libère pas le débiteur principal. Sauf convention contraire, elle libère les autres cautions à concurrence de la part contributive de celle dont l’obligation a fait l’objet de la novation. Art. 1348 al. 1 er Projet d'ordonnance La délégation est un contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. Propositions alternatives La délégation est le contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige expressément dans les termes de la délégation envers une troisième, le délégataire qui l’accepte comme débiteur. OU La délégation est un contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. L’engagement du délégué doit résulter clairement de l’acte. Art. 1348, al. 2 Projet d'ordonnance Le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. Proposition alternative Le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire. Il peut seulement, le cas échéant, opposer au délégataire les exceptions inhérentes à la dette. Art. 1355 Projet d'ordonnance La présomption légale qu’une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits dispense de preuve celui au profit duquel elle existe. La présomption simple peut être renversée par tout moyen de preuve ; la présomption mixte, par le seul moyen particulier permis par la loi, ou sur le seul objet visé par elle ; la présomption irréfragable, par l’aveu judiciaire ou le serment décisoire. Proposition alternative La présomption légale, conséquence que la loi tire d’un fait connu à un fait inconnu, en tenant celui-ci pour certain sur le fondement du fait qui le rend vraisemblable, dispense de preuve celui au profit duquel elle existe. Elle est dite simple, notamment lorsque la loi réserve la preuve contraire, et peut alors être renversée par tout moyen de preuve ; elle est dite mixte, lorsque la loi limite les moyens par lesquels elle peut être renversée ou l’objet sur lequel elle peut être renversée ; elle est dite irréfragable lorsqu’elle ne peut être renversée que par l’aveu judiciaire ou le serment décisoire. 11 Article 1356 Projet d'ordonnance L’autorité de la chose jugée n’a lieu qu’à l’égard de ce qui fait l’objet du jugement. Il faut que la chose demandée soit la même ; que la demande soit fondée sur la même cause ; que la demande soit entre les mêmes parties, et formée par elles contre elles en la même qualité. Proposition alternative : il est suggéré de supprimer purement et simplement cet article 1356 du projet et d'insérer la disposition dans le code de procédure civile. Article 1359 Projet d'ordonnance La preuve des faits est libre. Elle peut être apportée par tous moyens. Proposition alternative Hors les cas où la loi en dispose autrement, la preuve peut être apportée par tout moyen. 12 LA DECHEANCE DU TERME (Projet, art. 1305-4 et 1305-5) Manuella Bourassin, Professeur, Directrice du CEDCACE Opportunément, le projet d'ordonnance étend les causes de déchéance du terme suspensif liée à la perte de sûretés et limite les effets de cette déchéance en la rendant inopposable aux codébiteurs. La réforme mériterait toutefois d'être approfondie pour une meilleure prise en compte des intérêts respectifs du débiteur et du créancier, ainsi que des spécificités des garanties. Projet d'ordonnance « Art. 1305-4. – Le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s’il ne fournit pas les sûretés promises au créancier ou s’il diminue par son fait celles qu’il lui a données. « Art. 1305-5. – La déchéance du terme encourue par un débiteur est inopposable à ses codébiteurs, même solidaires. I- Analyse  Extension des causes de déchéance du terme Selon l'article 1188 du Code civil, "le débiteur ne peut plus réclamer le bénéfice du terme lorsque par son fait il a diminué les sûretés qu'il avait données par le contrat à son créancier". Le projet d'ordonnance apporte à cette disposition deux modifications et écarte implicitement une troisième extension des causes de déchéance du terme. D'une part, l'article 1305-4 du projet conserve l'hypothèse de diminution, par le fait du débiteur, des sûretés qu’il a données au créancier, mais sans préciser "par le contrat" ou "dans le contrat" (interprétation stricte de l'article 1188 ayant conduit la Cour de cassation 1 à refuser de tenir compte d'une garantie convenue entre les parties, mais non mentionnée dans le contrat de prêt). A l'avenir, la déchéance du terme pourrait ainsi résulter d'atteintes portées par le débiteur à des sûretés constituées postérieurement à l'octroi du terme et non stipulées dans le contrat initial. D'autre part, l'article 1305-4 du projet consacre une seconde hypothèse de déchéance du terme en visant le débiteur qui "ne fournit pas les sûretés promises au créancier". Le projet se situe ici dans la continuité du droit positif 2 , ainsi que de précédentes propositions de réforme 3 . Ces nouvelles causes de déchéance du terme sont tout à fait justifiées. Effectivement, en cas de diminution des sûretés, quels que soient leur instrumentum et leur date de naissance, aussi bien qu'en l'absence de constitution des sûretés promises, le débiteur ne respecte pas les devoirs les plus élémentaires - tenir la parole donnée et se montrer loyal - qui accompagnent la naissance même des obligations et précédent leur exigibilité ; la déchéance du terme permet de sanctionner ce débiteur. Dans les deux cas également, se trouvent déjouées la confiance et les attentes du créancier ayant accordé un délai d'exécution rebus sic stantibus, c'est-à-dire sous la condition implicite de l'existence et du maintien des sûretés qui la confortent ; l'exigibilité anticipée permet de protéger ce créancier. Il importe de souligner qu'en droit commun, la protection du créancier ne peut être dissociée de la sanction du débiteur. En effet, sur le fondement de l'article 1188 du Code civil, la déchéance du terme ne peut résulter que d'un acte volontaire du débiteur - la perte de sûretés "par son fait" - et non plus, depuis la loi du 25 janvier 1985, de sa "faillite" (à laquelle la jurisprudence assimilait la déconfiture civile), qu'il n'a pas nécessairement provoquée. Pour que l'insolvabilité du débiteur entraîne la déchéance du terme, un texte spécial est désormais nécessaire 4 . Le projet d'ordonnance 1 Civ. 1re, 9 mai 1994, Bull. civ. I, n° 171. 2 Sur le fondement de l'article 1188 du Code civil, v. Req. 2 mai 1900, S. 1901, 1, p. 14 ; Req. 23 juin 1919, S. 1920, 1, p. 134. Pour des cas particuliers de déchéance du terme reposant sur l'absence de constitution d'une sûreté, v. C. civ., art. 1912 et 1977 en matière de rente viagère ; CGI, annexe 3, art. 403, sur le crédit de paiement de droits d'enregistrement. 3 Projet Catala, art. 1187-2 ; Projet Terré, art. 34. 4 Il en existe en matière de rente perpétuelle (C. civ., art. 1913), de lettre de change (C. com., art. L. 511-38, I, 2°) et de liquidation judiciaire (C. com., art. L. 643-1). La déchéance du terme ne saurait en revanche résulter de l'ouverture d'une procédure de sauvegarde ou de redressement, l'article L. 622-29 du Code de commerce s'y opposant, non plus que des procédures de surendettement, le Code de la consommation ne le prévoyant pas expressément. 15 adéquation avec son fondement et pour éviter qu'elle ne soit invoquée abusivement par le créancier et qu'elle ne sanctionne le débiteur de façon disproportionnée, la seconde hypothèse de l'article 1305-4 pourrait être réécrite comme suit : le débiteur ne peut réclamer le bénéfice du terme s'il ne fournit pas les garanties demandées en remplacement ou en complément de celles diminuées ou perdues après l'octroi du terme. Un rééquilibrage entre les droits et obligations des parties serait par là même opéré. En effet, les risques de sanction du débiteur et corrélativement les chances de protection du créancier seraient accrus par l'extension de la déchéance du terme aux garanties, quelle que soit leur source, ainsi que par la prise en compte d'atteintes (la perte étant ajoutée pour éviter l'interprétation a fortiori de la diminution) non imputables au débiteur (l'expression "par son fait" étant abandonnée). Mais, corrélativement, la sanction du débiteur et la protection du créancier seraient limitées, car la diminution des sûretés ne serait plus en elle-même une cause de déchéance du terme ; c'est le défaut de complément ou de remplacement des garanties, mettant véritablement en péril le paiement du créancier, qui caractériserait la déloyauté du débiteur. Au soutien de cette proposition, peuvent en outre être avancés, non seulement les nombreux textes qui prévoient déjà la conclusion de nouvelles garanties en cas de dépréciation ou de disparition des premières 11 , mais également la pratique qui recourt fréquemment aujourd'hui aux clauses dites d'arrosage, c'est-à-dire celles qui imposent la reconstitution des garanties, lorsqu'elles diminuent dans certaines proportions, sous peine de paiement anticipé, à due concurrence ou intégral. Dans le respect de la logique répressive sous-tendant la déchéance du terme, un rééquilibrage des droits et obligations des parties pourrait dont être réalisé pour accroître la cohérence du projet de réforme, dont l'un des principaux objectifs est précisément de mieux prendre en compte les intérêts respectifs des parties.  Redimensionner les effets de la déchéance du terme Le projet d'ordonnance comble un vide législatif en déclarant la déchéance du terme inopposable aux codébiteurs, même solidaires. Cette solution mériterait d'être étendue aux garants, mais limitée par la validation des clauses contraires. L'extension de l'inopposabilité de la déchéance du terme aux garants viendrait consacrer la jurisprudence qui, dans le silence du Code civil, refuse qu'un paiement anticipé ne soit réclamé aux cautions simples ou solidaires, et même hypothécaires 12 . Bien que cette inopposabilité ne fasse pas l'unanimité en doctrine, eu égard essentiellement à la fonction de garantie du cautionnement, à son caractère accessoire et à la solution contraire retenue à l'égard de l'avaliseur (C. com., art. L. 511-38), elle mérite d'être entérinée tant ses justifications sont solides. Relativement aux cautions personnelles (aussi bien qu'aux codébiteurs), l'inopposabilité de la déchéance du terme frappant le débiteur principal (ou l'un des coobligés) s'évince de l'analyse dualiste de l'obligation : la dette (Schuld) étant unique, les exceptions qui lui sont inhérentes sont opposables par et aux cautions (ou codébiteurs) ; le créancier ayant des droits de poursuite (Haftung) distincts à l'encontre de la caution et du débiteur principal (ou des codébiteurs), les exceptions liées à ce droit de demander l'exécution sont au contraire inopposables par et aux cautions (ou codébiteurs). Dans la mesure où la déchéance du terme suspensif met en cause l'Haftung et non la Schuld, il est donc logique qu'elle ne soit pas opposable aux cautions. A l'égard de l'ensemble des garants, qu'ils s'engagent personnellement de manière accessoire, indépendante ou indemnitaire ou qu'ils constituent une sûreté réelle pour autrui, d'autres règles et considérations étayent l'inopposabilité de la déchéance du terme : la force obligatoire du contrat de garantie ; l'effet relatif du contrat principal lorsque la déchéance procède de l'une de ses clauses ; le caractère personnel de la faute que le débiteur déchu du terme peut avoir commise ; la préservation des droits du créancier par la réalisation de la garantie au terme initialement convenu et par les précautions que le garant est susceptible de prendre, dès la déchéance du terme, pour faciliter cette exécution. Le champ de l'inopposabilité de la déchéance du terme mériterait donc bien d'être élargi en direction des garants. 11 V. not. en matière de cautionnement, C. civ., art. 2297, d'hypothèque conventionnelle, C. civ., anc. art. 2131 et nouv. art. 2420, 2°, de gage sans dépossession, C. civ., art. 2344, al. 2, et de gage des stocks, C. com., art. L. 527-7, al. 3. 12 V. not. Req. 3 juill. 1890, DP 1891, 1, p. 5, note Planiol ; Civ. 1re, 20 déc. 1976, B. n° 415 ; Civ. 1re, 18 févr. 2003, n° 00- 12771. 16 Sa portée devrait au contraire être limitée en complétant l'article 1305-5 par l'expression "sauf clause contraire". En matière de cautionnement, la jurisprudence valide aussi bien les clauses qui étendent expressément à la caution la déchéance du terme de l'obligation principale 13 , que celles qui déclarent opposables à la caution toutes les clauses et conditions du contrat garanti 14 . A condition de ne pas viser une cause de déchéance prohibée par la loi, tel le redressement judiciaire du débiteur 15 , de telles stipulations devraient être autorisées, puisqu'elles renforcent la protection des créanciers, dans le respect des prévisions des codébiteurs ou garants. L'opposabilité conventionnelle de la déchéance du terme aurait ainsi toute sa place dans un projet de réforme soucieux de l'équilibre des intérêts des parties. 13 V. not. Civ. 1re, 30 oct. 1984, Bull. civ. I, n° 290 ; Com. 8 mars 1994, Bull. civ. IV, n° 96 ; Com. 26 oct. 1999, Bull. civ. IV, no 183. 14 Com. 11 juill. 1988, Bull. civ. IV, n° 236. 15 C. com., art. L. 622-29 ; Civ. 1re, 24 janv. 1995, Bull. civ. I, n° 51. 17 L’OBLIGATION ALTERNATIVE (Projet, art. 1307-1) Lauren Leblond et Delphine Martin, Maîtres de conférences Le projet d’ordonnance relatif à l’obligation alternative prévoit la possible substitution du créancier dans l’exercice de l’option initialement reconnue au débiteur. Cette possibilité nouvelle permet de mettre fin au risque d’immobilisme qui peut apparaître lorsque le débiteur ne lève pas l’option. Mais il convient d’encadrer suffisamment cette substitution afin d’écarter le risque que la mauvaise foi du créancier porte atteinte au libre choix du débiteur. Projet d’ordonnance : « Art. 1307-1. – Le choix entre les prestations appartient au débiteur, sauf disposition légale ou clause contraire. « Si le choix n’est pas exercé en temps voulu ou dans un délai raisonnable, l’autre partie peut, après mise en demeure, exercer ce choix ou résoudre le contrat. « Le choix exercé est définitif et fait perdre à l’obligation son caractère alternatif. I – Analyse L’obligation alternative offre au bénéficiaire de l’option la possibilité de choisir la prestation qu’il souhaite exécuter parmi plusieurs prestations initialement envisagées. Il ne doit exécuter qu’une seule de ces prestations, ce qui offre à l’autre partie une garantie d’exécution du contrat. Toutefois, afin d’éviter que ce mécanisme ne soit détourné de son objectif, il est nécessaire d’en encadrer la mise en application. Le projet maintient la disposition actuelle du Code civil selon laquelle le choix appartient en principe au débiteur. De même, face au refus du bénéficiaire de l’option de l’exercer la solution traditionnelle est conservée puisque l’autre partie peut demander la résolution du contrat. En revanche, le projet propose désormais une alternative à la résolution : la faculté de se substituer au débiteur défaillant. La solution classique de la résolution pousse à l’analyse selon laquelle la non-levée de l’option doit être considérée comme un défaut d’exécution de son obligation par le bénéficiaire de l’option. La non- levée de l’option concerne donc l’exécution du contrat, et plus précisément le manquement à une obligation, celle de définir l’objet de l’obligation. Lorsque la résolution n’est pas souhaitée par le créancier, celui-ci peut se substituer au débiteur défaillant. Dans cette hypothèse, certains points nous semblent devoir être soulignés. Tout d’abord, il convient de subordonner cette faculté de substitution à la bonne foi du créancier afin d’éviter le non-exercice de l’option par le débiteur du fait d’un empressement excessif ou d’un comportement fautif du créancier. Ensuite, il est précisé que le créancier peut, après mise en demeure, se substituer au débiteur soit après le « temps voulu », soit après l’écoulement d’un « délai raisonnable ».Or, en l’absence de précision textuelle, ces termes soulèvent des difficultés d’interprétation. Que faut-il entendre par « temps voulu » ? S’agit-il du terme contractuellement prévu par les parties et, dans ce cas, ne serait-il pas préférable de le préciser ? Comment faut-il comprendre la notion de « délai raisonnable » ? En l’absence de contentieux, est-ce un délai arbitrairement fixé par le créancier ? Dans l’affirmative, le risque est que le délai soit considéré comme écoulé avant que le débiteur n’ait eu en sa possession tous les éléments nécessaires à l’exercice d’un choix éclairé. Enfin, pour que la faculté de substitution du créancier présente un véritable intérêt, il faut qu’il soit encore possible d’exécuter chacune des différentes prestations contractuellement prévues, ce qui implique que le débiteur ait désormais une obligation tacite de conservation. Reconnaître une telle obligation suppose de délimiter son champ d’application temporelle : cette obligation de conservation existe-t-elle dès l’acceptation de l’obligation alternative ou seulement à partir du moment où le débiteur ne lève pas l’option ? Pour des raisons pratiques évidentes, cette obligation implicite nous semble devoir exister dès la reconnaissance de l’obligation alternative et jusqu’au jour de la levée de l’option par le créancier ou le débiteur. Dans le cas contraire rien ne garantirait qu’elle soit mise efficacement à la charge du débiteur. En effet, le texte du projet précise que lorsque le choix est exercé, ce choix est définitif. Peu importe donc que le choix ait été exercé par le débiteur ou par le créancier, il sera toujours définitif. 20 doute conduit à distinguer, ce que l’article 1309 ne fait pas, l’obligation à plusieurs créanciers et l’obligation à plusieurs débiteurs 18 . D’autre part, l’article 1310 du projet d’ordonnance ébauche un statut commun aux deux formes de solidarité que sont la solidarité active et la solidarité passive. Ce texte pose trois règles communes aux obligations solidaires. D’abord, une définition commune est retenue pour les deux formes de solidarités 19 . Ensuite, et c’est heureux, le principe de non transmissibilité de la solidarité aux successeurs du créancier ou du débiteur solidaire est expressément posé, alors qu’elle n’est actuellement que déduite de l’article 2119 du Code civil. Enfin, les sources de la solidarité sont communes, quelle que soit sa forme : la loi ou le contrat. Il s’agit ici de la reprise, de façon plus concise, de l’actuel article 1202 du Code civil. S’il est opportun que cette disposition constitue un embryon de régime commun à toutes les formes de solidarité, nous émettrons deux regrets : d’une part que la formule « légale ou conventionnelle » semble interdire l’insertion de la solidarité dans certains actes unilatéraux, tels le testament (à cet égard, la formule de l’actuel article 1202 du Code civil « stipulée » apparaît plus souple) ; d’autre part, qu’il ne soit pas expressément évoqué, et donc légalement consacré, la présomption contra legem de solidarité passive en matière commerciale (mais il est vrai que cette dérogation au caractère exprès de la solidarité ne concerne qu’une seule de ses formes : la solidarité passive). Enfin, le plus grand regret concerne le caractère incomplet de ce régime commun. Il aurait été opportun d’ajouter certains éléments du régime des deux formes de solidarité qui sont manifestement identiques. Par exemple, l’effet interruptif ou suspensif de la prescription jouant à l’égard de toutes les parties plurales, tant créancières que débitrices. Cette unité aurait pu éviter une sorte de déséquilibre puisque cet effet collectif de la solidarité est visé à l’article 1312 du projet pour la solidarité active tandis qu’il ne l’est pas dans les dispositions relatives à la solidarité passive (il faudra, en réalité, se reporter à l’article 2245 du Code civil pour trouver cette solution au sujet de la solidarité passive, alors qu’elle figure, aussi, actuellement à l’article 1206 du Code civil). Egalement, le paiement, qui dans les deux formes de solidarité, libère les parties (règle figurant à l’article 1311 du projet pour la solidarité active et à l’article 1313 du projet pour la solidarité passive). De même l’article 1330-1 du projet, relatif à l’effet de la confusion sur l’obligation plurale, établit une solution commune à la solidarité active et à la solidarité passive, qui aurait pu être insérée dans ce régime commun. Il en est encore ainsi au sujet de la remise effectuée, soit par le créancier unique à l’un des codébiteurs solidaires, soit par l’un des créanciers solidaires au débiteur unique. Le projet a préféré régler cette double question à l’article 1329-1 (ce qui explique la disparition de l’actuel article 1198, al. 2 du Code civil qui réglait, précisément, cette question en matière de solidarité active) ; la double solution aurait pu figurer dans un régime commun aux deux formes de solidarité. Plus largement, la forme retenue par le projet soulève la question de la nature – générale et/ou spéciale – des dispositions composant le corps de règles relatif à la solidarité active puis à la solidarité passive. Le projet a manifestement pris le parti d’établir un corps de règles restreint et concis, ne rassemblant qu’une sorte de régime général de la solidarité, renvoyant à d’autres dispositions les solutions « spéciales » à tel ou tel mécanisme (paiement, confusion, compensation, prescription, serment…). Ce faisant, le projet reprend la même structure que celle actuellement retenue dans le Code civil. Le régime de la solidarité, comme d’ailleurs celui du cautionnement, est donc, toujours, éclaté en de multiples endroits du Code, ce qui ne facilite pas son appréhension. Il eût été possible de rassembler, au contraire, toutes ces solutions dans le corpus de règles propres à la solidarité (mais, pour que cette solution fût cohérente, il eût fallu faire de même avec les dispositions relatives au cautionnement…). La décision d’opter pour un régime général de la solidarité ressort renforcée du projet puisqu’il apparait épuré par rapport à l’actuel régime de la solidarité. Concernant la solidarité active, des trois articles existant aujourd’hui, le projet est passé à deux. Concernant la solidarité passive, le « dégraissage » est encore plus significatif, le projet ne retenant que six articles au lieu des dix-sept actuels… 18 Cf., not., Ph. Briand, thèse préc. 19 Sur celle-ci, cf. infra. 21 Il n’est pourtant pas certain que cette cure d’amaigrissement rende plus simple l’appréhension de la solidarité. Si certaines dispositions actuelles ont pu logiquement disparaitre (en ce sens que leur contenu n’a pas été repris) sans dommages, par exemple l’actuel article 1206 du Code civil, car la solution faisait doublon avec une autre disposition, en l’occurrence l’article 2245 du Code civil, ou encore l’actuel article 1209 du Code civil, car une autre disposition du projet règle le problème ailleurs (art. 1330-1), dans d’autres cas, la disparition d’une disposition actuelle ne supprime pas, à proprement parler, la solution qu’elle édicte, mais le projet l’a jugée suffisamment aller de soi pour ne pas avoir besoin de la poser expressément ; ainsi en est-il de l’actuel article 1201 du Code civil qui dispose que « L'obligation peut être solidaire, quoique l'un des débiteurs soit obligé différemment de l'autre au paiement de la même chose ; par exemple, si l'un n'est obligé que conditionnellement, tandis que l'engagement de l'autre est pur et simple, ou si l'un a pris un terme qui n'est point accordé à l'autre ». Cependant, dans une troisième série de cas, la suppression d’une disposition existante (plus exactement l’absence de reprise de son contenu) ne constitue qu’une simplification en trompe l’œil puisque la question qu’elle soulève demeure intacte. Ainsi la solution, posée par l’actuel article 1207 du Code civil, selon laquelle « La demande d'intérêts formée contre l'un des débiteurs solidaires fait courir les intérêts à l'égard de tous » n’a pas été reprise par le projet : est-ce à dire que cette solution a été abrogée ou peut-elle être justifiée au moyen d’un autre raisonnement (notamment la théorie des « effets secondaires de la solidarité » ? (mais l’abandon de cette solution apparait justifiée par le rejet du fondement classique de la solidarité 20 ). De même, les dispositions très techniques et précises figurant aux actuels articles 1211 et 1212 du Code civil, relatives à la portée du paiement par l’un des débiteurs solidaires de sa seule part (capital et/ou intérêts) ne figurent plus dans le projet alors que les problèmes soulevés (et résolus) par ces dispositions peuvent continuer de se poser (l’absence de reprise de l’article 1211 pose, par ailleurs, un grave problème de cohérence à l’article 1315 du projet 21 ). II. Observations particulières et analytiques 1. Analyse des articles 1310 et 1313 L’article 1310, al. 1 du projet, qui dispose que « La solidarité entre débiteurs ou entre créanciers s’ajoute à la division de la dette ou de la créance commune », est le cœur du régime de la solidarité, tant active que passive. Alors que l’actuel mécanisme de la solidarité passive présente, aux yeux d’une fraction de la doctrine, une nature hybride, oscillant entre la conception romaine de l’unique obligation de tous les codébiteurs à la chose même qui est due au créancier 22 et la conception orientale d’une double obligation pesant sur chaque codébiteur : une quote-part de la dette principale adjointe d’une obligation de garantir les quotes-parts des autres codébiteurs 23 , le projet d’ordonnance semble, certes maladroitement, prendre parti pour la seconde analyse. En effet, la solidarité « s’ajoute » à la division de la dette, c’est-à-dire à la structure de principe de la dette conjointe (ou désormais « commune ») ; elle ne vient pas la supprimer, la bloquer, mais au contraire s’y adjoindre (de même l’article 1309 du projet vient-il évoquer l’hypothèse où la dette commune divisible est « de surcroît solidaire »). C’est que, donc, la dette reste divisée entre les codébiteurs, mais qu’un élément vient s’y adjoindre pour produire l’effet recherché, à savoir que le créancier pourra réclamer la totalité de ce qui lui est dû à chacun d’entre eux (article 1313 du projet). On reconnait là la structure duale de la solidarité passive. Certes, le projet pourrait être (beaucoup) plus clair dans l’exposition de la structure de la solidarité passive. La formule « la solidarité entre débiteurs ou créanciers s’ajoute à la division de la dette ou de la créance commune » reste très obscure car solidarité et division sont, de prime abord, antinomiques. Si tant est que l’intention que nous prêtions au projet soit exacte (mais l’article 1310 du 20 Cf. infra. 21 Cf. infra. 22 Conception majoritaire, aujourd’hui. En ce sens : Ph. Briand, Éléments d'une théorie de la cotitularité des obligations, th. Nantes, dactyl., 1999 ; A. Hontebeyrie, Le fondement de l'obligation solidaire en droit privé français, préf. L. Aynès, Recherches juridiques t. 7, Paris, Economica, 2004. 23 Sur cette dualité de structure, cf., spéc., M. Mignot, Les obligations solidaires et les obligations in solidum en Droit privé français, préf. E. Loquin, Nouvelle bibliothèque des thèses, Vol. 17, Dalloz, Paris, 2002. 22 projet paraît incompréhensible si l’on retient l’analyse classique d’une seule et même obligation pesant sur chaque codébiteur), une description davantage structurelle aurait été beaucoup plus éclairante, insistant sur la double composante de l’obligation solidaire. Cette conception duale de la solidarité apparait renforcée par la rédaction de l’article 1313 du projet qui introduit le paragraphe relatif à la solidarité passive. Ce texte, qui est le pendant de l’actuel article 1200 du Code civil, abandonne précisément la référence à l’obligation « à une même chose », fondement de la conception classique de la solidarité, pour ne retenir que l’effet principal de la solidarité qui est de contraindre chacun des codébiteurs solidaire « à répondre de toute la dette », et son corollaire qui est la libération de tous en cas de paiement par l’un d’entre eux (termes pratiquement identiques à ceux de l’actuel article 1200 du Code civil). L’article 1313, al. 2 du projet reprend le contenu des actuels articles 1203 et 1204 du Code civil, à l’exception précisément de la formule « sans que celui-ci puisse lui opposer le bénéfice de division » (art. 1203 in fine), ce qui vient vraisemblablement confirmer que la solidarité n’est pas, à proprement parler, une dérogation à la division de la dette. De même, l’article 1314 du projet, relatif à l’opposabilité des exceptions, évoque la déduction de « la part divise d’un codébiteur », ce qui suggère, là encore, que la dette principale est restée divise. L’audace du projet est, par ailleurs, de symétriser cette conception duale de la solidarité en l’appliquant pareillement à la solidarité active. Celle-ci viendrait, là aussi, s’ajouter à la division de la créance commune : la créance du créancier solidaire serait ainsi doublement composée de sa quote- part dans la créance et de la faculté d’exercer les quotes-parts respectives de chacun des cocréanciers solidaires. Cette conception unitaire de la solidarité aurait, d’autant plus, justifié la réalisation d’un régime commun aux deux formes de la solidarité. Pour autant, le projet d’ordonnance ne tire pas toutes les conséquences de cette conception de la solidarité. En effet, si la plupart des effets de la solidarité passive sont conformes à la conception duale de l’obligation solidaire, d’autres relèvent encore de la conception classique 24 . 2. Analyse de l’article 1314 L’article constitue le siège du principe de l’opposabilité des exceptions. Il dispose que « Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, mais il peut se prévaloir de l’extinction de la part divise d’un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette ». Si cette rédaction vient, pour l’essentiel, consacrer les solutions déduites de l’actuel article 1208 du Code civil, elle vient opportunément simplifier et clarifier les solutions en la matière. Simplifier en ce que, désormais, deux catégories d’exceptions sont retenues au lieu de trois dans l’actuel article 1208 du Code civil : ont disparu les « exceptions qui résultent de la nature de l’obligation ». Cette suppression est vraisemblablement la bienvenue, tant la doctrine relevait que ces exceptions qui résultent de la nature de l’obligation, par ailleurs un peu mystérieuses, se confondent, pour l’essentiel, avec les exceptions communes à tous les débiteurs. Clarifier en ce que, reprenant la solution posée par l’article 1208 du Code civil selon laquelle un codébiteur « ne peut opposer les exceptions qui sont purement personnelles à quelques-uns des autres codébiteurs », l’article 1314 du projet vient également préciser (ce que ne fait pas l’article 1208 du Code civil) la portée sur les codébiteurs d’une exception personnelle à l’un des codébiteurs et qui l’aurait invoquée : « il peut se prévaloir de l’extinction de la part divise d’un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette ». Ce faisant, l’article 1314 du projet vient, semble-t-il, mettre fin à la catégorie dite des exceptions personnelles à effet relatif, c’est-à-dire des exceptions personnelles qui, même soulevées, ne profitaient pas aux codébiteurs solidaires, tels le vice du consentement ou le défaut de capacité affectant l’engagement de l’un des codébiteurs solidaires. Toutefois, l’article 1314 du projet présente des lacunes qu’il eût été possible de combler. D’une part, le contenu de chacune des catégories d’exceptions n’est, comme c’est le cas actuellement, pas précisé, de sorte qu’il revient à la jurisprudence, fort rare, à la doctrine ou encore à la loi d’en circonscrire, au 24 Cf. infra. 25 L’IMPOSSIBILITE D’EXECUTER (Projet, art. 1328 et 1328-1) Louis Thibierge, Maître de conférences Le projet consacre deux articles à l’impossibilité d’exécuter résultant d’un cas de force majeure. Projet d’ordonnance : Art. 1328 – L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est irrémédiable, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été mis en demeure. Art. 1328-1 – Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. I. Analyse critique Définition. Le Projet comble une lacune du Code civil, muet quant à la définition de la force majeure. Le triptyque prétendument classique procède d’une confusion historique entre force majeure (vis major) et cas fortuit (vis minor). L’article 1218 du Projet définit la force majeure comme « un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur ». L’effort paraît louable, quoi qu’imparfait. Il eût été préférable de parler de risque imprévu, notion éminemment plus objective puisqu’il est possible de lire et d’interpréter le contrat. Pertinence. L’articulation des articles 1218 et 1328 interpelle tant par sa redondance (la force majeure libère) que par l’emploi d’expressions distinctes (impossibilité d’exécuter / force majeure). Si l’article 1328 n’a d’autre but que de rappeler l’effet libératoire de la force majeure, déjà exprimé à l’article 1218, il n’a aucune utilité. Plus encore, le propre du régime de l’obligation est de traiter de toutes les obligations, abstraction faite de leur source. Or, l’article 1328 ne concerne que le contrat. Existe-t-il, hors contrat, des débiteurs « mis en demeure » ou qui aient « convenu de s’en charger » ? Il ne prévoit du reste de libération que pour force majeure. De fait, l’article 1328 n’embrasse pas plus large que l’article 1218. Il n’a rien à faire dans le régime général des obligations. Mieux vaudrait s’en tenir au seul article 1218, en lui adjoignant des éléments de régime. Régime. L’article 1328 détaille le régime de libération pour cause de force majeure, qu’on peut résumer ainsi : (i) Le débiteur est libéré à due concurrence ; (ii) Sauf s’il avait accepté le risque de la force majeure ; (i) Ou qu’il ait été mis en demeure ; (ii) S’il était en demeure, il peut néanmoins se libérer en démontrant que la perte était inéluctable ; (iii) Il cède alors au créancier ses droits et actions attachés à la chose. Libération à due concurrence. Le Projet consacre sans le dire la force majeure partielle. Il n’est pas bon de résoudre l’entier contrat pour une impossibilité qui n’en affecte qu’une partie. Ceci dit, le Projet raisonne à l’échelle de la prestation et non à celle du contrat. Il faut alors entendre que la prestation pourrait être partiellement frappée par la force majeure. L’idée n’est pas inexacte, encore qu’il paraisse préférable de parler ici d’obligation. Quand le débiteur s’exécute bien, mais en retard, il y a inexécution partielle, mais la prestation a bien été exécutée. Que le débiteur soit excusé du retard imputable à la force majeure, mais pas des malfaçons qui sont de son fait ne suscite guère de doute. 26 Ceci dit, l’hypothèse du retard n’est pas celle visée par le texte, qui ne traite que des impossibilités définitives d’exécuter (impossibilité irrémédiable). La rédaction paraît maladroite. Allocation des risques. La force majeure est le traitement du risque non alloué par le contrat. Celui qui consent à garantir son créancier contre le risque de force majeure ne peut en exciper. L’assertion ne vaut qu’autant que les faits entrent dans le présupposé de la clause de force majeure. Au-delà du nécessaire travail d’interprétation, la référence aux risques convenus montre l’inanité du critère de l’imprévisibilité. Ce qui compte n’est pas ce qui était prévisible par le débiteur, mais ce qui a été convenu par les parties. Mise en demeure. Le critère de la mise en demeure est classiquement absent de la force majeure. Il n’a d’intérêt que dans la théorie des risques, pour les contrats translatifs de droits et portant sur un corps certain (art. 1302 C. civ.). Dès lors, pourquoi le faire figurer à l’article 1328 plutôt qu’à l’article 1328-1, réservé à ces seuls contrats ? L’élargissement paraît incongru. L’entrepreneur mis en demeure de terminer des travaux mais empêché n’est pas privé du bénéfice de la force majeure. Inéluctabilité. Le débiteur mis en demeure peut s’exonérer en démontrant que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. La formule paraît malheureuse. Si l’obligation avait été exécutée, la question de la force majeure ne se poserait pas. Le débiteur serait libéré si, nonobstant son retard, la destruction était inéluctable, en quelques mains que se trouve la chose. Ne revient-on pas ici au droit commun et à de pures questions de causalité ? Le débiteur peut s’exonérer en prouvant que le dommage est survenu hors de sa sphère de contrôle, peu important qu’il ait été en retard dans l’exécution. Droits et actions propter rem. Dans le sillage de l’actuel article 1303, le Projet prévoit que dans l’hypothèse où le débiteur mis en demeure est libéré, il doit céder au créancier les droits et actions attachés à la chose. L’expression vise notamment, outre la créance de réparation contre le tiers dont le fait a constitué pour le débiteur un cas de force majeure, la créance d’assurance pour perte de la chose. Le jeu de la force majeure est ici troublé par celui de l’assurance. Du reste, si le risque était assuré, c’est qu’on l’a identifié. Il n’est donc pas imprévisible. II. Propositions alternatives Textes du projet Art. 1218. – Il y a force majeure en matière contractuelle lorsqu'un événement échappant au contrôle du débiteur, qui ne pouvait être raisonnablement prévu lors de la conclusion du contrat et dont les effets ne peuvent être évités par des mesures appropriées, empêche l'exécution de son obligation par le débiteur. Si l’inexécution n’est pas irrémédiable, le contrat peut être suspendu. Si l'inexécution est irrémédiable, le contrat est résolu de plein droit et les parties sont libérées de leurs obligations dans les conditions prévues aux articles 1328 et 1328-1. Article 1328 – L’impossibilité d’exécuter la prestation libère le débiteur à due concurrence lorsqu’elle procède d’un cas de force majeure et qu’elle est irrémédiable, à moins qu’il n’ait convenu de s’en charger ou qu’il ait été mis en demeure. Article 1328-1 – Lorsque l’impossibilité d’exécuter résulte de la perte de la chose due, le débiteur mis en demeure est néanmoins libéré s’il prouve que la perte se serait pareillement produite si l’obligation avait été exécutée. Il est cependant tenu de céder à son créancier les droits et actions attachés à la chose. Rédaction alternative Article 1218 – Il y a force majeure lorsqu’un événement non prévu par le contrat, échappant au contrôle du débiteur et ne pouvant être surmonté par des mesures appropriées, empêche l’exécution de l’obligation. Si l’impossibilité est temporaire, l’exigibilité de l’obligation concernée est suspendue de plein droit. Si l’impossibilité est définitive, le débiteur est de plein droit libéré de l’obligation concernée. Dans un 27 rapport synallagmatique, le créancier est libéré de plein droit de la contrepartie de l’obligation concernée. Article 1328 – Lorsque l’obligation a pour objet un corps certain, sa perte fortuite entraîne libération du débiteur. Explications La proposition alternative redéfinit la force majeure dans l’article 1218 et y rapatrie le régime. La nouvelle définition remplace l’imprévisible par l’imprévu. Elle ajoute des précisions quant à l’effet suspensif de la force majeure. Il est également proposé de supprimer l’article 1328 du Projet, devenu inutile. L’article 1328-1 serait alors renommé article 1328, et consacré à la seule perte fortuite du corps certain objet du contrat. Il est suggéré de supprimer la dialectique actuelle, excessivement raffinée. Pour mémoire, celle-ci consiste à dire que (i) par principe, le débiteur est libéré en cas de perte fortuite de la chose (ii) par exception, il n’est pas libéré s’il était en demeure ; (iii) par exception à l’exception, il est libéré si la perte était inéluctable ; (iv) dans ce cas, il transmet au créancier les droits et actions attachés à la chose. On pourrait plus simplement dire que le débiteur est libéré en cas de perte fortuite de la chose. Peu importe en réalité qu’il soit ou non en demeure : si la perte est imputable à la force majeure, le retard dans la délivrance est indifférent. C’est là une pure question de causalité. 30 N’y-a-t-il cependant pas un risque que le cessionnaire cherche à opposer au cédé son « consentement » pour faire valoir l’inopposabilité des exceptions, tant antérieures que postérieures à la cession ? Cette notion de « consentement » du débiteur peut donc être source d’un certain contentieux et appellerait tout au moins, si elle était conservée, qu’il soit précisé expressément que le consentement du débiteur n’emporte pas inopposabilité des exceptions au cessionnaire. II. Article 1333 Projet d'ordonnance « Art. 1333. – La cession de créance doit être constatée par écrit, à peine de nullité (à supprimer). Il n’apparaît pas opportun d’ériger l’écrit en condition de validité de la cession de créance. Comme le projet Terré l’avait retenu, l’exigence d’un écrit à titre probatoire apparaît suffisante. III. Article 1334 Projet d'ordonnance « Art. 1334. – Entre les parties, la transmission de la créance s’opère dès l’établissement de l’acte. « La cession est opposable aux tiers à la date de l’acte. En cas de contestation, la preuve de la date de la cession incombe au cessionnaire, qui peut la rapporter par tout moyen. « Toutefois, le transfert d’une créance future n’a lieu qu’au jour de sa naissance, tant entre les parties que vis-à-vis des tiers (à supprimer). Cet article énonce des règles qui ont déjà été discutées lors d’un colloque du CEDCACE sur l’impact des réformes du droit civil dans la vie des affaires, de sorte que l’on ne reviendra pas ici sur le choix d’une opposabilité immédiate aux tiers (autres que le débiteur cédé), solution apparue inopportune pour plusieurs raisons 29 . L’on se cantonnera à quelques remarques sur la rédaction de ces dispositions. La rédaction du dernier alinéa, concernant la transmission d’une créance future – le terme transmission étant préférable au terme de transfert –, fait ressortir un certain malaise dans la volonté d’embrasser deux notions juridiques distinctes : la force obligatoire du contrat entre les parties – l’effet translatif de la cession de créance dans le rapport entre cédant et cessionnaire – et l’opposabilité aux tiers – dans le rapport entre les parties et les tiers, donc. L’expression « le transfert d’une créance future n’a lieu » ne concerne en réalité que le rapport entre les parties à la cession de créance. Dans le principe (une créance présente), on doit souligner que même inopposable à des tiers, un transfert a bien « eu lieu » lorsqu’une cession est intervenue. Dans le cas d’une créance future, on ne voit pas pourquoi indiquer « vis à vis des tiers », alors que la cession de créance, en tant que contrat, devrait pouvoir être opposée au tiers à la date de l’acte : il ne faut pas confondre opposabilité du contrat, qui existe même si son effet translatif ne se produirait qu’au jour de la naissance de la créance, et opposabilité de la transmission. Pourquoi les créanciers du cédant ou du cessionnaire devraient être traités différemment selon qu’il s’agit de créance présente ou future ? On notera que le texte, par cette précision, crée également des interrogations s’agissant de la résolution des problèmes de « double cession » : certes, l’art. 1336 prévoit de manière générale que le conflit entre cessionnaires successifs se résout en faveur du premier en date. Cela étant, la solution se justifie théoriquement par l’opposabilité immédiate de la cession de créance au tiers. S’il n’y a pas d’opposabilité à la date de l’acte de la cession de créance future, la « règle du premier en date » est privée de cette justification. On propose donc de supprimer purement et simplement l’indication « vis à vis des tiers ». On notera également que la règle sur la charge de la preuve de la date de la cession pose aussi problème dans la résolution des problèmes de double cession. S’agissant de conflits entre 29 V. S. Raimond, « L’opposabilité de la cession de créance », in Les réformes du droit civil dans la vie des affaires, dir. M. Bourassin et J. Revel, Dalloz 2014, coll. Thèmes et commentaires. 31 cessionnaires successifs, prévoir que la charge de la preuve incombe à un cessionnaire ne dit pas qui doit prouver cette date. Il faudra, dans l’art. 1336, prévoir explicitement que la charge de la preuve incombe au premier cessionnaire. IV. Article 1335 Projet d'ordonnance « Art. 1335. – Le débiteur peut invoquer la cession dès qu’il en a connaissance, mais elle ne peut lui être opposée que si elle lui a été notifiée ou s’il l’a acceptée. « Le débiteur peut opposer au cessionnaire les exceptions inhérentes à la dette, telles que la nullité, l’exception d’inexécution, ou la compensation des dettes connexes. Il peut également opposer les exceptions nées de ses rapports avec le cédant avant que la cession lui soit devenue opposable, telles que l’octroi d’un terme, la remise de dette ou la compensation de dettes non connexes. « Le cédant et le cessionnaire sont solidairement tenus de tous les frais supplémentaires occasionnés par la cession dont le débiteur n’a pas à faire l’avance. Sauf clause contraire, la charge de ces frais incombe au cessionnaire. On ne peut que renvoyer à ce qui été dit plus haut pour la distinction conceptuelle entre « consentement » et « acceptation », que le texte ne développe pas. Il serait bon de préciser que l’acceptation peut intervenir à tout moment, et donc pas seulement à la date de l’acte. On peut regretter que le texte, s’agissant de l’opposabilité des exceptions qui ne sont pas inhérentes à la dette, ne fasse aucune place à un effet de l’acceptation. A dire vrai, le débiteur peut accepter la cession, au sens de « prendre acte de l’existence de la cession » sans pour autant manifester qu’il renonce à opposer au cessionnaire une exception. Cela étant, il pourrait peut-être y avoir la réserve d’un consentement du débiteur à ne plus opposer des exceptions qu’il pouvait opposer avant la notification. V. Article 1336 Projet d'ordonnance « Art. 1336. – Le concours entre cessionnaires successifs d’une créance se résout en faveur du premier en date ; il dispose d’un recours contre celui auquel le débiteur aurait fait de bonne foi un paiement. On renvoie sur ce point à ce qui été dit plus haut, en commentaire de l’art. 1334. VI. Article 1337 Projet d'ordonnance « Art. 1337. – Celui qui cède une créance à titre onéreux garantit l’existence de la créance et de ses accessoires [, à moins que le cessionnaire l’ait acquise à ses risques et périls ou qu’il ait connu le caractère incertain de la créance]. « Il ne répond de la solvabilité du débiteur que lorsqu’il s’y est engagé, et jusqu’à concurrence du prix qu’il a pu retirer de la cession de sa créance. « Lorsque le cédant a garanti la solvabilité du débiteur, cette garantie ne s’entend que de la solvabilité actuelle ; elle peut toutefois s’étendre à la solvabilité à l’échéance, mais à la condition que le cédant l’ait expressément spécifié ». Rien à signaler. 32 LA CESSION DE DETTE (Projet, art. 1338 à 1339-1) Louis Thibierge, Maître de conférences Le projet consacre trois articles à la cession de dette. Projet d'ordonnance : Art. 1338 – Un débiteur peut céder sa dette à une autre personne. Le cédant n’est libéré que si le créancier y consent expressément. A défaut, le cédant est simplement garant des dettes du cessionnaire. Art. 1339 – Le cessionnaire, et le cédant s’il reste tenu, peuvent opposer au créancier les exceptions inhérentes à la dette. Chacun peut aussi opposer les exceptions qui lui sont personnelles. Art. 1339-1 – Lorsque le cédant n’est pas déchargé par le créancier, les garanties subsistent. Dans le cas contraire, les garanties consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord. Si le cédant est déchargé, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette. I. Analyse critique La cession de dette fait une entrée remarquée dans le Code civil. Admission. Une révolution en permet une autre. La cession de dette ne se conçoit pas en droit positif : comment transférer la dette sans que ne change sa cause ? Le cessionnaire ne doit pas pour la même raison que le cédant. Pour ouvrir la voie à la cession de dette, il n’était qu’une solution : abandonner la théorie de la cause. Ce que fait le Projet. Polymorphie. Ce n’est pas une cession de dette mais deux cessions qu’envisage le Projet. Une vraie, dans laquelle le créancier libère le cédant. Une fausse, à laquelle le créancier ne consent pas. Naît alors un monstre juridique : une cession sans effet translatif. On adjoint au « cédant » un codébiteur : le cessionnaire. Le texte oublie une troisième variante, pourtant utile : la cession partielle. Accord du créancier. Opération tripartite, la cession de dette est une convention soit bipartite, soit tripartite. En effet, le consentement du créancier n’est requis que dans la vraie cession. Dans les fausses cessions, l’accord du créancier n’a pas à être recueilli : « le débiteur peut céder sa dette ». Pourquoi ? Parce que, suppose le Projet, le créancier n’a rien à perdre et tout à gagner : on lui offre un deuxième débiteur. Subsidiarité. Pourtant, le bilan de la fausse cession n’est pas si positif. En effet, l’article 1338 prévoit que le débiteur est « simplement garant des dettes du cessionnaire ». Il peut donc, sans l’accord de son créancier, passer de débiteur à garant. Le créancier se trouvera contraint d’agir d’abord contre le cessionnaire, alors même qu’il n’a pas consenti à la cession. De surcroît, le texte ne dit rien de l’articulation des actions contre le cédant et le cessionnaire. A partir de quel stade le créancier pourra- t-il poursuivre le premier ? Celui-ci jouit-il d’un bénéfice de discussion ? Caractère occulte de la fausse cession. Le danger est d’autant plus grand que la cession n’est soumise à aucune mesure de publicité. Elle devient opposable erga omnes dès sa conclusion. Le créancier ne l’apprendra (à ses dépends) que lorsqu’il tentera d’actionner le cédant : il ne parle plus à son débiteur, mais à un garant. Difficultés de recouvrement. L’innocuité de la fausse cession de dette est un mythe. Le débiteur qui cède sa dette à quelqu’un qui réside à l’étranger, qui jouit de mesures de protection particulières personnelles ou réelles, ou sur le point d’être placé en procédure collective, ou dont les biens sont plus difficiles à localiser / réaliser… complique indubitablement la tâche de son créancier. Fraude. La cession de dette peut fournir un vecteur commode de fraude. Son sort en période suspecte paraît mal engagé. Son articulation avec l’action paulienne suscite le doute. Ne tombent classiquement sous le coup de l’article 1167 que les actes d’appauvrissement. Or, céder sa dette ne diminue pas l’actif. En soi, la cession ne devrait pas pouvoir être attaquée par la voie paulienne. Il nous semble 35 LA DELEGATION (Projet, art. 1348) Anne Danis-Fatôme, Maître de conférences-HDR Le projet de réforme de la Chancellerie consacre cinq articles à la délégation. Cette opération a de nombreuses applications pratiques qui convainquent de son utilité. D’une délégation de loyers permettant à un investisseur immobilier de conférer une sûreté efficace au prêteur de deniers 30 , à une simplification des payements conduisant le client d’un fournisseur à s’engager à payer directement le transporteur des marchandises achetées 31 en passant par une délégation du maître de l’ouvrage dans la sous-traitance 32 , la délégation a au moins autant de faces que le dé ! Aussi faut-il se réjouir que le projet d’ordonnance ait donné une véritable place à la délégation en l’isolant de la novation dont elle se distingue nettement. Ayant ainsi acquis une vraie autonomie et étant parée d’une définition claire, la délégation gagne en lisibilité, cette avancée est donc opportune (I). Le point névralgique de la délégation tenant, par ailleurs, dans le régime de l’opposabilité des exceptions, il est opportun que le projet d’ordonnance se soit saisi de cette question. Les textes consacrés au régime des exceptions emportent globalement l’approbation malgré leur caractère incomplet (II). I. Place et définition de la délégation : une avancée opportune Le projet de la Chancellerie choisit de créer une section propre à la délégation dans le Code civil et d’y faire figurer, dans son article 1348, alinéa 1 er , une définition de la délégation. Projet d’ordonnance : « Art. 1348, al. 1er. – La délégation est un contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. » A/. Analyse critique ■ De lege lata.- Le Code civil a réservé une place limitée à la délégation. Seuls deux articles y sont consacrés (art. 1275 et 1276) et ces deux textes sont noyés au milieu de ceux consacrés à la novation. Le Code civil ne contient pas de véritable définition de la délégation. L’article 1275 fait une distinction entre la délégation imparfaite et la délégation parfaite, le délégant étant déchargé seulement dans cette seconde figure. Ce texte précise à quelles conditions la délégation parfaite est caractérisée (décharge expresse du délégant par le délégataire). L’article 1275 du Code civil comporte tout de même une esquisse de définition. Ce texte débute par les mots suivants « la délégation par laquelle un débiteur donne au créancier un autre débiteur ». ■ De lege ferenda.- Le projet d’ordonnance donne une place spécifique à la délégation. Ce texte lui réserve une section à part. Son régime n’est donc plus mêlé à celui de la novation. Cette existence propre est une très bonne chose, ceci pour deux raisons. – D’une part, la délégation et la novation ne se confondent pas, au moins lorsqu’on est en présence d’une délégation imparfaite qui ne fait pas disparaître l’engagement préexistant du délégant. Et en cas de délégation parfaite subsistent des différences de régime avec la novation. Sur ce point, l’hésitation était permise car on peine à distinguer la délégation parfaite ou novatoire de la novation lorsqu’on est en présence d’une novation par changement de débiteur. Comment distinguer l’opération par laquelle X s’engage à payer Y, Y déchargeant Z de sa dette envers lui et celle dans laquelle X, Y et Z prévoient que l’obligation de Z envers Y s’éteindra et sera remplacée par celle de X envers Y ? La doctrine française est partagée sur ce point, certains auteurs renonçant à distinguer en pratique les deux opérations 33 et d’autres maintenant une distinction 34 . 30 Com. 4 oct. 2005, B. IV n°198, RTDciv. 2006, p. 319, obs. J. Mestre et B. Fages, V. M. -L. Niboyet, « Une illustration du concept de droit civil des affaires, La délégation de locataire, à titre de garantie », in Prospectives du droit économique », Dialogues avec Michel Jeantin, Dalloz 1999, p. 71 et s. 31 Pour un schéma similaire appliqué au droit maritime : Com. 16 avr. 1996, B. IV n°120, D. 1996 p. 571, note C. Larroumet. 32 Civ. 3, 12 juin 2013, n°12-21.317 ; Com. 11 févr. 2014, n°13-10.146 ; V. Ph. Simler, « La délégation du maître de l’ouvrage prévue par la loi du 31 décembre 1975, RDimm. 1996 p. 149. 33 M. Planiol et G. Ripert, Traité pratique de droit civil français, t. VII, Les obligations, LGDJ, 1931 par J. Radouant, n°1261 ; H., L. et J. Mazeaud et F. Chabas, Leçon de droit civil, t. II, Obligations, Théorie générale, Montchrestien, 9éd. 36 Il n’en reste pas moins que le régime de la novation et celui de la délégation novatoire ne sont pas identiques. Dans la délégation novatoire, règne en principe, la règle de l’inopposabilité des exceptions 35 . Dans la novation, au contraire, la nullité de l’obligation préexistante retentit nécessairement sur l’obligation nouvelle 36 . L’exception tenant à la nullité du rapport fondamental ne suit donc pas le même régime selon qu’on est en présence d’une délégation novatoire ou d’une novation 37 . Il est préférable d’affirmer qu’il existe une différence entre ces deux opérations quitte à demander au juge français de chercher au cas par cas quelle a été la volonté des parties. – D’autre part, la délégation a des fonctions diverses auxquelles ne répond pas le schéma de la novation. Dans la majorité des cas, la délégation est précisément une délégation imparfaite. C’est le cas, par exemple de la délégation-sûreté. Cette opération consiste pour un débiteur à demander à un tiers de s’engager à payer son créancier dans l’hypothèse où il serait lui-même défaillant. Elle est extrêmement courante dans des opérations immobilières où le prêteur se fait octroyer par l’emprunteur une délégation de locataires 38 . Le projet d’ordonnance choisit d’introduire dans le droit positif une véritable définition de la délégation s’inscrivant ainsi dans un mouvement contemporain où le législateur agit en pédagogue et répond aux exigences constitutionnelles d’intelligibilité et de clarté de la loi 39 . La définition proposée présente deux qualités et un défaut. – La première de ses qualités est son caractère complet. La délégation est qualifiée de contrat, l’accent est mis sur l’engagement du délégué et sur le fait que cet accord a été obtenu par le délégant. Ces trois éléments ont l’intérêt de rattacher la délégation aux exigences du droit commun des contrats – notamment la théorie des vices du consentement – et de permettre au délégué de prendre conscience du caractère obligatoire de son engagement. L’avant-projet Catala avait fait un choix quasi similaire 40 . Il en est de même du projet de la Chancellerie propre au régime de l’obligation de 2011 et du projet Terré de 2013 dont le texte de l’ordonnance est le décalque, au détail près que le mot « convention » est préféré à celui d’« opération ». N’est-ce d’ailleurs qu’un détail ou est-ce une manière de mettre l’accent sur le fait que la délégation ne peut être formée que lorsque le délégué s’est engagé et que le délégataire a accepté son engagement ? Le premier « temps » de la délégation, celui au cours duquel le délégant donne au délégué l’instruction de s’engager envers le délégataire, ne serait alors qu’une étape préparatoire de la « convention délégation » 41 . Le droit romain, sous l’empire duquel la délégation se formait en deux étapes, s’éloigne mais on gagne en lisibilité 42 . – La seconde des qualités de la définition retenue par l’ordonnance est d’éviter de préciser que le délégant est le débiteur du délégataire. Cette indication figure actuellement dans l’article 1275 du Code civil. Elle présente l’inconvénient de limiter les applications de la délégation. Cette opération 1998, n°1239 ; J. Carbonnier, Droit civil, Les obligations, t. IV, PUF, 22è éd. 2000, n°348 ; G. Marty, P. Raynaud et Ph. Jestaz, Droit civil, Les obligations, t. 2, Le régime, Sirey, 1989, n°432; J. Flour, J. –L. Aubert et E. Savaux, Droit civil, Les obligations, 3.Le rapport d’obligation, Sirey, 8è éd. 2013, n°422 et 443; L. Andreu, Du changement de débiteur, Nouvelle bibliothèque des thèses, Dalloz, 2010, n°32. 34 F. Hubert, Essai d’une théorie juridique de la délégation en droit français, thèse Poitiers, 1899, n°95 et s. ; J. François, Traité de droit civil, t. IV, Les obligations, Régime général, Economica, 2è éd. 2011, n°536 ; Ph. Malaurie, L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, Droit civil, Les obligations, LGDJ, 6è éd. 2013, n°1474 ; F. Terré, Ph. Simler et Y. Lequette, Droit civil, Les obligations, Précis Dalloz, 11è. éd. 2013, n°1457 ; L. Thibierge, Délégation : l’inopposabilité des exceptions en question(s), Droit & patrimoine 2014, n°242, p. 30 et s., spéc. p. 37. 35 V. infra. 36 Civ 1, 28 oct. 1957, n° 8.734, B. I n°403; Civ 3, 28 nov. 1969, n°68-12.075, B. III n°784; Civ 3, 30 avr. 1975, n°73-14.898, B. III n° 148, RTDciv. 1975 p. 707, obs. Y. Loussouarn; Com 4 févr. 1992, n° 90-12.609 , B. IV n°60, D. 1992, somm. 408, obs. A. Penneau ; Civ 1, 7 nov. 1995, n° 92-16.695, Defrénois 1996, art. 36272, p. 356, obs. Ph. Delebecque ; Com 14 mai 1996, n° 94-14.625, B. IV n°138, D. 1996, somm. 334, obs. R. Libchaber, JCP 1997 II 22 895, n. F. Jacob, RTDciv. 1996, p. 910, obs. J. Mestre. 37 Contra J. Ghestin, M. Billiau, G. Loiseau, Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, LGDJ 2005, n°918 et s. 38 V. M. -L. Niboyet, article, préc. 39 V. R. Piastra, « De l’intelligibilité et de l’accessibilité des lois en France », Revue Administrative 2012 n°389 p. 462. 40 Art. 1275 (Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, La documentation française 2006) ; V. P. Catala, « La délégation dans l’avant-projet de réforme du droit des obligations », Mélanges Simler, Litec-Dalloz, 2006, p. 555 et s., spéc. p. 556. 41 V. J. Ghestin, M. Billiau, G. Loiseau, Traité de droit civil, Le régime des créances et des dettes, LGDJ 2005, n°894; M. Mignot, « De la difficile qualification de la délégation », RLDC 2013 n°21 p. 63 ; Contra L. Andreu, thèse préc., n°12. 42 Le jussum du droit romain correspondait à cette première étape (V. P. Gide, Etudes sur la novation et le transport de créances en droit romain, 1879, p. 388; F. Hubert, thèse préc. n°26 et s.). 37 peut être utilisée alors que le délégant n’est pas ou n’est pas encore débiteur du délégataire, comme l’a précisé la jurisprudence de la Cour de cassation 43 . Sur ce point le projet de la Chancellerie apporte donc une autre amélioration aux textes du Code civil. L’avant-projet Catala était encore plus clair puisqu’il avait choisi d’indiquer dans un article dédié (art. 1276) que « la délégation est valable alors même que le délégant n’est pas débiteur du délégataire ou que le délégué n’est pas débiteur du délégant » 44 . – La définition de la délégation, proposée par le projet de la Chancellerie, présente, en revanche, un défaut. Étant donnée la rigueur de l’engagement souscrit par le délégué dans la délégation – un engagement de payer sans pouvoir opposer d’exceptions – ne serait-il pas nécessaire d’exiger que le délégué s’oblige expressément envers le délégataire et ceci « dans les termes de la délégation » ? Le consentement du délégué devrait, en effet, toujours être exprès 45 . Il faudrait que la Cour de cassation exige que le délégué déclare expressément souscrire un engagement autonome. La jurisprudence actuelle présente, en effet, le défaut de se contenter, dans certains cas, d’un engagement tacite du délégué 46 . Ces arrêts sont extrêmement peu protecteurs des intérêts du délégué qui se trouve engagé dans des termes stricts sans en avoir conscience. Ainsi, celui qui s’engage « à faire son affaire » d’une dette souscrite par un autre, n’a pas nécessairement souhaité s’engager dans les termes de la délégation 47 . Il peut avoir cru être le cessionnaire d’une dette, ce qui l’autoriserait à opposer au créancier cédé les exceptions inhérentes à la dette et celles qui lui sont personnelles 48 . L’exigence suivant laquelle la décharge du délégant doit être expresse – dans l’actuel article 1275 du Code civil – ou « résulte clairement de l’acte » dans l’article 1349, alinéa 1 er , du projet d’ordonnance doit être transposée à l’engagement du délégué. B/. Propositions alternatives Texte du projet : « Art. 1348, al. 1 er . – La délégation est un contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur » Première proposition : « Art. 1348 al. 1er. – La délégation est le contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige expressément dans les termes de la délégation envers une troisième, le délégataire qui l’accepte comme débiteur. » Cette proposition de rédaction pourrait être retenue alternativement avec une autre plus en phase avec l’expression adoptée par le projet de l’ordonnance, par préférence à l’adverbe « expressément », retenue pour la décharge du délégant par le délégataire (Projet, art. 1349, al. 1 er : « Lorsque le délégant est débiteur du délégataire et que la volonté du délégataire de décharger le délégant résulte clairement de l'acte, la délégation opère novation. »). Seconde proposition : « Art. 1348, al. 1er. – La délégation est un contrat par lequel une personne, le délégant, obtient d’une autre, le délégué, qu’elle s’oblige envers une troisième, le délégataire, qui l’accepte comme débiteur. L’engagement du délégué doit résulter clairement de l’acte ». Cette proposition alternative présente également l’avantage d’être plus lisible. L’analyse critique menée sur la définition de la délégation peut se prolonger sur le régime de l’opposabilité des exceptions. 43 Com 21 juin 1994, n° 92-13.683, B. IV n°225, D. 1995, SC, p. 91, obs. L. Aynès, JCP 1994 I 3803 n°10, obs. M. Billiau, Defrénois 1994, art. 35945, p. 1468, obs. D. Mazeaud, RTDciv. 1995, p. 113, obs. J. Mestre. 44 P. Catala, article préc., spéc. p. 557. 45 V. cependant notre article « La délégation de créance- Essai d’une typologie nouvelle », D. 2012, Chr. p. 2469 et s., spéc. p. 2473 et s. qui propose une distinction entre les délégations homogènes et les délégations hétérogènes. 46 Com 7 déc. 2004, n° 03-13.595, B. IV n°214, D. 2005, p. 1427, n. A. Boujeka, Defrénois 2005, art. 38142, p. 627, obs. E. Saveaux, RTDciv. 2005 p. 400, obs. J. Mestre; Civ 3, 5 mars 2008, n° 06-19.237, D. 2008, p. 849, n. Y. Rouquet, JCP 2008 I 179, n°19, obs. A. –S. Barthez, JCP E 2008 1774, n. G. Marty, Defrénois 2008, art. 38795, p. 1353, obs. E. Savaux, Droit & patrimoine 2008 n°170 p. 94, obs. L. Aynès et Ph. Stoffel-Munck, AJDI 2008 p. 476, obs. M. –P. Dumont-Lefrand ; Com 26 mars 2013, n° 12-12.769 ; Civ 3, 9 juill. 2013, n°11-17.808. 47 Com 7 décembre 2007, préc. 48 V. infra. 40 Il n’est, en effet, pas souhaitable que le délégué puisse opposer au délégataire les exceptions personnelles au délégant et les exceptions qui sont personnelles au délégué lui-même dans ses rapports avec le délégant. Ce type d’exception ne doit pas retentir sur l’obligation que le délégué a souscrite envers le délégataire. Concrètement, les exceptions affectant l’existence, la validité ou l’étendue de la dette fondamentale seront seules opposables. Au contraire, les exceptions qui se nichent dans les capacités de recouvrement de l’obligation contre le débiteur ne devraient en tout état de cause ne jamais être opposables 60 . Ainsi, la prescription de l’obligation sera opposable mais l’incapacité du délégant ne le sera pas. 60 V. L. Thibierge, article préc., spéc. p. 40. 41 LES EXCEPTIONS (Projet, art. 1314, 1324-4, 1325-6, 1325-7, 1329-1, 1329-2, 1330, 1330-1, 1335, 1339, 1339-1, 1340, 1346, 1347, 1348, 1350) Manuella Bourassin, Professeur, Directrice du CEDCACE Au regard de l'impératif de sécurité, juridique comme économique, il est essentiel que les créanciers et les débiteurs connaissent l'étendue de leurs droits lorsque leur relation bilatérale prend place au sein d'une opération impliquant d'autres protagonistes. Effectivement, en présence d'une opération à trois personnes au moins, la question se pose de savoir quels moyens de défense, issus des différentes relations juridiques en cause, peuvent être invoqués pour compromettre le paiement du créancier et quels sont ceux qui ne sauraient, au contraire, permettre la libération du débiteur. Dans de nombreuses dispositions du régime général des obligations, le projet de réforme 61 apporte des réponses à cette question en précisant le sort des exceptions, sous forme de règles générales et d'applications particulières. Il en résulte une systématisation du régime des exceptions, qui mérite d'être saluée, en ce qu'elle renforce l'intelligibilité et la prévisibilité des différentes opérations multilatérales réglementées (I). Si l'architecture d'ensemble donne satisfaction, plusieurs règles et formulations spécifiques prêtent le flanc à la critique et méritent dès lors d'être corrigées pour que le projet soit davantage encore source de sécurité (II). I- Analyse Domaine des exceptions au sein des opérations multilatérales La question de l'opposabilité ou de l'inopposabilité des exceptions se pose dans deux espèces distinctes d'opérations triangulaires voire multilatérales. D'une part, celles dans lesquelles il existe ab initio une pluralité d'obligés, c'est-à-dire des débiteurs tenus avec d'autres ou pour d'autres, en dehors de tout changement les concernant postérieurement à la naissance de l'obligation. Il s'agit des codébiteurs solidaires et des cautions. D'autre part, sont concernées les opérations qui deviennent multilatérales au cours de la vie de l'obligation, à la suite d'un changement de créancier (en cas de subrogation, de cession de créance ou de contrat, de novation) ou d'un changement de débiteur (en cas de cession de dette ou de contrat, de délégation, de novation). Régime des exceptions en cas de solidarité entre débiteurs Dans le paragraphe consacré à l'obligation solidaire, le projet de réforme énonce les principes généraux qui gouvernent le régime des exceptions et en fournit des applications précises dans les chapitres suivants relatifs à l'extinction de l'obligation ou à la modification du rapport d'obligation. Principes L'article 1314 du projet 62 complète les règles générales aujourd'hui inscrites dans l'article 1208 du Code civil. Il prévoit que "le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs63 et celles qui lui sont personnelles". En revanche, "il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d'autres codébiteurs". Le projet apporte toutefois à cette inopposabilité un tempérament : le codébiteur solidaire "peut se prévaloir de l'extinction de la part divise d'un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette". Le régime des exceptions personnelles varie ainsi selon qu'elles ont été ou non invoquées par le débiteur concerné. 61 Le régime des exceptions est précisé au sein des dispositions consacrées à la solidarité (art. 1314), au paiement (art. 1320- 9), à la subrogation (art. 1324-4), à la compensation (art. 1325-6, 1325-7), à la remise de dette (art. 1329-1, 1329-2) à la confusion (art. 1330, 1330-1), à la cession de créance (art. 1335), à la cession de dette (art. 1339, 1339-1), à la cession de contrat (art. 1340), à la novation (art. 1346, 1347) et à la délégation (art. 1348, 1350). 62 Dont la formulation est identique à celle de l'article 51 du projet Terré. 63 Dans la mesure où ces exceptions communes recouvrent celles "qui résultent de la nature de l'obligation", le projet abandonne à juste titre la référence de l'article 1208 du Code civil à ces dernières. 42 Applications Les principes inscrits dans l'article 1314 se trouvent illustrés, non pas dans ce texte lui-même, mais plus loin dans le projet, dans des articles régissant les institutions susceptibles de faire naître des exceptions. Font ainsi figure d'exceptions communes à tous les codébiteurs, autorisant leur libération totale : la remise du titre original ou de la copie exécutoire (Projet, art. 1320-9 64 , qui reprend la solution édictée par l'article 1284 du Code civil 65 ) ; la compensation (Projet, art. 1325-7 66 , qui rompt avec l'inopposabilité retenue par l'article 1294, alinéa 3, du Code civil 67 ) ; la novation (Projet, art. 1347, al. 1er 68 , similaire à l'article 1281, alinéa 1er, du Code civil). Le projet reconnaît par ailleurs des exceptions libérant les codébiteurs solidaires à hauteur de la part divise de celui d'entre eux qu'elles concernent : la remise de dette (Projet, art. 1329-1, al. 1er 69 , qui abandonne la libération totale des codébiteurs, sauf réserve expresse des droits contre ces derniers, prévue par l'article 1285 du Code civil 70 ) ; la confusion (Projet, art. 1330-1, al. 1er 71 , similaire aux articles 1209 et 1301, alinéa 3, du Code civil) ; la cession de dette en cas de décharge expresse du cédant par le créancier (Projet, art. 1339-1, al. 2 72 ) ; la cession de contrat en cas de décharge expresse du cédant par son cocontractant (l'article 1340, alinéa 4, du projet prévoit en effet que "les règles de (…) la cession de dette sont applicables, en tant que de besoin"). Régime des exceptions en matière de cautionnement L'habilitation contenue dans la loi du 16 février 2015 ne couvrant nullement le livre IV du Code civil relatif aux sûretés, le projet d'ordonnance ne modifie pas les articles 2289 et 2313, qui, sous forme de principes, déclarent opposables par les cautions "toutes les exceptions qui appartiennent au débiteur principal, et qui sont inhérentes à la dette" et inopposables "les exceptions qui sont purement personnelles au débiteur". Dans le régime général des obligations, le projet de réforme illustre néanmoins cette distinction en précisant le sort des exceptions nées des rapports entre le créancier et le débiteur principal. Il apporte en outre des éclaircissements quant aux exceptions nées des rapports entre le créancier et l'une des cautions. Exceptions nées des rapports entre le créancier et le débiteur principal Au stade de l'obligation à la dette (relations créancier / caution), les cautions peuvent, pour être partiellement ou entièrement libérées, opposer au créancier diverses exceptions nées des rapports de celui-ci avec le débiteur principal. La compensation permet aux cautions, simples comme solidaires 73 , d'être déchargées à due concurrence (Projet, art. 1325-7 74 reprenant la solution énoncée par l'article 1294, alinéa 1er, du Code civil). La remise de dette conventionnelle autorise leur libération dans la même proportion (Projet, art. 1329- 2, al. 1er 75 , similaire à l'article 1287, alinéa 1er, du Code civil). 64 Art. 1320-9 : La remise volontaire par le créancier au débiteur de l’original sous signature privée ou de la copie exécutoire du titre de sa créance vaut présomption simple de libération. La même remise à l’un des codébiteurs solidaires produit le même effet à l’égard de tous. 65 L'emplacement de l'article 1320-9 du projet (au sein des dispositions générales consacrées au paiement) est plus cohérent que celui de l'article 1284 du Code civil (section dédiée à la remise de dette). 66 Art. 1325-7. – Le codébiteur solidaire et la caution peuvent opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et leur coobligé. 67 Cette rupture avait déjà été préconisée par le projet Terré (art. 97). V. Ph. Simler, "De la libération du débiteur", in Pour une réforme du régime général des obligations, dir. F. Terré, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2013, p. 107. 68 Art. 1347, al. 1er. – La novation convenue entre le créancier et l’un des codébiteurs solidaires libère les autres. 69 Art. 1329-1, al. 1er. – La remise de dette consentie à l’un des codébiteurs solidaires libère les autres à concurrence de sa part. 70 Dans le même sens, v. Projet Terré, art. 105 ; Ph. Simler, "De la libération du débiteur", art. préc., p. 108. 71 Art. 1330-1, al. 1er. – Lorsqu’il y a solidarité entre plusieurs débiteurs ou entre plusieurs créanciers, et que la confusion ne concerne que l’un d’eux, l’extinction n’a lieu, à l’égard des autres, que pour sa part. 72 Art. 1339-1, al. 2. – Si le cédant est déchargé, ses codébiteurs solidaires restent tenus déduction faite de sa part dans la dette. 73 V. not. Civ. 1re, 1er juin 1983, Bull. civ. I, no 165 ; Com. 19 janv. 1993, Bull. civ. IV, no 15 ; Com. 26 oct. 1999, Bull. civ. IV, no 181. 74 Art. 1325-7. – Le codébiteur solidaire et la caution peuvent opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et leur coobligé. 75 Art. 1329-2, al. 1er. – La remise de dette accordée au débiteur principal libère les cautions. 45 Au contraire, au sein de la section consacrée à la délégation, deux dispositions déclinent le régime des exceptions. Il s'agit, d'abord, de l'article 1348 94 , aux termes duquel "le délégué ne peut, sauf stipulation contraire, opposer au délégataire aucune exception tirée de ses rapports avec le délégant ou des rapports entre ce dernier et le délégataire". Que le délégant soit libéré (délégation novatoire, dite parfaite) ou qu'il reste tenu (délégation dite simple ou imparfaite), le principe est donc celui de l'inopposabilité par le délégué des exceptions étrangères aux relations qu'il entretient avec le délégataire. Ce principe est supplétif de volonté, puisque l'article 1348 réserve la stipulation contraire. Il semble que celle-ci doive prévoir l'opposabilité des exceptions elle-même et non se contenter d'aligner l'obligation du délégué sur celle du délégant vis-à-vis du délégataire ou sur celle qu'il a lui- même à l'égard du délégant (délégation dite incertaine). Autrement dit, le projet paraît consacrer la jurisprudence de la Chambre commerciale de la Cour de cassation qui subordonne l'opposabilité des exceptions à une clause expresse en ce sens 95 , et non celle de la première Chambre civile qui l'admet sur le fondement d'une clause rendant la délégation incertaine 96 . C'est ensuite au sein de l'article 1350 du projet qu'une autre limite à l'inopposabilité des exceptions est posée. Ce texte prévoit en effet que, "lorsque le délégant est débiteur du délégataire mais que celui-ci ne l'a pas déchargé de sa dette, (…) le paiement fait par l'un des deux débiteurs libère l'autre, à due concurrence". Dans la délégation simple, l'exception de paiement par le délégant est donc opposable au créancier par le nouveau débiteur, alors que sa dette est nouvelle par rapport à celle du délégant. Il y a là une dérogation importante au principe d'inopposabilité des exceptions et à l'indépendance de la dette du délégué, qui en constitue le fondement. Fondements de l'opposabilité ou de l'inopposabilité des exceptions. L'opposabilité par un débiteur à son créancier d'exceptions qui ne relèvent pas exclusivement, en apparence, de leur relation bilatérale s'explique essentiellement par le fait qu'en réalité, la dette de ce débiteur est celle-là même dont est issue l'exception. Cette unicité de dette caractérise les diverses opérations multilatérales présentées plus haut dans lesquelles l'opposabilité des exceptions est reconnue. Elle s'explique toutefois différemment en présence d'une pluralité d'obligés ab initio et en cas de changement de créancier ou de débiteur au cours de la vie de l'obligation. Il existe, autrement dit, une distinction fondamentale entre ces deux espèces d'opérations multilatérales, que traduit la distinction terminologique adoptée par le projet d'ordonnance entre les "exceptions communes" (en matière de solidarité) et les "exceptions inhérentes" (en matière de subrogation, de cession de créance ou de dette) 97 . En présence d'une pluralité d'obligés ab initio (solidarité, cautionnement) L'obligation est un lien complexe, composé de deux éléments : d'une part, le devoir qui pèse sur l'obligé d’accomplir une prestation au profit du créancier, c’est-à-dire la dette du débiteur (appelée Schuld par la doctrine germanique ayant initié l'analyse dualiste de l'obligation) ; d'autre part, le droit du créancier de recevoir la prestation promise et de contraindre pour cela son débiteur à l’exécution, autrement dit le droit de poursuite du créancier (Haftung). Si ces deux composantes de l’obligation sont fréquemment confondues et n’apparaissent guère à la vie juridique, il est des hypothèses dans lesquelles la dualité prend tout son sens. Il en va ainsi lorsque l'obligation est solidaire entre plusieurs débiteurs ou lorsque l'obligation est garantie par une ou plusieurs cautions : il existe alors une seule dette, commune à l'ensemble des débiteurs 98 , mais des droits de poursuite distincts à l'encontre de chacun. Dans la mesure où cette structure duale caractérise aussi bien l'obligation des codébiteurs solidaires que celle des cautions, c'est à juste titre que le projet d'ordonnance rapproche l'une et l'autre quant au régime des exceptions. Ce rapprochement repose sur les solutions identiques proposées en matière de 94 V. dans le même sens, Projet Terré, art. 152, al. 2 ; Ph. Simler, "De la novation et de la délégation", art. préc., p. 136 s. 95 Com. 25 févr. 1992, inédit, n° 90-12863. 96 Civ. 1re, 17 mars 1992, Bull. civ. I, n° 84. 97 Cette distinction terminologique avait déjà été préconisée par les auteurs du projet Terré (v. O. Deshayes, "De la pluralité de sujets", in Pour une réforme du régime général des obligations, dir. F. Terré, Dalloz, coll. Thèmes et commentaires, 2013, p. 87). 98 Les définitions mêmes de la solidarité et du cautionnement révèlent cette unicité de Schuld : "la solidarité entre les débiteurs contraint chacun d’eux à répondre de toute la dette" (Projet, art. 1313) ; "celui qui se rend caution d'une obligation se soumet envers le créancier à satisfaire à cette obligation, si le débiteur n'y satisfait pas lui-même" (C. civ., art. 2288). 46 compensation, de remise de dette et de confusion 99 . Il se déduit, de surcroît, des principes que renferment les articles 1314 du projet et 2313 du Code civil, principes qui expriment l'unicité de dette et la pluralité de droits de poursuite : sont opposables les exceptions communes à tous les débiteurs, c'est-à-dire celles ayant trait à la dette elle-même que partagent les codébiteurs solidaires ou le débiteur principal et les cautions ; sont inopposables les exceptions personnelles à d'autres débiteurs, qui intéressent le droit de poursuite dont dispose le créancier à l'encontre de chacun d'eux. En cas de changement de créancier (subrogation, cession de créance ou de contrat, novation) ou de débiteur (cession de dette ou de contrat, novation, délégation) L'obligation est un bien appelé à circuler et à constituer la base de nouveaux rapports juridiques. Au cours de la vie d'une obligation, un changement de créancier ou de débiteur peut ainsi survenir. Dans ce contexte, l'opposabilité des "exceptions inhérentes" à l'obligation dépend du transfert de la créance ou de la dette ; l'inopposabilité résulte quant à elle de la naissance d'une nouvelle obligation. Autrement dit, dans les opérations multilatérales a posteriori, le fondement de l'opposabilité des "exceptions inhérentes" à l'obligation réside dans la transmission de celle-ci au nouveau créancier ou au nouveau débiteur. Au regard de ce fondement, l'opposabilité des "exceptions inhérentes" à la créance ou à la dette, que le projet d'ordonnance entérine en matière de subrogation et de cessions (de créance, de dette ou de contrat), est parfaitement justifiée, puisqu'il s'agit d'opérations translatives. Est tout aussi cohérent le principe d'inopposabilité des exceptions consacré par le projet dans le cadre de la délégation, vu que le délégué est tenu d'une obligation nouvelle, indépendante à la fois de celle que le délégant peut avoir vis-à-vis du délégataire et de celle qu'il peut lui-même avoir à l'égard du délégant. S'agissant des exceptions nées des rapports entre les protagonistes initiaux, leur sort n'est pas dicté par celui de l'obligation, mais bien plutôt par le nécessaire respect des prévisions de celle des parties qui a affaire à un nouveau créancier ou à un nouveau débiteur. Au regard de cet impératif de sécurité, l'opposabilité des exceptions nées des rapports entre le débiteur et le créancier primitif, que retient le projet de réforme en matière de subrogation et de cession de créance, mérite l'approbation, d'autant qu'elle est limitée à celles nées avant que le changement de créancier ne soit devenu opposable au débiteur, c'est-à-dire avant que celui-ci n'ait pu savoir que ses prévisions risquaient d'être bouleversées. En matière de cession de dette, c'est la sécurité du créancier qui justifie l'inopposabilité par le nouveau débiteur des exceptions personnelles au débiteur initial. Les règles générales énoncées par le projet d'ordonnance, aussi bien en présence d'une pluralité d'obligés ab initio qu'en cas de changement de créancier ou de débiteur au cours de la vie de l'obligation, sont donc cohérentes par rapport aux fondements que l'on peut reconnaître à l'opposabilité ou à l'inopposabilité des exceptions. Cette cohérence est à mettre au crédit dudit projet, car elle renforce l'intelligibilité et la prévisibilité des règles proposées. De nombreuses applications particulières suscitent au contraire de sérieuses réserves et appellent des contrepropositions. II. Contrepropositions Ne seront repris ici que les articles du projet intéressant les codébiteurs solidaires et les cautions. Notons que les règles visant celles-ci devraient s'appliquer plus largement aux garants personnels dont l'engagement présente un caractère accessoire renforcé 100 , en particulier le codébiteur solidaire non intéressé à la dette, qui, vis-à-vis du créancier, est dans la même situation qu'une caution 101 ; le cédant 99 V. Projet, art. 1325-7 relatif à l'exception de compensation opposable aussi bien par une caution (ce qu'admet déjà l'article 1294, alinéa 1er, du Code civil) que par un codébiteur solidaire (le projet écarte l'inopposabilité que prévoit au contraire l'article 1294, alinéa 3, du Code civil). V. Projet, art. 1329-1, al. 1er, et 1329-2, al. 2, qui consacrent la libération des codébiteurs solidaires et des cautions solidaires à concurrence de la part du débiteur ou de la caution ayant bénéficié de la remise de dette. V. Projet, art. 1330-1, al. 1er et 2 in fine, retenant une solution identique vis-à-vis des codébiteurs solidaires et des cofidéjusseurs, à savoir leur libération à hauteur de la part du débiteur ou de la caution libéré (la règle de l'article 1301, alinéa 3, du Code civil, propre aux codébiteurs solidaires, se trouve ainsi étendue aux cofidéjusseurs). 100 Sur cette notion, distincte du caractère accessoire général que présente toutes les sûretés, v. M. Bourassin, V. Brémond, M.-N. Jobard-Bachellier, Droit des sûretés, Sirey, 2014, n° 8, 39, 214 s. 101 Comparaison inscrite dans l'article 1216 du Code civil, que l'article 1317 du projet ne reprend malheureusement pas. 47 d'une dette, qui est "simplement garant des dettes du cessionnaire", si le créancier n'a pas consenti expressément à le libérer (Projet, art. 1338, al. 2) ; le cédant d'un contrat, qui est, sauf clause contraire, "simplement garant des dettes du cessionnaire", lorsque ce dernier ne l'a pas libéré pour l'avenir (Projet, art. 1340, al. 3). S'il n'appartient certainement pas à la future ordonnance réformant le droit des obligations de consacrer un régime commun aux garanties personnelles accessoires et donc de ne plus viser les seules cautions, il est souhaitable qu'une nouvelle refonte du droit des sûretés s'en charge prochainement. Article 1314 : "Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, mais il peut se prévaloir de l’extinction de la part divise d’un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette". L'intelligibilité des principes énoncés par l'article 1314 du projet - opposabilité des exceptions communes à tous les codébiteurs et inopposabilité des exceptions personnelles à d'autres débiteurs - serait renforcée si, comme en matière de subrogation et de cession de créance, des exemples d'exceptions opposables ou inopposables étaient ajoutés. La sécurité juridique ne pourrait toutefois être véritablement confortée que si une cohérence existait entre les exemples, les règles illustrées et surtout les fondements dictant celles-ci 102 . Le choix des exemples à faire figurer dans l'article 1314 devrait ainsi être principalement dicté par la structure duale de l'obligation solidaire. Au titre des "exceptions communes à tous les codébiteurs", qui intéressent l'existence même de la dette à laquelle ils sont tous tenus (Schuld) et que chacun peut opposer pour être libéré, totalement ou partiellement, mériteraient d'être citées la nullité 103 et l'extinction de l'obligation (par paiement, compensation, remise de dette, confusion, cession de dette ou de contrat avec décharge du cédant, novation). S'agissant des "exceptions personnelles à d’autres codébiteurs", qui limitent ou suppriment le droit du créancier de réclamer à chacun l'exécution de l'obligation (Haftung), sans toutefois éteindre celle-ci, et dont seul le débiteur concerné peut se prévaloir, elles pourraient être illustrées par : les modalités de l'obligation (terme suspensif, intransmissibilité) ; les modalités du paiement (lieu, monnaie) ; ou encore par les accords ou circonstances affectant les poursuites du créancier (modes de règlement des différends, tels que la transaction, l'arbitrage et la conciliation ; disparition du droit de poursuite, sans extinction de la dette elle-même, notamment en cas de remise des poursuites 104 , de clôture d'une procédure d'insolvabilité pour insuffisance d'actif 105 , ou encore de prescription). Proposition alternative : Article 1314 : "Le débiteur solidaire poursuivi par le créancier peut opposer les exceptions qui sont communes à tous les codébiteurs, tels que la nullité et l'extinction de l'obligation, et celles qui lui sont personnelles. Il ne peut opposer les exceptions qui sont personnelles à d’autres codébiteurs, comme les modalités de l'obligation, du paiement ou des poursuites, mais il peut se prévaloir de l’extinction de la part divise d’un codébiteur pour la faire déduire du total de la dette, notamment en cas de cession de dette". Article 1325-7 : "Le codébiteur solidaire et la caution peuvent opposer au créancier la compensation intervenue entre ce dernier et leur coobligé". L'emploi du terme "coobligé", pour désigner le débiteur garanti par une caution, est excessif. Il a certes le mérite de souligner l'unicité de dette (la Schuld de la caution étant empruntée à celle du débiteur), mais il occulte une autre caractéristique essentielle de l'obligation de la caution, à savoir sa subsidiarité 102 Pour une analyse des exemples législatifs au prisme de l'impératif de sécurité juridique, v. M. Bourassin, "Les exemples législatifs", RRJ 2010-3, p. 1113 s. 103 Nullité absolue ou relative, mais faute de qualité pour invoquer cette dernière, les codébiteurs ne peuvent en profiter que si elle a été prononcée à la demande du débiteur protégé. Cette limite a été nettement affirmée par la Cour de cassation, en matière de cautionnement, au sujet de la nullité fondée sur un vice affectant le consentement du débiteur (Ch. mixte, 8 juin 2007, Bull. ch. mixte, n° 5 ; Com. 22 mai 2013, inédit, n° 11-20398). 104 V. Com. 22 mai 2007, Bull. civ. IV, no 136 : "la renonciation par le créancier au droit à agir en paiement contre le débiteur principal n’emporte pas extinction de l’obligation principale ni du recours de la caution contre ce dernier, de sorte que la clause précitée ne fait pas obstacle aux poursuites du créancier contre la caution solidaire". 105 V. C. com., art. L. 643-11 ; C. consom., art. L. 332-5 et L. 332-9. 50 l'alinéa 2 devrait donc viser la novation convenue entre le créancier et le débiteur principal, qui couvre en outre le changement de créancier ou d'objet, très fréquent en pratique 112 . A l'égard des codébiteurs solidaires et des cautions, la libération fondée sur la novation est énoncée de manière impérative. Le projet de réforme est en rupture sur ce point avec le droit positif. En effet, l'article 1281, alinéa 3, du Code civil réserve l'accession des codébiteurs et des cautions. La Cour de cassation valide ainsi les clauses exprimant l'accord des cautions à la substitution de l’obligation nouvelle à la dette préexistante 113 , ainsi que les conventions écartant la libération des cofidéjusseurs en cas de novation à l'égard de l'une des cautions 114 . Dans la mesure où l'article 1346, alinéa 2, du projet admet la survie des sûretés réelles, moyennant le consentement de leur constituant, il serait cohérent que l'article 1347 sauvegarde également l'efficacité des garanties personnelles (solidarité passive et cautionnement), en réservant la volonté des codébiteurs solidaires et cautions en faveur du maintien de leur engagement. Il suffirait pour cela d'ajouter dans les trois alinéas de l'article 1347 "sauf convention contraire". Cette promotion de la volonté rejoindrait en outre celle opérée par l'article 1339-1, alinéa 1er, en matière de cession de dette avec décharge du cédant par le créancier ("les garanties consenties par des tiers ne subsistent qu’avec leur accord"). Proposition alternative : Article 1346 : "L’extinction de l’obligation ancienne empêche le débiteur d'opposer les exceptions relatives à cette obligation. L’extinction de l’obligation ancienne s’étend à tous ses accessoires. Par exception, les sûretés réelles d’origine peuvent être réservées pour la garantie de la nouvelle obligation avec le consentement des titulaires des droits grevés". Article 1347 : "La novation convenue entre le créancier et l’un des codébiteurs solidaires libère les autres, sauf convention contraire. La novation convenue entre le créancier et le débiteur principal libère les cautions, sauf convention contraire. La novation convenue entre le créancier et une caution ne libère pas le débiteur principal. Sauf convention contraire, elle libère les autres cautions à concurrence de la part contributive de celle dont l’obligation a fait l’objet de la novation". 112 Constituent notamment des novations par changement d'objet, libérant la caution par voie accessoire, le renouvellement du contrat de location garanti (Civ. 1re, 4 oct. 2000, Bull. civ. I, no 234) ou la tacite reconduction de l'ouverture de crédit cautionnée (Com. 11 févr. 1997, Bull. civ. IV, no 46). 113 Les clauses stipulant que la reconduction du contrat principal ne libère pas la caution pour l’avenir ont été reconnues licites en matière de bail (Civ. 1re, 1er oct. 1986, Gaz. Pal. 1986. 2. pan. jur. 246) et d’ouverture de crédit (Com. 11 juin 2003, Bull. civ. IV, n° 94). 114 Com. 7 déc. 1999, Bull. civ. IV, no 219. 51 LA PREUVE DES OBLIGATIONS (Projet, sections 1 et 2 du titre IV bis) Camille Bourdaire-Mignot, Maître de conférences I. Généralités A. Observations sur l’intitulé du Titre IV bis (et sur l’article 1320-8 du projet) Le titre IV bis du projet s’intitule : « De la preuve des obligations ». Il remplace l’actuel chapitre VI intitulé « De la preuve des obligations et du paiement ». Le nouveau titre est donc raccourci puisqu’il n’est plus fait référence à la preuve du paiement. Cela est justifié par le double choix de consacrer un texte à la preuve du paiement et de l’insérer dans la section relative au paiement (art. 1320-8 du projet). L’article 1320-8 du projet dispose que : « Le paiement se prouve par tous moyens. » Un débat doctrinal existe pour qualifier le paiement d’acte ou de fait juridique. Le projet ne prend pas directement parti sur cette qualification mais uniquement sur l’une de ses conséquences, à savoir la preuve du paiement. Le projet fait le choix de la liberté de preuve. La solution retenue semble satisfaisante. Elle permet de prendre en considération la pratique très répandue du virement, dans laquelle aucun écrit n’émane du créancier. Cette liberté de preuve a d’ailleurs été affirmée, par la première chambre civile de la Cour de cassation, à compter de 2004 115 . Mais la solution n’était pas nécessairement unanime au sein de la Haute juridiction 116 . Une telle discordance était source d’insécurité juridique. Il est bien venu que la loi tranche cette question, et le fasse en faveur de la solution la plus pratique. B. Observations sur le plan du titre IV bis Le titre IV bis se compose de trois sections : - Section 1 – Dispositions générales - Section 2 – L’admissibilité des modes de preuve - Section 3 – Les différents modes de preuve Le plan proposé permet de traiter, dans cet ordre, la question de la charge de la preuve, puis celle de l’admissibilité de la preuve et enfin celle des modes de preuves. Il est beaucoup plus clair que le plan actuel. De ce point de vue, le projet a été un peu plus audacieux que l’avant projet Catala. Il se rapproche de la proposition du groupe de travail de l’Académie des sciences morales et politiques sous la direction de François Terré, élaborée en 2013 (ci-après Propositions Terré). La solution retenue par le projet devrait pouvoir être rapidement intégrée par la pratique. En particulier, ce plan permet de rendre compte de la démarche intellectuelle du praticien qui doit apporter les preuves au soutien des prétentions de son client. Il doit bien s’interroger en premier lieu sur l’admissibilité des preuves en fonction, notamment, de la distinction classique entre les faits et les actes juridiques, puis au sein des actes eux-mêmes, en fonction de leur montant, pour déterminer, parmi les éléments fournis par le client, les éléments pertinents à produire. En ce sens le plan du projet doit être approuvé. 115 Civ. 1e 6 juill. 2004, n° 01-14.618, Bull. civ. I, n° 202 ; Civ. 1e, 5 juill. 2005, n° 03-18.109, inédit. Civ. 1e 16 avr. 2008, n° 06-21.260, inédit, Civ. 1e 16 sept. 2010, n° 09-13.947, Bull. civ. I, n° 173. Cette solution avait même été parfois admise avant cette date : Civ. 1e 7 févr. 1989, n° 85-14.989, Bull. I, n° 74. 116 Cf. G. LOISEAU, « Réflexion sur la nature juridique du paiement », JCP 2006. I. 171, citant différentes décisions, notamment de la troisième chambre civile et de la chambre sociale ayant statué différemment. 52 II. Observations sur les textes de la section 1 La section 1, consacrée aux dispositions générales, comprend cinq articles (1354 à 1358) relatifs à la charge de la preuve, aux présomptions légales, à l’autorité de chose jugée, aux contrats portant sur la preuve, à l’administration judiciaire de la preuve. Parmi ces textes deux dispositions appellent des observations dans le sens d’une réécriture (articles 1355) ou d’une suppression du texte (article 1356). Les autres textes sont opportuns. A. Les articles 1355 et 1356 du projet 1) L’article 1355 du projet dispose : « La présomption légale qu’une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits dispense de preuve celui au profit duquel elle existe. « La présomption simple peut être renversée par tout moyen de preuve ; la présomption mixte, par le seul moyen particulier permis par la loi, ou sur le seul objet visé par elle ; la présomption irréfragable, par l’aveu judiciaire ou le serment décisoire. » Ce texte synthétise les actuels articles 1349, 1350 et 1352 du code civil. Il reprend, quasiment à l’identique les Propositions Terré. La seule différence avec celles-ci réside dans l’ajout de la portion de phrase « qu’une loi spéciale attache à certains actes ou à certains faits », après « la présomption légale ». Malgré cette précision, la présomption légale n’est plus vraiment définie dans le projet. Cela tient au choix de supprimer la définition générale des présomptions, figurant à l’actuel article 1349 du code civil. Cette suppression n’apparaît pas souhaitable. L’avant-projet Catala avait d’ailleurs préconisé de conserver la définition générale des présomptions, tout en proposant un complément par rapport au texte actuel (« en tenant celui-ci pour certain sur le fondement du fait qui le rend vraisemblable »). Ce complément permettait d’expliquer pourquoi de telles présomptions entraînent une dispense de preuve. Le texte du projet ne fait pas apparaître clairement la logique de la dispense de preuve qui découle des présomptions légales. C’est pourquoi, il nous semble que la définition de la présomption devrait être rétablie. A cette fin, une synthèse de ces différentes propositions pourrait être opérée (cf. proposition de rédaction, infra). Par ailleurs, l’article 1355, alinéa 2, du projet reprend en substance l’actuel article 1352, alinéa 2, du code civil qui précise les différentes possibilités pour renverser une présomption légale. La nouvelle rédaction est claire quant à la distinction entre les présomptions simples, mixtes et irréfragables. Mais elle s’articule mal avec le premier alinéa. En effet le projet définit les présomptions simples, mixtes et irréfragables, sans préciser que les présomptions légales peuvent être simples, mixtes ou irréfragables. Cela est naturellement sous-entendu mais va mieux en l’écrivant nous semble- t-il. Quant à la suppression des critères posés par l’actuel article 1352 du code civil pour déterminer la nature des présomptions légales, elle semble opportune. Ce texte pose deux critères de détermination des présomptions irréfragable, à savoir l’annulation de l’acte et la dénégation de l’action en justice. La doctrine a souligné que second critère n’était pas clair 117 . Quant au premier, sa mise en œuvre est source de difficultés 118 . En outre, il ne paraît plus très adapté depuis la modification de certaines présomptions jadis irréfragables, comme celle posée à l’article 911, alinéa 2, du code civil par exemple. 117 En ce sens, notamment, J.L. Mouralis, Répertoire civil Dalloz, Preuve. Règles de preuve, n° 132. 118 En ce sens, notamment, J. Ghestin, G. Goubeaux et M. Fabre-Magnan, Traité de droit civil, Introduction générale, LGDJ, 4e éd., n° 717. 55 La première modification met l’accent sur la contestation de l’acte qu’une partie cherche à prouver. La formule choisie semble induire le fait que si un acte allégué par une partie n’est pas contesté par l’autre, le demandeur n’a pas à en rapporter la preuve 120 . Est-ce l’effet souhaité par cette modification ? Certes une part importante de la doctrine enseigne que les faits (au sens large) non contestés n’ont pas à être prouvés. Et, il semble que cette solution soit acquise dans de nombreux droits étrangers 121 . Mais la jurisprudence paraît plus nuancée. La Cour de cassation a déjà jugé, à plusieurs reprises, que le silence opposé à l’affirmation d’un fait ne valait pas, à lui seul, reconnaissance de ce fait 122 . Il semble en tous les cas, que le juge ne soit pas tenu de considérer que des faits allégués sont constants au seul motif qu’ils n’ont pas été expressément contestés 123 . Il apparaît que le pouvoir laissé aux juges du fond d’apprécier la portée de la non-contestation d’une allégation permet de s’adapter à de nombreuses situations et de s’approcher au mieux de la vérité. L’absence de contestation de l’existence d’un acte n’est pas toujours l’aveu de l’existence de cet acte, elle peut résulter d’une négligence ou d’une erreur par exemple. Il est bien évident que l’article 1362 du projet, relatif au commencement de preuve par écrit, n’a pas directement trait à cette question relative à la fois à la charge et à l’objet de la preuve. Cependant la modification de la formule employée pour définir l’auteur du commencement de preuve par écrit implique qu’en l’absence de contestation, par le défendeur, de l’acte sur lequel est fondée la demande, celui à qui incombe la charge de la preuve dudit acte n’a finalement pas à rapporter cette preuve. Si c’est l’effet voulu par ce changement de formule, il faudrait à notre sens l’afficher plus clairement dans les dispositions générales. Il faudrait alors préciser de quel type de contestation il s’agit (devant le juge, devant un expert 124 …). La seconde modification proposée par le projet est l’ajout d’un alinéa d’où il résulte que la mention d’un acte authentique ou sous seing privé sur un registre public vaut commencement de preuve par écrit. Cet ajout figure dans les Propositions Terré. Il s’agit semble-t-il d’une extension de l’actuel article 1336 relatif à la transcription d’un acte notarié sur un registre public. L’article 1336 du code civil est particulièrement restrictif. D’une part, il se limite aux registres sur lesquels un acte authentique est transcrit, c’est à dire intégralement repris (comme c’est le cas pour le registre des services de la publicité foncière). D’autre part, il implique différentes conditions pour que la transcription vaille commencement de preuve par écrit (perte de toutes les minutes du notaire, de l’année dans laquelle l’acte paraît avoir été fait, et existence d’un répertoire en règle du notaire qui constate que l’acte a été fait à la même date). Ce texte prévoit en outre que, lorsqu’au moyen du concours de ces deux circonstances la preuve par témoins sera admise, il sera nécessaire que ceux qui ont été témoins de l’acte, s’ils existent encore, soient entendus. En comparaison, l’alinéa proposé étend donc considérablement le champ du commencement de preuve par écrit. Il suffira qu’un registre public fasse mention de l’acte à prouver, sans que celui-ci soit intégralement transcrit. Les registres des actes notariés, ou les registres de l’état civil sont concernés. La solution, qui semble bonne, ne paraît pas totalement nouvelle. La jurisprudence l’avait déjà admise pour les registres de l’état civil. Une question demeure toutefois : la définition du registre public est-elle bien délimitée ? 120 Une autre interprétation de cette disposition est possible mais elle n’aurait pas de sens : l’écrit émanant de celui contre qui la demande est formée, lequel resterait taisant sans véritablement contester l’acte, ne constituerait pas un commencement de preuve par écrit. 121 Sur cette question, cf. J. Normand, « Le juge peut-il tenir pour non établi un fait allégué et non contesté ? », RTDCiv. 1992, p. 447. 122 Civ. 3e 6 sept. 2011, n° 10-21.244, inédit ; Com 23 juin 2009, n° 08-12.430, inédit ; Civ. 1e 24 mai 2007, n° 06-18.218, Bull. civ. I, n° 209. 123 Civ. 2e, 10 mai 1991, n° 89-10.460, Bull. civ. II, n° 142 ; Civ. 1e 4 juill. 1995, n° 93-20.174, Bull. civ. I, n° 294. 124 Il a déjà été jugé que « l’absence de dénégation de l’existence d’une affirmation formulée par une partie par devant un expert ne vaut pas commencement de preuve par écrit de l’existence de la convention prétendue » Civ. 3e 20 oct. 1976, n° 75.11-411, Bull. civ. III, n° 363. 56 B. Les autres dispositions du projet 1) L’article 1361 du projet dispose : « Celui dont la créance excède le seuil visé à l’article précédent ne peut pas être dispensé de la preuve par écrit en restreignant sa demande. « Il en est de même de celui dont la demande, même inférieure à ce montant, porte sur le solde ou sur une partie d’une créance supérieure à ce montant ». Ce texte regroupe en deux alinéas les articles 1343 et 1344 actuels. Les modifications apportées, qui ne portent que sur la formulation, ne modifient pas les règles en vigueur. La nouvelle formulation est claire et doit être approuvée. Les articles 1342, 1345 et 1346 actuels ont été supprimés. Ces textes décrivent dans le détail comment doit s’entendre le montant fixé par décret pour l’exigence de la preuve écrite. Dès lors que ces principes ne semblent poser aucune difficulté d’application et relèvent du pur bon sens, il ne semblait effectivement pas utile de les conserver. 2) L’article 1363 du projet dispose : « Les règles ci-dessus reçoivent exception en cas d’impossibilité matérielle ou morale de se procurer un écrit, s’il est d’usage de ne pas établir un écrit, ou lorsque l’écrit est perdu par force majeur ». Le texte reprend en partie l’actuel article 1348 du code civil. La référence aux quasi-contrats, délits et quasi-délits est supprimée, ce qui se justifie par le fait que l’article 1359 du projet précise que la preuve des faits est libre. La proposition de réécriture de l’article 1359, formulée supra, n’a aucune conséquence à cet égard. L’hypothèse de la perte de l’écrit par cas fortuit n’est pas conservée (seule celle de la perte par force majeure demeure). Cette simplification semble bienvenue dans la mesure où, au fil du temps, la doctrine et la jurisprudence avaient fini par considérer les deux expressions comme synonymes ; en outre les critères retenus par la jurisprudence sont bien ceux de la force majeure. Une hypothèse est ajoutée : « le cas où il est d’usage de ne pas faire un écrit » (cet ajout figure dans les Propositions Terré). Par cet ajout, le projet entérine la jurisprudence qui a admis qu’un usage pouvait permettre de déroger au principe de l’actuel article 1341 du code civil 125 . Cela est bienvenu. La référence aux copies est supprimée, ce qui est logique puisque le projet a décidé de faire produire une force probante autonome aux copies. Conclusion Les dispositions du projet relatives aux deux premières sections du titre IV bis sont opportunes dans l’ensemble et ne devraient pas donner lieu à des difficultés particulières. Exceptées les remarques relatives à l’auteur du commencement de preuve par écrit, qui nous semblent mériter réflexion, les quelques observations formulées en faveur d’une réécriture de certaines dispositions ne portent pas sur le fond de celles-ci. Par ailleurs, on peut regretter que ne figure pas, dans les dispositions générales, un texte relatif à la loyauté de la preuve. Le praticien, souvent amené à invoquer le principe de loyauté de la preuve, verrait sa tâche facilitée s’il pouvait viser un texte en particulier. 125 A titre d’exemple : Civ. 1e 15 avr. 1980, n° 79-10.328, Bull. civ. I, n° 113 ; Com. 22 mars 2001, n° 09-72.426, Bull. IV, n° 50.
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