Docsity
Docsity

Prépare tes examens
Prépare tes examens

Étudies grâce aux nombreuses ressources disponibles sur Docsity


Obtiens des points à télécharger
Obtiens des points à télécharger

Gagnz des points en aidant d'autres étudiants ou achete-les avec un plan Premium


Guides et conseils
Guides et conseils

SAINT-AMANT ET LE BAROQUE, Examens de Poésie

Son œuvre contient non seulement de la poésie lyrique, héroïque et descriptive, mais aussi de la fantaisie, de la satire et du burlesque. Par ailleurs, la ...

Typologie: Examens

2021/2022

Téléchargé le 08/06/2022

Rene_Toulon
Rene_Toulon 🇫🇷

4.3

(37)

182 documents

Aperçu partiel du texte

Télécharge SAINT-AMANT ET LE BAROQUE et plus Examens au format PDF de Poésie sur Docsity uniquement! SAINT-AMANT ET LE BAROQUE ENTRE LICENCE ET TRADITIONS Noluenn Cassaert Stamnummer: 01502481 Promotor: Prof. Dr. Alexander Roose Vakgroep Franse Letterkunde Masterproef voorgelegd tot het behalen van de graad van Master of Arts in de Taal- en Letterkunde: Frans - Latijn Academiejaar: 2018 - 2019 2 AVANT-PROPOS Ce mémoire est le résultat de quatre ans de formation en lettres latines et françaises, qui m’ont sans cesse fascinée et passionnée. Il convient de remercier quelques personnes sans qui l’accomplissement de ce mémoire n’aurait jamais été possible. D’abord, j’aimerais exprimer mon immense gratitude à mon directeur de recherche, Prof. Dr. Alexander Roose, non seulement pour sa patience, ses encouragements, ses conseils et ses lectures critiques, mais surtout, ce qui est encore plus important pour moi, pour m’avoir transmis son enthousiasme pour la littérature française. C’était toujours un plaisir de pouvoir discuter de mon sujet avec lui. Puis, je tiens à remercier Franck, mon language buddy, pour ses relectures attentives. Ensuite, un grand merci à mes amis pour leur soutien et pour les pauses nécessaires qui étaient toujours très sympathiques. Je voudrais en particulier remercier Melanie, avec qui je n’ai pas seulement pu parcourir tout le chemin de la rédaction d’un mémoire, mais aussi partager toutes les joies et toutes les difficultés. Enfin, je voudrais remercier de tout cœur mes parents, pour leur soutien inconditionnel pendant ces quatre années et pour l’intérêt qu’ils ont toujours porté à mes études. Laissez-vous entraîner par « ces vers faits pour vous resjouïr »1. 1 Le Poëte crotté, v. 28. SA.II, p. 33. 5 LISTE DES ABREVIATIONS SA.I Saint-Amant, Œuvres. Tome I : Les Œuvres (1629), éd. Jacques Bailbé, Paris, Librairie Marcel Didier, 1971. SA.II Saint-Amant, Œuvres. Tome II : Suitte des Œuvres (1631), Seconde partie des Œuvres (1643), éd. Jean Lagny, Paris, Librairie Marcel Didier, 1967. 6 ceux qui ayment les Lettres ne perissent jamais2 − Saint-Amant 2 A Monseigneur le Duc de Rets, Pair de France, &c., v. 9. SA.I, p. 11. 7 INTRODUCTION Tu vois dans cette Poësie Pleine de licence, et d’ardeur, Les beaux rayons de la splendeur Qui m’éclaire la fantaisie : Tantost chagrin, tantost joyeux, Selon que la fureur m’enflame, Et que l’objet s’offre à mes yeux, Les propos me naissent en l’ame, Sans contraindre la liberté Du Demon qui m’a transporté.3 Aujourd’hui, la licence poétique, c’est-à-dire la liberté qui permet aux poètes d’écrire sans contraintes formelles, est très valorisée. Toutefois, cette licence n’a pas toujours été une évidence. À plusieurs reprises au long de l’histoire de la littérature française, l’œuvre des générations précédentes a impressionnée et, par conséquent, servi de critère ultime pour les poètes. Ces règles se sont alors imposées à l’écriture ultérieure. La prédilection pour les traditions considérées comme supérieures, voire invincibles, semble se heurter à l’idée de la liberté poétique. Les deux visions sont-elles effectivement incompatibles ? Marc-Antoine de Girard, sieur de Saint-Amant4, plus connu sous le nom abrégé de Saint- Amant, est un poète de la première moitié du XVIIe siècle. Il se lance dans sa carrière poétique en 1617 avec La Solitude, son « noble coup-d’essay »5 bien accueilli, sur lequel se construit sa renommée de poète. À partir de ce moment, il a obtenu sa place à la cour. Il est en outre fort apprécié pour ses talents de joueur de luth6. Même si, pendant sa carrière, le poète jouit de la protection de plusieurs nobles, le duc de Retz est considéré comme son mécène principal7. Saint-Amant est « le personnage, à la fois marin, mousquetaire, académicien, goinfre, alcoviste et toujours poète […] ; sa vie se devine singulièrement complexe »8. Sa vie est en effet composée d’une série d’activités littéraires et amusantes, soit à la cour, soit dans les 3 La Solitude, v. 181-190. SA.I, p. 47. 4 SA.I, p. XI. Le nom du poète a subi toute une évolution : « Antoine Girard, qui se fit appeler plus tard Marc- Antoine de Girard, puis de Gérard, sieur de Saint-Amant, […]. » 5 Élégie à Monseigneur le duc de Rets, v. 16. SA.I, p. 28. 6 SA.I, p. XII. 7 « Henri de Gondi, duc de Retz (1590-1659), fils de Charles, marquis de Belle-Ile, et d’Antoinette d’Orléans, petit- fils d’Albert, premier duc de Retz, ne joua qu’un rôle politique assez effacé. Ami du plaisir, mais aussi curieux de belles-lettres, il fut pour Saint-Amant un protecteur en même temps qu’un ami. » (SA.I, p. 11.) Les autres mécènes sont entre autres le duc de Montmorency, le comte d’Harcourt, le comte de Liancourt et le duc d’Orléans. 8 Raoul Audibert et René Bouvier, Saint-Amant. Capitaine du Parnasse, Paris, La Nouvelle Edition, 1946, p. 8. 10 crucial pour Saint-Amant : le goût pour la liberté, qui définit non seulement la poésie, mais aussi sa philosophie, et même l’hédonisme sont une source d’inspiration pour Saint-Amant21. Grâce à la variation littéraire des traditions riches des siècles précédents, Saint-Amant a donc pu puiser dans de nombreuses sources littéraires. Après 1661, la poétique du classicisme gagne de plus en plus d’adhérents : elle exige plus de profondeur et se tourne vers la tradition antique22. Le classicisme tend à effacer toute cette époque entre « préclassicisme » et classicisme. Pourtant, il faut se débarrasser du préjugé que la littérature de cette période doit tout à la tradition littéraire du siècle précédent, comme si elle n’unit pas de valeur ou de caractéristiques authentiques. La question reste de savoir quelle est l’authenticité de cette période, vu la complexité de la situation littéraire, et quelle place Saint-Amant y occupe. Bien que quelques études admettent ne pas pouvoir classifier Saint-Amant dans un courant littéraire fixe23, la plupart des critiques lui colle l’étiquette « baroque ». Mais quelle en est la signification ? D’une part, cette étiquette est une solution facile pour regrouper tous les poètes dont les critiques ne savent pas à quelle école ils appartiennent24. D’autre part, Saint- Amant est pour certains le poète baroque par excellence. Il faut donc que ces poètes appelés baroques montrent un certain nombre de similarités entre eux, caractéristiques du courant baroque. En premier lieu, cette étude posera la question de savoir si la poésie de Saint-Amant peut être appelée « baroque » à juste titre, et, si tel est le cas, pour quelles raisons on lui attribue cette étiquette. En deuxième lieu, elle a pour but de considérer la poésie de Saint-Amant dans un cadre plus vaste : comment trouve-t-elle sa place dans la poésie française baroque, dans la littérature française baroque et dans le mouvement artistique général du baroque ? Cette interrogation mène vers une question encore plus fondamentale : comment définir le baroque ? Comme il est impossible de considérer l’œuvre poétique de Saint-Amant dans sa totalité dans le cadre de ce mémoire, une restriction du corpus est nécessaire. Puisque le mouvement littéraire du baroque est généralement restreint de 1570 à 164025, je me concentrerai sur les 21 Michel Jarrety, op. cit., p. 189. 22 Ibid., p. 235. 23 Samuel Borton, op. cit., deuxième de couverture. 24 Françoise Gourier, op. cit., p. 13. 25 Vincent Vivès, op. cit., p. 151. 11 publications antérieures à 1640. Cette restriction comprend donc la première publication officielle des Œuvres en 1629, qui « donne une idée complète du génie et de l’originalité du poète »26 et la deuxième publication Suitte des Œuvres en 1631. Il convient d’ajouter également que ce terminus ante quem permet aussi de considérer les Poésies liminaires de 1621-1622, c’est-à-dire les poèmes qui n’ont jamais été publiés. L’édition critique de Jacques Bailbé et de Jean Lagny sert de source primaire. Étant donné l’existence de versions parallèles ou ultérieures qui comportent de variantes, voire des corrections des poèmes, l’établissement des textes n’est pas mis en question. Ce mémoire comporte trois parties. Dans un premier temps, j’analyserai les thématiques. L’approche thématique de Saint-Amant peut-elle être qualifiée de baroque ? Dans un deuxième temps, l’analyse poétique portera sur la forme de la poésie de Saint-Amant : quelles sont les spécificités formelles de Saint-Amant et comment peuvent-elles être mises en relation avec le cadre de la tradition poétique ? Néanmoins, la distinction entre fond et forme reste toujours un peu artificielle car « il existe une relation, une corrélation, de la forme et du contenu dont il est impossible de faire abstraction, du moins en littérature »27. Il reste par conséquent primordial de ne jamais séparer l’un de l’autre. Dans un troisième temps, les analyses poétiques du fond et de la forme aboutiront à une réflexion sur le style de Saint- Amant et sur l’étiquette « baroque ». Cette étude servira de base à l’ouverture à une réflexion plus vaste sur le baroque en poésie, en littérature et en art. 26 SA.I, p. XXIII. 27 Marcel Raymond, op. cit., p. 51-52. 12 CHAPITRE 1 : LE FOND POETIQUE 1.1 Saint-Amant sur le fond poétique Les poèmes de Saint-Amant ont souvent un caractère métapoétique : ils proposent de façon explicite ou implicite une distinction de la bonne poésie, et indiquent en même temps les éléments problématiques. L’Avertissement au lecteur dans la première publication des Œuvres résume les conceptions poétiques de Saint-Amant. Tout d’abord, il rejette l'austérité et le « pédantisme » de ses prédécesseurs, en prenant ses distances avec sa propre formation classique, qui était à l’époque la clé pour la réussite littéraire : Car, Dieu mercy, ny mon Grec, ny mon Latin ne me feront jamais passer pour Pedant : Que si vous en voyez deux ou trois mots en quelques endroits de ce Livre, je vous puis bien asseurer que ce n’est pas de celui de l’Université.28 Ce refus de la supériorité de la tradition classique va de pair avec une réévaluation de la langue maternelle. Le cas d’Homère, qui a vécu « sans entendre d’autre langue que celle que sa Nourrice luy avoit enseignée »29, prouve qu’un poète peut exceller « sans l’ayde des langues estrangeres »30. La maîtrise du latin et du grec n’est donc plus nécessaire. Saint-Amant estime aussi que d’autres expériences ont la même valeur que l’étude des Anciens : des voyages, la conversation avec des « honnestes gens »31. Par ailleurs, Saint-Amant considère qu’il n’existe pas d’écart entre l’âme d’un Romain et celui d’un Français et que « l’Imagination, l’Entendement & la Memoire n’ont point de Nation affectée, & pourveu qu’on les vueille cultiver avec quelque soin, elles portent du fruict indifferemment en toutes sortes de climats »32. Il concède que, pour certaines professions, comme l’avocat, le grammairien et le docteur, la connaissance des langues classiques demeure nécessaire, mais pour l’historien, le philosophe ou le poète, elle ne l’est pas. De plus, la reprise de littérature antique n’apporte pas grand-chose s’il s’agit d’imitation plate, c’est-à-dire imiter sans contribuer, « prendre laschement tout ce qu’on void dans les autres Autheurs »33. Ces poètes, ces imitateurs ne témoignent d’aucune finesse : « Encore leur pardonneroy-je en quelque façon, s’ils le faisoient avecques dexterité, mais ils le font si grossierement, & le sçavent si mal déguiser »34. Ainsi, les éloges d’un poète qui ne fait qu’imiter, sont en fait des « accusations de [s]on crime »35. 28 Avertissement au lecteur, v. 41-45. SA.I, p. 21. 29 Ibid., v. 47-48. SA.I, p. 21. 30 Ibid., v. 51-52. SA.I, p. 21. 31 Ibid., v. 53. SA.I, p. 21. 32 Ibid., v. 60-64. SA.I, p. 21. 33 Ibid., v. 78-79. SA.I, p. 22. 34 Ibid., v. 79-82. SA.I, p. 22. 35 Ibid., v. 98. SA.I., p. 23. 15 et vaillant Persée / Aussi viste qu’un esclair »53. Persée est le sauveteur de la jeune vierge Andromède, qui est offerte à un monstre. Le dieu de la mer Neptune voulait punir sa mère orgueilleuse et avait commandé de l’enchaîner nue sur un rocher. Persée, descendant dans l’air, remarque le spectacle et s’approche de la fille. Il agit comme un véritable héros, calme et maître de soi : « Plein de respect il s’approche »54. Fidèle au genre, le poète résume la généalogie du héros, dont le « Pere veritable » 55 est Jupiter. En outre, il énumère les victoires du héros, victorieux de Méduse « aux hideux crins de serpens »56. Ces victoires alimentent les espoirs et met en relief la vaillance du protagoniste, qui « d’un effort impetueux / Redonne à teste baissée / Sur le Poisson monstrueux / […] / Pour triompher du combat »57. Le mythe d’Andromède montre donc la « valeur sans seconde »58 de Persée, l’inhumain, le demi-dieu, qui sauve les innocents. 3. Poésie réaliste, descriptive Mais Saint-Amant n’est pas seulement le chantre d’exploits héroïques, il excelle avant tout dans les descriptions de la nature, qui transmettent un certain réalisme. Dans La Solitude, il évoque les bois calmes, loin de la civilisation. Le « je poétique » « ayme la Solitude » parce que « ces lieux sacrez à la Nuit, / Esloignez du monde et du bruit, / Plaisent à [s]on inquiétude »59. Saint-Amant semble ainsi participer à la poésie pastorale du locus amoenus antique. Il décrit avec réalisme, mais aussi accompagnés des dieux antiques, comme Pan et Neptune, les animaux présents dans la scène, « Un gay Zephire »60 qui souffle partout, des torrents violents qui s’enfuient dans le paysage pour devenir des ruisseaux calmes, des marais où peuvent se baigner les nymphes. Le ton devient un peu lugubre quand il évoque des monts et des falaises, qui sont lieux de suicides, des ruines de châteaux, des orfraies, des hiboux, un squelette d’un amant qui s’est suicidé, la « grotte fresche / Où l’Amour se pourroit geler, / Echò ne cesse de brusler / Pour son Amant froid, et revesche »61. Mais cette description devient en quelque sorte une méditation : la nature hypnotise l’homme. Elle est à la fois impénétrable et réconfortante. 53 L’Andromède, v. 31-32. SA.I, p. 72. 54 Ibid., v. 78. SA.I, p. 74. 55 Ibid., v. 298. SA.I, p. 83. 56 Ibid., v. 322. SA.I, p. 84. 57 Ibid., v. 472-474, 480. SA.I, p. 90. 58 Ibid., v. 551. SA.I, p. 93. 59 La Solitude, v. 1-4. SA.I, p. 33-34. 60 Ibid., v. 11. SA.I, p. 34. 61 Ibid., v. 121-124. SA.I, p. 42-43. 16 4. Poésie fantaisiste Saint-Amant peut passer de la description réaliste méticuleuse à un genre plus libre, dans lequel la poésie suit les « caprices » de son imagination. Dans La Nuict, il s’adonne à ses fantaisies nocturnes. La nuit obscure « Sans Lune et sans Estoilles »62 signifie la venue de son amante et est ainsi source de joie. Mais Saint-Amant joue avec les conventions et il change de ton en décrivant. Les Chats presque enragez d’amour, Grondent dans les gouttieres ; Les Lou-garoux fuyans le jour Hurlent aux Cimettieres : Et les Enfans transis d’estre tous seuls, Couvrent leurs testes de linceuls.63 Le poème, qui commençait de façon prometteuse comme un poème d’amour, bagne soudainement dans une atmosphère lugubre, que l’amant combat vivement : « Je ne puis estre découvert, / La Nuict m’est trop fidelle »64. 5. Poésie satirique Saint-Amant se sert également de sa fantaisie dans ses poèmes satiriques. Il anticipe de nouveau les réactions des lecteurs : Dans cette Satyre joyeuse Plusieurs se sentiront pincer, D’une façon ingenieuse, Qui ne pourront s’en offencer.65 En outre, pour « appaiser toute peine, / Le plaisir est un appareil, / Qui n’a nul remede pareil »66. Dans Le Poëte crotté, Saint-Amant se moque d’un poète « besogneux et misérable »67, qui quitte la cour de Paris. La satire ne réside pas seulement dans le contenu, mais aussi dans la façon dont tout est dit : Saint-Amant met dans la bouche du poète un langage de paysans et de fausses techniques poétiques68. Par ailleurs, il profite de l’occasion pour s’en prendre à tout le monde à la cour. Par exemple, les nobles prétendent se connaître en littérature, mais ils ne sont pas capables de distinguer la bonne littérature de la mauvaise ; ils ne savent pas quel sujet exige quel genre donc ils demandent « une Satyre / À la loüange 62 La Nuict, v. 2. SA.I, p. 142. 63 Ibid., v. 49-54. SA.I, p. 144. 64 Ibid., v. 85-86. SA.I, p. 146. 65 Le Poëte crotté, v. 1-4. SA.II, p. 32. 66 Ibid., v. 34-36. SA.II, p. 34. 67 SA.II, p. 32. 68 Ibid. 17 des beaux yeux »69 ; et comme ils parlent d’un « beau quatrain de six vers »70, la versification reste un grand secret pour eux. La satire est donc certainement un genre où Saint-Amant excelle, qu’il pratique volontiers et où il n’épargne personne. Il se laisse aller avec des thématiques conventionnelles comme un mauvais poète, ou le comportement hypocrite des gens à la cour. 6. Poésie burlesque, « grotesque » et parodique Saint-Amant amuse le lecteur non seulement par la satire, mais aussi par le burlesque. Il est l’initiateur du genre satirique que Scarron va lever à son plus haut niveau71. Bien que la distinction entre satire et burlesque soit ténue, elle existe : alors que la satire rit de tout ce qui est risible, le burlesque se moque de tout, donc surtout de ce qui est censé être sérieux72. Cette catégorie burlesque fait la distinction entre la poésie héroï-comique, qui met des personnages vulgaires dans des situations nobles, et le vrai burlesque, notamment le mouvement inverse de « donner à des personnages nobles une attitude et un langage vulgaire »73. Il s’agit donc toujours de supprimer l’écart entre les différents niveaux sociétaux. Dans Le Melon, les dieux olympiques ne sont pas représentés comme des dieux véritables : ils ont tous perdu quelque chose pendant le combat et une fois de retour, « Tout le reste du jour se passeroit à boire »74. Les déesses perdent également leur statut divin : Diane, « La Princesse des Fols »75, et Vénus, « la bonne Cagne aux paillards appetits »76, ne sont que des femmes vulgaires et les allusions sexuelles foisonnent. Cette représentation est donc burlesque. Dans la poésie héroï-comique, La Desbauche par exemple, les ivrognes sont métaphoriquement et ironiquement les « francs Chevaliers de la Couppe »77. Très étroitement liées au genre burlesque sont les parodies des trois premiers genres dont la pratique connaît une longue tradition littéraire : Saint-Amant en subvertit les motifs, par exemple dans Le Soleil levant, où la naissance du jour, pas la nuit, signifie la venue de sa femme, ou dans Le Tombeau de la Marmousette, poème dans lequel la mort d’un chien est racontée avec une bonne dose d’humour. Saint-Amant est donc un vrai maître du jeu avec le ton, les conventions et les attentes de son public. 69 Le Poëte crotté, v. 258-259. SA.II, p. 47. 70 Ibid., v. 264. SA.II, p. 47. 71 Jacques Bailbé, Saint-Amant et la Normandie littéraire. Études réunies à la mémoire de Jacques Bailbé, op. cit., p. 15. 72 Françoise Gourier, op. cit., p. 119. 73 Ibid., p. 119. 74 Le Melon, v. 130. SA.II, p. 20. 75 Ibid., v. 178. SA.II, p. 23. 76 Ibid., v. 195. SA.II, p. 24. 77 La Desbauche, v. 80. SA.I, p. 207. 20 insatisfait90. Ainsi, l’amour est un « double mouvement d’attraction/répulsion »91. Rousset appelle ce phénomène « la psychologie de l’instabilité »92. Sur ce point, la poésie de Saint- Amant diffère de la poésie amoureuse précieuse : en général, l’amour ne rend pas heureux. Par ailleurs, la vie d’un poète est aussi pleine d’incertitude. Premièrement, la bonne poésie est une proie facile pour « l’avare desir »93 des libraires. Dans Elégie à Monseigneur le Duc de Retz, Saint-Amant parle de ses propres expériences : il a découvert une version de La Solitude, « defigurée en ses traits les plus beaux »94. Même la poésie est soumise au changement omniprésent, car il la voit « si changez, que je vous ay faict naistre »95. Dans la description de la souffrance, il existe des parallèles remarquables avec le lyrisme amoureux. Toute comme sa poésie, l’objet aimé est d’une beauté excellente. Ici, les différentes parties « mutiléz »96 sont parcourues comme les traits physiques féminins. Il endure comme un martyre « Qu’on barbouïlle [s]on nom, qu’on [l]’imprime sans boire »97 et qu’on lui « fait braire »98. La joie va donc aussi de pair avec l’inconstance. Saint-Amant finit par demander la protection auprès le duc de Retz. Une telle demande est un exemple de la deuxième incertitude d’un poète : il est entièrement dépendant de son mécène. Les louanges exagérées et pas crédibles prouvent sa situation précaire ; il semble presque désespéré quand il élève son protecteur au rang des dieux : « Mon DUC, de qui sans flatterie, / Picqué d’une noble furie / J’esleverois le nom aux Cieux, / A la honte de tous les Dieux »99. En même temps, les éloges des actes guerriers sont aussi une confirmation de l’incertitude morale du protecteur, « Dont les Armes et les Loix / Sauvent des mains de la Parque / L’honneur du Sceptre Gaulois »100. 2. Métamorphose L’homme baroque n’échappe pas non plus aux changements : l’inconstance est aussi en lui et son corps subit des transformations, des métamorphoses. Ces types spécifiques de changement montrent l’incertitude des corps. Parfois, désespéré par la fugacité omniprésente, l’homme baroque désire même changer son état par une métamorphose101. Bien que le catalogue de métamorphoses potentielles soit inépuisable, la préférence pour la 90 Vincent Vivès, op. cit., p. 29. 91 Gisèle Mathieu-Castellani, op. cit., p. 14. 92 Jean Rousset, La littérature de l’âge baroque en France. Circé et le Paon, op. cit., p. 46. 93 Élégie à Monseigneur le duc de Rets, v. 7. SA.I, p. 27. 94 Ibid., v. 17. SA.I, p. 28. 95 Ibid., v. 12. SA.I, p. 28. 96 Ibid., v. 5. SA.I, p. 28. 97 Ibid., v. 39. SA.I, p. 29. 98 Ibid., v. 8. SA.I, p. 28. 99 Le Poëte crotté, v. 21-24. SA.II, p. 33. 100 L’Andromède, v. 12-14. SA.I, p. 71. 101 Gisèle Mathieu-Castellani, op. cit., p. 16. 21 pétrification ne fait pas de doute102. La pétrification équivaut en effet à un arrêt du changement, une stabilisation de la vie. Pareil pour les métamorphoses végétales, car les plantes sont moins mobiles que les hommes. Protée est le symbole baroque par excellence du changement du corps, car il « ne vit que dans la mesure où il se transforme »103. Saint-Amant reprend également ce motif. Dans La Métamorphose de Lyrian et de Sylvie, il prépare à plusieurs reprises les métamorphoses en lierre et en ormeau, qui n’ont lieu qu’à la fin du poème. Il compare Sylvie à des éléments de la nature, par métaphore, « Elle est une roche en sa haine »104 ou par comparaison, « Je te compare à cette fleur / Par ta beauté qui luy ressemble »105. Comme la métamorphose est en quelque sorte aussi une déshumanisation, Saint-Amant réfère à Sylvie comme « cette belle Nymphe au courage inhumain »106. Avant la description des métamorphoses, Saint-Amant fait référence à d’autres exemples mythologiques racontés par Ovide : d’une part celui d’Apollon, « Celuy qui pour Dafné se vit en mesme peine »107, d’autre part celui de Pan tombé amoureux de Syrinx qui « N’embrassa pour un corps que de fresles roseaux »108. Lyrian est le « tragique objét »109 dépendant de la cruauté du « sujét »110 Sylvie, qui à son tour sera punie par les dieux. Un homme n’a donc pas de contrôle ni certitude de sa propre existence. Finalement, Saint-Amant passe à la métamorphose de « Cette ingratte Beauté, si vainement aymée »111 : « de superbe Nymphe, elle devient Ormeau »112. Lyrian voit que « ses pieds prennent racine »113 et supplie les dieux de laisser durer « à jamais »114 son amour pour « ce beau tronc si dur à la pitié »115. Saint-Amant s’attarde plus sur la deuxième métamorphose de Lyrian en lierre : « son corps s’attachant à l’Arbre qu’il contemple / Se change en mil bras tournoyans à l’entour, / Dont il acquit le nom de symbole d’Amour »116. La forme de la feuille en cœur est le symbole de l’amour de Lyrian, parce que « tout se pert en luy hormis les sentimens »117, et les « mille bras 102 Ibid., p. 16-17. 103 Jean Rousset, La littérature de l’âge baroque en France. Circé et le Paon, op. cit., p. 22. 104 La Métamorphose de Lyrian et de Sylvie, v. 237. SA.I, p. 105. 105 Ibid., v. 185-186. SA.I, p. 103. 106 Ibid., v. 52. SA.I, p. 98. 107 Ibid., v. 265. SA.I, p. 106. 108 Ibid., v. 268. SA.I, p. 106. 109 Ibid., v. 271. SA.I, p. 107. 110 Ibid., v. 272. SA.I, p. 107. 111 Ibid., v. 274. SA.I, p. 107. 112 Ibid., v. 276. SA.I, p. 107. 113 Ibid., v. 277. SA.I, p. 107. 114 Ibid., v. 284. SA.I, p. 107. 115 Ibid., v. 283. SA.I, p. 107. 116 Ibid., v. 286-287. SA.I, p. 107. 117 Ibid., v. 296. SA.I, p. 108. 22 tournoyans à l’entour »118 représentent la tentative de ne pas laisser échapper son amour une deuxième fois. Ainsi, la métamorphose devient, tout comme un mythe, explicative. Ce type de poésie suit bel et bien l’exemple d’Ovide, mais la métamorphose analysée ne semble pas avoir un modèle antique spécifique : elle montre des parallèles avec le mythe d’Apollon et de Daphné, et celui de Pan et de Syrinx. Ce poème affirme donc les objectifs dévoilés dans l’avertissement : Saint-Amant se sert sans aucun doute de la mythologie classique, mais plutôt comme une source d’inspiration pour sa propre créativité. Le deuxième poème qui rappelle une métamorphose est L’Andromède. Au début, il annonce « la fable » classique « De la fille de Cephée, / Qui luit maintenant aux Cieux »119. Cependant, après avoir peint la situation dramatique et les craintes d’Andromède, le poème ne mène pas à cette métamorphose finale. La seule métamorphose mentionnée est celle du monstre en rocher, mais « Toutesfois de sa figure / Rien n’est métamorphosé ; / Elle en garde la structure »120. L’unique allusion à la métamorphose en étoile se trouve donc au début du poème, et puis rien. Saint-Amant joue donc avec les attentes du lecteur : même le changement n’est pas une certitude. Contrairement au premier exemple, Saint-Amant suit ici fidèlement la version d’Ovide. Les métamorphoses ne concernent pas uniquement les hommes et les animaux. La nature en soi peut aussi subir une métamorphose121. Dans La Pluye, la terre souffre « D’une beante soif outrée »122, mais les dieux « Veulent témoigner par des larmes / Que les nostres les ont touchez »123. Les larmes des dieux touchés par la misère des hommes travailleurs sont métaphoriquement les gouttes de pluies. La pluie est mise en rapport avec la récolte et, logiquement, aussi avec la production du vin, car les gouttes de pluie « Vont tant verser d’eau sur les Vignes, / Que nous n’en boirons point du tout »124. La métamorphose de la terre aride provoque une métamorphose dans l’état des hommes et des animaux : ils ne sont plus désespérés mais « Tous les cœurs s’en épanoüissent, / Et les Bestes s’en réjoüissent / Aussi bien comme les humains »125. Tandis que Saint-Amant se plaint et souffre souvent des 118 Ibid., v. 287. SA.I, p. 107. 119 L’Andromède, v. 8-10. SA.I, p. 71. 120 Ibid., v. 501-503. SA.I, p. 91. 121 Jacques Bailbé, « Saint-Amant et la métamorphose », dans La Métamorphose dans la poésie baroque française et anglaise. Actes du Colloque International de Valenciennes, 1979, sous la dir. de Gisèle Mathieu-Castellani, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1980, p. 167. 122 La Pluye, v. 16. SA.I, p. 138. 123 Ibid., v. 23-24. SA.I, p. 138. 124 Ibid., v. 9-10. SA.I, p. 138. 125 Ibid., v. 78-80. SA.I, p. 141. 25 intensification des réactions physiques, comme confirmation de la peur ressentie par le lecteur : « Mon sang en est glacé, mon visage en paslit »147, « je sens sur l’estomach un fardeau qui m’oppresse / Je voudrais bien crier, mais je l’essaye en vain »148, « Je suis tellement froid »149. Finalement la voix s’évanouit et se réveille comme « un mort qui reviendroit »150. À partir de ce moment, les terreurs nocturnes continuent aussi pendant le jour. Tout ce que le personnage voit, tout ce qu’il lit, est comparé aux fantômes et interprété de façon effrayante : Si j’y rencontre un Cerf, ma triste fantaisie De la mort d’Acteon est tout soudain saisie ; Les Cygnes qu’on y voit dans un paisible Estang, Me semblent des Corbeaux qui nagent dans du sang151 5. La mort Or, comme la vie est si incertaine, la mort n’est jamais loin. Elle est la métamorphose ultime : elle fascine et elle devient même un spectacle que l’homme regarde volontiers152. Cette fascination va tellement loin que la persona imagine de temps en temps sa propre mort153. Ce goût morbide explique les descriptions d’agonies et de corps, d’os et de squelettes. Aussi le décor subit des influences lugubres. Les poèmes décrivant la nature (cf. supra), réévaluent clairement la topique traditionnelle du paysage paisible, du locus amoenus : la nature apparaît comme sauvage et désertée, elle n’est plus verte mais aride154. Ainsi, la mort est omniprésente dans la nature, mais ne la rend pas moins agréable. De la même façon, Saint-Amant est fasciné par la mort et elle revient partout : le ton sombre d’un personnage qui ne sait pas s’il survivra, d’un squelette pendant d’un amant malheureux, plusieurs mentions d’une descente aux enfers. La nature est toujours peinte avec un léger ton triste, presque pessimiste. Dans L’Arion, Saint-Amant reprend le mythe du « beau Chantre de Grece »155, qui est trahi par ses marins voulant le jeter dans la mer pour s’accaparer de ses richesses. Il chante encore une dernière fois, priant Apollon pour de l’aide. Finalement « Pour éviter la mort, il s’en va la chercher »156, mais il est sauvé par un dauphin et son aventure fait « étonner la Fortune » 157. 147 Ibid., v. 24. SA.I, p. 126. 148 Ibid., v. 26-27. SA.I, p. 126-127. 149 Ibid., v. 63. SA.I, p. 128. 150 Ibid., v. 80. SA.I, p. 129. 151 Ibid., v. 145-148. SA.I, p. 132-133. 152 Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française. Tome I, op. cit., p. 16. 153 Ibid., p. 18. 154 Gisèle Mathieu-Castellani, op. cit., p. 27. 155 L’Arion, v. 2. SA.I, p. 109. 156 Ibid., v. 188. SA.I, p. 118. 157 Ibid., v. 6. SA.I, p. 110. 26 Saint-Amant insiste sur le lien entre la fatalité, la Fortune et la mort. Le sort d’Arion vacille pendant tout le récit et le moment où il l’accepte, le sort change à nouveau : « Quoy que de tous costez il vist sa sepulture, / Je pense qu’il n’eut pas tant de peur de mourir, / Qu’il eut d’étonnement de se voir secourir »158. Tout comme Arion, Andromède pense jusqu’au dernier moment mourir « Sans espoir d’aucun remede / A la mort qu’elle attendoit »159 . Mais, comme le sort est incertain, soudainement elle aussi sera sauvée, non pas par un dauphin, mais par Persée. Elle se croit morte et pense entendre les abois de Cerbere, et « Sa frayeur devient si forte / Qu’elle n’ose ouvrir les yeux »160. Elle s’étonne alors d’être toujours vivante : « Mais quoy ! dans l’Averne sombre / Voit-on la clarté des Cieux ? »161. La fantaisie engendre également des pensées effrayantes où la mort est omniprésente : tout y fait penser, tous les éléments d’une vie malheureuse mènent finalement toujours vers la crainte ultime de la mort. Ces pensées déprimées provoquent même une attitude de suicide : « Où tant d’afflictions ont esté consolées, / Sont autant de chemins à ma tristesse offers, / Pour sortir de la vie et descendre aux Enfers »162. Le vocabulaire choisi en témoigne : « trespas », « mortuaire », « la fatale barque », « les mortels », « guider les hommes au tombeau », « enterremens », « sepulture »163. En effet, la mort est métaphoriquement présente par les enfers antiques. Le Fleuve qui le borde est à moy l’Acheron ; J’y prend chaque basteau pour celuy de Caron, Et me croyant par-fois n’estre plus rien qu’une Ombre Qui des Esprits sans corps ait augmenté le nombre, D’une voix langoureuse appellant ce Nocher, Je pense à tous moments qu’il me vienne chercher.164 Par ailleurs, la souffrance d’un amour non réciproque est étroitement liée à un désir ou un sentiment de la mort, « De regret et de joye également poussez »165. Toutefois, la mort est préférable à la séparation : « mon cœur que je sens murmurer, / Dit qu’il mourroit plustost que de s’en separer ? »166, « Auprez de vos beautez je veux vivre et mourir »167. 158 Ibid., v. 194-196. SA.I, p. 119. 159 Andromède, v. 36-37. SA.I, p. 72. 160 Ibid., v. 466-467. SA.I, p. 90. 161 Ibid., v. 533-535. SA.I, p. 93. 162 Les Visions, v. 150-152. SA.I, p. 133. 163 Ibid., v. 6, 22, 62, 84, 172, 188, 198. SA.I, p. 124, 126, 128, 129, 134, 134, 135. 164 Ibid., v. 155-160. SA.I, p. 133. 165 Élégie pour Damon, v. 52. SA.I, p. 149. 166 Élégie à une dame, v. 23-24. SA.I, p. 174. 167 Ibid., v. 23-24. SA.I, p. 173. 27 6. Débauche et excès La poésie contient de nombreuses traces de la prédilection de Saint-Amant pour tout ce qui fait plaisir à l’estomac. Les boissons alcoolisées, comme le vin et la bière, sont indispensables à une vie heureuse : « Et ne croy pas qu’il se treuve en la vie / Un tel plaisir que de boire d’autant »168. Le fait de boire à l’excès et de manger tout ce qu’il y a de bien, fait partie intégrante de la débauche, c’est-à-dire la consommation excessive qui fait plaisir au corps : « O que la desbauche est douce ! »169 « Car c’est l’unique passe-temps / où tous mes desirs sont contens » 170. Cependant, Saint-Amant ne pense pas que cet excès soit criminel ou inapproprié, il s’agit plutôt de « mille plaisir innocens »171. L’éloge de la débauche est un éloge du dieu antique Bacchus, opposé à Apollon qui représente la règle, la mesure, la raison : Voicy Bacchus qui nous convie A mener bien une autre vie ; Laissons là ce fat d’Apollon, Chions dedans son violon172 « La bacchique liberté »173 est un état de liberté absolue, où tous les plaisirs sont permis. L’excès, le désordre et l’instabilité appartiennent donc à cet état. Les débauchés se comportent « comme les Menades »174, les adhérents du culte de Bacchus. Aussi, bien que Saint-Amant révère Apollon dans toute son œuvre comme le dieu de l’art poétique et musical, Apollon doit-il céder sa place à Bacchus dans ces poèmes. Bacchus ayme le desordre ; Il se plaist à voir l’un mordre, L’autre braire, et grimasser, Et l’autre en fureur se tordre, Soubs la rage de danser.175 En toute logique, boire de l’eau est considéré comme le pire châtiment. Saint-Amant insère toujours une bonne dose d’humour quand il parle de boire de l’eau, « Dont la couleur [l]e pourroit attrapper »176. La débauche ne se fait pas seule mais est une activité collective et la compagnie de débauchés est donc souhaitée pour boire et chanter ensemble. Saint-Amant montre aussi la jouissance que procure de la gastronomie dans Le Fromage et Le Melon : « O 168 Orgye, v. 14-15. SA.II, p. 76-77. 169 La Crevaille, v. 66. SA.II, p. 75. 170 La Gazette du Pont-Neuf, v. 135-136. SA.I, p. 249. 171 La Vigne, v. 88. SA.I, p. 254. 172 La Desbauche, v. 3-6. SA.I, p. 201-202. 173 La Vigne, v. 84. SA.I, p. 254. 174 La Crevaille, v. 26. SA.II, p. 73. 175 Ibid., v. 31-35. SA.II, p. 73. 176 Orgye, v. 9. SA.II, p. 76. 30 Saint-Amant a souvent été considéré comme un libertin. Le libertinage connaît un essor pendant la première moitié du XVIIe siècle. René Pintard définit « libertin » comme « tout ce qui marque excès de "liberté" en matière de morale et de religion, par rapport à ce que dogmes, traditions, convenances et pouvoir politique définissent ou préconisent »196. Ainsi, les libertins témoignaient souvent d’une forme plus ou moins explicite de scepticisme envers la religion. Ce scepticisme va souvent de pair avec l’excès et un goût pour la gastronomie, l’alcool et l’amour. Toutefois, malgré ce goût pour la débauche sensorielle, ce qui correspond certes au comportement libertin, le lecteur ne retrouve jamais de signes d’incroyance, d’un libertinage spirituel, dans l’œuvre de Saint-Amant. Imprécation contient un passage rare où le critique pourrait voir un léger reproche à la religion, mais ce n’est qu’un faible indice pour parler d’incroyance : « On y voit plus de trente Eglises, / Et pas un pauvre Cabaret »197. Par ailleurs, sa conversion – du protestantisme au catholicisme – ne semble pas avoir eu une influence considérable car elle était avant tout une conversion politique. Sa relation amicale avec et son admiration pour Théophile de Viau, un des initiateurs du mouvement, confirme pour certains leur proximité philosophique. Certes, à plusieurs reprises, Saint-Amant réfère directement ou indirectement à Théophile de Viau. Par exemple, un de ses poèmes liminaires est dédié et intitulé À Théophile. Dans ce poème, il dit d’abord son admiration pour tous les poètes qui enchantent leur public, ces « Esprits de feu, sçavants genies, / Qui charmez de vos harmonies / Tout ce qui vous peut escouter »198 ; puis il se compare à Théophile : « pour faire parler de moy, / Je parlerois de Théophile »199. De plus, les rapports intertextuels entre la poésie de Théophile et la poésie de Saint-Amant sont nombreux. Pintard mentionne également l’admiration de Saint-Amant pour « les deux "vénérables vieillards" » Jean-Jacques Bouchard et Galilée, mais ajoute aussi que Saint-Amant était plutôt indifférent à la philosophie libertine200. Que ces poètes furent proches, n’implique pas que Saint-Amant soit un libertin. Saint-Amant ne s’occupe de sa foi que quand il y est obligé : il s’y réfère très peu. Il opte le plus souvent pour les dieux antiques. Il est difficile d’interpréter ce choix. Est-il preuve de son incroyance, de son paganisme ? Ou ces références ne sont-elles que l’expression d’un jeu ou d’une tradition littéraire ? Quelle que soit la réponse, il faut toujours se garder de tirer une 196 René Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Genève, Slatkine, 2000, p. XIV. 197 Imprécation, v. 35-36. SA.I, p. 268. 198 A Théophile, v. 1-3. SA.I, p. 3. 199 Ibid., v. 75-78. SA.I, p. 6. 200 René Pintard, op. cit., p. 216-217. 31 conclusion sur la vie d’un auteur à partir de ses textes. Rien ne prouve que Saint-Amant fût vraiment un fidèle croyant, mais rien, non plus, ne prouve le contraire. 1.3 Conclusion intermédiaire : le fond poétique de Saint-Amant 1.3.1 Les éléments baroques Les thèmes que Jean Rousset propose comme emblématiques du baroque littéraire, sont donc tous présents dans la poésie de Saint-Amant. Les changements et les métamorphoses sont des indications claires de l’inconstance et de la fugacité du monde mouvant. Ainsi, l’homme baroque cherche une position plus stable dans sa fantaisie et ses illusions, surtout dans ses songes nocturnes. Dieu et la mort ne sont jamais loin dans de telles réflexions. Quel que soit le sujet spécifique, la poésie baroque est au fond toujours une réflexion sur la relation entre l’homme et la nature qui l’entoure201, dans laquelle réalité et illusion se confondent sans cesse. Les thèmes de la débauche et de la religion sont particuliers. La débauche est emblématique de Saint-Amant, mais la débauche prise dans le sens plus large de démesure, d’immodération, entre en résonnance avec le goût baroque pour l’irrégularité. La présence de Dieu serait indispensable dans une œuvre baroque, mais Saint-Amant n’y fait guère référence, sauf lorsque le poème est dédié à un évêque. Même si les dieux antiques foisonnent, le lecteur ne retrouve nulle part des signes d’incroyance ou d’athéisme. Quelques variations légères sur les motifs baroques existent, mais elles sont plutôt une preuve que Saint-Amant joue avec les conventions baroques. Si les critères de Rousset sont les critères ultimes pour une poésie baroque, Saint-Amant doit être considéré comme un poète « baroque ». En même temps, bien que Saint-Amant paraisse le poète baroque exemplaire, il réussit certainement aussi à garder sa particularité parmi tous ses contemporains. D’abord, il a un goût remarquable pour les descriptions et les observations méticuleuses. Puis, il ne ressent pas de honte à chanter son amour inconditionnel du vin, de la gastronomie, des arts et des jeux, de la débauche tout court. Enfin, son œuvre a un ton très moderne par son côté burlesque, le genre dont il semble être l’initiateur dans la littérature française, et pour ses aspects fantaisistes, qui annoncent pour le lecteur moderne la morbidité du Romantisme. Néanmoins, tous les genres et tous les thèmes abordés ne sont pas nouveaux : la satire, la poésie lyrique, l’héroïsme et les descriptions connaissent une longue tradition. Ainsi, les genres de Saint-Amant témoignent également d’une certaine continuité avec le siècle avant 201 Vincent Vivès, op. cit., p. 163. 32 de la Renaissance. D’abord, pour ce qui concerne la poésie d’amour, la plupart des thèmes proviennent de la Renaissance, qui combine deux traditions opposées, notamment celle de Pétrarque et celle de Ronsard. Elles représentent « d’un côté, la célébration du corps et du visage parfaits d’une dame inaltérable en sa sereine beauté, qui interdit le chaud soupir et stérilise le désir ; de l’autre, l’évocation voluptueuse d’une fillette lascive, dont les charmes appellent la caresse, et dont la "peinture" fait naître le plaisir »202. Saint-Amant ne fait donc rien d’étonnant quand il dresse l’inventaire des qualités de sa belle comme l’a fait Pétrarque. La tradition ronsardienne, par contre, n’est pas reprise par Saint-Amant. Mais la poésie amoureuse de la Renaissance et du baroque ne sont pas entièrement identiques : l’amour baroque se distingue par une vision négative plus poussée, exubérante, exagérée sur l’amour203. Elle déplore l’inconstance de la femme envers l’homme constant204, caractéristique qui ne vaut pas pour Saint-Amant d’ailleurs car il chante sa propre inconstance. Puis, la satire est entièrement basée sur la tradition antique, dans laquelle les thèmes du mauvais poète ou de la vieille femme sont conventionnels. Ensuite, la poésie héroïque n’atteint le même niveau de l’Antiquité que quand Saint-Amant retravaille effectivement une histoire antique. Enfin, les descriptions de la nature font certainement penser à la tradition pastorale, mais adaptées. En effet, le poète baroque fait non seulement le paysage plus lugubre, mais il ajoute aussi un aspect mystique, méditatif sur la grandeur de Dieu. Étant donné que l’énumération de critères baroques de Rousset n’en dit rien, comment comprendre la variation générique dans l’œuvre de Saint-Amant ? La multiplicité des formes contribue au fond baroque : le monde changeant influence aussi la poésie dans la mesure où elle est aussi variée que possible205. Les différents genres constituent « l’instabilité » et « l’irrégularité » de l’œuvre. Les genres contrastent et vont ensemble simultanément, même au sein d’un poème. Cette forme d’éclecticisme surprend, étonne et amuse le lecteur206. En outre, bien que Saint-Amant se distancie de la tradition classique, il retravaille volontiers les « fables » d’Ovide et les références mythologiques à de nombreux dieux et déesses antiques foisonnent partout, sous la forme d’invocations ou dans des comparaisons. Normalement, dans la poésie baroque, les figures mythiques ne sont que quelques personnages spécifiques : Prométhée, Phénix, Icare, Phaéton et les héros punis pour leur 202 Gisèle Mathieu-Castellani, op. cit., p. 22. 203 Vincent Vivès, op. cit., p. 170. 204 Gisèle Mathieu-Castellani, op. cit., p. 19. 205 Vincent Vivès, op. cit., p. 166-167. 206 Jacques Bailbé, Saint-Amant et la Normandie littéraire. Études réunies à la mémoire de Jacques Bailbé, op. cit., p. 235. 35 CHAPITRE 2 : LA FORME POETIQUE 2.1 Saint-Amant sur la forme poétique Bien que Saint-Amant donne son avis sur le fond poétique (cf. supra), ses préférences pour la forme poétique ne sont pas très explicites. Les éléments implicites, en revanche, peuvent particulièrement être repérés dans Le Poëte crotté. Saint-Amant se moque des mauvais poètes contemporains, tels que Maillet et Bilot, en critiquant leurs poèmes, en imitant leur style caduc par le biais du poète crotté. Il énumère ainsi implicitement les « crimes, / Contre la langue et le mestier »214. Dans son édition critique, Jean Lagny a dégagé ces « crimes » commis par ces poètes215. D’abord, Lagny remarque une tendance générale aux archaïsmes, aussi bien dans la syntaxe que dans le vocabulaire216. Cela suggère que Saint-Amant a un goût plutôt moderne. Puis, il note que le poète crotté commet des fautes d’accord. Saint-Amant semble donc tenir à la grammaire de la langue française. Ensuite, il signale une série de fautes contre la technique poétique : des élisions abusives, des hiatus et des fausses rimes. Saint- Amant se moque de ces erreurs : « leur rime platte / M’a fait espanouïr la ratte »217. L’exactitude métrique des vers est donc primordiale. Enfin, les images utilisées témoignent, selon Lagny, d’une « impropriété » et sont par conséquent « extravagantes »218. Saint-Amant éprouverait donc une répulsion d’images impropres ou extravagantes. La question reste donc de savoir si la poétique réelle de Saint-Amant coïncide avec la poétique décrite par la négative dans Le Poëte crotté. Pour Saint-Amant, une chose est obligatoire pour la forme : il y faut une certaine harmonie, une musicalité poétique. Cette harmonie apparaît comme un trait essentiel dans par exemple Elegie à Monseigneur le Duc de Rets : « Pour avilir un Vers ils le prononcent mal ; / Ils ont l’oreille fausse à la juste harmonie ; / Leur esprit est crevé sous le faix du Genie ; / L’excez de la splendeur leur offusque les sens »219. Ainsi, la poésie et l’art musical ont donc partie liée. Une association à l’art musical est donc évidente. En effet, Saint-Amant chante souvent sa poésie en jouant d’un instrument, dans ce cas-ci du luth. La Solitude illustre le lien entre art et musique : cette musicalité dans la poésie de Saint-Amant est la raison pour laquelle quelques-uns de ses poèmes sont littéralement intitulés « chansons ». Je m’y coule sans faire bruit, Et par la celeste harmonie D’un doux Lut, aux charmes instruit, 214 Le Poëte crotté, v. 642-643. SA.II, p. 69. 215 SA.II, p. 32. 216 Francis Bar, Le genre burlesque en France au XVIIe siècle : étude de style, Paris, d’Artrey, 1960, p. 232. 217 Le Poëte crotté, v. 41-42. SA.II, p. 34. 218 SA.II, p. 32. 219 Élégie à Monseigneur le duc de Rets, v. 66-69. SA.I, p. 31. 36 Je flatte sa triste manie, Faisant repeter mes accords A la voix qui luy sert de corps.220 2.2 Analyse poétique 2.2.1 Vocabulaire La poésie de Saint-Amant participe de tous les genres et de tous les registres. Saint-Amant y mêle des registres très divers, voire souvent opposés. Cette richesse lexicale est accompagnée, selon Bailbé, d’« énergie », c’est-à-dire d’un double jeu avec le sens : d’un côté le sens peut être restreint, réduit « au sens vague ou à valeur sémantique usée » ; de l'autre, il peut être élargi quand un terme spécifique s’applique à d’autres genres hors du domaine habituel221. Un premier constat est le contraste entre les archaïsmes, les néologismes et les termes modernes. Les nouveaux termes sont soit des termes que Saint-Amant a forgés lui-même, comme le verbe « Quichotiser »222, soit des mots étrangers provenant de langues anciennes223 ou modernes224 : le premier exemple est « Mesquin »225, provenant de l’italien « meschino »226 ; le deuxième est « Demon »227, une transposition du mot grec « daimôn », qui signifie « génie »228. Bien que Le Poëte crotté insinue une préférence pour les mots modernes (cf. supra), les archaïsmes sont malgré tout présents, parfois de façon parodique. Un deuxième contraste est celui entre le langage noble, le langage familier et le langage vulgaire. Ce contraste va souvent de pair avec le contraste entre les mouvements plutôt nobles, comme la galanterie et la préciosité, et les mouvements ironiques, comme le burlesque. Saint-Amant joue ainsi avec les différents niveaux. Le burlesque est intrinsèquement lié à la parodie. En parlant des dieux, Saint-Amant peint Vénus comme « la Garce qui nasquit de l’excrement de l’Onde »229 et Cybelle comme « La Vieille au cul crotté »230. Les mots grossiers sont de temps en temps censurés par une transcription en 220 La Solitude, v. 125-130. SA.I, p. 43. 221 Jacques Bailbé, Saint-Amant et la Normandie littéraire. Études réunies à la mémoire de Jacques Bailbé, op. cit., p. 236. 222 La Chambre du desbauché, v. 141. SA.I, p. 223. 223 Francis Bar, op. cit., p. 191. 224 Ibid., p. 196. 225 Le Poëte crotté, v. 576. SA.II, p. 66. 226 Francis Bar, op. cit., p. 576. 227 La Solitude, v. 190. SA.I, p. 47. 228 SA.I, p. 47. 229 Le Melon, v. 193. SA.II, p. 24. 230 Ibid., v. 210. SA.II, p. 25. 37 écriture grecque, par exemple « βορδελ » ou « κουιλλες »231. Même les prénoms ont des connotations : par exemple, « Catin » est un prénom vulgaire, tandis qu’« Amarante » est noble232. Une troisième catégorie lexicale est celle des termes spécifiques. Saint-Amant montre son érudition dans plusieurs domaines : l’astrologie, la magie, les sciences, la guerre, la musique et les arts, la jurisprudence, mais aussi la beuverie et la goinfrerie233. Dans La Desbauche, Saint-Amant choisit des termes typiques de la débauche234 : « Par masse, toppe, cric et croc »235. Le poème Cassation de soudrilles, qui évoque la vie militaire, est un bel exemple de l’originalité du vocabulaire choisi, mais montre en même temps aussi la complexité des mots du jargon technique et archaïque : Sergents, qui sous un attelier Aviez levé tant de pagnottes, Pendez le glaive au ratelier, Et chiez dans vos bourguignottes.236 Une quatrième observation porte sur le lexique dialectal. Saint-Amant a ses origines en Normandie, quelques mots proviennent donc du patois normand. « Gouspin » signifie par exemple « gamin »237. De temps en temps, Saint-Amant il s’inspire d’autres dialectes, comme les dialectes méridionaux. Le rôle du vocabulaire dans l’œuvre de Saint-Amant ne peut donc pas être surestimé. Chaque terme particulier inscrit le poème dans un genre ou une tradition spécifique avec une connotation spécifique. Le vocabulaire en soi est sans aucun doute très riche et varié, mais 231 Sonnet XLVII, v. 1. SA.I, p. 287. Transcription : « bordel ». La Berne, v. 8. SA.I, p. 237. Transcription : « couilles ». Le libertin Jean-Jacques Bouchard choisit la même forme de censure « pour mieux dépister le lecteur de ses scabreuses confidences » (René Pintard, op. cit., p. 211.). Toutefois, il ne transcrit pas que des mots comme Sint- Amant, mais aussi des groupes de mots et des phrases courtes. D’autres libertins comme François de La Mothe Le Vayer et Gabriel Naudé censurent en écrivant en latin. 232 Sonnet XXVI, v. 8 et 12. SA.I, p. 197. Dans un français vieilli, le nom « catin » a une connotation péjorative de « femme de mauvaises mœurs » et est synonyme de « prostituée ». (Émile Littré, Dictionnaire de la langue française, <https://www.littre.org/definition/catin> (consulté le 3 juillet 2019)). 233 Jacques Bailbé, Saint-Amant et la Normandie littéraire. Études réunies à la mémoire de Jacques Bailbé, op. cit., p. 239-245. 234 Francis Bar, op. cit., p. 128. 235 La Desbauche, v. 74. SA.I, p. 206. 236 Cassation de soudrilles, v. 9-12. SA.I, p.261. Je transcris en français contemporain : Sergents, qui sous un atelier Aviez levé tant de poltrons, Pendez le glaive au ratelier, Et chiez dans vos casques. 237 La Chambre du desbauché, v. 11. SA.I, p. 216. 40 débauchés et lui-même comme de banals animaux, ou comme des personnages héro-ridicules tel que Don Quichotte. Estre deux ans à jeun comme les Escargots, Resver en grimassant ainsi que des Magots, Qui bâillans au Soleil se grattent soubs l’aisselle.252 Je resve dans un lict, où je suis fagotté, Comme un Liévre sans os, qui dort dans un Pasté, Ou comme un Dom-Quichot en sa morne folie.253 Les métaphores sont plus complexes à analyser. La métaphore in praesentia est soit prédicative254, si elle est le prédicat d’un verbe copule, soit apposée, si elle se prête à « être considérée comme la forme elliptique d’une proposition relative contenant une métaphore prédicative »255. Ainsi, l’exemple suivant d’une métaphore prédicative dit que l’esprit de la femme est (comme) un diamant : « Qu’estant un Diamant, tout Esprit doit apprendre / Que jamais aucun feu ne le peut offenser »256. Saint-Amant joue sur le sens de la dureté du diamant, mais aussi sur sa valeur. Les apostrophes ci-dessous sont trois exemples de métaphores apposées. Les reformulations des propositions relatives sont : Gilot qui est (comme) le roi de la débauche ; Belot qui est (comme) un puissant démon de joie ; Faret, qui est (comme) mon cœur. Vray Gilot, Roy de la débauche257 Belot, puissant Démon de joye258 Mon cœur, mon aymable Faret259 Les métaphores in absentia impliquent soit comparé soit comparant. Si le comparé est impliqué, la métaphore est dans un substantif. Dans l’exemple, le comparant est le soleil, le comparé est une femme malade. Il s’agit même d’une périphrase métaphorique, où le sens du comparant est développé dans plusieurs vers260. Le thème du soleil est fréquent dans les métaphores. Son cher frere affligé de ce que son pareil Luy va donner moyen d’estre appellé Soleil En le laissant unique, 252 Les Goinfres, v. 6-8. SA.II, p. 85. 253 Le Paresseux, v. 2-4. SA.II, p. 82. 254 Fernand Hallyn, op. cit., p. 210-211. Faret était un ami proche de Saint-Amant. 255 Ibid., p. 81. 256 Le Bel Œil malade, v. 17-18. SA.I, p. 161. 257 La Vigne, v. 65. SA.I, p. 253. 258 Ibid., v. 81. SA.I, p. 254. 259 Ibid., v. 100. SA.I, p. 255. 260 Fernand Hallyn, op. cit., p. 122. 41 Bien plus de passion dedans luy nous fait voir A fuyr cét honneur, qu’il juge tyrannique, Que jadis Phaëton n’en monstra pour l’avoir.261 L’implication du comparant concerne surtout les verbes et les adjectifs. Ainsi, pour les verbes, Saint-Amant voit sa Solitude « Trotter comme une gueuse en de sales lambeaux »262 : la métaphore est dans le verbe – qui est associé au cheval – et va même de pair avec une personnification – La Solitude devient une gueuse qui marche – et une comparaison – comme une gueuse. La théorie de Hallyn sur la métaphore de l’âge baroque est particulièrement utile pour comprendre la poésie de Saint-Amant. Les métaphores et les comparaisons sont omniprésentes. Les images s’enchaînent très souvent dans de longues énumérations ou dans des métaphores continuées263. En outre, les différents types de comparaisons et de métaphores se combinent facilement entre eux. La description des traits physiques féminins ci-dessus contient deux métaphores in praesentia, qui suivent deux in absentia, qui évoquent des yeux et des joues. Saint-Amant indique dans trois des quatre vers le fond sur lequel le rapprochement des deux termes est basé. Encor le surpassant, elle a double Soleil, Comme elle a double Aurore en son beau teint vermeil : On la doit croire Lune en sa blancheur extréme, Puis que sa Chasteté la rend Diane mesme264 2. Symboles et images Le courant baroque préfère les images de nature fugitive, mobile, changeante et fragile265. En général, il existe deux tendances majeures, d’un côté celle de l’eau (cf. supra), de l’autre celle de l’air. L’eau est à comprendre dans son sens le plus étendu, avec le ruisseau, le torrent, la pluie, la mer, l’étang, les réflexions et les barques ; l’air apparaît dans les nuages, le vent et les oiseaux. L’eau et l’air illustrent en effet la variabilité, la fragilité et la fugacité de l’existence. Il est donc logique que les deux apparaissent souvent ensemble dans les poèmes descriptifs. Là, par fois consultant les Eaux Du sommet d’une roche nuë, Où pour voir voler les oyseaux Il fait que je baisse la veuë266 261 Le Bel Œil malade, v. 25-30. SA.I, p. 161. 262 Élégie à Monseigneur le duc de Rets, v. 18. SA.I, p. 28. 263 Fernand Hallyn, op. cit., p. 212. 264 Élégie à Damon, v. 75-78. SA.I, p. 157. 265 Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française. Tome I, op. cit., p. 10. 266 Le Contemplateur, v. 41-44. SA.I, p. 51. 42 Saint-Amant met l’accent surtout sur l’eau ; des paragraphes entiers décrivent les méandres des torrents et des ruisseaux, les marais et le changement de « la Mer, / Quand elle vient à se calmer / Apres quelque orage effroyable »267. Les nombreux personnages mythologiques invoqués, comme des Naïades, des nymphes, Neptune, les Tritons et Thétis, prouvent tous l’importance que Saint-Amant y accorde. En outre, le rythme répétitif des vagues ajoute un ton méditatif aux poèmes (cf. supra). La voix poétique devient elle-même un ruisseau quand elle murmure : « Je m’y coule sans faire bruit »268. Saint-Amant mentionne également des éléments relatifs à l’air, mais ils ne sont jamais aussi élaborés que les références à l’eau. Un rare passage sur l’air se trouve dans La Pluye : Saint- Amant peint la transition d’un ciel clair et ensoleillé vers un ciel noir avec « mainte espaisse nuë »269. La transition est accompagnée d’un arc-en-ciel, phénomène momentané, où « l’humide Iris estale / Son beau demy-cercle d’opale / Dedans le vague champ de l’Air »270. D’autres images plus courantes traduisent aussi le sentiment d’incertitude. Le feu et la flamme sont les exemples les plus connus. Par exemple, la constance en amour est encore faible qu’une lueur fragile : « Et la flame d’une chandelle, / Ont bien plus de constance qu’elle »271. 3. Contrastes Saint-Amant s’appuie beaucoup sur les figures de style qui illustrent et renforcent les contrastes. Il montre ainsi le monde multilatéral ; les contrastes font une partie essentielle de la versatilité du baroque. D’abord, la poésie de Saint-Amant est fondée sur des oppositions. Ces oppositions peuvent être liées entre elles, comme dans l’exemple ci-dessous : Fontainebleau s’oppose à Paris, et le vin de Bacchus s’oppose à l’eau, mais Paris est lié au vin et Fontainebleau est lié à l’eau. Et Bacchus nostre puissant Roy, Suivant les reigles de sa Loy, Le casse, et luy defend de boire Que dans la Seine, ou dans le Loire, Puis qu’il delaisse, amy de l’eau, Paris pour un Fontaine-bleau272 267 La Solitude, v. 142-144. SA.I, p. 44. 268 Ibid., v. 125. SA.I, p. 43. 269 La Pluye, v. 28. SA.I, p. 139. 270 Ibid., v. 25-27. SA.I, p. 138. 271 La Gazette du Pont-Neuf, v. 105-106. SA.I, p. 247. 272 Les Cabarets, v. 75-80. SA.I, p. 211-212. 45 5. Énumérations et accumulations Saint-Amant est maître des énumérations commençant par le(s) même(s) mot(s), soit dans un même vers, soit au-delà du niveau du vers. Ces énumérations créent un rythme dans la poésie et augmentent les attentes du lecteur. O cruelle avanture ! ô perte irreparable ! O regret eternel ! ô Damon miserable ! 292 Si jamais j’entre dans Evreux, Puissay-je devenir fievreux, Puissay-je devenir grenouïlle, Puissay-je devenir quenouïlle, Que le vin me soit interdit, Que nul ne me face crédit, Que la tigne avec la pelade Se jette dessus ma Salade293 Le nombre de répétitions va de deux jusqu’au-delà de quarante. La Desbauche contient l’énumération la plus longue. Le dernier vers finit ironiquement par « Bref »294. L’accumulation est une forme spécifique d’énumération, mais dans laquelle la juxtaposition des termes renforce l’effet auprès du lecteur. D’ennuis, d’outrages, de douleurs, De poison, de meurtre, d’inceste, De feu, de famine et de peste295 Cependant, les énumérations sont aussi possibles pour des mots qui ne commencent pas nécessairement de façon identique, mais qui se trouvent au même niveau, c’est-à-dire qui appartiennent à une même catégorie. Jamais habillemens de Mars, Glaives, boucliers, lances, ny dars N’esclatterent dans son Armée, Et jamais mousquets, ny canons Vomissans fer, flamme et fumée, N’y firent abhorrer leurs noms.296 Selon Bernard Sève, les énumérations, qu’il appelle « listes », sont un phénomène particulier dans lequel il existe une « incompatibilité de principe entre liste et narration » 297. En effet, la 292 Élégie pour Damon, v. 29-30. SA.I, p. 148. 293 Imprécation, v. 1-8. SA.I, p. 266. 294 La Desbauche, v. 28-78. SA.I, p. 203-206. 295 Imprécation, v. 22-24. SA.I, p. 267. 296 La Vigne, v. 155-160. SA.I, p. 258. 297 Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, Paris, Seuil, 2010, p. 110. 46 narration fait avancer le récit, tandis que les listes y insèrent une pause. En outre, les listes indiquent à la fois la continuité et la discontinuité entre les éléments de la liste, puisque les mots restent séparés mais ils forment également un groupe298. Pour établir des listes, les poètes reprennent souvent la pratique scolaire antique « copia verborum ». Quoique déjà connue au XVIe siècle, cette pratique ajoute au texte une puissance et stimule le poète « à exercer sa liberté par le travail sur la langue »299. Ainsi, les énumérations et les accumulations sont une pratique baroque de l’ostentation : les énumérations font voir des images à partir d’une autre. 2.2.3 Structures des poèmes Beaucoup de critiques ne repèrent pas de plan logique dans les poèmes de Saint-Amant et par conséquent, sa poésie a été souvent considérée comme construite de façon aléatoire. En effet, le récit saute souvent d’une focalisation à l’autre, sans que le poète établisse ou explicite le lien logique entre les différentes parties. Saint-Amant l’avoue volontiers : Voilà comme selon l’objét Mon esprit changeant de projét, Saute de pensée en pensée : La diversité plaist aux yeux300 Les énumérations sont des figures aptes à changer la focalisation et à introduire un grand nombre d’éléments nouveaux. Par exemple, chaque nouvel élément dans La Solitude est introduit par « Tantost ». Selon Ibrie Buffum, la fantaisie de Saint-Amant provient de sensations multiples et le poème évolue de façon « organique ». La poésie est alors le résultat textuel d’un processus sensoriel301. Le récit non linéaire est le moyen des poètes baroques pour montrer la nature fuyante de leurs œuvres : « C’est par les égarements, les retours et les détours que poètes et romanciers trouvent les moyens de suivre de perpétuelle mobilité du monde, et de s’approcher au plus près d’une nature fuyante et de leur propre conscience ébranlée, de leur propre imagination fantasque et inconstante »302. Bien sûr, une nuance est nécessaire : tout dépend d’un genre à l’autre. Cette affirmation est plausible pour les contemplations de la nature, mais une grande partie des poèmes témoignent bel et bien d’un certain ordre, d’un développement linéaire du récit narratif. 298 Ibid., p. 114. 299 Michel Jeanneret, Perpetuum Mobile. Métamorphoses des corps et des œuvres, de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, coll. Argô, [s.a.], p. 273. 300 Le Contemplateur, v. 135-138. SA.I, p. 55. 301 Imbrie Buffum, Studies in the Baroque from Montaigne to Rotrou, New Haven, Yale University Press, 1957, p. 136-162. 302 Vincent Vivès, op. cit., p. 168. 47 Même dans quelques poèmes qui sont descriptifs, l’ordre est retrouvé : par exemple dans Le Palais de la Volupté, le nombre de vers est partagé symétriquement entre les différents thèmes303. En outre, la complexité d’une œuvre ne prouve pas le désordre du récit. Même au niveau au-delà des poèmes, une structure générale est dégagée. Les recueils ne sont donc pas mis ensemble de manière aléatoire. La première publication de 1629 est une alternance de genres et de tons, mais les poèmes sont en quelque sorte bel et bien regroupés : la première partie est une succession de méditations devant la nature, de poèmes héroïques d’inspiration antique, de poèmes fantaisistes, de poésie d’amour, du Palais de la Volupté et de quelques poèmes plus courts ; dans la deuxième partie Saint-Amant se laisse aller dans les genres réalistes et burlesques, se jette ensuite dans les poèmes plus légers sur la débauche et finit par des poèmes plus courts comme des sonnets, des épigrammes et des épitaphes304. La publication de 1631 est aussi riche que la première, mais contient moins de structure interne305. Les poèmes courts et satiriques se trouvent de nouveau à la fin de la publication. Toutefois, malgré la structure interne, il est vrai qu’il est difficile de discerner un seul fil rouge dans toute son œuvre poétique et que les publications ne contiennent pas de développement linéaire ou d’évolution psychologique. 2.2.4 Mètre, rime et versification 1. Le vers et le mètre Le nombre de pieds dans un vers, le mètre donc, varie d’un poème à l’autre, ou à l’intérieur d’un poème, d’une strophe à l’autre ou d’un vers à l’autre. Il est pourtant généralement restreint à quatre mètres principaux : l’alexandrin de douze syllabes, la décasyllabe, l’octosyllabe et, moins fréquemment, l’hexasyllabe. En d’autres termes : Saint-Amant préfère les mètres pairs. Selon Françoise Gourier, le choix pour un mètre dépend du genre : l’alexandrin apparaît dans la poésie épique et les parodies épiques, les poèmes fantaisistes et les poèmes sérieux, comme les poèmes mythologiques et les élégies amoureuses ; Saint- Amant n’utilise pas fréquemment la décasyllabe et suit ainsi la tendance du XVIe siècle ; l’octosyllabe est pour l’inspiration gastronomique, bachique ou satirique306. Cela implique que le genre ne définit pas seulement le mètre, mais que, inversement, le mètre révèle aussi plus sur le ton du poème. 303 SA.I, p. 177. 304 Ibid., p. XXIII-XXIV. 305 SA.II, p. XVI-XVII. 306 Françoise Gourier, op. cit., p. 229. 50 Par ailleurs, une grande partie des poèmes courts finit en pointe, c’est-à-dire une fin humoristique inattendue, appelée aussi « concetto »312. La pointe incite le lecteur à repenser le contenu des poèmes pour éviter que le sens, à la façon baroque, s’échappe313. Les genres ironiques sont les plus favorables à ces fins. Par exemple, après toute une imprécation d’une vieille dame pour qu’elle change son comportement, Saint-Amant finit par : « Rien ne sert de vous exhorter, / Le Diable vous puisse emporter »314. La fin peut également être remarquable par un vers supplémentaire différent en rime et en structure, presque comme une exclamation. Ce vers rompt donc complètement avec la structure. Quelques exemples sont : « ET A MOY AUSSI »315, « A BOIRE, A BOIRE »316. 4. Rime Dans les poèmes longs sans strophes, la rime est généralement plate. En cas de strophes, le schéma varie d’un poème à l’autre. De toute façon, pour les strophes avec un nombre de vers pair, la rime vient toujours par deux strophes pas nécessairement successives. Ainsi, une strophe de dix vers a cinq rimes différentes. Quelques genres, comme les épigrammes, ont des schémas particuliers, qui combinent de temps en temps la rime plate et la rime croisée. 2.2.5 Persona La voix poétique, la persona, correspond souvent à la première personne du singulier, ce qui est logique pour la poésie lyrique. Cela tente le lecteur à identifier, à faux titre, le « je » comme Saint-Amant lui-même. Pour cette raison, John Lyons met en garde contre la complexité d’une telle voix et les interprétations fausses qu’elle entraîne : In saying that the poet represents the relationship of author and reader in the text, I am claiming neither that the persona, the speaker who says "I," is necessarily entirely different in every way from the historical author of the poems nor that the "I" is identical to the historical author.317 312 Cette fin est appelée « concetto » d’après le poète baroque italien Giambattista Marino. 313 Vincent Vivès, op. cit., p. 174. 314 La Remonstrance inutile, v. 31-36. SA.I, p. 276. 315 Les Cabarets, v. 121. SA.I, p. 214. 316 La Naissance de Pantagruel, v. 29. SA.I, p. 273. 317 John Lyons, The Listening Voice. An essay on the rhetoric of Saint-Amant, Lexington, French Forum, 1982, p. 14. 51 Selon Lyons, Saint-Amant crée un niveau intermédiaire, qui s’appelle « the listening voice » : le « je » n’est ni Saint-Amant, ni le lecteur, mais un personnage dans le récit318. En outre, le discours dans la poésie n’est pas unilatéral : comme toute conversation, il exige la présence, lointaine ou proche, d’une deuxième personne à qui il s’adresse. Les évidences textuelles de ce discours sont principalement les interpellations. Cette deuxième personne n’est cependant pas non plus univoque, mais consiste en plusieurs niveaux. La dédicace d’un poème à son protecteur est le premier niveau, le personnage ou l’objet dont il parle le deuxième, aussi appelé le participant, et le dieu invoqué, le bienfaiteur, le troisième319. Le Fromage par exemple, contient plusieurs apostrophes, comme « Fromage, que tu vaux d’escus ! »320 ou « Encore un coup, donc Compagnons »321. 2.3 Conclusion intermédiaire : la forme poétique de Saint-Amant 2.3.1 Les éléments baroques Le vocabulaire est exceptionnellement coloré et prouve que Saint-Amant est capable de tous les genres, dans tous les domaines et en de nombreuses langues, modernes et classiques. Même l’invention de nouveaux termes ne pose pas de problème pour lui. Ainsi, le vocabulaire aide à mettre encore plus de puissance dans le genre pratiqué. Par exemple, la satire jouit beaucoup des termes burlesques contrastés aux termes nobles. Néanmoins, les mots moins fréquents, parfois un peu désuets et régionaux, risquent d’alourdir la lecture et la compréhension. La richesse lexicale de l’œuvre est avant tout particulière à Saint-Amant : « Saint-Amant’s use of language set him apart from the latter half of his century, since the ideal tended to become that of restricted, fixed, and courtly vocabulary, whereas he delighted in the particular, unusual, antiquated, and grotesque terms »322. Les figures de style foisonnent dans la poésie et servent avant tout de convaincre le lecteur de la vérité baroque. Elles jouent avec le sens des poèmes, grâce aux jeux de mots et aux doubles ententes323. En effet, dans un monde où tout est incertain, il n’est pas facile de retrouver le sens. Les comparaisons, les périphrases, les métaphores enrichissent les poèmes, mais sont aussi des masques textuels et des miroirs qui font voir une idée à travers une autre : de nouveau, l’être et le paraître ne sont pas la même chose. Les figures de contraste, comme les antithèses, les oppositions, les balancements et les paradoxes, aident aussi à exprimer la 318 Ibid., p. 12. 319 Ibid., p. 55. 320 Le Fromage, v. 14. SA.I, p. 231. 321 Ibid., v. 65. SA.I, p. 233. 322 Samuel Borton, op. cit., p. 176. 323 Vincent Vivès, op. cit., p. 174. 52 complexité et la multilatéralité du monde. Les hyperboles, les amplifications et les hypotyposes témoignent d’ostentation, tout comme les énumérations et les accumulations. Toutes ces figures sont emblématiques parce qu’elles transposent les sentiments de l’homme baroque dans la forme du texte. L’inconstance et la fragilité est dans les images et les symboles, comme la fumée, le vent, les nuages, les oiseaux, le feu, mais aussi dans les images bibliques comme le torrent, la fleur et l’herbe324. Les images relatives à l’eau sont très utiles parce qu’elle est matière « mobile et plastique, propre aux métamorphoses ; et elle est le lieu des reflets, des miroitements, des figures renversées »325. En outre, l’eau désigne un mouvement soit en direction simple, le couler d’un ruisseau, soit double, le va-et-vient des vagues326. Le miroitement à son tour est une illusion qui confond l’apparence et l’être. Tous ces éléments montrent le mouvement, la fugacité et la tromperie du monde, et pour cette raison ils sont de nouveau des illustrations des sentiments baroques. Il est faux de prétendre qu’il y a une absence totale de structure dans tous les poèmes. Le manque de lien logique entre différentes parties de quelques poèmes, est avant tout un manque de récit narratif linéaire. Ces poèmes sont alors plutôt la transposition d’une sensation multiple. Le terme « baroque » est souvent perçu comme synonyme de démesure et d’irrégularité. Comme le soi-disant manque de structure est une preuve d’irrégularité, Saint-Amant serait baroque. Cependant, une réévaluation de la structure est nécessaire pour démontrer que, malgré une première impression, la poésie est aussi structurée : un grand nombre de poèmes suivit bel et bien un développent généralement linéaire. Même au niveau des publications entières, la structure est présente. Quant à la versification, Saint-Amant préfère des mètres avec un nombre de syllabes pair. Deux types de poésie sont distingués : d’une part la poésie conforme aux exigences strictes des traditions littéraires, qui prescrivent l’alexandrin pour les « grands » genres ; d’autre part la poésie plus libre des genres plus légers composée en octosyllabes. De temps en temps, Saint-Amant entreprend une tentative pour se débarrasser des contraintes en choisissant un mètre impair. La forme fixe du sonnet de la Renaissance est un des gagnants, grâce à sa structure contrastive. L’opposition se cache entre les quatrains, qui présentent une idée abstraite, et les tercets, qui illustrent la première idée ou qui abordent une deuxième idée, et 324 Jean Rousset, Anthologie de la poésie baroque française. Tome I, op. cit., p. 7. 325 Ibid., p. 11. 326 Ibid., p. 11-12. 55 méditations sur la mort, mais pas leur « mal du siècle »330. Le genre burlesque est aussi très novateur par rapport aux traditions littéraires. En outre, la question de la foi reste ambiguë : la présence du Dieu chrétien est-elle indispensable au baroque ou pas ? Ainsi, son œuvre fait preuve d’une modernité qui s’installe petit à petit. Cette modernité retrouve-t-elle sa place dans le cadre assez restreint du baroque ? Ces réserves compliquent la définition du baroque : toute la poésie de Saint-Amant peut-elle être considérée comme baroque, ou peut-être juste partiellement ? Cette interrogation induit également une question plus générale : qu’est-ce le baroque, et spécifiquement, qu’est-ce le baroque littéraire ? Comment peuvent-ils être définis sans laisser des vides ? 3.2 Le baroque en tant que mouvement et style 3.2.1 Comment définir le baroque de façon adéquate ? Selon Gérard Genette, il est important de résister à la tendance de définir le courant baroque par le négatif, notamment de considérer tout ce qui n’est pas classique et normatif, comme forcément baroque. De cette façon, il est possible de renoncer aux connotations péjoratives – tout ce qui n’est pas classiciste, est certainement de mauvaise qualité, et inversement, classiciste équivaut à de bonne qualité – associées à cette vision dualiste, qui ont perduré longtemps. Au contraire, reconnaître le baroque est « avouer que l’ordre longtemps considéré comme naturel n’était qu’un ordre parmi d’autres »331. Il n’existe pas de hiérarchie entre les différents ordres. Pour éviter ce « piège de l’opposition systématique »332, Genette propose de comprendre le baroque d’une autre façon : Le baroque, s’il existe, n’est pas une île (et encore moins une chasse gardée), mais un carrefour, une « étoile » et, comme on le voit bien à Rome, une place publique. Son génie est syncrétisme, son ordre est ouverture, son propre est de n’avoir rien en propre et de pousser à leur extrême des caractères qui sont, erratiquement, de tous les lieux et de tous les temps. Ce qui nous importe en lui n’est pas ce qu’il a d’exclusif, mais ce qu’il a justement, de « typique » - c’est-à-dire d’exemplaire.333 Pour lui, le baroque n’est pas constitué d’éléments bien délimités, il n’est pas une « île », mais il s’agit plutôt de l’union de plusieurs éléments divergents qui se croisent à « un carrefour ». Autrement dit, le baroque est synonyme d’ouverture, de convergence et de coexistence. Il ne 330 Samuel Borton, op. cit., p. 181. 331 Gérard Genette, op. cit., p. 221. 332 Henriette Levillain, Qu’est-ce que le baroque ?, Paris, Klincksieck, 2003, p. 20. 333 Gérard Genette, op. cit., p. 222. 56 peut qu’exister en reprenant des éléments qui ne lui appartiennent pas. Est-il vrai que le baroque n’est qu’une forme d’éclecticisme ? Remarquablement aussi, Genette ajoute la condition « s’il existe ». L’existence du baroque n’est-elle donc pas sûre ? 3.2.2 Définitions conventionnelles Le terme « baroque » vient du nom portugais « barrocco », qui signifie littéralement « la qualité irrégulière d’une perle »334, c’est-à-dire une perle de mauvaise qualité qui contraste avec la perle ronde, conforme aux normes. Une connotation négative semble donc inhérente à l’étymologie du mot. Ce sens évolue vers un sens figuratif de « bizarre ». Cependant, le nom « baroque » pour le mouvement de la première moitié du XVIIe siècle n’est qu’inventé ultérieurement, au XIXe siècle, quand les critiques littéraires commencent à s’intéresser à la période négligée entre le préclassicisme de la Pléiade et le classicisme véritable. Le baroque était avant tout identifié dans les beaux-arts, comme architecture, sculpture et peinture, et ce n’est que plus tard que les critiques en ont appliqué les caractéristiques à la littérature et à la musique335. Le baroque est à la fois un esprit, un style et une structure336. En outre, il est très hétérogène. Il est par conséquent difficile de définir la notion « baroque » : les définitions sont souvent très, parfois trop générales et témoignent d’absence de consensus car chaque théoricien présente une interprétation différente. Ainsi, la question surgit si la littérature a vraiment besoin de ces classifications nominalistes. La réponse est affirmative : une compréhension intégrale d’une œuvre nécessite un point de comparaison ou une référence à un ordre sous- jacent337. Aussi indéfinies que soient les définitions, elles sont utiles parce qu’« on ne va vers la certitude qu’à partir de l’incertain »338. Qui dit baroque, dit classicisme : « L’invention du baroque allait permettre de classer d’une manière analogue tout ce qui du classicisme échappait à la classicisation »339. Selon la conception traditionnelle, le baroque est irrationnel, démesuré et irrégulier, tandis que le 334 Henriette Levillain, op. cit., p. 14. 335 Ibid., p. 23. 336 Jean Rousset, « Peut-on définir le baroque ? », dans Actes des Journées Internationales d’étude du Baroque, sous la dir. de Marcelle Dulaut, Toulouse, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1965, p. 20. 337 Marcel Raymond, op. cit., p. 10. 338 Jean Rousset, L’intérieur et l’extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVIIe siècle, Paris, José Corti, 1968, p. 249. 339 Claude-Gilbert Dubois, Le Baroque : profondeurs de l’apparence, Paris, Larousse, coll. Thèmes et textes, 1973, p. 13. 57 classicisme est rationnel, régulier et modéré. Heinrich Wölfflin, par exemple, explique le baroque par cinq oppositions dichotomiques, tirées de l’architecture, au classicisme de la Renaissance340. La première opposition est entre les formes classiques linéaires, c’est-à-dire bien distinctes, et les formes picturales du baroque, qui s’enchaînent sans délimitations claires. Le deuxième contraste oppose l’occupation classique de l’espace, en surface, à l’occupation baroque de l’espace en profondeur, qui supprime les plans distincts. Troisièmement, tandis que chaque élément a une place fixe dans une composition classique fermée, la composition baroque est surtout ouverte : toute forme se rapporte à toute autre forme, sans focalisation sur un élément spécifique. Selon la quatrième opposition, « l’unité qui enferme une multiplicité d’éléments (classique) s’oppose à une unité complexe ou globale (baroque) »341 : la Renaissance, époque classique avant la lettre, implique l’analyse de chaque partie différente, le baroque vise la synthèse, l’impression globale d’une œuvre. Et cinquièmement, Wölfflin oppose la clarté classique à l’obscurité baroque, qui apparaît sous formes de « torsions outrées, mouvements impétueux, raccourcis destructeurs des proportions, dissolution des contours et des fonds dans le fou et dans la pénombre »342. Bref, On n’a aucun sens de la valeur et de l’importance individuelle de la forme, on n’est sensible qu’à l’action plus diffuse de l’ensemble ; la forme particulière et délimitée – la forme plastique – cesse d’être significative, on compose en faisant appel à des effets de masse ; les éléments les moins définis : lumière et ombre, deviennent les véritables moyens d’expression.343 La question reste de savoir dans quelle mesure ces principes architecturaux et figuratifs sont utiles pour les autres arts. Par ailleurs, un tel inventaire implique que Wölfflin accepte l’existence d’une tradition baroque et qu’il la met au même niveau que le classicisme. 3.2.3 Le baroque du XVIe-XVIIe siècle Le baroque en tant que mouvement historique nécessite des limites temporelles et cette période correspond approximativement à la période entre la Renaissance et le classicisme. Le baroque commence dans le dernier tiers du XVIe siècle, mais personne n’est d’accord sur la date précise : par ailleurs, le même mouvement s’étend sur plusieurs pays et à différents 340 Heinrich Wölfflin, Renaissance et Baroque, Paris, Le Livre de Poche, 1967. 341 Marcel Raymond, op. cit., p. 28. 342 Heinrich Wölfflin, op. cit., p. 10. 343 Ibid., p. 189-190. 60 transposée en texte357. De toute façon, de telles transpositions dépendent aussi d’interprétations personnelles. Marcel Raymond a examiné si les principes dégagés de l’architecture par Wölfflin valent aussi pour la littérature. D’abord, le cinquième critère de clarté et obscurité lui semble utile, même s’il a quelques réserves : « l’irrégularité, l’absence de clarté ne suffisent pas à faire le baroque », tout comme la clarté cachée dans « la régularité ne fait pas le classique »358. Puis, la transposition en texte des critères de (l’absence de) profondeur et des formes linéaires ou picturales pose des problèmes, car ces critères ont été conçus à partir de l’aspect visuel. Raymond propose que le classique soit alors synonyme de discontinuité et que le baroque soit synonyme de continuité à l’aide, par exemple, des métaphores qui rendent le récit plus fluide359. Selon lui, le style pictural correspond à un style musical « où l’objet se dissout dans l’émotion, dans l’impression éprouvée par le sujet, impression et émotion étant alors incorporées au langage »360 ; le style linéaire équivaut à l’« enregistrement successif »361. Enfin, les critères trois et quatre, sur la forme fermée ou ouverte et sur l’unicité ou la multiplicité, sont plus faciles à identifier dans un texte : le classique est « un mode de vision et de création différencié » avec des éléments clairement distincts, tandis que le baroque est le « mode de vision et de création indifférencié » où les éléments ne sont pas bien définis et où l’œuvre n’est jamais achevée362. 3.3.2 En littérature Il est clair que la situation politique en France a influencé la littérature. « L’écriture sera le moyen, pour toute une génération, de reconstruire l’édifice de ses certitudes, ou d’en pleurer la ruine – à moins qu’elle ne préfère en rire »363. Par exemple, les massacres de guerres ont un double effet. D’une part les poètes choisissent délibérément un décor rustique et une action située à l’époque des Anciens, par exemple dans les romans pastoraux364. D’autre part les auteurs intègrent dans leurs textes « un réalisme brutal », c’est-à-dire l’omniprésence de la mort, des souffrances physiques, des os, des crânes365. En somme, toute la littérature est 357 Ibid., p. 20-21. 358 Marcel Raymond, op. cit., p. 30-31. 359 Ibid., p. 32. 360 Ibid., p. 33. 361 Ibid., p. 34. 362 Ibid., p. 37. 363 Michel Jarrety, op. cit., p. 145. 364 Raymond Lebègue, « La poésie baroque en France pendant les guerres de religion », dans Actes des Journées Internationales d’étude du Baroque, sous la dir. de Marcelle Dulaut, Toulouse, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1965, p. 46. 365 Ibid. 61 marquée par une « sensibilité baroque », suscitée par le contexte366. L’inconstance, soit blanche soit noire, règne dans le monde. La tension majeure dans la littérature est celle entre la réalité et la fantaisie. Les sentiments, comme l’amour et le désir, mais aussi la haine et la vengeance, sont poussés aux extrêmes367. Les auteurs baroques expriment leurs émotions dans « un style vigoureux et emphatique » et « par une luxuriance des images »368. De plus, les textes entiers sont des tentatives de susciter la surprise auprès des lecteurs : pour ce faire, les auteurs utilisent les jeux de mots, les métaphores et les antithèses et il renverse les thèmes habituels369. La structure et la forme de la littérature transmettent cette incertitude par une structure complexe mais symétrique, avec une attention particulière aux détails370. Les images sont des antithèses, des allusions et des hyperboles. À cette littérature chargée d’imagines, on reproche parfois « son manque de naturel, sa rhétorique ostentatoire, en un mot sa préciosité »371. La production littéraire baroque est très variée et comprend des auteurs très divergents : entre autres Michel de Montaigne, Guillaume Du Bartas, Honoré d’Urfé, Pierre Corneille, René Descartes et de nombreux poètes (cf. infra) y appartiennent. Sa fonction est aussi variée : la poésie didactique et apologétique veut propager la foi et la morale ; la poésie lyrique est le moyen parfait pour exprimer des sentiments ; d’autres poèmes sont des exercices de style372. Il y a aussi des tentatives de création et de renouvèlement373. Par ailleurs, les différents genres s’entrelacent facilement, surtout dans les recueils composés de plusieurs poètes374. La littérature ne se restreint pas au catholicisme, qu’elle est censée propager : la poésie profane et la poésie dévote coexistent375. 3.3.3 En poésie En poésie, il existe une distinction entre le « premier Baroque » de 1580 à 1620, « la poésie par excellence », et le « deuxième Baroque » de 1620 à 1645, « qui va vers une diversité des genres »376. Jusqu’à 1620, la poésie est essentiellement épique, lyrique et religieuse, et les 366 Michel Jarrety, op. cit., p. 149. 367 Raymond Lebègue, op. cit., p. 47. 368 Ibid., p. 48-49. 369 Ibid., p. 50-51. 370 Michel Jarrety, op. cit., p. 154. 371 Ibid. 372 Michel Jarrety, op. cit., p. 145-146. 373 Anne-Laure Angoulvent, L’esprit baroque, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?, 1994, p. 101. 374 Michel Jarrety, op. cit., p. 146. 375 Raymond Lebègue, op. cit., p. 45. 376 Vincent Vivès, op. cit., p. 202 et 207. 62 grands poètes sont Etienne Jodelle, Philippe Desportes, Agrippa d’Aubigné, Jean de Sponde et, mais aussi François de Malherbe377. À partir de 1620, la diversification générique entre dans la poésie baroque et grâce à l’Édit de Nantes, les poètes retrouvent petit à petit une forme de stabilité378. La poésie du deuxième baroque introduit des nuances : le lyrique tend vers la préciosité, le genre épique devient moins important, les méditations surgissent et la poésie libertine prend son essor379. Théophile de Viau, Saint-Amant et Tristan l’Hermite excellent en sont les grands représentants. Tandis que la tradition poétique du XVIe siècle dispose des théories poétiques détaillées, il n’existe pas de théorie prescriptive pour la poésie baroque : « Chez Du Bellay comme chez Malherbe, modèles et contre-modèles sont désignés par leurs noms, interdits et prescriptions clairement explicités, formes prosodiques censurées ou revendiquées selon les cas, et tous aspects nouveaux de la langue poétique inventoriés »380. Grâce à ce vide, la poésie baroque trouve un moyen pour se développer dans les années 1570 ; dans les années 1640, en revanche, la poésie classique de Malherbe prend la place et annonce la fin d’une période baroque381. Selon Wölfflin, la poésie baroque est plus expressive et elle dispose d’un catalogue d’images plus diversifiées que celles de la Renaissance382. En outre, tandis que la Renaissance veut seulement « le grand dans le détail », la poésie baroque exige aussi une unité plus cohérente383. Pour le reste, la poésie baroque partage en grande partie les mêmes caractéristiques du baroque littéraire (cf. supra). 3.3.4 Rapprochement d’autres traditions et courants littéraires Par le biais de la diversité générique, le baroque est en interaction continue avec d’autres mouvements littéraires. Le baroque dialogue avec des traditions du passé, ainsi qu’avec des pratiques plus ou moins contemporaines des auteurs du XVIe et XVIIe siècle. Il dialogue même, pour le lecteur d’aujourd’hui, avec des courants littéraires ultérieurs au baroque. Cette interaction ne signifie pas toujours reprise sans modifications : l’auteur baroque peut faire allusion à un genre en jouant avec les conventions. En quelque sorte, un problème se pose : dans quelle mesure les genres et les traditions mentionnés appartiennent-ils au courant baroque ? L’assemblage des genres conventionnels est sans aucun doute une pratique 377 Ibid., p. 204-207. L’œuvre de Malherbe ne se restreint pas aux caractéristiques classicistes, comme le proposent souvent les adeptes du classicisme. 378 Ibid., p. 207 379 Ibid., p. 208-211. 380 Henriette Levillain, op. cit., p. 129. 381 Ibid., p. 130 382 Heinrich Wölfflin, op. cit., p. 188. 383 Ibid., p. 189. 65 style baroque renaît à chaque fois et retrouve de nouvelles formes pour formuler une même inspiration399. Mais d’Ors va encore plus loin. Tout comme le système en sciences naturelles structuré par Linné, le baroque est un « genre commun à des séries variées d’événements historiques, plus ou moins éloignées chronologiquement »400. Ainsi, chaque manifestation particulière du baroque reçoit une étiquette dichotomique, composée d’une part du nom de l’éon, le genre, et d’autre part d’une spécification, l’espèce. Ces étiquettes permettent non seulement de regrouper à partir de ressemblances, mais aussi à préserver les particularités de chaque espèce. Dans le cas du baroque, le genre est logiquement toujours barocchus et les espèces possibles sont pristinus (« préhistorique ») ; archaicus (« archaique ») ; macedonicus (« macédonien ») ; alexandrinus (« alexandrin ») ; romanus (« roman ») ; buddhicus (« bouddhique ») ; pelagianus (« pélagien ») ; gothicus (« gothique ») ; franciscanus (« franciscain ») ; manuelinus (« manuelin » du Portugal) ; orificensis (« Renaissance de l’Espagne) ; nordicus (« nordique » du Nord de l’Europe) ; palladianus (« palladien » d’Italie- Angleterre) ; rupestris (« grottesco » ou « rocailleux ») ; Maniera (« maniériste ») ; tridentinus, sive romanus, sive jesuiticus (« tridentin, soit roman, soit jésuite ») ; « Rococo » (« rococo » de la France et de l’Autriche) ; romanticus (« romantique ») ; finisecularis (« fin- de-siècle » ou « moderniste ») ; posteabellicus (« après-guerre ») ; vulgaris (« folklorique ») ; officinalis (« capricieux »)401. Toutefois, il n’est pas clair si ces espèces représentent des variétés ou des sous-genres. Les espèces, renvoyant aux époques différentes, celle du « prébaroque »402 par exemple, expliquent donc entre autres le rapprochement entre le baroque et le Romantisme, mais restent bel et bien distinctes : le baroque et le Romantisme vénèrent la nature, mais pour l’homme baroque la Nature est de nature divine, d’où provient l’omniprésence de Dieu403. « Le style de la civilisation se nomme classicisme. Au style de la barbarie, persistant, permanent dessous de la culture, ne donnerons-nous pas le nom de baroque ? »404 Bien que d’Ors reprenne la vision antithétique du baroque et du classicisme au début de son livre, il réussit néanmoins à y introduire une nuance. Même si une œuvre d’art qui ne répond pas aux critères classiques, témoigne toujours de « multipolarité »405, les notions de baroque et de 399 Ibid., p. 99. 400 Ibid., p. 134-135. 401 Ibid., p. 137-138. Pour les explications plus détaillées de toutes les espèces de baroque, voir d’Ors. 402 Ibid., p. 94. Le terme « prébaroque » désigne toutes les apparitions du baroque avant le XVIIe siècle. 403 Ibid., p. 106. 404 Ibid. p. 18. 405 Ibid., p. 126. 66 classicisme ne sont pas absolues. En effet, « ni le style baroque ne saurait exclure la pesanteur, malgré sa prédilection morphologique pour l’envolée, ni le classique n’est à son tour entièrement insensible à d’autres attractions que celle de la terre »406. En outre, d’Ors explique que l’un ne peut pas être compris sans l’autre. La raison est nécessaire pour un être humain pour comprendre le monde et ainsi « le classicisme est au baroquisme ce qu’est la raison à la perception » : indispensable407 . Inversement, le baroque est également indispensable au classicisme, car sans baroque le classicisme perdrait sa force et sa valeur408. Les deux styles sont par conséquent immortels. Toutefois, selon Levillain, le « dorsisme » a perdu ses partisans à partir des années 1990409. Le premier problème est que la théorie d’Ors fait abstraction de tout contexte, alors que l’influence des situations historique et religieuse (cf. supra) est cruciale410. Le deuxième problème est l’extension continue du mot. Le baroque récurrent de d’Ors est déjà une extension du sens originel, mais, aussi à partir des années 1990, le terme connaît un usage abusif dans tous les domaines culturels411. Il naît même une tendance de « baroquiser » tout et de vouloir voir des aspects baroques là où il n’y en pas412. « Entre le flou artistique et le purisme philologique, que choisir ? »413 Pour éviter cette ambiguïté, il faut un nouveau terme pour les autres espèces de baroque distingués par d’Ors, que ce soit « baroquisme »414 ou « résurgence baroque »415. 3.5 Bilan sur ce qu’est le baroque La plupart des critiques littéraires s’accordent sur l’existence du baroque comme un courant historique, un mouvement propre à l’époque du XVIe et XVIIe siècle, et autonome, c’est-à-dire qui ne fait pas partie d’un autre mouvement artistique. Sa nature reste pourtant sujet de discussion. Marcel Raymond, par exemple, estime que « la France a manqué le temps du grand art baroque »416 et que ce qu’on qualifie aujourd’hui de baroque en littérature française, n’est en réalité qu’une faible tentative. Il va plus loin : même la Renaissance française n’a pas atteint son comble. « Dans l’Europe du Nord et du Centre, le baroque prend 406 Ibid., p. 117. 407 Ibid., p. 150. 408 Ibid., p. 153. 409 Henriette Levillain, op. cit., p. 153. 410 Ibid., p. 153-154. 411 Ibid. 412 Ibid. 413 Ibid., p. 155. 414 Ibid., p. 154. Proposition de Didier Souiller. 415 Ibid., p. 155. Proposition de Walter Moser et Nicolas Goyer. 416 Marcel Raymond, op. cit., p. 9. 67 la suite du gothique et il s’y manifeste, malgré l’action latérale des Italianisants, par une transmutation des formes du gothique »417. Selon lui, l’Italie est le seul pays où la Renaissance s’est entièrement déployée. Néanmoins, tous les critiques ne sont pas du même avis. Même si la critique littéraire française ne nie plus l’existence de baroque, quelques critiques résistent à l’idée du baroque existence autonome : selon eux, le baroque fait partie intégrante de la Renaissance. D’autres critiques, comme d’Ors, proposent une théorie particulière : ils croient en la récurrence du baroque comme phénomène « surtemporaire », résistant toujours aux règles normatives. Le baroque historique n’est qu’une manifestation concrète du même phénomène. Une légère variation de la conception « dorsique » est la théorie qui avance que le baroque est la phase ultime de tout mouvement artistique418. Ainsi, le baroque des XVIe-XVIIe siècles, période baroque parmi les autres, serait la dernière phase de la Renaissance. 3.6 Retour à la poésie de Saint-Amant 3.6.1 La classification littéraire « baroque » : une tension latente ? Gérard Genette avait donc raison de définir le baroque comme un « carrefour » (cf. supra) puisqu’il est impossible de définir l’art baroque sans se référer aux nombreuses influences qui sont à la base de sa diversité. Genette va pourtant loin en prétendant que « son propre est de n’avoir rien en propre ». Certes, le baroque contient des éléments très variés, mais il montre également une nature qui n’est propre qu’à lui. Cette nature littéraire baroque, niée par Genette, a été définie par Rousset, qui néglige la diversité indiquée par Genette. Ces deux types de définition du baroque reflètent-ils une tension latente ? 3.6.2 La poésie de Saint-Amant : une classification « baroque » justifiée ? Comme l’ont démontré les analyses poétiques du fond et de la forme, les critères présentés par Rousset valent pour la poésie de Saint-Amant. D’autres éléments particuliers relevés dans les analyses, proviennent de traditions qui entrent en contact avec la littérature et la poésie baroque. D’abord, l’héritage de la culture antique, réintroduite par la Renaissance, occupe une place considérable au sein de l’œuvre de Saint-Amant. L’influence de l’Antiquité diffère pourtant d’un poème à l’autre : le genre est un facteur important pour le nombre d’éléments repris et le degré d’influence varie aussi pour le fond et la forme. Quoique le rapport exact de Saint-Amant avec la Renaissance reste incertain, la poésie de la Renaissance a clairement servi de fondement pour sa poésie baroque. La classification « baroque » impliquerait alors 417 Ibid., p. 11. 418 Marcel Raymond, op. cit., p. 17. Henri Focillon, par exemple, conçoit le baroque de cette façon. 70 illusion, entre vérité et mensonge. Un autre thème fréquent est la menace toujours présente de la mort, la métamorphose finale qui met fin à tout changement. Seulement les deux derniers thèmes traités, la débauche et la croyance, sont plus complexes à regrouper dans la classification « baroque ». Premièrement, bien que Saint-Amant chante sans cesse son amour pour la débauche, la débauche en soi n’a pas de place parmi les thématiques baroques. La jouissance excessive des plaisirs sensoriels est plutôt typique du mouvement libertin. On pourrait pourtant considérer la débauche comme baroque, si elle est comprise dans son sens plus large d’excès, de déviation de la norme, d’expression du côté bachique. Deuxièmement, contrairement aux normes de la littérature baroque, la poésie de Saint-Amant ne présente pas de dévotion totale à Dieu. Toutefois, ni le peu de références à la religion chrétienne, ni l’absence de signes de d’incroyance, ne permettent de tirer des conclusions sur la croyance de Saint-Amant. En général, malgré quelques subversions légères des thématiques baroques et les doutes sur les deux derniers thèmes, les critères de Rousset sont particulièrement faciles à appliquer à la poésie de Saint-Amant. On pourrait donc conclure que le fond poétique est baroque. Mais, bien que Saint-Amant explique dans son Avertissement au lecteur qu’il veut prendre ses distances avec la tradition classique, tout lecteur aguerri saura remarquer des influences classiques et classicistes. En outre, la poésie de Saint-Amant ne se restreint pas aux thématiques de Rousset : Saint-Amant mêle dans sa poésie des influences de traditions littéraires contemporaines. Comme les critères de Rousset ne mentionnent rien sur ces influences, une question a surgi : comment comprendre la relation de la poésie de Saint- Amant, dont le fond poétique semble baroque, avec la tradition classique, la tradition classiciste de la Renaissance et les traditions du XVIIe siècle, bref des traditions qui semblent détachées du baroque ? La deuxième analyse, celle de la forme poétique, a surtout porté sur l’« ostentation » de la poésie : la forme poétique sert à transmettre l’esprit baroque dans le style et à persuader le lecteur de la vérité baroque. Saint-Amant fait comprendre que sa poésie doit être correcte et harmonieuse. La diversité qui caractérise le poète Saint-Amant, réside aussi dans la forme. D’abord, Saint-Amant se sert d’un vocabulaire extrêmement riche et varié, dont la force se cache dans l’originalité des termes, ainsi que dans la juxtaposition de différents registres et de différentes langues, anciennes et modernes. Ensuite, les images et les figures de style sont nombreuses et indispensables dans une poésie baroque. Les comparaisons, les métaphores et les périphrases sont les « tromperies » textuelles qui accentuent le jeu entre réalité et fantaisie : les comparés montrent des ressemblances avec les comparants, mais ne coïncident pas entièrement. Le terme « métaphore baroque » n’indique pourtant pas la métaphore en 71 tant que forme simple, mais en tant que regroupement de toutes les images et toutes les figures possibles dans un style baroque, qui ont été traitées séparément dans cette analyse. Les théories des spécialistes du baroque, Tesauro et Hallyn, sont utiles pour l’analyse de ces figures de style. Les symboles et les images traduisent aussi les sentiments baroques et pour ce faire, Saint-Amant reprend les motifs baroques fréquents : l’eau courante, l’eau comme surface miroitante, le caractère éphémère d’un arc-en-ciel, la volatilité des nuages et la fragilité d’une flamme. Pour montrer la variabilité et la multilatéralité du monde, Saint-Amant s’appuie sur les figures de contrastes, qui regroupent les oppositions, les antithèses, les balancements et les paradoxes. Les hyperboles, les amplifications et les hypotyposes sont aussi nombreuses, puisque l’effet de l’exagération symbolise non seulement l’excès, mais signifie aussi l’ostentation dans sa forme originaire : aider le lecteur à visualiser le contenu de la poésie. De plus, en élaborant des « éloges paradoxaux » pour des objets sans valeur, Saint- Amant se moque des grands sujets poétiques favorisés par les Anciens. Les énumérations et les accumulations contribuent également à ce même effet d’ostentation. Toutes ces figures et ces images prouvent que Saint-Amant avait voulu cette ostentation indiquée par Rousset. Puis, l’étude de la structure des poèmes en montre quelques particularités. Le lecteur juge les structures souvent comme constructions aléatoires, car il n’y retrouve pas de développement linéaire. Il est vrai que la structure n’est pas toujours linéaire, mais régulièrement de nature « organique » : la focalisation de Saint-Amant saute d’un objet à l’autre sans transition logique et sa poésie symbolise ainsi l’idée baroque de la fugacité du monde. Toutefois, ce jugement n’est que partiellement vrai : un grand nombre de poèmes dispose bel et bien d’une linéarité, parfois même d’une symétrie dans les vers. Le genre est donc décisif : la poésie descriptive, par exemple, se prête plus facilement à une focalisation changeante que la poésie héroïque. Le même raisonnement vaut pour la structure des recueils : à première vue, la structure semble y manquer, mais les poèmes sont pourtant plus ou moins regroupés par genre. Par ailleurs, la versification, la rime et le mètre ont tendance à être déterminés par le genre : les mètres pairs, comme l’alexandrin et l’octosyllabe, pour les genres plus élevés et l’heptasyllabe pour les poèmes moins sérieux. Quant aux strophes, leur nombre est variable. Cela vaut non seulement pour le nombre de strophes dans un poème, mais aussi pour le nombre de vers dans une strophe. Quelques poèmes ont une forme traditionnelle, d’autres ont une forme plus libre. Dans la versification, Saint-Amant combine donc à nouveau des formes conventionnelles avec des formes plus ouvertes. Enfin, les personnages montrent aussi une complexité : « je » se trouve à un niveau intermédiaire entre Saint-Amant et le lecteur, tandis que la deuxième personne interpellée peut être le protecteur, un objet ou le dieu invoqué. 72 L’ostentation baroque est donc bel et bien omniprésente dans la poésie de Saint Amant par le biais de nombreuses figures de style. En outre, la complexité de la voix poétique et le manque de structure linéaire sont également typiques du baroque. La forme poétique de Saint-Amant semble donc baroque. Toutefois, cette analyse de la forme poétique a également démontré que Saint-Amant est toujours à la recherche d’un équilibre entre traditions et licence. La diversité générique n’est donc pas innocente : le choix d’un genre implique la confirmation ou la négation de l’autorité des traditions antérieures ou contemporaines. Enfin, le même problème de la première analyse se pose : quelle est la relation du baroque avec les autres traditions ? Les deux analyses ont ainsi conduit à un problème plus général, qui dépasse la problématisation de la classification de l’œuvre de Saint-Amant : comment définir de façon adéquate et complète la notion « baroque » ? En effet, les définitions de Jean Rousset pour le fond et la forme ne couvrent pas tous les éléments relevés. Parmi toutes les définitions du baroque en tant que mouvement et style, l’on distingue deux types généraux : le premier type, dont Gérard Genette est un exemple, estime que l’essence baroque n’est pas indépendante car elle est une forme éclectique d’autres conceptions artistiques ; le deuxième type, dans lequel Rousset s’inscrit, dégage quand même une essence typiquement baroque. Il semble donc exister une tension entre ces deux types. La notion « baroque », quoique complexe, se réfère dans la plupart des cas au mouvement artistique de la fin du XVIe et de la première moitié du XVIIe siècle, étroitement lié au contexte, qui était historiquement, politiquement et culturellement troublé. En définissant le mouvement baroque dans les beaux-arts, les critiques saisissent l’importance de l’époque antique, préclassiciste et classiciste pour comprendre le baroque. En effet, les deux courants artistiques, baroque et classicisme, se définissent par des pairs antinomiques. En littérature et en poésie, les mêmes principes sont de rigueur, mais il s’agit de transpositions, pas toujours évidentes, des arts figuratifs en arts textuels. La littérature baroque traduit alors les sentiments d’incertitude et d’instabilité en réalisme extrême ou en escapisme dans la nature. En même temps, la littérature baroque est marquée par un style plein d’énergie grâce aux figures de style qui y abondent. L’étiquette « baroque » regroupe, par conséquent, des textes très hétérogènes. La poésie baroque montre les mêmes caractéristiques, avec quelques légères tendances quant aux genres : l’on distingue généralement la poésie de la première baroque – de 1580 à 1620 – de celle de la deuxième baroque à partir de 1620. Eugenio d’Ors accentue l’incertitude sur l’interprétation du terme « baroque » en mettant en question l’existence d’une période baroque temporelle. Selon lui, le baroque et le classicisme 75 BIBLIOGRAPHIE Sources primaires Michel de Montaigne, Les Essais, éd. Pierre Villey, Paris, Presses Universitaires de France, 1965, p. 804-805. Saint-Amant, Œuvres. Tome I : Les Œuvres (1629), éd. Jacques Bailbé, Paris, Librairie Marcel Didier, 1971. –, Œuvres. Tome II : Suitte des Œuvres (1631), Seconde partie des Œuvres (1643), éd. Jean Lagny, Paris, Librairie Marcel Didier, 1967. Sources secondaires Anne-Laure Angoulvent, L’esprit baroque, Paris, Presses Universitaires de France, coll. Que sais-je ?, 1994. Raoul Audibert et René Bouvier, Saint-Amant. Capitaine du Parnasse, Paris, La Nouvelle Edition, 1946. Jacques Bailbé, Saint-Amant et la Normandie littéraire. Études réunies à la mémoire de Jacques Bailbé, éds Robert Aulotte et al., Paris, Honoré Champion, 1995. –, « Saint-Amant et la métamorphose », dans La Métamorphose dans la poésie baroque française et anglaise. Actes du Colloque International de Valenciennes, 1979, sous la dir. de Gisèle Mathieu-Castellani, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 1980, p. 163-179. Francis Bar, Le genre burlesque en France au XVIIe siècle : étude de style, Paris, d’Artrey, 1960. Samuel Borton, Six Modes of Sensibility in Saint-Amant, Den Haag, Mouton & Co., 1966. Imbrie Buffum, Studies in the Baroque from Montaigne to Rotrou, New Haven, Yale University Press, 1957. Patrick Dandrey, L’éloge paradoxal de Gorgias à Molière, Paris, Presses Universitaires de France, 1997. Eugenio d’Ors, Du Baroque, Paris, Gallimard, 1968 [1935]. Claude-Gilbert Dubois, Le Baroque : profondeurs de l’apparence, Paris, Larousse, coll. Thèmes et textes, 1973. Edwin Duval, Poesis and Poetic Tradition in the Early Works of Saint-Amant: Four Essays in Contextual Reading, York, French Literature Publications Co., 1981. Théophile Gautier, Les grotesques, Paris, Michel Lévy Frères, 1859. 76 Gérard Genette, Figures II : essais, Paris, Seuil, coll. Tel Quel, 1969. Françoise Gourier, Étude des œuvres poétiques de Saint-Amant, Genève, Droz, 1961. Fernand Hallyn, Formes métaphoriques dans la poésie lyrique de l’âge baroque en France, Genève, Droz, 1975. Yves Hersant, La Métaphore baroque : d’Aristote à Tesauro. Extraits du Cannocchiale aristotelico et autres textes, Paris, Seuil, coll. Points, 2001. Michel Jeanneret, Perpetuum Mobile. Métamorphoses des corps et des œuvres, de Vinci à Montaigne, Paris, Macula, coll. Argô, [s.a.]. Michel Jarrety, La poésie française du Moyen Age jusqu’à nos jours, Paris, Presses Universitaires de France, 1997. Raymond Lebègue, « La poésie baroque en France pendant les guerres de religion », dans Actes des Journées Internationales d’étude du Baroque, sous la dir. de Marcelle Dulaut, Toulouse, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1965, p. 45-51. Henriette Levillain, Qu’est-ce que le baroque ?, Paris, Klincksieck, 2003. John Lyons, The Listening Voice. An essay on the rhetoric of Saint-Amant, Lexington, French Forum, 1982. Gisèle Mathieu-Castellani, Éros baroque. Anthologie de la poésie amoureuse baroque (1570- 1620), Paris, Nizet, 1986. René Pintard, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Genève, Slatkine, 2000. John Pedersen, Images et Figures dans la poésie française de l’âge baroque, København, Akademisk Forlag, 1974. Marcel Raymond, Baroque & renaissance poétique, Paris, José Corti, 1955. Christopher Rolfe, Saint-Amant and the Theory of Ut Pictura Poesis, London, Modern Humanities Research Association, 1972. Jean Rousset, L’intérieur et l’extérieur. Essais sur la poésie et sur le théâtre au XVIIe siècle, Paris, José Corti, 1968. –, « Peut-on définir le baroque ? », dans Actes des Journées Internationales d’étude du Baroque, sous la dir. de Marcelle Dulaut, Toulouse, Association des publications de la Faculté des Lettres et Sciences humaines, 1965, p. 19-23. 77 –, Anthologie de la poésie baroque française. Tome I, Paris, Armand Colin, 1961. –, La littérature de l’âge baroque en France. Circé et le Paon, Paris, José Corti, 1954. Bernard Sève, De haut en bas. Philosophie des listes, Paris, Seuil, 2010. Vincent Vivès, La poésie baroque, Paris, Gallimard, coll. Folioplus classiques, 2004. Heinrich Wölfflin, Renaissance et Baroque, Paris, Le Livre de Poche, 1967.
Docsity logo


Copyright © 2024 Ladybird Srl - Via Leonardo da Vinci 16, 10126, Torino, Italy - VAT 10816460017 - All rights reserved